Mme Frédérique Puissat. On est d’accord !
Mme Corinne Bourcier. Nous saluons l’aide financière en faveur de la mobilité des intervenants à domicile, y compris pour l’obtention du permis de conduire, ainsi que l’instauration d’une carte professionnelle, qui, comme je l’avais proposé, a été étendue à tous les professionnels intervenant à domicile. Il s’agira d’avancées très concrètes pour les professionnels concernés.
Par ailleurs, je suis largement favorable à ce qu’un Ehpad puisse accueillir un animal de compagnie, de façon permanente ou lors d’activités de médiation animale. Les bienfaits des animaux sont connus et reconnus.
Néanmoins, la vie en Ehpad est une vie en collectivité. Je reste convaincue que promettre aux personnes âgées qu’elles pourront garder leur animal de compagnie en entrant en Ehpad est une fausse promesse, car une telle mesure sera inapplicable sur le terrain.
Le texte contient enfin quelques mesures pour lutter contre la maltraitance, comme la création d’une cellule départementale dédiée aux signalements ou encore la garantie d’un droit de visite pour les personnes accueillies en établissement.
J’avais eu l’occasion de le dire lors des explications de vote sur ce texte, en première lecture : selon moi, le meilleur moyen de lutter contre la maltraitance, c’est d’avoir du personnel en nombre suffisant, correctement formé et rémunéré. Cela ne veut pas dire que d’autres mesures ne sont pas importantes pour lutter contre la maltraitance, mais le personnel reste la condition préalable et indispensable.
Pour les quelques améliorations concrètes que ce texte propose et que notre groupe souhaite soutenir, nous voterons pour cette proposition de loi.
Cependant, il est vrai que le texte n’apporte pas de nouvelles perspectives financières. Or celles-ci sont indispensables si nous voulons que nos aînés soient dignement traités en établissement, et si nous voulons réussir le virage domiciliaire et respecter ainsi le souhait des 85 % de Français qui veulent vieillir chez eux.
Madame la ministre, nous attendons donc toujours un projet de loi, avec des orientations chiffrées, comme l’a promis Mme la ministre Vautrin devant notre commission. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Frédérique Puissat applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Frédérique Puissat et M. Laurent Burgoa applaudissent également.)
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte, dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteure aux côtés de M. Jean Sol, n’est peut-être pas la grande loi attendue sur le grand âge et l’autonomie, mais il nous permet d’avancer sur des sujets de préoccupation pour les Français.
Je concentrerai mon propos sur les dispositions que j’ai plus particulièrement suivies en tant que rapporteure.
Tout d’abord, le texte de la commission mixte paritaire consacre le droit du patient ou du résident de recevoir de la visite, en maintenant le régime proposé par le Sénat pour les établissements de santé et les établissements médico-sociaux.
Le texte inscrit dans la loi le droit inconditionnel, même en cas de crise sanitaire, reconnu aux personnes en fin de vie ou en soins palliatifs de recevoir de la visite, tout en précisant que l’établissement doit garantir les consignes de protection sanitaire. En outre, il étend ce droit inconditionnel à tout visiteur choisi par le patient ou résident et, si son consentement ne peut être exprimé, à tout membre de sa famille, de ses proches ou à la personne de confiance désignée.
À l’article 4, qui prévoit un nouveau circuit de recueil et de traitement des cas de maltraitance commis sur des majeurs vulnérables, la commission mixte paritaire a adopté une rédaction de compromis prévoyant une cellule de recueil et de suivi des signalements pilotée par l’agence régionale de santé, selon la configuration prévue par l’Assemblée nationale. Ce dispositif s’accompagnera du déploiement d’un nouveau système d’information mis en œuvre par l’État.
En revanche, deux apports du Sénat sont maintenus. D’une part, le numéro national d’appel, le 39 77, conserverait une base légale. D’autre part, le signalement des cas de maltraitance par les personnes astreintes au secret professionnel resterait une faculté, qu’ils apprécieraient en conscience.
En matière de contrôle des antécédents judiciaires des personnes intervenant auprès des mineurs ou des majeurs en situation de vulnérabilité, le texte de la commission mixte paritaire entérine la rédaction adoptée par le Sénat.
Le texte étend toutefois le périmètre de l’attestation transmise à l’employeur aux condamnations non définitives et aux mises en examen dont est frappé, le cas échéant, le professionnel ou la personne bénévole concernée.
Enfin, nous nous sommes entendus pour maintenir la suppression de la plupart des articles relatifs à la protection des majeurs, suivant en cela l’avis de notre collègue Elsa Schalck, au nom de la commission des lois.
J’en viens à la partie du texte concernant les services à domicile.
Les deux assemblées ont approuvé la création d’une carte professionnelle pour les intervenants à domicile. La majorité d’entre eux ne disposant d’aucun titre ou diplôme, le Sénat a prévu d’autoriser la délivrance de cette carte aux personnes justifiant de deux années d’exercice professionnel. Par cohérence avec le cahier des charges des autorisations et des agréments, la CMP a rehaussé cette condition d’ancienneté à trois ans.
Comme l’avait souhaité le Sénat, une partie de la contribution de la CNSA aux départements au titre de la mobilité des aides à domicile pourra être affectée à des aides financières à l’obtention du permis de conduire, sous réserve que les professionnels ne puissent bénéficier d’aucun autre dispositif visant le même objectif.
Le regroupement des catégories existantes de services à domicile en une unique catégorie dénommée « services autonomie à domicile » implique une transformation qui se révèle difficile en pratique, notamment pour les services de soins infirmiers à domicile ; ceux-ci disposent d’un délai de deux ans pour s’adjoindre une activité d’aide, fusionner ou se regrouper avec un SAD existant.
L’article 8 bis vise à répondre à ces difficultés et aux inquiétudes qu’elles suscitent en permettant aux Ssiad de conventionner avec un SAD pendant une durée de trois ans sans demander de nouvelle autorisation. Il prévoit, en outre, un délai supplémentaire pour les Ssiad essuyant un refus d’autorisation, que le Sénat a fixé à deux ans.
Le Sénat avait également adopté un article 8 ter ayant pour objectif de rendre facultative l’application de la réforme par les Ssiad.
Après de longues discussions sur ce sujet complexe, nous avons estimé que la mise en œuvre de cette réforme, que nous avons votée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, est désormais trop avancée pour permettre tout retour en arrière.
En contrepartie de la suppression de l’article 8 ter, la CMP a introduit à l’article 8 bis des assouplissements supplémentaires en faveur des Ssiad : la durée pendant laquelle ils pourront se maintenir dans le cadre d’une convention ou d’un groupement, à défaut de présenter une demande d’autorisation en SAD, est allongée à cinq ans, et la date butoir pour déposer cette demande d’autorisation est repoussée de six mois, soit au 31 décembre 2025.
Ce compromis, doublé d’un engagement du Gouvernement de mieux accompagner les Ssiad dans cette transformation, me semble de nature à sécuriser le sort de ces services.
L’article 10 bis permettra aux Ehpad majoritairement habilités à l’aide sociale de fixer des tarifs différenciés entre les personnes bénéficiaires de l’aide sociale et les autres, dans la limite d’un écart fixé au niveau national par décret et à condition de maintenir une part suffisante de bénéficiaires de l’aide sociale parmi les résidents. Les départements auront toujours la possibilité de fixer des conditions plus strictes que le cadre national.
Je me réjouis enfin que nous soyons parvenus à trouver un accord sur la base du texte adopté par le Sénat pour ce qui concerne les articles dédiés à l’habitat inclusif et aux résidences autonomie.
Mes chers collègues, je vous invite à mon tour à adopter le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Anne Souyris. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le journal Libération résumait parfaitement ce matin les enjeux du texte qui nous réunit : « Un dernier vote au Sénat qui peinera à masquer les inquiétudes des parlementaires sur l’avenir du secteur de l’autonomie, en l’absence de promesse gouvernementale pour une prochaine loi sur le grand âge. »
« Inquiétudes », le mot est faible : dans nos territoires, nous voyons l’état du secteur de l’autonomie… il est terrifiant ! Les travaux que je mène avec nos collègues Chantal Deseyne et Solanges Nadille dans le cadre de la mission d’information sur la situation des Ehpad laissent entrevoir une situation catastrophique pour le secteur – et je pèse mes mots. Je crains que les conclusions de cette mission, que nous rendrons à l’automne, ne soient pas heureuses.
Il y a de quoi être inquiet en écoutant les acteurs de terrain, qui soulignent tous un manque criant de personnel dans les établissements et un défaut de formation des professionnels, ce qui entraîne de facto une maltraitance des patients et des aidants.
Ils déplorent que la promesse de création de 50 000 postes supplémentaires pour 2027, puis 2030, ne soit pas encore concrétisée, alors même que ce nombre est tout à fait insuffisant au regard des manques actuels. En outre, une grande partie des Ehpad publics et associatifs rencontrent des difficultés financières et sont notamment exposés à des risques de rupture de trésorerie, voire de cessation de paiements – je n’invente rien.
Quand le Gouvernement promet au Parlement la présentation d’un projet de loi sur le grand âge au premier semestre, mais que rien n’est inscrit à l’ordre du jour ; quand le Parlement demande, dans le texte qui nous est soumis, l’adoption d’une loi de programmation pluriannuelle pour le grand âge avant le 31 décembre 2024, mais que le Gouvernement n’offre aucune réponse aux interrogations de nos collègues députés quant au calendrier et à l’engagement d’une concertation ; quand tous les acteurs réclament urgemment une loi Grand Âge et qu’elle ne vient pas, nous ne pouvons qu’alerter et nous répéter.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons nous satisfaire de cette proposition de loi.
Cela dit, le présent texte ne comporte aucune mauvaise mesure. Je salue d’ailleurs la suppression de l’article 8 ter, qui rendait facultative l’application de la réforme par les services de soins infirmiers à domicile. En contrepartie, un accompagnement de ces structures est mis en place pour une période transitoire.
Ce texte comporte des propositions intéressantes : droit sanctuarisé de visite dans les Ehpad, possibilité d’accueillir des animaux en établissement, instauration d’un droit de visite pour les proches, création d’une carte professionnelle pour les aidants.
Toutefois, le compte n’y est pas. Aucune mesure significative n’est prise pour rendre les Ehpad vivables ou améliorer la prise en charge dans le secteur de l’autonomie, faute de moyens supplémentaires – il est vrai qu’il ne s’agit pas d’un projet de loi…
Aussi, la question reste entière : madame la ministre, allez-vous enfin présenter ce projet de loi de programmation pluriannuelle pour le grand âge ?
Face à la situation d’urgence extrême de l’autonomie, nous devons agir rapidement et structurellement. J’y insiste, nous devons avancer d’ici à la fin de l’année, au risque de condamner les plus précaires – et bientôt nous-mêmes.
Cette proposition de loi, malgré les maigres avancées qu’elle comporte, ne permet pas de mener cette réforme absolument nécessaire. Pour ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire est donc parvenue à un accord au rabais, sur un texte sans envergure, dont le financement est insignifiant.
Cette proposition de loi comporte certes quelques mesures positives, comme la dotation de 100 millions d’euros pour aider les départements à financer la mobilité des intervenants à domicile. Je pense également à la sanctuarisation d’un droit de visite pour les résidents des Ehpad et à la possibilité d’accueillir un animal de compagnie.
Toutefois, ces dispositions sont bien loin de compenser les reculs et les manques de ce texte.
La commission mixte paritaire a supprimé de cette proposition de loi l’obligation de réserver une part des bénéfices des Ehpad privés lucratifs à l’amélioration des conditions de vie. Elle a également supprimé l’obligation faite aux Ehpad de se conformer aux injonctions de l’ARS en cas de constatation de manquements graves à la qualité et à la sécurité des soins.
Malgré l’ampleur des révélations du livre Les Fossoyeurs, vous préférez protéger les directions des Ehpad maltraitants, plutôt que les résidents.
Alors que le Président de la République avait annoncé la création de 50 000 postes, seulement 3 000 ont été ouverts en 2023 et 6 000 en 2024.
L’objectif de 50 000 postes a donc été repoussé de 2027 à 2030, alors même que les besoins sont estimés par l’association des directeurs d’Ehpad à 200 000 emplois supplémentaires. Tant que les gouvernants refuseront d’investir dans le secteur médico-social, le personnel continuera de subir la maltraitance institutionnelle et les résidents des conditions dégradées de prise en charge.
Il y a pourtant urgence : selon la Fédération hospitalière de France, le nombre d’Ehpad en déficit est passé de 45 % à 85 % entre 2019 et 2022 et le coût unitaire d’un lit a bondi de presque 10 %, pour atteindre un déficit unitaire moyen de 3 200 euros.
La principale mesure du texte consistait en la promesse de l’inscription à l’ordre du jour parlementaire d’un projet de loi de programmation avant la fin de l’année. Nous attendons du Gouvernement qu’il tienne cette promesse, mais surtout qu’il propose des mesures de financement à la hauteur des besoins.
Nous connaissons les ordres de grandeur que suppose un tel projet : il faudrait 10 milliards d’euros, soit l’équivalent du plan d’austérité de Bruno Le Maire pour 2024.
Nous avons quelque peine à croire que le Gouvernement, qui annonce 30 milliards d’euros d’économies l’an prochain et qui souhaite réduire les dépenses des personnes en affection de longue durée, propose une loi de programmation de financement du secteur du grand âge et de l’autonomie…
Depuis 2017, nous sommes dans l’attente impatiente d’une loi sur le grand âge pour financer l’adaptation de la société au vieillissement. Il suffirait pourtant de mettre à contribution les plus hauts revenus et les revenus financiers ou de revenir sur les 88 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales accordées chaque année aux entreprises.
En somme, cette proposition de loi n’est qu’un « coup de com’ » du Gouvernement pour donner l’illusion d’avancer sur ce dossier.
Rien sur la revalorisation des métiers de l’aide à domicile, rien sur la revalorisation des salaires des personnels, rien sur la revalorisation des frais kilométriques des aides à domicile qui utilisent leur véhicule personnel !
Ce n’est pas en appliquant les méthodes du secteur privé lucratif que nous allons améliorer la situation des Ehpad publics et privés non lucratifs : la possibilité de fixer des tarifs différenciés selon les revenus des résidents ne va pas améliorer le taux d’encadrement ni la qualité de l’accueil ; au contraire, cela risque de réduire encore le nombre des places réservées à l’aide sociale.
L’affaire Orpea a pourtant mis en lumière les dysfonctionnements du secteur privé lucratif, avec des montages financiers ayant pour seul objectif la recherche d’une rentabilité maximale, au mépris des êtres humains.
Madame la ministre, à quand cette loi Grand Âge et autonomie demandée par toutes et tous ? Peut-être attendez-vous un 31 février pour l’inscrire à l’ordre du jour ? (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.) Nous nous inquiétons que vous ne preniez au sérieux ni l’attente des résidents, ni celle des familles, ni celle des personnels, qui réclament tous cette loi, et à cor et à cri.
Pour l’ensemble de ces raisons, notre groupe votera contre les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement, l’ensemble de la proposition de loi, dont la commission a ainsi rédigé l’intitulé : proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l’autonomie.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quinze, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Homicide routier
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière (proposition n° 308, texte de la commission n° 443, rapport n° 442).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons tous été bouleversés par les drames qu’a connus notre pays, drames causés par des conducteurs en excès de vitesse, sous alcool ou sous stupéfiants. Nous connaissons tous des parents dévastés, des familles endeuillées et révoltées.
J’entends les critiques visant une justice qui prend le temps d’investiguer et d’instruire, alors que les victimes appellent de leurs vœux un procès rapide. Nous savons que la justice, par son langage, ajoute parfois aux malheurs des victimes et de leurs familles. La présente proposition de loi nourrit l’ambition de répondre à ces critiques.
Il est en effet de notre devoir de nous assurer que notre droit prenne pleinement en compte toutes les situations.
Il est de notre devoir que notre droit s’adapte aux nouveaux comportements, qui transforment nos routes en voies périlleuses.
Il est aussi de notre devoir que notre droit n’aggrave pas, par ses mots, la souffrance des victimes.
C’est pourquoi la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’est pas que symbolique. Elle propose de nommer juridiquement, avec justesse, des comportements inacceptables, qui favorisent la survenance de drames sur nos routes.
Cette proposition de loi n’est pas qu’une œuvre sémantique. Bien évidemment, les mots ont un sens. Mais, en droit, les mots emportent des conséquences sur le déroulement des enquêtes, sur les audiences, sur la prise en charge des victimes. Les mots consacrés par la loi obligent la justice.
La qualification pénale d’homicide ou de blessures involontaires n’est pas appropriée lorsque le conducteur s’est délibérément mis dans un état ou une situation faisant encourir un risque avéré aux usagers de la route.
L’acte n’est pas totalement accidentel lorsqu’une personne conduit sous l’emprise d’alcool ou de stupéfiants. Il n’y a rien d’involontaire à consommer des stupéfiants ou à s’enivrer. Il n’y a rien d’involontaire à prendre la fuite après avoir commis un accident.
À travers le nouveau qualificatif consacré par cette proposition de loi, le caractère inacceptable du délit est ainsi pris en compte.
Par ailleurs, ce texte accroît la répression. De nombreuses mesures visent à renforcer les sanctions en matière routière. Au demeurant, cette proposition de loi s’inscrit dans le prolongement des annonces formulées par le Gouvernement le 17 juillet 2023, à l’occasion du comité interministériel de la sécurité routière.
Il est vrai que la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière avait déjà consacré des textes d’incriminations spécifiques.
À ce titre, l’article 221-6-1 de notre code pénal dispose que « lorsque la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence ou le manquement à une obligation législative ou réglementaire de prudence ou de sécurité […] est commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, l’homicide involontaire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ».
Les peines peuvent être portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende si l’homicide a été commis avec au moins deux circonstances aggravantes.
L’article 1er de la proposition de loi a été profondément remanié par la commission des lois de votre assemblée. Si je salue la créativité et l’inventivité de votre rapporteur,… (Sourires.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On peut dire ça comme ça !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … je ne suis pas favorable à la nouvelle architecture qui en résulte.
Vous proposez de consacrer une nouvelle forme d’atteinte aux personnes, dès lors qu’elle est causée par un auteur qui n’est pas un conducteur. Ainsi seraient créés un délit d’homicide par mise en danger et un délit de blessures par mise en danger.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est génial ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ces deux délits s’ajouteraient alors non seulement aux délits d’homicide et de blessures involontaires, mais également aux délits d’homicide routier et de blessures routières. Pourquoi faire simple, quand on peut faire très compliqué…
Tout d’abord, ces nouvelles incriminations liées à la mise en danger d’autrui, telles que vous proposez de les définir, ne semblent pas répondre aux exigences de précision et de lisibilité de la loi pénale.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Exactement !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Lorsqu’une victime est décédée, lorsqu’une victime est blessée, la mise en danger est avérée, indépendamment de la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence.
Au demeurant, l’article 1er de la proposition de loi, dans la rédaction issue des travaux de votre commission, emporterait une complexification de notre droit.
En effet, coexisteraient alors : une section 1 relative aux atteintes volontaires à la vie ; une section 2 relative aux atteintes involontaires à la vie ; une section 2 bis relative aux atteintes à la vie par mise en danger ; une section 2 ter relative à l’homicide routier ; une section 2 quater relative aux blessures routières ; enfin, une section 2 quinquies relative à l’homicide résultant de l’agression commise par un chien.
L’équilibre actuel de notre code pénal en serait à l’évidence fragilisé.
À cet écueil, s’ajoute l’édification d’une frontière dangereusement poreuse entre les infractions non intentionnelles et les infractions volontaires. La qualification de l’infraction soumise aux magistrats deviendrait trop complexe. Dès lors, l’exigence constitutionnelle de clarté de l’incrimination pénale ne me semble pas respectée.
Pour toutes ces raisons, je suis favorable au rétablissement de l’article 1er, tel qu’il a été voté par l’Assemblée nationale.
Serait ainsi créé dans le code pénal un chapitre intitulé « Des homicides et blessures routiers », dans lequel seront introduits quatre nouveaux articles. L’homicide involontaire et les blessures involontaires par conducteur, dès lors qu’ils sont aggravés, seraient désormais caractérisés comme étant un homicide routier ou des blessures routières. Les circonstances aggravantes, déjà prévues par le code pénal, demeurent.
D’autres circonstances aggravantes méritent cependant d’être ajoutées, car elles traduisent des comportements malheureusement trop fréquents de la part des conducteurs ; car elles font désormais partie intégrante du quotidien des enquêteurs, des magistrats et des victimes ; car il nous faut être en prise directe avec la réalité, avec le quotidien de nos routes.
Le conducteur téléphonant au volant, celui qui se livre à un rodéo urbain et qui provoque la mort d’un usager de la route ou lui inflige des blessures, doit être poursuivi pour homicide routier ou blessures routières.
Celui qui consomme du protoxyde d’azote, celui qui suit un traitement médicamenteux interdisant toute conduite, ceux-là mêmes qui prennent malgré tout le volant et qui blessent ou tuent, ceux-là mêmes doivent être poursuivis pour homicide routier ou blessures routières.
Les peines principales encourues pour les faits d’homicide routier ou de blessures routières restent identiques à celles qui sont actuellement prévues pour homicide ou blessures involontaires aggravés.
Concernant la répression de l’homicide routier, un amendement du rapporteur en commission a visé à rétablir l’article 132-19-1 du code pénal relatif aux peines planchers – les bonnes vieilles peines planchers ! (Sourires sur les travées des groupes RDPI et SER.)
Vous le savez, je suis totalement défavorable à un tel rétablissement.
Premièrement, les peines planchers n’ont pas démontré leur efficacité. Elles n’ont pas entraîné une baisse de la délinquance entre 2007 et 2014, cette période bénie à vos yeux, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe Les Républicains.
Deuxièmement, le taux de prononcé des peines planchers n’a cessé de diminuer entre 2007 et 2011, passant de 50 % en 2007 à 37 % en 2011, les tribunaux ayant dérogé aux peines planchers, qui leur apparaissaient manifestement disproportionnées.
Troisièmement, les peines planchers n’ont eu aucun effet sur le nombre de peines d’emprisonnement prononcées et sur leur quantum. Durant les années d’application des peines planchers, soit entre 2008 et 2013, le quantum moyen de la peine d’emprisonnement ferme était de sept mois. Dès l’abrogation des peines planchers, entre 2014 et 2019, le quantum moyen était de huit mois. En 2022, il était de dix mois.
Enfin, le rétablissement de peines planchers va aggraver les délais de traitement des dossiers en matière pénale. En effet, ce dispositif suppose un temps d’audience prolongé, afin que le ministère public et les parties échangent leurs arguments sur l’application, ou non, de la peine plancher, et un temps de motivation supplémentaire pour le juge.
Je le dis sans polémique, mais de manière claire : je préfère l’efficacité à la démagogie, et je sais que le Sénat aussi !
Je souscris à une répression ferme, fondée sur des peines principales et des peines complémentaires efficaces, prévenant toute réitération. À ce titre, la proposition de loi prévoit d’insérer un nouvel article 221-21 comprenant des peines complémentaires encourues ou obligatoires en cas de condamnation pour homicide routier et blessures routières.
En particulier, il est prévu d’élargir la peine complémentaire de confiscation et d’immobilisation du véhicule ayant servi à la commission de l’infraction. Le véhicule conduit, qu’il soit ou non la propriété du conducteur ayant causé le drame, pourra être saisi, puis confisqué.
En outre, les dispositions actuellement applicables en matière d’annulation du permis de conduire de plein droit sont étendues à toute condamnation pour homicide routier ou blessure routière ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois.
De telles propositions visent un objectif louable. Elles permettent de nommer et d’acter la gravité de certains comportements qui sont à l’origine, hélas ! de nombreux accidents.
Afin de lutter davantage contre les comportements dangereux au volant et de renforcer la répression à l’égard des auteurs d’infractions routières, le texte répond à ces deux objectifs : l’excès de vitesse de 50 kilomètres par heure devient un délit ; les règles en matière de récidive sont renforcées ; les peines d’emprisonnement encourues pour la conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou sous l’emprise de stupéfiants sont aggravées.
En conclusion, la loi doit responsabiliser, donc réprimer les auteurs de comportements volontairement dangereux. La loi doit répondre aux évolutions de notre délinquance routière – le protoxyde d’azote et de nombreuses substances psychoactives sont trop régulièrement consommés par des conducteurs. En conséquence, la loi doit nommer avec précision de tels délits.
L’homicide routier ou les blessures routières sont ainsi les qualifications appropriées dans le cas d’accidents provoqués par le conducteur d’un véhicule ayant commis une faute grave. Il y va tout simplement du bon sens ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)