Sommaire

Présidence de Mme Sophie Primas

Secrétaires :

M. Guy Benarroche, Mme Alexandra Borchio Fontimp.

1. Procès-verbal

2. Modification de l’ordre du jour

3. Préserver des sols vivants. – Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale :

Mme Nicole Bonnefoy, auteure de la proposition de loi

M. Michaël Weber, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable

M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la mer et de la biodiversité

M. Henri Cabanel

M. Saïd Omar Oili

M. Olivier Jacquin

Mme Marta de Cidrac

M. Vincent Louault

Mme Jocelyne Antoine

M. Jacques Fernique

Mme Marie-Claude Varaillas

M. Jean-Baptiste Blanc

M. Bernard Pillefer

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

M. Pierre Cuypers

Rejet, par scrutin public n° 124, de l’article.

Article 2

M. Jean-Claude Tissot

Amendement n° 1 rectifié de Mme Nicole Bonnefoy. – Rejet.

Amendement n° 2 rectifié de Mme Nicole Bonnefoy. – Rejet.

Amendement n° 6 de Mme Marie-Claude Varaillas. – Rejet.

Amendement n° 3 rectifié de Mme Nicole Bonnefoy. – Rejet.

Rejet, par scrutin public n° 125, de l’article.

Article 3

M. Jacques Fernique

Mme Nicole Bonnefoy

M. Pascal Savoldelli

Rejet, par scrutin public n° 126, de l’article.

Article 4 : devenu sans objet.

Amendement n° 7 de Mme Marie-Claude Varaillas. – Devenu sans objet.

Amendement n° 5 rectifié de Mme Nicole Bonnefoy. – Devenu sans objet.

Tous ses articles ayant été rejetés ou étant devenus sans objet, la proposition de loi n’est pas adoptée.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable

M. Hervé Berville, secrétaire d’État

4. Mise au point au sujet d’un vote

5. Candidatures à une commission mixte paritaire

6. Santé et bien-être des femmes au travail. – Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale :

Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de loi

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Alain Marc

M. Saïd Omar Oili

Mme Marion Canalès

Mme Béatrice Gosselin

Mme Marie-Claude Lermytte

Mme Brigitte Devésa

Mme Ghislaine Senée

Mme Silvana Silvani

Mme Maryse Carrère

Clôture de la discussion générale.

Avant l’article 1er

Amendement n° 6 rectifié bis de Mme Annick Billon. – Rejet par scrutin public n° 127.

Amendement n° 14 rectifié bis de Mme Annick Billon. – Rejet par scrutin public n° 128.

Article 1er

Amendement n° 1 rectifié de M. Daniel Chasseing et sous-amendement n° 15 de Mme Marion Canalès. – Adoption du sous-amendement et de l’amendement modifié.

Amendement n° 7 rectifié bis de Mme Annick Billon. – Retrait.

Amendement n° 8 rectifié bis de Mme Annick Billon. – Adoption.

Amendement n° 4 rectifié de Mme Laurence Rossignol. – Adoption.

M. Adel Ziane

Rejet, par scrutin public n° 129, de l’article modifié.

Article 2

Amendement n° 2 rectifié de M. Daniel Chasseing. – Adoption.

Rejet, par scrutin public n° 130, de l’article modifié.

Article 3

M. Adel Ziane

Amendements identiques nos 5 de Mme Laurence Rossignol et 10 rectifié bis de Mme Annick Billon. – Adoption des deux amendements supprimant l’article.

Article 4

Amendement n° 3 rectifié de M. Daniel Chasseing. – Rejet.

Amendement n° 13 de Mme Marion Canalès. – Adoption.

Amendement n° 9 rectifié bis de Mme Annick Billon. – Devenu sans objet.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

M. Patrick Kanner

Mme Annick Billon

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales

Mme Marion Canalès

Mme Hélène Conway-Mouret

Mme Ghislaine Senée

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué

Rejet, par scrutin public n° 131, de l’article modifié.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 12 rectifié bis de Mme Annick Billon. – Devenu sans objet.

Tous ses articles ayant été rejetés ou supprimés, la proposition de loi n’est pas adoptée.

7. Candidatures à une mission d’information

8. Communication relative à une commission mixte paritaire

9. Ordre du jour

Nominations de membres d’une commission mixte paritaire

Nomination de membres d’une mission d’information

compte rendu intégral

Présidence de Mme Sophie Primas

vice-présidente

Secrétaires :

M. Guy Benarroche,

Mme Alexandra Borchio Fontimp.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Modification de l’ordre du jour

Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande que l’examen initialement prévu le mercredi 13 mars après-midi de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux et du projet de loi ratifiant l’ordonnance modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française soit reporté au jeudi 14 mars matin.

Les textes initialement inscrits à l’ordre du jour du matin du jeudi 14 mars seraient examinés l’après-midi de ce même 14 mars.

Acte est donné de cette demande.

Cette modification de notre ordre du jour vise à nous permettre d’inscrire, en accord avec le Gouvernement, le débat à la suite du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes le mercredi 13 mars après-midi, à seize heures quarante-cinq.

Dans l’organisation de ce débat, nous pourrions attribuer, après la présentation du rapport par le Premier président de la Cour et les interventions des commissions des finances et des affaires sociales, un temps de parole d’une heure aux groupes politiques. Par ailleurs, nous pourrions fixer le délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes dans la discussion générale des deux textes reportés au jeudi 14 mars au mercredi 13 mars à quinze heures.

Enfin, nous pourrions fixer la reprise de la séance du jeudi 14 mars après-midi à quatorze heures.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à préserver des sols vivants
Discussion générale (suite)

Préserver des sols vivants

Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à préserver des sols vivants
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion de la proposition de loi visant à préserver des sols vivants (proposition n° 66, résultat des travaux n° 317, rapport n° 316).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Bonnefoy, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Saïd Omar Oili applaudit également.)

Mme Nicole Bonnefoy, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour faire face au dépérissement du vivant, j’ai l’honneur de vous présenter une proposition de loi tendant à créer un cadre national pour la protection et la résilience des sols.

Avant de l’évoquer, je tiens à remercier chaleureusement Michaël Weber, notre rapporteur, et le secrétariat de la commission pour la qualité de leur travail.

La crise agricole de ces dernières semaines est venue quelque peu brouiller la perception de ce texte, pourtant bien accueilli au départ. Face à la saine colère des agriculteurs accablés par des prix de vente trop bas, le Gouvernement a cédé à la panique. Nous assistons médusés à une débâcle écologique sans précédent. Ainsi, la mise en pause du plan Écophyto est un trophée dont pourra longtemps se targuer la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), au mépris de toute réalité économique et écologique.

En effet, la réduction des pesticides ne provoque pas la ruine des exploitations. Bien au contraire, elle représente un gain de 200 euros par hectare pour les agriculteurs libérés de leur dépendance à ces produits. Et je ne parle pas des effets bénéfiques pour leur santé, pour notre santé à tous et pour celle des sols.

La santé des sols doit nous préoccuper au plus haut point, car elle est la condition du vivant et « l’origine du monde », selon l’expression du professeur Marc-André Selosse.

C’est tout l’enjeu de cette proposition de loi, qui vise non pas à alourdir les normes ou à stigmatiser une profession vitale pour le pays, mais à nous doter de nouveaux outils de gestion durable.

Le constat des scientifiques est sans appel et, localement, les agriculteurs savent très bien que la fertilité des sols est liée à leur qualité et à leur biodiversité. Je renverserai donc l’argument de mes détracteurs : la crise que nous connaissons est un moment tout à fait opportun pour poser la question des sols.

Promouvoir les sols, c’est améliorer le rendement des terres et donc le revenu des agriculteurs ; c’est préserver leur outil de production ; c’est tendre vers une agriculture intensive en écologie.

Le but de ce texte est de créer une véritable stratégie nationale de promotion des sols vivants et de favoriser les passerelles entre le monde scientifique et le monde agricole et forestier. La France dispose d’un réseau de laboratoires et d’une expertise sans pareil en Europe, que le législateur aurait tort de ne pas utiliser.

On me rétorquera encore que ce n’est pas le moment, car une directive européenne est en cours d’examen. Mes chers collègues, la directive sur les sols est à l’arrêt depuis 2005 et la nouvelle est en passe de subir le même sort. J’en veux pour preuve le vote émis mardi par la commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement européen, qui a pour conséquence le retrait du projet de directive de l’obligation pour les États de définir des pratiques de gestion durable des sols !

Ainsi la question n’est-elle pas de surtransposer ou de prétransposer, elle est de sortir de l’expectative européenne, de préparer notre pays à la prise en compte des sols dans la transition écologique et surtout d’accompagner les artisans du sol dans une gestion durable de leur principal outil de travail. Face à l’inertie européenne, cette proposition de loi tombe donc à point nommé !

Le système actuel mène les agriculteurs et les écosystèmes dans le mur. Chaque année, en France, les sols perdent en moyenne 1,5 tonne de terre par hectare en raison du ruissellement des eaux et de l’érosion. Chaque seconde, 26 mètres carrés de terre arable disparaissent en France, soit 82 000 hectares à l’année, l’équivalent de la ville de Paris !

Nous perdons peu à peu les fonctions essentielles des sols. Ils jouent un rôle d’éponge naturelle et de filtration pour lutter contre les inondations, les crues et les sécheresses de plus en plus fréquentes et permettent de lutter contre l’érosion afin de préserver les nutriments, lesquels garantissent la fertilité de nos bassins agricoles. Les sols sont aussi le plus grand réservoir de biodiversité de la planète, puisqu’ils abritent près de 60 % des espèces vivantes. Enfin, ils ont une fonction majeure dans la séquestration du carbone.

Notre souveraineté alimentaire est menacée. Sortir de ce cercle vicieux est donc une nécessité.

Comment peut-on considérer que ce n’est pas le moment, alors que les aléas climatiques coûtent « un pognon de dingue » aux collectivités, alors que les scientifiques et toutes nos instances climatiques, dont le Haut Conseil pour le climat, clament l’urgence de s’emparer de la question des sols pour relever les défis environnementaux ? À cet égard, nos auditions ont été limpides.

Comment peut-on considérer que ce n’est pas le moment, alors que tous les agriculteurs qui franchissent le pas de l’agroécologie retrouvent le sens de leur métier ? Les agriculteurs nous le disent : la transition est possible, grâce aux sols, par la mise en place d’une agriculture de régénération.

Mais, circulez, il n’y a rien à voir ! L’opposition de la majorité sénatoriale relève malheureusement plus de la posture dogmatique, face à laquelle tout argument sera forcément dérisoire. Il faut croire que nous préférons agir au pied du mur plutôt que de prévoir et planifier !

Je revois avec émotion les membres de notre commission effectuer des carottages dans le jardin du Luxembourg en décembre dernier. Je nous revois saluer les travaux de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et trouver heureuse cette initiative parlementaire.

Depuis, une consigne a été donnée par la FNSEA d’entraver l’adoption de ce texte.

J’ose croire que le courage politique se mesure à notre capacité à penser l’intérêt général et celui des générations futures, plutôt qu’à notre docilité et à notre soumission à des arguments éculés sur l’opposition des agricultures, surtout lorsque la voie de la transition vers une agriculture intensive en emplois et respectueuse de l’environnement nous est ouverte.

Loin des fantasmes, que propose ce texte concrètement ? Il vise avant tout à structurer une politique publique qui n’existe pas, à savoir une politique consacrée aux sols, lesquels, en vertu des rôles qu’ils jouent et des services qu’ils rendent naturellement, doivent être promus, au même titre que l’eau ou que l’air.

Trop longtemps délaissés, les sols vivants doivent devenir le socle de la stratégie d’adaptation au changement climatique. Ainsi, chers collègues, l’article 1er est un préalable symbolique : il reconnaît la qualité des sols comme patrimoine commun de la Nation et non seulement comme un simple adjuvant. Cette évolution du droit de l’environnement est la pierre angulaire de la construction d’un véritable régime juridique de la protection des sols.

L’article 2 va dans le même sens et précise les fonctions et les services écosystémiques que nous avons évoqués. Il crée également une stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols en s’appuyant sur un schéma national des données sur les sols. Nombre d’organismes publics analysent les sols – le Groupement d’intérêt scientifique sur les sols (GIS Sol), le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), l’Inrae –, il faut pouvoir donner une cohérence générale à tous ces acteurs.

Nous proposons également la création d’un diagnostic sur l’état des sols lors de toute vente ou cession d’immeubles non bâtis dans le but d’apporter des informations utiles à l’acquéreur. L’ensemble du couvert pédologique de la forêt au cœur de ville sera donc concerné par ce diagnostic.

L’idée d’un diagnostic des sols semble pourtant faire consensus : le Gouvernement lui-même l’a d’ailleurs proposée dans son avant-projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles. Même notre collègue Laurent Duplomb prévoit un tel diagnostic dans sa dernière proposition de loi pour répondre à la crise agricole. Je ne comprends donc vraiment pas pour quelles raisons nos collègues de la majorité sénatoriale s’y opposent.

J’ajoute que le secteur privé s’empare lui aussi de ce sujet dans le cadre du reporting au titre de la responsabilité sociale et environnementale (RSE), obligatoire depuis le 1er janvier 2024 pour les entreprises cotées en bourse.

Or, sans encadrement des diagnostics, nous nous dirigeons tout droit vers un chaos d’indicateurs non vérifiés et non corroborés par les scientifiques, qui feront les choux gras de diagnostiqueurs peu scrupuleux. Cet article permettrait d’éviter un tel écueil.

Enfin, l’article 3 prévoit la création d’une autorité administrative responsable de cette politique publique. Pour des raisons de recevabilité financière, notre amendement visant à confier ce rôle aux agences de l’eau n’a malheureusement pas pu prospérer.

Quoi qu’il en soit, ces organismes publics ont clairement manifesté leur souhait d’exercer des compétences dans ce domaine. Nous partageons leur point de vue compte tenu du rôle qu’ils jouent en matière de financement des paiements pour services environnementaux. Rien n’empêchera l’autorité chargée de la stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols de travailler étroitement avec les agences de l’eau.

Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, cette proposition de loi ne vient pas s’opposer à nos agriculteurs et encore moins opposer les agricultures ! Elle offre de nouveaux outils publics de pilotage d’une ressource indispensable et oubliée dans notre droit de l’environnement.

Lorsque le Gouvernement n’est pas au rendez-vous, le Sénat doit prendre le relais en assumant une parole forte et, comme l’a dit le regretté Robert Badinter, « être le phare qui éclaire les voies de l’avenir et non le miroir qui reflète les passions de l’opinion publique ».

M. Patrick Kanner. Très bien !

Mme Nicole Bonnefoy. Être à la hauteur de nos convictions et de nos responsabilités pour les générations futures, c’est promouvoir un développement durable. N’est-ce pas l’ADN de notre commission ? Rejeter cette proposition de loi, c’est faire perdre à notre pays l’occasion de prendre le leadership écologique pour la résilience des sols.

Un sol en bonne santé, donc vivant, c’est la garantie d’un bon état sanitaire de tout l’environnement, de la nappe phréatique à l’air que nous respirons.

Au regard de ces enjeux, vous l’aurez compris, mes chers collègues, je vous invite à dépasser les mots d’ordre, à sortir de l’ornière et à voter en responsabilité pour le vivant ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Michaël Weber, rapporteur de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis afin d’examiner la proposition de loi visant à préserver des sols vivants, déposée par notre collègue Nicole Bonnefoy et l’ensemble du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Notre collègue vient de nous exprimer les convictions qui l’ont conduite à soumettre à nos suffrages l’initiative législative qui nous occupe ce matin.

Mon propos sera plus terre à terre et portera sur la nécessité d’en finir avec un droit hors-sol. Chaque gramme de sol abrite entre 100 000 et 1 million d’espèces de bactéries. Un hectare de prairie abrite entre 2 et 4 millions de vers de terre. Je n’évoquerai pas l’inconcevable diversité de nématodes, de collemboles, de bactéries et autres micro-organismes qui s’activent en permanence sous nos pieds.

On a connu des causes plus séduisantes et une biodiversité bénéficiant d’un capital de sympathie plus marqué ! Et pourtant, c’est de cette vie invisible et méconnue, mais essentielle par les services écosystémiques qu’elle nous rend, que je vous parlerai d’un point de vue pragmatique et factuel, en vous laissant juges de l’importance que revêtent les sols.

Le premier service qu’assurent les sols est irremplaçable et indépassable : nous nourrir. Les sols constituent l’outil de travail de nos agriculteurs, auxquels je souhaite, comme vous tous, je le sais, rendre hommage aujourd’hui.

Des sols vivants sont des sols de qualité, plus performants et résilients. Veiller à leur fertilité revient à garantir la pérennité et la durabilité de notre système agricole et à défendre notre souveraineté alimentaire.

Des sols en bonne santé jouent également un rôle clé dans le grand cycle de l’eau : ils assurent le stockage, la circulation et l’infiltration des flux hydriques. Il est donc plus que jamais nécessaire de les protéger alors que la fréquence des événements météorologiques extrêmes risque de s’intensifier. Je pense notamment aux inondations et aux épisodes de sécheresse prolongée.

Des sols fonctionnels captent aussi le carbone émis par les activités humaines. Si nous ne garantissons pas leur capacité d’absorption, il nous sera impossible d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Tel est pourtant l’engagement qu’a pris la France en la matière, et cette ambition est partagée par tous les groupes politiques au sein de cet hémicycle.

Notre dépendance à cette fine et vulnérable couche est donc absolue. Or qu’observons-nous ? Nos sols doucement se dégradent. L’artificialisation, l’érosion, les pollutions, le tassement, la diminution de leur biodiversité et de leur teneur en matières organiques altèrent leur bon fonctionnement.

Les scientifiques que nous avons entendus au cours de nos auditions sont unanimes : il faut agir vite si l’on veut protéger efficacement la capacité des sols à remplir durablement leurs fonctions écosystémiques. Certains dommages sont en effet irréversibles : le sol se régénère à une échelle de temps qui excède celle d’une vie humaine. Pour cette raison, le sol doit être considéré comme une ressource non renouvelable. Notre gestion non durable des sols revient en quelque sorte à scier inconsciemment, mais inexorablement, la branche sur laquelle notre société et notre économie sont assises.

À cela, il faut ajouter que la protection des sols bénéficie de fondements juridiques fragiles. Le droit ne vise pas à assurer directement leur préservation, il les aborde de biais, ou devrais-je dire « de haut », comme support du bâti, comme fondement du droit de la propriété, et non comme un milieu qui rend des services écosystémiques à notre société. Le code de l’environnement, quant à lui, comprend certes des dispositifs juridiques précis et ambitieux, et c’est heureux, pour assurer la qualité de l’air et de l’eau, mais le sol semble bien être un impensé ou un oublié du droit.

L’objectif affiché de cette proposition de loi est donc de remédier à cette situation. Le texte intègre la qualité des sols dans le patrimoine commun de la Nation, au même titre que la qualité de l’eau et de l’air. Il prévoit également la création d’un chapitre consacré à la santé des sols au sein du code de l’environnement. Y seraient mentionnés l’ensemble des services écosystémiques rendus par les sols, première étape de la reconnaissance juridique des fonctionnalités dont nous bénéficions directement.

J’insiste sur ce point essentiel : cette proposition de loi tend à protéger les sols non pas par idéologie ou idéalisme, mais par pragmatisme, ou, devrais-je dire, par bon sens paysan : des sols en bonne santé rendent d’inestimables services, qui profitent à tous et à chacun, notamment aux acteurs économiques.

Un sujet, enfin, a suscité de riches échanges lors de l’examen du texte en commission : l’instauration d’un diagnostic de performance écologique des sols à échéances régulières, tous les dix à vingt ans, selon l’usage des sols. Ses résultats permettraient de mieux connaître les sols et serviraient à orienter une stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols, confiée à un haut-commissaire. L’auteure du texte vous a d’ailleurs présenté les ajustements qu’elle compte proposer sur ces différents points.

Je vais maintenant vous présenter plus précisément la position de notre commission sur ce texte. Le débat qui s’est tenu en commission a montré l’intérêt de tous pour la qualité des sols. La nécessité de mieux protéger les sols est bien comprise par chacun, bien que les enjeux ne soient pas toujours partagés.

La commission a considéré que le calendrier d’adoption de cette proposition de loi posait des difficultés. La Commission européenne a pourtant présenté en juillet 2023 une proposition de directive sur la surveillance et la résilience des sols, qui vise à établir un cadre juridique afin de parvenir à un bon état des sols de l’Union européenne d’ici à 2050. Par conséquent, le risque d’incohérence entre le droit européen en construction et cette proposition de loi, qui ferait figure de « prétransposition », a été souligné.

En outre, l’échelle européenne a paru à la commission comme la plus adaptée pour reconnaître les services rendus par les sols et assurer leur protection sans créer d’obligations nouvelles, auxquelles seuls les acteurs économiques nationaux seraient soumis.

Enfin, ce texte a pu apparaître comme mettant en œuvre une contrainte juridique nouvelle, vecteur de complexité supplémentaire, en décalage avec la forte demande sociétale de simplification des normes, en particulier pour les agriculteurs.

Je comprends pleinement ces réticences et la prudence chère à notre Haute Assemblée : une norme doit toujours être strictement nécessaire et proportionnée au motif d’intérêt général qu’elle sert. Des règles trop complexes et difficiles à appliquer pour leurs destinataires sont contre-productives et ne font qu’affaiblir l’autorité de la loi.

Permettez-moi à présent de vous faire part de quelques considérations à titre personnel. Je vous le confesse, j’ai été contaminé par l’enthousiasme de Nicole Bonnefoy pour ce texte au cours des vingt-deux auditions que nous avons menées. (Ah ! sur les travées des groupes GEST et SER.)

Les scientifiques nous l’ont démontré de façon probante : nous avons une fenêtre d’opportunité pour protéger les sols. La Commission européenne l’a d’ailleurs bien compris. Ne restons pas en retrait sur ce sujet. Abandonner le débat aux institutions européennes reviendrait à se dessaisir de ce sujet primordial.

Les gestionnaires forestiers que nous avons rencontrés disent qu’ils plantent pour leurs petits-enfants. Il nous faut légiférer dans le même esprit et dans la lignée du message laissé par Robert Badinter. J’en ai bien conscience, le contexte ne plaide pas pour la création de nouvelles normes. Le texte qui nous est aujourd’hui soumis souffre d’imperfections, mais celles-ci ont été détectées au cours des auditions et seront donc corrigées à la suite des échanges que nous avons eus avec tous les acteurs rencontrés. Telle est la tâche à laquelle s’est employée l’auteure du texte.

J’insiste quant à moi sur le fait que la reconnaissance des services écosystémiques rendus par les sols peut constituer une base législative efficace pour la mise en œuvre d’une politique de paiements pour services environnementaux susceptible d’améliorer le revenu de certains agriculteurs. À titre d’exemple, le parc naturel régional des caps et marais d’Opale, qui m’est cher, met en œuvre une telle politique.

Plus largement, je tiens à attirer votre attention sur la multiplication déjà visible des dégâts liés à la mauvaise qualité des sols. Leur incapacité à absorber et à stocker l’eau entraîne des inondations et des coulées de boue et renforce leur vulnérabilité aux épisodes de sécheresse. La qualité de l’eau se dégrade. La capacité d’absorption de nos puits de carbone s’altère. Je le répète : sans puits de carbone fonctionnels, atteindre la neutralité carbone exigerait que l’on cesse de consommer toute source d’énergie émettrice de gaz à effet de serre.

Face à cette accumulation de conséquences négatives, nous aurons à légiférer dans l’urgence, car nous ne traitons pas le problème à sa racine. Le coût financier et réglementaire de l’inaction est faramineux. Notre devoir est de le comprendre et de l’anticiper.

Vous aurez ainsi compris la position de la commission et les raisons pour lesquelles elle diverge de la mienne.

Pour conclure, je tiens à vous faire part du constat que fit le président Roosevelt à la suite des épisodes de migrations forcées consécutifs aux dust bowls, ces tempêtes de poussière qui ont frappé le sud des États-Unis dans les années 1930 : « Une nation qui détruit ses sols se détruit elle-même. »

En France, glissements de terrain, sécheresses, inondations répétitives montrent aussi un nouveau visage de ces sols en souffrance. Il n’est pas encore trop tard pour agir afin de mieux protéger les sols. C’est, j’en suis profondément persuadé, un objectif que nous partageons tous ici et un devoir à l’égard des générations futures. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K. – M. Henri Cabanel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la mer et de la biodiversité. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de débattre avec vous aujourd’hui, sur l’initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à préserver des sols vivants.

Je tiens tout d’abord à mon tour à saluer le dynamisme et l’énergie de la sénatrice Nicole Bonnefoy et à la remercier d’avoir inscrit le sujet de la préservation des sols à l’ordre du jour des travaux du Sénat, à un moment où nous discutons des enjeux écologiques et de transition de notre modèle agricole. Cette question fondamentale dans tous nos territoires, de la Moselle aux Yvelines, en passant par la Bretagne, doit faire l’objet d’un travail collectif.

Vous l’avez dit, le sol est un maillon indispensable au bon fonctionnement des écosystèmes, en interface avec l’eau, l’air, la roche, le vivant. Il nous fournit un ensemble de services, directs et indirects, qui assurent l’habitabilité de nos territoires. Il rend en particulier de multiples services écosystémiques, de la régulation du cycle de l’eau à la captation du carbone. Il participe également de la dimension culturelle de nos paysages. Enfin, il est le principal support des activités humaines, en particulier, vous l’avez dit, madame la sénatrice, de l’activité agricole.

Les sols sont une ressource naturelle non renouvelable à l’échelle humaine, comme vous le soulignez dans l’exposé des motifs du texte, madame la sénatrice. Les pressions qui s’exercent aujourd’hui sur lui sont multiples, qu’il s’agisse de l’érosion, des contaminations, des pertes de biodiversité, des tassements, de la salinisation, de l’artificialisation ou des inondations.

La dégradation des sols emporte des conséquences à la fois locales – l’érosion et les risques de mouvements de terrain – et globales – la perte de carbone organique et de biodiversité. Ces conséquences sont à mettre en regard de nos objectifs de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre et de protection de la biodiversité.

L’artificialisation est l’une des principales causes de la dégradation des sols. Elle est aujourd’hui bien connue et documentée : on estime qu’environ 24 000 hectares sont consommés chaque année en moyenne, soit l’équivalent de la surface d’un département tous les sept ans ! Mais elle n’est pas la seule : l’intensification de l’agriculture et des activités industrielles fragilise également nos sols.

La protection de sols vivants et de l’ensemble des services écosystémiques qui en découlent est donc d’intérêt général et constitue une priorité. Le Gouvernement, comme du reste votre assemblée et les élus locaux, a bien pris la mesure du problème.

Depuis 2017 en effet, la protection des sols vivants est une priorité que nous avons inscrite dans la stratégie nationale biodiversité 2030, présentée l’année dernière par la Première ministre Élisabeth Borne, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, et ma prédécesseure, Sarah El Haïry. La mesure n° 26 de cette stratégie est ainsi pleinement consacrée à la protection et à la restauration des sols.

Vous le savez, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets de 2021, dite loi Climat et résilience, qui a suscité ici de longs débats, comprenait des mesures en faveur de la protection des sols naturels, agricoles et forestiers, ainsi que l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050.

Cet objectif de lutte contre l’artificialisation s’est décliné de plusieurs manières. Il permet de mieux connaître et d’observer l’artificialisation des sols, mais aussi de planifier et d’encadrer le ZAN, tout en accompagnant les territoires engagés en faveur de la sobriété foncière.

Cette loi a également permis de renforcer la protection des sols et des sous-sols, un chapitre ayant été inséré dans le code de l’environnement à cet effet, ainsi que la définition d’une politique nationale de prévention et de gestion des sites et sols pollués. Ces mesures participent à la gestion équilibrée et durable des sols et des sous-sols afin de mettre en œuvre les adaptations nécessaires au changement climatique.

D’ailleurs, dans le cadre d’un travail commun avec le ministère de l’économie et des finances, les enjeux liés aux friches et à la renaturation ont récemment été davantage pris en compte dans la loi relative à l’industrie verte.

L’État est à ce double titre très fortement mobilisé pour la résorption des friches et des sites et sols pollués. D’importants moyens financiers, votés ici dans le cadre du fonds vert, ont été déployés, lesquels ont permis, par exemple, le soutien du recyclage et de la renaturation des friches. Les moyens de ce fonds ont été portés à 2,5 milliards d’euros en 2024.

Cette mobilisation, nous la déclinons dans nos territoires, à travers les programmes Action cœur de villes et Petites Villes de demain de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) – ils sont une réussite de ces dernières années –, et le travail quotidien mené par les établissements publics fonciers, notamment dans les communes rurales.

La connaissance de nos sols a également progressé grâce à la constitution au niveau de l’État du GIS Sol, composé notamment du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, des agences et des opérateurs de l’État comme l’Ademe, l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) ou encore l’Inrae. Nous allons poursuivre ce travail avec les scientifiques.

Ce groupement est responsable du réseau de mesure de la qualité des sols et met en œuvre plusieurs programmes essentiels pour l’acquisition de données sur le sol hexagonal et sur les sols ultramarins.

Pour aller au-delà de ces dispositifs d’accompagnement et des travaux en cours, vous proposez par votre texte, madame la sénatrice Bonnefoy, de reconnaître la qualité des sols comme patrimoine commun de la Nation, de définir une stratégie nationale, d’imposer la réalisation de diagnostics de l’état des sols et d’inscrire la préservation de ces derniers dans la planification régionale.

Vous le savez, nous souscrivons pleinement à ces objectifs globaux – le ministre Béchu a eu l’occasion de vous le dire. Des débats sont en cours sur le sujet avec le projet de directive sur la surveillance et la résilience des sols sains, que la France soutient. Les indicateurs de la santé des sols sont d’ailleurs en cours de définition au niveau européen. L’objectif est d’améliorer le cadre juridique de protection des sols.

Vous l’avez compris, madame la sénatrice, le Gouvernement vous suggère de différer l’adoption de votre proposition de loi.

M. Hervé Gillé. Il est urgent d’attendre…

M. Olivier Jacquin. Pourquoi procrastiner ?

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat. La transposition de la future directive européenne sur les sols sera l’occasion de mettre en œuvre les mesures proposées par ce texte. Les discussions au niveau européen, rendues très actuelles par la crise agricole, sont essentielles pour que nos règles restent en cohérence avec celles de l’Union européenne.

De surcroît, elles permettront une triple avancée. D’abord, nous disposerons d’études d’impact correctement nourries. Le travail scientifique est fondamental, et nous devons progresser dans notre connaissance des mesures envisagées et de leur coût, comme je le vois bien en Bretagne.

Puis, nous pourrons laisser du temps à nos maires, à nos collectivités territoriales, pour mettre en œuvre le ZAN, dont nous avons tant discuté à l’Assemblée nationale et au Sénat – et ce n’est pas vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui allez me contredire sur ce point : nous devons cette assurance aux élus ruraux. C’est bien vous qui avez souligné l’été dernier les difficultés dans sa mise en œuvre. Et c’est sur la base de vos travaux que nous avons préparé un texte pour adapter cet objectif noble et important du zéro artificialisation nette à tous nos territoires.

Je pense que nous gagnerons en efficacité et en cohérence si nous attendons que tous nos territoires, de la Moselle au Doubs, en passant par les Vosges, mettent en œuvre le ZAN. Pour cela, il faut qu’ils disposent des moyens financiers idoines. Attendons leurs retours d’expérience au lieu d’adopter immédiatement un texte de loi, ce qui compliquerait encore le travail de nos élus locaux.

Nous devons leur garantir – et garantir aux serviteurs de l’État – un cadre harmonisé de suivi de la santé de nos sols, en évitant de créer des réglementations qui se basent sur des systèmes de mesures et de pilotage qui diffèrent au sein de l’Union européenne.

Vous l’avez compris, madame la sénatrice, je m’en remettrai, pour reprendre les mots du rapporteur, à la sagesse et à la prudence du Sénat. Conscients que la protection des sols est l’un des piliers de notre capacité à lutter contre le changement climatique et la dégradation de la biodiversité, nous devons collectivement décider de différer l’adoption de cette proposition de loi.

En effet, depuis 2017, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons mis en œuvre un texte de loi sur le ZAN qui, comme vous l’avez vous-même reconnu, pose des difficultés d’application. L’essentiel actuellement est de mettre en œuvre ces belles politiques publiques et de donner les moyens à nos territoires de le faire, notamment grâce au fonds vert, doté de 10,5 milliards d’euros.

Mme Audrey Linkenheld. Vous mélangez tout !

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat. Surtout, nous devons mener ce combat au niveau européen, car c’est là que réside notre capacité de mettre en œuvre des politiques cohérentes, entendues, acceptées et surtout appliquées par tous les territoires. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement, favorable à l’objectif global de ce texte, ne l’est pas à son adoption dans l’immédiat.

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER.)

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les sols ne bénéficient pas de la même attention législative que l’eau ou l’air. C’est un fait. Mieux les préserver est une nécessité. La qualité des sols constitue un enjeu majeur en matière d’environnement et pour la préservation du potentiel agronomique et économique de nos exploitations agricoles. Ce potentiel, nous devons le protéger, le sauvegarder, car un sol en bonne santé est synonyme d’une productivité agricole préservée, de revenus agricoles accrus, pour une compétitivité de la ferme France retrouvée.

Mais l’approche conjoncturelle de ce texte me pose question : le mouvement de contestation et de révolte que nous venons de traverser doit non seulement nous alerter, mais aussi nous amener à apporter des réponses concrètes marquées par une vision cohérente et de long terme. Mieux préserver nos sols est un impératif auquel nous nous devons de souscrire sans pour autant accabler nos agriculteurs et forestiers de nouvelles normes. Ce texte ne doit pas se transformer en l’archétype de ce que le monde agricole dénonce actuellement : une surréglementation, conséquence de nos surtranspositions, voire d’anticipations normatives.

Néanmoins, ne laissons pas échapper cette opportunité de faire du droit un terreau propice à la préservation des sols. Alors qu’en ce moment même l’Union européenne, dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, étudie une directive sur la surveillance et la résilience des sols, pour établir un cadre juridique visant à parvenir à un bon état des sols de l’Union européenne d’ici à 2050, ne laissons pas Bruxelles décider seule de ce que doit être notre politique de reconquête de la qualité de nos sols. Au contraire, servons-nous de ce débat pour alimenter celui de la Commission et mettre fin à nos propres contradictions ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Je pense notamment à l’exemption partielle aux obligations de jachères qui étaient prévues par la politique agricole commune (PAC) pour 2024. Je rappelle que la mise en jachère est justement destinée à régénérer les sols, notamment pour faciliter les futures récoltes – un objectif porté par ce texte. Encore une fois, nous venons d’opposer productivité et transition vers une agri-écologie quand des solutions existent pour les faire converger.

Je l’ai encore répété mardi lors du débat traitant de l’avenir de notre modèle agricole : arrêtons d’opposer nos modèles et faisons des mesures environnementales non pas un obstacle, mais une réponse.

Cette réponse devra être choisie et non subie par nos agriculteurs, car donner le choix, c’est s’assurer de l’acceptabilité par le monde agricole des orientations que nous souhaitons lui imprimer. Incitons les agriculteurs à s’engager par des paiements pour services environnementaux. Valorisons davantage nos exploitations agricoles actives, qui s’engagent à mettre en place des pratiques agronomiques favorables à nos sols, au climat et, par conséquent à l’environnement et à la biodiversité.

Si le dispositif d’écorégime de la PAC est un début, il nous faut l’amender afin de l’améliorer et de l’adapter aux réalités de nos territoires. Il n’est pas concevable qu’un hectare de terre arable dans la Beauce soit valorisé de la même manière qu’un hectare de prairie dans les Hautes-Alpes. Le principe de subsidiarité doit ici, plus que jamais, être respecté.

Adaptons les paiements pour services environnementaux à la seule échelle pertinente, celle de l’exploitation, pour une meilleure valorisation de nos potentiels agricoles, une meilleure protection des sols et une meilleure compréhension des enjeux et besoins locaux, bien différents d’un territoire à un autre.

Néanmoins, parce que l’objectif visé par cette proposition de loi est juste et nécessaire, et parce que nous devons, par ces travaux, montrer la voie à ceux qui sont effectués à Bruxelles, le groupe RDSE s’exprimera, dans sa majorité, en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Saïd Omar Oili.

M. Saïd Omar Oili. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Nicole Bonnefoy, visant à préserver des sols vivants.

Ce texte part d’un constat très juste : alors qu’ils hébergent 59 % de la biodiversité de notre planète, le sujet de la santé des sols occupe encore une place trop réduite dans les débats publics et dans notre droit. Il s’agit en effet du seul milieu naturel qui ne soit pas couvert par une politique nationale dédiée à sa protection.

Pourtant, il est indéniable que la préservation des sols est une préoccupation majeure pour l’avenir de notre planète et de nos sociétés. Ceux-ci fournissent en effet une multitude de services écosystémiques essentiels, allant de la régulation du climat à la filtration de l’eau, en passant par la production agricole. La qualité des sols détermine également l’avenir de nombreuses espèces et même la faculté pour l’homme de pouvoir continuer à vivre sur cette terre.

L’appauvrissement des sols a en effet des conséquences sur les ressources alimentaires de nos populations. Je prendrai pour exemple un territoire que je connais bien, Mayotte, qui vit une crise de l’eau depuis plusieurs mois, ce qui a des conséquences sur les sols et, de fait, sur les cultures, tout particulièrement pour les populations les plus vulnérables. Il est donc impératif que nous soyons attentifs à la préservation des sols et à leur santé.

Le groupe RDPI accueille favorablement l’ensemble des mesures visant à organiser une gouvernance et une politique nationale dédiées à la protection des sols. Je pense en particulier aux articles 1er et 3, qui consacrent la qualité des sols comme patrimoine commun de la Nation et instaurent un haut-commissaire à la protection et à la résilience des sols auprès du Premier ministre.

L’article 2 vise à mentionner les services écosystémiques des sols dans la loi, ce qui est également une bonne idée. Cela sensibilisera l’ensemble de la société à l’importance de la préservation des sols. En effet, le sol est vu avant tout comme une ressource à aménager, comme un espace d’aménagement, sans prendre en compte les bactéries qu’il abrite, sa richesse ou sa capacité de séquestration du carbone.

Nous devons toutefois nous assurer que cette proposition de loi ne crée pas de contraintes excessives pour nos agriculteurs et nos entreprises, qui dépendent étroitement de l’utilisation des sols et font déjà face à de trop nombreuses injonctions, comme ils nous le répètent chaque semaine dans nos départements. Si la mise en place d’un diagnostic de performance écologique des sols peut être intéressante, elle risque de venir ajouter une norme supplémentaire pour nos agriculteurs qui, bien souvent, procèdent déjà eux-mêmes à l’analyse de leurs sols. Il faudrait donc davantage de temps, pour cadrer un tel diagnostic en concertation avec les agriculteurs.

De plus, je regrette que ce texte sur la protection de nos sols n’intègre pas les spécificités de nos douze territoires ultramarins. Notre île de Mayotte, par exemple, est confrontée à des défis particuliers en matière de préservation des sols, en raison de sa biodiversité unique et de sa vulnérabilité aux changements climatiques. De surcroît, dans nos territoires ultramarins, nous constatons un vrai manque de connaissances qui nous pénalise pour trouver des solutions adaptées et sur mesure. Il faudrait, là encore, davantage de temps pour organiser la concertation avec les acteurs de nos territoires ultramarins, pour que les réalités de chaque territoire soient bien prises en compte.

Toutefois, le législateur doit être conséquent face à cet enjeu et ne pas y répondre par des textes trop incantatoires et par de nouvelles structures. Lorsque l’on veut enterrer une décision, disait Clemenceau, on crée une commission ; aujourd’hui, on parlerait plutôt de créer une Haute Autorité ! Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI s’abstiendra sur cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Olivier Jacquin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer l’efficacité du rapporteur Michaël Weber, qui a organisé vingt-deux auditions, ouvertes à tous les membres de la commission. Permettez-moi aussi de saluer, comme il se doit, Nicole Bonnefoy, pour la constance et la qualité de ses travaux législatifs.

La promotion des sols vivants poursuit un fil conducteur rattaché au concept de One Health, en français « une seule santé ». Elle apparaît comme une nouvelle brique dans l’indispensable quête de la protection du vivant.

Mes chers collègues, je suis devant vous ce matin en tant que sénateur, bien sûr, mais aussi en tant qu’agriculteur ayant trente-neuf moissons au compteur en grande culture, d’abord en conventionnel et, depuis sept ans, en grande culture bio, en partenariat avec un éleveur voisin. C’est à ce titre que je veux affirmer tout l’intérêt de ce texte.

Comme de nombreux jeunes ruraux, je dois beaucoup à l’enseignement agricole, du bac agronomique à mon brevet de technicien supérieur agricole (BTSA). Si la phytotechnie était au cœur de la formation, il faut bien dire que l’approche pédologique était alors limitée. À l’époque, presque rien n’était enseigné sur les micro-organismes et la faune du sol. Aujourd’hui, l’enseignement s’est adapté à la question du sol vivant – heureusement.

Depuis 1984, je m’occupe de la ferme familiale, une belle ferme située entre Nancy et Metz, sur le plateau de Haye ; une ferme rare, champêtre, en un seul tenant, de 149 hectares de terre superficielle, assez homogène et peu productive. On appelle ces sols des argilocalcaires superficiels. Ils sont très sensibles au sec, mais se travaillent très facilement. La variabilité des rendements y est élevée dans une même parcelle. Chez moi, sur un haut de côte, un blé conventionnel peut ne produire que trois tonnes à l’hectare quand, dans le fond d’un petit vallon, on approche et même dépasse les dix tonnes : le rendement passe du simple au triple, voire au quadruple !

Tous les paysans connaissent et appréhendent cette donnée de la qualité des sols et son caractère déterminant pour en fixer le prix, une donnée que l’urbanisme moderne ne reconnaît pas, en dehors des procédures de remembrements. Et nous, paysans, nous sommes les premiers à devoir défendre cet épiderme du vivant qui est au fondement de tout.

Cependant, je veux interroger ici le fameux bon sens paysan. En effet, avant la Seconde Guerre mondiale, il n’y avait pas de produits chimiques, ou très peu. Le désherbage passait par l’agronomie, par les rotations, c’est-à-dire les successions de cultures, et par le travail du sol. L’herbicide était la charrue, qui retourne la terre. Avec la mécanisation croissante, il devint de plus en plus facile de labourer en profondeur, ce qui est devenu une tendance forte. D’ailleurs, à écouter l’excellent écologue Lionel Ranjard, que notre commission a auditionné, cette aventure moderne a été néfaste et nuisible pour les sols, aux dépens du bon sens.

En réaction, se développe depuis quelques décennies une agriculture de conservation des sols, dont le but est justement de ne plus déranger ceux-ci en profondeur. Ses promoteurs tentent de se rapprocher du fonctionnement naturel d’un sol et de ne plus diluer la matière organique située dans l’horizon superficiel. Cette agriculture de conservation n’est cependant permise que par le recours à des herbicides très efficaces, tel le fameux glyphosate. Et si cette technique améliore grandement certains paramètres, en termes de captation du carbone et de fonctionnement des sols, l’utilisation de produits phytosanitaires vient en dégrader d’autres de manière colossale, car les insecticides pénalisent la faune du sol et les fongicides peuvent attenter à une partie de sa vie microbienne.

Mes chers collègues, l’agriculteur bio que je suis devenu a redécouvert l’agronomie et l’amour de son métier avec la conversion de son exploitation. J’ai aussi découvert les expérimentations de l’agriculture biologique de conservation des sols. Celle-ci vise également à peu travailler le sol, sans herbicides ni aucun produit chimique. Pour ce modèle, et pour l’agriculture de conservation des sols, il faut davantage de régularité et de succès. Il faut donc donner des moyens à la recherche et aux agriculteurs pour verdir leurs pratiques.

Vous comprenez que, sur le bio, mon argumentaire n’est pas dogmatique, et que je soutiens les différentes agricultures, dans leur diversité, dès lors qu’elles sont écologiquement intensives. Par cette démonstration, j’ai essayé de vous prouver qu’au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous avons un sens des réalités, un sens du concret et du bon sens. Nos propositions ne sont ni caricaturales ni à contresens. Aucun groupe dans notre hémicycle ne peut prétendre détenir le monopole des réponses à la crise actuelle, ni même celui du cœur paysan. Non ! L’agronome de terrain que je suis peut vous assurer que cette proposition de loi est une brique essentielle et que les agriculteurs seront ses premiers bénéficiaires, grâce aux outils souples et tout aussi essentiels qu’elle crée.

Chers collègues, je compte sur votre clairvoyance pour savoir séparer, comme il se doit, le bon grain de l’ivraie. L’examen de ce texte a lieu en pleine crise agricole, alors que certaines propositions démagogiques en défaveur de l’environnement ont été faites. Certains marchent sur la tête en ne voulant pas tenir compte de la priorité environnementale. Avec cette proposition de loi, enrichie des quelques amendements que nous vous présenterons, nous avons de quoi conforter la bonne santé de nos sols et donner un avenir au vivant : M. le secrétaire d’État appréciera.

Je conclurai par cette très belle phrase de Robert Badinter : « Le Sénat doit être le phare qui éclaire les voies de l’avenir, et non le miroir qui reflète les passions de l’opinion publique. » Nous pouvons être précurseurs. Comme on dit chez moi : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ! » (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Nicole Bonnefoy, visant à préserver des sols vivants. Je tiens à saluer l’auteure de ce texte et le rapporteur Michaël Weber pour la qualité de leurs travaux et pour leur écoute, malgré nos divergences.

L’objectif général de cette initiative est d’ouvrir la voie à des politiques structurelles en matière de protection des sols. Cependant, derrière ce grand objectif affiché, notre groupe est opposé aux principales mesures qui figurent dans ce texte en ce qu’elles ajoutent de la contrainte et de la complexité.

La proposition de loi vise notamment à instituer un plan quinquennal, une stratégie nationale et un haut-commissariat pour la protection et la résilience des sols. Elle tend aussi à instaurer un diagnostic obligatoire de performance écologique des sols pour les agriculteurs et les forestiers. Nous ne pouvons soutenir ces mesures.

La France dispose déjà d’un cadre juridique pour la protection des sols, inscrit dans le code de l’environnement, dont l’article L. 110-1 dispose : « Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, la qualité de l’eau, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la Nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage. Les processus biologiques, les sols et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine. »

Alors que notre pays souffre déjà d’une inflation normative et organisationnelle, cette proposition de loi contribue à créer un énième plan quinquennal, cette fois-ci pour les sols, qui aura pour objectif d’élaborer une énième stratégie nationale et territoriale et un énième haut-commissariat…

Si je souscris à l’objectif d’assurer la protection et la résilience des sols, cela doit se faire de manière responsable et efficace. Ajouter de la complexité et de nouvelles pages aux 3 420 que compte déjà le code de l’environnement ne garantit pas cette efficacité, d’autant que ce code a déjà épaissi de 653 % depuis 2002 ! Soyons attentifs à l’aspiration de simplification exprimée par nos concitoyens. Voilà quelques jours encore, les agriculteurs de notre pays manifestaient partout en France contre l’excès de normes et de contraintes.

Cette proposition de loi cible malheureusement ces agriculteurs et les forestiers dans leur usage des sols. Elle crée un nouveau diagnostic de performance écologique obligatoire pour les immeubles à usage agricole et les bois et forêts, dont le coût pour les exploitants n’a pas été estimé. Le sol est l’outil de travail de nos agriculteurs et de nos forestiers : comment les suspecter de vouloir l’abîmer ? D’ailleurs, nombre d’entre eux sont déjà assujettis à des diagnostics dans l’exercice de leurs pratiques – surtout, ils les réalisent.

Ici, dans cette chambre des territoires, nous avons tous salué et défendu nos agriculteurs, qui participent à l’entretien de notre biodiversité et de nos paysages. Nous ne pouvons leur affirmer notre soutien le lundi dans nos départements et voter de nouvelles contraintes le jeudi à Paris, d’autant que les annonces du Gouvernement tardent à se concrétiser. Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, de vous rappeler à vos promesses et à l’urgence d’aider ceux qui nous nourrissent. Nous demeurons vigilants.

Enfin, à l’heure où l’on parle de « dé-surtransposition », ce texte est une prétransposition, puisqu’il placerait la France en avance par rapport à l’Union européenne, dont la directive relative à la surveillance et la résilience des sols est encore en cours d’examen.

Au moment venu, lorsque nous serons amenés à transposer en droit interne la directive européenne, nous pourrons nous appuyer sur nos débats et sur les travaux de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Il conviendra d’utiliser les bons outils, pour protéger la richesse de nos sols de manière efficace et pragmatique, avec tous les acteurs, sans les accabler de normes contraignantes et complexes. Nous devrons réussir ce défi écologique important pour protéger les sols. Mais cette réussite ne pourra être obtenue qu’avec le soutien et l’appui de tous. Les conditions pour y parvenir ne semblent pas réunies aujourd’hui.

Pour toutes ces raisons, comme en commission, le groupe Les Républicains ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Louault. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)

M. Vincent Louault. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes absolument tous d’accord sur un point : la préservation des sols vivants est vitale. Ceux-ci rendent à nos sociétés, à notre biodiversité et à notre environnement des services importants : ils contribuent à stocker le carbone que nous émettons ; ils ont un pouvoir filtrant des eaux ; et, bien évidemment – et c’est l’agriculteur qui vous parle –, ils nous nourrissent. Nous les empruntons à nos enfants. Ainsi, nous partageons le besoin de développer une attention toute particulière et de susciter un débat.

Cependant je me demande, et je ne suis pas le seul, si le moment est bien opportun. Depuis plusieurs semaines, les agriculteurs expriment leurs difficultés. Alors que nous sommes en train de travailler à la simplification, pour desserrer l’étau et leur permettre d’exercer leur métier, ce qui nous est proposé, en ajoutant de nouvelles dispositions, contribue à l’empilement législatif.

Ce texte est-il opportun, alors que nous parlons en ce moment même des dérives des prétranspositions et que la directive relative à la surveillance et à la résilience des sols est en cours de négociation ? Devons-nous réellement anticiper une transposition qui devra faire l’objet d’un second texte par la suite ? La commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen en est à peine au stade de la discussion. Hier, la commission de l’agriculture et du développement rural a changé les objectifs… N’allons pas trop vite.

Mettre en place une stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols, imposer un diagnostic de performance écologique des sols ou encore créer un haut-commissaire à la protection et à la résilience des sols ne me semblent pas constituer des mesures très efficaces. Et confier aux agences de l’eau la préservation des sols me semble être une bien mauvaise idée. Leur fonctionnement, assez opaque, est très décrié sur le terrain. Les élus locaux en subissent souvent les conséquences. Je profite d’ailleurs de cette intervention pour lancer un appel à mieux imaginer le fonctionnement de ces agences, devenues parfois de véritables principautés.

Avant de me faire accuser d’être vendu à certains lobbies, mes chers collègues, je souhaite apporter quelques précisions sur mon exploitation agricole. J’ai installé Xavier Mathias, bien connu pour ses positions publiques très tranchées, sur mon exploitation. J’ai travaillé avec Maxime de Rostolan sur Ferme d’avenir. Je suis le méchant agriculteur du film On a 20 ans pour changer le monde… Cela me blesse un peu, madame Bonnefoy, d’entendre dire que nous serions tous vendus à des lobbies.

Les seuls sols morts que je connaisse sont sous le bitume des villes, sous le plastique de certaines exploitations – et ils sont parfois réellement morts après avoir été passés à la vapeur de certaines machines pour des productions dites biologiques… Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants s’opposera à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Jacquin. On avait compris !

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Antoine. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Antoine. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le travail du rapporteur et de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Qui pourrait récuser l’objectif visé par le présent texte ? Qui pourrait ne pas vouloir préserver les sols vivants ? Personne, évidemment. La présente proposition de loi affiche la louable intention de mieux protéger un milieu fragile et essentiel à la vie. Pour autant, les conditions propices à son adoption sont loin d’être réunies.

Les auteurs de ce texte entendent élaborer un cadre juridique permettant une meilleure protection des sols vivants, alors même que la Commission européenne a présenté une proposition de directive sur le sujet. Il ne m’apparaît pas tout à fait opportun d’anticiper sur cette directive, d’autant que les discussions européennes en cours semblent diverger des orientations du présent texte. Nous pourrions donc être contraints de revenir sur certaines mesures au moment de la transposition de la directive.

Ce texte nous paraît à tout le moins prématuré.

Par ailleurs, n’oublions pas que la création d’obligations nouvelles s’imposant aux seuls gestionnaires et exploitants nationaux des sols risque d’engendrer des distorsions de concurrence que seul le droit européen peut éviter.

L’imposition d’un diagnostic de performance écologique des sols agricoles et forestiers, quant à elle, apparaît en décalage avec la forte demande sociétale de simplification des normes.

Depuis des semaines, nos agriculteurs manifestent, à juste titre, contre l’excès de normes. Certes, nous ne pouvons légiférer exclusivement en fonction d’approches conjoncturelles, mais il serait incohérent de ne pas écouter ceux qui nous demandent de desserrer les contraintes qui pèsent sur eux. Le sol étant leur outil de travail, il est certain que les agriculteurs tiennent eux aussi à le protéger et à entretenir la biodiversité. Qui pourrait saborder son propre outil de travail ?

Il conviendrait plutôt de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour protéger les sols sans accabler les acteurs du secteur agricole par de nouvelles normes contraignantes.

Enfin, le texte vise à créer un haut-commissaire à la protection et à la résilience des sols ; or, la création d’une nouvelle autorité, c’est le pendant de l’inflation législative.

Pour cette raison, nous suggérons d’attendre un moment plus propice pour voter un texte en ce sens. Vous l’aurez compris, le groupe UC ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Nicole Bonnefoy et M. Adel Ziane applaudissent également.)

M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chère Nicole Bonnefoy, si nos agriculteurs sont en grande difficulté, si notre souveraineté alimentaire est compromise, l’effondrement de la biodiversité y est pour beaucoup.

Perte de fertilité, épuisement des sols : en Europe, l’érosion des sols entraîne une perte annuelle de productivité agricole estimée à 1,25 milliard d’euros. On estime que 60 % à 70 % des sols européens ne sont pas en état satisfaisant.

Il est donc de notre responsabilité – européenne, nationale, locale – d’enrayer cette dégradation. Les dommages que subissent nos sols sont lourds. Les fonctions écologiques détruites ne se reconstituent pas à l’échelle d’une vie humaine.

Cette reconquête des sols vivants ne va pas et n’ira pas de soi. On connaît les freins, les blocages à l’action publique de préservation et de promotion des sols. Autant l’air, l’eau – fluides et mobiles – sont d’emblée perçus comme des biens communs, autant le sol statique est d’abord vu comme propriété privée, comme simple support ou moyen de production. Il est urgent de dépasser cette vision réductrice.

C’est dire l’opportunité de cette proposition de loi de notre collègue Nicole Bonnefoy et du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui est là tout à fait à la hauteur du deuxième adjectif de son intitulé.

Pourtant, j’entends celles et ceux qui disent que ce n’est vraiment pas le moment, que, face à la révolte agricole, il ne faudrait pas ajouter de contraintes. Notre commission du développement durable s’est, hélas ! rendue à cette préoccupation du contexte immédiat : elle ne veut pas légiférer aujourd’hui, puisque le bruit de fond sociétal est contre les normes. Elle propose de rester l’arme au pied, dans l’attente de la directive en préparation, et juge que le deuxième alinéa de l’article L. 110-1, selon lequel les sols concourent à la constitution du patrimoine de la Nation, est suffisamment solide.

M. Jacques Fernique. N’est-ce pas somme toute une évolution positive de notre Haute Assemblée, qui s’était opposée, jadis, lors des deux lectures de la loi Climat et résilience, à cette mention des sols dans ce fameux deuxième alinéa, qui est considéré aujourd’hui comme satisfaisant ?

On parlait déjà à l’époque du spectre des restrictions du droit de propriété et de la crainte de contraintes, voire d’interdiction de certaines pratiques agricoles. Cette procrastination ou cet immobilisme n’apportera rien de bon. Mon collègue Ronan Dantec s’est ainsi interrogé en commission : comment pourrait-on refuser tout changement, alors que le système ne fonctionne plus ?

Vous ne voulez pas ajouter de normes aux normes, mais ce refus d’obstacle en apportera davantage.

Mme Nicole Bonnefoy. Tout à fait !

M. Jacques Fernique. La dégradation des sols et le changement climatique n’arrangeront rien. Les inondations, l’érosion, l’altération de la qualité de l’eau produisent inévitablement un durcissement des contraintes, c’est-à-dire une inflation normative.

Eh quoi ? En attendant que la directive européenne soit toute ficelée pour agir, nous abdiquerions en quelque sorte notre rôle de chambre des territoires, refusant la mise en œuvre du principe de subsidiarité.

M. Olivier Jacquin. Très bien !

M. Jacques Fernique. Ce dessaisissement nous mettrait hors jeu sur ce sujet pourtant majeur pour nos territoires. Monsieur le secrétaire d’État, différer, c’est se dérober !

Oui, il faut modifier dès à présent le code de l’environnement. On y trouve déjà le mot « sol », mais pas au premier rang, pas comme un élément à part entière de ce patrimoine : c’est juste un adjuvant.

La force du texte que nous examinons, c’est de proposer de considérer dorénavant le sol comme un milieu de naturalité en tant que tel. L’article 2 est le cœur du dispositif, avec les diagnostics d’état des sols, base d’une stratégie nationale. Ces diagnostics seraient comme un état des lieux permettant, par exemple, d’éviter d’artificialiser les sols les plus favorables au vivant.

Non, monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas d’abord la mise en œuvre du ZAN puis le déploiement de la politique pour la qualité des sols. Les deux doivent aller de pair pour se faire au mieux.

M. Olivier Jacquin. Absolument !

M. Jacques Fernique. Alors oui, ces diagnostics présentent un écueil : les propriétaires, les exploitants doivent y trouver leur intérêt. Il faut trouver le moyen de les inciter, de les accompagner, car si un diagnostic est susceptible de dévaloriser votre terrain, vous n’êtes pas très motivé pour le faire réaliser.

Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue.

M. Jacques Fernique. Pour que cet élargissement des politiques environnementales puisse être couronné de succès, la question est de savoir comment construire une démarche gagnant-gagnant.

Si nous voulons réussir, il faut nous engager sans perdre de temps. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « nous devons être très clairs, c’est une première prise de conscience : la Terre n’a pas besoin de nous, nous avons besoin de la Terre. » : tels étaient les mots de l’astronaute Mae Jemison lors de la COP 24, en 2018.

En 2023, soit cinq années plus tard, le réchauffement atteint 1,5 degré Celsius sur une année seulement, et rien n’indique que nous allons inverser la tendance.

Sur notre planète bleue, à la surface recouverte d’eau à plus de 70 %, n’oublions pas que les sols et leur santé sont tout aussi précieux.

À l’heure du dérèglement climatique, aux effets déjà dévastateurs, avec 1 500 milliards de tonnes de carbone stockées, les sols sont le réservoir de carbone le plus important de la planète, après les océans et les mers, et peuvent constituer de puissants régulateurs du climat. Ils sont un filtre essentiel à la fois pour la qualité de l’eau et pour la qualité de l’air.

Sans intégrer les fonctionnalités écologiques, l’urbanisation a contribué à renforcer le risque d’inondations, comme nous avons pu le constater récemment non seulement dans le Pas-de-Calais, mais aussi en de nombreux autres endroits.

L’érosion des sols, les glissements de terrain, les gonflements d’argile, l’effondrement de la biodiversité nous rappellent que les éléments naturels doivent être pleinement intégrés dans nos politiques d’aménagement.

Dans mon département, les retraits-gonflements d’argile sont de plus en plus fréquents et causent des dégâts majeurs sur les bâtiments et les logements, alors même que les critères de reconnaissance de catastrophe naturelle qui leur sont appliqués sont toujours plus restrictifs.

C’est aussi la raison pour laquelle les objectifs de zéro artificialisation nette doivent être travaillés en associant élus locaux et aménageurs. Il s’agit de mieux construire, en veillant à ce que les territoires les plus artificialisés aillent vers une renaturation et retrouvent des espaces de pleine terre qui favorisent la bonne santé des sols, leur respiration et l’écoulement des eaux. Le recensement et la reconversion des friches apparaissent aussi comme une priorité.

Dans les territoires ruraux, la santé des sols est également un enjeu fort, particulièrement dans l’agriculture. Alors que les sols agricoles représentent plus de 7 % de la surface de la Terre, préserver la santé des sols assure la résilience de notre agriculture et la durabilité de notre alimentation.

Les agriculteurs sont les garants de la santé des sols et des sous-sols. C’est pourquoi il est important de les encourager, de les soutenir pour aller vers un modèle agricole moins dépendant des intrants chimiques, qui ne sont pas sans effets sur l’environnement ni sur la santé des agriculteurs eux-mêmes.

Il est donc du devoir de l’État d’être à leurs côtés pour les protéger et les soutenir, y compris financièrement, à l’instar de ce qui a été fait pour les ouvriers du bâtiment, menacés par l’amiante et le plomb.

Plutôt que d’être mis en pause, le plan Écophyto doit être financé. Il peut l’être en taxant les gros pollueurs, les producteurs de produits phytosanitaires ou les chercheurs d’or noir qui battent chaque année leurs records de profits.

Cette proposition de loi de notre collègue Nicole Bonnefoy ouvre des perspectives majeures pour que les sols fassent l’objet d’une protection juridique, au même titre que l’eau et l’air. Elle pourra bien sûr être approfondie, mais elle ouvre d’ores et déjà des voies de recours pour un usage des sols plus vertueux.

Les sols vivants sont poreux et structurés par la faune, la vie microbienne et les racines du végétal. Ils sont la garantie de l’infiltration et du stockage de l’eau.

Il est essentiel que cette préoccupation soit d’ores et déjà partagée par toutes et tous, de même que la reconnaissance de la qualité des sols comme patrimoine commun. La création d’un haut-commissariat à la protection et à la résilience des sols place le curseur au bon niveau, avec une démarche qui associera tous les ministères concernés. Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky soutient pleinement cette initiative. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la protection des sols vivants est un sujet de la plus haute importance pour notre avenir agricole et environnemental. Mais comment concilier la protection des sols vivants avec les pratiques agricoles qui nourrissent notre pays ? C’est l’une des questions auxquelles nous devons répondre.

L’initiative de Mme Bonnefoy est bien entendu louable. Elle souligne l’ardente nécessité de protéger nos sols et notre agriculture. Son ambition doit être saluée ; elle témoigne d’une prise de conscience nécessaire et bienvenue. Cependant, plusieurs points méritent une attention particulière pour éviter que de bonnes intentions ne soient perverties par des mesures imparfaites à ce stade.

Nos agriculteurs sont aujourd’hui confrontés à des pressions économiques, climatiques et réglementaires croissantes. Toute évolution normative concernant la gestion des sols doit être envisagée avec prudence pour ne pas aggraver la situation des exploitants agricoles. Nous devons les accompagner dans une transition vers des pratiques plus durables.

À cet égard, il est sans doute préférable de ne pas voter de dispositions qui pourraient être en contradiction avec la prochaine directive européenne sur la résilience des sols. Gardons-nous de tout risque de pré-surtransposition.

Je crains également que cette proposition de loi ne vienne stigmatiser certaines pratiques agricoles. Je soutiens une approche incitative, et non punitive, pour favoriser l’innovation et la transition écologique. Nous devons éviter de rendre les pratiques agricoles traditionnelles systématiquement synonymes de dégradation des sols. Il est impératif de construire cette législation en partenariat étroit avec les agriculteurs, en reconnaissant et valorisant leurs savoir-faire, qui contribuent déjà à la préservation des sols.

Enfin, je m’interroge sur la pertinence d’intégrer cette proposition dans un chapitre spécifique du code de l’environnement. La mise en œuvre du ZAN est en cours. Une nouvelle mission de suivi va intégrer les enjeux relatifs aux sols vivants de manière plus cohérente. Elle va ainsi traiter cette question dans un cadre plus large de gestion durable des territoires. En tant que rapporteur de cette mission, j’invite Nicole Bonnefoy et Michaël Weber à venir nous présenter leurs travaux. Je suis persuadé que nous pourrons avancer ensemble.

Il s’agit non pas de choisir entre la protection de l’environnement et le soutien à l’agriculture, mais de trouver un chemin qui permette de répondre à ces deux aspirations. L’absence d’un cadre européen cohérent et stabilisé à ce stade sur la question des sols et notre approche historiquement surfacique nous invitent à la prudence. Nous devons éviter de mettre en place une législation dont le but serait de protéger, mais qui finirait par entraver notre capacité à cultiver de manière durable.

La solution ne réside pas dans une loi d’urgence qui pourrait s’avérer contre-productive. L’attention au vivant représente indéniablement la suite de l’histoire. Je suis, moi aussi, un lecteur de Marc-André Selosse, mais je vous invite également à lire l’excellent Humus, de Gaspard Koenig. À la fin de cet ouvrage, des militants d’ONG envahissent le Sénat qui s’est montré inactif – voilà qui donne à méditer… (Sourires.)

Il faut avancer de manière plus mesurée, concertée et progressive. Je pense, comme M. le secrétaire d’État, qu’il faut d’abord régler la question du ZAN. Une mission d’information n’y est pas consacrée par hasard : le zéro artificialisation nette est en train de crisper de nouveau les territoires. Nous devons nous repencher collectivement sur la mise en œuvre de ce principe. Dans la foulée, nous nous attaquerons à la préservation des sols. Tout est question d’acceptabilité, chacun le comprend aisément.

Aussi, mes chers collègues, je vous invite à méditer sur ces réflexions avec attention pour que notre action législative soit véritablement au service des territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Pillefer. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. Bernard Pillefer. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos sols constituent, à bien des égards, un impensé du droit. Dans la mesure où 95 % de nos aliments proviennent des sols, ces derniers ont été réduits à leur potentiel agronomique et à leurs performances nutritives. Ils ont toujours été appréhendés de manière éminemment fonctionnelle.

Le sol est plus présent dans le droit de l’urbanisme que dans celui de l’environnement. Aussi, les mots de Gaspard Koenig résonnent de manière particulièrement juste : « L’humanité a longtemps regardé vers le ciel. En revanche, nous ignorons tout ou presque du fourmillement vivant sous nos pieds, de cet autre infini que nous ne regardons pas alors même que nous en dépendons. »

Nous le savons, la bonne gestion des sols est essentielle pour répondre à la kyrielle de problèmes que nous rencontrons aujourd’hui. Je pense, par exemple, au phénomène de retrait-gonflement des argiles, auquel mon département, le Loir-et-Cher, est particulièrement sujet.

Mais ne confondons pas vitesse et précipitation. N’empilons pas de nouvelles normes et de nouveaux règlements, alors que domine aujourd’hui la voix de la simplification législative et administrative.

Il serait plus raisonnable d’adopter de nouveaux dispositifs législatifs à l’occasion de la transposition de la directive européenne à venir.

Enfin, je tiens à attirer votre attention sur l’obligation de diagnostic de performance écologique des sols agricoles et forestiers que ce texte vise à instaurer à compter de 2028. Le coût pour les exploitants n’ayant pas été estimé, nous ne pouvons nous permettre de voter cette mesure à l’aveugle.

En ce qui concerne les sols forestiers, les injonctions portées par le texte reviennent à établir un plan de gestion qui existe déjà. Les autres dispositifs ne sont pas adaptés à la particularité de ces sols, qui sont pourtant largement concernés par cette proposition de loi.

La préservation des sols est déjà une source de préoccupation pour ceux qui en vivent. Ne les accablons pas ! Nous devons apporter conseils et recommandations à nos exploitants agricoles et forestiers.

Sortons de l’interdit et soyons force de proposition. Accompagnons les acteurs de ce secteur pour mettre en œuvre les techniques d’exploitation, ainsi que les moyens culturaux et de régénération des sols qui s’imposent. Les outils existent déjà, à nous de nous en saisir.

En conséquence, le groupe UC votera contre ce texte, comme nous y invite la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à préserver des sols vivants

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à préserver des sols vivants
Article 2

Article 1er

Le I de l’article L. 110-1 du code de l’environnement est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa, après le mot : « eau », sont insérés les mots : « la qualité des sols, » ;

2° Au deuxième alinéa, les mots : « , les sols » sont supprimés.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Cuypers, sur l’article.

M. Pierre Cuypers. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, nous disposons déjà d’un cadre juridique pour la protection des sols, inscrit dans le code de l’environnement.

Ce patrimoine produit des services écosystémiques et des valeurs d’usage. Les procédures, les processus biologiques, les sols et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine.

Notre pays souffre déjà d’une inflation normative et organisationnelle. Or les auteurs de ce texte proposent de continuer, et même d’amplifier cet empilement en créant un énième plan quinquennal, cette fois-ci pour les sols. Pourtant, depuis des semaines, les agriculteurs manifestent partout en France, à juste titre, contre l’excès de normes et de contraintes. Le Gouvernement s’est d’ailleurs engagé à simplifier notre arsenal législatif et réglementaire à l’avenir.

À toutes fins utiles, je rappelle ici que les agriculteurs travaillent avec le vivant, que la terre est leur outil, un patrimoine qu’ils chouchoutent, protègent, peaufinent. Ils mesurent toujours les valeurs agronomiques des sols pour leur assurer un juste équilibre.

À l’heure où il est question de surtransposition, cette proposition de loi apparaît comme une prétransposition : si elle était adoptée, la France serait une fois de plus en avance par rapport à l’Union européenne, dont la directive est encore en cours d’élaboration.

Il faut arrêter cet acharnement permanent contre l’agriculture et la liberté d’entreprendre et de travailler. Aucune des mesures proposées dans ce texte n’est en phase avec le diagnostic posé sur la question des sols. Selon nous, faire entrer la qualité des sols dans le patrimoine commun de la Nation n’est absolument pas opportun pour assurer leur protection. Nous nous y opposerons, car nous tenons aussi au respect du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre. (Mme Vivette Lopez applaudit.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 124. :

Nombre de votants 318
Nombre de suffrages exprimés 313
Pour l’adoption 110
Contre 203

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à préserver des sols vivants
Article 3 (début)

Article 2

Le titre IV du livre II du code de l’environnement est ainsi modifié :

1° Au début, il est ajouté un chapitre Ier A ainsi rédigé :

« CHAPITRE IER A

« Santé des sols

« Section 1

« Les sols patrimoine commun de la Nation

« Art. L. 240-1. – Les sols font partie du patrimoine commun de la Nation. Leur protection, leur mise en valeur et leur restauration sont d’intérêt général.

« La protection, la mise en valeur et la restauration des sols visent à préserver leur capacité à remplir les services écosystémiques suivants :

« 1° Production de biomasse alimentaire et non alimentaire ;

« 2° Conservation de la biodiversité ;

« 3° Contrôle de l’érosion ;

« 4° Préservation de la quantité et de la qualité de l’eau ;

« 5° Régulation du climat ;

« 6° Contrôle des maladies et des ravageurs ;

« 7° Atténuation de la pollution ;

« 8° Valeur patrimoniale et culturelle du paysage.

« La protection, la mise en valeur et la restauration de la multifonctionnalité des sols concourent à la souveraineté alimentaire de la France, au stockage du carbone, à la réduction des gaz à effets de serre dans l’atmosphère ainsi qu’à la préservation de la ressource en eau.

« Art. L. 240-2. – Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi n° … du … visant à préserver des sols vivants, une stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols est élaborée par les ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture, de la forêt, de l’urbanisme, de la santé et de l’éducation, en concertation avec le Conseil national de la transition écologique défini à l’article L. 133-1 et en lien avec le haut-commissaire mentionné à l’article L. 135-1.

« La stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols vise à éviter la dégradation des sols, à réduire les impacts négatifs des valeurs d’usage et à promouvoir la restauration des services écosystémiques des sols mentionnés à l’article L. 240-1. Elle vise également à l’élaboration d’un schéma national des données sur les sols.

« Section 2

« Diagnostic de performance écologique des sols

« Art. L. 240-3. – À compter du 1er janvier 2028, les immeubles à usage agricole et les bois et forêts font l’objet d’un diagnostic de performance écologique des sols. Ce diagnostic est valable dix ans pour les immeubles à usage agricole et vingt ans pour les bois et forêts.

« Un arrêté des ministres chargés de l’agriculture, de la forêt et de l’environnement définit le cahier des charges du diagnostic de performance écologique des sols, précise les indicateurs communs, l’échelle permettant de retranscrire les services écosystémiques mentionnés à l’article L. 240-1 ainsi que les modalités de prise en charge par l’État du coût du diagnostic pour les exploitations agricoles dont la superficie n’excède pas 50 hectares.

« Art. L. 240-4. – Le professionnel chargé d’établir le diagnostic de performance écologique des sols ne doit avoir aucun lien de nature à porter atteinte à son impartialité et à son indépendance vis-à-vis du propriétaire ou du mandataire qui fait appel à lui. Le diagnostic est accompagné de recommandations dans l’exploitation de l’immeuble afin de préserver ou d’améliorer la performance écologique du sol.

« Le niveau de compétence et de qualification du professionnel et l’étendue de sa mission et de sa responsabilité sont précisés par décret pris sur le rapport des ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la forêt.

« Les professionnels qui établissent les diagnostics les transmettent à un organisme public à des fins d’information, d’études statistiques, d’évaluation, d’amélioration méthodologique, de mise en œuvre et de suivi des politiques publiques touchant à la qualité et les performances des sols.

« Art. L. 240-5. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application de la présente section après avis du conseil national de la transition écologique et du haut-commissaire à la résilience et à la protection des sols. » ;

2° Le chapitre unique devient le chapitre Ier.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.

M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant que nous n’examinions cet article 2, qui est au cœur de cette proposition de loi, je souhaite réaffirmer l’intérêt de soutenir ces dispositions pour amorcer un véritable tournant dans la gestion des sols.

Dans la Stratégie européenne pour la protection des sols à l’horizon de 2030, la Commission européenne a reconnu que 60 % à 70 % des sols de l’UE étaient actuellement en mauvaise santé, alors même que 95 % de notre alimentation provient directement ou indirectement des sols.

On parle très régulièrement ici – cela a encore été le cas mardi dernier, lors du débat sur le modèle agricole – de la souveraineté alimentaire et de l’autonomie alimentaire des territoires. Mieux gérer nos sols et restaurer les sols fatigués doivent donc être des priorités, et ce pour des raisons tant environnementales qu’économiques.

J’invite mes collègues de la majorité sénatoriale à se saisir de ce texte et à mieux en comprendre le sens.

Vous nous opposez le contexte agricole, avec les demandes de simplification des agriculteurs. J’ai été agriculteur pendant plus de vingt ans et j’échange encore très régulièrement avec des collègues agriculteurs de mon département : aucun d’entre eux ne me parle d’un excès de normes environnementales. Ils demandent juste à vivre sainement de leur production.

De surcroît, la proposition de loi, et notamment son article 2, ne comporte aucune mesure réellement contraignante. Un accompagnement financier est même prévu pour le diagnostic des exploitations de moins de cinquante hectares.

On peut aussi faire le lien entre cette proposition de loi et celle de notre collègue Daniel Salmon pour la reconquête des haies. (M. Daniel Salmon acquiesce.) Ce sont deux objectifs concomitants pour faire revivre la biodiversité dans les territoires et les exploitations agricoles.

Pour finir, il me semble essentiel de citer l’un des spécialistes indiscutables de l’analyse microbiologique des sols, Claude Bourguignon, qui demande depuis de nombreuses années « que l’on remette de la science dans les sols, pour regarder réellement comme ils sont ».

C’est tout l’objet de cette proposition de loi et de cet article 2 que de bénéficier d’une connaissance actualisée pour agir correctement en faveur de la restauration des sols.

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes Bonnefoy et Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Gillé, Jacquin, Ouizille, Uzenat, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 7, deuxième phrase

Après la première occurrence du mot :

Leur

insérer les mots :

connaissance, leur

II. – Alinéa 8

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Les dispositions du présent chapitre ont pour objet de promouvoir la capacité des sols à constituer des réservoirs de biodiversité, à assurer leurs fonctions écologiques et à fournir les services écosystémiques suivants :

III. – Alinéa 9

Remplacer les mots :

Production de

par les mots :

Approvisionnement en

IV. – Alinéa 10

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 2° Support des infrastructures et du bâti ;

V. – Alinéa 11

Supprimer cet alinéa.

VI. – Alinéa 12

Remplacer le mot :

Préservation

par le mot :

Régulation

VII. – Alinéa 13

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 5° Atténuation du changement climatique ;

VIII. – Alinéa 14

Remplacer le mot :

Contrôle

par le mot :

Prévention

IX. – Alinéa 15

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 7° Dégradation des contaminants ;

X. – Alinéa 16

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué le ZAN. Ce principe a bon dos : le ZAN n’a rien à voir avec la qualité des sols vivants, puisqu’il s’agit d’un outil de planification dans le domaine de l’urbanisme. Rien n’oppose ces deux approches ; au contraire, elles sont complémentaires.

L’article 2 tend à reconnaître le rôle des sols et les services qu’ils rendent, dans la continuité de l’article 1er. Cet amendement vise simplement à affiner la liste des services écosystémiques rendus par les sols en tenant compte des informations recueillies lors des nombreuses auditions que nous avons menées avec le rapporteur.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michaël Weber, rapporteur. Compte tenu de la position globale de la commission sur le texte, j’émettrai un avis défavorable sur cet amendement.

À titre personnel, je voudrais tout de même souligner que cet amendement vise à enrichir l’article 2 d’éléments relatifs aux services écosystémiques, ce qui me semble très important.

Le ZAN a pour objet de préserver les sols non artificialisés. Il me semble que la prise en compte des services écosystémiques entre dans ce cadre.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat. Sagesse (Exclamations de satisfaction sur les travées du groupe SER.), et ce pour au moins trois raisons.

D’abord, je suis, comme vous, conscient de l’enjeu de la connaissance. Si nous voulons mieux préserver, il faut bien évidemment mieux connaître.

Ensuite, préciser les différents services que rend le sol est bienvenu. Si j’étais taquin, je pourrais vous proposer d’ajouter d’autres choses…

On pourrait dire que les sols peuvent fournir des nutriments aux végétaux, des composants pharmaceutiques et génétiques, des matériaux de construction… La liste peut être longue.

Mme Laurence Rossignol. Sous-amendez !

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat. Enfin, madame la sénatrice Bonnefoy, il n’y a pas d’opposition entre ce texte et le ZAN. J’étais député lors de l’adoption de la loi Climat et résilience et je me souviens que nous avons parlé de la qualité des sols. Il y avait certes un aspect quantitatif, mais également un objectif de qualité.

Faire du chiffre sans se poser la question de la qualité des sols que nous préservons dans nos territoires revient un peu à naviguer à courte vue. Surtout, madame la sénatrice, vous qui êtes une fine connaisseuse de ce dossier, vous n’êtes pas sans savoir que figurent dans la mesure 26 de la stratégie nationale biodiversité des éléments sur la qualité. Avec cette stratégie, nous allons pouvoir déployer des actions et débloquer des financements pour la renaturation et la préservation de la qualité des sols.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mmes Bonnefoy et Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Gillé, Jacquin, Ouizille, Uzenat, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 18

1° Remplacer le mot :

élaborée

par le mot :

définie

2° Après le mot :

éducation

supprimer la fin de cet alinéa.

II. – Alinéa 19

1° Première phrase

Supprimer les mots :

, à réduire les impacts négatifs des valeurs d’usage

2° Deuxième phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Un schéma national des données sur les sols est établi dans le cadre de cette stratégie pour contribuer à une meilleure connaissance des sols.

La parole est à M. Hervé Gillé.

M. Hervé Gillé. Cet amendement vise à apporter des précisions concernant la future stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols que nous souhaitons mettre en œuvre via cet article.

Nous réaffirmons que cette stratégie doit fixer des objectifs en matière de lutte contre la dégradation des sols et de promotion de la restauration des services écosystémiques des sols.

En revanche, cet amendement tend à supprimer, parmi les objectifs initialement retenus, celui de réduction des impacts négatifs des valeurs d’usage afin de mettre davantage en avant la promotion de la restauration des services écosystémiques dont bénéficient les usagers du sol.

Enfin, il s’agit de confirmer l’établissement d’un schéma national des données sur les sols dans le cadre de cette stratégie pour contribuer à une meilleure connaissance des sols.

Je profite de cet instant pour regretter qu’un autre amendement ait été déclaré irrecevable : complémentaire de celui-ci, il visait non seulement à revenir sur la création d’un poste de haut-commissaire – création qui suscitait des interrogations en termes de complexité –, mais surtout à confier aux agences de l’eau la mise en œuvre et le suivi de la stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols.

L’adoption de cet amendement aurait permis de répondre à une demande que je crois partagée sur une grande majorité de nos travées ainsi que par les agences de l’eau elles-mêmes, dont les responsables se sont dits enclins à assumer cette nouvelle mission dans la mesure où les agences interviennent déjà sur les sols, élément indissociable du grand cycle de l’eau.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michaël Weber, rapporteur. Par cohérence avec sa volonté de ne pas transposer par avance des dispositions que le droit de l’Union européenne n’a pas encore édictées, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Là encore, je suis favorable à cet amendement à titre personnel, parce que nos auditions ont montré tout l’intérêt du dispositif proposé, notamment pour les agences de l’eau.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat. Je partage naturellement l’objectif d’une meilleure connaissance des sols pour améliorer leur protection. Toutefois, comme l’a justement rappelé M. Jacquin, « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » – l’une des expressions favorites de ma grand-mère ! –, même si certains peuvent préférer l’expression : « plutôt deux fois qu’une »…

En fait, ce qui est demandé ici est déjà inscrit dans la stratégie nationale biodiversité, rédigée l’année dernière et en cours de déploiement – il s’agit plus précisément de la mesure 26. L’enjeu de la préservation des sols est également inscrit explicitement dans la stratégie nationale bas-carbone.

Plutôt que de multiplier les stratégies, je crois que nous devons, pour être efficaces, nous baser sur ce qui existe déjà : avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. En gros, monsieur le ministre, tout va bien et vous avez déjà tout fait !

J’ai participé aux travaux de la commission d’enquête sur la protection des sols, dont le rapport, adopté à l’unanimité, prévoyait la mobilisation d’une enveloppe de 50 millions d’euros pour mieux identifier les sites pollués. Pourtant, le Gouvernement a trouvé une majorité à l’Assemblée nationale pour aller à l’encontre de cette préconisation.

Si je comprends parfaitement que cette proposition de loi se polarise sur les sols que l’on pourrait qualifier de « nourriciers », je crois que nous ne devons pas oublier le passif industriel de notre beau pays. Celui-ci explique que, sur des territoires entiers, on ne peut construire d’équipements publics ni procéder à des opérations d’aménagement en raison de tous les produits qui se sont infiltrés dans les sols au fil des années. Il suffit de consulter la base de données sur les sites et sols pollués (Basol) pour en prendre conscience.

Je demande au Gouvernement de se concentrer sur ce problème et de mener un travail d’investigation pour identifier l’ensemble des sols pollués. Cette pollution n’est pas toujours liée à des activités agricoles, elle peut aussi provenir de polluants comme l’amiante, le mercure ou les hydrocarbures.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par Mme Varaillas, MM. Barros, Corbisez et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 19

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Elle comprend des mesures d’accompagnement des agriculteurs afin de faciliter sa mise en œuvre.

La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas. Cette proposition de loi amène dans nos débats une question écologique majeure : la santé des sols et leur qualité. C’est un enjeu crucial pour lutter contre le dérèglement climatique, mais aussi pour conserver des sols qui nous permettent de disposer durablement d’une alimentation saine en quantité suffisante.

L’actualité récente a rappelé au plus grand nombre le rôle des agriculteurs sur ce point, mais aussi leurs difficultés pour mettre en œuvre un changement de modèle agricole, qui est également souhaité par nos concitoyens, préoccupés par les enjeux sanitaires et environnementaux.

Les agriculteurs ne sont pas des adversaires de la transition écologique : ils en sont des acteurs clés dont il faut valoriser l’action. Cela passe par des revenus décents, en assurant des prix rémunérateurs, et par une équité devant la réglementation qu’il leur est demandé de respecter, alors qu’ils sont placés en concurrence avec des productions étrangères mal encadrées et mal contrôlées.

Dans le cadre de l’élaboration de la stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols, une mesure que nous soutenons, il est indispensable d’intégrer des mesures d’accompagnement pour les agriculteurs.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michaël Weber, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

À titre personnel, j’y suis favorable : ces dispositions répondent directement à la crise agricole que nous connaissons et aux besoins de transition de notre modèle.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat. Je suis élu, comme beaucoup d’entre vous, d’un territoire agricole et je partage la nécessité d’accompagner nos agriculteurs. C’est pourquoi le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.

Monsieur Savoldelli, soyons bien d’accord : je ne dis pas que tout va bien. Et c’est justement parce que je considère qu’il est urgent d’agir que je répète que nous devons nous appuyer sur ce qui existe déjà, en particulier sur les stratégies dont j’ai parlé et qui contiennent tous les éléments nécessaires.

La stratégie nationale bas-carbone prend en compte l’enjeu de la préservation des sols, comme la stratégie nationale biodiversité, qui a été préparée pendant deux ans avec l’ensemble des acteurs concernés – élus locaux, scientifiques, parlementaires, etc. – et qui est sortie en novembre 2023.

Ce que demandent nos concitoyens, ce sont des actions ! Et c’est pour cela que nous avons prévu, dans le dernier budget, plus de 400 millions d’euros pour la renaturation des sols, ce qui est bien davantage que l’enveloppe de 50 millions que vous demandez.

Je le redis, c’est parce que tout ne va pas bien qu’il nous faut agir dès maintenant, plutôt que de procrastiner en élaborant une énième stratégie.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mmes Bonnefoy et Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Gillé, Jacquin, Ouizille, Uzenat, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 21

Remplacer les mots :

performance écologique des sols

par les mots :

l’état des sols

II. – Alinéas 22 et 23

Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 240-3. – À compter du 1er janvier 2027, en cas de cession d’un immeuble non bâti, un diagnostic de l’état des sols, fourni par le vendeur ou le cessionnaire, est annexé à la promesse de vente ou, à défaut de promesse, à l’acte authentique de vente. En cas de vente publique, le diagnostic de l’état des sols est annexé au cahier des charges.

« Ce diagnostic détermine l’état physique, chimique et biologique du sol ainsi que sa capacité à générer les services écosystémiques mentionnés à l’article L. 240-1, en tenant compte des différents types de sols et des usages des terres.

« Un décret fixe le seuil de surface à partir duquel le diagnostic de l’état des sols est fourni, détermine le référentiel pédologique utilisé ainsi que l’échelle permettant d’évaluer les services écosystémiques mentionnés à l’article L. 240-1.

III. – Alinéa 24

1° Première phrase

Remplacer les mots :

propriétaire ou du mandataire

par les mots :

vendeur ou du cessionnaire

2° Deuxième phrase

Remplacer le mot :

ou

par le mot :

et

et remplacer les mots :

la performance écologique

par les mots :

les fonctions écologiques

IV. – Alinéa 25

Supprimer les mots :

pris sur le rapport des ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la forêt

V. – Alinéa 26

Remplacer les mots :

à un organisme public

par les mots :

à l’agence de l’eau dans le ressort de laquelle est situé l’immeuble,

VI. – Alinéa 27

Remplacer les mots :

haut-commissaire à la résilience et à la protection des sols

par les mots :

Comité national de la biodiversité

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Cet amendement tend à modifier la dénomination, l’objet et les conditions de réalisation du diagnostic de performance écologique des sols.

Ainsi, afin de tenir compte des auditions et des travaux menés en commission, nous proposons de modifier la fréquence du diagnostic pour qu’il soit réalisé sur les seules ventes ou cessions d’immeubles non bâtis et à compter de janvier 2027, tout en renvoyant les modalités d’application à un décret.

Je rappelle par ailleurs que ce diagnostic de l’état des sols est également avancé dans la proposition de loi de notre collègue Laurent Duplomb, sous la dénomination « diagnostic de performance agronomique des sols et d’émissions de gaz à effet de serre ». Il me semble par conséquent, mes chers collègues, que ce que nous proposons peut être aisément voté !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michaël Weber, rapporteur. Pour les raisons que j’ai déjà évoquées, la commission est défavorable à cet amendement.

Pourtant, la réalisation d’un diagnostic au moment d’une cession est souhaitée par la plupart des personnes que nous avons auditionnées. J’ajoute qu’il existe déjà d’autres diagnostics lors d’une cession, en particulier en vue de la construction d’un bâtiment. C’est pourquoi je suis favorable, à titre personnel, à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat. Là encore, je partage l’objectif des auteurs de cet amendement. Nous devons disposer des données nécessaires à la préservation de la biodiversité, car c’est notre bien commun et l’un des éléments essentiels pour gagner la bataille contre le changement climatique.

Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse du Sénat sur cet amendement, tout en formulant deux remarques.

Je crois tout d’abord que nous ne devons pas sous-estimer les difficultés d’élaboration d’un tel diagnostic de performance écologique des sols. Souvenons-nous des débats sur les difficultés à mettre en œuvre le ZAN. Le consensus technique est loin d’être évident, que ce soit au niveau national ou européen. Nous avons d’ailleurs fait travailler des scientifiques sur cette question, par exemple le GIS Sol ou l’Ademe, et tous considèrent qu’elle est très complexe.

Je me permets ensuite de faire un parallèle avec le diagnostic de performance énergétique des bâtiments : la France est certainement allée plus vite que ses partenaires européens et nous avons par la suite eu des difficultés pour tenter d’harmoniser les choses, afin que les acteurs français ne soient pas lésés. Évitons de devoir remettre l’ouvrage sur le métier à des fins d’harmonisation avec les autres pays européens.

Nous devons donc prendre en compte les difficultés propres à l’élaboration d’un document de ce type et éviter une forme de désynchronisation avec nos partenaires européens.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. Nous avons été assez nombreux dans cet hémicycle à voir le film Paysans du ciel à la terre, un documentaire qui montre l’érosion des sols dans le nord de la France. Cette érosion dramatique se caractérise notamment par des coulées de boue qui entraînent vers la mer le limon, qui assure sa fertilité à la terre, via les cours d’eau qui sont ainsi asphyxiés.

Voilà ce qui se passe lorsque l’on ne prend pas conscience de la fragilité de nos sols ! Ce phénomène est évidemment aggravé par des modes de production agricole qui ne sont pas assez respectueux des sols.

Quelqu’un a évoqué les coûts : il faut justement arrêter de les différer, de se dire que ce sont les futurs agriculteurs qui pâtiront de l’absence de sols. Comment cultiverons-nous demain sur des sols presque stérilisés, où subsisteront seulement des cailloux et qui ne pourront produire quelque chose qu’à coups d’engrais, de béquilles chimiques ? Qui plus est, ces engrais sont de puissants vecteurs de gaz à effet de serre, alors que nous sommes confrontés au réchauffement climatique… Nous allons nous retrouver dans une impasse !

Il nous faut donc connaître les sols et, à cette fin, élaborer un diagnostic, en particulier au moment d’une cession. En général, quand on achète quelque chose, on essaie d’en connaître l’état. L’instauration d’un diagnostic sur l’état des sols est primordiale.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 125 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 310
Pour l’adoption 105
Contre 205

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à préserver des sols vivants
Article 3 (fin)

Article 3

I. – Le code de l’environnement est ainsi modifié :

1° Au 2° de l’article L. 133-2, après le mot : « entreprises », sont insérés les mots : « , la stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols » ;

2° Le titre III du livre Ier est complété par un chapitre V ainsi rédigé :

« CHAPITRE V

« Haut-commissaire à la protection et à la résilience des sols

« Art. L. 135-1. – Il est institué, auprès du Premier ministre, un haut-commissaire à la protection et à la résilience des sols. À ce titre, il a pour missions :

« 1° D’assurer le pilotage interministériel et le suivi de la stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols mentionnée à l’article L. 240-2 ;

« 2° D’assurer le pilotage de l’élaboration d’un schéma national des données sur les sols, de la mise en réseau de l’ensemble des producteurs et gestionnaires de données, de la mutualisation des méthodes et des outils de valorisation, et de faciliter l’accès aux données ;

« 3° De rédiger un rapport d’évaluation sur la protection et la résilience des sols qu’il remet au Gouvernement et au Parlement. Ce rapport donne lieu à un avis du Conseil national de la transition écologique mentionné à l’article L. 133-1.

« Pour l’exercice de ses missions, il peut faire appel, en tant que de besoin, aux services du ministère chargé de l’environnement, de l’agriculture, de l’urbanisme, de la santé, de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, de l’Agence française de la biodiversité, de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire. »

II. – Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Aux première et troisième phrases du deuxième alinéa de l’article L. 4251-1, après les mots : « artificialisation des sols », sont insérés les mots : « , de protection et d’amélioration de la qualité des sols » ;

2° Le 3° de l’article L. 4251-2 est complété par un h ainsi rédigé :

« h) La stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols prévue à l’article L. 240-2 dudit code. »

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vais mettre aux voix l’article 3.

Si cet article n’était pas adopté, je considérerais que le vote est le même pour l’article 4, qui est un article de gage et qui deviendrait sans objet. Par conséquent, l’amendement déposé sur cet article deviendrait lui-même sans objet.

En outre, puisque tous les articles qui composent la proposition de loi auraient été successivement supprimés par le Sénat, l’amendement déposé pour modifier l’intitulé de la proposition de loi deviendrait également sans objet.

Il n’y aurait plus lieu de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi. Il n’y aurait donc pas d’explication de vote sur l’ensemble.

Dans ces conditions, quelqu’un demande-t-il la parole pour expliquer son vote sur l’article 3 ?

La parole est à M. Jacques Fernique, pour explication de vote sur l’article.

M. Jacques Fernique. Même si ce texte a déjà été considérablement vidé de sa substance, je voudrais saluer le remarquable investissement de Nicole Bonnefoy et le riche rapport de Michaël Weber. Tout cela a été inutile ce jour, mais – et même si Cyrano nous dit que c’est bien plus beau lorsque c’est inutile – je suis sûr que tout ce travail sera utile pour l’avenir.

Un rapport si prometteur fera référence lorsque le législateur se décidera à reprendre du service pour enrayer le phénomène de dégradation des sols que nous connaissons.

Comme l’écrivait si bien Bruno Latour, on a « une minuscule zone […] entre l’atmosphère et les roches-mères. Une pellicule, un vernis, une peau, quelques couches infiniment plissées, […] une minuscule zone critique. » Cette minuscule zone critique qui contient tout ce qui nous concerne, c’est justement ce qui différencie la Terre de Mars ou de la Lune.

Nous n’aurions pas plus de quatre mois d’espérance de vie – plutôt de désespérance d’ailleurs… –, si le sol se dérobait à nous. Aujourd’hui, c’est le Sénat qui, hélas ! se dérobe. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour explication de vote sur l’article.

Mme Nicole Bonnefoy. Je regrette infiniment que le dogmatisme l’ait emporté sur le bon sens paysan.

Moi aussi, je suis petite-fille de paysan et je sais ce que représentent les sols. Je suis d’ailleurs certaine que nous reparlerons bientôt de ce sujet.

N’ayons pas peur d’être à l’avant-garde ! Sachez, mes chers collègues, que nombreuses sont les personnes qui ont marqué leur soutien à ce texte et déplorent son rejet : des scientifiques, des experts, des agriculteurs, etc.

Je veux remercier les collègues qui ont soutenu ce texte. Je crois que nous avons posé ensemble les bases d’une réflexion pour nous permettre de protéger nos sols et que nous avons fait preuve de responsabilité vis-à-vis de la transition agroécologique, qui est nécessaire.

Il y a ceux qui marchent sur la tête et il y a ceux qui ont les pieds sur terre ! En ce qui nous concerne, nous avons les pieds sur terre et nous avons fait la démonstration que les sols n’étaient pas seuls.

Gardons les pieds sur terre, mes chers collègues, une terre que nous voulons fertile, vivante de sa biodiversité, nourricière, à même d’assurer un juste revenu pour les agriculteurs et les travailleurs de la terre et garante de la santé humaine et environnementale. C’était le sens de cette proposition de loi et je regrette de la voir rejetée ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote sur l’article.

M. Pascal Savoldelli. J’ai suivi nos débats depuis le début et j’invite mes collègues de la majorité sénatoriale à ne pas arrêter la discussion maintenant. Nous devons aller au bout de l’examen de ce texte et chacun prendra alors ses responsabilités.

En effet, je crois qu’il faut toujours encourager le débat politique. Certains ont soulevé des questions très importantes, comme la liberté d’entreprendre ou le droit de propriété, mais nous devons aussi prendre en compte d’autres questions très importantes, comme le droit commun. Allons au bout du débat et chacun votera selon son opinion.

Ensuite, je tiens à un aspect particulier de cette proposition de loi : la mise en place d’un haut-commissaire à la résilience et à la protection des sols, qui pilotera la question des risques sanitaires et écologiques. Nous en avons besoin, parce que cela englobe à la fois le sol dans une approche nourricière et le rôle de l’État vis-à-vis des polluants qui s’infiltrent. Je rappelle que le rapport de la commission d’enquête sur la pollution des sols a été voté à l’unanimité.

J’invite donc à poursuivre la discussion et à examiner les deux derniers amendements. Ne pas voter jusqu’au bout, c’est se désengager de nos débats.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 126 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 302
Pour l’adoption 98
Contre 204

Le Sénat n’a pas adopté.

En conséquence, l’article 4 devient sans objet, de même que les amendements nos 7 et 5 rectifié.

Mes chers collègues, les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Je voudrais d’abord saluer l’auteure de cette proposition de loi et le travail de notre rapporteur.

Je voudrais surtout démythifier ce débat. Je peux évidemment comprendre que l’auteur d’une proposition de loi accepte difficilement que son texte ne soit pas adopté, mais ce n’est pas parce qu’on a une approche différente qu’on n’est pas sensible à la question soulevée, en l’espèce la préservation des sols.

Nous avons tout simplement une approche différente en ce qui concerne les délais et l’articulation avec le droit européen. Gardons en tête que nous regrettons souvent les surtranspositions comme les transpositions anticipées.

Nous devons aussi savoir faire amende honorable et être attentifs aux conséquences des mesures que nous adoptons. L’exemple du ZAN est là pour nous le rappeler : bien sûr, on peut simplement se satisfaire d’avoir voté une disposition magnifique, exceptionnelle, mais chacun voit bien sur le terrain les grandes difficultés de sa mise en œuvre. Autre exemple, les zones à faibles émissions (ZFE) : je ne suis pas concerné dans mon département, mais je vois bien que de nombreux maires, de différentes sensibilités politiques, demandent un délai pour les mettre en place.

Nous devons absolument prendre en compte la lourdeur des réglementations, ainsi que les difficultés et complexités de leur mise en place sur le terrain. Les gens nous en veulent de toutes ces contraintes ! Nous devons y réfléchir en amont plutôt que de faire le constat, une fois la décision adoptée, qu’elle pose d’importants problèmes.

Quand je suis arrivé au Sénat, voilà dix ans, j’avais la conviction qu’il fallait résoudre les problèmes administratifs ; malheureusement, nous sommes encore loin du compte…

Il n’y a pas, d’un côté, les mauvais, ceux qui refusent tout, et de l’autre, les bons, même si j’accepte bien évidemment de porter la casquette du méchant !

Pour conclure, je voudrais prendre exemple sur quelqu’un pour qui je n’ai jamais voté : François Mitterrand. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Rossignol. C’est un tort !

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Laissez-moi finir, ma chère collègue.

François Mitterrand avait l’habitude de dire : laissons le temps au temps. Eh bien, appliquons cette maxime ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat. Je voudrais tout d’abord remercier sincèrement Mme Bonnefoy pour la qualité de cette proposition de loi et le président et le rapporteur de la commission pour l’ensemble du travail qui a été fourni. Ce sujet est important et nous avons pu en débattre de façon sereine, ce dont je me réjouis.

C’est l’honneur du Sénat et de notre démocratie de débattre ainsi de la question de la préservation des sols et de le faire à un moment aussi important, alors que chacun voit bien la nécessité d’accélérer la transition écologique et se rend compte que tout est lié : le climat, la biodiversité, les océans, les mers, les sols, etc. La notion de One Health, comme on dit en bon breton, est en effet majeure, madame la sénatrice, pour nos politiques publiques.

En faisant des sols un enjeu à la fois de production agricole, de biodiversité, de contrôle de certaines maladies, de lutte contre l’érosion et de régulation du climat, le Sénat est à l’avant-garde du débat, y compris du débat européen.

Ensuite, je veux vous dire de manière très ferme que nous ne sommes pas dans la procrastination. C’est justement parce qu’il est urgent d’agir que nous ne souhaitons pas nous lancer dans l’élaboration d’une nouvelle stratégie.

Nous avons déjà tous les outils et financements qui sont nécessaires pour déployer les stratégies existantes : la stratégie nationale biodiversité sur laquelle nous pouvons notamment nous appuyer pour la renaturation et la préservation des sols ; les 2,5 milliards d’euros du fonds vert pour financer des actions au cœur de nos territoires.

Surtout, nous avons une ambition européenne. La proposition de directive en cours d’examen nous permet, je le crois, de viser une haute ambition. Si nous réussissons à créer une harmonisation européenne, nous éviterons de créer de la désespérance chez nos concitoyens.

Un agriculteur des Côtes-d’Armor – un magnifique département ! – peut, s’il voit que l’on crée, tous les trois ans, une nouvelle machinerie administrative sur un sujet qui le concerne directement au quotidien, éprouver un sentiment de désespérance ou de lassitude à l’égard des pouvoirs publics.

Nous devons continuer à défendre, au niveau européen, la question de la préservation des sols.

Madame la sénatrice, le débat que nous venons d’avoir dans cet hémicycle donnera de la force au Gouvernement dans la discussion du projet de directive européenne. Je vous propose, lorsque viendra le temps de sa transposition, que nous travaillions ensemble pour que les priorités qui étaient les vôtres, ainsi que les priorités des groupes Les Républicains, Union Centriste et Les Indépendants – République et Territoires soient placées au cœur du dispositif, afin d’assurer notre souveraineté alimentaire, de préserver la biodiversité et de lutter contre le défi du siècle, qui est celui du réchauffement climatique et de notre indépendance.

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à préserver des sols vivants
 

4

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Saïd Omar Oili.

M. Saïd Omar Oili. Lors du scrutin n° 124 sur l’article 1er de la proposition de loi visant à préserver des sols vivants, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) souhaitait s’abstenir.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.

5

Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail
Discussion générale (suite)

Santé et bien-être des femmes au travail

Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail
Article additionnel avant l'article 1er - Amendements n° 6 rectifié bis et n° 14 rectifié bis

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail, présentée par Mme Hélène Conway-Mouret et plusieurs de ses collègues (proposition n° 537 rectifié bis [2022 2023], résultat des travaux n° 315, rapport n° 314).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de loi. Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue au Sénat. Madame la présidente, mes chers collègues, le Parlement et le Gouvernement ont la responsabilité collective de répondre aux attentes des femmes, qui continuent au XXIe siècle de se battre pour l’égalité des chances, notamment dans leur milieu professionnel.

Depuis toujours, elles ont été forcées d’invisibiliser le fait qu’elles ont leurs règles, alors même que celles-ci sont douloureuses pour une femme sur deux et souvent incapacitantes, jusqu’à les empêcher de travailler de façon optimale, voire créer de véritables obstacles dans leur carrière.

Par cette proposition de loi, nous tentons d’apporter une réponse concrète à la fois aux employées et aux employeurs, en proposant l’instauration d’un arrêt de travail menstruel. Deux principes nous animent : améliorer la santé des femmes et, par voie de conséquence, leur bien-être au travail.

Ce texte nous offre l’opportunité de faire un pas supplémentaire pour les droits des femmes et l’égalité des chances au travail. Il s’inscrit dans la suite de la loi adoptée le 7 juillet 2023, qui visait à favoriser l’accompagnement psychologique des femmes après une interruption de grossesse.

Le Sénat démontrera une nouvelle fois, s’il adopte ce texte – le cas échéant dans une rédaction améliorée grâce aux débats que nous allons avoir –, qu’il est attentif tant aux souhaits de nos concitoyennes qu’aux besoins des collectivités et des entreprises.

En effet, c’est bien à l’échelle locale qu’est née cette initiative, fondée sur les besoins exprimés sur le terrain et mise en place par les élus locaux.

La mairie de Saint-Ouen-sur-Seine a été précurseur, suivie par près d’une trentaine de villes et par le conseil départemental de Seine-Saint-Denis ou la région Nouvelle-Aquitaine. Je tiens à saluer l’engagement de Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen-sur-Seine, et de notre collègue Adel Ziane, qui ont œuvré avec leurs équipes à la mise en place de ce dispositif prometteur.

Mes chers collègues, allons-nous rester sourds à cette demande, qui émane de nos communes et de nos départements, alors que nous représentons les territoires ? N’est-il pas de notre devoir d’être en phase avec l’évolution de la société en votant des lois qui instaurent et encadrent au mieux les dispositions dont nous avons besoin ?

Des entreprises ont pris la même initiative.

Or il n’existe actuellement aucun cadre légal, dans notre pays, qui permette aux femmes de s’arrêter de travailler sans perte de salaire lorsqu’elles souffrent de dysménorrhée. Différents acteurs réclament une loi, afin de pérenniser ce dispositif ou d’avoir simplement le droit d’en mettre un en place.

Différents groupes politiques à l’Assemblée nationale ont préparé des textes pour répondre aux demandes relayées depuis les circonscriptions. Allons-nous attendre de recevoir le texte qu’auront adopté les députés pour l’examiner ou sommes-nous prêts à nous mettre d’accord maintenant sur un texte qui réponde au mieux à ce que nous souhaitons ?

Monsieur le ministre, la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose, mise en place par le gouvernement d’Élisabeth Borne en février 2022, et qu’il convient de saluer, suscite l’espoir, pour des millions de filles et de femmes, d’une meilleure qualité de vie.

Toutefois, l’endométriose, dont souffre une femme sur dix, ne doit pas occulter toutes les autres formes de pathologies et de douleurs menstruelles, regroupées sous le nom de « dysménorrhées », qui touchent près d’une femme sur deux entre 15 et 49 ans, soit plus de 7 millions de nos concitoyennes.

Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à poursuivre l’action de l’ancienne Première ministre, qui appelait également à « encourager et faciliter l’engagement des entreprises » ayant mis en place l’arrêt menstruel, tout en allant plus loin ?

La dysménorrhée, comme le déclarait le Président de la République à propos de l’endométriose, « ce n’est pas un problème de femmes, c’est un problème de société ».

C’est pourquoi nous croyons à la portée transpartisane de notre proposition de loi, qui répond à cet enjeu de santé publique. Nous espérons que le Gouvernement et une majorité de parlementaires y apporteront leur soutien.

La France n’est pas novatrice en la matière, puisque voilà tout juste un an, le 16 février 2023, l’Espagne adoptait une loi instaurant un congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses – c’était une première en Europe, alors que d’autres initiatives avaient été mises en place dans d’autres pays. Ce jour-là, l’Espagne a répondu à l’appel de millions de femmes et a montré l’exemple en ouvrant la voie, sur notre continent, à un débat sur le sens que nous souhaitons donner à une communauté européenne sociale, solidaire, inclusive et résolument féministe.

Aujourd’hui, mes chers collègues, il nous revient à notre tour de nous poser cette question : quel message voulons-nous adresser à nos concitoyennes ? J’aime à penser que la France demeure ce pays qui sait se rassembler autour de sa devise Liberté, Égalité, Fraternité et que nous ferions honneur, en adoptant ce texte, aux valeurs humanistes et progressistes qui font l’histoire de notre pays.

L’ambition de cette proposition de loi, que j’ai l’honneur de vous présenter, est d’abord d’améliorer la santé des femmes : pour obtenir un arrêt mensuel valable un an, elles devront consulter, souvent pour la première fois, un médecin ou une sage-femme. Elles décriront leurs symptômes et obtiendront un accompagnement médical qui leur permettra de mieux gérer les douleurs et, peut-être, de diagnostiquer une pathologie. Il faut espérer qu’un an plus tard, elles n’auront pas besoin de renouveler l’arrêt menstruel. Ce texte contribuera ainsi indirectement, mais certainement à l’amélioration du suivi médical.

Aujourd’hui, les femmes atteintes d’endométriose qui bénéficient de la reconnaissance de leur pathologie comme affection de longue durée (ALD) sont minoritaires, car de nombreuses femmes souffrant de menstruations incapacitantes n’ont pas reçu de diagnostic et attendent en moyenne sept ans pour en obtenir un. Leur unique solution est de bénéficier d’un arrêt maladie sans prise en charge spécifique.

Elles sont alors confrontées à une double contrainte : la récurrence des visites chez le médecin et une perte financière induite par le délai de carence. Cette réalité dissuade bon nombre d’entre elles de consulter et de s’arrêter de travailler, malgré les douleurs, parfois insoutenables, qui ont un impact négatif sur la qualité de leur travail. C’est pourquoi nous proposons de supprimer le délai de carence.

Cette proposition de loi vise aussi à reconnaître l’existence de ces douleurs et à accompagner au quotidien les femmes qui en souffrent, en leur permettant d’adapter leur poste de travail quand cela est possible ou d’obtenir, en recours ultime, un arrêt de travail quand les douleurs sont trop sévères. Elles pourront désormais planifier et adapter leur travail en équipe, en lien avec leurs employeurs.

D’ailleurs, toutes les entreprises qui ont déjà instauré le dispositif témoignent, après plusieurs mois ou années de pratique, que celui-ci ne pose pas de problème d’organisation. Comment pourrait-il en être autrement, alors que les RTT et le développement du télétravail ont conduit les employeurs à gérer avec intelligence et souplesse le temps de travail de leurs collaborateurs ?

Nous devons également comprendre que les jeunes générations et les talents de demain sont à la recherche de structures qui évoluent avec leur temps, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé.

Les entreprises, avec lesquelles nous avons longuement échangé pour construire ce texte et mieux comprendre leurs attentes, sont unanimes. L’arrêt menstruel, au même titre que tout autre dispositif améliorant le bien-être au travail, renforce la productivité des salariés et a un effet catalyseur sur le recrutement et donc sur l’attractivité de ces entreprises, ce qui pourrait, si un tel dispositif venait à être généralisé à l’échelle du pays, profiter à terme à l’ensemble de l’économie.

J’entends que certains de mes collègues craignent les abus qui pourraient naître de l’instauration d’un tel droit. Il n’y a pourtant rien à craindre : seulement 10 % des femmes au sein des entreprises sondées ont sollicité un accompagnement.

À Saint-Ouen-sur-Seine, sur les 891 agentes de la ville, 212 sont concernées par les dysménorrhées : 28 seulement se sont signalées à la médecine du travail et bénéficient d’un protocole spécifique, tandis que 6 ont bénéficié d’une adaptation de leur poste de travail, 6 d’une réduction du temps de travail et 16 ont eu recours à un arrêt de travail.

Les abus n’existent pas ; il est temps de faire confiance à la responsabilité des femmes de notre pays.

Certains pourraient aussi rétorquer que l’adoption de ce texte risquerait de créer une discrimination, notamment à l’embauche. Mais ni plus ni moins, vous dirais-je, que le congé maternité.

Ce qui serait stigmatisant, ce serait de laisser penser que les employeurs refusent aujourd’hui de recruter une femme parce qu’elle pourrait avoir des enfants, souffrir de règles douloureuses ou d’autres contraintes de santé liées, par exemple, à la ménopause.

Toutefois, ce qui est véritablement stigmatisant, et nous le savons, nous les femmes, c’est d’être pénalisées en raison de ce que nous ne contrôlons pas ou d’être suspectées de vouloir profiter d’un nouveau droit.

Mes chers collègues, ne nous privons pas de mettre en place un système juste et nécessaire au prétexte qu’il engendrerait un risque de discrimination qui n’existe pas dans la réalité.

Nous devons soutenir et encadrer un mouvement enclenché avec courage, dans les secteurs public et privé, pour répondre à une attente forte, légitime et exprimée de longue date par 66 % des femmes. Les femmes doivent pouvoir travailler, comme leurs collègues masculins, dans des conditions optimales.

Lever les tabous, rendre audible et visible la détresse de millions de femmes, améliorer notre compréhension des cycles menstruels et leur incidence dans le monde du travail, tel est l’esprit de notre proposition de loi.

Nous connaissons tous cette affirmation de l’auteure du Deuxième Sexe selon laquelle « on ne naît pas femme, on le devient ». Avec modestie, j’ai la certitude qu’en votant ce texte nous aiderons nos concitoyennes à être un peu plus elles-mêmes, dans le regard que les autres portent sur elles et, plus encore, dans le leur. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mmes Maryse Carrère et Annick Billon applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, 10 %, telle est la perte de salaire mensuel qu’encourt une salariée en cas d’arrêt maladie, à cause de l’application du délai de carence.

Dans ces conditions, quand on connaît ce chiffre, on ne peut ignorer ni le phénomène de non-recours à l’arrêt de travail de la part d’assurées, qui pourtant en auraient besoin, ni les répercussions préjudiciables de cette situation sur la santé des femmes. On ne peut non plus fermer les yeux sur les risques accrus d’accidents du travail qui découleraient directement de ce non-recours.

Face à ce constat, la proposition de loi de notre collègue Hélène Conway-Mouret vise à mettre en place les conditions d’une meilleure prise en compte de la santé des femmes au travail, via la création d’un arrêt maladie plus adapté à la situation des femmes souffrant de dysménorrhées, c’est-à-dire, en langage courant, de règles douloureuses.

Ce texte résulte d’une conviction profonde. Quand le système d’indemnisation de l’assurance maladie ne répond pas à la situation particulière d’un salarié, c’est parfois une injustice, souvent une tragédie individuelle, mais ce n’est pas forcément une carence législative. En revanche, quand il exclut de fait, par une indemnisation inadaptée, 15 % des femmes salariées qui souffrent de douleurs menstruelles incapacitantes, il me semble que le législateur ne peut se contenter de compatir et qu’il doit agir. C’est ce que nous faisons ce matin.

Cette proposition de loi est à mettre en parallèle avec différentes initiatives, en France comme à l’étranger, pour répondre à cette attente, à ce besoin trop longtemps passé sous silence en raison de l’invisibilité des douleurs menstruelles.

Au Sénat, la question a été abordée lorsque la délégation aux droits des femmes a travaillé sur le rapport d’information Santé des femmes au travail : des maux invisibles. Je tiens d’ailleurs à saluer la présidente de la délégation aux droits des femmes de l’époque, ainsi que mes corapportrices. Nous n’étions pas parvenues à une position consensuelle sur la création de ce congé menstruel, mais nous étions toutes d’accord sur le constat suivant : les pathologies menstruelles représentent un sujet d’égalité professionnelle et sociale qui est insuffisamment pris en compte dans le monde du travail.

Cette prise de conscience a eu lieu aussi à l’Assemblée nationale, où plusieurs propositions de loi, émanant de plusieurs groupes, ont été déposées. J’espère, monsieur le ministre, que le Gouvernement partage également ces préoccupations légitimes, défendues de longue date par l’action remarquable de nombreuses associations féministes, et que nous œuvrerons ensemble à une adaptation du droit.

Sur le plan international, six pays ont déjà décidé d’agir et d’adopter des dispositifs spécifiques. Dans quatre d’entre eux, dont le Japon et la Corée du Sud, il s’agit à proprement parler d’un congé menstruel, le cas échéant rémunéré par l’employeur. Dans les deux autres, Taïwan et l’Espagne, il s’agit plutôt d’un arrêt de travail menstruel, médicalement constaté et pris en charge par la solidarité nationale.

C’est d’ailleurs cette voie de l’arrêt maladie que la proposition de loi a retenue. J’éviterai donc de parler de « congé menstruel », termes qui peuvent prêter à confusion. Croyez-moi, pour les femmes qui en ont besoin, il ne s’agit nullement d’une période de vacances, de loisirs ou d’inactivité.

Je précise – c’est important pour lever un certain nombre de préventions – que cet arrêt maladie concernerait évidemment non pas l’ensemble des femmes, mais seulement celles qui souffrent de dysménorrhées incapacitantes, c’est-à-dire de douleurs menstruelles suffisamment aiguës pour perturber leurs activités quotidiennes ou scolaires, au point d’entraîner des absences.

De telles douleurs concerneraient, selon un sondage de l’Ifop de mai 2021, 16 % des femmes en âge de procréer. Pour plus de la moitié d’entre elles, ces douleurs découlent d’une pathologie menstruelle telle que l’endométriose, les fibromes utérins, le syndrome des ovaires polykystiques ou encore le syndrome prémenstruel.

Je vous épargne l’inventaire des symptômes associés, qui ne s’arrêtent d’ailleurs pas systématiquement aux douleurs éprouvées, parfois assez violentes pour clouer au lit les femmes, souvent avec des céphalées sévères. Je ne reviens pas non plus sur les errances thérapeutiques associées. Je vous assure, en revanche, que, quitte à choisir, aucune femme ne souhaiterait avoir besoin de cet arrêt et que toutes préféreraient aller travailler et ne pas souffrir.

En France, si l’idée d’une meilleure prise en compte de la santé menstruelle au travail commence enfin à progresser chez les employeurs, rares sont ceux qui proposent un véritable dispositif pour accompagner les salariées concernées.

Comme en tant d’autres domaines, les collectivités territoriales – Hélène Conway-Mouret l’a souligné – ont joué un rôle précurseur : la commune de Saint-Ouen-sur-Seine, dont je salue le maire, a par exemple instauré une autorisation spéciale d’absence de deux jours par mois sur présentation d’un justificatif médical, avant que la commune de Bagnolet et les métropoles de Lyon et Strasbourg ne l’imitent.

Cependant, en l’absence de dispositions spécifiques dans le droit français, ces collectivités ont des craintes pour la sécurité juridique de leur dispositif. C’est pourquoi, la semaine dernière, un collectif de maires, rassemblant des élus de droite comme de gauche, a appelé le législateur à adopter un cadre juridique adapté.

Les entreprises ne sont pas en reste. On a beaucoup parlé de l’exemple très médiatique de Carrefour, mais celui-ci ne concerne – il faut bien le reconnaître – que les salariées ayant une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) : or les femmes qui ont des règles douloureuses ne se considèrent pas pour autant comme des handicapées.

Des entreprises de plus petite taille, comme la coopérative La Collective, sont également pionnières en la matière.

Si ces initiatives louables restent rares, il faut dire qu’il revient habituellement à la sécurité sociale de couvrir les risques d’absence au travail pour raisons de santé : ces employeurs particulièrement soucieux de la santé menstruelle de leur personnel ne sont donc amenés à agir que du fait de la carence de notre système de protection sociale.

Il n’en demeure pas moins que nous avons besoin de légiférer. La proposition de loi qui vous est soumise a pour principal objet de créer un nouveau régime d’arrêt maladie, à la charge de la sécurité sociale, pour les femmes souffrant de dysménorrhées.

L’article 1er constitue le cœur du dispositif. Il prévoit que le médecin ou la sage-femme puissent prescrire un arrêt de travail cadre d’une durée d’un an aux femmes souffrant de dysménorrhées. Cette prescription ouvrirait droit à l’assurée de bénéficier de deux jours au plus d’arrêt de travail par mois, chaque fois que la douleur le rend nécessaire, sans avoir à consulter de nouveau un professionnel médical.

Une telle mesure allégerait les démarches médicales de l’assurée et libérerait du temps médical, ce dont nous avons bien besoin dans le contexte actuel.

Certes, cette mesure s’écarte du droit commun, mais elle semble nécessaire, étant donné l’état de tensions sur l’offre de soins, d’une part, et la spécificité des dysménorrhées, d’autre part.

L’article 2 prévoit qu’aucun délai de carence ne s’applique aux arrêts de travail prescrits en cas de dysménorrhée, tant pour les salariées du secteur privé que pour les agentes des collectivités publiques : il s’agit de permettre une indemnisation dès le premier jour d’arrêt.

L’application du délai de carence a un effet dissuasif pour les femmes qui souhaiteraient s’arrêter : une perte de 10 % du salaire, c’est important ! La seule solution pour les femmes est aujourd’hui de suivre un parcours du combattant pour faire reconnaître comme affection de longue durée leur endométriose : environ 10 000 femmes sur les 2,5 millions qui souffrent de cette pathologie y sont parvenues.

L’arrêt de travail doit cesser d’être un luxe et retrouver son but originel : permettre à celles qui ne peuvent pas travailler momentanément de ne pas le faire !

Cette mesure n’aurait d’ailleurs rien d’incongru : nous avons, mes chers collègues, déjà adopté, en 2023, la suppression du délai de carence pour les arrêts de travail consécutifs à une interruption spontanée de grossesse ou à une interruption médicale de grossesse, pour les mêmes raisons. Le délai de carence ne s’applique pas davantage pour les affections de longue durée à compter du deuxième arrêt de travail.

L’article 3 prévoit que les arrêts de travail dans le cadre du congé menstruel soient pris en charge à 100 % par la sécurité sociale. Je vous proposerai de le supprimer. Il n’y a pas de raison que la prise en charge par la sécurité sociale soit plus favorable que les arrêts de travail de droit commun. La suppression du jour de carence semble suffisante à cet égard.

Enfin, l’article 4 dispose que l’accord collectif applicable, ou à défaut la charte de l’employeur, précise les modalités d’accès des salariées souffrant de dysménorrhée à une organisation en télétravail. Ce dispositif s’inscrit dans la ligne de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 relatif à la mise en œuvre réussie du télétravail. Nous aurons à examiner un amendement sur l’adaptation du poste de travail.

Cette proposition de loi est prometteuse et, par certains aspects, je le reconnais, novatrice. Elle nécessite donc que nous ayons un débat fécond pour préciser quelques éléments.

J’avais indiqué clairement en commission que j’étais prête, avec l’accord de l’autrice de la proposition de loi, à faire évoluer le contenu du texte via des amendements. Je crois que je suis restée fidèle à cet esprit d’ouverture : je n’ai émis, lors de la réunion de la commission des affaires sociales, des avis défavorables que sur trois des treize amendements déposés.

Si les divergences d’appréciation concernant le périmètre de cet arrêt maladie, ses modalités et sa prise en charge sont, me semble-t-il, inévitables, inscrire le principe d’un arrêt menstruel dans la loi constituerait un grand progrès pour les femmes concernées. Une telle évolution permettrait que cette phrase que les femmes se disent de génération en génération : « Prends tes cachets et serre les dents », soit enfin renvoyée à l’histoire. L’adoption ce texte ferait honneur au travail sénatorial.

Certains de nos collègues jugeaient préférable, lors de l’examen en commission, de renvoyer cette question à la négociation collective. Certes, mais ce n’est pas possible ! Les deux sujets traités dans cette proposition de loi sont du ressort exclusif de la loi.

La proposition de loi n’a pas été adoptée en commission, mais grâce aux amendements que nous allons examiner ce matin, grâce à la volonté d’ouverture de l’autrice, de moi-même et des auteurs des amendements, je suis très optimiste et ai bon espoir que nous adopterons un texte à l’issue du débat, ce qui ouvrira la navette parlementaire. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué, auquel je souhaite la bienvenue dans cet hémicycle.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de pouvoir monter à cette tribune pour débattre avec vous d’un sujet aussi éminent que celui abordé dans la proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail, déposée par Mme la sénatrice Hélène Conway-Mouret.

La question des dysménorrhées, véritable sujet de société, qui est restée longtemps invisible et banalisée – il faut bien le dire –, nous concerne tous.

Les initiatives sur le sujet se multiplient dans les deux chambres, preuve s’il en fallait que les choses évoluent, et c’est tant mieux. En parler, en débattre au Parlement, c’est continuer de briser les tabous et avancer. Pour cela, je vous remercie, madame la sénatrice.

Les dysménorrhées sont les douleurs importantes qui surviennent pendant les menstruations. Elles touchent des millions de nos concitoyennes. On estime ainsi qu’une femme sur dix en France souffre d’endométriose, qui en constitue l’une des formes les plus répandues.

Longtemps méconnues, encore mal diagnostiquées et prises en charge, ces affections constituent un sujet particulièrement sensible, car elles touchent à l’intime ; elles peuvent se révéler extrêmement douloureuses, voire, dans certaines pathologies, invalidantes et être une cause d’infertilité.

Je pense notamment à l’endométriose, dont certaines formes peuvent être caractérisées comme des affections de longue durée ; certaines femmes peuvent même être reconnues comme travailleuses handicapées. À ce titre, elles bénéficient de droits, notamment pour les arrêts maladie.

Cette reconnaissance se développe : le nombre de femmes dont l’endométriose a été caractérisée comme ALD 31 a progressé de 43 % entre 2021 et 2022.

Au-delà de la dimension pathologique, nous abordons aujourd’hui la question de la réalité au quotidien des femmes concernées, celle qui consiste à aller travailler et à vivre quand on souffre.

Nous devons mieux les accompagner dans la prise en charge de la douleur, le plus tôt possible, pour leur permettre de ne pas être empêchées dans leur vie quotidienne. C’est là l’enjeu.

Les auteurs de cette proposition de loi souhaitent la création d’un nouvel arrêt maladie, sans jour de carence, qui autoriserait une absence de deux jours par mois…

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. … sur prescription médicale et pendant un an, lorsque la femme est en incapacité physique de travailler.

La question est complexe et aucune solution simple et unique ne peut être apportée, car il existe des formes multiples de dysménorrhées.

L’accompagnement médical est la priorité ; l’arrêt médical est le dernier recours et il n’est pas la solution pour toutes.

Car oui, il faut le rappeler, des solutions existent déjà. Je veux d’abord citer celles qui passent par le dialogue social au sein des entreprises. Des congés, négociés conventionnellement avec les partenaires sociaux, pour les salariées atteintes d’endométriose, ont été mis en place dans des entreprises comme Carrefour ou L’Oréal. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Généraliser ces mesures, tel que cela est proposé, tournerait le dos à la confiance dans le dialogue social et aboutirait à complexifier ce qui peut exister sur le terrain. (Mêmes mouvements.)

Ensuite, il est possible de recourir à l’adaptation et à l’aménagement du poste de travail, et notamment au télétravail, en lien avec la médecine du travail, ce qui garantit la préservation du secret médical – ce n’est pas un aspect à négliger.

La création d’un congé spécifique pose de réels sujets en termes de confidentialité, principe auquel je suis très attaché. La salariée pourrait, au choix, télétravailler ou recourir à un arrêt de travail ; en tout cas, elle ferait ainsi état de son affection dans l’entreprise. Je ne pense pas que toutes les femmes souhaiteraient faire connaître à leur employeur la raison de leur absence.

J’ajoute que les associations de patientes sont aussi réservées sur cette possibilité, y voyant notamment la création d’un potentiel risque de discrimination à l’embauche. Il faut l’entendre. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Colombe Brossel le démentent.)

M. Hervé Gillé. Il faut serrer les dents !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Il faut néanmoins accompagner ces femmes pour leur faire connaître leurs droits dans l’entreprise et encourager les employeurs à créer le dialogue avec leurs employées.

Nous avons conscience que beaucoup reste à faire pour changer les mentalités, tant dans le monde du travail que chez les professionnels de santé, mais ce n’est pas par cette proposition de loi que nous atteindrons cet objectif.

Pour ces raisons, le Gouvernement sera défavorable à ce texte.

Le travail à mener est plus complexe et plus global. C’est avant tout un enjeu de santé publique et d’accès aux soins.

À titre d’exemple, pour une femme atteinte d’endométriose – cas le plus représentatif –, l’errance diagnostique, c’est-à-dire la période entre le moment où elle commence à avoir des symptômes et le moment où le diagnostic est posé, est de sept ans : c’est sur ce point que nous devons agir. Il est insupportable d’imaginer qu’une femme reste sept ans à souffrir sans prise en charge, sept ans sans qu’un nom soit posé sur son mal. (Mme Corinne Féret sexclame.)

Il faut agir sur tous les leviers. Tel est l’objectif notamment de la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose, présentée en février 2022 par le Président de la République. Je pense ainsi à la formation des professionnels, qui doit permettre de diffuser les bonnes pratiques dans la communauté de soignants, pour que le diagnostic soit plus rapide ; à l’amélioration de l’accès aux soins, en développant des filières de prise en charge dans toutes les régions ; à l’accélération de la recherche – nous consacrons 30 millions d’euros à la recherche sur ce sujet par le biais du programme Santé des femmes, santé des couples. Voilà autant d’axes de travail qui nous animent.

La mise en œuvre de cette stratégie a permis d’aboutir à de premières avancées concrètes – je tiens à en citer quelques-unes.

L’endométriose est, par exemple, inscrite aujourd’hui dans les plaquettes de formation initiale du deuxième cycle des études de médecine et un module de formation continue est également en cours d’établissement. (Mme Émilienne Poumirol ironise.)

Par ailleurs, la Haute Autorité de santé (HAS) a été saisie afin qu’elle actualise, cette année, ses recommandations et ses bonnes pratiques de prise en charge, qui datent de 2018.

L’assurance maladie a également, à la suite d’une instruction de septembre 2023, actualisé, précisé et harmonisé les principes d’évaluation des dossiers des patientes dans les demandes de reconnaissance d’ALD 31.

Mme Émilienne Poumirol. Hors sujet ! Il ne s’agit pas du diagnostic de l’endométriose ! (On renchérit sur les travées du groupe SER.)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Enfin, la structuration des filières régionales pour la prise en charge de l’endométriose a progressé : on dénombre, en janvier 2024, cinq régions en stade avancé et dix régions en stade intermédiaire de développement.

Le Gouvernement continue et continuera de s’engager auprès des patientes. J’y veillerai notamment en poursuivant les travaux du comité de pilotage de la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose.

Croyez en ma volonté pour avancer sur ce dossier. (Marques de désapprobation sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Patrick Kanner. Ce n’est pas très progressiste !

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Alain Marc.)

PRÉSIDENCE DE M. Alain Marc

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen de la proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail.

Mes chers collègues, je vous rappelle que la discussion de ce texte, qui s’inscrit dans le cadre d’un ordre du jour réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, prendra fin à seize heures dix.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Saïd Omar Oili.

M. Saïd Omar Oili. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, il n’est pas de sujet plus prégnant dans le débat public que celui de la place des femmes dans notre société.

Un grand mouvement de fond, dans toutes les sphères de la vie sociale, a permis une libération de la parole sur un grand nombre de sujets, dont certains pouvaient être tabous, comme celui de la menstruation et, plus particulièrement, des dysménorrhées, ou règles douloureuses. Ces questionnements contemporains peuvent conduire à s’interroger sur la manière d’accompagner au mieux les femmes qui subissent de telles situations.

La présente proposition de loi crée ainsi un arrêt de travail, valable pour une durée d’un an, en cas de dysménorrhée constatée par un avis médical. Cette disposition permettrait ainsi une absence d’une durée de deux jours par mois lorsque la femme est en incapacité physique de travailler, absence qui serait indemnisée sans jour de carence.

Avant de revenir sur le fond des mesures proposées, laissez-moi vous remercier, mes chers collègues, de mettre en lumière un sujet de société trop souvent invisibilisé, à la fois par les femmes, qui ont eu tendance à taire ces douleurs, et par la société, qui pendant longtemps ne leur a pas laissé l’espace nécessaire à la libération de cette parole.

C’est dans ce même esprit de construction d’une meilleure visibilité des problématiques des femmes que l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne avait souhaité, en avril dernier, encourager les employeurs à s’engager pour une meilleure prise en charge de ce temps pour les femmes souffrant de dysménorrhées et, notamment, d’endométriose.

Cette déclaration venait à la suite de la décision de plusieurs employeurs d’instaurer une prise en charge spécifique et flexible de leurs salariées ; ce fut le cas du groupe Carrefour, ou encore de la commune de Saint-Ouen-sur-Seine.

Dans l’ensemble des cas où ce dispositif a été mis en place, cela s’est fait par le dialogue social et par l’adaptation des mesures à la réalité de chacune ; c’est ainsi que les mesures prises ont pu être les plus efficaces.

C’est pourquoi il nous semble indispensable de laisser cette méthode en place. Plutôt que de contraindre, il nous faut inciter : inciter les employeurs et les responsables du personnel à trouver des solutions adaptées à leur échelle ; les inciter aussi à une flexibilité accrue dans l’adaptation du temps de travail. En cela, le Gouvernement a un rôle moteur à jouer ; nul doute qu’il saura répondre à ces attentes.

Il nous faut en permanence prendre garde à ne pas aboutir, en voulant être mieux-disants, à être « moins-faisants ». En effet, la mise en place d’un arrêt de travail pour une pathologie spécifique soulève plusieurs questionnements, qui ne trouvent pas de réponses dans ce texte.

Nous voulons bien évidemment que de tels dispositifs puissent trouver des concrétisations partout où c’est possible. Mais les généraliser présente un risque, souligné par certaines associations féministes, ainsi que par des syndicats : ainsi de la CGT, par le biais de sa secrétaire générale, Sophie Binet. Ces acteurs craignent un effet pervers de ces mesures pour l’employabilité des femmes. Là où la démarche est coconstruite avec les employeurs, elle devient au contraire pour eux un argument d’attractivité.

De plus, nous émettons certaines réserves quant au risque que soulèverait l’instauration d’un tel arrêt, reconductible pour un an, pour le secret médical. En effet, il obligerait indirectement la personne employée à donner la raison de ses absences, au vu de leur périodicité.

Enfin, l’arrêt médical est une solution de dernier recours pour de nombreuses femmes. L’enjeu principal est de travailler en amont et de permettre à chacune d’être prise en charge médicalement quand c’est possible ; il faut pousser les femmes à consulter, en continuant ce mouvement de libération de la parole.

À l’aune de cet exposé, contraint dans le temps, vous comprendrez, madame la rapporteure, que trop de questions restent en suspens pour nous convaincre que la solution que vous proposez, aussi simple soit-elle dans son exposé, est efficiente et réalisable.

Nous entendons le message politique que vous portez, et nous le comprenons. Mais les réponses apportées ne nous semblent ni concertées ni facilement réalisables sur le terrain, au vu de la multitude des situations et des pathologies.

Dès lors, faute de pouvoir vous soutenir dans votre entreprise, madame la rapporteure, j’appelle le Gouvernement, par votre intermédiaire, monsieur le ministre, à continuer d’avancer sur ce sujet. Il faut inciter les entreprises, petites et grandes, à mieux prendre en compte la réalité vécue par les femmes dans l’organisation de leur temps de travail.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Saïd Omar Oili. Il faut aussi continuer à pousser ces mêmes femmes à se faire suivre médicalement, pour que chacune puisse trouver des solutions à ses problématiques.

Les membres de notre groupe voteront donc, bien sûr, contre cette proposition de loi.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Pourquoi « bien sûr » ?

M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marion Canalès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, j’ai mes règles. Mais j’ai la chance de ne pas faire partie des 16 % de femmes qui sont alors dans l’incapacité de travailler, ce qui m’aurait empêché de me présenter devant vous pour exposer la position du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur cette proposition de loi. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.)

Ce n’est absolument pas une provocation de ma part que de dire cela. Je ne fais que rappeler un état de fait, qui donne lieu à cette proposition de loi : il faut déterminer comment on accompagne les femmes qui en souffrent chaque mois, comment on traite ce sujet de société, car c’en est bien un – je remercie d’ailleurs notre collègue Saïd Omar Oili, seul homme intervenant dans cette discussion générale, d’avoir souligné ce point.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le marché du travail s’est fortement féminisé. La loi Roudy, adoptée il y a quarante ans, a ouvert la possibilité de prendre des mesures au seul bénéfice des femmes, afin d’établir – je dirais même de rétablir – l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, tout particulièrement en remédiant aux inégalités qui, de fait, les affectent.

Nous entendons, par la présente proposition de loi, participer à ce progrès en prenant en compte une spécificité de la condition féminine qui, si elle n’a pas été reconnue jusqu’à présent, crée une véritable iniquité.

À l’image de la création récente d’un arrêt de travail sans délai de carence en cas de fausse couche, on ne doit pas laisser au dialogue social la responsabilité de répondre au problème des menstruations incapacitantes.

Il n’est pas question de simples règles douloureuses, mais bien de douleurs menstruelles incapacitantes, dont nous ne souffrons pas toutes : ce sont, je le redis, 16 % des femmes qui sont concernées. On ne peut, on ne doit plus feindre d’ignorer les conséquences de ces douleurs sur les femmes et leurs conditions de travail !

C’est bien ce qui justifie d’établir un cadre légal, plutôt que de renvoyer le problème à la responsabilité des employeurs et, en particulier, des collectivités.

Certaines d’entre elles s’en sont certes saisies, parfois par des délibérations votées à l’unanimité, mais le préfet leur a interdit de mettre en œuvre les mesures adoptées faute de cadre légal. On ne peut donc renvoyer le sujet aux négociations sociales : il faut prendre le problème à bras-le-corps ! La généralisation de ce droit est l’assurance de ne pas créer de nouvelles inégalités en fonction des employeurs.

Notre proposition de loi, dans l’esprit de son auteure, Mme Conway-Mouret, et de sa rapporteure, Mme Rossignol, ne vise nullement à donner des leçons de morale à nos collègues.

Ce n’est pas une proposition de loi moralisatrice ; c’est une proposition de loi d’ouverture. Et je suis particulièrement heureuse que nous ayons pu discuter avec une partie de nos collègues pour l’améliorer, car elle n’est pas parfaite, comme nous aurons l’occasion de le voir lors de l’examen des amendements.

Je veux rassurer ceux de nos collègues que rendraient un peu fébriles certaines inquiétudes, notamment quant à l’appel d’air que la mesure pourrait susciter et à son coût.

Tout d’abord, on sait qu’en matière de politique sociale la tendance est plutôt au non-recours qu’à l’abus et à la fraude.

Ensuite, de toute façon, c’est un état de fait : les femmes qui souffrent de menstruations incapacitantes ne peuvent pas venir travailler ; elles sont déjà absentes et subissent de ce fait une double peine, par la perte de salaire qu’entraîne leur absence.

En créant un cadre légal en la matière et en supprimant le délai de carence, cette proposition de loi permet également de réduire le recours à des rendez-vous médicaux réguliers, et ce dans un contexte – ce n’est pas à vous, monsieur le ministre, que je vais l’apprendre – de tension dans des zones sous-dotées en personnel médical.

Ce texte permet aussi de réduire la durée des arrêts maladie, puisque la perte de revenus liée au jour de carence encourage les salariées à prolonger leur absence, ce qui rend la gestion des ressources humaines plus compliquée dans les entreprises. Certaines collectivités, comme la commune de Saint-Ouen-sur-Seine, commencent à cet égard à démontrer l’effet positif de la mesure proposée.

Enfin, notre proposition permet de ne pas faire subir aux femmes les pertes de revenus dues à l’accumulation des jours de carence.

Devons-nous une nouvelle fois rappeler que les femmes du secteur privé gagnent déjà en moyenne 16 % de moins que les hommes, à temps plein ? Oui, je pense que ce rappel est nécessaire ! L’an dernier, les femmes ont travaillé gratuitement à partir du 6 novembre 2023.

Devons-nous rappeler qu’il apparaît souvent que, quand un métier se féminise, il se précarise ? Oui !

Devons-nous enfin rappeler que, dans nos collectivités, dont nous sommes les porte-parole, les femmes représentent près de 98 % des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem), 80 % des agents de restauration, ou encore 93 % des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) ? Encore une fois, oui !

Nos collectivités font face à des problématiques structurelles d’absentéisme, à laquelle cette proposition de loi pourra en partie répondre – je dis bien « en partie », tant le défi est majeur.

Enfin, notre proposition de loi s’inscrit dans le cadre de politiques de prévention, dont l’importance est sans cesse rappelée, au sein même de notre commission des affaires sociales. En effet, nous encourageons ainsi les femmes à être accompagnées.

On rappelle sans relâche que la prévention est souvent le parent pauvre de nos politiques en matière de santé publique, alors qu’elle devrait être à la base de tout – mieux vaut prévenir que guérir – et surtout qu’elle permet à l’assurance maladie de moins dépenser à terme.

Permettre aux femmes qui souffrent de menstruations incapacitantes – ce n’est pas, je le redis, le cas de toutes les femmes, tout le monde ne se ruera donc pas sur cet arrêt menstruel – de bénéficier d’un arrêt sur avis médical, c’est encourager ces femmes à rencontrer des professionnels de santé, pour que leurs symptômes soient pris en compte et leur maladie éventuellement identifiée.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué le diagnostic de l’endométriose ; ce n’est pas le sujet central de cette proposition de loi, mais cela peut faire partie de cet accompagnement. On ne peut pas pour autant répondre qu’on va avancer sur l’endométriose : le problème est plus large.

À nous de nous assurer qu’un fait propre aux femmes n’emporte pas une inégalité dans le travail, mais qu’il est au contraire reconnu, pris en charge et encadré.

Voter cette proposition de loi, c’est choisir l’équité, mais c’est également, alors que nous approchons de la journée mondiale de la justice sociale, faire un acte de justice sociale. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cette après-midi vise à mettre en place les conditions d’une meilleure prise en considération de la santé des femmes au travail, un objectif auquel nous ne pouvons que souscrire, car l’amélioration de la prise en charge thérapeutique des femmes souffrant de dysménorrhées doit être une priorité.

Nous le savons tous, l’endométriose est aujourd’hui une pathologie bien trop peu connue de nos concitoyens. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cette maladie touche près de 10 % des femmes et des filles en âge de procréer, soit 190 millions de personnes à l’échelle mondiale.

Cette maladie chronique est associée à des douleurs aiguës et perturbantes. Or il n’existe pas de réel remède contre l’endométriose. Les traitements actuels visent seulement, en général, à en soulager les symptômes.

Aujourd’hui, le manque de prévention dès le plus jeune âge rend complexe le diagnostic de la pathologie. Il serait pourtant primordial, pour les personnes souffrant de cette maladie, de bénéficier d’un diagnostic précoce et d’un traitement efficace. Il reste donc de véritables défis à relever et des priorités à définir.

Aujourd’hui, parce que le diagnostic est difficile à établir, mais aussi par manque de soins et de moyens, les symptômes sont assez tardivement pris en considération et les femmes luttent difficilement contre cette maladie.

Les diagnostics tardifs font que les malades bénéficient rarement d’un accès rapide aux traitements existants que sont certains analgésiques non stéroïdiens, des contraceptifs oraux et des contraceptifs progestatifs.

Le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé le 11 janvier 2022 le lancement d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose ; il en a fait une cause nationale et un enjeu de santé publique. La France entreprend, enfin, de faire de l’endométriose un véritable sujet. Nous attendons donc que soient prises les mesures nécessaires pour prévenir au plus tôt les symptômes et trouver le diagnostic adéquat.

Néanmoins, il me semble qu’il conviendrait de nous nous interroger sur l’approche la plus efficace pour traiter ce sujet important : est-il question d’une prise en charge médicale ou de l’affirmation d’un droit social ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Les deux !

Mme Béatrice Gosselin. Pour ma part, je pense que l’institutionnalisation d’un congé menstruel ou d’un arrêt maladie spécifique pourrait induire un effet secondaire non désiré : exposer durablement les jeunes femmes à des difficultés dans leur intégration professionnelle.

Les discriminations à l’embauche existent dans les faits : les jeunes femmes dont l’état physique est perturbé par cette maladie peinent à se maintenir dans leur activité professionnelle, la charge mentale liée à leur activité professionnelle s’ajoutant à celle qui découle des problèmes domestiques et familiaux.

La discrimination risquerait donc d’être renforcée : à compétences égales, certains employeurs pourraient être tentés de privilégier les candidatures masculines, afin d’éviter la gestion de ces difficultés récurrentes.

Mme Émilienne Poumirol. C’est déjà le cas !

Mme Béatrice Gosselin. De plus, on porterait atteinte à l’intimité de la personne, qui doit toujours être préservée. En effet, par la prescription d’un arrêt reconductible pendant un an, l’intimité de la patiente se trouverait dévoilée ; je pense que ce n’est pas une bonne chose.

Ces problématiques relèvent davantage, à mon sens, d’une prise en charge médicale.

Toutefois, si l’on intégrait cette pathologie parmi les affections de longue durée, ce qui limiterait l’effet du jour de carence pour la malade, le coût de cette mesure pour la sécurité sociale avoisinerait les 100 millions d’euros par an, une somme qui, au regard de l’état actuel des finances publiques, est loin d’être négligeable. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Mme Émilienne Poumirol. Ce n’est pas un argument !

Mme Béatrice Gosselin. Enfin, même si offrir aux personnes atteintes par cette pathologie la possibilité de télétravailler pouvait constituer un aménagement de poste adéquat, cela entraînerait toutefois une rupture d’égalité entre les professions.

Autant l’on peut concevoir des journées de télétravail dans certains métiers du secteur tertiaire, autant c’est un aménagement impossible pour d’autres catégories professionnelles.

Un diagnostic précoce, oui, évidemment, il faut y arriver ! Une amélioration des traitements, oui encore ! En revanche, une discrimination possible à l’embauche, une atteinte à l’intimité et une rupture d’égalité entre les professions, non !

Les membres du groupe Les Républicains voteront donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue la décision d’aborder ce sujet dans la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui, qui met en exergue un important problème rencontré par la femme dans le monde professionnel.

Ce texte témoigne aussi de l’évolution des mentalités sur des sujets restés très longtemps tabous, parmi lesquels on compte les menstruations ; quelque 15,5 millions de femmes dans notre pays sont pourtant concernées.

La création d’un arrêt de travail pouvant être prescrit aux femmes qui souffrent de douleurs menstruelles handicapantes, indues notamment par l’endométriose, et qui se trouvent dans l’incapacité physique de continuer le travail constitue le cœur de ce texte.

Cet arrêt, valable un an et renouvelable, permettrait à la femme qui en bénéficie de s’absenter un ou deux jours par mois et d’être indemnisée sans délai de carence, contrairement au droit en vigueur. Ces deux jours correspondent, dans la majorité des situations, au temps nécessaire pour ces femmes au besoin si particulier.

Le motif est donc louable : prendre en considération la spécificité de certaines femmes subissant une double peine : elles ressentent des douleurs menstruelles et en sont pénalisées dans leur travail ou dans leur rémunération.

Tout comme la grossesse est prise en compte dans le cadre du travail, il est légitime de s’interroger sur cette autre particularité. Néanmoins, le groupe Les Indépendants n’est pas convaincu que la voie proposée dans ce texte soit la bonne.

Viser les dysménorrhées en général nous semble beaucoup trop large. En effet, celles-ci ne découlent pas toutes d’une pathologie, même si elles peuvent y être associées.

Dès lors, il ne nous semble pas raisonnable qu’un arrêt maladie, valable deux jours par mois, tous les mois, puisse être accordé sans qu’il repose sur le diagnostic d’une pathologie. Notre collègue Daniel Chasseing a donc déposé un amendement visant à restreindre le périmètre d’application de l’arrêt de travail proposé.

Le coût annoncé du dispositif proposé est de l’ordre de 100 millions d’euros, mais ce chiffrage ne vaut que si le dispositif est appliqué à la seule endométriose. Or le texte, dans sa rédaction actuelle, vise toutes les douleurs menstruelles.

Par ailleurs, ce sujet mérite une approche globale : il faudrait certainement un projet de loi pour mesurer les conséquences d’un tel dispositif. Nous ne savons pas combien de femmes seraient concernées par cet arrêt de travail, ni l’impact qu’il aurait sur les différentes catégories professionnelles, ni a fortiori les bouleversements que ce dispositif entraînerait dans l’organisation du travail, dans le privé comme dans le public.

Enfin, il faut rappeler que l’intégration de l’endométriose parmi les affections de longue durée hors liste, ou ALD 31, est loin d’être satisfaisante. Entre les difficultés de procédure et d’obtention du statut, la prise en compte de certaines formes seulement et les délais administratifs, seulement 0,5 % des femmes atteintes de cette pathologie sont aujourd’hui reconnues comme souffrant d’une ALD.

Il nous semble primordial d’améliorer l’accès de toutes les femmes qui souffrent à ce dispositif. Il faut améliorer le diagnostic de l’endométriose, mais aussi celui d’autres pathologies dont on entend moins parler, comme les fibromes ou le syndrome des ovaires polykystiques.

Je souhaite y insister, ces pathologies ne se caractérisent pas toujours par des douleurs, et un suivi gynécologique régulier reste le meilleur moyen de les diagnostiquer et de diminuer ainsi le risque d’apparition de problèmes plus graves, comme un cancer ou l’infertilité. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)

Le groupe Les Indépendants ne soutiendra pas ce texte, mais il reste sensible à l’importance de ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Brigitte Devésa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais avant toute chose remercier Mme Conway-Mouret de s’être saisie du sujet du bien-être des femmes au travail et de l’effet des menstruations sur lui. Il s’agit d’un sujet important, mais trop souvent ignoré et, malheureusement, encore tabou.

Je tiens également à saluer le travail de Laurence Rossignol, qui, en tant que rapporteure, a participé à l’enrichissement de cette proposition de loi.

Le texte que nous examinons aujourd’hui vise à adapter notre assurance maladie à la problématique des dysménorrhées, c’est-à-dire des douleurs menstruelles. Celles-ci concernent près de la moitié des femmes en âge de menstruer, selon un sondage de l’Ifop réalisé en mai 2021.

Ces douleurs peuvent être handicapantes dans le cadre du parcours professionnel des femmes : ainsi, 44 % d’entre elles ont déjà manqué le travail ou connaissent une amie qui a déjà manqué le travail en raison de telles douleurs.

Les douleurs menstruelles peuvent être vues comme un angle mort de notre système d’assurance maladie. En effet, l’existence d’un jour de carence empêche une prise en charge efficace des dysménorrhées, qui ne durent que quelques jours chaque mois. De plus, leur répétition mensuelle fait qu’il serait très coûteux pour l’assurance maladie d’imposer la délivrance d’un certificat médical à chaque fois qu’elles surviennent.

Pour y remédier, il nous est proposé dans ce texte un dispositif qui, s’il est innovant, nous semble mal adapté.

En effet, la proposition de loi prévoit la mise en place d’un nouveau type d’arrêt de travail. Une fois délivré par le médecin traitant de la personne concernée, il permettrait à celle-ci de prendre jusqu’à deux jours d’arrêt de travail par mois, pendant une année, en raison de douleurs menstruelles. Ces deux jours d’arrêt de travail ne seraient pas amputés d’un jour de carence. Enfin, pour des raisons d’efficacité, ce nouveau type d’arrêt de travail pourrait être prescrit par un médecin ou par une sage-femme.

Ainsi, cette proposition de loi vise à remédier aux deux principaux obstacles de la prise en charge des dysménorrhées par l’assurance maladie : leur courte durée et leur répétition mensuelle.

Néanmoins, ce dispositif nous semble mal adapté, car il présente un certain nombre d’incohérences.

Tout d’abord, les douleurs menstruelles, si elles sont récurrentes, ne se répètent pas forcément chaque mois. Il semble donc peu pertinent de délivrer, par avance, un arrêt de travail de deux jours par mois pendant un an, alors que les dysménorrhées peuvent ne pas se manifester certains mois.

Mme Émilienne Poumirol. Rien n’oblige à le faire !

Mme Brigitte Devésa. De plus, ces douleurs ne peuvent être mesurées par un médecin, ce qui exclut, pour l’assurance maladie, toute possibilité de contrôle médical de la personne bénéficiant d’un tel arrêt de travail.

Le dispositif proposé suscite un autre problème : celui du respect du secret médical et de la vie privée de l’assurée.

Les femmes bénéficiant d’un tel arrêt de travail devraient, de facto, informer leur employeur du moment où elles ont leurs règles et révéler qu’elles subissent des douleurs menstruelles.

Or ce sujet – nous le déplorons – reste un tabou dans notre société : dans une étude de l’Ifop d’octobre 2022, quelque 21 % des femmes interrogées disaient avoir déjà subi des moqueries ou des remarques désagréables liées à leurs menstruations.

En outre, cette proposition de loi nous semble créer une inégalité entre les femmes en fonction de leur profession : tout d’abord, entre les femmes salariées et celles qui ne le sont pas, car ni les professions libérales ni les entrepreneuses ne bénéficieraient de cette mesure ; ensuite, entre les femmes qui peuvent télétravailler et celles qui ne le peuvent pas. En effet, ce texte permet d’ouvrir, par une négociation collective, la possibilité pour les femmes subissant des douleurs menstruelles de télétravailler au lieu de bénéficier d’un arrêt.

Cette mesure ne concernerait, par définition, que les femmes qui peuvent télétravailler. Les autres – souvent celles qui exercent les métiers les plus pénibles – n’auraient que la possibilité de venir travailler ou de se mettre en arrêt maladie. Elles risqueraient donc de subir des pressions de leur employeur pour ne pas prendre leur arrêt de travail mensuel.

En plus de ces incohérences, cette proposition de loi nous semble impossible à financer.

Aucun chiffrage fiable du coût d’une telle mesure n’a été réalisé. Cependant, la simple suppression du jour de carence pour les arrêts de travail menstruels liés à l’endométriose coûterait environ 100 millions d’euros par an à la Sécurité sociale.

M. Laurent Burgoa. Rien que cela !

Mme Brigitte Devésa. Un congé menstruel de deux jours par mois, accordé à toutes les femmes souffrant de dysménorrhées, se chiffrerait donc en milliards d’euros. C’est malheureusement inenvisageable, au vu de l’état actuel de nos finances sociales.

De plus, il faut ajouter à ce coût pour l’assurance maladie celui de la perte de productivité pour nos entreprises, qui se verraient privées d’un quart de leur masse salariale, deux jours par mois.

Ce serait, enfin, accentuer les problèmes d’effectifs dans certains métiers en tension où les femmes sont très présentes, comme les professions de santé.

Aussi, plutôt que de stigmatiser les femmes et leurs « règles incapacitantes », il conviendrait vraiment de prendre en charge les dysménorrhées de façon médicale. Ce n’est pas une « histoire de femmes » : c’est un vrai enjeu de santé publique !

Mme Audrey Linkenheld. Interdisons les règles, alors !

Mme Brigitte Devésa. Mes chers collègues, malgré la bonne volonté dont elle témoigne, cette proposition de loi nous semble présenter trop de failles et être trop coûteuse pour notre système de sécurité sociale.

Pour ces raisons, une partie des membres du groupe Union Centriste ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme Ghislaine Senée. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis ravie que nous examinions aujourd’hui un texte sur la santé des femmes au travail et sur l’adaptation du milieu professionnel aux douleurs incapacitantes consécutives aux menstruations.

Les règles ont trop longtemps été perçues comme une fatalité. La moitié de l’humanité a longtemps dû apprendre à gérer et à cacher son mal pendant ces périodes, ce qui ajoutait à la douleur l’incommunicabilité des maux.

Les statistiques montrent que près d’une femme sur deux souffre de règles douloureuses. Il est acquis aujourd’hui que ces douleurs peuvent être incapacitantes, à plus forte raison pour les plus de 10 % de femmes atteintes d’endométriose, d’un fibrome utérin ou d’une autre pathologie menstruelle.

Fatigue, souffrance, perte d’attention et de concentration, risque accru d’accidents du travail et problèmes de sécurité : il est temps de lever le tabou qui existe sur les règles et d’alléger la charge qu’elles font porter sur les personnes menstruées.

Par ailleurs, dans un contexte économique et social de plus en plus difficile, l’état de santé des femmes ne cesse de se dégrader.

Ainsi, 26 % des jeunes femmes ont connu un épisode dépressif en 2023, et le nombre de femmes s’estimant en bonne santé physique a baissé de 10 % ces dernières années. Le nombre d’accidents au travail a augmenté de 41,6 % au cours des deux dernières décennies, avec une progression des maladies deux fois plus rapide, ce qui témoigne d’une fatigue importante, notamment due à la pénibilité des secteurs à la main-d’œuvre majoritairement féminine.

Il convient donc aujourd’hui de prendre la mesure de la situation et d’agir en conséquence, pour ne pas ajouter de difficultés à la vie active des femmes.

Il est enfin temps de prendre en compte l’importante hausse du taux d’activité des femmes depuis soixante ans, depuis une époque où, je le rappelle, les femmes devaient encore demander l’autorisation de leur mari pour travailler.

Il ne fait d’ailleurs aucun doute que, si les douleurs menstruelles étaient subies par des hommes, le monde du travail aurait déjà mis en œuvre les adaptations nécessaires.

Plusieurs collectivités où nos amis politiques, chère Hélène Conway-Mouret, sont ensemble aux responsabilités, par exemple la métropole de Lyon ou la commune de Saint-Ouen-sur-Seine, ont mis en place un tel arrêt menstruel, qui a désormais besoin d’un cadre légal consolidé. Ces expérimentations ont montré que de tels dispositifs, lorsqu’ils sont possibles, apportent une bonne solution sans aboutir à une multiplication des absences.

Cette autorisation d’absence ne pourra être apportée – cela a déjà été rappelé – que sur prescription médicale par un professionnel de santé, dans le cas de dysménorrhées incapacitantes.

Quant au risque de discriminations de genre, soulevé par certains de nos collègues de la majorité, il est clair que le manager ne doit pas avoir à connaître le motif de l’absence ; seul le service des ressources humaines gérera le dispositif, en toute confidentialité.

L’histoire montre que les femmes ont conquis leurs droits de manière progressive et, toujours, avec difficulté. La libération de la parole, défendue par la jeune génération, a permis de lever les tabous sur des problèmes occultés trop longtemps.

La reconnaissance de l’arrêt menstruel par les institutions publiques est une évolution naturelle de notre société, qui se fera immanquablement.

Dans un contexte européen où les conservatismes ressurgissent et où les menaces pesant sur les droits acquis par les femmes se multiplient, la France ne doit pas être à la traîne, mais bien rester dans le camp du progrès.

Aujourd’hui, le Sénat s’honorerait véritablement à voter en faveur de ce texte : il se ferait ainsi précurseur en la matière dans notre pays.

Vous l’aurez compris, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K. – Mme la rapporteure applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 27 juin 2023, la délégation aux droits des femmes du Sénat adoptait un rapport d’information intitulé Santé des femmes au travail : des maux invisibles, dans lequel elle soulignait notamment le déficit persistant d’approches genrées en matière de santé au travail, qui entraîne une forme d’invisibilisation de la pénibilité du travail des femmes.

Pourtant, 60 % des personnes atteintes de troubles musculo-squelettiques (TMS) sont des femmes.

Le rapport mettait également en évidence les difficultés spécifiques aux femmes, comme les pathologies menstruelles incapacitantes, la grossesse, l’infertilité, la ménopause et l’endométriose.

La proposition de loi déposée par nos collègues socialistes se limite à la création d’un arrêt menstruel pour les femmes souffrant de dysménorrhée. Nous regrettons qu’elle n’embrasse pas l’ensemble du périmètre traité par le rapport sénatorial, qui mérite, selon nous, une plus grande attention.

Néanmoins, ce texte a le mérite de lever un tabou sur l’impact du cycle menstruel des femmes au travail.

Plusieurs de nos collègues ont déjà cité un certain nombre de chiffres. Je rappellerai simplement que 65 % des femmes ont déjà rencontré des difficultés liées à leurs règles dans le cadre de leur activité professionnelle. Il importe donc de prendre en compte cette réalité et d’améliorer l’organisation du travail.

Je souhaite lever immédiatement un malentendu : cette proposition de loi crée non pas un congé, mais un arrêt menstruel : il offre la possibilité aux médecins de prescrire une nouvelle forme d’arrêt de travail, sans délai de carence, pour deux jours par mois au maximum, aux femmes souffrant de dysménorrhée, et cela pour une durée d’un an.

Le congé menstruel relève de la décision unilatérale des employeurs, qui en assurent le financement. Ainsi, certaines entreprises et certaines collectivités ont fait le choix de l’instaurer pour leurs salariées ; pour notre part, nous n’y sommes pas favorables.

Un tel congé est une fausse bonne idée, qui pourrait entraîner des discriminations à l’embauche à l’encontre des femmes et une remise en cause du secret médical. Les employeurs n’ont pas à connaître la raison pour laquelle leurs employées sont absentes deux jours par mois.

En revanche, et c’est la raison pour laquelle nous voterons ce texte, nous sommes favorables à la mise en place d’un arrêt médical en cas de menstruations incapacitantes.

Contrairement à un congé, un arrêt conduit à une indemnisation par la sécurité sociale et concerne toutes les femmes souffrant de douleurs menstruelles, pas uniquement celles qui souffrent d’endométriose.

Il est probable, hélas, que le conservatisme moral qui prévaut en ce lieu… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Et voilà !

Mme Silvana Silvani. … rende difficile le franchissement de cette étape dans le processus de prise en compte du corps des femmes.

Ce texte constitue un petit pas, certes, mais un pas tout de même vers une meilleure prise en considération de la santé des femmes au travail.

Pour cette raison, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à saluer l’initiative de notre collègue Hélène Conway-Mouret.

Le désir d’améliorer les conditions de travail des femmes et de reconnaître les difficultés spécifiques qu’elles peuvent rencontrer en raison de leur cycle menstruel est tout à fait louable.

Ce texte nous permet de débattre d’un sujet qui touche, chaque mois, des millions de femmes souffrant de dysménorrhée ou d’endométriose.

Comme cela a été rappelé, cette réalité est trop souvent négligée. Pourtant, les menstruations peuvent provoquer des douleurs physiques qui affectent considérablement la vie quotidienne, notamment professionnelle, de certaines femmes.

La présente proposition de loi nous permet aussi de briser le tabou actuel autour des menstruations, une préoccupation dont la représentation nationale s’est emparée depuis quelques années.

Particulièrement sensibles à ce sujet, nous avions déposé, il y a quelques années déjà, sur l’initiative de notre collègue Nathalie Delattre, une proposition de résolution visant à assurer la gratuité des produits de protection hygiénique féminine et à garantir leur sécurité sanitaire.

Si nous comprenons mieux le problème et si les diagnostics sont plus fréquents et précoces, le traitement de l’endométriose reste un défi tout aussi crucial. Dans le monde du travail, il faut que la compréhension et l’appréhension de cette maladie soient à la hauteur des douleurs supportées par les femmes qui en sont atteintes.

J’entends bien qu’il existe un véritable besoin, dans la mesure où, chaque mois, certaines femmes perdent une partie de leur salaire parce qu’elles sont obligées de poser des jours de congé ou qu’elles se voient imposer des jours de carence.

Plusieurs pays ont d’ailleurs mis en place un congé menstruel, mais il s’agit, dans la plupart des cas, d’un jour de congé accordé et rémunéré par l’employeur.

Au sein de notre groupe, nous sommes majoritairement favorables à la mise en lumière de ces problèmes et à cette proposition de loi. Malgré tout, quelques-uns de mes collègues ont exprimé certaines inquiétudes à l’égard de ce texte.

Tout d’abord, l’instauration d’un arrêt menstruel ne risque-t-elle pas d’être contre-productive ? Alors que nous travaillons sans relâche pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes, une telle mesure pourrait renforcer la discrimination à l’embauche ou accentuer les différences d’évolution des carrières.

Il faut y prendre garde, car la situation des femmes sur le marché de l’emploi reste, encore aujourd’hui, fragile : pénalisées par leurs éventuels congés de maternité, elles sont moins bien payées que les hommes et se heurtent souvent au fameux « plafond de verre ».

Nous devons par ailleurs être attentifs à ce qu’un tel dispositif ne relègue pas les menstruations et la douleur au foyer : il ne doit pas contribuer à les invisibiliser.

Se pose également au sein des entreprises la question du secret médical, qui se trouverait quelque peu éventé.

Enfin, la mise en place d’un arrêt menstruel pourrait représenter un défi logistique et organisationnel pour les entreprises, en particulier les plus petites d’entre elles.

Nous vous avons bien écoutée, madame la rapporteure, et nous notons avec intérêt les amendements déposés par notre collègue Annick Billon : ils sont pertinents et, surtout, leur adoption permettra – s’ils sont votés, comme je l’espère – de poursuivre la réflexion autour de la proposition de loi d’Hélène Conway-Mouret.

Je pense plus particulièrement à l’idée d’appliquer ce dispositif sous la forme d’une expérimentation, dont un bilan serait dressé au bout de trois ans. En Europe, l’Espagne étant le seul pays à avoir mis en place un arrêt menstruel, nous manquons en effet de recul.

Limiter la validité du certificat médical à six mois me semble par ailleurs plus prudent, car cela permettrait d’assurer un meilleur suivi de l’évolution des pathologies des femmes souffrant de dysménorrhée.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe RDSE votera majoritairement en faveur de ce texte. Nous estimons qu’un compromis est préférable à un non catégorique à l’issue des débats.

Nous sommes par ailleurs favorables à la poursuite d’une réflexion plus vaste sur les conditions de travail, au sujet desquelles les études en sciences sociales tirent la sonnette d’alarme. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail
Article 1er

Avant l’article 1er

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par Mme Billon, MM. Kern, Courtial, Canévet, Delcros, Folliot, J.-M. Arnaud, Capo-Canellas, Vanlerenberghe et Cambier, Mme Tetuanui, MM. Fargeot, Lafon, Levi et Hingray, Mmes O. Richard, Romagny et Loisier, MM. Delahaye et Chauvet et Mme Saint-Pé, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – La présente loi s’applique, à titre expérimental, pour une durée de trois ans à compter de sa promulgation.

II. – Au plus tard six mois avant la fin de l’expérimentation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport en faisant le bilan et proposant des pistes d’évolution.

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Pour aller dans le sens de notre collègue Maryse Carrère, je précise que ma démarche consiste justement à chercher un compromis sur ce texte, afin que nous puissions avancer sur le sujet.

Le dispositif du congé menstruel n’est proposé en France que par une poignée de structures, collectivités ou entreprises, et uniquement sur leur initiative.

Une mesure similaire au dispositif proposé par notre collègue Hélène Conway-Mouret a été votée il y a un an en Espagne, mais elle n’existe pas pour l’instant dans d’autres pays européens.

Aussi, nous ne disposons que de très peu de recul sur ces deux types de dispositifs, et il n’est pas évident d’anticiper les conséquences socioéconomiques d’une telle proposition de loi.

Les dispositifs visant à améliorer la santé et le bien-être des femmes au travail, dont font partie l’arrêt et le congé menstruel, peuvent se concevoir de multiples façons.

Par exemple, la Catalogne a introduit de la souplesse dans le temps de travail des employées du secteur public lorsque les menstruations de ces dernières affectent leur santé et leur bien-être. Ainsi, en cas de dysménorrhée, les employées concernées peuvent s’absenter pour une durée maximum de huit heures par mois. Le recours à cette flexibilité horaire doit faire l’objet d’un rattrapage au cours des quatre mois suivants, par fractions de trente minutes minimum.

Cet exemple montre qu’il existe plusieurs voies pour régler un même problème.

Les travaux de la délégation aux droits des femmes du Sénat ont mis en avant la nécessité d’agir dès maintenant pour améliorer la santé des femmes au travail.

Notre priorité est d’établir un dialogue avec les employés et un climat de bienveillance. Un certain nombre d’outils sont déjà à la disposition des collectivités, administrations et entreprises.

Au regard de ces considérations, le présent amendement vise à transformer le dispositif proposé en une expérimentation : il faut mettre des mots sur des maux et rendre visible l’invisible !

M. le président. L’amendement n° 14 rectifié bis, présenté par Mme Billon, MM. Kern, Courtial, Canévet, Delcros, Folliot, J.-M. Arnaud, Capo-Canellas, Vanlerenberghe et Cambier, Mme Tetuanui, MM. Fargeot, Lafon, Levi et Hingray, Mmes O. Richard, Romagny et Loisier, MM. Delahaye et Chauvet et Mme Saint-Pé, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – La présente loi s’applique à titre expérimental aux entreprises candidates qui emploient au moins mille salariés, pour une durée de trois ans à compter de sa promulgation.

II. – Au plus tard six mois avant la fin de l’expérimentation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport en faisant le bilan et proposant des pistes d’évolution.

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Cet amendement de repli a pour objet de circonscrire l’expérimentation aux seules entreprises employant plus de 1 000 personnes, un seuil en cohérence avec l’article L. 1142-11 du code du travail créé par la loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.

Cependant, à titre personnel, j’aurais rêvé que le Gouvernement propose une telle expérimentation : l’amendement n° 6 rectifié bis est véritablement le type de disposition que l’exécutif est en mesure de déposer. On expérimenterait et, au terme de trois ans, on dresserait le bilan : si le dispositif fonctionnait, on le généraliserait ; dans le cas contraire, on y mettrait fin. Bref, j’y suis personnellement assez favorable.

Quant à l’amendement n° 14 rectifié bis, je le juge pour ce qu’il est : c’est un simple amendement de repli…

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Hélène Conway-Mouret. Il va reprendre l’amendement à son compte ! (Sourires.)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Afin que l’on aille directement à l’essentiel et que l’on entame au plus vite l’examen des amendements, je ne me suis pas exprimé à l’issue de la discussion générale, même si j’ai pris beaucoup de notes. Je saisis donc cette occasion pour remercier les orateurs de la qualité de leurs prises de parole.

S’agissant de ces deux amendements, je suis assez réservé à l’idée d’une expérimentation, qui impliquerait le versement d’indemnités journalières par la sécurité sociale. Quels seraient les critères retenus ? Comment sélectionner les personnes qui bénéficieraient de l’expérimentation ? Ces procédures sont toujours bien plus complexes à mettre en œuvre qu’elles en ont l’air : elles sont séduisantes à l’écoute, mais évidemment bien moins simples qu’il y paraît.

Par ailleurs, comme l’ont souligné certains orateurs, un tel dispositif aurait des incidences significatives sur le code du travail : on ouvrirait une brèche.

Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, tout cela me conduit à penser que, si le sujet est important, le dispositif proposé est mal ajusté. Je suis par conséquent défavorable à l’idée de l’expérimenter.

Je suis également défavorable à l’amendement n° 14 rectifié bis, dont l’adoption entraînerait une rupture d’égalité, car cette mesure ne profiterait qu’à certaines entreprises ou certaines salariées de ces entreprises. Un tel dispositif me semble poser plus de problèmes encore que le précédent.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Je maintiens ces amendements, dans la mesure où, bien souvent dans cet hémicycle, on nous vend l’expérimentation comme la solution – l’alpha et l’oméga de toute politique.

Monsieur le ministre, vous venez de m’expliquer que ce que je propose est trop complexe. Pardonnez-moi, mais cela me fait immédiatement penser au récent lancement de l’expérimentation sur l’uniforme à l’école. Je n’ai pas l’impression que l’on ait une idée bien précise de la forme que celui-ci prendra ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Maryse Carrère applaudit également.) S’agira-t-il d’une blouse, d’un sweat-shirt, d’un tee-shirt, d’un short, d’un pantalon ?…

Évidemment, ce n’est pas tout à fait la même chose, mais, dans les faits, certains collèges et lycées s’engageront très prochainement dans une phase de test sans vraiment savoir de quoi il retourne.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié bis.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 127 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 336
Pour l’adoption 135
Contre 201

Le Sénat n’a pas adopté.

Je mets aux voix l’amendement n° 14 rectifié bis.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 128 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 336
Pour l’adoption 133
Contre 203

Le Sénat n’a pas adopté.

Article additionnel avant l'article 1er - Amendements n° 6 rectifié bis et n° 14 rectifié bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail
Article 2

Article 1er

Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 162-4-1, il est inséré un article L. 162-4-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 162-4-1-1. – Le médecin ou la sage-femme qui constate qu’une assurée souffre de dysménorrhée, dont l’endométriose, peut établir une prescription d’arrêt de travail, valable pendant une durée d’un an, autorisant l’assurée à interrompre le travail, pour une durée ne pouvant excéder deux jours par mois, chaque fois qu’elle se trouve dans l’incapacité physique de continuer le travail. » ;

2° L’article L. 321-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’assurance maladie assure également le versement d’indemnités journalières, dans les conditions fixées aux articles L. 323-1-2 et L. 323-4-1 A, lorsque l’assurée interrompt le travail après y avoir été autorisée dans les conditions fixées à l’article L. 162-4-1-1. »

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Médevielle et Rochette, Mme Lermytte, MM. Wattebled, Grand, Chevalier, A. Marc, Capus, Brault, Menonville et Somon, Mme Jacquemet et MM. Laménie et Belin, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

de dysménorrhée, dont l’endométriose

par les mots :

d’endométriose symptomatique

La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Par cet amendement, nous proposons de limiter le dispositif figurant à l’article 1er aux femmes souffrant d’endométriose symptomatique. En effet, aujourd’hui, moins de 1 % des femmes atteintes d’endométriose sont reconnues en affection de longue durée dite hors liste.

Nous ne cherchons pas à nier les douleurs des nombreuses autres femmes qui souffrent de dysménorrhée ; nous souhaitons simplement que l’arrêt maladie que nous pourrions créer soit prescrit sur le fondement d’une pathologie faisant l’objet d’un diagnostic établi et rendant le travail effectivement impossible, comme c’est le cas pour l’endométriose symptomatique.

M. le président. Le sous-amendement n° 15, présenté par Mme Canalès et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Amendement n° 1

Alinéa 5

Compléter l’alinéa par les mots :

ou de pathologies dont la liste est définie par décret

La parole est à Mme Marion Canalès.

Mme Marion Canalès. Pour ne pas restreindre le dispositif aux seules femmes souffrant d’endométriose, nous proposons que celui-ci s’applique à des pathologies dont la liste serait définie par décret.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Monsieur le sénateur Chasseing, tout ce qui nous permettra d’aller de l’avant sur le sujet me semble bienvenu.

Au reste, j’ai bien compris que, avec cet amendement, vous cherchez non pas à limiter le périmètre du dispositif, mais à le maîtriser pour nous permettre de continuer à avancer.

Si la commission a émis un avis défavorable sur votre amendement, comme d’ailleurs sur la plupart des amendements déposés sur ce texte, j’y suis donc, pour ma part, favorable.

De mon point de vue, le sous-amendement n° 15 est également utile, parce qu’il tend à confier à la direction de la sécurité sociale (DSS) et au ministère de la santé le soin de compléter la liste des pathologies concernées. Cela étant, la commission n’a pu se prononcer sur ce sous-amendement, car il vient tout juste d’être déposé.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Je tiens moi aussi à saluer les efforts du sénateur Chasseing pour tenter de trouver une voie de passage, afin de donner une suite à ce texte. En cela, sa démarche mérite d’être saluée.

Néanmoins, cette approche reste, selon moi, mal adaptée à l’objectif qui, d’ailleurs, fait consensus sur toutes les travées de cet hémicycle, à savoir mieux prendre en compte la réalité des pathologies dont souffrent effectivement les femmes.

Je souhaite aussi vous rappeler que le délai de carence ne s’applique déjà plus aux femmes atteintes d’endométriose qui sont reconnues en ALD et qu’une partie de la réponse est donc déjà mise en œuvre.

Cela dit, monsieur le sénateur, cette disposition ne rend pas plus vertueux et mieux ajusté le dispositif global de la proposition de loi.

C’est pourquoi je suis défavorable à l’amendement n° 1 rectifié, tout comme je suis défavorable au sous-amendement n° 15.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 15.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié, modifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par Mme Billon, MM. Kern, Courtial, Canévet, Delcros, Folliot, J.-M. Arnaud, Capo-Canellas, Vanlerenberghe et Cambier, Mme Tetuanui, MM. Fargeot, Lafon, Levi et Hingray, Mmes O. Richard, Romagny et Loisier et MM. Delahaye et Chauvet, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

d’un an

par les mots :

de six mois

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Comme vous l’avez compris, mes chers collègues, les amendements que j’ai défendus précédemment visaient à trouver une solution pour toutes ces femmes qui sont en souffrance dans le monde du travail.

Le présent amendement, lui, tend à faire passer d’un an à six mois la périodicité du suivi médical de ces femmes, une durée qui me paraît plus adaptée et plus opportune si l’on veut, comme Mme la rapporteure, en améliorer l’efficacité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Au fond, que le délai soit de six mois ou d’un an ne change rien, car l’adoption de cet amendement ouvrirait une brèche dans le code du travail, lequel ne prévoit aucun dispositif d’arrêt de travail global à l’heure actuelle.

Dans la mesure où, en outre, le dispositif est mal ajusté, le résultat sera de toute façon le même, quelle que soit la durée de validité du certificat médical.

J’émets donc un avis défavorable.

Mme Émilienne Poumirol. Vous n’êtes favorable à rien !

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.

Mme Hélène Conway-Mouret. Je souhaite simplement préciser que, dans un premier temps, nous avions pensé créer un arrêt maladie cadre d’une durée de six mois, mais que nous nous sommes finalement rendu compte que la consultation conduisant au renouvellement de cet arrêt n’était pas médicale à proprement parler.

Nous partons du principe que le premier rendez-vous est une consultation médicale, car il aboutit à la délivrance d’un arrêt menstruel ; de ce fait, la femme souffrant de dysménorrhée ou d’endométriose bénéficie d’un suivi médical, voire du suivi d’une pathologie qui aura été diagnostiquée.

Ce n’est que par la suite, après qu’un suivi médical aura effectivement eu lieu, que cette femme devra se représenter devant un médecin pour renouveler, ou non, son arrêt maladie.

Nous estimons pour notre part qu’il est plus légitime de fixer à un an la durée de cet arrêt : un tel délai sera peut-être nécessaire à la femme concernée pour guérir ; nous espérons en tout cas qu’il lui permettra de bénéficier d’un suivi médicalisé donnant davantage de résultats, afin qu’elle puisse gérer au mieux ses douleurs.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Compte tenu de ce que vient de dire l’auteure de la proposition de la loi, je vais retirer mon amendement.

En revanche, monsieur le ministre, permettez-moi de vous le dire, puisque, selon vous, le dispositif est si mal ajusté, j’attends des dispositifs ajustés pour toutes ces femmes qui sont actuellement en souffrance sur leur lieu de travail !

Mme Émilienne Poumirol. Avec ce ministre, les dispositifs sont toujours mal ajustés !

Mme Annick Billon. J’espère que nous parviendrons à travailler ensemble pour trouver des solutions adaptées, car ce problème concerne énormément de femmes.

Lorsque, comme dans de nombreux pays nordiques, la santé des femmes est réellement prise en considération, celles-ci ne sont pas stigmatisées ; au contraire, elles prennent des responsabilités et ont davantage encore de légitimité dans les entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Je retire donc mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis est retiré.

L’amendement n° 8 rectifié bis, présenté par Mme Billon, MM. Kern, Courtial, Canévet, Delcros, Folliot, Capo-Canellas, Vanlerenberghe et Cambier, Mme Tetuanui, MM. Fargeot, Lafon, Levi et Hingray, Mmes O. Richard, Romagny et Loisier, M. Chauvet et Mme Saint-Pé, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

deux jours

par les mots :

un jour

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Cet amendement vise à aménager le dispositif proposé, en réduisant de deux jours à un jour la durée de l’arrêt maladie pour douleurs menstruelles.

Si l’on compare notre législation dans ce domaine avec celles d’autres pays, on observe que l’arrêt prescrit est le plus souvent d’une journée, voire de huit heures, comme je le mentionnais tout à l’heure pour la Catalogne.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, mais je tiens vraiment, en cet instant, à saluer les efforts d’Annick Billon pour trouver une majorité dans cet hémicycle autour d’un sujet qui, à écouter les uns et les autres, intéresserait et rassemblerait tout le monde.

Dès lors que vos propositions contribuent à concrétiser cette ambition, ma chère collègue, j’y suis, à titre personnel, favorable, d’autant que, à l’Assemblée nationale, notre collègue député Peytavie a lui-même déposé une proposition de loi dans laquelle l’arrêt de travail pour douleurs menstruelles est d’une journée.

À mon sens, voter cet amendement n’est donc pas contraire à l’esprit de la proposition de loi.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Je profite de l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer pour vous dire, madame Billon, que je trouve bien sûr tout à fait louable que vous essayiez, comme je le disais tout à l’heure, de trouver une voie de passage sur ce sujet. Celui-ci, je le pense, méritera d’être débattu dans un esprit de concorde.

Je remarque cependant – je le dis d’une phrase pour ne pas allonger les débats – que tous les orateurs ont insisté dans la discussion générale sur les biais qu’introduit le dispositif en matière de confidentialité et de secret médical. Ce n’est pas un mince sujet, et c’est pourquoi j’estime que cette dimension devrait faire l’objet d’une réflexion plus approfondie.

Contrairement à ce qu’affirmait Mme Senée, je ne pense pas que l’on puisse dire que les directions des ressources humaines assureront la confidentialité des données de santé.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Non, ce sera à l’assurance maladie de le faire !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Cette dimension du problème est importante. En plus des réserves que j’ai déjà exposées, elle explique pourquoi le Gouvernement est défavorable à un tel dispositif.

J’émets donc un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Cet amendement est bienvenu. Personnellement, je le voterai.

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. Permettez-moi de le rappeler, monsieur le ministre, le volet diagnostic du formulaire Cerfa que le médecin remet à un salarié quand il lui délivre un arrêt de travail n’est pas transmis à l’employeur. Le secret médical que vous invoquez ne sera donc pas violé, et toutes les inquiétudes à cet égard doivent être levées.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.

Mme Hélène Conway-Mouret. Je tiens à préciser que le texte prévoit une durée de deux jours au maximum, ce qui signifie que l’arrêt maladie peut tout autant durer une demi-journée ou une journée. Personnellement, réduire la durée de cet arrêt à un jour me conviendrait.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mmes Rossignol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Conway-Mouret, Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Poumirol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer la référence :

L. 323-4-1 A

par la référence :

L. 323-4

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de coordination avec l’amendement n° 5 de suppression de l’article 3.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Adel Ziane, pour explication de vote sur l’article.

M. Adel Ziane. Je remercie Hélène Conway-Mouret de son travail sur cette proposition de loi. Du chemin a été parcouru depuis le 8 mars 2023, date à laquelle le maire de Saint-Ouen-sur-Seine Karim Bouamrane et moi-même avons lancé une expérimentation à l’issue de nombreuses discussions avec les agents de la ville.

Au cours de ces échanges a été mis au jour un sujet tabou, invisibilisé et intériorisé pour des raisons culturelles. Le même tabou existe dans le monde de l’entreprise. En effet, selon un sondage OpinionWay de 2021, quelque 68 % des salariés estiment que les règles sont un sujet tabou en entreprise, où elles ne sont pas abordées, ou alors en les invisibilisant.

En tant que sénatrices et sénateurs, nous sommes attendus sur cette question. Lorsque l’on aborde la question du travail, celle de la liberté de travailler, nous ne pouvons ignorer les répercussions négatives pour les femmes souffrant de règles incapacitantes, à la fois dans leur vie personnelle et dans leur vie professionnelle. Il est de notre responsabilité de formuler des propositions à cet égard.

Après que nous avons lancé l’expérimentation à Saint-Ouen-sur-Seine, plusieurs communes, collectivités et entreprises nous ont suivis, en adoptant la même logique de proposition et en se montrant à l’écoute d’employées qui attendent des réponses.

Nous devons nous enorgueillir que ce débat se tienne aujourd’hui au Sénat. C’est l’occasion d’apporter un début de solution à ce problème.

Je reviendrai sur la question des discriminations et sur celles des agents de catégorie C, mais, en tout état de cause, monsieur le ministre, un cadre législatif est attendu pour répondre à ce débat de société, qui a pris de l’importance dans les médias ces derniers jours. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 129 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 323
Pour l’adoption 117
Contre 206

Le Sénat n’a pas adopté. (Marques de déception sur les travées du groupe SER.)

Article 1er
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Article 3

Article 2

I. – Après l’article L. 323-1-1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 323-1-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 323-1-2. – Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 323-1, en cas d’incapacité de travail résultant de dysménorrhée, dont l’endométriose, l’indemnité journalière est accordée sans délai. »

II. – Après le 1° du II de l’article 115 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis Lorsque le congé de maladie résulte de dysménorrhée invalidante, dont l’endométriose ; ».

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Médevielle et Rochette, Mme Lermytte, MM. Wattebled, Grand, Chevalier, A. Marc, Capus, Brault, Menonville et Somon, Mme Jacquemet et MM. Laménie et Belin, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Remplacer les mots :

de dysménorrhée, dont l’endométriose

par les mots :

d’endométriose symptomatique

II. – Alinéa 4

Remplacer les mots :

de dysménorrhée invalidante, dont l’endométriose

par les mots :

d’endométriose symptomatique

La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Cet amendement vise à circonscrire le dispositif prévu à l’article 2 aux patientes souffrant d’endométriose symptomatique.

Sans nier les douleurs des nombreuses autres femmes qui souffrent de dysménorrhées, nous proposons que l’arrêt maladie soit prescrit, sans délai de carence, sur la base d’une pathologie faisant l’objet d’un diagnostic établi et rendant le travail difficile : l’endométriose symptomatique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

À titre personnel, cependant, mon avis est le même que sur l’amendement n° 1 rectifié : favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Ne m’en veuillez pas, monsieur Chasseing, mais je vais tâcher de me montrer cohérent jusqu’à la fin de l’après-midi.

Aussi, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

Mme Émilienne Poumirol. Il s’agit de la santé des femmes !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 130 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l’adoption 116
Contre 206

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 2
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Article 4

Article 3

Après l’article L. 323-4 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 323-4-1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 323-4-1 A. – Par dérogation à l’article L. 323-4, l’indemnité journalière versée dans le cas mentionné à l’article L. 323-1-2 est égale à la totalité des revenus d’activité antérieurs soumis à cotisations à la date de l’interruption du travail, retenus dans la limite d’un plafond et ramenés à une valeur journalière. »

M. le président. La parole est à M. Adel Ziane, sur l’article.

M. Adel Ziane. Je tiens à répondre aux questions qui ont été soulevées lors de la discussion générale sur l’expérimentation que nous avons mise en place. Certains ont évoqué de potentiels abus et des risques de discrimination.

En ce qui concerne les abus, un travail de fond a été mené en associant le médecin traitant, le médecin du travail et le médecin spécialiste. Ce dialogue à trois voix permet de traiter la question de manière objective et de définir précisément la manière dont le congé menstruel sera mis en place.

J’y insiste, le dispositif retenu par un grand nombre de collectivités prévoit non seulement un arrêt, mais aussi des adaptations du poste de travail ou des plages de télétravail.

Certains d’entre vous ont prétendu que les agents de catégorie C ne pourraient en disposer. Bien au contraire, le dialogue social a montré que ces personnes, qui sont les plus pénalisées financièrement – il faut bien que vous ayez cela à l’esprit au moment de voter –, étaient demandeuses d’un cadre juridique en la matière.

Ces salariées souffrant d’une incapacité en rapport avec leurs règles peuvent très bien, si le droit leur est octroyé, adapter leur poste de travail et leurs activités quotidiennes, en travaillant en amont avec leurs équipes pour assurer la bonne organisation de l’équipe.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 5 est présenté par Mmes Rossignol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Conway-Mouret, Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Poumirol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 10 rectifié bis est présenté par Mme Billon, MM. Kern, Courtial, Canévet, Delcros, Folliot, J.-M. Arnaud, Capo-Canellas, Vanlerenberghe et Cambier, Mme Tetuanui, MM. Fargeot, Lafon, Levi et Hingray, Mmes O. Richard, Romagny et Loisier et MM. Delahaye et Chauvet.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 5.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise à supprimer l’article 3, qui prévoit, pour l’arrêt menstruel, une indemnisation supérieure au droit commun des indemnités journalières. Une telle mesure nous semble injustifiée ; elle pourrait même poser des difficultés entre les salariés, selon qu’ils sont arrêtés pour une raison ou pour une autre. Je propose donc à titre personnel de supprimer cet article.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour présenter l’amendement n° 10 rectifié bis.

Mme Annick Billon. Cet amendement vise à supprimer l’article 3, afin de ne pas créer un traitement dérogatoire plus favorable que les arrêts de travail de droit commun. Il est inconcevable qu’une femme souffrant de dysménorrhée soit mieux prise en charge qu’une femme atteinte, par exemple, d’un cancer.

Certaines dysménorrhées étant dues à des maladies chroniques, comme l’endométriose, il conviendrait que le Gouvernement inscrive ces dernières sur la liste des ALD 30, afin que les patientes soient prises en charge à 100 % et bénéficient d’un protocole de soins particulier.

La publication d’un décret avait été annoncée – sans effet à ce jour –, après le dépôt par le groupe du Rassemblement national à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi visant le même objectif. La santé des femmes ne doit pas être utilisée à des fins politiques. Aussi, j’espère que nous avancerons sur ce sujet.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. La commission a émis un avis favorable sur ces deux amendements identiques de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Je ne voudrais pas faire montre d’une attitude fermée à l’égard de vos propositions.

Aussi, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur ces deux amendements identiques.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 10 rectifié bis.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, l’article 3 est supprimé.

Article 3
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Intitulé de la proposition de loi (début)

Article 4

Le II de l’article L. 1222-9 du code du travail est complété par un 7° ainsi rédigé :

« 7° Les modalités d’accès des salariées souffrant de dysménorrhée invalidante à une organisation en télétravail. »

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Médevielle et Rochette, Mme Lermytte, MM. Wattebled, Grand, Chevalier, A. Marc, Capus, Brault, Menonville et Somon, Mme Jacquemet et MM. Laménie et Belin, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer les mots :

Les modalités

par les mots :

Sur la base d’un certificat médical valable pour une durée d’un an et renouvelable, les modalités

La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. L’article 4 propose qu’un accord collectif ou la charte de l’employeur précise les modalités d’accès à une organisation en télétravail des salariées souffrant de dysménorrhée invalidante. Il représente une avancée pratique pour les femmes souffrant d’une telle pathologie, dont le trajet pour se rendre au travail est parfois plus pénible que le travail en lui-même.

Le présent amendement tend à ce que cet aménagement de poste soit permis sur la base d’un certificat médical, établi pour un an et renouvelable. Ainsi, le recours au télétravail d’une salariée serait justifié sans que celle-ci ait pour autant à se rendre tous les mois chez un médecin.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Étant défavorable au texte dans son ensemble, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

À titre personnel, j’estime que cette disposition soulève une question de confidentialité et de secret médical. Les dispositions des amendements n° 13 et 9 rectifié bis, qui ont peu ou prou le même objet, présentent une plus grande sécurité juridique.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Monsieur le sénateur Chasseing, vous souhaitez favoriser le recours au télétravail.

Je rappelle que, dans le cadre de l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre réussie du télétravail, la pratique du télétravail peut déjà être utilisée comme un outil de prévention, notamment pour les salariés en situation de handicap ou atteints d’une maladie chronique.

Mme Audrey Linkenheld. Ce n’est pas vrai !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Il est donc tout à fait possible aujourd’hui pour les femmes souffrant des pathologies dont nous discutons de recourir au télétravail.

Mme Émilienne Poumirol. Les règles douloureuses ne sont pas une maladie !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 13, présenté par Mmes Canalès, Conway-Mouret, Rossignol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Poumirol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

et une adaptation du poste de travail

La parole est à Mme Marion Canalès.

Mme Marion Canalès. Pour compléter le dispositif, en plus d’ouvrir le droit au télétravail aux femmes qui bénéficieraient de cet arrêt menstruel, nous souhaitons que le poste de travail de ces dernières puisse être adapté.

En effet, certaines femmes peuvent être en mesure de se rendre au travail, mais non de réaliser tous leurs déplacements habituels. Par exemple, une policière municipale capable de se rendre à son commissariat peut se trouver dans l’incapacité d’accomplir sa mission sur la voie publique.

Aussi, cet amendement vise à ajouter à la possibilité de télétravailler celle d’obtenir une adaptation de son poste de travail.

M. le président. L’amendement n° 9 rectifié bis, présenté par Mme Billon, MM. Kern, Courtial, Canévet, Delcros, Folliot, J.-M. Arnaud, Capo-Canellas, Vanlerenberghe et Cambier, Mme Tetuanui, MM. Fargeot, Lafon, Levi et Hingray, Mmes O. Richard, Romagny et Loisier et MM. Delahaye et Chauvet, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

ou à une adaptation du poste

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. La présente proposition de loi est intéressante pour améliorer la santé des femmes au travail, notamment parce qu’elle comporte un volet de prévention. En effet, le rendez-vous que l’auteure de la proposition de loi propose d’instaurer permet un suivi médical et un dépistage des problèmes propres aux femmes souffrant de dysménorrhée.

Nous faisons preuve de pragmatisme en proposant d’adapter le poste de travail de ces femmes, qui se trouvent souvent dans une grande détresse, aux difficultés qu’elles rencontrent.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements, qui ont le même objet.

À titre personnel, je trouve que ces amendements tendent à compléter parfaitement la proposition de loi.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Comme je l’ai déjà souligné, la médecine du travail peut d’ores et déjà proposer des mesures d’aménagement de poste, notamment en autorisant les femmes souffrant de dysménorrhée à recourir au télétravail.

Je le précise, dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose que j’évoquais lors de la discussion générale, un kit de sensibilisation à destination des acteurs de l’entreprise – dont les dirigeants, les managers et les services des ressources humaines – est presque prêt. Il sera diffusé à partir du mois de mars prochain et contribuera peut-être à populariser et à mieux faire connaître les dispositifs existants pour faire face à ces pathologies.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.

Mme Hélène Conway-Mouret. Ces dispositions s’inscrivent parfaitement dans l’état d’esprit de ce texte. L’arrêt menstruel est pour les femmes le recours ultime, lorsqu’elles n’ont d’autre choix que de s’arrêter.

Aussi, il s’agit de leur permettre de travailler au mieux, le recours au télétravail étant trop restrictif, dans la mesure où il n’est pas possible dans tous les métiers. Je suis donc tout à fait favorable à ces deux amendements.

M. le président. La parole est à M. Adel Ziane, pour explication de vote.

M. Adel Ziane. Avant de clore ce débat, je reviendrai sur deux points particuliers.

Tout d’abord, comme l’a rappelé Annick Billon, cette proposition de loi traite un problème essentiel, en sortant la question des règles incapacitantes de la sphère privée et en brisant un tabou. Elle permettra, pour toutes les femmes concernées, de profiter d’une réelle politique de prévention et de santé publique dans le monde professionnel, car cette question est trop souvent oubliée.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Tout à fait !

M. Adel Ziane. Ensuite, au cours des débats, j’ai plusieurs fois entendu le mot « discriminations ». Chacun d’entre nous a été amené à embaucher des salariés dans le cadre de ses activités professionnelles. Jamais je ne me suis dit, en recevant une femme, qu’elle « risquait » de tomber enceinte ou de connaître des problèmes liés à son genre.

Si une discrimination est commise, c’est le discriminé qui doit être accompagné, et non la personne qui discrimine. Utiliser l’argument de la discrimination pour empêcher d’adopter cette proposition de loi revient à inverser la charge de la preuve et à accroître les difficultés des femmes sur cette question. Il convenait, me semble-t-il, de le rappeler une fois de plus. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 13.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’amendement n° 9 rectifié bis n’a plus d’objet.

Mes chers collègues, je vous rappelle que, si l’article 4 n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les quatre articles qui la composent auraient été rejetés. Aucune explication de vote sur l’ensemble du texte ne pourrait donc être admise.

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Je remercie tout d’abord l’initiatrice de la proposition de loi, mes collègues qui l’ont cosignée et tous ceux qui ont contribué à enrichir le débat et réellement cherché à aboutir à un vote favorable du Sénat.

Je remercie également la commission des affaires sociales, qui, bien qu’elle n’ait pas soutenu cette proposition de loi, m’a tout de même accompagnée dans son examen.

Monsieur le ministre, je vous remercie des quelques engagements que vous avez pris et qui nous laissent espérer que, peut-être, quelque chose se passera à l’avenir sur ce sujet.

À ce propos, j’ai un peu d’expérience sur ces questions, et je puis vous l’affirmer : nous y viendrons ! Peut-être pas aujourd’hui, mais nous y viendrons. En effet, ce que le politique refuse, la société finit par l’imposer lorsqu’il s’agit des droits des femmes, de l’égalité et de la santé sexuelle et reproductive.

Nous avons perdu l’occasion, non pas d’être en avance, mais d’accompagner les évolutions de la société. C’est regrettable, et pour le Sénat, et pour les femmes, qui devront encore attendre.

Enfin, pour répondre à ceux de mes collègues qui ont avancé des arguments liés à la confidentialité et au secret médical, je crois que le vote du Sénat en l’occurrence est générationnel. Les jeunes femmes, et c’est leur grande victoire, n’ont plus peur de révéler qu’elles ont leurs règles. Elles le disent. Le tabou des règles, c’est terminé !

Au surplus, comme nous l’avons évoqué dans le rapport d’information de la délégation aux droits des femmes intitulé Santé des femmes au travail : des maux invisibles, non seulement le tabou des règles est terminé, mais, demain, le tabou de la ménopause le sera également.

Les femmes en ont assez de serrer les dents, de cacher la réalité de ce qu’est la santé sexuelle et reproductive et de se glisser dans le monde du travail en faisant semblant d’avoir la même physiologie et le même quotidien que les hommes.

Elles l’ont fait depuis les années 1970. Désormais, elles considèrent que le prix à payer est trop élevé. Elles veulent donc imposer au monde du travail et à la société la réalité de ce qu’est être une femme. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. En écho aux propos de Mme la rapporteure, je formulerai deux remarques, une de forme et une de fond.

Sur la forme, quasiment tous les amendements et articles adoptés ou rejetés sur ce texte l’ont été par scrutin public. Dont acte ! Nous étions majoritaires dans l’hémicycle, sur un important sujet de société. Par la méthode utilisée, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous avez évacué ce texte de progrès que nous défendions.

Je rappelle également que certaines dispositions émanant d’autres travées, que nous avons votées, permettaient d’élargir à d’autres sensibilités que la nôtre le soutien à ce texte. À cet égard, je remercie particulièrement Annick Billon, qui, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, a formulé de nombreuses propositions constructives, que nous acceptions pour faire avancer ce texte et le faire prospérer dans le cadre de la navette parlementaire.

Sur le fond, la droite républicaine a manqué un rendez-vous avec les femmes de ce pays et avec l’histoire. Comme l’a rappelé Mme Rossignol, les femmes veulent concilier leur activité professionnelle et les contraintes de leur vie personnelle. Or, chers collègues, vous avez refusé cette avancée.

Vous n’avez pas été au rendez-vous. Sachez que nous poursuivrons ce combat avec force et détermination, car il s’agit d’un combat de progrès. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Ghislaine Senée applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Mes chers collègues, comme vous l’aurez compris, j’ai cherché, au travers des quelques amendements que j’ai déposés, à trouver une voie pour que cette proposition de loi d’Hélène Conway-Mouret puisse être adoptée.

J’ai présidé la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pendant six ans. Si je ne la préside plus – je reste tout de même vice-présidente –, je me préoccupe bien sûr toujours des questions liées aux droits des femmes.

Je salue l’auteure de cette proposition de loi, qui a permis de tenir ce débat en séance, car, souvent, ces sujets paraissent accessoires.

Au-delà des jours de carence et des autres dispositions techniques, ce texte comportait trois avancées importantes : tout d’abord, prendre en considération la spécificité et la santé des femmes ; ensuite, garantir une prévention, encore trop souvent inexistante ; enfin, adapter les postes de travail.

L’année dernière, la délégation aux droits des femmes a mené un travail considérable sur la santé des femmes, autour de quatre rapporteures issues de groupes différents, et un consensus s’était dégagé sur plusieurs points. Nous avions mis en exergue le fait que la santé au travail était abordée sous l’angle de l’homme moyen.

Or l’homme moyen n’a rien à voir avec la femme. Les décisions qui sont prises dans ce domaine sont donc parfois totalement inadaptées à la santé des femmes au travail.

Je remercie donc le groupe socialiste d’avoir inscrit ce sujet à l’ordre du jour. Le ministre a désormais quelques dossiers à sa disposition pour avancer et proposer de véritables solutions à toutes les femmes qui souffrent au travail.

Je le répète, dans les pays nordiques, les droits des femmes avancent beaucoup plus vite que chez nous, et les femmes occupent des postes à responsabilité. Différencier, ce n’est pas stigmatiser. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Colombe Brossel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Monsieur Kanner, je ne reviendrai pas sur les questions de fond qui viennent d’être abordées : les différents points de vue se sont exprimés clairement.

Je tiens simplement à formuler une remarque de forme : le scrutin public existe. C’est un outil, que l’on emploie et que l’on défend quand il nous arrange.

M. Patrick Kanner. Il vous arrange toujours ! (Marques dapprobation sur les travées du groupe SER.)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Si les amendements déposés n’ont pas tous fait l’objet d’un scrutin public, c’est par courtoisie, pour permettre à vos collègues et à vous-même d’achever l’examen de cette proposition de loi avant seize heures dix. Je me devais d’apporter cette précision.

Bien entendu, je remercie Mme la rapporteure du travail qu’elle a accompli, avec l’appui des équipes de notre commission.

Je réserverai une mention particulière à l’auteure du présent texte. Nous avons longuement parlé de ces questions, et elle a déployé une énergie remarquable pour convaincre les uns et les autres. Elle a mené, elle aussi, un travail considérable, qui a donné lieu à de nombreux articles de presse.

Mes chers collègues, ce débat risque de s’achever par un non-vote, mais, en tout cas, il a été posé, et les médias l’ont largement relayé. Je tiens à remercier chacune et chacun d’entre vous de cette mobilisation, sur des thématiques que nous sommes certainement appelés à reprendre.

Sur toutes les travées de cet hémicycle, l’examen du présent texte a donné l’occasion de débattre d’un certain nombre de sujets et de se poser un certain nombre de questions : je tenais également à vous en remercier. (Mme Micheline Jacques applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, pour explication de vote.

Mme Marion Canalès. Mes chers collègues, qu’on le veuille ou non, que l’on soit à l’aise ou non avec les réalités dont nous avons traité, qu’il s’agisse des dysménorrhées ou des menstruations compliquées, nous avons débattu d’un sujet de société.

Nous avons formulé un certain nombre de propositions ; ces dernières sont évidemment perfectibles, et nous avons nous-mêmes avancé par le biais de divers amendements.

Mme Billon s’est efforcée de nourrir la discussion et je l’en remercie : elle a su démontrer que, comme d’autres, le groupe auquel elle appartient mesure l’importance de ces enjeux.

À l’inverse, par leur silence, certains collègues suggèrent qu’il ne s’agit pas d’un sujet pour eux. Tel est pourtant le cas, et la question reviendra demain avec de plus en plus de force.

En 1919, la ville de Saint-Ouen-sur-Seine, déjà à la pointe du progrès social, avait adopté un vœu qui n’avait bien sûr été suivi d’aucun effet : il s’agissait d’accorder le droit de vote aux femmes. Ces dernières ont dû attendre 1944…

Aujourd’hui, comme d’autres collectivités territoriales souhaiteraient le faire, la même ville de Saint-Ouen-sur-Seine se saisit seule, en dehors de tout cadre légal, de ce sujet de société. Elle répond ce faisant aux attentes légitimes d’une partie de la population, de ces femmes souffrant de menstruations invalidantes, celles-là mêmes dont nous avons parlé tout au long de ce débat.

Mes chers collègues, j’y insiste, on parle non pas simplement de règles douloureuses, mais de menstruations incapacitantes. Nous aurions dû, a minima, discuter de ce problème tous ensemble ; tous les groupes auraient dû reconnaître, avec nous, qu’il s’agit là d’un sujet de société.

Aujourd’hui, nous sommes malheureusement privés d’une victoire. Mais les droits des femmes reviendront bientôt à l’ordre du jour de la séance publique – je pense notamment à la question de l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Fidèles à nos positions, nous les défendrons une fois de plus ; nous aurons certainement de grands débats dans cet hémicycle, et j’espère qu’un certain nombre de voix, aujourd’hui bien discrètes, se feront un peu plus entendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.

Mme Hélène Conway-Mouret. Avant tout, je tiens à saluer l’excellent travail accompli, notamment, par Mme la rapporteure. Je souligne également combien M. le président de la commission des affaires sociales a été sensible à ces questions : il a pris soin d’entretenir, avec nous, un dialogue continu.

Mes chers collègues, je me suis efforcée de convaincre une majorité d’entre vous : de toute évidence, je n’y suis pas parvenue. Nous n’en assistons pas moins à une prise de conscience.

Grâce à une couverture médiatique assez remarquable, confirmant que nous traitions bel et bien d’un sujet de société, ce débat a permis d’exposer sur la place publique un sujet resté jusqu’à présent invisible et même caché. Aujourd’hui, nous avons la possibilité d’en parler calmement et, surtout, d’apporter des réponses concrètes.

Monsieur le ministre, nous devons continuer à travailler ensemble à destination des élus, des entreprises et surtout, bien sûr, de toutes ces femmes qui n’en peuvent plus d’aller travailler en éprouvant de telles angoisses.

Des dispositions doivent être mises en œuvre pour accompagner au mieux les femmes souffrant de dysménorrhées. Tel est l’état d’esprit dans lequel nous avons élaboré ce texte : nous devons leur permettre de travailler de manière optimale. Elles ne sauraient se trouver dans l’incapacité de le faire, pour des raisons qui leur échappent.

Quelle que soit l’issue du vote, je tiens à vous remercier toutes et tous de ce débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.

Mme Ghislaine Senée. Mes chers collègues, permettez-moi de vous confier l’étonnement que j’éprouve en tant que nouvelle sénatrice. Pour ce qui concerne les droits des femmes, je savais que le chemin serait long, mais j’ignorais qu’il le serait à ce point !

Sur les travées de la majorité sénatoriale, certains sont peut-être tentés de dire que nos grands-mères, elles, se sont toujours débrouillées avec « leurs affaires de bonnes femmes »…

Nous avons tous entendu de tels propos. Nos grands-mères savaient bien qu’elles auraient périodiquement une journée un peu difficile, mais elles étaient maîtresses de leur temps. Ce jour-là, elles n’allaient pas aux champs ou au lavoir. Elles faisaient comprendre à leur mari l’importance de ces « affaires de bonnes femmes ». Elles étaient au foyer ou travaillaient à l’extérieur, mais elles étaient en mesure de les gérer.

Les tribunes se sont vidées, mais de nombreuses jeunes femmes ont assisté à nos débats. Elles le savent tout aussi bien que nous, sénatrices, il ne s’agit pas, en l’occurrence, de se plaindre d’un simple mal au ventre : une douleur incapacitante est absolument rédhibitoire. Nombre de femmes souffrent ainsi de terribles migraines, mais elles n’en doivent pas moins aller au travail : elles ne peuvent faire autrement.

Telle est la situation de ces femmes. Il me semble absolument terrible que l’on puisse, aujourd’hui encore, partir du principe selon lequel, « autrefois, on faisait avec ». Peut-être était-ce le cas, mais aujourd’hui, on ne peut plus.

Oui, c’est un fait de société ; oui, les progrès que nous défendons arriveront tôt ou tard. Nous les obtiendrons. J’espère que les prochains débats nous permettront, dans cet hémicycle, d’accomplir un pas supplémentaire pour les droits des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Colombe Brossel. Nous attendons la lumineuse explication de vote du groupe Les Républicains…

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, à mon tour, je tiens à remercier les auteurs de cette proposition de loi, à commencer par vous, madame Conway-Mouret. Je n’oublie pas non plus Mme la rapporteure, qui a eu à cœur d’engager ce débat dans l’hémicycle du Sénat et de le diffuser dans les médias.

Madame la rapporteure, je m’associe pleinement aux propos que vous venez de tenir : le seul fait d’avoir mené ce débat est une première victoire de cette belle cause qu’est la santé des femmes,…

Mme Émilienne Poumirol. On se contente de peu…

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. … ainsi que de la reconnaissance de la spécificité des femmes.

Tel qu’il était rédigé, le présent texte ne représentait pas, finalement, une avancée si évidente. (Mme Hélène Conway-Mouret sexclame.) Madame la sénatrice, c’est mon avis personnel, et je ne vous ai pas moins écoutée avec beaucoup d’intérêt.

À mon sens, donc, cette proposition de loi n’aurait pas représenté un tel progrès, compte tenu des nombreuses incertitudes et des nombreux obstacles…

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Il y a la navette !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. … évoqués par tous les orateurs qui se sont succédé au cours de la discussion générale. Sans relancer le débat, je pense notamment, aux enjeux de confidentialité.

M. Patrick Kanner. La navette aurait permis d’avancer…

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Cette cause mérite bel et bien que l’on poursuive le travail entrepris : aussi, je relève le gant. Ce sujet ne restera pas lettre morte.

M. Patrick Kanner. Dont acte !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Je prends devant vous cet engagement : nous le ferons avancer ensemble. Mais, selon moi, ce ne sera pas de cette manière.

L’enjeu d’aujourd’hui, c’était la tenue de ce débat : il a eu lieu, et c’est là une première victoire. Je vous remercie encore d’avoir inscrit le présent texte à l’ordre du jour du Sénat.

M. Patrick Kanner. À quand un projet de loi ?

M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 131 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 328
Pour l’adoption 115
Contre 213

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail
Intitulé de la proposition de loi (fin)

Intitulé de la proposition de loi

M. le président. L’amendement n° 12 rectifié bis n’a plus d’objet.

Mes chers collègues, les quatre articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Intitulé de la proposition de loi (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail
 

7

Candidatures à une mission d’information

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-trois membres de la mission d’information sur le thème : « Complémentaires santé, mutuelles : l’impact sur le pouvoir d’achat des Français. »

En application de l’article 8 ter, alinéa 5, de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

8

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à mieux protéger et à accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

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Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au 27 février 2024 :

À quatorze heures trente et le soir :

Projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (procédure accélérée ; texte de la commission n° 336, 2023-2024).

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement (texte de la commission n° 343, 2023-2024).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à seize heures dix.)

nomination de membres dune commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :

Titulaires : M. François-Noël Buffet, Mme Catherine Di Folco, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de La Gontrie, M. Hussein Bourgi et Mme Patricia Schillinger ;

Suppléants : Mmes Nadine Bellurot, Marie Mercier, MM. Jean-Michel Arnaud, Éric Kerrouche, Mme Cécile Cukierman, M. Alain Marc et M. Guy Benarroche.

nomination de membres dune mission dinformation

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.

Mission dinformation sur « les complémentaires santé, mutuelles : limpact sur le pouvoir dachat des Français »

Mmes Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, M. Jean-Michel Arnaud, Mmes Isabelle Briquet, Marie-Claire Carrère-Gée, Patricia Demas, Catherine Di Folco, MM. Alain Duffourg, Bernard Fialaire, Mme Nadège Havet, M. Xavier Iacovelli, Mme Corinne Imbert, MM. Claude Kern, Khalifé Khalifé, Mmes Annie Le Houerou, Marie-Claude Lermytte, Viviane Malet, MM. Serge Mérillou, Alain Milon, Mme Émilienne Poumirol, M. André Reichardt, Mmes Silvana Silvani et Anne Souyris.

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER