Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Le présent amendement tend à élargir la définition de l’action de groupe aux actions relatives aux manquements au « devoir général de prudence ou de vigilance ».
Je comprends l’intention de ses auteurs, mais ne faisons pas durer davantage le suspense : la commission comme son rapporteur y sont défavorables.
D’une part, nous avons souhaité mieux circonscrire l’universalisation du champ d’application de l’action de groupe. Dès lors, en élargissant la nature des manquements susceptibles de donner lieu à une action de groupe, on irait à rebours de la position de la commission, ce qui me paraît poser des difficultés certaines. L’élargissement proposé est déjà considérable ; il convient donc de procéder avec prudence, afin de ne pas soumettre des opérateurs économiques à un risque réputationnel qui serait indu.
D’autre part, nous nous sommes attachés à aligner la rédaction de la proposition de loi sur le droit en vigueur, afin de ne pas créer d’effets de bord indésirable. Or le droit en vigueur ne contient pas une telle définition. Il nous semble donc préférable de nous en tenir à la rédaction actuelle.
À défaut d’un retrait, l’avis de la commission serait donc défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Votre amendement, monsieur le sénateur, a pour objet d’élargir le champ d’application de l’action de groupe aux manquements au devoir général de prudence ou de vigilance.
À l’évidence, un tel élargissement n’est pas adapté à ce type de recours, comme cela a d’ailleurs été parfaitement expliqué par M. le rapporteur, compte tenu notamment de la difficulté à qualifier ce type de manquements, qui de surcroît s’apprécient dans de très nombreux cas au regard de situations particulières – j’en prends pour exemple le devoir de vigilance du banquier.
Je note avec intérêt que les exemples que vous avez donnés pour motiver votre amendement sont des affaires dans lesquelles une infraction pénale a été retenue. Or une infraction pénale, c’est tout à fait particulier : cela s’assortit d’un certain nombre de critères spécifiques ; nous y reviendrons lors de l’examen d’autres amendements.
Vous comprendrez donc, j’en suis sûr, que le Gouvernement émette un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis A (nouveau)
I. – Par dérogation à l’article 1er, lorsqu’elle a pour objet un manquement aux obligations légales ou contractuelles résultant du code de la santé publique, l’action de groupe n’est exercée qu’à raison d’un manquement à ses obligations légales ou contractuelles d’un producteur ou d’un fournisseur de l’un des produits mentionnés au II de l’article L. 5311-1 du même code ou d’un prestataire utilisant l’un de ces produits.
II. – Par dérogation à l’article 1er, lorsqu’elle a pour objet un manquement aux obligations légales ou contractuelles résultant du code du travail, l’action de groupe n’est exercée qu’en vue d’établir que plusieurs candidats à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou plusieurs salariés font l’objet d’une discrimination, directe ou indirecte, fondée sur un même motif figurant parmi ceux mentionnés à l’article L. 1132-1 du code du travail et imputable à un même employeur.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 26 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
L’amendement n° 48 est présenté par M. Bocquet et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Guillaume Gontard, pour présenter l’amendement n° 26.
M. Guillaume Gontard. La loi devrait-elle protéger contre les poursuites une entreprise qui a commis un manquement ? Telle est la question que je me suis posée quand la majorité sénatoriale, en commission, a fait adopter cet article, qui a justement pour objet de protéger les entreprises de poursuites dans certains cas.
On vient d’entendre que les actions de groupe devaient être étendues à tous les domaines ; et pourtant, cet article en rendrait au contraire l’exercice impossible pour plusieurs catégories d’affaires.
Ainsi, en matière de santé, l’action de groupe ne pourrait concerner que les producteurs ou fournisseurs de produits de santé, ce qui exclut par exemple toute action de groupe visant à obtenir réparation d’un préjudice de santé environnementale.
De même, en matière du droit du travail, cet article limite les actions de groupe aux seules discriminations à l’embauche, ce qui a pour conséquence de priver bien des travailleuses et des travailleurs de la possibilité d’engager une telle procédure contre leur employeur dans d’autres domaines, comme le temps de travail, le droit à la déconnexion ou encore la lutte contre le harcèlement au travail. C’est ce que regrette d’ailleurs la CFDT, qui note notamment que les actions de groupe seraient plus efficaces en la matière que des actions sérielles devant les conseils de prud’hommes.
Les actions de groupe en ces matières ne sont pas craintes par les organisations syndicales ; bien au contraire, elles sont très demandées. N’oublions pas que l’État vient d’être condamné, voilà à peine deux semaines, pour le fonctionnement défectueux des conseils de prud’hommes, où les délais de jugement sont bien trop longs. Plutôt que de craindre que les actions de groupe en matière de droit du travail privent les prud’hommes de leurs compétences, nous devons veiller à ce que tout le monde ait un accès effectif à la justice, ce à quoi contribuent justement les actions de groupe.
Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste demande que l’on supprime ces dérogations.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 48.
M. Éric Bocquet. La principale avancée de cette proposition de loi est d’éviter une liste à la Prévert des matières pouvant faire l’objet d’actions de groupe ; elle ne procède pas non plus, dans sa version initiale, à des restrictions trop importantes qui excluraient des pans entiers du contentieux.
L’article 1er prévoit ainsi qu’une action de groupe peut être légitimement intentée pour le compte de plusieurs personnes placées dans une situation « résultant d’un même manquement ou d’un manquement de même nature » commis par une personne morale de droit public ou privé.
Feignant de s’en accommoder, la commission des lois en a accepté le principe, mais a imposé une double limitation : en matière de droit de la santé, elle cantonne l’action de groupe aux obligations légales et contractuelles des producteurs et fournisseurs de produits de santé ; en matière de droit du travail, elle la restreint aux discriminations à l’emploi.
Cette dévitalisation de deux pans majeurs de l’action de groupe laisse penser que la commission « protège », si je puis dire, les entreprises, en particulier les plus grandes, contre les justiciables lésés par des comportements hautement répréhensibles. La résorption de l’asymétrie des rapports de force, que l’action de groupe a justement vocation à permettre, serait ainsi entravée par l’article 1er bis A.
On relève au surplus une brèche, source d’insécurité juridique, entre cet article et l’article 1er bis, qui détaille les cas dans lesquels les syndicats peuvent engager des actions de groupe. Quel article faut-il croire ? Celui qui limite le champ des actions de groupe à la lutte contre les discriminations ou celui qui ouvre la possibilité d’agir collectivement en matière de protection des données personnelles et pour obtenir la cessation d’un manquement et la réparation de tout dommage causé à des personnes sous l’autorité d’un employeur ?
L’argument qui consiste à déplorer que les syndicats soient dépossédés du contentieux en matière de droit du travail ne résiste pas à l’épreuve des faits, dès lors que ceux-ci sont seuls à pouvoir engager une action de groupe en la matière lorsque les conditions sont réunies.
Le présent article ne répond en réalité qu’à une ambition, dévitaliser la proposition de loi ; aussi en proposons-nous la suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Les amendements défendus par nos collègues Guillaume Gontard et Éric Bocquet tendent à supprimer l’article 1er bis A par lequel la commission, qui l’a ajouté dans le texte, a souhaité circonscrire les actions de groupe en matière de santé et de droit du travail à leur champ actuel, à savoir, respectivement, les produits de santé et les discriminations au travail. Cette limitation nous apparaît en effet nécessaire.
Premièrement, en matière de santé, nous avons été alertés quant au très grand risque que pourraient encourir des professionnels de santé disposant de faibles moyens de défense face à des actions de groupe destinées à salir leur réputation.
Entendons-nous bien, mes chers collègues : nous ne remettons pas en cause le champ actuel des actions de groupe en matière de santé. Des affaires telles que celles du Mediator ou des prothèses mammaires PIP, mentionnées par Mme Vogel dans l’exposé des motifs de l’amendement n° 26, pourraient toujours faire l’objet d’actions de groupe. En revanche, nous estimons que le risque réputationnel que pourraient en particulier encourir des professionnels de santé justifie d’exclure ceux-ci du champ de l’action de groupe et d’en rester au champ actuel.
Je souhaite par ailleurs répondre à l’argument parfois avancé consistant à affirmer que, le « fond du droit » de la responsabilité n’étant pas modifié par la proposition de loi, ces changements procéduraux seraient sans effet sur l’engagement de la responsabilité des professionnels de santé. C’est exact, mais c’est oublier que le véritable coût d’une action de groupe est réputationnel : quel patient irait consulter un médecin dont le nom figure injustement au registre des actions de groupe, dont je rappelle qu’il est créé par la présente proposition de loi ? Dans le cas où la responsabilité du professionnel en question ne serait pas reconnue, comment compenser le préjudice ainsi subi ? L’action de groupe « à la française » ne nous paraît pas devoir s’orienter vers ce type de dérives.
Deuxièmement, en matière de droit du travail, il nous a semblé qu’une ouverture indiscriminée du champ d’application de l’action de groupe risquerait en particulier de dessaisir les conseils de prud’hommes de pans non négligeables du contentieux, ce qui serait un effet de bord particulièrement fâcheux de cette réforme, les prud’hommes rendant la justice au plus près des intérêts des salariés et des employeurs.
Il nous a également semblé, comme le rappelle Mme Vogel, que cela risquerait de priver les syndicats du rôle majeur qui leur échoit dans la conduite du dialogue social comme dans l’action contentieuse. L’écosystème des relations de travail, qui repose en particulier sur le rôle des syndicats et sur celui des conseils de prud’hommes, ne me paraît pas devoir être incidemment perturbé par cette réforme.
En conséquence, je demande le retrait de ces amendements identiques ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ces amendements visent à supprimer l’article 1er bis A, introduit par la commission afin de maintenir le droit en vigueur en matière d’action de groupe dans les deux domaines de la santé et du travail. Ces deux domaines exigent certes qu’un traitement particulier soit réservé au champ de l’action de groupe.
Ainsi, en matière de santé, si le champ de l’action de groupe était étendu, on pourrait voir de telles procédures intentées devant le juge pour des dommages occasionnés par la pratique de professionnels résultant de conditions d’organisation du service ; j’aurais pu évoquer également les domaines de la santé environnementale et de la santé alimentaire. Voilà qui pourrait provoquer – pardonnez-moi de le dire ainsi – une multiplication du contentieux et une instrumentalisation de ces procédures, des effets négatifs étant à craindre, notamment sur l’attractivité des métiers, ou encore sur le renchérissement des primes d’assurance.
Par ailleurs, dans les exemples que vous citez, que ce soit le Mediator ou les prothèses PIP, l’action de groupe est d’ores et déjà possible – autrement dit, ces exemples ne sont pas les bons.
En matière de droit du travail, deuxième matière qui fait l’objet de cet article, et comme cela a été parfaitement dit par M. le rapporteur, l’ouverture indiscriminée du champ de l’action de groupe risquerait de dessaisir les conseils de prud’hommes de pans non négligeables – j’y insiste – du contentieux.
Pour l’ensemble de ces raisons, l’avis du Gouvernement est défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 26 et 48.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er bis A.
(L’article 1er bis A est adopté.)
Article 1er bis
I. – L’action de groupe est exercée par les associations agréées à cette fin. L’agrément peut être octroyé par l’autorité administrative chargée de sa délivrance à toute association régulièrement déclarée, à but non lucratif, dès lors qu’elle remplit les conditions suivantes :
1° Elle justifie à la date du dépôt de sa demande d’agrément de l’exercice d’une activité effective et publique de douze mois consécutifs en vue de la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte ;
2° Son objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte ;
3° Elle ne fait pas l’objet, à la date du dépôt de sa demande d’agrément, d’une procédure collective prévue au livre VI du code de commerce ;
4° (nouveau) Elle est indépendante et n’est pas influencée par des personnes, autres que celles dont elle défend les intérêts, ayant un intérêt économique dans l’introduction d’une action de groupe. Elle a adopté à cette fin des procédures écrites de prévention et de gestion des conflits d’intérêts ;
5° (nouveau) Elle met à disposition du public, par tout moyen approprié, des informations sur son objet statutaire, ses activités, les sources principales de son financement et son organisation.
L’agrément peut être retiré par l’autorité administrative chargée de sa délivrance dès lors qu’elle constate que l’une des conditions prévues au présent I n’est plus remplie.
I bis. – L’action de groupe peut également être exercée par les organisations syndicales représentatives, au sens des articles L. 2122-1, L. 2122-5 ou L. 2122-9 du code du travail ou de l’article L. 221-1 du code général de la fonction publique, et les organisations syndicales représentatives de magistrats de l’ordre judiciaire :
1° En matière de lutte contre les discriminations ;
2° En matière de protection des données personnelles ;
3° Ou lorsqu’elle tend à la cessation du manquement d’un employeur ou à la réparation de dommages causés par ce manquement à plusieurs personnes placées sous l’autorité de cet employeur.
II. – (Non modifié) L’action de groupe peut également être exercée par les entités qualifiées figurant sur la liste dressée par la Commission européenne en application du paragraphe 1 de l’article 5 de la directive (UE) 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs et abrogeant la directive 2009/22/CE lorsqu’elle a pour objet de sanctionner des infractions de professionnels aux dispositions du droit de l’Union européenne mentionnées à l’annexe I de la même directive, qui portent atteinte ou risquent de porter atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs.
III. – (Non modifié) Le ministère public peut exercer, en qualité de partie principale, l’action de groupe en cessation du manquement.
Il peut également intervenir, en qualité de partie jointe, dans toute action de groupe.
IV. – Les personnes mentionnées aux I à II du présent article qui peuvent exercer une action de groupe en application de l’article 1er peuvent exercer cette action conjointement ou intervenir volontairement à une instance ouverte.
V (nouveau). – Les personnes mentionnées aux I à II du présent article mettent à disposition du public, par tout moyen approprié, des informations sur les actions de groupe qu’elles ont décidé d’engager, l’état d’avancement de celles qu’elles ont engagées ainsi que, pour chacune d’entre elles, leur résultat.
VI (nouveau). – Les personnes remplissant les conditions pour exercer une action de groupe à la date de l’entrée en vigueur de la présente loi conservent cette faculté jusqu’à l’échéance d’un délai de deux ans à compter de celle-ci.
Mme la présidente. Je suis saisie de douze amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 27, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 1 à 7
Remplacer ces alinéas par cinq alinéas ainsi rédigés :
I. – L’action de groupe peut être exercée par :
1° Les associations agréées ;
2° Les associations régulièrement déclarées depuis deux ans au moins dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte ;
3° Les associations régulièrement déclarées agissant pour le compte soit d’au moins cinquante personnes physiques, soit d’au moins cinq personnes morales de droit privé inscrites au registre du commerce et des sociétés depuis au moins deux ans, soit d’au moins cinq collectivités territoriales ou groupements de collectivités se déclarant victimes d’un dommage causé par le défendeur et répondant aux conditions prévues à l’article 1er.
4° Un ou plusieurs avocats représentant les intérêts soit d’au moins cinquante personnes physiques, soit d’au moins cinq personnes morales de droit privé inscrites au registre du commerce et des sociétés depuis au moins deux ans, soit d’au moins cinq collectivités territoriales ou groupements de collectivités se déclarant victimes d’un dommage causé par le défendeur et répondant aux conditions prévues à l’article 1er.
II. – Alinéa 15
Remplacer la première occurrence du mot :
à
par le mot :
et
III. – Alinéas 16 et 17
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Cet amendement vise avant tout à rétablir l’article 1er bis dans la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale. Je voudrais signaler, à ce propos, que ce texte a été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale ; les députés du groupe Les Républicains ont donc voté pour, mes chers collègues…
Nous commençons, avec cet article, l’examen des conditions requises pour avoir qualité pour agir. En d’autres termes, cet article répond à la question suivante : « qui peut introduire une action de groupe ? » Or cette définition est primordiale pour faciliter le recours aux actions de groupe et, par ricochet, l’accès à la justice. Si les conditions encadrant la qualité pour agir sont trop restrictives, il est des cas dans lesquels il risque tout simplement de n’y avoir personne pour introduire une action de groupe. Tel est peut-être l’objectif de certains ; ce n’est pas le nôtre.
C’est pourquoi nous souhaitons revenir sur les restrictions introduites dans le texte par la commission, en ouvrant la qualité pour agir à davantage d’acteurs. Pourrait ainsi exercer une action de groupe toute association déclarée depuis au moins deux ans. De plus – innovation de notre amendement par rapport au texte de l’Assemblée nationale –, une avocate ou un avocat représentant au moins cinquante personnes pourrait également intenter une action de groupe.
Élargir la qualité pour agir est primordial si l’on veut améliorer l’accès à la justice des citoyennes et des citoyens. En aucun cas nous ne devrions conditionner la qualité pour agir à l’obtention d’un quelconque agrément. La perte par Anticor de son agrément aurait dû rappeler à toutes et à tous qu’une telle condition reviendrait à imposer des contraintes importantes aux associations, rendant plus difficile encore qu’auparavant l’accès à l’action de groupe.
Enfin, dans un État de droit, l’élargissement de la qualité pour agir ne devrait représenter aucun problème. L’introduction d’une action de groupe ne saurait en elle-même causer de préjudice aux entreprises mises en cause, car la présomption d’innocence vaut aussi pour cette procédure ; à la justice de décider ensuite s’il y a ou non préjudice. Grâce à notre État de droit, il est tout à fait possible d’élargir la qualité pour agir.
Mme la présidente. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 21 rectifié est présenté par M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mmes Linkenheld et Narassiguin, MM. Roiron, Lurel et Kanner, Mmes Artigalas, Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bouad, Mmes Briquet, Brossel et Canalès, M. Cardon, Mme Carlotti, M. Chantrel, Mmes Conconne et Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, MM. Darras, Devinaz et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet, Gillé, Jacquin, Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mmes G. Jourda et Le Houerou, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Marie, Mérillou et Michau, Mme Monier, MM. Montaugé, Ouizille et Pla, Mme Poumirol, MM. Raynal et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, M. Ros, Mme Rossignol et MM. Stanzione, Temal, Tissot, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber et Ziane.
L’amendement n° 28 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
L’amendement n° 45 est présenté par M. Bocquet et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéas 1 à 7
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
I. – L’action de groupe peut être exercée par :
1° Les associations agréées ;
2° Les associations régulièrement déclarées depuis deux ans au moins dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte ;
3° Les associations régulièrement déclarées agissant pour le compte soit d’au moins cinquante personnes physiques, soit d’au moins cinq personnes morales de droit privé inscrites au registre du commerce et des sociétés depuis au moins deux ans, soit d’au moins cinq collectivités territoriales ou groupements de collectivités se déclarant victimes d’un dommage causé par le défendeur et répondant aux conditions prévues à l’article 1er.
II. – Alinéa 15
Remplacer la première occurrence du mot :
à
par le mot :
et
III. – Alinéas 16 et 17
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Hussein Bourgi, pour présenter l’amendement n° 21 rectifié.
M. Hussein Bourgi. Cet amendement vise à revenir à l’article 1er bis tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale.
Nous ne comprenons pas la volonté de notre rapporteur de restreindre, voire d’entraver, la possibilité pour un certain nombre d’organisations d’intenter des actions de groupe. Ce que nous propose notre rapporteur me dérange, parce que les conditions qu’il fixe à l’action des associations sont exorbitantes – et je parle sous le contrôle d’éminents juristes.
On prévoit de telles restrictions alors même que, devant les juridictions pénales, lorsque les associations se constituent partie civile, aux côtés de victimes de discrimination, par exemple, il suffit pour ce faire qu’elles aient cinq ans d’existence et que la lutte contre telle ou telle discrimination soit mentionnée dans leurs statuts comme faisant partie de leur objet.
Je ne comprends donc pas pourquoi notre rapporteur nous propose d’aborder les questions de la place des associations et des conditions d’accès au procès d’une manière si différente de ce qui prévaut actuellement. Les conditions qui sont aujourd’hui proposées par notre rapporteur sont exorbitantes, je le dis : si elles sont retenues, peu d’associations pourront intenter des actions de groupe.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, depuis que nous avons commencé l’examen de ce texte, vous évoquez systématiquement le risque réputationnel ; mais, sur ce point, vous n’arrivez pas à me convaincre.
D’une part, l’invocation du risque réputationnel ne résiste pas à la présomption d’innocence. D’autre part, si des associations ou des organisations venaient, multipliant les procédures, à user et à abuser du droit de l’action de groupe, rien n’empêcherait l’opérateur économique de se retourner contre elles et de leur intenter une action en procédure abusive, afin de faire condamner celles qui se seraient ainsi fourvoyées.
Mme Nathalie Goulet. Mais alors c’est trop tard !
M. Hussein Bourgi. Autrement dit, cet argument ne tient pas la route : on ne saurait nous opposer le risque réputationnel, sinon pour faire en sorte que rien ne change et que les intérêts des opérateurs économiques soient à tout prix préservés.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour présenter l’amendement n° 28.
M. Guillaume Gontard. Il s’agit d’un amendement de repli, qui vise à revenir, sans modification, à la version adoptée par l’Assemblée nationale. Notre amendement n° 27 avait quant à lui pour objet de donner qualité pour agir aux avocates et aux avocats.
J’en profite pour faire la remarque suivante. À première vue, on pourrait penser qu’il devrait suffire de reconnaître la qualité pour agir à au moins une association par domaine : ainsi y aurait-il en tout domaine une association pour engager une action de groupe. Ce serait toutefois méconnaître la réalité des faits. En pratique, les capacités des associations sont évidemment limitées : leurs ressources sont loin d’être infinies. Or exercer une action de groupe demande un investissement financier et mobilise des ressources humaines, et ce pendant des années.
Pour aider les associations à introduire des actions de groupe, ce qui relève de l’intérêt général, la Défenseure des droits a d’ailleurs proposé de créer un fonds spécifique. Malgré tout, leurs capacités resteraient limitées.
Ainsi, dans les faits, l’association devra toujours choisir de quel manquement elle se saisit. En d’autres termes, elle sera toujours obligée, pour engager une action de groupe, de refuser d’en intenter d’autres, donc de renoncer à demander la réparation de certains préjudices. Par ricochet, certaines personnes ne pourront jamais bénéficier de l’introduction d’une action de groupe.
Afin de limiter le nombre de tels cas, il est donc important d’ouvrir plus largement la qualité pour agir. Plus il y a d’associations pouvant introduire une action de groupe, moins il y aura de personnes lésées privées d’un accès praticable à la justice.
Pour faire court, élargir la qualité pour agir permet d’améliorer l’accès à la justice.