M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, l’année 2023 vient de se terminer et le décompte commence dans un certain nombre de domaines.
Vous avez évoqué les pompiers. Permettez-moi de rappeler les chiffres les concernant. On ne peut pas se satisfaire d’avoir enregistré cent agressions de moins en 2023, même si l’on peut saluer cette baisse, quand 1 400 sapeurs-pompiers se font agresser chaque année et quand 70 % des agresseurs – le chiffre donne à méditer – sont ceux auxquels les pompiers portent secours ! C’est dire combien certains comportements relèvent de l’irrationnel : comment comprendre, en effet, qu’une personne agresse celle qui vient la secourir ?
À bien des égards, les violences contre les élus résultent de la même déconstruction mentale, de la même absence de bon sens, de cohérence, de rationalité, et aussi d’une absence de respect.
Vous avez rappelé la proposition de loi qui a été votée à l’unanimité tant par le Sénat que par l’Assemblée nationale. Je veux saluer le dépôt, il y a quelques jours, sur l’initiative des présidents Retailleau et Marseille, ainsi que de la présidente Gatel, d’une proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local. En effet, nous savons que ce qui motive l’engagement des élus, c’est non pas le fait de se savoir protégés, mais c’est la perspective d’avoir les moyens d’aider leurs concitoyens, malgré le ras-le-bol normatif qui s’exprime parfois. Et c’est aussi le fait que cet engagement n’aura pas de conséquences trop lourdes sur leur vie personnelle, de sorte qu’ils pourront concilier leur projet avec une vie familiale normale.
Dans la continuité du texte qui a été voté au Sénat, ainsi que des travaux menés par Dominique Faure, dont je salue l’action, quelque 3 400 policiers et gendarmes ont été désignés référents « atteintes aux élus ». Le centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élus a enregistré, à la fin de l’année passée, 2 500 inscriptions d’élus souhaitant bénéficier d’un suivi particulier. Les formations se poursuivent et se multiplient. Les instructions envoyées au préfet, notamment par le ministre de l’intérieur et des outre-mer, dont je vous prie d’excuser l’absence, sont de plus en plus nombreuses. Mon collègue vous présentera bientôt un bilan plus complet.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le ministre, vous faites le même constat que moi, mais ce que vous venez de dire illustre une nouvelle fois l’incapacité de l’exécutif à répondre concrètement aux problématiques quotidiennes des Français et l’inventivité que le Gouvernement déploie pour formuler des promesses qui me semblent être sans lendemain. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
situation des pêcheurs
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Florence Lassarade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les agriculteurs souffrent, les pêcheurs aussi. En effet, dans le golfe de Gascogne, la pêche est interdite à tous les bateaux de plus de huit mètres pendant un mois.
Cet arrêt d’un mois doit se répéter pendant les hivers de 2025 et 2026 au nom de la protection des dauphins. Ainsi, plus de 450 navires resteront à quai pendant la période la plus propice pour les pêcheurs. C’est toute une filière qui est menacée.
Une décision du Conseil d’État visant à protéger les dauphins des captures accidentelles par des marins-pêcheurs est à l’origine de cette mesure radicale.
Pourtant, des dérogations avaient été initialement prévues et de nombreux pêcheurs avaient consenti à investir pour s’équiper de dispositifs de dissuasion acoustique et de caméras embarquées. En outre, d’autres solutions existaient. Les représentants de la filière avaient, par exemple, proposé la fermeture tournante des zones de pêche.
Mais l’interdiction de pêcher a été étendue à tous les navires européens et – cela était prévisible – a suscité de vives réactions. L’Association européenne des organisations de producteurs de poissons a appelé la Commission européenne à trancher. Elle estime, en effet, que cette décision unilatérale pénalise toute la filière pêche de l’Union européenne et considère que cette jurisprudence ne devrait s’appliquer qu’aux navires français. En attendant la décision de la Commission européenne, pendant un mois, les pêcheurs espagnols pourront tranquillement continuer de pêcher et concurrencer les Français.
Enfin, comble de l’absurdité, la communauté scientifique européenne estime que, depuis vingt ans, la population des dauphins communs est stable et ne court aucun risque à court terme dans le golfe de Gascogne.
Dans la mesure où l’on prélèvera moins de produits de la mer, les prix sur les étals des poissonniers risquent de s’envoler et la part des poissons importés de progresser.
Monsieur le ministre, face à cette décision radicale, absurde, injuste et dispendieuse, que proposez-vous pour sauvegarder la filière de la pêche française et pour permettre aux pêcheurs professionnels de continuer d’exercer leur métier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, la décision que vous contestez avec force relève non pas du politique, mais de la justice : c’est celle du Conseil d’État. Vous êtes libre, bien évidemment, de dénoncer le consensus scientifique sur lequel cette décision s’appuie. Dans les fonctions qui sont les miennes, il est de ma responsabilité d’appliquer les décisions de justice.
Je précise que les arrêts temporaires de la pêche n’ont rien de nouveau et ne se limitent pas à la protection des dauphins. En effet, il y a eu des arrêts temporaires pour la sole ou pour les civelles. Dans certains cas, des interdictions de pêche ont été prononcées.
Le Gouvernement a travaillé avec les pêcheurs pour éviter une fermeture spatiotemporelle pure et pour permettre des dérogations. Mais ces mesures ont fait l’objet d’une annulation par le Conseil d’État.
Face à cette situation, notre responsabilité est de soutenir la totalité de la filière, de l’amont jusqu’à l’aval. Au-delà de la période de crise dans laquelle nous sommes, il nous faut aussi réfléchir à plus long terme et anticiper la situation dans un an.
En revanche, je ne peux pas vous laisser dire que nous sommes en Absurdie parce que le dispositif varie en fonction de la nationalité des bateaux. En effet, l’article 13 a été appliqué sans délai : l’interdiction vaut pour tous les navires de plus de huit mètres et pas seulement pour les navires français. Le dispositif est entré en vigueur lundi dernier, à la première heure, et il est contrôlé non seulement par les préfectures maritimes, mais également par les navires et les avions de la marine nationale.
Les sanctions auxquelles s’exposent les navires de plus de huit mètres sont liées non pas à la couleur de leur pavillon, mais au fait de croiser dans les eaux du golfe de Gascogne.
Le comité des pêches tenait, bien évidemment, à ce que le dispositif n’entraîne aucune distorsion. Cette mesure est désormais effective. Nous pouvons débattre du principe de fermeture de la zone, des délais ou des indemnisations à prévoir, mais nous ne pouvons certainement pas remettre en cause le respect de cette interdiction ou bien son étendue. En effet, le Gouvernement a pris ses responsabilités et la situation est claire.
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour la réplique.
Mme Florence Lassarade. Comme pour l’agriculture, en reprenant les arguments erronés des ONG anti-pêche, vous conduisez le pays à l’insurrection, ni plus ni moins. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Mickaël Vallet. C’est une décision de justice !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
J’informe le Sénat que, mercredi prochain, à quinze heures, nous entendrons une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de notre Constitution. La conférence des présidents confirmera cet après-midi l’inscription de ce point à l’ordre du jour.
En conséquence, la prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 7 février, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Sophie Primas.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sophie Primas
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Protéger le groupe électricité de France d’un démembrement
Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement (proposition n° 579 [2022-2023], texte de la commission n° 248, rapport n° 247).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Mesdames, messieurs les sénateurs, je serai concis et clair : il n’a jamais été question de démembrer le groupe Électricité de France (EDF).
Nous allons examiner la proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement, mais je veux rassurer tout le monde ici et, en dehors de cet hémicycle, tous nos compatriotes : aucun démembrement d’EDF n’est prévu.
Nous avons définitivement abandonné le projet Hercule, qui avait suscité l’inquiétude des salariés d’EDF.
Le Président de la République et moi avons pris une décision radicale – prendre le contrôle de 100 % d’EDF –, qui devrait suffire à rassurer tout le monde puisqu’elle nous donne les mains libres pour conduire une politique ambitieuse pour la nation française et pour EDF.
Lors de mon premier déplacement comme ministre de l’énergie, je me suis rendu à Gravelines, site de la centrale nucléaire la plus importante d’Europe. À cette occasion, j’ai dit aux salariés de Gravelines, et, à travers eux, à tous les salariés d’EDF, que j’étais le garant de l’unité de cette grande entreprise française, dont dépend une grande partie de notre avenir.
Je profite de cette discussion générale pour répondre à trois questions essentielles, auxquelles je suis confronté au moment où je prends mes fonctions de ministre de l’énergie.
Que demandons-nous à EDF ? Que voulons-nous pour la Nation ? Que voulons-nous pour les Français ?
Nous demandons précisément trois choses à EDF.
Premièrement, EDF doit produire davantage. Chacun connaît les difficultés qu’a rencontrées l’entreprise au cours des mois qui se sont écoulés, notamment à la suite des problèmes de corrosion sous contrainte. Elles ont été résolues, et je tiens à remercier ici les salariés d’EDF.
Notre objectif commun doit être qu’EDF produise 400 térawattheures par an d’ici à 2030. Nous consommons plus d’électricité ; EDF doit donc en produire massivement. Voilà ce dont nous avons d’abord besoin.
Deuxièmement, nous demandons à l’entreprise publique d’investir à la fois dans le nucléaire, notamment pour réaliser six nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR) – huit autres seront mis à l’étude –, et dans les énergies renouvelables. Ce sont deux technologies complémentaires : l’énergie nucléaire garantit la stabilité et les énergies renouvelables viennent en surcroît. Aussi, nous attendons d’EDF qu’elle augmente les capacités de production des éoliennes offshore et terrestres, des panneaux photovoltaïques et des centrales hydroélectriques.
J’aimerais que chacun mesure le défi industriel que représente la réalisation de six nouveaux EPR. Il s’agit d’un défi financier considérable – il se chiffre en dizaines de milliards d’euros –, un défi en termes d’ingénierie, de technologie, de terrassement et de génie civil.
On se rend bien compte que pour réaliser de nouvelles tranches à Gravelines, il faudra d’abord creuser des fondations à plusieurs dizaines de mètres de profondeur, traverser les couches sablonneuses et argileuses avant d’atteindre un sol solide, pour ensuite construire des piliers d’acier d’une dizaine de mètres de hauteur, capables de supporter une charge de deux millions de tonnes, et enfin installer des réacteurs.
Puis il faudra faire le design le plus simple possible pour qu’il soit reproductible de manière régulière sur des réacteurs têtes de série et, ensuite, sur des séries entières de réacteurs.
Tout cela nécessite une ingénierie industrielle que nous n’avons pas mobilisée depuis près d’un demi-siècle en France.
Il s’agit donc d’un défi considérable pour EDF. Je veillerai à ce qu’il soit relevé, de sorte que les ambitions affichées par le Président de la République puissent se traduire par des réalisations concrètes.
Troisièmement, nous voulons pour EDF la stabilité financière ; nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de ce débat.
J’entends bien ceux qui arguent qu’EDF ayant été nationalisée – ses capitaux sont désormais à 100 % publics –, l’entreprise n’a qu’à proposer des prix cassés pour les ménages comme pour les entreprises. Mais si EDF est ruinée, c’est le contribuable qui devra recapitaliser l’entreprise et l’on ne sera guère plus avancé ! Il est donc essentiel de garantir la stabilité financière d’EDF.
La dette d’EDF s’élève à 65 milliards d’euros, ce qui en fait l’entreprise émettant le plus de dettes en Europe, alors même que les taux d’intérêt sont élevés. Il est donc essentiel de garantir la soutenabilité financière d’EDF. Cela aussi relève de ma responsabilité.
Que voulons-nous pour la Nation ?
Nous aurons l’occasion d’en discuter lors de l’examen du projet de loi de programmation pluriannuelle de l’énergie et du climat.
Je le sais, le retrait du volet programmatique du projet de loi sur la souveraineté énergétique a fait couler beaucoup d’encre. Je veux toutefois rassurer tout le monde : je l’ai fait pour mettre le sujet non pas sous le tapis, mais en pleine lumière, afin que nous puissions en discuter sereinement.
On ne fait pas une programmation pluriannuelle de l’énergie et du climat en quelques jours, dans la précipitation. Ce serait, selon moi, une erreur.
J’ai eu l’occasion de dire aux associations, aux ONG, aux élus locaux que je souhaitais que nous prenions le temps d’en discuter ensemble, mais aussi avec nos compatriotes, car une telle programmation emporte des choix technologiques, industriels et financiers, mais également sociaux et territoriaux.
Il n’a échappé à personne dans cette assemblée qui représente les territoires que près d’un tiers des capacités d’énergie produites par les éoliennes terrestres se situent actuellement soit dans les départements du nord de la France, soit dans la région Grand Est. Un certain nombre de nos compatriotes qui habitent dans le Nord ou dans la région Grand Est se demandent pourquoi les éoliennes terrestres sont toujours installées chez eux ! Pourquoi la répartition n’est-elle pas plus équitable ? Il faut en débattre avec les Français.
On veut avancer non pas contre les Français, mais avec eux,…
M. Mickaël Vallet. Et les retraites ?
M. Bruno Le Maire, ministre. … surtout lorsqu’il s’agit d’établir la stratégie énergétique qui engage l’indépendance de la Nation.
Aussi, nous voulons faire de la France la première économie décarbonée d’Europe à l’horizon de 2040.
Cela suppose d’avancer dans trois directions.
Premièrement, il nous faut d’abord viser la sobriété et l’efficacité énergétiques. Je commence par ce point, car je tiens à saluer les efforts qu’ont réalisés les ménages et les entreprises, avec lesquels nous avons gagné la bataille de la sobriété lors de l’hiver 2022-2023. Chacun fait des efforts, chacun fait attention à sa consommation d’énergie, et c’est la meilleure façon d’être indépendant.
Faire plus attention à l’énergie que nous consommons et récupérer l’énergie produite, par exemple, par les cimenteries ou les autres grandes usines consommatrices, pour alimenter le réseau de chauffage d’une ville ou d’une communauté d’agglomérations, voilà ce qu’est l’efficacité énergétique. Selon moi, la sobriété et l’efficacité énergétiques sont les éléments clés de notre stratégie.
Deuxièmement, il nous faut construire de nouveau des réacteurs nucléaires, afin de retrouver la grande ambition nucléaire qui a été au cœur de la souveraineté et de l’indépendance nationale au cours des dernières décennies.
Troisièmement, enfin, les énergies renouvelables font partie intégrante de notre stratégie. Nous devons accélérer dans ce domaine, car nous entrons dans une période où les réacteurs existants sont en fin de vie, alors même que les nouveaux ne sont pas encore disponibles, le premier d’entre eux devant être construit à partir de 2035.
Qu’on le veuille ou non, la réalisation d’un parc d’énergies renouvelables plus important est indispensable à l’indépendance de la Nation.
Que voulons-nous pour les Français ?
D’abord, nous voulons leur garantir la sécurité énergétique. Chacun l’a bien vu à l’occasion de la guerre en Ukraine, la dépendance énergétique à d’autres nations est la plus terrible des folies économiques. Par conséquent, nous devons renforcer notre indépendance.
Le défi, c’est de renforcer notre indépendance tout en étant capable d’augmenter massivement la part de l’électricité dans notre mix énergétique.
Nous le savons, la part du nucléaire dans l’électricité produite s’élève à 70 % ou à 75 %, ou plutôt à 60 % ou à 62 % désormais, mais nous oublions que 60 % du mix énergétique français – et c’est le chiffre sur lequel nous devrions fonder notre réflexion – est encore constitué d’énergies fossiles, alors même que nous n’en produisons plus !
Il faut donc réduire notre dépendance aux nations productrices, augmenter la part de l’électricité, c’est-à-dire doubler la part de l’électricité dans le mix énergétique français – elle s’élève actuellement à 27 % –, pour atteindre la neutralité carbone.
Cela suppose de réaliser des investissements absolument considérables, qui garantiraient toutefois à nos compatriotes la sécurité énergétique, la production sur notre territoire, l’indépendance en matière énergétique et la capacité à réindustrialiser la Nation.
Ensuite, nous devons garantir aux Français le coût le plus bas possible de l’électricité. Mesdames, messieurs les sénateurs, croyez-moi, ce n’est pas de gaieté de cœur que j’ai annoncé le rétablissement d’une partie de taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité. Simplement, si nous voulons garantir aux Français une capacité d’investissement, notamment dans les énergies renouvelables, il nous faut mettre fin au bouclier tarifaire sur l’énergie que nous avons mis en place pendant deux ans.
Nous ne pouvons pas faire reposer sur les épaules de l’État, c’est-à-dire sur les contribuables, le financement d’EDF ou des énergies renouvelables, qui était assuré auparavant par la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité.
Le montant de cette taxe s’élevait à 32 euros le mégawattheure avant la crise, nous l’avons baissée à 1 euro pendant deux ans. Nous la remontons progressivement, en la fixant à 21 euros au 1er février prochain. Nous sortirons définitivement du bouclier énergétique à compter du 1er février 2025.
À l’occasion de l’examen de cette proposition de loi contre le démantèlement d’EDF, je m’engage à ce que le prix de l’énergie soit stable pour les Français, lesquels seront moins exposés aux énergies fossiles, et à ce que le prix de l’électricité soit l’un des plus bas de tous les pays européens.
Je le redis, aucun démantèlement n’est prévu ; je suis le garant de l’unité de ce grand service public énergétique français. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
Mme Christine Lavarde, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le ministre, la discussion de la proposition de loi déposée par le député Philippe Brun avait suscité, lors de son examen en première lecture au Sénat, voilà neuf mois, un « enthousiasme général », selon le trait malicieux du rapporteur de l’époque, Gérard Longuet.
Neuf mois plus tard, le même enthousiasme semble toujours accompagner l’examen de ce texte, au moins chez ceux qui siègent à la gauche de cet hémicycle, puisqu’ils ont réinscrit le texte, en deuxième lecture, à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale puis du Sénat.
Toutefois, en neuf mois, le contexte a évolué. L’entreprise Électricité de France a été retirée de la côte le 8 juin dernier, dix-sept ans après son introduction en bourse. Certaines dispositions du texte initial n’ont donc plus lieu d’être. C’est pourquoi nous n’avons plus qu’à nous prononcer sur trois articles.
L’article 3 ter, qui prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sur l’intérêt de nationaliser Électricité de Mayotte, dont le capital est, je le rappelle, détenu conjointement par l’État, EDF et le conseil départemental de Mayotte, ne pose aucune difficulté.
L’article 3 bis prévoit l’extension des tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVE) à toutes les petites et moyennes entreprises (PME) sans seuil de puissance souscrite. Depuis longtemps, le Sénat demande aux gouvernements successifs de revenir sur la surtransposition de la directive européenne du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité.
La directive permet d’octroyer le bénéfice des TRVE à toutes les microentreprises. Pourquoi donc avoir introduit une distinction entre les commerçants, les artisans, les restaurateurs selon la puissance qu’ils ont souscrite ?
La suppression de ce seuil de puissance, aujourd’hui fixé à 36 kilovoltampères, permettra demain à toute collectivité ou entreprise réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 2 millions d’euros et employant moins de dix équivalents temps plein travaillé de bénéficier des tarifs réglementés de vente. Je le rappelle, il n’est pas possible d’élargir le périmètre des entités éligibles au-delà de cette définition sans contrevenir au droit européen.
Soyons honnêtes, un tel déplafonnement aurait pris tout son sens au moment de la flambée des prix de l’électricité sur les marchés de gros. Si un tel plafond, à hauteur de 36 kilovoltampères, n’avait pas existé, nombre de nos très petites entreprises (TPE) ou de nos commerçants n’auraient pas été confrontés à de telles difficultés financières. Le Gouvernement, lui, n’aurait pas eu à déployer des dispositifs de soutien, parfois difficilement accessibles.
Compte tenu du prix actuel, un tel déplafonnement a moins de sens, les offres de marché concurrençant désormais les TRVE.
J’ai gardé pour la fin le sujet le plus sensible, soulevé par l’article 2. Comme l’avait déjà souligné avec justesse notre ancien collègue Gérard Longuet, la crainte d’un démembrement d’EDF pose en creux des questions sur le futur du marché européen de l’électricité. Or le ministre nous a rassurés : de démembrement, il n’est plus question !
Depuis 2002, le marché européen de l’électricité est ouvert à la concurrence ; personne ne songe à remettre en cause ce principe, me semble-t-il.
En vertu du principe de liberté d’accès au marché, les tiers doivent pouvoir accéder au réseau électrique. En raison de l’évident monopole en la matière, multiplier les réseaux de transport et de distribution serait une véritable gabegie, aussi bien d’un point de vue financier qu’écologique, vous en conviendrez, monsieur le ministre.
Il faut donc accepter que Réseau de transport d’électricité (RTE) et Enedis soient indépendants d’EDF, même si cette dernière en est actionnaire, parce qu’elle n’est que l’un des multiples utilisateurs des réseaux.
Conformément à l’alinéa 9 du préambule de 1946, le capital des deux sociétés, Enedis et RTE, demeure public à 100 %.
Afin de ne pas figer l’organisation du groupe et pour permettre l’évolution des actifs détenus par EDF, qu’ils soient localisés sur le territoire national ou à l’étranger, la commission des finances a substitué à la liste des activités exercées par l’entreprise une disposition prévoyant la signature d’une convention décennale avec l’État, révisée tous les trois ans.
En effet, le plus important est moins de figer les moyens dont dispose l’entreprise que de s’intéresser à ses résultats. Il est également indispensable de lui donner de la visibilité sur les orientations à moyen terme de l’État actionnaire, au-delà de la seule question de la soutenabilité financière, monsieur le ministre !
M. Jean-François Husson. Eh oui !
Mme Christine Lavarde, rapporteur. Or en matière de stratégie, reconnaissons que les besoins sont criants !
Comment a-t-on pu décider de fermer Fessenheim, puis, quelques mois plus tard, d’augmenter le volume d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) et remettre en fonctionnement des centrales à charbon ? (M. Thomas Dossus proteste.)
Ces trois décisions manquent de cohérence. Pourtant elles ont été prises par la même majorité !
M. Jean-François Husson. C’est vrai !
Mme Christine Lavarde, rapporteur. Ce contrat devra préciser la manière dont l’entreprise EDF répondra, dans les prochaines années, à trois grands défis.
Le premier défi, c’est la décarbonation de la production de l’électricité, condition sine qua non de la décarbonation de l’économie. Elle ne peut reposer que sur le retour d’une politique de développement du nucléaire ambitieuse.
Le deuxième défi, c’est la maîtrise des prix de l’électricité, pour les ménages et pour les entreprises. Que se passera-t-il après la disparition du mécanisme de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, le 31 décembre 2025 ? Quelle place occupera EDF, le principal producteur et gestionnaire d’actifs de production financé par des fonds publics ?
Le troisième défi, c’est l’adaptation des capacités de production à l’évolution de la demande d’électricité.
Monsieur le ministre, il ne vous a pas échappé que l’électricité se stocke difficilement : la possibilité d’installer des stations de transfert d’énergie par pompage (Step) est limitée ; la production de batteries dépend de la disponibilité des matières premières qui les composent et ses effets environnementaux soulèvent des questions. Par ailleurs, celle-ci sera de plus en plus décentralisée et individualisée.
Au travers de ce contrat, l’État doit affirmer qu’il fait de l’indépendance énergétique l’une de ses principales préoccupations.
Du reste, j’ai bien entendu que vous partagez ces mêmes objectifs, même si vous les exprimez en d’autres termes, monsieur le ministre.
Enfin, la commission des finances a souhaité revenir à la rédaction adoptée par notre assemblée en première lecture de la disposition tendant à ouvrir le capital de l’entreprise aux salariés actuels et anciens. En choisissant d’employer un verbe à l’indicatif, elle réaffirme que cette ouverture devra se faire.
Les débats sur la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, nous avaient donné l’occasion d’exprimer de nouveau notre soutien à l’actionnariat salarié. Depuis lors, notre position n’a pas changé !
Sur ce sujet, il n’est pas acceptable de faire du « en même temps », c’est-à-dire d’offrir cette possibilité à certaines entreprises et, en même temps, de la refuser à d’autres, au motif qu’elles sont publiques !
Pour autant, le capital social ne doit pas être ouvert à n’importe quel moment ni de n’importe quelle façon, et ce dans l’intérêt des futurs actionnaires minoritaires.
La rédaction adoptée par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, ainsi que certains amendements qui seront défendus cet après-midi, soulève plusieurs difficultés. Je pense notamment à la valorisation des actions et au renouvellement des opérations d’ouverture en capital.
Aussi, la rédaction issue des travaux de la commission des finances me semble équilibrée : elle inscrit dans la loi le principe de l’ouverture, tout en laissant ouvertes les modalités d’ouverture.
À plus court terme, il pourrait être intéressant qu’EDF mette en place l’intéressement des salariés aux résultats de l’entreprise.
Le calendrier d’étude de cette proposition de loi n’est peut-être pas le plus opportun : le marché de l’énergie est en plein bouleversement, les règles du jeu pour les prochaines décennies sont en train d’être établies à l’échelle européenne et nationale.
Nous aurons donc l’occasion de débattre de ce sujet de nouveau très prochainement, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)