M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition énergétique.
La COP28 s’est achevée la semaine dernière sur une tonalité en demi-teinte en l’absence du vote des États insulaires, pourtant concernés au plus haut point par le réchauffement climatique.
Annoncer la sortie progressive des énergies fossiles, c’est aller un peu vite en besogne, madame la ministre. La déclaration finale est bien plus évasive et suscite autant de questions qu’elle apporte de réponses.
Cet accord, s’il n’est pas mauvais, est loin d’être historique. Pour qu’il le soit, il aurait peut-être fallu soutenir un traité de non-prolifération du pétrole, du gaz et du charbon. Un tel traité aurait constitué un premier pas significatif vers une réelle sortie des énergies fossiles, au moment où de nouveaux forages sont à l’ordre du jour en mer du Nord, au Canada et même en Gironde !
Pour que les actifs fossiles deviennent des actifs échoués, il faut que les pays développés montrent la voie en s’interrogeant sur les subventions publiques accordées aux combustibles fossiles, qui ont atteint un niveau record.
Quel est le calendrier de suppression des niches fiscales favorables aux énergies fossiles ? Alors que l’Agence internationale de l’énergie nous rappelle que la trajectoire de 1,5 degré est encore atteignable, défendrez-vous dans notre future contribution nationale une régulation de nature financière afin d’enrayer la prolifération des énergies fossiles ?
Doit-on voir dans la participation de la France à des groupes de travail sur la finance climatique une volonté du Gouvernement de mettre en place une législation bancaire contraignante et audacieuse ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Madame la sénatrice Bonnefoy, je ne partage pas votre avis : cet accord marque des avancées majeures, d’abord en ce qui concerne les énergies fossiles.
Il s’agit du premier accord, en vingt-huit COP, qui prévoie une sortie des énergies fossiles : c’est bien ce que signifie transition away, de même que phase out. On ne va pas faire un cours d’anglais !
M. Mickaël Vallet. Pas d’anglais ! C’est contraire au règlement !
M. Jacques Grosperrin. Merci Villers-Cotterêts !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Je suis factuelle : l’accord prévoit une sortie des énergies fossiles, du pétrole, du gaz et du charbon. Par ailleurs, il fixe des dates, la sortie devant s’effectuer au rythme qui permet de respecter le scénario d’un réchauffement de 1,5 degré. Il fixe également des objectifs : pic des émissions en 2025, baisse de 43 % des émissions en 2030 et neutralité carbone en 2050. Tout cela figure dans ce texte.
Ensuite, vous avez raison d’évoquer les financements. En la matière, la France a joué un rôle instrumental. Elle a d’abord permis d’obtenir un accord sur le fonds destiné à compenser les pertes et dommages et ainsi de rebâtir la confiance avec les pays du Sud. Elle a ensuite porté le pacte de Paris pour le peuple et la planète, notamment son volet relatif aux financements innovants.
Comment, au-delà des financements publics des pays développés, élargir la base des donateurs ? Comment trouver d’autres financements ? Je pense à la taxation internationale, à la réforme de la Banque mondiale, qui est engagée, à celle des banques multilatérales de développement. Toutes ces réformes figurent aujourd’hui dans le texte, mais ne sont pas opérationnelles. Notre objectif est clairement de les mettre en œuvre.
Je vous confirme que nous sommes non seulement fortement engagés dans les groupes de travail, mais aussi à l’avant-garde en ce qui concerne ces différents dispositifs de financement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Yannick Jadot. Et la Gironde ?
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour la réplique.
Mme Nicole Bonnefoy. Madame la ministre, le moment de vérité aura lieu en 2027, lors de la COP30, qui sera présidée par le Brésil. La France devra être au rendez-vous, car elle a un devoir d’exemplarité.
Nous espérons que vous saurez vous inspirer des COP régionales pour alimenter le Plan national d’adaptation au changement climatique, car c’est bien souvent dans les collectivités que sont inventées les solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Michel Savin applaudit également.)
grève des magistrats des tribunaux administratifs
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Monsieur le garde des sceaux, jeudi dernier, le 14 décembre, alors que le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration venait à peine d’être envoyé en commission mixte paritaire, un préavis de grève a été déposé par deux organisations syndicales de magistrats administratifs.
Ces deux organisations ont appelé « les magistrats administratifs à la grève le 18 décembre, jour de la commission mixte paritaire, pour faire obstacle à l’adoption du projet de loi ».
Est-il bien raisonnable, monsieur le garde des sceaux, qu’avant même le début des travaux de ladite commission et alors qu’aucune version du texte ne pouvait alors être tenue pour certaine, des magistrats se mettent en grève au motif que certaines dispositions qui ne leur conviendraient pas puissent figurer dans un projet de loi ?
M. François Bonhomme. C’est un scandale !
M. André Reichardt. Entendons-nous bien, il ne s’agit naturellement pas pour moi de contester ici l’exercice du droit de grève. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et GEST.) Il est simplement question du respect dû au travail parlementaire et de l’absolue nécessité pour le législateur d’exercer sa difficile tâche en toute indépendance, hors de toute pression politique ou autre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. André Reichardt. Ce mouvement de grève est une perturbation illégitime du service public de la justice au seul motif que certaines dispositions, déplaisantes aux yeux de certains fonctionnaires, pourraient éventuellement être adoptées.
Monsieur le garde des sceaux, il est inacceptable que le fonctionnement de la justice soit suspendu lors des travaux d’élaboration d’une loi parce que celle-ci déplaît à quelques magistrats. N’y a-t-il pas là un véritable problème en matière de séparation des pouvoirs ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Reichardt, les syndicats de magistrats administratifs ont effectivement appelé à la grève pour manifester contre le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Le taux de gréviste a été de l’ordre de 18 %.
Les magistrats critiquaient le texte adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui revenait en partie sur la simplification du contentieux des étrangers. Le texte voté hier est revenu à la rédaction du Sénat, qui est conforme aux recommandations du Conseil d’État et permet une réelle simplification des procédures. Nous passerons en effet de douze à trois procédures distinctes.
Les syndicats de magistrats administratifs critiquaient également l’extension du rôle du juge unique à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), mais la rédaction retenue dans la loi laisse une grande latitude à la Cour pour orienter les affaires soit vers une audience avec un juge statuant seul, soit vers une audience collégiale.
Je veux vous rassurer, monsieur le sénateur : le projet de loi a finalement été adopté ; il sera soumis au Conseil constitutionnel ; une fois promulgué, il deviendra la loi de la République. Et les magistrats, qu’ils soient administratifs ou judiciaires, auront à l’appliquer, car ils sont la bouche qui dit la loi et non pas la plume qui la rédige. Ceux qui ont la charge dans notre République de rédiger la loi, c’est vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées des groupes UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour la réplique.
M. André Reichardt. Comment peut-on faire une grève sur le fondement de simples hypothèses ? On sait désormais, monsieur le ministre, que, grâce à la loi votée hier, les procédures contentieuses relatives au droit des étrangers vont être considérablement simplifiées, ce qui est de nature à alléger le travail des magistrats. Comprenne qui pourra la cohérence de ce mouvement social, qui en dit long sur l’état de santé de notre pauvre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
procès à hong kong du dissident jimmy lai
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Olivier Cadic. Madame la ministre, ce lundi, le procès de Jimmy Lai s’est ouvert à Hong Kong.
Jimmy Lai, ce Hongkongais francophile qui a choisi la France pour s’y marier, est le fondateur du quotidien hongkongais indépendant Apple Daily, fermé en 2021 pour avoir soutenu les manifestations prodémocratie.
Âgé de 76 ans, le lauréat du prix pour la liberté de la presse décerné par Reporters sans Frontières a déjà passé trois années dans une prison de haute sécurité, sur le fondement d’accusations montées de toutes pièces.
Aujourd’hui accusé de sédition et de « conspiration avec des forces étrangères », il risque la perpétuité en vertu de la loi sur la sécurité nationale imposée par Pékin en 2020 pour faire taire la contestation à Hong Kong.
Pékin a décidé de transgresser ses engagements internationaux, pris lors de la rétrocession de Hong Kong.
Xi Jinping, c’est la liberté d’oppression ; Jimmy Lai, c’est la liberté d’expression.
Citoyen britannique, Jimmy Lai aurait pu quitter Hong Kong. Malgré les périls imminents, il n’a jamais fléchi dans son engagement en faveur des droits fondamentaux et de la démocratie.
Alors que s’ouvrait son procès, plusieurs pays ont appelé publiquement les autorités de Hong Kong à mettre fin aux poursuites intentées contre Jimmy Lai et à le libérer.
Madame la ministre, quelle est la position de la France ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux.
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux. Monsieur le sénateur Olivier Cadic, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, retenue par une réunion sur la situation au Proche-Orient avec nos partenaires.
La situation des droits de l’homme à Hong Kong est très préoccupante. Trois ans après l’adoption de la loi sur la sécurité nationale en juillet 2020, le bilan est sans appel : nous assistons à une inquiétante érosion de la démocratie et à un démantèlement systématique des droits et des libertés.
Dans ce contexte, la France suit attentivement le procès de Jimmy Lai qui vient de s’ouvrir, compte tenu des enjeux qu’il représente pour la liberté d’expression et la liberté de la presse à Hong Kong.
Ce procès nuit à la confiance dans l’État de droit et à l’attractivité de Hong Kong. Notre consulat a assisté aux côtés de nos partenaires européens à l’ouverture de ce procès et continuera de s’y rendre, conformément à l’approche de l’Union européenne consistant à soutenir les militants prodémocratie et les défenseurs des droits à Hong Kong.
Notre action va plus loin. Le prix franco-allemand des droits de l’homme et de l’État de droit a été décerné le 10 décembre à Mme Hang-Tung Chow, avocate à Hong Kong placée en détention préventive depuis plus de deux ans.
Nous continuerons de marquer l’importance du respect de l’État de droit à Hong Kong dans nos échanges bilatéraux avec la Chine.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour la réplique.
M. Olivier Cadic. Merci, madame la secrétaire d’État, pour votre engagement.
Dix-huitième voilà vingt ans du classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, Hong Kong figure désormais à la cent quarantième place. La Chine, quant à elle, est cent soixante-dix-neuvième du classement sur cent quatre-vingt.
Après la mort, en 2017, du poète chinois Liu Xiaobo tandis qu’il purgeait une peine pour « subversion du pouvoir de l’État », le parti communiste chinois est devenu le deuxième régime, après celui des nazis, à avoir laissé mourir un prix Nobel de la paix dans ses prisons. Le régime de Xi Jinping est sans états d’âme.
Mes chers collègues, unissons nos appels pour libérer Jimmy Lai et le sauver ! (Applaudissements.)
nouveau conseil présidentiel pour la science
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains.
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le ministre, le Président de la République a annoncé récemment la création d’un conseil scientifique, ou plutôt d’un conseil présidentiel de la science – ce n’est pas tout à fait la même chose –, composé de douze éminents spécialistes dans leur domaine de référence.
On peut comprendre l’intérêt de s’appuyer sur les avis éclairés de scientifiques pour prendre des décisions stratégiques qui engagent l’avenir du pays pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies, mais on peut aussi s’interroger sur le rôle et le fonctionnement effectif de ce prochain conseil, et même sur l’attention que voudra bien lui accorder un Président de la République dont la capacité d’écoute n’est pas la première des qualités.
Monsieur le ministre, ne craignez-vous pas que ce nouveau conseil ne se transforme en l’un de ces comités Théodule dont notre pays a le secret et dont l’efficacité est souvent inversement proportionnelle à la médiatisation ?
L’indépendance de ce conseil sera-t-elle garantie alors qu’il ne sera pas amené à publier ses avis ?
Question subsidiaire, pourriez-vous informer le Président de la République de l’existence d’une structure parlementaire, bicamérale de surcroît ? Il s’agit de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, que j’ai l’honneur de présider en ce moment, dont la mission est justement d’orienter les décisions du pays en matière scientifique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Piednoir, la réponse est, me semble-t-il, dans votre question ! Comme vous l’avez rappelé à juste titre, le Parlement a su se doter d’un outil précieux en matière d’éclairage scientifique, l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (Opecst), qui fait un travail absolument remarquable et, de surcroît, transpartisan.
Et alors que le Parlement reconnaît avoir besoin d’un éclairage scientifique permanent sur les grands sujets d’envergure nationale et internationale, le Président de la République, lui, ne devrait pas disposer d’un conseil de scientifiques renommés ?
Mme Sophie Primas. Comment sont-ils choisis ?
M. Olivier Véran, ministre délégué. Le principe même de séparation des pouvoirs répond à votre question.
M. Jean-François Husson. Ce n’est pas le sujet !
M. Olivier Véran, ministre délégué. Au fond, monsieur le sénateur, nous avons acquis une conscience encore plus aiguë de l’ampleur du travail de conviction scientifique à faire dans notre pays.
Ainsi, au cours de la crise de la covid-19, nous avons vu – cela a peut-être été rare, mais il y a eu des cas y compris sur les travées du groupe LR du Sénat – que certains confondaient malheureusement magie et science, voire proclamaient la prépondérance de la magie sur la science.
M. Jean-François Husson. Notamment à Marseille, où le Président de la République s’est rendu !
M. Olivier Véran, ministre délégué. C’est dangereux dans une société démocratique et moderne.
Le chef de l’État est chargé de la politique de la Nation. Je pense notamment au plan France 2030 et à ses budgets d’investissement. Il doit être conseillé, et bien conseillé, afin de savoir comment son gouvernement doit orienter les crédits de l’État pour préparer la France à son avenir dans le domaine spatial, dans le domaine de la microbiologie, dans le domaine climatique, dans le domaine des mathématiques…
C’est, je le crois, de bonne politique, monsieur le sénateur. Le Président de la République corrige là un manque en France, puisque beaucoup de grandes démocraties matures sont déjà dotées de conseils présidentiels scientifiques.
Je précise à toutes fins utiles que ce conseil ne se substituera en aucun cas aux fédérations scientifiques ou aux académies, qui participent à l’animation scientifique dans la société civile. Vive la science ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.
M. Stéphane Piednoir. J’observe l’absence de la ministre Retailleau sur les bancs du Gouvernement… (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le ministre, vos propos confirment les lacunes d’Emmanuel Macron et son ignorance du fonctionnement du Parlement.
S’il avait tenu un peu plus compte des travaux parlementaires, notamment de ceux de l’Opecst, dont les rapports sont publics, cela nous aurait évité des décisions ravageuses pour l’avenir du pays. Je pense en particulier à l’arrêt du programme Astrid en 2019, décision prise de manière totalement solitaire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
À l’heure où nous envisageons d’explorer Mars, il serait peut-être temps de faire atterrir Jupiter ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. David Ros et Éric Jeansannetas applaudissent également.)
proposition de directive européenne relative aux travailleurs ubérisés
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Olivier Jacquin. Monsieur le ministre du travail, je reviens une nouvelle fois vers vous au sujet des travailleurs de plateformes. Le temps passe et le champ de l’ubérisation ne cesse de s’élargir, bien au-delà des seuls livreurs à vélo et conducteurs de véhicules de transport avec chauffeur (VTC).
D’ailleurs, les requalifications judiciaires de travailleurs ubérisés en salariés se multiplient partout en Europe, et hier encore en France, avec StaffMe et Monoprix.
Monsieur le ministre, voilà deux ans jour pour jour, j’interrogeais votre prédécesseure, devenue Première ministre, sur la position de la France à l’égard de la directive de Nicolas Schmit donnant des droits sociaux à ces travailleurs. Elle m’avait répondu que le temps législatif européen était long.
Deux ans après, nous y sommes. Un vote aura lieu vendredi matin sur le compromis entre Parlement européen et Conseil. Monsieur le ministre, la France soutiendra-t-elle cette harmonisation sociale par le haut ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Monsieur le sénateur Jacquin, vous m’interrogez sur les conditions du dialogue social et les droits des travailleurs des plateformes et sur l’état des travaux à l’échelon européen concernant la directive en discussion.
La manière dont la France a choisi de donner des droits sociaux aux travailleurs des plateformes n’est pas une démarche nouvelle, puisque cela remonte à la loi défendue en 2016 par Myriam El Khomri, complétée par les ordonnances prises par Mme Élisabeth Borne, alors ministre des transports, puis par des ordonnances prises au ministère du travail pour organiser les élections permettant la représentation des travailleurs de plateformes.
Le modèle que nous avons mis en place fonctionne. Pas plus tard qu’hier, trois accords ont été proposés, permettant, par exemple, de relever le prix minimal de course, de garantir un revenu horaire et kilométrique, et d’assurer une plus grande liberté tant pour les chauffeurs que pour les livreurs dans le choix des courses qu’ils veulent ou ne veulent pas effectuer. Depuis le début de l’année, une dizaine d’accords ont été soumis à discussion, au vote et à signature.
La directive qui sera proposée au Comité des représentants permanents vendredi concernant les travailleurs de plateformes est issue des trilogues entre le Parlement, la Présidence espagnole et le Conseil des ministres européens du travail. Elle est très différente du projet du Conseil. Le 12 juin dernier, la France a soutenu l’initiative du Conseil européen des ministres au travail et nous avons voté en faveur de la directive. Nous avions dit que nous pourrions la soutenir après le trilogue à condition qu’elle ne s’éloigne pas du projet initial.
Passer de trois critères sur sept à deux critères sur cinq, aller vers une directive qui permettrait des requalifications massives, y compris de travailleurs indépendants qui tiennent à leur statut, c’est un vrai changement, que nous ne pouvons pas soutenir. Je l’ai indiqué à mon homologue espagnol, à l’instar de nombreux autres de mes collègues européens, qui ont dit que ce projet de directive issu des trilogues n’est pas respectueux des équilibres trouvés en conseil des ministres du travail européens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le ministre, sauf votre respect, une telle position n’est pas sérieuse. Il y a près de 90 % de travail illégal chez les livreurs à vélo parisiens ! Aux élections dont vous parlez, il n’y a eu que 4 % de participation. Et vous continuez de glorifier l’autorité de régulation ? Vous feriez mieux de la dissoudre. D’ailleurs, nous n’en aurons plus besoin si vous votez pour la directive, ce qui ne semble être le cas.
Avec Emmanuel Macron, vous vous glorifiez d’être les seuls détenteurs du flambeau européen, mais, vendredi, c’est bien vous qui porterez un coup fatal à la construction d’un socle de droits sociaux pour des travailleurs qui en sont dépourvus.
Vous refusez que l’Europe soit synonyme de progrès social ! Vous confirmez être l’État au service du marché ! Vous abîmez la valeur du travail et organisez la précarité des jeunes générations ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la Première ministre manifeste son agacement.) Vous abandonnez les travailleurs et les livrez en pâture au capitalisme le plus sordide, comme hier vous abandonniez les sujets migratoires à l’extrême droite ! (Mêmes mouvements.)
Mme Monique Lubin. Exactement !
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Olivier Jacquin. Cessez votre « en même temps » du pire et revenez aux fondamentaux républicains ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
guichet unique des formalités des entreprises
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Martine Berthet. Monsieur le président, ma question s’adressait à M. le ministre Bruno Le Maire.
M. Francis Szpiner. Il n’est pas là !
M. Laurent Burgoa. Dommage…
Mme Martine Berthet. Madame la ministre Olivia Grégoire, dans douze jours précisément, le guichet unique créé par la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, après deux années totalement chaotiques et insatisfaisantes, doit devenir l’unique interlocuteur des entreprises pour déclarer leur création, les modifications de leur situation ou la cessation de leur activité.
Ces dernières redoutent désormais la fin de toutes les procédures transitoires, alors que de très nombreux dysfonctionnements perdurent. Le guichet unique ne traite actuellement que 36 % des demandes de modification et 20 % des cessations d’activité ne sont toujours pas enregistrées.
Par ailleurs, les procédures effectuées par cette voie censée simplifier les démarches se révèlent bien plus complexes et fastidieuses, avec des délais de traitement qui explosent, là où il fallait auparavant vingt-quatre heures. Si vous le souhaitez, madame la ministre, j’ai de nombreux exemples à vous fournir.
Ainsi, malgré les embauches et les progrès déjà réalisés, les équipes de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) sont encore aujourd’hui dans l’impossibilité de répondre à l’ensemble des sollicitations liées à ces dysfonctionnements. Le registre national des entreprises ne sera toujours pas opérationnel au 1er janvier, ce qui crée des risques économiques et juridiques.
Quelles sont les mesures prévues pour garantir une mise en œuvre correcte du guichet unique, madame la ministre ? Dans l’attente, la prolongation de la procédure de secours est-elle bien envisagée dès le 1er janvier 2024 ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice Berthet, comme vous le savez, le guichet unique a connu de nombreuses difficultés à son démarrage ; le Gouvernement ne l’ignore pas, qu’il s’agisse de Bruno Le Maire ou de moi-même.
Un dispositif d’une telle ampleur nécessite des ajustements et des améliorations. Nous y sommes attentifs, pour que nos entreprises puissent plus facilement déposer leurs formalités de création, de modification ou de cessation d’activité.
La situation, si elle n’est toujours pas satisfaisante aujourd’hui, s’est améliorée depuis le début de l’année. Vous le savez, tous les types de formalités sont désormais disponibles sur le guichet. Deux millions de déclarations ont été déposées depuis le début de l’année. Au 30 novembre 2023, on comptait depuis l’ouverture du guichet un flux de plus de 12 000 formalités par jour, avec un objectif de 20 000 formalités par jour.
Le guichet unique reçoit donc 100 % des formalités de création d’entreprises, et plus de 80 % des autres formalités. Il est monté en puissance et en qualité, comme en attestent les chiffres que je viens de partager avec vous, pour les formalités de création, de dépôt, de cessation ou de modifications.
L’enjeu est désormais de garantir la continuité et l’amélioration du service pour tous les déclarants, notamment dans les modifications de société, dont seulement 20 % passent aujourd’hui par le guichet unique.
Avec Bruno Le Maire et l’ensemble des parties prenantes – les greffiers, les chambres consulaires, les organismes compétents –, nous mettons en place une procédure de continuité pour les usagers, afin qu’ils puissent effectuer leur démarche de manière dématérialisée, y compris en cas de nouveaux dysfonctionnements du guichet.
Vous avez eu la sagacité de me proposer des exemples, madame la sénatrice. Comme le disait si bien Saint-Exupéry, l’autre, loin de me léser, m’augmente ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe RDPI.)