M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, puisque nous abordons un sujet européen et que vous m’avez précédemment taquiné au sujet d’un vote de la délégation du parti populaire européen (PPE), je ne voudrais pas que vous ayez affaire à un ingrat. (M. le ministre sourit.)
Permettez-moi de porter à votre connaissance un vote sur les orientations budgétaires de la délégation Renaissance par lequel celle-ci s’est opposée à un amendement du PPE qui invitait la Commission et les États membres à renforcer les capacités et les infrastructures de protection des frontières.
Bien sûr, la délégation, à deux voix près, s’est opposée à notre amendement. Le problème, c’est que cet amendement visait à reprendre mot pour mot les conclusions du Conseil européen adoptées au mois de février par tous les chefs d’État et les chefs de gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je dis à M. Retailleau qu’il a raison et que je regrette ce vote du groupe Renew. Est-ce que vous regrettez pour votre part le vote du groupe PPE ? (M. Bruno Retailleau sourit.)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 377 rectifié, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéas 3 à 6
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
…° Le deuxième alinéa de l’article L. 434-8 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque l’indice national des prix à la consommation, hors tabac, atteint un niveau correspondant à une hausse d’au moins 2 % au cours des douze derniers mois, le montant du plancher de ressources mentionné à la première phrase est minoré par un montant équivalent à la hausse de l’indice national des prix à la consommation, hors tabac sur la période des douze derniers mois. »
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement vise à adapter les dispositions relatives au plancher de ressources nécessaires pour avoir le droit de demander un regroupement familial.
Le système actuel a été pensé à une époque où l’inflation était assez faible, de l’ordre de 1 %. Il est indexé sur le Smic. Alors que l’inflation est beaucoup plus forte aujourd’hui et qu’un certain nombre de personnes demandant un regroupement familial ne sont pas concernées par l’indexation du Smic, parce qu’elles ne sont pas salariées ou parce qu’elles sont indépendantes, ce système est très pénalisant. Le salaire de ces personnes augmente en effet moins vite que l’inflation. De ce fait, elles perdent du pouvoir d’achat et leur droit à vivre avec leur famille, ce qui est de plus en plus difficile.
Nous proposons donc d’adapter ce plancher pour qu’il soit minoré d’un montant équivalent à la hausse de l’indice national des prix à la consommation lorsque l’inflation annuelle dépasse les 2 %.
Mme la présidente. L’amendement n° 378 rectifié, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement vise à supprimer le mot : « régulier » pour qualifier les ressources du demandeur.
Nous comprenons qu’il soit nécessaire de fixer des conditions de ressources, qu’il faille que ces ressources soient stables, c’est-à-dire disponibles tout au long de l’année, mais non qu’elles doivent être régulières. Je ne sais pas ce que sont des « ressources régulières » d’un point de vue juridique. S’agit-il de ressources mensuelles ? Semestrielles ? On ne le sait pas exactement.
Par ailleurs, de nombreuses personnes ont des ressources stables sur l’année, mais, parce qu’elles exercent la profession de journaliste ou d’artiste ou parce qu’elles sont indépendantes, elles n’ont pas des ressources qu’on peut qualifier de « régulières » stricto sensu.
Nous proposons donc de supprimer l’alinéa 4, parce qu’il pénalise certaines personnes de manière injuste. Au demeurant, ce ne sont pas des personnes que vous souhaitez réellement cibler.
Mme la présidente. L’amendement n° 379 rectifié, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer les mots :
pour lui-même et pour les membres de sa famille
par les mots :
ou est couvert par la protection universelle maladie prévue à l’article L 160-1 du code de la sécurité sociale
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa prévoyant que la personne qui demande un regroupement familial doit disposer d’une assurance maladie pour elle-même et pour les membres de sa famille.
Je l’ai déjà dit : une telle disposition n’a pas de sens ! En vertu du principe de territorialité posé par le code de la sécurité sociale, la famille du demandeur est affiliée au régime de protection sociale de l’État où elle réside. Des personnes qui ne vivent pas en France ne peuvent donc pas être affiliées à la sécurité sociale française. Ce n’est pas possible.
Il est bien sûr possible d’être assuré de manière privée, ce qui est la plupart du temps le cas dans les pays d’où proviennent ces personnes. Le plus souvent, il n’est pas possible de contracter en France une assurance sans avoir un titre de séjour.
Un tel ajout n’a donc strictement aucun sens. Il crée une situation qui rend de facto les conditions impossibles à remplir.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Nous avons souhaité introduire – vous le comprenez bien – une condition de ressources effectives. Nous prévoyons que celles-ci soient « régulières », d’où notre désaccord sur la désindexation.
Vous vous êtes interrogée, madame Vogel, sur ce critère de régularité. Nous avons en fait repris la directive du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, qui fait référence à cette notion. C’est pour cela que nous l’avons intégrée.
En ce qui concerne le régime d’assurance maladie, nous pouvons émettre deux hypothèses. Dans la première, la personne à l’origine du regroupement familial serait en mesure de fournir une couverture maladie dont bénéficierait celui qui ferait l’objet du regroupement. Dans la seconde, c’est-à-dire dans le cas contraire, situation qui serait a priori relativement plus rare, il y aurait en effet besoin de bénéficier d’une couverture médicale privée.
Ce dernier cas est tout à fait assumé, puisque nous ne voulons pas que des personnes puissent venir sur notre territoire dans des conditions où, par définition, elles ne pourraient pas bénéficier d’une couverture médicale, ce qui représenterait une charge en matière de solidarité nationale.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 338 rectifié, présenté par M. Tabarot, Mme Aeschlimann, MM. Allizard, Bacci, Bas, Bazin et Belin, Mmes Bellurot, Belrhiti et Berthet, MM. E. Blanc et J. B. Blanc, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme et Bonnus, Mme Borchio Fontimp, M. Bouchet, Mme V. Boyer, MM. Brisson, Bruyen, Burgoa et Cambon, Mme Chain-Larché, M. Chaize, Mmes de Cidrac et Ciuntu, MM. Darnaud et Daubresse, Mmes Demas, Deseyne, Di Folco, Drexler, Dumont, Estrosi Sassone, Eustache-Brinio et Evren, MM. Favreau et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud et Gosselin, MM. Gremillet et Grosperrin, Mme Gruny, MM. Gueret, Hugonet et Husson, Mmes Jacques, Josende et Joseph, MM. Karoutchi et Klinger, Mme Lassarade, MM. D. Laurent, Lefèvre, de Legge, H. Leroy et Le Rudulier, Mmes Lopez, Malet et P. Martin, M. Meignen, Mme Micouleau, M. Milon, Mme Nédélec, M. de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Panunzi, Paul, Pellevat, Pernot et Perrin, Mmes Pluchet, Primas et Puissat, MM. Rapin, Reichardt et Retailleau, Mme Richer, MM. Rojouan, Saury, Sautarel et Savin, Mme Schalck, MM. Sido, Sol et Somon, Mme Ventalon, MM. C. Vial, J.P. Vogel, Bouloux, Cuypers et Khalifé et Mme Petrus, est ainsi libellé :
Compléter cet article par trois alinéas ainsi rédigés :
« 5° Il justifie d’une somme d’argent destinée à assurer son installation, dont le montant est adapté à la taille de sa famille. » ;
…° La section 2 du chapitre IV du titre III du livre IV est complétée par un article L. 434-9-… ainsi rédigé :
« Art. L. 434-9-…. – La somme d’argent mentionnée au 5° de l’article L. 434-7 est indexée sur le salaire minimum interprofessionnel de croissance à temps complet et équivaut à quatre mois de salaire pour une famille de deux personnes et à six mois de salaire pour une famille de trois personnes. Au-delà du troisième membre de la famille, ce seuil est majoré d’un montant équivalent à un mois de salaire minimum supplémentaire pour chacune des personnes faisant l’objet d’une procédure de regroupement familial. Le demandeur apporte par écrit la preuve qu’il dispose des fonds. Ces fonds ne peuvent résulter d’un emprunt ou de toute autre immobilisation. Ils sont immédiatement disponibles pour subvenir aux besoins de la famille. Un imprimé officiel et identifiable d’un établissement bancaire situé en France doit faire apparaître l’existence de ces fonds, les informations de son titulaire et ses moyens de paiements. Ce document précise également tous soldes, prêts, dettes et impayés le concernant ainsi que la date d’ouverture des comptes, leur solde moyen sur six mois et leur solde actuel. »
La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Cet amendement vise à créer un fonds d’installation préalable au regroupement familial.
Avis de sagesse.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 514 rectifié, présenté par Mme Aeschlimann, MM. Belin, Duffourg, Klinger et Bouchet, Mme Belrhiti, MM. Reynaud et Laugier, Mme Berthet, MM. Genet et Favreau, Mmes Jacques et Bellurot, MM. Tabarot, Gremillet et Menonville, Mme Canayer et M. Khalifé, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« …° Il justifie d’un examen médical, pour chaque personne faisant l’objet d’une demande de regroupement familial, réalisé dans le pays d’origine datant de moins de trois mois. Les modalités de cet examen médical sont fixées par décret en Conseil d’État. »
La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Actuellement, un examen médical est obligatoire dans le cadre du regroupement familial. Il peut être effectué dans le pays d’origine si une antenne de l’Ofii est présente et l’organise. C’est le cas notamment au Maroc, au Cameroun, au Canada, au Mali, au Sénégal, en Tunisie, en Turquie ou en Roumanie. En l’absence d’antenne, la visite médicale a donc lieu non pas sur place, mais après l’arrivée de la famille en France.
Les candidats au regroupement familial bénéficient ainsi d’un visa temporaire, afin d’effectuer cette visite médicale. Cette dernière permet de vérifier l’état de la vaccination ou encore certains risques, comme la tuberculose. Elle a pour objet de s’assurer que les conditions médicales autorisant le séjour en France sont bien remplies.
Si ces conditions ne sont pas remplies, qu’advient-il alors des candidats à l’entrée ? Normalement, ils doivent retourner dans leur pays d’origine, mais, dans beaucoup de cas, ils restent sur le territoire national et s’inscrivent dans la clandestinité.
Pour prévenir une telle situation, l’amendement vise à instaurer un contrôle médical préventif dans le pays d’origine, comme l’Ofii le fait déjà là où elle dispose d’antennes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous comprenons l’intention de Mme Aeschlimann et des cosignataires de cet amendement. Malheureusement, compte tenu de la rédaction qui est proposée, un tel examen médical n’aurait en réalité aucune conséquence du point de vue du séjour.
La commission demande donc le retrait de l’amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je comprends bien la problématique que soulève Mme la sénatrice : je constate aussi cette absence de conséquences. Peut-être pourrions-nous adopter cet amendement si vous acceptiez l’idée de l’assortir, lors de la navette parlementaire, de sanctions ou d’autres effets, comme l’a indiqué Mme la rapporteure.
Sur le principe, l’avis du Gouvernement est favorable.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme la présidente. Madame Aeschlimann, l’amendement n° 514 rectifié est-il maintenu ?
Mme Marie-Do Aeschlimann. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er B, modifié.
(L’article 1er B est adopté.)
Après l’article 1er B
Mme la présidente. L’amendement n° 380 rectifié, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Après l’article 1er B
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 434-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« …° Pour les couples homosexuels composés d’au moins une personne résidant ou originaire d’un pays où les couples homosexuels ne peuvent pas se marier, par son partenaire ou sa partenaire avec lequel l’étranger a conclu un partenariat civil avant sa venue en France ;
« …° Pour les couples homosexuels composés d’au moins une personne résidant ou originaire d’un pays où les couples homosexuels ne peuvent ni se marier ni conclure un partenariat civil, par son partenaire ou sa partenaire avec lequel l’étranger menait une vie commune suffisamment stable et continue sa venue en France. »
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement vise à rendre possible le regroupement familial pour les couples de même sexe quand existe un partenariat civil, si ce dernier est possible dans le pays où se trouve le conjoint, ou quand il peut être fait la preuve d’une vie commune, si ni mariage ni partenariat civil ne sont possibles.
Pendant l’examen en commission, Mme la rapporteure m’a indiqué avoir trouvé mon amendement bizarre : pourquoi se limiter aux couples de même sexe et donc exclure les couples hétérosexuels ? L’explication est que de nombreux pays dans le monde vivent dans la situation dans laquelle, chers collègues de droite, vous vouliez que la France demeure avant 2013, c’est-à-dire où le mariage pour tous n’existe pas et où les couples de même sexe ne peuvent pas se marier. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) Nous souhaitons donc corriger une discrimination. (Mêmes mouvements.)
Vous auriez aimé – je le sais bien – que la France reste dans l’état antérieur, mais vous avez perdu : désormais, le mariage pour tous est possible en France. Or, dans de nombreux pays dont sont issues les personnes qui ont droit au regroupement familial, le mariage de couples de même sexe est interdit.
Le dispositif actuel est donc purement discriminatoire. Certes, il existe une circulaire qui vise à reconnaître certains cas particuliers, mais apporter des garanties par la loi revient à donner plus de sécurité.
Afin de garantir la non-discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et l’égalité des droits, établies par la Constitution et par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, cet amendement a pour objet de rendre impossibles les différences d’accès au regroupement familial entre couples hétérosexuels et homosexuels.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Nous avons bien compris l’objet de votre amendement. Ses dispositions sont cohérentes, logiques et, bien entendu, tout à fait respectables. Toutefois, nous émettrons un avis défavorable, pour deux raisons.
D’une part, la rédaction de l’amendement pose des problèmes juridiques, parce que vous créez une asymétrie inverse, c’est-à-dire une situation de discrimination à l’égard des couples non homosexuels.
D’autre part, et c’est ce qui me semble l’argument principal, il s’agit d’un problème qui ne se pose pas. Je ne vois pas de raison de créer des difficultés pour des motifs totémiques. En effet, la situation est parfaitement connue. Chacun sait qu’à travers le monde les situations peuvent être extrêmement différentes en la matière.
Notre pays l’a pris en compte. La circulaire du 10 septembre 2010 a permis l’ouverture du droit au séjour aux étrangers entretenant une relation dûment attestée et durable. En effet, il paraît tout de même normal de vérifier que la relation soit durable ! Ces conditions permettent simplement de contrôler la réalité des liens entre deux étrangers pour éviter une voie de contournement des conditions actuelles du droit au séjour. Nous avons le sentiment que la situation est stable et, à notre connaissance, la mise en œuvre de cette circulaire n’a pas connu de difficultés ; aucune anomalie ne nous est remontée.
Même si nous comprenons parfaitement l’esprit de l’amendement que vous défendez, l’avis de la commission est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.
Mme Corinne Narassiguin. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est évidemment favorable à cet amendement. Nous précisons que le Ceseda reconnaît déjà les partenaires civils et les concubins en matière de réunification familiale. Il est donc important que la loi entre en cohérence et que le regroupement familial ne passe pas uniquement par une circulaire, afin de clarifier ce droit.
En effet, de nombreux couples sont concernés. Il existe encore beaucoup de pays où les unions homosexuelles ne sont pas reconnues. Les couples y vivent parfois dans des situations difficiles, voire sont mis en danger. Garantir dans le droit français le fait qu’ils puissent avoir droit au regroupement familial est donc une bonne disposition.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 380 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er C (nouveau)
Après l’article L. 434-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un article L. 434-7-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 434-7-1. – L’autorisation de séjourner en France au titre du regroupement familial est délivrée à l’étranger sous réserve qu’il justifie au préalable, auprès de l’autorité compétente, par tout moyen, d’une connaissance de la langue française lui permettant au moins de communiquer de façon élémentaire, au moyen d’énoncés très simples visant à satisfaire des besoins concrets et d’expressions familières et quotidiennes. »
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 162 est présenté par Mmes de La Gontrie et Narassiguin, MM. Bourgi, Durain et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron, Mme Brossel, M. Chantrel, Mmes Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Kanner et Marie, Mmes S. Robert et Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 381 rectifié est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
L’amendement n° 450 est présenté par M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour présenter l’amendement n° 162.
Mme Audrey Linkenheld. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er C, dont l’objet est, une fois encore, de restreindre le regroupement familial. Cette fois-ci, il s’agit de conditionner le regroupement non pas à un examen médical préalable, mais à un niveau de langue.
Nous aurons sans doute tout à l’heure un débat plus approfondi encore autour de cette exigence de maîtrise du français. Nous considérons pour notre part la langue comme un facteur d’intégration, et non d’exclusion. Nous reviendrons à la fois sur le niveau de français qu’il conviendrait d’atteindre et sur la manière dont la maîtrise est contrôlée.
Il est question dans cet article d’exiger un niveau de langue « au préalable » de l’entrée sur le territoire : il est demandé à la personne qui vise un titre de séjour de disposer d’un certain niveau de langue non pas en France, mais avant même son arrivée.
La mesure nous paraît disproportionnée. On peut d’ailleurs se demander ce qu’elle deviendrait si on l’appliquait à nos propres expatriés. Demanderait-on à leur conjoint d’apprendre préalablement le mandarin ou toute autre langue ? Ce ne serait évidemment pas le cas.
Au-delà du parti pris d’exclusion, que nous dénonçons, des questions se posent en matière d’efficacité et de discrimination. Comment fait-on dans certains pays pour acquérir ce niveau de langue ? Pour trouver des structures qui permettent d’apprendre le français ? Nous savons très bien que les États en question sont des pays ruraux ; on ne va pas y pratiquer le e-learning ! Comment fait-on pour payer l’enseignement du français ? Là encore, d’un État à l’autre, la situation est très différente.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame Linkenheld.
Mme Audrey Linkenheld. Parce que cet article est discriminatoire, inefficace et disproportionné, nous en proposons la suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 381 rectifié.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement, identique à celui qui vient d’être présenté, vise aussi à supprimer l’article, pour des raisons similaires à celles que ma collègue a exposées.
Premièrement, il est impossible de mettre en œuvre des politiques qui conduiraient tout le monde à avoir accès à travers la planète à des cours de français permettant d’accéder au niveau de langue requis avant d’arriver en France.
D’ailleurs, comme cela a été souligné, personne ne le fait pour les Françaises et les Français qui s’expatrient. Il serait bien difficile d’exiger des Français qui rejoignent leur conjoint en Chine de maîtriser parfaitement le mandarin auparavant ! Nous trouverions cela extrêmement discriminatoire. Je peux vous l’assurer, parce que je les représente et que je les connais bien : de nombreuses Françaises et de nombreux Français qui vivent à travers le monde et qui ont bénéficié de regroupements familiaux ne maîtrisaient pas avant d’arriver dans le pays de résidence sa langue. (Mme Cécile Cukierman acquiesce.)
Deuxièmement, l’accès à l’éducation est très difficile dans de nombreux pays du monde. J’aimerais bien savoir comment nous ferions pour exiger que les femmes afghanes qui ne peuvent pas aller à l’école suivent des cours de français et maîtrisent le niveau B2 avant d’arriver en France.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Très bien !
Mme Valérie Boyer. Elles ne sont pas concernées !
Mme Mélanie Vogel. Troisièmement, je ne comprends pas ce que vous faites des enfants dans votre affaire. De facto, ils sont couverts par le regroupement familial. Expliquez-moi alors comment exiger d’enfants de 2 ans et demi qu’ils maîtrisent un certain niveau de français quand déjà ils ne maîtrisent pas la langue de leur pays de résidence, parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue tout court !
Votre dispositif est donc absurde. S’il venait à être voté, il créerait des situations que nous-mêmes n’accepterions jamais de la part de n’importe quel pays à l’égard de nos compatriotes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 450.
Mme Cécile Cukierman. D’abord, sur le fond de la rédaction de l’article, je souhaite bon courage à celui qui interprétera la notion « d’expressions familières et quotidiennes ». Même entre nous, nous aurions beaucoup de mal à définir ces expressions familières et quotidiennes qu’il faudrait savoir maîtriser pour être autorisé à séjourner en France !
Nous avons là toute une série d’articles qui ont été ajoutés par la commission avant l’article 1er. Ils me laissent à penser une chose : s’ils étaient tous adoptés, je ne comprendrais pas pourquoi nous continuerions à débattre du texte. De fait, il n’y aurait plus beaucoup de personnes concernées par la moindre régulation : il faudrait être en bonne santé, ne pas avoir de famille, maîtriser le français…
Je pense que nous sommes en train d’écrire au Sénat un projet de loi de facto inapplicable ; je ne dirais pas que c’est voulu… Certes, du temps même de la grandeur de l’Alliance française, l’apprentissage et la maîtrise de notre langue avant de séjourner en France n’étaient pas offerts à toutes et à tous. Mais je pense très sincèrement que, là encore, nous nous détournons de la réalité du problème.
À l’heure actuelle, le véritable enjeu pour une partie des étrangers qui viennent en France est celui des moyens que nous leur donnons pour pouvoir acquérir et maîtriser réellement la langue, et pas simplement pour se débrouiller et pour maîtriser quelques expressions de la vie quotidienne. Le constat nous renvoie au débat de la semaine dernière : maîtriser la langue, c’est s’intégrer dans une société.