M. Thomas Dossus. Quel rapport avec le texte ?
M. Pascal Savoldelli. J’apprends quelque chose : nous aurions accueilli des Afghans ? Sur ce point, nous sommes les plus mauvais en Europe !
M. Gérald Darmanin, ministre. Cet argument m’étonnera toujours : l’immigration est sans doute la matière qui évolue le plus, non pas selon nos propres désirs nationaux, mais en fonction de ce qui se passe à l’extérieur de notre pays, et vous considérez qu’il ne faudrait pas s’y adapter ? Cela me paraît un drôle de raisonnement ! Il me semble au contraire que ne pas adapter nos règles de droit au moment même où surviennent des changements comme ceux que j’ai énumérés est source de difficultés.
J’entends beaucoup de comparaisons à propos de la double peine – on me dit que c’est M. Sarkozy, il y a vingt ans, qui avait réformé la double peine, ce que nous lui reprocherions aujourd’hui – ou des OQTF. Mais, à l’époque, le monde était totalement différent ! Celui qui exerçait alors les fonctions de ministre de l’intérieur avait des discussions politiques et diplomatiques avec la Libye, avec l’Afghanistan, avec la Syrie, avec le Mali, avec le Niger, avec l’Irak ! Quel désordre mondial désormais ! Comparer ce qui est incomparable ne me paraît pas très honnête intellectuellement.
Il est normal d’utiliser la loi de la République, et peut-être d’autres instruments, donc de modifier nos textes législatifs et réglementaires, pour s’adapter aux désordres du monde. L’immigration, malheureusement ou heureusement, sait s’adapter, elle, aux désordres du monde…
L’argument selon lequel on vote une loi tous les dix-huit mois est donc faux pour l’actuel Président de la République – il vaut pour d’autres gouvernements, des gouvernements socialistes et des gouvernements de droite. Vous en avez fait voter plusieurs, des lois sur l’immigration, et tant mieux ! Ce n’est pas moi qui vous en ferai le reproche… De notre côté, depuis six ans, nous avons eu un seul texte à vous proposer sur ce sujet.
Je souhaite répondre, deuxièmement, sur la CEDH. Le respect de la vie privée et familiale est garanti, mais il ne saurait être absolu, madame la présidente Cukierman : ainsi le législateur en a-t-il disposé depuis très longtemps, y compris sous des gouvernements de gauche. Les décisions prises par M. Cazeneuve pour protéger les intérêts fondamentaux de la Nation contre le terrorisme l’ont été par un gouvernement totalement de gauche, sans aucun doute possible, soutenu d’ailleurs, me semble-t-il, par une gauche très plurielle. Voici ce que disait cette gauche sous M. Hollande : respect de la vie familiale et privée, d’accord, mais pas pour les terroristes ! Nous ajoutons, quant à nous : respect de la vie privée et familiale, d’accord, mais pas pour les criminels ! Cela me paraît assez normal…
J’ai eu à connaître le cas d’une personne condamnée pour pédophilie,…
Mme Laurence Rossignol. Pédocriminalité !
M. Gérald Darmanin, ministre. … oui, madame la sénatrice, pour des crimes pédophiles. Il se trouve que, s’agissant d’un crime, on était dans l’impossibilité de demander son expulsion, et ce au nom du respect de la vie privée et familiale, car il avait des enfants : voyez l’absurdité dans laquelle parfois le droit nous plonge ! La loi actuelle est surannée, dépassée ; elle ne correspond plus aux difficultés auxquelles nous faisons face, ce pour quoi le peuple français demande que nous légiférions.
Je résume : oui au respect de la vie privée et familiale, mais pas à n’importe quel prix. Il y a un équilibre à trouver avec la défense des intérêts fondamentaux de la Nation – c’est tout ce qui relève de la lutte contre le terrorisme – et avec la protection de l’ordre public, que la menace soit grave ou simple – nous en débattrons en examinant les articles 9, 10 et 13 du projet de loi.
Je suis favorable à ce que nous ne nous censurions pas. Nous devons pouvoir demander l’expulsion des personnes qui ne respectent pas l’ordre public ou représentent une menace pour les intérêts fondamentaux de la Nation, même si elles ont en France une vie privée et familiale. Nous devons avoir le droit de nous séparer de ces personnes, et la CEDH ne dit pas le contraire !
Je constate que, dans l’affaire Iquioussen, alors même que la loi n’avait pas changé, le Conseil d’État s’inspirant de la loi confortant le respect des principes de la République, dite loi Séparatisme, texte que vous aviez voté, nous avons obtenu l’expulsion de cette personne contre l’avis du tribunal administratif de Paris, alors que son avocat plaidait l’atteinte disproportionnée portée à sa vie privée et familiale, alors que ses cinq enfants étaient nés en France et résidaient en France à leur majorité, alors qu’il était lui-même propriétaire en France depuis plus de quarante ans, qu’il s’était marié en France. Comme nous avons réussi à démontrer qu’il était un séparatiste luttant contre la République, nous avons obtenu son expulsion. Le juge, notamment le juge européen, notamment la CEDH, n’y a rien trouvé à redire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est déjà possible, alors !
Mme Audrey Linkenheld. Cela veut bien dire que la loi le permet !
M. Gérald Darmanin, ministre. C’est possible pour les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et les actes relevant du séparatisme, mais non pour les autres crimes et délits : c’est là toute la démonstration qui fonde ce texte – nous aurons l’occasion d’en reparler.
L’exception d’irrecevabilité a pour objet de faire reconnaître que le texte proposé ne respecte pas les règles de droit, notamment celles de notre Constitution. Or le Conseil d’État a émis un avis très favorable sur les dispositions présentées par le Gouvernement. C’est une très bonne chose, assez rare pour être soulignée… Laissez le Conseil constitutionnel faire son office ; je suis sûr qu’il sera saisi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Dany Wattebled applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Dossus, Benarroche et Fernique, Mme M. Vogel, MM. Gontard, G. Blanc et Dantec, Mmes de Marco et Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, d’une motion n° 6 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (n° 434 rectifié, 2022-2023)
La parole est à M. Thomas Dossus, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Colombe Brossel et Marie-Pierre de La Gontrie applaudissent également.)
M. Thomas Dossus. Cinq ans après l’entrée en vigueur de la dernière loi sur l’asile et l’immigration, vous nous présentez, monsieur le ministre de l’intérieur, un nouveau texte pour, dites-vous, « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ».
L’immigration, vous l’avez dit, ce sont avant tout des immigrés, des hommes, des femmes, des enfants, des ados, avec leurs situations particulières, leurs parcours, leurs aspirations, leurs difficultés – et des difficultés, il y en a.
De loi en loi, le parcours administratif d’une personne étrangère en France est devenu de plus en plus indigne. La conception dissuasive des politiques françaises d’immigration est devenue un facteur de désordre permanent.
La situation de nombreux étrangers en France, dont des mineurs, est marquée par l’extrême précarité et par une succession perpétuelle d’obstacles : de l’accès aux préfectures et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) pour l’obtention ou le simple renouvellement d’un titre de séjour jusqu’à une prise en charge médicale effective en passant par l’accès au travail, tout est fait, texte après texte, pour rendre leurs parcours chaotiques.
Un rapport de l’Assemblée nationale de 2021 portant notamment sur « les moyens consacrés par les préfectures à l’instruction des demandes de titres de séjour » décrit une situation qui a encore empiré depuis lors : du jour au lendemain, faute de rendez-vous, des personnes en situation parfaitement régulière, insérées professionnellement et socialement, basculent, entre deux titres, en situation irrégulière, et perdent leurs droits.
Entre 2019 et 2022, les réclamations relatives aux droits des étrangers ont augmenté de 233 % et le droit des étrangers est devenu le premier motif de saisine du Défenseur des droits, passant de 10 % à 24 % des réclamations reçues par l’institution. Cet accroissement concerne essentiellement l’obtention de rendez-vous, les difficultés liées à la dématérialisation des guichets et les délais d’instruction excessifs.
Cette « mise en désordre » de l’immigration et ce renoncement à nos valeurs se manifestent aussi et en premier lieu à nos frontières. Le rétablissement sans cesse renouvelé des frontières entre la France et l’Italie, depuis 2015, est le symbole de l’absurdité de cette politique. Cette frontière de plus en plus militarisée, mobilisant des effectifs de plus en plus nombreux, n’a pour seul effet que de rendre plus dangereuse la traversée des montagnes, ce qui, malgré la solidarité des montagnards, provoque régulièrement des drames. Il y a deux semaines, un homme est mort dans la Durance, la rivière qui coule près de Briançon, alors qu’il tentait d’échapper à un contrôle. Cela n’est pas acceptable.
Disons-le : c’est bel et bien l’idéal européen qui meurt à petit feu chaque fois que l’on renouvelle le contrôle aux frontières entre la France et l’Italie.
Face à cette situation, monsieur le ministre, vous nous proposez donc de « contrôler l’immigration » et d’« améliorer l’intégration ». L’impératif de « contrôler » se traduit par un mot d’ordre clair, que vous répétez à l’envi dans les médias, comme vous l’avez fait dans cet hémicycle : fermeté, fermeté, fermeté. Pourquoi ? Les motivations réelles de ce texte restent floues.
Le Conseil d’État comme la Défenseure des droits ont manifesté clairement leur regret devant l’absence de motivation sérieuse de ce texte. « L’exposé des motifs et l’étude d’impact ne permettent pas d’apprécier la mesure des phénomènes que le projet de loi devrait réguler ou l’inefficacité des dispositions législatives actuelles pour atteindre les objectifs visés », nous dit ainsi la Défenseure des droits dans son avis publié au mois de février dernier.
Compte tenu de la faiblesse dudit exposé des motifs et de ladite étude d’impact, la Défenseure des droits observait déjà, dans le même avis, et pour s’en inquiéter, que « le débat public risqu[ait] […] d’être sous-tendu par des représentations erronées, voire discriminatoires, de l’immigration ». On peut dire qu’elle ne s’était pas trompée…
Dans votre texte, monsieur le ministre, ces représentations erronées se manifestent clairement par le renforcement de l’arbitraire administratif. Pour vous, comme pour vos prédécesseurs, le sérieux d’une politique migratoire réside uniquement dans notre capacité à expulser.
Vous présupposez donc qu’en multipliant la distribution des obligations de quitter le territoire français, en faisant peser de nouvelles contraintes et l’arbitraire administratif sur les personnes étrangères présentes sur notre territoire, vous afficherez la fermeté propice à votre ambition politique ; mais la réalité, on la connaît : vous n’allez qu’amplifier le désordre et la précarité.
Quand la machine administrative broie arbitrairement, par son organisation, ou plutôt par son incurie, la vie des personnes étrangères, elle alimente aussi le désarroi des agents des préfectures ou des travailleurs sociaux.
Pour autant, ce texte va-t-il réduire le contentieux ?
Le Conseil d’État, dans son avis, douche un peu vos espoirs : « La réforme ne permettra pas, par elle-même, de limiter la part substantielle et croissante du contentieux des étrangers dans l’activité de la juridiction administrative. »
Ce tour de vis législatif supplémentaire va en revanche avoir un impact sur la vie de personnes pourtant installées depuis longtemps sur notre territoire. Le projet de loi prévoit ainsi des capacités élargies de lever la protection particulière. Pour rappel, cette protection vise à empêcher de prononcer une OQTF à l’encontre de l’étranger qui, soit est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, soit est marié à un Français ou une Française, soit réside en France depuis plus de dix ans, soit justifie d’un domicile régulier en France depuis la veille de ses 13 ans. À supposer que ce projet de loi soit adopté, une OQTF pourra donc être prononcée à l’encontre de toutes ces personnes non pas, comme c’est le cas actuellement, si elles ont été effectivement condamnées à plus de cinq ans de prison, mais si elles ont été condamnées pour un délit passible de cinq ans d’emprisonnement.
Au-delà de la distorsion évidente qui frappe ici le principe d’égalité devant la loi, un étranger est ainsi automatiquement condamné à la peine maximale encourue. C’est évidemment la logique de la double peine qui fait son grand retour ici.
Toujours au chapitre du durcissement, le texte que nous examinons aujourd’hui s’attaque aussi à la santé même des personnes étrangères. La majorité sénatoriale propose – on ne sait plus vraiment si c’est avec votre assentiment personnel, monsieur le ministre – de remplacer l’aide médicale de l’État par une « aide médicale d’urgence ». Manifestement, un accord vaut bien la mise en danger de la santé des Français comme des étrangers.
Les arguments de la majorité sénatoriale, nous les connaissons bien : l’AME coûte cher et son maintien constituerait un appel d’air pour l’immigration illégale. Peu importe si chaque année plusieurs collègues rappellent que ces deux arguments sont faux. Le coût des soins couverts par l’AME et du dispositif de soins urgents et vitaux ne représente que 0,4 % des dépenses de l’assurance maladie en France et 51 % seulement des personnes qui y sont éligibles demandent à recourir à l’AME. Pour des raisons comptables et surtout idéologiques, on fragilise la santé de ces personnes, mais aussi – cela paraît évident – de toute la population.
Les débats qui ont entouré ce texte ont par ailleurs touché – c’est presque devenu une coutume ici – les associations et les bénévoles, celles et ceux qui font vivre nos valeurs républicaines de fraternité en accompagnant les personnes migrantes dans leur parcours.
Vous-même, monsieur le ministre, vous en êtes pris directement à la Cimade récemment ; mais ce sont toutes les associations d’aide aux personnes migrantes qui sont entravées dans leur action et harcelées par nos forces de police. Je l’ai moi-même constaté lors d’une maraude avec les équipes de Médecins du monde, mais ce constat est largement documenté au-delà de ma personne.
Ces associations visent simplement le respect du droit, la protection des plus fragiles. Elles sont les vigies permanentes qui nous alertent sur l’indignité de nos politiques migratoires et pallient le manque d’investissement de l’État.
Une fois détaillé le catalogue des mesures de contrôle, de fermeté et de répression, il est temps maintenant de parler d’intégration : la carotte après le bâton. Mais la carotte est bien maigre, c’est le moins que l’on puisse dire !
Penchons-nous tout d’abord sur l’intégration par la langue française. Nous pourrions imaginer qu’en l’espèce l’intégration se manifeste par un renforcement de l’accès aux formations et aux cours, mais la finalité de ces dispositions est tout autre : le niveau de langue devient un outil d’exclusion, un motif de refus de titre, ce qui représente une inversion même des objectifs fixés.
« La mesure a pour objectif d’inciter les étrangers qui souhaitent demeurer durablement sur le territoire à se mobiliser davantage dans leur apprentissage du français, de manière à favoriser leur intégration en France », est-il écrit dans l’exposé des motifs de votre texte.
L’incitation par le refus de carte de séjour, voilà une drôle de carotte… Cette mesure d’« incitation » a tant plu à la droite que celle-ci l’a rendue plus excluante encore, sans même se préoccuper de renforcer cours et formation.
Certes, nous aurions voulu voter l’article 3 de ce texte.
Nous avons toujours défendu la régularisation des travailleurs sans-papiers. Lorsque l’on travaille ici et que, souvent, on cotise ce faisant, il est logique de bénéficier des mêmes droits qu’ont les travailleurs d’ici.
Il est vrai qu’au début du parcours de ce texte Olivier Dussopt vous accompagnait, monsieur le ministre. Il brille par son absence aujourd’hui : il a disparu depuis quelques semaines, tout comme a disparu la valeur travail du logiciel de la droite sénatoriale, qui fait de cet article un casus belli indépassable. Oui, il faut s’y faire, désormais, la droite dite républicaine préfère défendre le travail au noir et l’exploitation des clandestins. (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Vous-même, monsieur le ministre, à l’article 3, vous exigez malgré tout une bonne période de clandestinité en amont de la demande du titre de séjour « métiers en tension » que vous souhaitez créer. Il faudra que la personne étrangère sans droit ni titre vive dans l’ombre, esquive les contrôles pendant trois ans et travaille sans droits réels pendant huit mois pour obtenir le titre lui permettant de travailler légalement.
M. Thomas Dossus. L’égalité des droits ajustée par la loi du marché et les hasards de la vie, soit : si cela permettait d’avoir d’autres portes de régularisation que la circulaire dite Valls, nous pourrions nous laisser convaincre.
Dans les jours qui viennent, mes chers collègues, vous allez jouer l’avenir de milliers de travailleuses et de travailleurs dans un calcul des plus cyniques.
Une autre voie est pourtant possible. Elle n’est ni moins ferme ni moins républicaine : la crise ukrainienne et les moyens exceptionnels déployés à cette occasion en un temps record, en matière d’hébergement notamment, nous l’ont montré. Mais cela demande une approche radicalement différente : cela demande que l’on accepte un changement de rapport dans les liens entre l’État, les collectivités et les acteurs de la solidarité.
Las ! le texte de loi qui nous réunit aujourd’hui est dans la lignée des dizaines d’autres qui l’ont précédé et ne répond pas aux enjeux qui se posent actuellement en matière de migration et d’intégration. Nous nous retrouvons une fois de plus avec un projet de loi qui passe à côté de la réalité vécue par les personnes étrangères, un texte qui va dégrader la situation au lieu de l’améliorer.
L’insertion économique et sociale, l’accès au droit, à la formation et aux soins, la protection des mineurs, autrement dit la garantie de conditions d’accueil dignes, exigent de sortir d’une approche centrée sur les questions sécuritaires pour adopter une autre approche centrée sur les parcours de femmes et d’hommes comme celles et ceux qui sont en tribune aujourd’hui, sur leurs aspirations et sur leur humanité.
M. le président. Il faut conclure.
M. Thomas Dossus. Ce texte prend une direction radicalement inverse : c’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de voter pour cette motion de rejet. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Le suspense sera relativement limité : l’avis de la commission est bien entendu défavorable sur cette motion, monsieur le président.
Mon cher collègue, nous vous avons écouté avec beaucoup d’attention : vous nous avez indiqué tout ce qu’il ne fallait pas faire et avez détaillé tout ce que vous reprochez à ce texte et aux amendements adoptés par la commission ; cependant, à aucun moment vous ne nous avez dit ce qu’il fallait faire et comment traiter ces sujets,…
M. Bruno Sido. Tout va bien !
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. … sinon en quelques secondes, par référence à la solution ukrainienne, ce qui constitue tout de même une forme de pirouette intellectuelle… (M. Akli Mellouli proteste.)
Vous nous avez également indiqué qu’il manquait une étude d’impact et que la mesure des phénomènes qui sont en cause n’avait pas été réalisée. Je pense, moi, que l’ensemble des événements qui se déroulent dans notre société, comme les chiffres que j’ai rappelés quant au nombre de personnes irrégulièrement présentes sur notre territoire ou au nombre de demandes d’asile, permettent bel et bien d’objectiver ce dont nous parlons.
Par ailleurs, vous avez, ce qui est tout à fait normal, évoqué le détail du texte ; nous aurons l’occasion d’en débattre si votre motion est rejetée.
Une dernière remarque sur ce que vous avez appelé la disparition de l’idéal européen : c’est un sujet auquel je suis sensible. Pour ma génération, qui a été construite intellectuellement par cet idéal, c’est un sujet de préoccupation.
Vous l’avez entendu dans l’intervention du ministre : mobiliser les citoyens des pays européens sur ces questions n’est pas chose aisée – il s’agit même d’un sujet douloureux. Tout le monde préférerait que les solutions à nos problèmes soient d’ores et déjà disponibles.
Le débat que vous présentez comme franco-français ne l’est pas tant que cela, mon cher collègue : en réalité, il a lieu sur l’ensemble du continent européen. Les discussions que nous avons en cette fin d’après-midi se déroulent également en Allemagne, et je ne parle pas de l’Italie…
Je partage en tout cas avec vous l’idée que nous devons reconstituer, sinon un idéal, du moins un « narratif » européen.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 6 rectifiée, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi en commission.
Demande de renvoi en commission
M. le président. Je suis saisi, par Mmes de La Gontrie et Narassiguin, MM. Bourgi, Durain et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron, Mme Brossel, M. Chantrel, Mmes Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Kanner et Marie, Mmes S. Robert et Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, d’une motion n° 53 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (n° 304 rectifié, 2022-2023).
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Yannick Jadot applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je repartirai, pour entamer mon propos, de l’expression utilisée par notre collègue Philippe Bonnecarrère : « le retour du Parlement ». Nous savons que, depuis quelques mois, le Parlement ne fonctionne pas de manière – comment dire ? – idéale : nous le voyons à l’Assemblée nationale, où l’on en est au treizième engagement de la responsabilité du Gouvernement depuis l’entrée en fonctions de la Première ministre – et les motions de censure de se succéder.
Dans ce paysage parlementaire subsiste néanmoins un îlot de sérieux et de robustesse législatifs, de travaux accomplis, ce qui n’empêche pas, d’ailleurs, les affrontements : c’est le Sénat.
Cette motion de renvoi en commission, je vais tenter de vous convaincre de la voter, mes chers collègues, car je pense qu’il ne faut pas malmener notre démocratie parlementaire. Ce serait l’honneur du Sénat que de l’adopter, pour trois raisons.
Premièrement, monsieur le ministre, vous n’êtes pas prêt.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce texte a connu un parcours pour le moins chaotique : adopté voilà un an en Conseil des ministres, il a été examiné une première fois par la commission des lois du Sénat le 15 mars dernier, inscrit à l’ordre du jour, puis désinscrit. Huit mois plus tard, le voilà en séance. Entre-temps, vous avez produit nombre d’annonces successives, qui n’ont pas toujours, d’ailleurs, été suivies d’effets. Vous avez voulu tour à tour expulser tous ceux qui manifestent une adhésion à une idéologie djihadiste radicale ; expulser tous les fichés S ; porter à dix-huit mois la durée maximale de la rétention, qui est actuellement de quatre-vingt-dix jours.
Vous êtes aujourd’hui bien seul, monsieur le ministre, il faut le dire, même si je note que l’une de vos collègues a estimé devoir venir à vos côtés au banc du Gouvernement. M. Dussopt a disparu, alors qu’il est signataire du projet de loi. Quant au garde des sceaux, il est momentanément empêché,…
M. Xavier Iacovelli. Il va arriver !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. … mais nous aurons l’occasion de demander sa présence, puisque nous avons compris qu’il pouvait faire plusieurs choses à la fois, notamment siéger ici, au banc du Gouvernement, lorsque les articles qui le concernent seront appelés en discussion.
Vous avez déposé vingt-huit amendements sur le texte de la commission, sans avis du Conseil d’État ni étude d’impact, évidemment. À l’évidence, la succession de vos annonces montre que ce texte n’est pas abouti.
Deuxièmement, je le dis au président François-Noël Buffet, la commission n’est pas prête.
Tout d’abord, un tiers des sénateurs qui composaient la commission lorsqu’elle a adopté un texte singulièrement modifié, au mois de mars, ne sont plus aujourd’hui parmi nous. (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Quand nos collègues Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère s’expriment, je ne sais donc pas au nom de quels collègues ils parlent…
Ensuite, fait assez atypique, me semble-t-il, nous avions noté, lors de l’examen du texte par la commission, que sur deux articles majeurs, les articles 3 et 4, la commission n’avait pas d’avis : les rapporteurs n’étaient pas d’accord entre eux.
J’indique d’ailleurs au ministre une chose qui m’a paru extrêmement étrange, au point qu’il a fallu que je vérifie auprès de mes collègues si je ne m’étais pas trompée : dans votre discours de présentation du texte, vous n’avez pas dit un mot sur ces articles difficiles.