M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Est autorisée l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Danemark pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales, signée à Paris le 4 février 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi dans le texte de la commission.
(Le projet de loi est adopté.)
6
Négociations commerciales dans la grande distribution
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation (projet n° 20, texte de la commission n° 39, rapport n° 38).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je pourrais me lancer dans un inventaire à la Prévert en énumérant les nombreux appels à anticiper les négociations commerciales entre les distributeurs et les industriels qui ont été lancés ces dernières semaines.
Ainsi de l’appel du 29 septembre – « Aujourd’hui, nombre de ces matières premières ont baissé. Il est donc urgent que les Français bénéficient de ces baisses » –,…
M. Bruno Belin. Nous sommes d’accord !
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. … de celui du 27 septembre – « Si les parlementaires nous donnent cette nouvelle loi, on a les moyens d’aller chercher des baisses » – ou encore de celui du 21 septembre – « Nous pouvons espérer une baisse des prix de 2 % à 4 % ».
Ce faisant, je risquerais d’y consacrer l’intégralité de mon propos, tant ces appels sont nombreux depuis des mois. Qu’auriez-vous dit, d’ailleurs à juste titre, si nous n’avions pas entendu ces requêtes répétées, sinon que le Gouvernement est déconnecté, voire sourd aux souhaits et aux revendications de ceux qui font les prix ?
Quelques semaines plus tard, vos collègues députés ayant pu entretemps examiner le texte, l’Insee a confirmé la baisse du prix des produits agricoles à la production, à savoir –7,4 % depuis un an.
L’objet de ce projet de loi est donc simple : avancer la date butoir des négociations, fixée traditionnellement au 1er mars, pour anticiper d’autant les baisses de prix attendues dans les rayons, au bénéfice de tous les Français.
Je sais bien qu’il existe un doute, relayé par les médias et alimenté par certains acteurs du secteur eux-mêmes. Mais nous sommes des gens sérieux : nous ne mobiliserions pas le temps précieux de l’Assemblée nationale et du Sénat si des indicateurs précis, objectifs, étayés et irréfutables ne nous incitaient pas à le faire.
Oui, les prix de nombreuses références vont baisser, qu’il s’agisse de produits alimentaires ou d’autres produits. Pourquoi ?
Tout d’abord, entre octobre 2022 et octobre 2023, les cours d’importantes matières premières, qui entrent dans la composition de très nombreux produits alimentaires, ont sensiblement baissé. Or ce sont bien ces prix sur lesquels les industriels et les distributeurs fondent leur entrée dans les négociations. En voici quelques exemples : –33 % pour le blé tendre, –16 % pour le blé dur, –44 % pour le tournesol, –40 % pour le maïs, ou encore –32 % pour le colza.
Les études de la direction générale du Trésor (DG Trésor), que je tiens à votre disposition, montrent une corrélation quasi automatique entre la baisse des prix agricoles à la production, la chute des prix de production des industriels et la diminution des prix payés par les consommateurs, mais toujours – cela se vérifie sur une période de dix ans – avec un temps de battement de cinq à huit mois. Tout l’enjeu de ce projet de loi est de raccourcir ce délai.
Ensuite, les prix de production de l’industrie ont également baissé entre août 2022 et août 2023. Par exemple, le prix de la pâte à papier importée a diminué de 35 %. De plus, selon l’Insee, à l’exception du fioul, le prix de toutes les énergies chute : –20 % sur le prix du gazole et –12 % sur le pétrole.
Bien sûr, je n’oublie pas que les salaires et les autres coûts, comme celui du carburant, ont augmenté. Mais ce que j’observe, c’est que, pour de nombreux produits, les conditions de fabrication se sont améliorées. Nous voulons donc en profiter pour améliorer les conditions de vente en rayon.
Pour nos débats de ce matin, l’important est de savoir si, oui ou non, nous donnons aux industriels et aux distributeurs la possibilité de conclure plus tôt cette année leurs négociations commerciales, avec, à la clé, des baisses de prix en rayon.
Dans la version initiale du projet de loi, cela représentait une anticipation de près de quarante-deux jours – six semaines – pour les grandes entreprises, contre trente jours dans le texte qui sera débattu ce matin.
Dans tous les cas, chaque jour compte et le plus tôt sera le mieux, à condition que cela se fasse non pas au détriment des producteurs, mais dans le strict respect des dispositions des lois Égalim 1 et 2. Anticiper les négociations sans amoindrir leur qualité, tel est le subtil exercice auquel vous allez vous prêter ce matin, afin de trouver un point d’équilibre qui, je n’en doute pas, sera honnête et juste.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez – c’est de notoriété publique pour les acteurs concernés –, janvier a souvent été qualifié de « mois pour rien », s’agissant d’une période au cours de laquelle il ne se passe pas grand-chose. En accélérant le calendrier, nous ferons du mois de janvier un mois utile, comme l’a toujours été le mois de février, période à partir de laquelle les négociations s’accélèrent à l’approche de la date butoir.
En outre, je tiens à porter à votre connaissance cet élément : plus de 50 grands fournisseurs nous ont fait savoir que leurs conditions générales de vente et leurs tarifs seront effectivement envoyés avant le 1er novembre, alors que, d’habitude, ils le sont en décembre. Cela laissera donc à chacun le temps de mener à bien ces négociations.
Aujourd’hui, les débats tournent autour de deux grandes questions : qui doit être concerné ? Quand doit être fixée la fin des négociations ?
Qui doit être concerné ? La position du Gouvernement, qui veut donner au texte le plus d’ambition possible, est que le dispositif doit concerner tous les acteurs soumis au cadre actuel des négociations annuelles, sans exception sectorielle ni géographique.
Il ne faudrait pas, par exemple, sous couvert de protéger une filière, mettre des entreprises en difficulté. Aussi, n’est-il pas contradictoire de vouloir exclure les entreprises de la filière laitière et de remplir notre devoir de protection de nos petites et moyennes entreprises (PME) et de nos entreprises de taille intermédiaire (ETI) ?
Mme Nathalie Goulet. Ah !
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Ces entreprises souhaiteraient en effet négocier avant les grands groupes pour s’assurer une part du linéaire, c’est-à-dire pour être référencées, et des plans d’affaires, qui leur permettent d’écouler leurs volumes de production.
Justement, les revenus des producteurs et des éleveurs agricoles resteront protégés. Ils le sont par les lois Égalim 1 et 2, que le présent texte ne remet aucunement en cause ; il est indispensable de le rappeler ce matin.
Quand doit être fixée la fin des négociations ? Le 15 janvier pour tous ? Le 15 janvier pour les plus petits et le 31 janvier pour les plus grands industriels ? Nos débats trancheront ces questions de date et de seuils de chiffres d’affaires, pour déterminer quels sont les industriels concernés, et quand ils seront.
L’objectif du Gouvernement est clair : que le maximum d’entreprises ait conclu leurs négociations au 15 janvier et que, ainsi, les nouveaux prix entrent en vigueur en rayon six semaines plus tôt que prévu.
Au-delà de ces deux principales questions, nous aurons bien sûr l’occasion d’aborder les enjeux soulevés par le cadre juridique français régissant les négociations, notamment pour savoir ce qu’il conviendrait de changer dans la loi pour permettre plus de flexibilité.
Cependant, je vous le redis avec humilité et sérieux, ce projet de loi n’est pas le bon véhicule pour réformer en profondeur ce cadre.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Ça, c’est sûr !
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Pour autant, il faudra le faire.
C’est la raison pour laquelle j’ai annoncé qu’une mission gouvernementale, composée, bien sûr, de députés et de sénateurs, sera lancée dans les prochaines semaines. Il s’agira de revoir ce cadre qui, je vous l’accorde, est constitué d’un empilement de règles sédimentées, lesquelles complexifient et parfois crispent, voire grippent, les négociations commerciales.
Les Français nous attendent sur un point : la baisse des prix, et je sais combien vous y êtes attachés, mesdames, messieurs les sénateurs.
Soyons clairs, je défends ici non pas le plus bas prix, mais bien le juste prix. Aussi, lorsqu’il y a une baisse des coûts de production, laissez-moi croire qu’une baisse de prix va s’ensuivre pour un certain nombre de produits.
Tel est donc le seul objet du présent texte, même si, je ne le nie pas, il nous faudra retravailler en profondeur le sujet des négociations commerciales. Ce qui nous occupe ce matin, c’est d’anticiper de six semaines l’arrivée des nouveaux tarifs en rayon, idéalement au 15 janvier et non au 1er mars.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà donc réunis aujourd’hui pour la quatrième fois en cinq ans pour examiner un texte relatif aux négociations commerciales entre les industriels et les distributeurs.
Or, vous l’avez dit, madame la ministre, le Gouvernement évoque déjà une réforme de plus grande ampleur – Égalim 5 – pour l’année prochaine ! Nous devons prendre garde, car l’inflation législative nous guette, tout comme l’instabilité juridique ; et nous savons combien celle-ci peut être préjudiciable à nos entreprises.
Le projet que nous examinons aujourd’hui se résume à expérimenter pour un an l’avancement de six semaines de la date limite de clôture des négociations commerciales, en escomptant une baisse des prix aux consommateurs.
En effet, les Français sont confrontés, depuis plusieurs mois, à une forte inflation, sans équivalent depuis plusieurs décennies, qui, en deux ans cumulés, dépasse les 20 %. Ces augmentations pèsent lourdement sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens, notamment des plus démunis d’entre eux, qui ne peuvent arbitrer leurs dépenses contraintes.
Le dispositif proposé par le Gouvernement est-il capable de changer les choses ? Tous les indicateurs autorisent à en douter…
Ces dernières semaines, le Gouvernement a enchaîné les propositions et parfois les rétropédalages : revente à perte des carburants, moratoire sur l’encadrement des promotions des produits d’hygiène, voire limitation des marges de la grande distribution.
C’est finalement le levier de l’avancement des négociations commerciales qui a été retenu. Il faut souligner que ce sujet a souvent été évoqué par l’ensemble des acteurs. Mais il a été abordé dans la précipitation, et c’est tout le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui.
Par ailleurs, ceux qui ont suivi les précédents épisodes – Égalim 1, 2 et 3 – remarqueront qu’utiliser les négociations commerciales pour lutter contre l’inflation est un renversement total de la logique suivie depuis 2018, à savoir la construction du prix « en marche avant », à partir des coûts de l’amont agricole.
Aujourd’hui, c’est la démarche inverse qu’entend privilégier le Gouvernement : en avançant les dates des négociations commerciales, en contraignant les délais, nous donnons la main aux distributeurs pour faire baisser les prix.
Mme Sophie Primas. Eh oui !
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. À l’heure des déclarations sur la souveraineté alimentaire, faire de la filière agroalimentaire la variable d’ajustement de la lutte contre l’inflation, c’est faire peser un risque majeur sur la viabilité de nos entreprises et de nos PME de l’agroalimentaire, confrontées à l’instabilité permanente de leurs matières premières agricoles et industrielles.
Le Gouvernement soutient que l’évolution des prix de l’énergie et des matières premières agricoles justifierait des baisses.
Madame la ministre, est-il toutefois tenable ou souhaitable de modifier un calendrier de négociations commerciales et de changer la loi pour une année à chaque variation du cours des matières premières, quand il existe d’autres outils aménageables, comme les clauses de renégociations ou de révisions ?
L’instabilité législative est source de complexité et d’insécurité pour les entreprises. Dans le cas présent, celles-ci devront se préparer dans l’urgence à l’envoi de leurs conditions générales de vente de manière anticipée, sans aucune garantie sur les composantes de leurs prix et sans certitude sur le calendrier exact qui sera finalement retenu par le législateur, puisque nous sommes encore en train d’en débattre à la fin du mois d’octobre.
Pour ces raisons, la commission des affaires économiques estime qu’il s’agit d’un texte d’affichage (Mme la ministre déléguée proteste.), aux conséquences économiques lourdes pour nos entreprises et à l’efficacité incertaine en matière d’amélioration du pouvoir d’achat des consommateurs.
Elle partage la circonspection des acteurs de l’agroalimentaire, qu’il s’agisse des producteurs, des industriels ou des distributeurs, lesquels craignent même les effets contre-productifs de l’avancement des négociations sur l’inflation ou sur la santé économique des entreprises françaises. En effet, toutes les matières premières agricoles ne connaissent pas une baisse. Pour le lait, l’huile d’olive, le cacao ou le sucre, il faut s’attendre à des hausses dans les prochaines semaines.
De même, certaines matières premières industrielles connaissent encore aujourd’hui des augmentations, à l’instar de l’énergie ou des salaires, portés par une augmentation du Smic de près de 10 % depuis le début de l’année 2022.
À cela pourrait s’ajouter un effet de rattrapage. Nous le savons, lors des derniers cycles de négociation, toutes les hausses de coûts agricoles et industriels des fournisseurs n’ont pas été répercutées dans les tarifs octroyés par les distributeurs.
Enfin, nous connaissons désormais un contexte d’inflation structurelle et exogène, ainsi qu’une forte volatilité des cours des intrants, alimentée par des crises internationales. Nous l’avons vu dernièrement : les tristes événements en Israël ont conduit à une augmentation du prix du gaz de plus de 26 % en quelques jours à peine.
Toutes ces réserves auraient pu justifier le rejet du texte par le Sénat. Toutefois, dans notre procédure parlementaire, un tel vote revient à donner carte blanche à l’Assemblée nationale pour reprendre son texte.
Nous avons donc jugé préférable de nous engager pour mieux protéger nos territoires, en amendant le dispositif selon un objectif prioritaire : la lutte contre l’inflation ne doit pas s’opérer au détriment des très petites entreprises (TPE), PME et ETI, piliers de l’emploi et de l’attractivité de nos territoires, ni au détriment de la souveraineté alimentaire.
Le projet de loi initial prévoyait d’avancer la date butoir des négociations commerciales au 15 janvier pour les entreprises réalisant plus de 150 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cela revenait à laisser nos PME négocier après les grands groupes, au risque de fragiliser leur accès au linéaire, c’est-à-dire à leur référencement en rayon.
Aussi, les députés ont introduit un principe de différenciation des dates de négociation selon la taille des entreprises. La commission des affaires économiques du Sénat a conservé et précisé ce principe protecteur pour les PME et les ETI. Ainsi, elle accorde un délai plus réaliste de négociation aux PME et ETI. En effet, la date butoir du 31 décembre qui avait été choisie comportait un risque de goulot d’étranglement préjudiciable aux industriels comme aux distributeurs.
La commission propose donc de reporter les dates butoirs de négociation au 15 janvier pour les PME et ETI et au 31 janvier pour les grands groupes, permettant ainsi à nos entreprises de discuter avec la grande distribution dans un délai qui, nous l’espérons, n’obérera pas la qualité de ces négociations, notamment les plans d’affaires, car il ne s’agit pas seulement de la formation du prix !
Il est impératif de conserver la différenciation du calendrier dans le texte, afin de ne pas livrer nos petites entreprises à un rapport de force structurellement déséquilibré avec la grande distribution.
Jusqu’alors, le Gouvernement est favorable non pas à ce principe de différenciation, mais plutôt à un dispositif de chartes. Déjà testé, il n’est visiblement pas concluant, pour être trop restreint et toujours soumis au bon vouloir des distributeurs. Aussi, sans date butoir anticipée, le respect d’une phase de négociation spécifique pour les plus petites entreprises restera hypothétique.
Comme nous y invite notre président Gérard Larcher, méfions-nous des lois de pulsion. Selon nous, ce projet de loi entre malheureusement dans cette catégorie et ne s’attaque pas aux mauvaises pratiques déséquilibrant les relations commerciales entre les fournisseurs et les distributeurs.
Je pense bien sûr au développement des centrales d’achat basées à l’étranger. De plus en plus nombreuses, elles permettent aux grands distributeurs de s’affranchir du cadre protecteur pour l’amont fixé par les lois Égalim et d’adopter des pratiques parfois abusives à l’égard des fournisseurs français.
Nous l’avons rappelé lors de l’examen de la loi Égalim 3, en mars dernier : tout contrat visant des produits commercialisés sur le sol français doit se voir appliquer le cadre français des négociations commerciales et les sanctions qu’il prévoit. Depuis lors, malheureusement, aucune amélioration n’a été constatée à ce sujet.
Outre cet enjeu, il faut prendre en compte l’opacité des pratiques et du partage de la valeur. Les distributeurs se défaussent sur les industriels et vice versa, sans que nous, parlementaires, disposions de données nous permettant de légiférer en toute connaissance de cause.
Les marges des industriels comme celles des distributeurs doivent faire l’objet d’une évaluation.
D’un côté, les industriels sont critiqués pour avoir reconstitué leurs marges après dix années de déflation.
De l’autre, les distributeurs sont accusés d’avoir augmenté leurs marges, donc les prix, sur les produits des marques nationales, pour compenser les baisses de prix sur les produits des marques distributeurs. Sur tous ces sujets, l’opacité règne toujours et requerra selon nous un engagement plus grand de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), pour que nous soyons éclairés sur la formation des prix.
En ce sens, l’article 2 du projet de loi a pour objet de commander au Gouvernement un rapport sur l’effet de l’avancement des négociations commerciales sur les prix et les marges dans la grande distribution, ainsi que sur le partage de la valeur.
J’en profite pour rappeler que le Parlement n’a toujours pas reçu le rapport sur les effets des mesures de relèvement du seuil de revente à perte de 10 %, document qui devait être remis au 1er octobre dernier… Il s’agit pourtant d’un rapport essentiel si nous voulons évaluer les lois passées avant de mener une refonte structurelle de l’organisation des négociations commerciales à venir, comme le souhaite le Gouvernement d’ailleurs, ainsi que vous l’avez rappelé, madame la ministre.
Pour conclure, mes chers collègues, je vous invite à voter les améliorations apportées à ce texte par la commission des affaires économiques. Il est en effet de notre responsabilité de soutenir nos entreprises, en les protégeant d’un rapport de force qui, si le texte issu du Sénat n’était pas adopté, leur serait défavorable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marianne Margaté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme Marianne Margaté. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2018, le Parlement s’acharne en vain à réguler les négociations commerciales entre la grande distribution et les fournisseurs.
L’obstination du Gouvernement à proposer les mêmes solutions simplistes est déconcertante, surtout quand on sait que l’inflation alimentaire a récemment baissé, sans que cela change quoi que ce soit.
Depuis le 7 avril dernier, Bruno Le Maire demande, menace, garantit, mais n’obtient pas grand-chose. Et aujourd’hui, ce projet de loi nous est présenté…
Avancer les négociations commerciales de quatre ou six semaines ne résoudra rien. Le droit actuel permet déjà des renégociations en cas de fluctuation des prix des matières premières, mais ces clauses demeurent inutilisées.
De plus, la surinflation est non pas un phénomène naturel, mais le résultat de la spéculation et de l’augmentation des marges par des entreprises en position dominante.
Il est temps de repenser notre approche. Toutefois, avant de vous proposer quelques solutions alternatives, j’aimerais vous poser une question, madame la ministre : n’avez-vous pas honte de nous présenter ce projet de loi, si ambitieux dans son intitulé, mais si vide par son contenu ?
Mme Marianne Margaté. La honte est un sentiment qui révèle notre humanité dans toute sa complexité et auquel nous avons tous été confrontés. C’est un jugement silencieux que nous portons sur nous-mêmes et que certains d’entre nous ressentent quand ils ne le devraient pas, tandis que d’autres y échappent alors qu’ils devraient en être accablés. (Marques d’agacement sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Vous faites de la psychanalyse ?
Mme Marianne Margaté. La honte qu’éprouve, par exemple, cette famille réduite à choisir entre manger et se chauffer. La honte que ressent le vieil homme qui fait la queue aux Restos du Cœur. La honte de cet étudiant réduit à dormir sous une toile de tente. La honte, toujours la honte, de ceux qui ne peuvent pas et qui n’en peuvent plus.
Or, face à ces hontes, il nous est présenté une politique non seulement inefficace, mais également nocive pour les Français.
Voici une série de chiffres qui la résume. Entre la fin de l’année 2021 et le premier trimestre 2023, le taux de marge des industries agroalimentaires est passé de 28 % à 48 %. Alors même que plus de 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, dont un enfant sur cinq, madame la ministre, et alors que 7 millions de personnes recourent à l’aide alimentaire, les industries agroalimentaires trouvent les moyens de faire des profits, dans un contexte généralisé d’inflation des coûts de l’énergie et des matières premières. Bien entendu, ce sont les consommateurs qui ont enduré ces derniers…
Si ces entreprises n’avaient pas augmenté leurs marges, les prix de production agroalimentaire auraient augmenté deux fois moins vite depuis le début 2022.
Ces grands groupes agroalimentaires et leurs dirigeants devraient eux aussi avoir honte ! « La honte est le crépuscule de l’âme, là où le jour et la nuit se confondent », selon Victor Hugo. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Mais du jour, de la nuit et de l’âme, qu’importe !, diraient ces grands groupes, les yeux rivés sur leurs marges et leurs profits.
Venons-en aux entreprises de la grande distribution, dont les dividendes se sont envolés.
Mme Sophie Primas. Pas en France, chère collègue !
Mme Marianne Margaté. Plus de 8 % de dividendes pour Carrefour, plus de 960 millions d’euros pour Auchan et plus de 240 millions d’euros pour Casino.
Alors, la honte de cette mère célibataire, qui fait partie des 53 % de Français qui renoncent régulièrement à acheter des aliments en raison du coût de la vie, est à mettre en résonance avec la responsabilité qu’ont les grosses entreprises de la zone euro, dont les profits ont fait gonfler les prix de 49 %.
La honte doit changer de camp ; il y va de votre responsabilité ! Ne pas agir est une faute non seulement politique, mais également morale, qui est lourde de conséquences.
Depuis juin 2021, on nous promet que l’inflation sera temporaire ; ce projet de loi ne tend qu’à perpétuer cette illusion. Pourtant des solutions d’urgence existent : indexer les salaires sur l’inflation, geler les prix, ou encore bloquer à la baisse les marges des industriels de l’agroalimentaire et de la grande distribution.
Dans ces conditions, vous le comprendrez, avancer les négociations commerciales de quelques semaines pour que les prix au consommateur baissent est dérisoire, quand, comme nous, on veut lutter en urgence contre la hausse des prix des biens de tous les jours.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le principe de cette quatrième version de la loi Égalim pourrait être ainsi résumé : « La stratégie des petits pas »… (Mme la rapporteure sourit.)
Soyons réalistes ! Comme cela a été dit à l’Assemblée nationale et comme cela sera sûrement répété par nos collègues au Sénat aujourd’hui, ce texte est une grande opération de communication sur le pouvoir d’achat des Français : aucune garantie de l’efficacité de ses dispositifs n’a été donnée ; seul le gain d’un délai de six semaines est visé.
Je pose une question simple : à quelles décisions permettant d’améliorer le pouvoir d’achat des Français les « mesures d’urgence » évoquées dans le titre du projet de loi font-elles allusion ?
Nous sommes dans un monde libéral, fondé sur la liberté du marché, et je m’étonne chaque fois de votre volonté de fixer des prix. N’est-ce pas une utopie sociale adoptée par des libéraux ? (Sourires.)
Entre énoncer des vœux et la réalité, il y a, on le sait, un gouffre. Si l’impact était évalué et reconnu, mon groupe vous aurait soutenue, madame la ministre, car, dans le contexte de crise que nous connaissons, tout ce qui peut être mis en œuvre pour alléger le budget des foyers est à encourager et à soutenir.
Hélas, nous n’avons aucune assurance de l’efficience de ce texte, le quatrième en cinq ans, qui s’ajoute à toutes les lois sur les relations commerciales. Le contexte est le même aujourd’hui qu’hier et qu’avant-hier. Malheureusement, il sera le même demain, car ce n’est pas ce projet de loi qui empêchera les deux extrémités de la chaîne à payer le prix fort, à savoir, bien sûr, les agriculteurs d’un côté et les consommateurs de l’autre.
Dans la guerre des prix, c’est aux paysans que l’on impose un prix pour leurs produits ; il n’y a que pour eux que cela existe ! Ils subissent de plein fouet les crises sanitaires, climatiques, politiques, mais aussi, comme tous, l’inflation, avec la hausse des coûts de l’énergie et des matières premières.
Dans les premières négociations, le prix de production des agriculteurs a été pris en compte, mais en aucun cas la hausse du coût des énergies et des matériaux.
Quant aux consommateurs, on leur fait miroiter des prix bas, alors que la marge obtenue à diverses étapes de la chaîne ne fait que s’amplifier.
En quoi les dispositions de ce texte changeront-elles la donne ? Si l’inflation affecte les ménages – c’est le postulat de ce projet de loi –, elle touche également les autres maillons de la chaîne…
Lors des auditions, qui se sont déroulées en septembre dernier à l’Assemblée nationale, des représentants de la grande distribution ont expliqué que, malgré les négociations à venir, les prix pourraient encore augmenter, car le contexte est incertain. Tout le monde se rejette les torts : les distributeurs accusent les transformateurs et les industriels de l’agroalimentaire. Quand certains affichent 48 % de marges, la décence oblige à la raison.
Or nous ne sommes pas dans un monde de raison. Alors que certains Français souffrent, se paupérisent, d’autres ont eu l’idée géniale de la shrinkflation, ou comment payer le même prix pour avoir moins !
On parle beaucoup de partage de la valeur, mais l’on sait que celle-ci ne profite jamais aux producteurs.
Une fois de plus, je prendrai l’exemple, qui est très parlant, du vin, même s’il ne s’agit pas d’un produit de grande consommation. Le prix du litre du vin acheté dans une cave coopérative s’élève à 0,75 euro. À cela, il faut ajouter la marge du négoce, qui définit le prix, puis celle du distributeur, puis celle des bistrots ou des restaurants. Au total, vous obtenez un verre de quinze centilitres à 5 euros, soit plus de 32 euros le litre ! Cherchez l’erreur…
Le juste prix peut exister, mais sans la volonté de tous, il ne restera qu’un vœu pieux.
Le problème le plus récent, au-delà de la concurrence exacerbée en France, réside dans les groupements d’achats européens, au sein desquels les distributeurs ne cessent de s’adapter pour mieux contourner la loi française, se mettant ainsi hors de portée du législateur français.
Allons-nous légiférer exclusivement en fonction de la conjoncture ?
Madame la ministre, comment croire qu’un délai de six semaines résoudra tous les problèmes ? Comment croire que les négociations aboutiront à une amélioration si elles ne sont pas fondées sur la sincérité et sur la raison ?
Au fil des lois, des débats et des négociations, la chape de plomb pèse toujours de plus en plus sur les producteurs et sur les consommateurs.
Le législateur est prolixe en textes censés encadrer les relations commerciales, mais la réalité est bien plus agressive : il s’agit d’une guerre des prix qui pousse constamment ceux-ci à la baisse sur les produits d’appel, tout en permettant de dégager des marges énormes sur d’autres articles.
La loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim 1, a eu le mérite de mettre tous les acteurs concernés autour de la table pour discuter des problématiques et des enjeux. Reste que les solutions sont manifestement difficiles à trouver.
Nous ne vous jetons donc pas la pierre, madame la ministre, mais gardez-vous d’utiliser de fausses solutions fondées sur des délais dans un tel contexte de détresse pour de nombreux Français. (M. Jean-Noël Guérini applaudit.)