M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est donc, en définitive, un texte coécrit par le Gouvernement et la droite sénatoriale que la commission mixte paritaire a adopté le 10 juillet dernier.

Les différends budgétaires affichés ici même lors de l’examen de ce projet de loi se sont volatilisés dans la nuit de dimanche à lundi : ainsi, la commission mixte paritaire a consacré l’accélération de l’augmentation des dépenses militaires dès le prochain projet de loi de finances.

À l’heure où Gabriel Attal annonce, au nom du Gouvernement, un serrage de vis sévère pour tous les budgets nationaux, ce projet de LPM, lui, garantit dès 2024 une augmentation de 4,5 milliards d’euros de nos dépenses militaires. Au total, ce budget doit atteindre 48,5 milliards d’euros dès 2024 et 69 milliards d’euros à terme, en 2030, pour former un total de 413 milliards d’euros auxquels il faut encore ajouter les crédits dédiés aux Opex et à l’Ukraine.

Or ces dépenses sont appelées à durer. Le dernier sommet de l’Otan a consacré la perspective d’une guerre longue et coûteuse,…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce n’est pas l’Otan qui veut la guerre !

M. Pierre Laurent. … plutôt que la recherche d’un cessez-le-feu et de négociations politiques pour le retour à la paix.

Cette programmation militaire consacre de fait la priorité guerrière, en la plaçant au-dessus de toutes les autres priorités nationales. L’étude des dernières décennies nous enseigne pourtant que l’escalade militaire mondiale ne réduit pas l’insécurité collective : à l’inverse, elle en est l’un des facteurs.

En effet, ce projet de LPM s’inscrit dans le mouvement mondial pour le surarmement, pour la militarisation des relations internationales et pour celle de tous les espaces communs qui devraient être, au contraire, protégés comme des biens communs démilitarisés.

Malgré une augmentation considérable des crédits, l’équipement de nos forces continuera de subir un certain nombre de paradoxes.

Ce projet de LPM organise en réalité une montée en puissance dans deux domaines structurants.

Premièrement, la dissuasion nucléaire verra ses crédits augmenter de 54 milliards d’euros, la répartition entre les différents programmes consacrés à cette modernisation étant entourée d’une grande opacité. Cette stratégie de dissuasion est censée assurer la protection du territoire national ; mais, en une époque propice à la reprise de la prolifération, aucun débat sérieux ne nous aura permis de la réévaluer.

Nous avons suggéré que la France accède au statut de membre observateur du traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian) : notre proposition a été rejetée sans ménagement. À cet égard, l’obstination du Gouvernement suscite l’incompréhension grandissante d’une majorité d’États membres des Nations unies. Au cours de nos débats, nous avons d’ailleurs consacré plus de temps à la tenue des futurs réservistes qu’à cet enjeu planétaire, sur lequel nous devrons sans doute revenir.

De même, nous n’avons débattu ni de l’initiative diplomatique française pour la promotion de la paix et du désarmement multilatéral ni de notre stratégie de prévention des conflits. Ce manque dans les discussions s’est traduit par l’absence de la ministre des affaires étrangères, qui n’a jamais assisté à nos débats.

La seconde direction structurante de ce projet de LPM consacre le tournant d’une stratégie de défense nationale vers une stratégie militaire agressive totalement intégrée au dispositif d’engagement de l’Otan. L’évocation d’une autonomie stratégique européenne est maintenue dans le texte, mais dans les faits cette perspective est écartée au profit d’une stratégie purement otanienne.

Le sommet de l’Otan de Vilnius vient de le confirmer : les Américains mènent le bal. Ce sont eux qui ont annoncé l’accord honteux avec la Turquie pour valider l’entrée de la Suède dans l’Alliance, en marginalisant le rôle de l’Europe au sein de cette négociation. Ce sont eux encore qui fixent le calendrier ou la montée en charge de la stratégie indo-pacifique d’hostilité à la Chine.

Pour tenir sa place, la France en est réduite à jouer les bons élèves, au point que, par exemple, elle annonce livrer à l’Ukraine des missiles dits Scalp – pour système de croisière conventionnel autonome à longue portée –, au moment où les États-Unis décident unilatéralement de livrer des armes à sous-munitions, alors même que celles-ci sont bannies par la convention d’Oslo, qu’ont ratifiée les principales puissances européennes.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Quel est le rapport ?

M. Pierre Laurent. Pour vanter notre stratégie d’exportation d’armement – car c’est là un autre problème majeur de ce projet de LPM, qui tend à proposer pour le financement de notre souveraineté industrielle un modèle assis sur l’augmentation des ventes d’armes – nous faisons du Premier ministre indien Modi l’invité d’honneur du 14 juillet, quelques semaines après avoir reçu Mohammed ben Salmane à l’Élysée. Monsieur le ministre, c’est probablement ce que vous appelez défendre le camp de la démocratie…

Vous l’aurez compris, bien qu’attachés à la nécessité d’une solide défense pour notre Nation, les élus du groupe communiste estiment qu’il reste de nombreuses raisons de voter contre ce projet de LPM : comme ils l’ont fait à l’Assemblée nationale, ils le feront aussi au Sénat.

Je terminerai par deux brèves remarques. Premièrement, je souligne que le projet de LPM retient la proposition d’instaurer une commission parlementaire chargée de travailler sur le contrôle des ventes d’armes de la France ; il s’agit d’un sujet qui nous importe. Même si à nos yeux le périmètre des prérogatives est insuffisant, nous entendons agir pour obtenir la transparence qui fait aujourd’hui défaut. Pour notre part, nous refusons depuis toujours de considérer la vente d’armes comme une simple variable d’ajustement de notre balance commerciale.

Deuxièmement, le texte adopté prévoit de nombreuses étapes du contrôle parlementaire, et nous nous en félicitons. Le groupe CRCE continuera de participer activement à chacune d’elles. Ainsi, plusieurs rapports annuels et thématiques doivent être rendus et faire l’objet d’un débat ; nous y veillerons. Des travaux complémentaires sont annoncés sur des sujets importants, nous y veillerons aussi.

Tel est notre état d’esprit. C’est ainsi qu’à la fois nous voterons contre ce texte et nous resterons totalement impliqués dans ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDPI.)

M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les enjeux de ce projet de loi de programmation militaire sont considérables. Il s’agit de préparer un modèle pour nos armées qui soit à la mesure d’un contexte international en profonde mutation.

La nécessité de moderniser aujourd’hui la troisième génération de la dissuasion vient s’ajouter sur le plan budgétaire à l’objectif de procéder au renouvellement trop longtemps différé d’équipements conventionnels majeurs, sans pour autant négliger les nouveaux défis technologiques.

Nos débats ont démontré, sur le fond, que la grande majorité des sénateurs partage l’ambition du Gouvernement et salue ses efforts, qui consistent à poursuivre le redressement des capacités des armées et à en prévoir la transformation.

Les dispositions de ce projet de loi de programmation répondent autant que possible aux besoins capacitaires et permettront, en parallèle, des investissements importants dans le spatial, le cyber, les drones et le renseignement. Elles tendent également à renforcer notre défense nationale en renouvelant notre arsenal de dissuasion nucléaire tant océanique qu’aérien, afin de conserver une capacité d’intervention. Ce maintien à niveau exige un budget substantiel dès la présente décennie.

J’en profite pour évoquer les 5 milliards d’euros dédiés à l’engagement du programme du porte-avions de nouvelle génération – le Charles de Gaulle aura, je l’espère, son successeur. Les travaux qui seront menés dans les dix-huit mois à venir permettront d’affiner son coût total.

J’en viens maintenant au travail mené tant en commission qu’en séance par le Sénat. Ce travail a été salué non seulement pour sa précision, mais également pour sa qualité. Le texte issu de la commission mixte paritaire reprend d’ailleurs très largement la rédaction du Sénat.

Les apports de notre chambre sont notables. Je pense par exemple au renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement sur la bonne exécution des dispositions de la LPM, ainsi qu’à son rôle dans l’actualisation de la programmation. Je pense également à l’accroissement des pouvoirs d’information du Parlement et de la délégation parlementaire au renseignement, à l’introduction d’une plus grande souplesse dans les marchés publics de défense et de sécurité, ou encore à l’adoption d’une trajectoire ambitieuse de hausse des effectifs des volontaires de la réserve opérationnelle.

Si des ajustements et des compromis ont pu faire consensus dans bien des domaines, la question des reports de charges et des marges frictionnelles a rendu parfois difficiles nos discussions, monsieur le ministre.

Celle de la trajectoire budgétaire, qui est un sujet central, a également donné lieu à un désaccord majeur en raison des lectures différentes que nous faisons de certains points de technique budgétaire.

Les marches d’évolution budgétaire très progressives, la plus forte hausse des dépenses étant repoussée après 2027, n’étaient pas acceptables au regard de l’ambition affichée par ce projet de LPM.

La position de compromis adoptée en commission mixte paritaire répond à la principale demande du Sénat et nous semble très satisfaisante, car elle acte un effort significatif sur les premières années de la programmation, à savoir une hausse des crédits de 3,3 milliards d’euros en 2024 puis en 2025 et de 3,2 milliards d’euros en 2026 puis en 2027.

Cet ajustement de la trajectoire, qui permet de répartir 2,3 milliards d’euros d’augmentation supplémentaire sur la période 2024-2027, est essentiel et très attendu par nos armées, notamment pour le maintien en condition opérationnelle du matériel et pour la préparation opérationnelle de nos forces.

Monsieur le ministre, au-delà de ces aspects financiers, le travail collectif effectué sur ce quatorzième projet de loi de programmation militaire envoie un signal très positif aux armées. Il améliore les conditions de vie et de travail du personnel de la défense et de leurs familles ; il bonifie les conditions des réservistes et il renforce notre économie de défense ainsi que notre crédibilité stratégique.

Aussi, les élus du groupe Union Centriste voteront en faveur des conclusions de cette commission mixte paritaire sur ce texte ambitieux et majeur tant pour la Nation que pour nos armées.

Enfin, à la veille du 14 juillet, fête nationale, fête de la République et de ses valeurs, ayons une pensée pour nos militaires et nos forces de sécurité intérieure qui, au quotidien, assurent notre sécurité et garantissent la protection de notre territoire, de la population et des intérêts français.

Les forces morales de la France seront au cœur de l’édition 2023 du défilé militaire. Il s’agit d’un thème central, porté par toutes les générations et particulièrement par la jeunesse engagée, opérationnelle ou réserviste, qui incarne le présent et l’avenir de nos armées. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et Les Républicains. – M. Rachid Temal et Mme Hélène Conway-Mouret applaudissent également.)

M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, de la commission, l’autre, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 331 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l’adoption 313
Contre 17

Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI, INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à onze heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense
 

5

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux
Examen des conclusions de la commission mixte paritaire

Objectifs de « zéro artificialisation nette » au cŒur des territoires

Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux (texte de la commission n° 859, rapport n° 858).

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, jeudi dernier, en commission mixte paritaire, nous sommes parvenus à un accord avec nos collègues députés sur la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux. L’Assemblée nationale en a adopté les conclusions, hier.

Nous pouvons nous féliciter de cet aboutissement. Trouver un accord sur ce texte, vous le savez, ne s’est pas fait sans mal. Je ne trahis aucun secret en vous disant que la commission mixte paritaire a bien failli ne pas aboutir. Au reste, bien avant cette étape, le chemin de la proposition de loi a été semé d’embûches. Nous avons dû faire bien des compromis pour le porter enfin sur les fonts baptismaux.

Je veux ici remercier la présidente de la commission spéciale, Mme Valérie Létard, et saluer son engagement et son extrême ténacité sur ce dossier. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI, INDEP et CRCE.) À travers vous, ma chère collègue, je salue tous les membres de la commission spéciale, qui se sont impliqués très fortement sur ce sujet. Les territoires vous doivent beaucoup.

Nous avons porté cette proposition de loi tous ensemble, dans un esprit transpartisan, d’abord au sein de la mission conjointe de contrôle, qui a abouti à sa rédaction, puis au sein de la commission spéciale, qui l’a instruite. L’intérêt des territoires a toujours été notre unique boussole.

Après l’adoption de notre proposition de loi au Sénat en mars dernier, nous avons dû batailler pour obtenir son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, puis pour décrocher la garantie d’un temps d’examen suffisant en séance publique.

Pour ce faire, le ministre Christophe Béchu nous a fait une proposition originale, voire baroque : faire passer la moitié des articles par voie réglementaire. Sachant que nous avions été échaudés par les décrets d’application de l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) précédemment publiés, chacun se rend bien compte de la situation dans laquelle nous étions placés.

Madame la ministre, j’aimerais que nous mesurions bien ce qu’une telle méthode signifie : il s’agit de demander au législateur de se dessaisir volontairement de son pouvoir au profit du pouvoir réglementaire.

Pourtant, après des discussions nourries avec vous, madame la ministre, avec M. le ministre Béchu et avec nos collègues de la commission spéciale, nous avons accepté cette proposition. Ce faisant, nous avons fait le choix de la responsabilité et de la confiance ; nous avons opté pour la fameuse coconstruction.

Premièrement, nous avons fait preuve de responsabilité, parce que les élus attendent les outils instaurés par les dispositions de cette proposition de loi. Je pense notamment à la garantie communale de développement, au droit de préemption élargi, au sursis à statuer ou à la comptabilisation à part des grands projets. Personne n’aurait compris que nous n’explorions pas toutes les voies possibles pour faire aboutir ce texte.

Deuxièmement, nous avons choisi la confiance, car nous avons travaillé en partenariat avec les services du ministère pour rédiger les décrets, qui ont repris des dispositions aussi essentielles de notre texte que le caractère non prescriptif du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), la prise en compte des efforts passés ou le traitement dans la nomenclature du ZAN des jardins pavillonnaires. Les associations d’élus ont aussi été constamment associées à tous ces travaux.

Les décrets ont été mis en consultation publique le 13 juin dernier ; ils seront examinés par le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) la semaine prochaine. Nous continuerons bien sûr d’être extrêmement vigilants sur leur contenu, jusqu’à leur publication finale. Il en va de même pour le décret relatif à la commission de conciliation, introduite en commission mixte paritaire à l’article 4 pour régler les différends entre l’État et les collectivités sur les grands projets.

Au-delà de leur publication, nous serons attentifs – nous et nos successeurs – à ce que ces décrets ne soient pas, dans un avenir proche, la première variable d’ajustement des imperfections de la loi de 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience. Il ne faudrait pas que, à la première alerte sur la trajectoire de réduction de l’artificialisation, on revienne, par exemple, sur le caractère non prescriptif du Sraddet. Nous avons toujours dit que l’accord devait être global ; il s’agit en quelque sorte d’un accord de nature législativo-réglementaire. À la première alerte sur les décrets, nous rouvrirons le chantier législatif, madame la ministre.

J’en viens maintenant au détail du texte que nous avons adopté en commission mixte paritaire. Nous avons préservé les points essentiels.

Tout d’abord, nous avons obtenu le report de la modification des documents de planification et d’urbanisme.

Ensuite, nous avons préservé le rôle central des collectivités dans la mise en œuvre et dans la gouvernance du ZAN. Cela s’est fait, d’abord, en créant dans chaque région une conférence du ZAN, qui rassemblera les élus locaux en matière d’urbanisme, ainsi que les représentants des régions et des services de l’État, pour piloter de manière coordonnée la mise en œuvre du ZAN ; ensuite, en donnant aux régions, après consultation de cette conférence, le droit de proposer des projets d’envergure nationale et d’en accepter la liste.

De plus, nous avons redonné des marges de manœuvre aux élus locaux par le biais du sursis à statuer, du droit de préemption élargi et de la prise en compte de la renaturation dès 2021.

Enfin, nous avons desserré la contrainte du ZAN sur les territoires, grâce à la garantie communale, dont nous avons pu rétablir l’universalité, et grâce à la comptabilisation dérogatoire des grands projets. Il n’y aura certes pas d’exclusion pure et simple de l’ensemble de ces grands projets – je sais que certains d’entre vous le regrettent –, mais un bon compromis, n’est-ce pas « quand tout le monde est mécontent », selon la formule bien connue ? (Sourires.)

Retenons que nous avons inscrit dans le texte que l’artificialisation induite par les grands projets ne serait pas imputée aux collectivités d’implantation. Retenons également que nous y avons inscrit, noir sur blanc, que la mutualisation sera limitée à 10 000 hectares et pas un de plus.

Il va maintenant falloir faire vivre ce texte. Nous devrons faire preuve d’une grande pédagogie auprès des élus, pour qu’ils puissent s’emparer pleinement de tous ces nouveaux outils. Ils auront aussi besoin d’autres outils, notamment financiers, non seulement pour réhabiliter les friches, mais aussi pour donner son juste prix au foncier. La fiscalité sera l’un des leviers pour cela – nous le savons tous –, qui fera d’ailleurs l’objet de notre prochain chantier. (Applaudissements sur toutes les travées, sauf celles du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse de vous retrouver aujourd’hui dans l’hémicycle pour le vote des conclusions de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux.

Je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Christophe Béchu, qui a défendu ce texte au Sénat et à l’Assemblée nationale : il est retenu en conseil des ministres, où il présente le projet de loi relatif à l’accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 et au traitement des copropriétés dégradées, que vous aurez l’occasion d’examiner la semaine prochaine.

La lutte contre l’artificialisation des sols, comme vous le savez, est décisive pour limiter l’empreinte environnementale de notre société. En effet, un sol artificialisé ne stocke plus de CO2 et il devient un espace stérile pour la biodiversité. Imperméable, il contribue directement et massivement au dérèglement du cycle de l’eau, cette perturbation que nous vivons un peu plus durement chaque année.

Depuis 1981, la surface des terres artificialisées serait passée de 3 millions d’hectares à 5,1 millions d’hectares, sous l’effet d’une croissance qui est nettement supérieure à celle de la population.

L’objectif de ZAN apparaît donc comme une réponse indispensable pour faire face à l’urgence de lutter contre l’artificialisation des sols ; il faut en préserver la trajectoire tout en facilitant sa territorialisation, par le dialogue.

Pour mettre un terme au cercle vicieux de l’artificialisation des sols, le Parlement a adopté la trajectoire ZAN dans le cadre de l’examen de la loi Climat et résilience, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.

L’engagement est double. Premièrement, il s’agissait de diminuer par deux la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) au cours de la décennie 2021-2031 par rapport à la décennie précédente 2011-2021. Concrètement, cela revient à prolonger la baisse déjà observée de la consommation d’espaces naturels, en réalisant un effort supplémentaire pour tenir un objectif moyen de consommation de 12 500 hectares par an jusqu’en 2031. En cela, je souligne que la loi n’a pas entraîné de rupture dans les pratiques d’aménagement. Elle ne fait qu’amplifier une tendance déjà en cours en prévoyant que les territoires fourniront un effort supplémentaire, mais qui reste limité.

Pour franchir la marche suivante, il faudra parvenir à un usage des sols de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050. Concrètement, cela reviendra à faire le solde entre les surfaces nouvellement artificialisées et les surfaces rendues à la nature.

Nous ne sommes pas les seuls à suivre une telle démarche. Bon nombre de nos partenaires européens ont d’ores et déjà adopté des mesures visant à limiter progressivement l’artificialisation des sols. Dans la continuité des recommandations de la commission spéciale, l’objectif fixé à l’échelle européenne est également celui de zéro artificialisation nette d’ici à 2050.

Notre volonté, constante depuis le début, est d’une part de garantir l’application et le respect de cette trajectoire, à la fois parce qu’elle est indispensable et parce qu’elle est issue d’un vote de la représentation nationale ; d’autre part de privilégier toujours le dialogue et la concertation avec les élus locaux pour sa mise en œuvre territorialisée.

Tel est l’esprit qui a guidé le Gouvernement depuis le début de l’examen du texte et qui a prévalu dans le cadre du compromis trouvé en commission mixte paritaire.

Deuxièmement, il s’agissait de construire un chemin de consensus en commission mixte paritaire. Le texte que nous examinons aujourd’hui a fait l’objet de longs débats : plus de treize heures d’examen en séance au Sénat, plus de quinze heures à l’Assemblée nationale et six heures de commission mixte paritaire.

Un chemin de consensus s’est dessiné au cours de ces échanges, nourris également des nombreuses discussions avec les associations d’élus, comme vous l’avez mentionné, monsieur le rapporteur.

La proposition de loi contient ainsi des mesures de bon sens et de facilitation, sur lesquelles nous sommes d’accord depuis le début. Il s’agit tout d’abord de la prise en compte de la renaturation avant 2031, de la mise en place de nouveaux outils pour les communes afin de mieux maîtriser les projets avant 2031, date à laquelle seront instaurés un droit de préemption élargi pour les communes et un mécanisme de sursis à statuer spécifique, ou encore de la possibilité offerte aux communes littorales d’anticiper le recul du trait de côte dans la recomposition urbaine qu’il induit.

Il y a ensuite des dispositions dont nous comprenons l’esprit, mais qui relèvent du domaine réglementaire. Je pense notamment aux liens juridiques entre les différents documents d’urbanisme, à la prise en compte des efforts passés ou des spécificités des différents territoires, ou encore aux dispositions relatives à la nomenclature de l’artificialisation.

Ces dispositions ont été retranscrites dans la réécriture des décrets du 29 avril 2022, actuellement soumis à la consultation du public.

Enfin, le Gouvernement était attaché à deux grands principes, dans la continuité des annonces faites par la Première ministre lors du dernier congrès de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité.

Tout d’abord, il s’agit de la prise en compte des communes les plus petites au travers du principe d’une garantie rurale. Le compromis trouvé en commission mixte paritaire préserve la garantie à 1 hectare, souhaitée par le Sénat, et permet à toutes les communes de bénéficier de ce minimum, qu’elles soient couvertes par un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), un plan local d’urbanisme (PLU) ou une carte communale. Les communes ont également la possibilité de prescrire un document d’urbanisme avant le 1er août 2026, si elles souhaitent bénéficier de la garantie rurale.

Ensuite, il s’agit de la prise en compte des villes les plus grandes lors des grands projets d’envergure nationale. Un consensus a été trouvé sur le fait que certains grands projets de l’État, portant par exemple sur des infrastructures majeures, telles que les lignes à grande vitesse ou le projet de canal Seine-Nord Europe, consomment beaucoup d’espace à l’échelle d’une région. Ils doivent faire l’objet d’une prise en compte spécifique, sans que cela remette en cause l’objectif de réduction de 50 % de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers fixé pour 2031.

Le compromis trouvé en commission mixte paritaire permet que la liste des grands projets reste définie, après consultations, par l’État, tout en prévoyant un droit de proposition des régions. Un forfait de 12 500 hectares est prévu, dont 10 000 seront mutualisés entre les régions couvertes par un Sraddet.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte issu de nos débats est bien un texte de compromis, qui permet d’adapter les dispositions de la loi Climat et résilience à la réalité des territoires sans revenir pour autant sur les objectifs et sur la trajectoire que nous nous étions collectivement fixés en 2021.

Je souhaite que nous puissions aujourd’hui adopter un texte qui fasse consensus et qui permette une meilleure appropriation de l’objectif de réduction de l’artificialisation dans les territoires, condition essentielle de son efficacité.

Je sais par ailleurs que nous aurons l’occasion de nous revoir pour parler de sujets directement liés à notre trajectoire de réduction de l’artificialisation des sols.

L’État devra être au rendez-vous – il le sera – pour accompagner les collectivités territoriales, notamment les plus petites d’entre elles, en matière d’ingénierie. Nous devons également, comme le dispose l’article 15 du texte sur lequel vous allez vous prononcer aujourd’hui, approfondir la réflexion qui est en cours sur la fiscalité, comprise comme un outil de lutte contre l’artificialisation des sols. La transition écologique représente un véritable défi pour nous tous, qui mérite bien que les clivages soient dépassés, dans l’intérêt commun des Français.