Mme la présidente. La parole est à M. Lucien Stanzione, pour explication de vote.
M. Lucien Stanzione. Nous sommes satisfaits du travail que nous avons mené ensemble. C’est un moment historique, même si nous aurions aimé quelques améliorations, qui n’ont pas pu être retenues ce soir.
Ces améliorations visaient notamment à continuer à expliquer l’automaticité de la restitution que nous décidons de créer. En effet, il ne faut pas que l’automaticité soit synonyme d’oubli, que l’on règle les choses de façon purement administrative et que des gestionnaires de musée restituent des objets sans que l’on puisse en discuter. On voit bien que, chaque fois que le Parlement a débattu de la restitution d’un objet, cela a donné lieu à de nombreux échanges – au-delà de cette enceinte, d’ailleurs. Prenons donc le soin de trouver le moyen de continuer à en parler.
Il nous reste encore à travailler sur deux des trois textes du triptyque. Le troisième, sur la restitution des biens mal acquis, est particulièrement important : il permettra d’opérer une réparation historique majeure. Il faudra que nous y travaillions avec autant de sérieux qu’aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour explication de vote.
M. Bernard Fialaire. Nos collègues Roger Karoutchi et Pierre Ouzoulias ont déclaré que ce projet de loi était un texte technique, qui ne prétendait pas corriger toutes les atrocités qui ont été commises et l’inaction.
Cependant, je pense que chaque pas, dans ce devoir de restitution, de réparation et de justice, est important symboliquement.
Au-delà, le travail de recherche de provenance qui précède la restitution est extrêmement important. Il nécessite que l’on forme des professionnels. Des formations viennent d’être mises en place, qui doivent être développées. Il faut y consacrer des moyens, parce que chaque travail de recherche contribue à entretenir la mémoire et constitue une marque de respect.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. Ce texte permettra véritablement d’accélérer la restitution des biens. C’est important.
Cette loi-cadre, exemplaire, pourra inspirer celles qui verront le jour prochainement.
Elle est importante au regard du travail monumental et exigeant de recherche de provenance qui reste à accomplir.
Je veux remercier toutes les personnes qui nous ont aidés à construire ce texte à vos côtés, madame la ministre.
Je remercie celles que nous avons auditionnées – je pense à M. Zivie ou encore à Mme Chastanier –, toutes celles que nous avons rencontrées et qui nous ont apporté leur éclairage, leur témoignage, leur expérience. Cela nous a permis d’enrichir le texte.
Je remercie mes collègues pour leurs amendements. Si nous ne les avons pas tous acceptés, ils nous ont fait réfléchir à des ouvertures possibles.
Je vous remercie, madame la ministre, pour ce travail, et je remercie tous ceux qui ont pu nous accompagner.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Ce texte n’a pas vocation à réparer la Shoah – comment pourrait-on y prétendre ? Il a vocation à réparer les spoliations et à rendre justice aux familles et aux personnes qui en ont été victimes.
Bien sûr, nous devons nous satisfaire du consensus et le vote qui interviendra dans quelques minutes permettra d’accélérer enfin le processus de restitution.
Je veux citer deux dates et un chiffre pour nous appeler à la modestie.
Il aura fallu quatre-vingt-dix années – 1933-2023 –, soit trois générations, pour parvenir enfin à réaliser ce travail de justice. Comment ne pas penser aux générations qui ne sont plus là et qui ont été les victimes directes de ces spoliations ? Nous leur devions aussi ce travail.
Je veux également citer 1995, car, comme beaucoup parmi vous l’ont, à juste titre, rappelé, ce que nous avons réussi à accomplir aujourd’hui est le fruit d’un processus enclenché par les déclarations du Président de la République Jacques Chirac. Il aura tout de même fallu vingt-huit ans pour parvenir à ce texte-cadre !
Enfin, je veux citer un chiffre, celui du nombre de spoliations commises. On ne le connaît pas, mais on mesure leur importance quand certains évoquent le chiffre de 100 000 ou 150 000. Il faut reconnaître, en toute modestie, que nous ne restituerons évidemment, sous une forme ou sous une autre, que très peu de biens aux familles qui en ont été victimes et qui sont encore marquées par cette période de l’Histoire de France.
Je remercie notre rapporteure pour le travail effectué. Je me joins à la demande qu’elle a adressée à Mme la ministre dans son propos liminaire : si ce texte a vocation à accélérer le processus d’identification des provenances et de restitution, il faut aussi que des moyens, notamment humains, y soient consacrés. Je me joins donc à sa demande sur la nécessité d’adjoindre des moyens à cette loi-cadre.
Je remercie toutes celles et tous ceux qui ont participé au travail sur ce texte, ainsi que Mme la ministre, pour sa collaboration.
Nous attendons évidemment avec impatience les deux autres textes ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.
(Le projet de loi est adopté.)
Mme la présidente. Je constate que ce projet de loi a été adopté à l’unanimité.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens vraiment à vous remercier pour la qualité des débats, pour le sérieux de vos analyses ainsi que pour tous nos échanges de ces dernières semaines.
Je suis très heureuse que le texte commence son cheminement législatif au Sénat, où un travail a été réalisé de longue date sur ces questions – nous avons notamment mentionné le rapport de la sénatrice Corinne Bouchoux. En outre, c’est avec les sénateurs que nous avons le plus travaillé sur les lois-cadres qui seront examinées très prochainement.
En réponse aux propos de Roger Karoutchi, je veux répéter que, dans mon discours, j’ai veillé à peser chaque mot. J’ai bien dit que la restitution était un acte de justice, et non un acte de réparation. Et j’ai dit plusieurs fois que rien ne pourrait réparer le drame de la Shoah, qui n’est comparable à aucun autre.
Cependant, le présent projet de loi est un texte de reconnaissance. C’est un projet de loi d’action. Je veux vous assurer de l’engagement total du ministère de la culture, de nos musées et de leurs équipes, non pas uniquement celles des musées nationaux, mais aussi, pour avoir échangé avec elles, celles des musées territoriaux. Je connais leur engagement et leur mobilisation.
Je veux également souligner l’engagement en matière de formation. Comme je l’ai cité rapidement dans mon discours liminaire, la prise en compte de ces questions dans les formations est aujourd’hui très importante, comme le montrent le nouveau master à Nanterre, mais aussi les formations de l’École du Louvre ou encore de l’Institut national du patrimoine.
C’est grâce à l’ensemble de ces leviers – formation, enquête, recherche de provenance – que nous rendrons ce texte effectif.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous assurer de mon engagement pour y contribuer. Mille mercis à vous ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures vingt.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Mise au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à Mme Micheline Jacques.
Mme Micheline Jacques. Lors du scrutin public n° 291 sur l’ensemble de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, mes collègues Françoise Dumont, Viviane Malet et Dominique de Legge souhaitaient voter pour.
Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
8
Majorité numérique et lutte contre la haine en ligne
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne (proposition n° 389, texte de la commission n° 588, rapport n° 587).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, l’insécurité sur internet progresse de jour en jour, et nos enfants sont les principales victimes des travers de la société numérique.
Surexposition aux écrans, addiction aux réseaux sociaux, cyberharcèlement, exposition à des contenus inappropriés : autant d’atteintes brutales à leur innocence, autant de violence psychologique faite à une génération qui menace d’être sacrifiée si rien n’est fait.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons à nos enfants d’agir.
Depuis quelques années, sous l’impulsion du Président de la République et des parlementaires, la France agit. D’ailleurs, s’agissant de la protection de l’enfance en ligne, notre pays montre la voie.
Grâce à une initiative parlementaire, la France sera, dans quelques mois, le premier pays du monde à imposer le contrôle parental sur tous les équipements qui sont vendus sur son sol.
Grâce à la mobilisation du ministère de l’éducation nationale, du ministère de l’économie et des finances, l’année prochaine, dans notre pays, tous les élèves de sixième bénéficieront d’un passeport numérique, c’est-à-dire d’un module de sensibilisation aux risques et aux gestes à adopter en ligne pour se prémunir contre les dérives que j’évoquais à l’instant.
Grâce à l’engagement de la secrétaire d’État chargée de l’enfance et du ministre de la santé et de la prévention, un site internet, jeprotegemonenfant.gouv.fr, a été conçu à destination des parents, pour les accompagner dans la parentalité numérique, c’est-à-dire dans la façon dont ils peuvent accompagner leurs enfants dans l’espace numérique.
Nous avons d’ailleurs, avec Charlotte Caubel, lancé, au mois de février dernier, une campagne nationale de promotion de ce site internet, vers lequel tous les parents de France peuvent se tourner lorsqu’ils s’interrogent sur la manière d’accompagner au mieux leur enfant dans l’espace numérique.
Enfin, c’est grâce au volontarisme de la France qu’a été adopté, l’année dernière, lorsqu’elle présidait l’Union européenne, un règlement majeur, le règlement sur les services numériques, qui fait entrer les grandes plateformes de réseaux sociaux dans l’ère de la responsabilité, en leur imposant un certain nombre d’obligations nouvelles d’ordre général : la modération des contenus illicites qui leur sont signalés, l’audit par des tierces parties de leurs algorithmes, le partage avec des chercheurs de leurs données, ce qui permettra à ceux-ci d’analyser les ressorts des dérives que nous dénonçons, mais aussi des mesures très concrètes pour mieux protéger les enfants en ligne, en particulier l’obligation qui leur sera faite de publier des conditions générales d’utilisation facilement compréhensibles par eux, l’obligation de garantir un haut niveau de sécurité, de sûreté et de protection de leur vie privée, notamment en mettant en place des interfaces adéquats, et l’interdiction de faire de la publicité ciblée sur les mineurs.
Je le répète, c’est là un règlement majeur, une révolution dans la manière dont nous régulons l’activité de ces éditeurs de réseaux sociaux. Ces obligations entreront en vigueur cet été, au mois d’août.
En cas de manquement à ces obligations, les plateformes concernées s’exposeront à des pénalités allant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires la première fois et, en cas de récidive, pourront se voir interdire d’émettre sur le territoire de l’Union européenne.
Nous avons agi, mais il nous faut aller plus loin. C’est l’objet du projet de loi que j’ai présenté il y a quelques semaines pour sécuriser et réguler l’espace numérique et créer de nouvelles protections pour nos concitoyens, nos entreprises et nos collectivités, mais singulièrement pour nos enfants.
En outre, au chapitre de la protection des mineurs en ligne figure une mesure issue des travaux de Mme la rapporteure et de ses collègues, les sénatrices Annick Billon, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, qui vise à donner à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) le pouvoir de bloquer les sites pornographiques qui ne vérifient pas l’âge de leurs utilisateurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, 2 millions d’enfants sont exposés chaque mois à des contenus pornographiques en ligne. Pourquoi ? Parce que les sites concernés ne vérifient pas sérieusement l’âge de leurs utilisateurs.
Avec cette mesure issue d’un rapport sénatorial, nous pourrons, en quelques semaines, obtenir le blocage des sites qui ne se conformeront pas à cette obligation.
Autre mesure de protection de l’enfance en ligne : une peine d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende pour les hébergeurs qui ne retireront pas en moins de vingt-quatre heures les contenus pédopornographiques qui leur seront signalés par les forces de l’ordre. Cette sanction sera calquée sur le modèle de la sanction s’appliquant au non-retrait des contenus terroristes par ces mêmes hébergeurs.
Et il nous faut aller plus loin, avec la proposition de loi dont le président Laurent Marcangeli a pris l’initiative à l’Assemblée nationale et qui impose aux réseaux sociaux de contrôler l’âge de leurs utilisateurs, mais aussi, lorsque ces derniers ont moins de 15 ans, de recueillir le consentement parental.
Et je veux féliciter Mme la rapporteure et les membres de la commission, qui ont permis d’améliorer le texte lors de son examen en commission, tout en veillant à éviter deux écueils : le premier aurait été d’empiéter sur ce qu’accomplit le règlement sur les services numériques, le DSA, pour Digital Services Act, ce règlement majeur adopté l’année dernière, sur l’initiative de la France ; le second aurait été de déposséder l’autorité parentale.
Je crois que, quand l’intérêt supérieur de l’enfant est en jeu, le Parlement sait trouver les voies du consensus. J’espère que ce sera aussi le cas aujourd’hui.
En tout état de cause, le Gouvernement – ma collègue Charlotte Caubel aura l’occasion de s’exprimer en en ce sens – soutiendra la proposition de loi amendée par la commission.
Je remercie une nouvelle fois Mme la rapporteure et les membres de la commission pour leur travail.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargée de l’enfance. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous le disons, nous le répétons : l’espace numérique apporte au monde des atouts formidables, mais est aussi source de danger, tout particulièrement pour les enfants, qui naviguent sur internet dès l’âge de 10 ans – parfois même avant.
Dans le monde réel comme dans le monde virtuel, il est de notre devoir de garantir la sécurité, les droits et le bien-être de nos enfants. C’est pourquoi la protection des enfants dans l’espace numérique est l’un des cinq chantiers prioritaires qu’a fixés la Première ministre à son gouvernement à l’occasion du premier comité interministériel de l’enfance, en novembre 2022.
Notre feuille de route est très claire : il nous faut lutter contre l’utilisation excessive des écrans, qui génère de nombreuses difficultés et de nombreux troubles du comportement, du langage, du sommeil et crée des addictions.
Il nous faut aussi interdire aux mineurs l’accès à des contenus inadaptés à leur âge, au premier rang desquels les contenus pornographiques. Sur ce point, Jean-Noël Barrot et moi sommes intransigeants : nous avons pris des mesures plus contraignantes encore, qui s’appliqueront aux éditeurs de sites pornographiques.
Il nous faut aussi combattre toutes les formes d’infractions dont les mineurs peuvent être victimes sur internet, au premier rang desquelles le cyberharcèlement et le grooming.
Enfin, il nous faut garantir les données et le droit à l’image des enfants sur les réseaux sociaux. Je le rappelle, une image sur deux d’enfant retrouvée dans les ordinateurs portables des pédocriminels – une image sur deux ! – a été volée sur les réseaux !
Depuis un an, l’ensemble des ministres concernés sont pleinement mobilisés. Je souhaite saluer l’action de mes collègues, Jean-Noël Barrot, Pap Ndiaye, mais aussi Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti pour lutter contre les excès des réseaux.
Nous pouvons également compter sur l’engagement des parlementaires des deux chambres, les autorités de régulation et de nombreuses associations.
De fait, collectivement, nous prenons tous les jours un peu plus la mesure des risques que représentent les écrans, internet et les réseaux sociaux pour nos enfants.
Je me réjouis, en tant que secrétaire d’État chargée de l’enfance, de constater que nous élaborons, à tous les niveaux, une véritable stratégie pour prévenir les risques, mieux accompagner les familles, responsabiliser les acteurs du numérique, notamment les plateformes.
Au Parlement, trois propositions de loi visant à mieux protéger les enfants en ligne sont ainsi examinées depuis le début de l’année : c’est un message politique très clair et très fort. Caroline Janvier, Bruno Studer et Laurent Marcangeli ont, en effet, porté, à l’Assemblée nationale, des textes ambitieux qui ont été adoptés très largement.
Le Sénat a mené des travaux importants qui nourrissent notre action au quotidien. Je salue le rapport porté par Annick Billon, Laurence Rossignol, Laurence Cohen et vous-même, madame la rapporteure, sur l’industrie de la pornographie, et, bien sûr, la commission d’enquête conduite par le président Malhuret sur TikTok.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis convaincue que la protection des enfants en ligne peut une nouvelle fois nous réunir et nous unir aujourd’hui. Je ne crois pas me tromper en disant, comme vous, qu’il est insupportable de lire les rapports faisant état des dégâts causés par les algorithmes addictifs, la désinformation et les violences commises en ligne sur les enfants.
Loin de moi l’idée de diaboliser les réseaux sociaux et les grandes plateformes, mais, en tant que secrétaire d’État chargée de l’enfance, je me dois d’alerter sur ces risques et dérives graves qui abîment la santé des plus jeunes.
Il faut l’admettre, nous, adultes, avons été dépassés ; nous avons probablement baissé la garde par imprudence et, surtout, par méconnaissance et incompréhension.
Jean-Noël Barrot l’a dit : aujourd’hui, nous sommes dans l’action pour essayer de rattraper le temps perdu. Face à ces défis, nous avons choisi d’agir sur plusieurs plans : en améliorant, à la fois, l’éducation des enfants, l’accompagnement des parents et la formation des professionnels ; en généralisant les ateliers de parentalité numérique sur l’ensemble du territoire ; et en renforçant les dispositions relatives à l’autorité parentale dans l’environnement numérique, et donc les obligations en résultant.
Aujourd’hui, votre assemblée peut déterminer l’âge à compter duquel un enfant pourra s’inscrire de façon autonome sur un réseau social.
Il nous faut de nouveau rappeler une évidence : s’inscrire sur un réseau social n’est pas un acte anodin, en particulier pour les enfants. Car, sur un réseau social, ces derniers sont confrontés aux mêmes risques que dans la vie réelle – je dirais même que, parfois, ils le sont encore plus.
On le sait, là où il y avait harcèlement, il y a aujourd’hui cyberharcèlement, dont l’impact sur les enfants est décuplé, démultiplié.
Là où il pouvait y avoir une incitation isolée à la haine et au suicide, il y a aujourd’hui un déploiement numérique de ce type d’influence. Les réseaux sociaux sont source de dangers réels et graves.
Dans ce contexte, contrôler et accompagner l’accès des mineurs à l’entrée des réseaux est une réponse efficace. C’est la raison pour laquelle, avec Jean-Noël Barrot, je soutiens la proposition de loi de Laurent Marcangeli pour qu’aucun enfant de moins de 15 ans ne s’inscrive sur un réseau social sans l’accord de ses parents. Ce sera un nouveau moyen d’accompagner les enfants dans leurs usages numériques et de les préserver des excès d’internet.
Je sais qu’en privilégiant l’intérêt supérieur de l’enfant il peut nous être reproché de porter atteinte à la liberté des adultes. En l’occurrence, nous voulons rappeler aux parents de ne pas céder à la facilité et de prendre leurs responsabilités. Je l’assume, nous l’assumons. Parce que prendre soin de nos enfants est la priorité du Président de la République, celle du Gouvernement et la mienne en tant que secrétaire d’État chargée de l’enfance.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans leur monde idéal, les réseaux sociaux constituent un formidable espace de partage, de création, d’échanges et de débats. C’est également un outil de culture et de connaissance.
Cet idéal est malheureusement resté en partie une projection, un leurre, mais qui a réussi à attirer de nombreux utilisateurs, tombés dans le piège avant d’en connaître les dangers : la plupart d’entre nous ici présents, mais surtout les plus fragiles, aveuglés par les sirènes manipulatrices visant à faire croire que cet espace de divertissement était sans risque.
Conçues pour attirer et retenir notre attention, les plateformes numériques ont su créer un écosystème qui fait désormais partie de la société.
Avant d’être nommée rapporteure de cette proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, je me suis penchée depuis plusieurs années avec une grande attention sur les conséquences de la surutilisation d’internet par les mineurs. Je suis aussi une mère de famille – mes enfants sont aujourd’hui des adolescents –, et donc un témoin éclairé des conséquences au quotidien de l’utilisation de ces plateformes sur leur vie.
L’auteur de la proposition de loi initiale a choisi un sujet qui ne peut faire que consensus : légiférer sur l’accès des plus jeunes aux réseaux sociaux. Est-il vraiment besoin d’expliquer pourquoi un focus a été fait sur ces réseaux tant ils sont omniprésents ? Nos enfants, plus encore nos adolescents, n’imaginent plus vivre sans eux.
Il ne s’agit pas ici de faire un procès aux réseaux sociaux et aux plateformes ou d’adopter une posture moraliste – ils ne sont évidemment pas à eux seuls responsables de toutes les dérives constatées sur internet –, mais il est impossible de nier qu’ils présentent pour nous tous, singulièrement pour les plus jeunes, des conséquences spécifiques.
Commençons par quelques chiffres.
Près de la moitié des enfants de 6 à 10 ans ont déjà leur smartphone – je le rappelle, l’âge de 6 ans correspond à l’entrée au CP, une année où l’on apprend à lire.
Par ailleurs, 65 % des 10-14 ans ont un compte au moins sur un réseau social et près de la moitié des adolescents pensent qu’ils seraient dévastés s’ils devaient se passer des réseaux non pas définitivement, mais juste pendant plusieurs jours… Cela en dit long sur le caractère addictif des réseaux sociaux !
Le geste est toujours le même : d’abord, un scroll vers le bas, un coup d’œil aux commentaires, puis l’entrée dans la spirale, celle qui va transformer vos cinq minutes de pause en un long tunnel sans fin. C’est là tout l’objectif des algorithmes : retenir notre attention coûte que coûte en choisissant des contenus adaptés à nos intérêts, avec deux variables, à savoir la satisfaction engendrée par la réception de commentaires positifs ou autres récompenses et le partage d’expérience afin de montrer son appartenance à une communauté.
C’est le marché de l’attention, une sollicitation optimisée du cerveau humain par le biais d’algorithmes, qui engendre une recherche constante de nouveaux contenus numériques à des fins de stimulation cérébrale.
Le même mécanisme serait à l’œuvre dans le cas des addictions aux drogues. Je vous invite à lire le témoignage récent d’une adolescente dans un grand quotidien national. J’en cite un extrait : « TikTok, pour nous, c’est un peu comme le tabac pour l’ancienne génération, on essaie de décrocher, mais on tient une semaine. »
Mes chers collègues, connaissez-vous le Fomo ? C’est l’acronyme de fear of missing out, c’est-à-dire la peur de manquer quelque chose. Cela se traduit par un syndrome d’anxiété qui nous pousse à rester connectés pour ne pas prendre ce risque. Un phénomène qui est une conséquence directe de l’utilisation des réseaux sociaux, et un syndrome particulièrement présent chez nos adolescents.
Et puis il y a la comparaison, qui peut parfois être une source de plaisir, mais qui est souvent un facteur de déprime. C’est un poison pour l’estime de soi dans lequel l’envie et la jalousie prennent racine. Lorsque nous parcourons les différentes plateformes, on peut avoir la sensation de voyager trop peu, de se sentir moche ou que notre vie de famille est finalement bien plus triste que celle des autres. Notre cerveau nous compare systématiquement aux autres. C’est un réflexe plutôt naturel. En tant qu’adulte, le discernement nous offre une arme pour prendre de la distance, mais cet outil n’est qu’en cours d’acquisition chez nos enfants et ne leur permet pas encore d’avoir le recul nécessaire pour digérer certains contenus.
Les réseaux sociaux sont la vitrine d’une vie rêvée et bien menée, et leur surutilisation a un impact physique, mental et social.
Des chercheurs de l’université de Pittsburgh se sont intéressés au sujet et les données scientifiques qu’ils ont obtenues attestent qu’un lien direct existe entre l’isolement social éprouvé et une importante utilisation des réseaux sociaux.
Maux de tête, insomnie, problèmes de vision, déprime, baisse des résultats scolaires ou des performances professionnelles : autant d’indices qui doivent nous alerter. Là encore, nos enfants et adolescents sont bien plus sensibles que les adultes. Il a été constaté que les plus gros consommateurs de réseaux sociaux sont les plus jeunes et les premiers concernés par ces risques cognitifs et mentaux, en raison de l’usage démesuré qu’ils en font et de leur vulnérabilité.
Aujourd’hui, près de 50 % des adolescentes présentent des symptômes cliniques de dépression, pour un équivalent de cinq heures par jour passées sur les réseaux sociaux.
« Encore cinq minutes de TikTok et je vais me coucher ! » Nombreux sont les parents qui reconnaîtront leur enfant dans cette phrase. Pourtant, depuis plusieurs années, les spécialistes ne cessent d’alerter sur les troubles du sommeil, les difficultés de concentration ou encore la dégradation de la mémoire en cas d’utilisation répétée des écrans la nuit.
En outre, autoriser son enfant à utiliser les réseaux sociaux, c’est une chose ; mais savoir ce qu’il regarde, c’est encore mieux ! Aujourd’hui, 82 % des 10-14 ans indiquent qu’ils les consultent sans leurs parents.
Cette forme de liberté véhiculée par les réseaux sociaux, sur lesquels chacun peut prendre la parole, peut entraîner également des dérives. Cette problématique, identifiée depuis des années désormais, s’appelle la haine en ligne. Une haine qui a trouvé un nouveau corps, un terreau privilégié pour se diffuser, de manière lâche, à un plus grand public, et plus facilement.
Derrière un écran, qui assure l’anonymat, la violence de certaines personnes peut s’exprimer bien plus librement. Un réel espace de défoulement pour les uns et le début du cauchemar pour les autres.
Selon l’association e-Enfance, 12 % des 8-18 ans ont déjà été confrontés à une situation de cyberharcèlement. C’est un fléau qui touche principalement les mineurs. Si les plateformes mettent en place des outils pour lutter contre des contenus indésirables, il s’avère que ces dispositifs ne sont pas suffisants pour protéger les plus fragiles, nos enfants.
Et je n’évoque pas ici les mauvaises rencontres, notamment les prédateurs sexuels ou les vendeurs de drogues, qui savent tirer parti des réseaux sociaux pour attirer leurs victimes.
L’école étant le premier lieu des interactions sociales et celui où sont apprises les notions basiques du civisme, l’éducation nationale a aussi pour mission d’éduquer les futurs citoyens de la République aux règles de la vie en société. Notre société faisant de plus en plus corps avec le numérique, le cyberharcèlement doit être abordé en classe.
Nous examinons aujourd’hui un texte de bon sens. Pour répondre aux constats que je viens de présenter en propos liminaires, la présente proposition de loi prévoit que l’inscription d’un jeune de moins de 15 ans sur un réseau social ne pourra se faire qu’avec l’autorisation d’un des deux parents. C’est donc cela la fameuse « majorité numérique », qui figure à l’article 2 – le cœur de la proposition de loi.
Afin de renforcer la protection de nos enfants, j’ai tenu à rendre ce texte plus opérant en présentant des amendements qui ont été adoptés à l’unanimité par la commission de la culture. Ils ont pour objectif de rendre le texte plus applicable et efficace, tout en associant la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) pour assurer un meilleur respect des données personnelles.
Ce texte place ainsi l’autorité parentale au cœur de la relation entre l’enfant et les réseaux sociaux. Fixer une majorité numérique permettra demain d’instaurer un dialogue en famille afin que chacun puisse, en connaissance de cause et en responsabilité, être conscient des dangers que risque d’engendrer une surutilisation des réseaux – surtout quand on observe la proportion des moins de 13 ans inscrits sur ces plateformes, malgré l’interdiction qu’elles ont, je le rappelle, mise en place.
La majorité numérique sera donc un outil au service des parents pour mieux superviser la vie numérique de leurs enfants. Tout montre que la puberté numérique est de plus en plus précoce et que les parents sont souvent dépassés par la rapidité avec laquelle leurs enfants adoptent de nouveaux usages. Sachez que 83 % d’entre eux reconnaissent ne pas savoir exactement ce que font leurs enfants sur internet.
Cet arsenal juridique que nous nous efforçons, enfin, de mettre en place pour réguler l’espace numérique ne pouvait plus attendre. Il complétera d’ailleurs deux textes que nous avons récemment examinés : celui qui tend à encadrer l’influence commerciale et celui qui vise à garantir le respect du droit à l’image des enfants.
Trois textes, un seul objectif : protéger les mineurs.
Le Sénat a de nouveau prouvé son intérêt pour ces grands enjeux de notre siècle. Et il sera encore au rendez-vous dans quelques semaines, monsieur le ministre, pour examiner votre projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. L’article 2 prévoit d’ailleurs de nouvelles modalités de contrôle pour l’accès des mineurs aux sites pornographiques.
Il m’est impossible, car il s’agit du même objectif, de ne pas aborder ici les derniers travaux de la délégation aux droits des femmes, ayant été coauteure du rapport Porno : l’enfer du décor, qui a tant fait parler de lui depuis un an maintenant. Là aussi, ce travail visait à éveiller les consciences quant aux dérives de cette industrie et aux conséquences sur les plus fragiles, et nous avions fait une trentaine de propositions. Je vous remercie d’ailleurs, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, d’avoir cité ce rapport dans vos propos liminaires et d’avoir tenu compte de nos préoccupations pour protéger les mineurs des sites pornographiques.
Aujourd’hui, il est temps pour le Sénat de franchir une nouvelle étape. Cette proposition de loi ne prétend pas résoudre en quelques articles l’ensemble des conséquences néfastes de l’utilisation des réseaux sociaux sur les moins de 15 ans, mais il est une pierre de plus à la construction d’un véritable écosystème global de protection de l’enfance en ligne.
Moins d’exposition précoce à la violence des réseaux sociaux, c’est moins de risques de cyberharcèlement, moins d’exposition aux cyberviolences sexistes et sexuelles et moins d’accès à la désinformation. Je vous rappelle que la théorie de la terre plate, véhiculée récemment sur ces réseaux, a séduit un jeune sur six. C’est aussi une question de santé publique qui ne dit pas son nom.
L’adoption de cette proposition de loi, à l’heure où les pays du monde entier, et singulièrement l’Europe, s’attachent enfin à poser un cadre, constituerait un signal fort.
Pour conclure, mes chers collègues, je veux dire que ce texte, qui acte la prise de conscience par le Sénat du caractère urgent et impérieux de construire un cadre juridique solide, permettra de mettre chacun face à ses obligations et à ses responsabilités. Nous ne pouvons plus nous contenter d’observer les potentiels dommages, nous devons poser des garde-fous indispensables à leur protection. Je suis convaincue que cet enjeu peut nous rassembler et je vous remercie d’ores et déjà pour les propositions d’amélioration du texte portées par vos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)