Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Madame la sénatrice, je partage totalement votre engagement en faveur des entreprises françaises à l’étranger et des entrepreneurs français de l’étranger. Nous avons besoin d’eux pour le rayonnement de notre pays. Ces acteurs sont en quelque sorte des supports qui permettent d’accroître les exportations françaises.
Je suis également d’accord avec votre analyse du rôle central que doivent jouer les chambres de commerce françaises à l’étranger. Nous avons mis en place un pilotage fin de la Team France Export, en y incluant les CCI françaises à l’étranger. À cette fin, alors que le Conseil national des exportations ne tenait qu’une réunion par an, je réunis l’ensemble des acteurs de la TFE tous les mois ou les deux mois au ministère.
Mme le président. La parole est à Mme Évelyne Renaud-Garabedian, pour la réplique.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. Monsieur le ministre, les entrepreneurs français seront ravis de votre réaction.
Permettez-moi d’insister sur un point : j’aimerais que nous réfléchissions en commun à un éventuel dispositif d’aide.
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord rendre hommage à la qualité du travail des parlementaires qui ont produit ce rapport, dont je partage le constat, ainsi que, nous le verrons, une bonne partie des propositions.
J’en profite pour saluer également la qualité du rapport rendu la semaine dernière à l’Assemblée nationale par le député Charles Rodwell, et je vous remercie, madame la présidente, d’avoir rendu ce débat possible ce soir au Sénat, le jour même où nous rendons publics les chiffres du commerce de la France pour l’année 2022.
Il me semble utile de commencer par une précision de langage : on parle de 164 milliards d’euros de déficit commercial, mais ce chiffre correspond en réalité à la balance des biens.
La balance commerciale, c’est aussi la balance des revenus et celle des services. Or autant la balance des biens connaît un déficit extrêmement important, qui a doublé par rapport à l’année dernière pour les raisons liées aux questions énergétiques que nous avons évoquées, autant la balance des services a un excédent de 50 milliards d’euros, qui est, lui aussi, un record dû à la reprise du tourisme, ainsi qu’au dynamisme de nos transports et de nos services financiers.
En effet, à la suite du Brexit, la place de Paris est devenue – il faut le souligner – la première place boursière en Europe en matière de capitalisation par actions. Nous avons détrôné la City ! De temps à autre, il faut aussi entendre la forêt pousser et pas simplement l’arbre tomber.
Nous sommes donc bons dans le domaine des services et dans celui des revenus. De grandes entreprises et certaines entreprises françaises de l’étranger rapatrient d’ailleurs leurs revenus en France. L’excédent de 30 milliards d’euros est considérable. Là aussi, c’est un record comparé aux dix années précédentes, pendant lesquelles la balance était excédentaire de 8 milliards d’euros environ en moyenne.
Il ne faut évidemment pas se satisfaire de cette situation, puisque, nous en sommes d’accord, la balance des biens pose un véritable problème. Celui-ci s’explique pour partie par le déficit énergétique : ce problème est conjoncturel, et nous allons le résorber. Mais il existe également un déficit structurel, lié, nous l’avons dit, à la fois à la désindustrialisation que notre pays a subie au cours des trente dernières années et à la faiblesse de nos PME-PMI à l’exportation par rapport à nos grands voisins.
C’est dans ces domaines qu’il faut agir, et qu’il faut agir vite. Nous avons lancé la réindustrialisation avec le plan France 2030 : quelque 54 milliards d’euros ont été mis sur la table. Et les résultats sont déjà visibles aujourd’hui, parce que l’on construit des usines au lieu d’en fermer et parce que des emplois industriels sont créés, notamment dans des domaines stratégiques, comme les semi-conducteurs, avec STMicroelectronics à Crolles, la pharmacie et les principes actifs, avec l’usine Seqens dans l’Isère, ou encore le lithium, raffiné dans l’Allier ou exploité dans le Bas-Rhin.
Un certain nombre d’initiatives positives ont donc déjà été engagées.
Il y a un dernier domaine dans lequel nous devons agir rapidement, car la réindustralisation prendra du temps : c’est celui de nos PME-PMI. M. Lemoyne l’a rappelé, nous avons une première source de satisfaction avec l’augmentation du nombre d’entreprises exportatrices, passées de 120 000 à 144 400 l’année dernière. Mais ce chiffre reste insuffisant comparé à nos grands voisins.
La culture de l’exportation doit être inculquée à nos PME-PMI : ce combat doit être mené, et il nous faut avancer mètre par mètre, en demandant aux acteurs de la Team France Export, particulièrement aux conseillers des CCI, en plus de ceux de Business France, de faire du porte-à-porte auprès des PME pour les aider à se projeter à l’exportation.
C’est l’engagement que je prends devant vous en tant que ministre délégué en charge du commerce extérieur et de l’attractivité. C’est un combat que nous pouvons remporter, et nous gagnerons ensemble ! (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)
Conclusion du débat
Mme le président. La parole est à M. le président de la délégation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie chacun d’avoir participé à ce débat intéressant et utile.
Le Sénat a multiplié les alertes, depuis plusieurs années, pour faire prendre conscience de notre dépendance aux importations, notamment celles qui proviennent d’Asie.
Mon collègue Vincent Segouin évoquait les ruptures d’approvisionnement de médicaments ; vous avez répondu à sa question, monsieur le ministre. Je rappelle que la commission des affaires économiques, dès 2018, puis dans son rapport présentant cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique, soulignait déjà cette dépendance. En effet, l’approvisionnement de la France en ingrédients pharmaceutiques actifs provient à plus de 80 % de Chine et d’Inde.
J’ai évoqué dans un débat précédent, aujourd’hui même, le sujet des véhicules électriques, et le même constat de dépendance aux importations asiatiques peut être dressé pour ce qui est des semi-conducteurs ; vous avez également répondu à cette question, monsieur le ministre.
Or les travaux de mes collègues de la délégation aux entreprises montrent clairement que les études sur la vulnérabilité des approvisionnements de la France minimisent les risques encourus.
Qu’il s’agisse des publications de la direction générale du Trésor ou de celles du Conseil d’analyse économique, elles s’appuient sur des données qui ne permettent pas de distinguer les différents intrants de la chaîne de valeur des biens importés. Par exemple, un bien importé d’Allemagne n’est pas jugé risqué, car il est identifié comme provenant de l’Union européenne, même s’il dépend de composants importés exclusivement de Chine.
Il me semble, monsieur le ministre, que nous ne pouvons plus nous contenter d’une analyse qui minimise autant les risques, alors que les récentes crises ont montré aux Français les conséquences des délocalisations massives de nos sites de production.
Il faut mobiliser la Commission européenne, pour que les données des États membres permettent d’appréhender collectivement la réelle dépendance de nos économies européennes. Comme souvent, il existe un décalage entre la perception de l’administration de l’État et la réalité économique vécue sur le terrain par les entreprises et les citoyens.
Cette même déconnexion est ressentie par les entreprises face à la complexité des normes qui leur sont applicables. Celles-ci ne cessent de se multiplier, au point de détourner les dirigeants de leur cœur de métier et de plomber notre compétitivité.
En matière de commerce extérieur – nous l’avons vu en Italie et en Allemagne –, les ETI constituent un véritable atout. Pourtant, en France, comme le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire le rappelait récemment devant notre délégation, 700 nouvelles normes s’imposent aux ETI chaque année, en plus du stock des 400 000 normes existantes, ce qui représente un coût total de 28 milliards d’euros pour ces entreprises.
La simplification des normes est un enjeu central pour le commerce extérieur, et je ne doute pas que vous suivrez avec attention les conclusions de la mission d’information dont les travaux sont en cours sur le sujet au sein de notre délégation : nous vous ferons part de ses conclusions.
Le redressement du commerce extérieur dépendra des efforts déployés par chaque ministère et chaque acteur public ou privé de l’écosystème. Les grandes entreprises devront apprendre à chasser en meute avec les PME. Les acheteurs publics devront prendre exemple sur nos voisins européens et dépasser le critère du moindre coût, pour ne plus défavoriser les TPE et PME françaises. Bref, nous avons tous un rôle à jouer.
La désindustrialisation a produit un cercle vicieux, car nous n’avons pas su, ou pas voulu, en mesurer les conséquences dans tous les domaines ayant un impact sur notre compétitivité : chômage endémique et affaiblissement des compétences et de l’innovation, comme nos collègues l’ont rappelé. Il nous faut désormais nous doter d’une structure capable de piloter efficacement notre stratégie : c’est ce que nous proposons avec la rénovation du conseil stratégique de l’export.
Le Gouvernement doit enfin entendre l’appel du législateur, qui réclame depuis longtemps de véritables études d’impact en amont des projets de loi, prenant en compte tous les effets des politiques publiques, qu’il s’agisse de formation, de fiscalité ou de normes environnementales.
Il est temps de permettre aux entreprises de développer leurs talents, non seulement à l’étranger, mais aussi dans nos territoires, en leur offrant enfin un écosystème favorable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport Commerce extérieur : l’urgence d’une stratégie publique pour nos entreprises.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cette après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Mises au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre, pour une mise au point au sujet de votes.
Mme Amel Gacquerre. Lors du scrutin n° 125 sur l’ensemble du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, Laurent Lafon souhaitait voter contre, tandis que Catherine Morin-Desailly, Sonia de La Provôté, Michel Laugier et Hervé Maurey voulaient s’abstenir.
M. le président. Acte est donné de votre mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour une mise au point au sujet d’un vote.
M. Guillaume Chevrollier. Lors du scrutin public n° 120, mon collègue Philippe Bas souhaitait voter pour.
M. le président. Acte est donné de votre mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
9
Compétitivité : une urgence pour redresser la ferme France
Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la commission des affaires économiques
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires économiques, sur les conclusions du rapport Compétitivité : une urgence pour redresser la ferme France.
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à M. Pierre Louault, au nom de la commission qui a demandé le débat. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Pierre Louault, au nom de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’agriculture – et de la souveraineté alimentaire, nous aurons l’occasion de vous le rappeler aujourd’hui ! –, mes chers collègues, le rapport que j’ai conduit avec mes collègues Laurent Duplomb et Serge Mérillou expose, à partir de cinq produits – la pomme, la tomate, le blé, le lait et les poulets –, les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de notre pays, puis propose quelques solutions.
Je comparerai la situation de l’agriculture à celle du nucléaire français : à force de maudire un système et une façon de produire, en établissant des règles et en votant des lois doctrinaires et non réalistes, le glissement vers l’impasse était inexorable. En vingt ans, nous sommes passés du deuxième rang mondial des exportateurs à un déficit de production, si l’on excepte les vins et spiritueux. Les agriculteurs baissent les bras, comme EDF le fait depuis dix ans.
Nous avons beaucoup discuté ces dernières semaines de souveraineté énergétique : celle-ci est indispensable, mais tout aussi nécessaire, et peut être encore davantage, est la puissance agricole d’un pays, qui plus est lorsque celui-ci a longtemps été qualifié de « grenier de l’Europe ».
À ce titre, je remercie la commission des affaires économiques et sa présidente, Sophie Primas, d’avoir bien voulu inscrire à l’ordre du jour un débat sur les conclusions de notre rapport sur la compétitivité de la ferme France, document transpartisan qui, une fois encore, tire la sonnette d’alarme sur la compétitivité de notre agriculture et sur sa capacité à exporter ses productions comme à nourrir la population.
Les constats de ce rapport ne font, hélas, pas dans l’originalité, puisque cela fait maintenant une vingtaine d’années que le Sénat alerte sur la pente descendante qu’emprunte notre agriculture. En 2015, déjà, nous discutions une proposition de loi de notre ancien collègue Jean-Claude Lenoir sur la compétitivité de l’agriculture française.
Pourtant, chaque année qui passe contribue à aggraver les déséquilibres maintes fois identifiés, si bien que, monsieur le ministre, il devient impérieux d’agir.
Notre rapport a mis en avant un certain nombre de facteurs contribuant à éroder, voire à miner, la compétitivité de notre modèle français.
Parmi quatre facteurs, j’en citerai deux : premièrement, la hausse des charges des producteurs, en raison des coûts de la main-d’œuvre, des surtranspositions ou encore d’une fiscalité trop lourde ; deuxièmement, la productivité en berne résultant du manque d’investissements, principalement dans l’agroalimentaire et dans l’élevage, pour des raisons que nous ne connaissons que trop bien au Sénat.
Résultat, nos exportations implosent et nos paysans désespèrent : près d’un tiers des légumes sont importés et les deux tiers des fruits le sont également. Et que dire des poulets, lorsque près de la moitié de ceux qui sont consommés dans notre pays ne sont pas français. Ne sommes-nous plus capables d’offrir à nos compatriotes des produits agricoles de grande consommation accessibles à tous ?
Face à ces constats alarmants, nos recommandations n’ont pas vocation à rester lettre morte. Je crois, monsieur le ministre, que vous souscrivez non seulement à nombre des constats, mais aussi à nombre des solutions préconisées dans ce rapport. Travaillons donc ensemble à inverser cette tendance mortifère pour nos agriculteurs, notre compétitivité, nos concitoyens et notre pays.
Vous engagerez-vous, avec le Sénat, à la vigilance la plus absolue quant aux surtranspositions ? Je ne peux pas ne pas penser aux betteraviers, qui, les premiers en Europe et dans le monde, ont dû se passer de produits indispensables, en l’état actuel des connaissances et de la recherche, à leurs cultures.
Quand pérenniserez-vous pour de bon les travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi (TO-DE), pour sauver la filière fruits et légumes ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Pierre Louault. Je sais pouvoir compter sur vous, monsieur le ministre, pour travailler avec nous à inverser cette tendance. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, je vous remercie d’avoir organisé ce débat. Il permet de prolonger le travail réalisé dans le cadre de ce rapport, qui pose les enjeux que vient d’évoquer le sénateur Louault.
Monsieur le sénateur, vous avez raison, le sujet de la souveraineté traverse nos pensées, si je puis dire, et notre action politique : la crise de la covid-19, la guerre en Ukraine et un certain nombre d’événements récents, notamment en matière énergétique, sont venus le rappeler avec encore plus de force à ceux qui l’avaient oublié. La souveraineté alimentaire, bien entendu, a toute son importance.
Je vous répondrai en quelques mots.
Premièrement, il me semble que la question de la souveraineté doit être posée au niveau à la fois européen et national.
Deuxièmement, vous mentionnez au détour d’un certain nombre de sujets la capacité d’exportation de notre pays, c’est-à-dire tout à la fois la capacité à subvenir aux besoins de notre population et à reconquérir notre place d’exportateur.
Troisièmement, vous m’interpellez sur la hausse des charges globales, liées au coût de la main-d’œuvre.
Pour ce qui est de la pérennisation des TO-DE, même si le processus n’a pas complètement abouti, nous avons tout de même déjà fait un pas à moyen terme, qui devrait en précéder un autre à plus long terme, pour offrir davantage de visibilité.
Quant à la fiscalité, la loi d’orientation et d’avenir agricoles aura pour objet de la repenser globalement, à l’aune des besoins des agriculteurs et des orientations que nous souhaitons donner.
Quatrièmement, en matière de normes, il existe en effet une propension française qui n’est pas nouvelle. Le génie français – j’ose à peine employer l’expression – consiste à normer quand on a un problème et à surnormer quand d’autres ont déjà normé. Vous avez raison de le dire, il faut que nous soyons collectivement vigilants, car cette tendance nous a parfois échappé au cours des années.
Dès lors que le cadre est européen, je puis comprendre que des normes doivent s’appliquer, même si cela n’exclut pas de poser la question aux frontières. En effet, la concurrence dans notre pays s’exerce très souvent à l’intérieur des frontières : c’est le cas, par exemple, avec les volailles. Il convient donc, chaque fois qu’on réglemente ou qu’on légifère, de veiller à ce que les normes ne soient pas des freins à la compétitivité de la ferme France.
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, au nom de la commission qui a demandé le débat. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Sophie Primas, M. Franck Menonville et M. Pierre Louault applaudissent également.)
M. Serge Mérillou, au nom de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, mes chers collègues, Pierre Louault l’a dit avant moi, la situation de l’agriculture française est préoccupante à bien des égards, comme l’a montré notre rapport de septembre 2022.
Je voudrais illustrer cette situation en vous parlant des éleveurs laitiers. J’ai choisi cet exemple parmi les cinq filières qui ont été étudiées dans ce rapport pour démontrer l’étendue de la crise dans laquelle se trouvent nos agriculteurs : 61 % des éleveurs laitiers n’atteignent pas le salaire médian, monsieur le ministre, et un agriculteur sur deux partant à la retraite dans cette filière n’est pas remplacé, avec comme résultante une décapitalisation du cheptel qui a été entamée dès 2005 et qui se poursuit inexorablement !
Pourtant, les prix du lait payés aux producteurs ont augmenté de plus de 40 % en moyenne sur un an dans l’Union européenne, avec une hausse culminant à 46 % en Allemagne.
Quant au prix moyen payé aux paysans français, il n’a augmenté que de 22 %, soit deux fois moins, alors que les charges se sont considérablement accrues, comme vous le savez. Comme toujours, l’agriculteur ou l’éleveur français est celui qui a le plus de difficulté à capter la valeur ; manifestement, les lois Égalim (lois pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) n’ont pas apporté les résultats escomptés.
Il est donc urgent, monsieur le ministre, d’agir pour restaurer la compétitivité de ce que nous qualifions dans notre rapport de « miracle laitier français », tant le modèle familial de la ferme laitière française qui nous est si cher paraît fragile face aux concurrents européens pratiquant une agriculture toujours plus intensive.
Je rappelle que la France est désormais le quatrième importateur mondial de lait. Quand l’Allemagne bâtit sa compétitivité sur ses performances techniques, la France le fait sur la faiblesse de la rémunération de sa main-d’œuvre familiale !
Pourtant, la France est aussi une puissance exportatrice, mais elle a besoin d’un réel soutien de l’État, pour aller conquérir ou reconquérir les marchés tout en protégeant le sien.
Dans le cadre de nos travaux autour du rapport, nous nous sommes rendus en Italie, pour voir comment on faisait par-delà les Alpes. Or, dans ce pays, on assiste à une véritable promotion des produits agricoles nationaux à l’international : quel Français n’a pas, en été, un morceau de mozzarella ou un peu de parmesan dans son réfrigérateur ? Peut-être même qu’il cuisine sa mozzarella avec des tomates italiennes ! (Mme Sophie Primas s’exclame.) Mais croyez-vous que les Italiens ont eux du comté ou de la tomme dans leur cuisine ?
Cette promotion des produits italiens à l’international ne se fait pas uniquement sur le haut de gamme : pour s’en convaincre, il suffit de regarder les ventes de prosecco, un alcool festif et relativement bon marché, qui sont en constante augmentation.
Qu’en est-il donc de notre stratégie à l’export, non pas seulement de nos fleurons nationaux, mais aussi de nos produits de cœur de gamme ?
Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à travailler avec le Sénat sur des solutions pour retrouver de la compétitivité, pour donner de l’air à nos paysans, pour soutenir la conquête de nouveaux marchés et, surtout, pour protéger le marché français des produits venus du lointain, à l’impact environnemental et social trop souvent catastrophique ?
Enfin, à propos des denrées venant de loin, que pouvez-vous nous dire de ce énième accord de libre-échange de l’Union européenne, cette fois-ci avec le Chili, visiblement sans clause miroir, alors que ce pays utilise des antibiotiques facteurs de croissance interdits depuis 2006 en Europe ? Cet accord va-t-il dans le sens de l’histoire ? N’est-on pas encore en train de sacrifier notre souveraineté alimentaire sur l’autel de notre souveraineté énergétique ?
J’ai cru comprendre en effet que le sol du Chili était riche en métaux rares, notamment le lithium, bien utile pour nos batteries…
L’agriculture européenne et française est-elle condamnée à n’être qu’une variable d’ajustement d’accords internationaux aujourd’hui assez massivement rejetés par nos concitoyens ?
Par ailleurs, je m’interroge sur le caractère peu démocratique de la démarche de la Commission européenne, qui saucissonne l’accord pour contourner les parlements nationaux. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et CRCE. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur Mérillou, premièrement, le problème des éleveurs laitiers ne relève pas forcément de la souveraineté : pour les matières grasses, nous sommes légèrement déficitaires, mais, pour les matières protéiques, nous sommes puissamment excédentaires, et la France est une grande puissance exportatrice laitière.
Nous devons assumer cette vocation de la France et le fait que nos producteurs laitiers participent de la balance du commerce extérieur de manière positive. En la matière, les données positives sont suffisamment rares pour qu’on les souligne.
Deuxièmement, vous avez abordé le sujet de la rémunération de la filière en amont, qui, je le répète, ne relève pas forcément de la souveraineté.
Nous avons essayé de mettre en œuvre des mesures dans le cadre des lois Égalim 1 et Égalim 2, dont nous n’avons jamais dit, ni moi ni mes prédécesseurs, qu’elles étaient parfaites. Toutefois, il me semble qu’elles ont permis d’avancer sur le sujet, malgré l’effet de retard qu’a subi la filière : les rattrapages que vous évoquez pour d’autres pays européens sont en train d’opérer en France : alors qu’un ou deux opérateurs tardaient à pratiquer les hausses de prix, ils l’ont fait récemment, ce qui est de nature à rassurer les acteurs.
Troisièmement, vous avez évoqué le risque principal dans la filière laitière, qui est lié à la pénibilité du travail : l’activité mobilise, en effet, 365 jours par an, le matin, parfois à midi et très souvent le soir. Il faudra donc réfléchir – nous le ferons avec le Sénat – à améliorer les conditions de travail et à faciliter l’exercice du métier de producteur laitier, car le risque principal, vous avez raison de le dire, est celui de la décapitalisation, donc, à terme, de la perte de souveraineté.
Enfin, sur l’accord avec le Chili, ni le Gouvernement ni moi-même ne souhaitons faire de l’agriculture une variable d’ajustement. L’enjeu est de reconquérir des marchés. Vous avez mentionné la vocation exportatrice de la France ; on ne peut pas à la fois reconnaître cette vocation et refuser tout dialogue dans la cadre des accords internationaux.
Le sujet principal pour moi est celui des clauses de réciprocité, autrement dit des clauses miroirs, que l’on a tenté d’introduire sous présidence française de l’Union européenne et que l’on doit encore cranter. Nous avons commencé à évoquer le sujet, mais il faut aller plus loin, pour que, dans chaque accord, on puisse prévoir des clauses de réciprocité.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.