Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Françoise Férat, M. Joël Guerriau.
2. Mise au point au sujet de votes
3. Loi de finances pour 2023. – Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
Adoption, par scrutin public n° 94 à la tribune, du projet de loi, modifié.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
4. Mise au point au sujet d’un vote
5. Limitation de l’engrillagement des espaces naturels et protection de la propriété privée. – Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Texte élaboré par la commission
M. Laurent Somon, rapporteur de la commission des affaires économiques
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
6. Déroulement des élections sénatoriales. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Texte élaboré par la commission
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
7. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2022
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères
M. Albéric de Montgolfier, vice-président de la commission des finances
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Françoise Férat,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Lors du scrutin n° 93, sur les amendements identiques tendant à supprimer l’article 40 quater du projet de loi de finances pour 2023, MM. Alain Marc, Franck Menonville et Pierre-Jean Verzelen souhaitaient voter pour, et les autres sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires souhaitaient s’abstenir.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
3
Loi de finances pour 2023
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote du projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution (projet n° 114, rapport général n° 115, avis nos 116 à 121).
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de passer au vote sur l’ensemble du texte, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote, conformément aux règles fixées par la conférence des présidents.
La parole est à M. Rémi Féraud, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré des heures de débats, y compris, cette année, sur la seconde partie du budget – dans cet hémicycle, aucun 49.3 ne les aura interrompus –, la discussion en séance publique du projet de loi de finances pour 2023 ne nous aura pas rassurés pour autant.
Nous ne sommes pas rassurés, tout d’abord, car les hypothèses de ce budget sont irréalistes : personne, pas même le Président de la République désormais – si j’en crois ses propos – ne croit en effet à l’hypothèse d’une croissance de 1 % pour l’an prochain.
Nous ne sommes pas rassurés, ensuite, car l’inflation, qui risque de persister et de s’établir au-delà des prévisions du Gouvernement, a des conséquences immédiates sur la vie de nos concitoyens, en particulier des plus précaires, qui les subissent de plein fouet.
Nous ne sommes pas rassurés, enfin, d’apprendre dans la presse que sans remettre en cause les baisses fiscales prévues, les discussions entre le Gouvernement et Les Républicains sur la loi de programmation des finances publiques pourraient déboucher sur un coup de rabot supplémentaire porté aux politiques publiques.
Dès la première année du quinquennat, le Gouvernement nous propose donc un nouveau budget injuste, traduisant, une fois encore, sa volonté de concentrer les baisses d’impôts sur les entreprises et les Français les plus fortunés. C’est un choix que partage la majorité sénatoriale, et que nous ne sommes malheureusement pas parvenus à contrebalancer.
Vous persistez dans la même trajectoire, monsieur le ministre : réduire les ressources de l’État et contraindre ses dépenses. Votre politique de l’offre est un échec, mais vous la reconduisez coûte que coûte, et vous continuez à dévaloriser les revenus du travail par rapport aux revenus du capital.
Telle est la réalité de la politique fiscale qui est menée. Telle est la vision de la valeur travail portée par le Gouvernement.
Nous n’avons pas été assez nombreux pour que le Sénat adopte une véritable taxe sur les superprofits de toutes les grandes entreprises ou sur la distribution des superdividendes.
La gauche – je tiens à le saluer – n’a pourtant pas été seule à défendre un peu plus de justice et de redistribution.
Si le Sénat n’a pas rétabli un peu de justice dans ce budget, nos travaux n’ont pas été inutiles pour autant. Nous avons en effet obtenu des avancées pour les collectivités territoriales.
Alors que les finances des collectivités sont mises à mal par l’inflation et menacées par l’explosion des coûts de l’énergie, nous avons obtenu que l’indexation pour 2023 de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l’inflation et l’élargissement du filet de sécurité soient votés par le Sénat.
Nous avons également adopté la baisse du taux de TVA à 5,5 % sur les transports publics. Voilà une baisse de taux de TVA indispensable en cette période !
Nous avons, en outre, annulé la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la fameuse CVAE. À la suite du président de la commission des finances Claude Raynal, je rappelle au Gouvernement qu’il revient au Parlement de voter l’impôt. Or – il faut le noter – ni l’Assemblée nationale ni le Sénat ne se seront prononcés pour la suppression de la CVAE.
Enfin, malgré le rejet de ce dispositif par l’Assemblée nationale puis par le Sénat lors de la discussion du projet de loi de programmation des finances publiques, le Gouvernement avait réintroduit dans ce projet de loi de finances l’encadrement des dépenses de fonctionnement des collectivités par de bien mal nommés « pactes de confiance » assortis de sanctions. Hier soir, à une large majorité, notre assemblée a de nouveau supprimé ce mécanisme coercitif.
La question est aujourd’hui posée au Gouvernement, monsieur le ministre : que restera-t-il de nos votes en faveur des collectivités dans le budget final ? Avec ou sans le rouleau compresseur du 49.3, êtes-vous prêt à écouter le Sénat lorsqu’il porte la voix des territoires au-delà des clivages partisans ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Si le volet « recettes » n’est pas satisfaisant, le volet « dépenses » ne l’est pas davantage.
Des efforts sont certes engagés dans le domaine régalien – nous l’avons d’ailleurs reconnu –, mais serez-vous en mesure de les tenir dans la durée ?
Sinon, nous sommes très loin du compte, compte tenu des besoins du pays en matière sociale, dans le domaine éducatif ou encore pour la transition écologique.
Est-ce que ce budget est à même de relancer la construction de logements ? À l’évidence, non !
Est-ce que ce budget répond aux difficultés immenses de l’éducation nationale ? Si peu !
Est-ce que ce budget est à la hauteur de la crise écologique dont l’été 2022 aura été l’ultime révélateur ? Quels que soient les discours, nous en sommes loin !
Est-ce que ce budget permet de faire face à l’explosion des prix de l’énergie ? (Non ! sur les travées du groupe SER.) Rien n’est moins sûr, comme l’ont illustré nos débats dans la nuit de vendredi à samedi.
Est-ce que ce budget permet de résoudre les difficultés du ferroviaire et le risque d’effondrement des transports publics en Île-de-France ? (Mêmes mouvements.) Non, et nos débats auront montré que le Gouvernement et les amis politiques de Mme Pécresse se renvoient la balle sur le dos des usagers.
Je pourrais continuer sur tant de sujets si j’en avais le temps,…
Mme Laurence Rossignol. Oui !
M. Rémi Féraud. … mais je ne veux pas omettre celui de l’aide médicale d’État, à laquelle s’est attaquée la majorité sénatoriale, y voyant un outil de lutte contre l’immigration, quand elle ne devrait être considérée que pour ce qu’elle est : un outil de santé publique indispensable, qui protège toute notre société.
M. Bernard Jomier. Très bien !
M. Rémi Féraud. Par notre vote, nous refuserons donc le dogme du « moins d’impôts » qui bénéficie presque toujours aux mêmes, c’est-à-dire aux entreprises et aux plus riches. Ce dogme contraint le Gouvernement à reporter la charge sur l’ensemble des Français et à renoncer à des politiques essentielles.
C’est ainsi, monsieur le ministre, que par la réforme de l’assurance chômage, vous préférez taxer les chômeurs plutôt que les superprofits, avant d’engager une réforme des retraites dont le but avoué est purement comptable.
C’est ainsi que nos grands services publics continuent à se dégrader – tous nos débats l’attestent : l’hôpital, l’école, les transports publics, et de manière générale le maillage territorial de l’État.
Le vote du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sera bien sûr négatif, mais nous gardons espoir que sur certains points précis, en particulier pour les collectivités locales, nos travaux, nos débats et nos votes aient été utiles. C’est désormais la responsabilité du Gouvernement et de sa majorité relative. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes GEST et CRCE.)
M. David Assouline. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne doute pas que la citation qui suit vous fera plaisir : « Je ferai en sorte qu’à l’avenir, il soit interdit de financer les dépenses de tous les jours par de la dette. » Ces mots, de Nicolas Sarkozy, figuraient dans son projet présidentiel de 2007.
Comment ne pas regarder avec ironie ce budget qui emporte un déficit public de 4,9 %, soit près de 160 milliards d’euros – excusez du peu –, à la suite du vote de la première partie ? En 2023, le besoin d’endettement s’élèvera en conséquence à 270 milliards d’euros.
À l’heure du retour du principe de souveraineté dans le cadre idéologique de l’exécutif, la dépendance aux marchés financiers demeure, plus que jamais.
La révision constitutionnelle a tendu à sacraliser les lois de programmation des finances publiques, ce qui, sans aller jusqu’à une règle d’or intangible, a contribué à réduire le champ d’expression du Parlement.
Les règles de recevabilité financière, qui corsètent le droit d’initiative des parlementaires, ont une nouvelle fois miné l’examen de ce texte.
Lors de l’examen des dépenses, la responsabilité des parlementaires est à chaque moment engagée. Notre irresponsabilité se manifeste par l’impossibilité de proposer une dépense sans piller les crédits d’une autre politique publique. Il ne fait décidément pas bon être progressiste sous la Ve République…
Le calendrier contraint a emporté des situations qui pourraient être qualifiées d’ubuesques si elles n’étaient pas si graves, conduisant par exemple, lors de l’examen de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » les sénateurs de toutes les travées à retirer l’intégralité de leurs amendements. Pressez-vous mes chers collègues, le huitième 49.3 doit d’intervenir au plus vite !
La démocratie parlementaire est abîmée, meurtrie par le peu d’égard manifesté pour nos débats.
En matière de taxation du capital, le projet de budget sort du Sénat comme il est arrivé. Le Gouvernement et la majorité sénatoriale se sont rejoints pour refuser ensemble une nouvelle modalité d’imposition des multinationales fondée sur le chiffre d’affaires afin de lutter contre l’évasion fiscale, mais aussi le rétablissement d’une véritable exit tax pour lutter contre l’évasion fiscale, la taxation des superprofits, indispensable mesure de justice fiscale, la hausse de la taxe sur les transactions financières, ainsi que l’accroissement des taxations des dividendes versés et reçus.
Il s’agit non pas seulement d’un refus d’impôts supplémentaires, mais d’une union sacrée contre l’imposition du capital, d’un front commun contre la justice fiscale la plus élémentaire.
La France est une anomalie européenne dans un contexte d’augmentation des prix de l’énergie et de l’alimentation qui affecte nos concitoyens et concitoyennes, nos entreprises et nos collectivités.
Pourtant, le 28 juillet 2022, lorsque la présidente de notre groupe Éliane Assassi interrogeait la Première ministre sur le double langage du Gouvernement en matière de taxation des superprofits, à Matignon on soufflait de l’air chaud, tandis qu’à Bercy on expirait de l’air glacial, dans un « en même temps » dont le Gouvernement a le secret. Et Mme Borne de conclure : « Madame la présidente, nous serons attentifs à ce que chacun prenne ses responsabilités, et nous serons prêts à agir, s’il le faut, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. »
Apparemment, il ne l’a pas fallu… Après une soixantaine d’heures de débats sur la première partie du projet de loi de finances, nous avons compris que le Gouvernement refusait d’envisager toute taxation supplémentaire sur le capital.
Il n’y a pas de versements indus de dividendes : 44,3 milliards d’euros pour le seul deuxième trimestre, ce n’est pas un record !
Il n’y a pas d’inflation différenciée selon que l’on est aisé ou pas, il faut donc rehausser toutes les tranches du barème de l’impôt sur le revenu.
Pour le Gouvernement, il n’y a pas eu de superprofits indus – il est même allé jusqu’à laisser entendre que l’armateur CMA CGM connaissait une période de difficultés après des profits records.
Il n’y a pas de superprofits, à part pour quelques producteurs d’énergie, et les profits réalisés par Total sur son activité pétrolière ne concernent que ses raffineries.
Il ne faudrait pas croire, comme on l’entend, que les versements de dividendes sont la conséquence d’une reprise de l’activité économique. Pas du tout ! Ils découlent de politiques fiscales accommodantes, favorables et incitatives, décidées lors du précédent quinquennat.
À titre d’exemple, en 2018, l’année suivant la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, la fameuse flat tax, les dividendes éligibles ont augmenté de 61 %, pour atteindre un montant de 23,2 milliards d’euros. Jusqu’en 2020, leur niveau avait toujours été stable, signe que la crise sanitaire n’a pas enrayé la distribution de dividendes.
Sans surprise – en tout cas pour nous –, la part des superdividendes supérieurs à 1 million d’euros a elle aussi explosé pour s’établir à 24 % des dividendes versés, contre seulement 10 % en 2017.
Pour rappel, 1 million d’euros, c’est 90 334 heures de travail au Smic horaire brut, soit 2 580 semaines ou encore cinquante ans de labeur.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce budget pour 2023 est un budget pour rien : si peu pour nos compatriotes, rien pour l’avenir…
Après avoir refusé les propositions de recettes, il a fallu toute l’inventivité de la majorité sénatoriale et du Gouvernement pour expliquer que nos concitoyennes et nos concitoyens allaient voir leur facture d’électricité exploser cette année de 15 %, après une augmentation de 4 % l’année dernière et une envolée de 50 % sur les dix dernières années.
Les Français payaient, avant la guerre en Ukraine, les décisions coupables d’ouverture au marché de l’énergie et les sous-investissements chroniques dans l’énergie nucléaire. Le bouclier énergie n’y peut rien, même à 45 milliards d’euros ! Avec des recettes supplémentaires, nous aurions pourtant pu faire autrement, mes chers collègues.
Je dirai un mot, enfin, sur les collectivités territoriales. Le contexte est tel que les élus ne se mettent même plus en colère : ils se sentent condamnés à subir. Ils bataillent dans leur coin, ne se révoltent pas, mais font beaucoup, discrètement, au quotidien.
Ils attendaient une rallonge du petit filet de sécurité, indiscutablement imparfait, pour 2022. Même amélioré par le Sénat, ce dispositif reste insuffisant.
La seule proposition qui vaille pour répondre à la préoccupation des élus locaux partout dans tous les territoires est le retour aux tarifs réglementés de l’électricité et du gaz pour toutes les collectivités. Cette proposition de notre groupe sera débattue ici même, au Sénat, dès demain.
Qu’adviendra-t-il du texte issu de nos travaux ?
Le Sénat s’est déjà dédit en faisant voter la suppression d’amendements adoptés, s’appliquant à lui-même une forme de 49.3 interne.
Sans grande illusion – nous l’avions indiqué dès le début de l’examen de ce budget –, un huitième 49.3 s’abattra sur l’Assemblée nationale.
Tout en feignant le dialogue, le Gouvernement aura les coudées franches pour retenir les seuls amendements auxquels il accorde ses préférences.
Je tiens toutefois à indiquer que s’il revenait sur le maintien de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, cela constituerait à nos yeux un casus belli.
Le Gouvernement s’adonne à un jeu de dupes auquel le Sénat a malheureusement accepté de jouer. Nous le regrettons, et nous voterons contre ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout au long de l’examen de ce projet de loi de finances pour 2023, le groupe Union Centriste a eu à cœur de suivre une ligne qui nous semble claire et cohérente, guidée par deux constantes.
La première de ces constantes est le souci de contenir notre déficit et notre endettement, non seulement en limitant autant que possible les dépenses de l’État, mais aussi en agissant sur le levier des recettes. Nous sommes en effet convaincus que nous ne réussirons pas à redresser nos comptes publics sans accroître nos recettes. (Mme Françoise Gatel applaudit.)
La seconde constante est la recherche, non pas de l’égalité de traitement, mais de l’équité fiscale, sociale et territoriale.
C’est au regard de cette ligne que nous avons défendu, au travers d’un amendement soutenu par notre collègue Sylvie Vermeillet, l’instauration d’une contribution exceptionnelle de solidarité sur les superprofits pour toutes les entreprises, c’est-à-dire au-delà du seul secteur de l’énergie.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Bernard Delcros. Cette mesure aurait permis de compenser pour partie les dépenses exceptionnelles prévues dans ce budget – que nous soutenons par ailleurs – afin de protéger les Français, les entreprises et les collectivités face à la hausse des prix, notamment de l’énergie.
À un moment où l’on demande beaucoup aux Français, comment leur expliquer que les plus grandes entreprises qui enregistrent des profits records, parfois en raison de la crise actuelle, ne contribuent pas davantage à la solidarité nationale ? À dépenses exceptionnelles, mesures exceptionnelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
C’est aussi pour ne pas priver l’État de 4 milliards d’euros de recettes cette année et de 8 milliards d’euros l’année prochaine que nous avons défendu le report de la suppression de la CVAE. (Mêmes mouvements.) Cette suppression ne nous paraît pas opportune au moment où tant de dépenses sont nécessaires pour faire face à la crise, et alors que les données macroéconomiques qui sous-tendent ce budget paraissent fragiles au regard des incertitudes qui pèsent sur le contexte européen et mondial.
En ce qui concerne par ailleurs la suppression de plusieurs niches fiscales – un sujet cher à notre collègue Michel Canévet –,…
Mme Nathalie Goulet. À moi aussi !
M. Bernard Delcros. … nous nous réjouissons que le Sénat nous ait suivis, car ces suppressions répondent à un double objectif d’efficacité budgétaire et de justice fiscale.
Parmi celles-ci, je citerai la suppression d’une niche implicite sur la transmission du patrimoine des plus fortunés qui contournent l’impôt sur le revenu en exploitant une faille du dispositif nouveau des plans d’épargne retraite (PER), une anomalie qui coûterait plusieurs milliards d’euros à l’État, selon certaines estimations.
Plusieurs mesures, souvent de justice fiscale, adoptées par le Sénat en première partie de ce projet de loi de finances, ont ainsi permis de réduire notre déficit de 6,9 milliards d’euros, et sans doute au-delà, car un certain nombre de mesures n’ont pu être chiffrées par vos services, monsieur le ministre.
Sur le volet budgétaire, le projet de loi de finances pour 2023 reconduit la stratégie de hausse des budgets de plusieurs ministères régaliens : la justice, la santé, l’enseignement, la sécurité, la défense. Nous considérons que ces hausses sont nécessaires pour permettre à ces ministères de mener à bien leurs missions essentielles pour le pays.
J’en viens aux collectivités locales.
En ce qui concerne la DGF, notre groupe n’était pas favorable à une réponse uniforme pour toutes les collectivités. Nous savons bien, en effet, que des moyennes parfois flatteuses cachent de fortes disparités. Aussi, pour tenir compte de cette réalité et par souci d’équité, nous avons soutenu une augmentation de la DGF ciblant les collectivités les plus fragiles.
Nous avons eu un long débat sur la réforme des critères de répartition de la dotation de solidarité rurale (DSR), lors duquel des voix se sont élevées sur toutes les travées, demandant que le critère de la longueur de voirie communale soit maintenu, car sa suppression pénaliserait les plus petites communes. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour entendre cet appel unanime du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Le Sénat a par ailleurs renforcé les moyens consacrés à la dotation aux communes pour la protection de la biodiversité et pour la valorisation des aménités rurales afin d’assurer une meilleure reconnaissance de l’apport de la ruralité à la préservation de notre environnement. C’est un message positif adressé aux maires des campagnes de France. Nous souhaitons vivement que le Gouvernement conserve cette belle avancée dans le texte final.
En matière d’investissements, le nouveau fonds vert, dont la gestion sera confiée au préfet de département – ce que nous soutenons –, sera doté de 2 milliards d’euros. Il complétera utilement la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) pour soutenir les investissements des collectivités locales.
Enfin, le Sénat a adopté la réintégration des dépenses d’aménagement de terrains dans l’éligibilité au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), mesure – vous le savez, monsieur le ministre – très attendue par les élus locaux.
Je souhaite pour terminer évoquer les mesures visant à protéger les collectivités, les ménages et les entreprises face à l’explosion des coûts de l’énergie.
Nous soutenons le plafonnement de la hausse des tarifs réglementés en faveur des ménages et des petites collectivités, ainsi que l’amortisseur électricité en faveur des collectivités et des entreprises. Ce dernier dispositif nous semble bien ciblé et mieux calibré à 180 euros plutôt qu’à 325 euros le mégawattheure comme cela était prévu initialement. Je salue cette avancée.
Mon groupe a également soutenu l’amendement du Gouvernement voté par le Sénat vendredi visant à élargir l’éligibilité au bouclier tarifaire gaz et électricité, notamment en faveur des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des résidences autonomie.
Le Sénat a enfin revu les critères d’éligibilité au filet de sécurité visant à compenser la hausse des dépenses d’énergie pour les collectivités, afin de le rendre plus simple et plus efficace. Il nous semble important que le Gouvernement conserve un dispositif simplifié et suffisamment ouvert.
Monsieur le ministre, au terme de ces semaines de débats, notre groupe tient à vous remercier de votre présence continue, de votre écoute et de la facilité de nos échanges, même si nous aurions parfois souhaité que vous fassiez preuve de plus d’ouverture concernant les propositions du Sénat.
Le groupe Union Centriste votera à la quasi-unanimité le projet de budget issu des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le rapporteur général applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances est très inquiétant pour l’avenir, car la politique suivie actuellement est une fuite en avant.
En matière budgétaire, elle nous conduit dans le mur, si bien que nous risquons de nous retrouver dans la situation de la Grèce.
Une réflexion d’ensemble est nécessaire, en particulier au regard des conséquences de la politique du « quoi qu’il en coûte » et des séquelles qu’emporte pour la France le blocus économique imposé contre la Russie.
La politique du « quoi qu’il en coûte », tout d’abord, conduit à un endettement massif en faisant croire qu’on peut toujours continuer à dépenser sans se soucier des conséquences pour l’avenir. Cependant, il n’y a pas d’argent magique.
Or, depuis le président Sarkozy inclus, tous nos dirigeants se comportent comme la cigale de la fable de La Fontaine. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que notre situation financière soit beaucoup plus dégradée que celle de l’Allemagne. Il est temps de dire à nos concitoyens la vérité à ce sujet.
La guerre en Ukraine ensuite, ou plutôt la décision cautionnée par la France d’organiser un blocus économique contre la Russie, est une autre source de difficultés.
Ce blocus économique a en effet des conséquences très graves pour notre économie, probablement plus graves pour nous que pour la Russie. C’est un comble !
Ce matin, sur une grande radio nationale, deux économistes ont ainsi confirmé que le seul boycott du gaz et du pétrole russes – sans compter les autres sanctions – est à l’origine de plus de 50 % de l’inflation.
Nos concitoyens, qui sont victimes d’une hausse galopante des prix, doivent être informés et conscients de cette réalité.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, telles sont les raisons pour lesquelles je voterai contre ce projet de budget pour 2023.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2023, sensiblement allongé par la réforme de la loi organique relative aux lois de finances, mais aussi par la croissance continue, d’année en année, du nombre d’amendements, nous avons achevé hier soir, ou plutôt ce matin, puisqu’il était une heure trente, la discussion de la seconde partie.
Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, le 17 novembre dernier, le Sénat a délibéré.
Si cette délibération a parfois été contrainte par les nouvelles règles d’examen des missions selon un temps programmé, ces règles, sur l’invitation du président de la commission des finances, ont dans l’ensemble été bien respectées par notre assemblée.
Que subsistera-t-il des nombreuses modifications adoptées lors de cette première lecture, alors que la réunion de la commission mixte paritaire a été avancée à ce soir et que selon toute probabilité, le 49.3 sera de nouveau utilisé à l’Assemblée nationale ?
Nous suivrons cela de près tant la situation actuelle est inédite.
Le Sénat et l’Assemblée nationale ont su trouver un terrain d’entente dans le cadre des deux lois de finances rectificatives adoptées cette année, évitant ainsi de nouvelles lectures. Ne pourrait-il en être ainsi pour le projet de loi de finances pour 2023 ? J’en appelle à la modération de chacun, afin de préserver la crédibilité, à terme, de nos institutions.
Les amendements proposés par le Gouvernement et adoptés par le Sénat ont de fortes chances de perdurer : suppression de la condition d’âge de décès d’un époux ancien combattant pour la demi-part de sa veuve, modalités d’indexation de la déduction pour épargne de précaution, ajustements de la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des énergéticiens, ainsi qu’un certain nombre d’ouvertures de crédits dans les domaines de la sécurité civile – lutte contre les incendies –, de la justice judiciaire, de l’alimentation des étudiants, de l’enseignement agricole – revalorisation des salaires de l’action sanitaire et sociale – et, surtout, abondement des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » à hauteur de 6 milliards d’euros afin d’élargir le bouclier tarifaire à l’habitat collectif et de réévaluer les charges du service public de l’énergie.
Le rejet par la majorité sénatoriale de quatre missions, en particulier les missions « Cohésion des territoires » et « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », n’est pas très surprenant – cela arrive tous les ans –, mais il nous conduit à voter un budget amputé de nombreux crédits, même si la question des missions de l’État dans certains domaines peut légitimement se poser. C’est d’autant plus vrai au vu du déficit massif que nous nous apprêtons encore à valider en 2023.
Ce déficit pourrait en outre être aggravé par des imprévus liés à la situation internationale. Les prévisions de croissance du Gouvernement restent crédibles, bien que, dans ce domaine, celles-ci s’apparentent souvent à des prévisions météorologiques. (Sourires.)
La réforme phare de la première partie du projet de loi de finances était la suppression, en deux ans, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la fameuse CVAE. La majorité sénatoriale a tenté une solution médiane, préservant à la fois la compétitivité des entreprises et les finances des collectivités, avec un coût budgétaire non négligeable pour l’État, mais la CVAE a survécu, du moins au Sénat.
Ces dernières années, les réformes de la fiscalité ont été marquées par un recours de plus en plus fréquent et diversifié aux recettes de TVA : d’abord, pour le financement des régions, bientôt, pour celui des départements, aujourd’hui, de façon massive, en faveur de la sécurité sociale. En période d’inflation des prix à la consommation, cette évolution n’est pas défavorable aux finances publiques, même si le consommateur en paye concrètement la facture.
Le rapport de la Cour des comptes de cet automne sur la situation des finances locales était éclairant au regard des comparaisons internationales. Les finances des collectivités territoriales ne représentent en France qu’environ 20 % de la dépense publique, loin derrière les dépenses de la sécurité sociale et celles de l’État. C’est bien inférieur à la moyenne européenne, où les dépenses des collectivités locales représentent en moyenne 40 % de la dépense publique. Il est vrai que le niveau global de la dépense publique en France reste l’un des plus élevés de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
En 2023, toutes les missions de l’État ou presque verront leur budget augmenter. C’est l’effet, d’une part, de l’inflation, d’autre part, de la volonté du Gouvernement d’assurer un certain nombre de missions essentielles. C’est aussi la conséquence du grand retour du « service » de la dette lié à la remontée des taux d’emprunt, auquel l’on consacrera plus de 50 milliards d’euros l’an prochain…
Mon groupe se félicite de l’adoption de certaines de ses propositions : l’exonération de la taxe malus sur les véhicules pour les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), l’indexation de la DGF sur l’inflation, la suppression du critère de potentiel financier pour la dotation particulière « élu local » (DPEL) et, dans la seconde partie du projet de loi de finances, le financement des charges de débroussaillement pour les communes à fort linéaire, la majoration de la dotation biodiversité à hauteur de 4 millions d’euros, ou encore la réintégration du critère de voirie pour le calcul de la DSR.
Nous regrettons malgré tout que de nombreuses autres propositions n’aient pas rencontré le même succès, en particulier dans les secteurs du développement local et durable, et du médico-social, ou dans le secteur patrimonial et culturel.
Sur la taxe d’aménagement, la suppression de la réforme de la répartition au sein du bloc communal, votée l’an dernier, nous paraît préférable, dans la mesure où la répartition des charges d’aménagement varie beaucoup en fonction de chaque territoire.
La répartition du produit de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, l’Ifer, reste un sujet complexe qui mériterait davantage de débats. Il faut en tout cas veiller à ce que celle-ci reste incitative pour les acteurs locaux afin de favoriser l’acceptation et l’implantation de parcs éoliens ou solaires.
Une nouveauté de ce projet de loi de finances pour 2023 est la possibilité d’amender les indicateurs de performance et plus largement les plafonds d’emplois de l’État et de ses opérateurs. Nous verrons s’il s’agit bien d’un levier d’amélioration de l’action publique ou d’un gadget de plus.
En conclusion, après ces différentes remarques et au vu des nombreux points évoqués, les élus du groupe du RDSE voteront majoritairement pour l’adoption de ce projet de loi de finances pour 2023, à l’exception néanmoins de quelques abstentions, diversité et liberté de vote obligent. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà le premier projet de loi de finances que nous examinons dans le cadre de la nouvelle loi organique sur les lois de finances (Lolf), dont le président de la commission des finances, Claude Raynal, s’est attaché à bien faire respecter les modalités. Rien que pour cela et parce qu’il nous a permis de tenir les délais dans ce nouveau temps contraint, il faut le remercier.
Je remercie aussi M. le rapporteur général, ainsi que vous, monsieur le ministre, car vous nous avez offert, par votre présence, la possibilité d’un dialogue et d’une contribution. Vous aurez compris en creux de qui nous notons l’absence ! (Sourires.)
Ce budget, c’est celui de la volatilité, de la variabilité, de l’instabilité et de l’inflation.
D’ailleurs, la variabilité vaut y compris pour les avis du Gouvernement ! Prenons l’article 40 quater, que nous examinions hier encore : monsieur le ministre, vous avez maintenu la disposition concernant les nouveaux contrats de Cahors – à moins que ce ne soit les anciens ou bien ceux de Lourdes, car tous les termes sont apparus. Ce qui est certain, pourtant, c’est que Mme la Première ministre avait soutenu le contraire devant l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et nous étions nombreux aux côtés de nos élus locaux.
Ces avis fluctuants ne facilitent pas le débat, à un moment où nous aurions besoin d’un cap de politique économique, voire d’un cap politique tout court.
Monsieur le ministre, il y a eu aussi de l’inflation, notamment dans les amendements : mes chers collègues, nous sommes passés en dix ans de 500 à 3 000 amendements sur ce dernier projet de loi de finances. Pourquoi pas ? C’est le droit du Parlement et nous l’avons utilisé à plein après que l’Assemblée nationale en a été largement privée.
L’inflation se constate aussi dans le nombre de milliards d’euros en jeu dans les amendements : le Gouvernement a ainsi présenté un amendement à plus de 25 milliards d’euros, qui a fait l’objet d’un sous-amendement à près de 6 milliards d’euros. Nous n’avons jamais vu des mouvements à une telle hauteur dans des amendements. Peut-être faudrait-il retrouver de la mesure en la matière pour bien légiférer sans trop d’instabilité ?
À ce propos, une certaine instabilité s’est manifestée au sujet de l’article d’équilibre, car l’on s’est trompé d’un moins ou d’un plus – il est vrai, là encore, que ce ne sont que des milliards d’euros. (Sourires.) Finalement, sur l’article d’équilibre, nous obtenons un déséquilibre.
En effet, le budget que le groupe Les Républicains votera très largement n’est pas complet, nous en avons bien conscience. Monsieur le ministre, c’est aussi la limite de l’article 40 de la Constitution qui ne nous permet pas de reconstruire totalement un budget. Nous le savons, mais nous avons fait des propositions, car on ne peut pas continuer d’avoir un budget en déséquilibre. Sur les 500 milliards d’euros de budget, 156 milliards d’euros concernent le déficit et 270 milliards d’euros sont relatifs aux emprunts de long terme. L’année dernière, la moitié du budget était financée par la dette ; nous sommes dorénavant au-delà de la moitié.
Bien évidemment, on ne peut pas continuer ainsi : vous nous proposez la baisse d’impôt et nous pouvons y adhérer, notamment sur la CVAE, car les élus du groupe Les Républicains sont pour sa suppression, mais pas comme cela ! (M. le ministre délégué sourit.) Ce n’est ni fait ni à faire.
C’est de l’improvisation, tout comme vous avez improvisé sur la suppression de la redevance audiovisuelle : à ce sujet, vous ne nous avez toujours rien proposé pour remplacer cette ressource en 2024. Il en va de même pour la suppression de la CVAE. Votre mécanisme de compensation aux collectivités locales ne convient pas.
Alors, c’est au travail que nous vous appelons et nous vous invitons à privilégier la concertation avant de prendre des mesures à l’emporte-pièce, quand l’enjeu représente des milliards d’euros pour les collectivités territoriales et qu’il y va de la compétitivité de la France.
Monsieur le ministre, nous vous avons fait des propositions, dans la lignée des recommandations du Fonds monétaire international (FMI) et de ce que le Sénat a voté lors de la discussion du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Nous avons réorienté le budget en diminuant les dépenses. Nous nous y étions engagés lors de l’examen de ce texte et nous avons donc agi en cohérence. Nous parvenons ainsi à réduire le déficit public – je ne parle pas là des missions que nous avons refusées.
Pourquoi avons-nous refusé certaines missions, mes chers collègues ? Il ne s’agit pas d’une toquade ; ces missions concernent des secteurs où ce qui manque, ce sont non pas les crédits, mais la réforme et le courage de la mettre en œuvre.
Absence de réforme sur l’immigration : c’est pour cela que nous avons rejeté les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Notre agriculture est dans une très mauvaise passe, comme de nombreux rapports sénatoriaux d’information l’ont souligné. Nos alertes sont récurrentes et c’est pourquoi, là encore, nous avons refusé les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » : ce n’est pas que nous n’avons pas besoin d’argent pour notre agriculture, pour la moderniser et pour la rendre plus bio et plus écologique, la raison, c’est que vous ne travaillez pas à la moindre réforme, monsieur le ministre.
Pourtant, nous vous avons fait des propositions, dont certaines étaient bienvenues. Je pense à la suggestion de Christine Lavarde, qui visait à éviter 500 millions d’euros de dépenses pour acheter des voitures chinoises et permettait d’améliorer à la fois le déficit public et le déficit commercial, pour un double bénéfice. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. Jérôme Bascher. Monsieur le ministre, nul n’ignore sur ces travées que vous recourrez au 49.3 : nous ne sommes pas des garennes de six semaines. (Sourires.) Avant de terminer, je souhaite donc appeler votre attention sur quelques points qu’il nous faut retenir.
Bien évidemment, il y a l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement et le filet de sécurité tel que le Sénat l’a proposé et qui a reçu l’aval de tous les territoires : l’AMF, l’Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France.
Il y a aussi le mécanisme de contribution de la rente inframarginale des installations électriques, notamment avec des tarifs revalorisés à 145 euros le mégawattheure pour le biogaz. Nous vous avions vivement alerté sur le sujet et les entreprises continuent d’y travailler avec vous, je le sais, et je vous sais attentif sur ce point, monsieur le ministre.
Nous vous avons aussi alerté au sujet de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). Si nous avons gelé cette taxe, c’est que l’augmenter en période d’inflation risquerait de créer un effet « gilets jaunes » : la crise avait éclaté à la suite de l’augmentation de la taxe carbone et de la hausse des prix du carburant. La logique sera la même pour l’électricité.
Enfin, nous restons très attachés au FCTVA.
Dans les quelques secondes qui me restent, je tiens à mentionner le taux réduit de TVA pour les chevaux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après trois semaines de discussion, de jour comme de nuit, vingt-six débats sur les missions et les comptes spéciaux et plus de 2 500 amendements examinés, nous achevons l’examen du premier budget de ce nouveau quinquennat.
Puisque ces moments sont partagés, je tiens à remercier, au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires, la commission des finances et le Gouvernement de leur engagement. Celui-ci a permis la bonne tenue des débats et a contribué à la qualité de notre travail.
Cela vaut particulièrement pour vous, monsieur le ministre chargé des comptes publics, et pour vous aussi, monsieur le rapporteur général. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous avez passé ici de longues heures et vous avez toujours pris le plus grand soin pour répondre à nos questions et à nos interpellations. Cela améliore grandement la qualité de nos débats.
Je tiens également à remercier le président de la commission des finances (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.), qui n’a pas ménagé son temps, mais qui a su ménager le nôtre, en invitant régulièrement nos collègues les plus prolixes à davantage de concision.
Nos débats ont été riches lors de l’examen de la seconde partie, comme ils l’avaient été lors de la discussion de la première partie. Nous avons pu débattre sur des sujets importants pour les collectivités territoriales et pour les élus locaux.
Je pense notamment à la mise en place du fonds vert. Cet outil sera à la disposition des acteurs de terrain. Il permettra de faire avancer la transition écologique par des actes plutôt que par des polémiques. C’est cela, l’écologie du réel ; c’est cela, l’écologie de l’action.
Nous avons également renforcé les dispositifs pour aider les collectivités à faire face à l’inflation. Aujourd’hui, le coût de l’énergie est l’angoisse majeure des élus locaux. S’ils savent pouvoir compter sur l’État, ils attendent désormais des actes.
Je ne reviens pas sur les dispositifs votés en première partie, notamment le filet de sécurité, dont les conditions d’éligibilité ont été supprimées, et l’indexation de la DGF sur l’inflation. Ces mesures répondaient aux inquiétudes des collectivités.
Toutefois, comme je l’ai déjà dit à la fin de la première partie, ces mesures ne sont pas ciblées sur les collectivités qui en ont le plus besoin. C’est pourquoi notre groupe a déposé plusieurs amendements visant à encadrer ces dispositifs, non pas pour pénaliser certaines collectivités, mais bien pour soulager les finances publiques dans leur ensemble.
C’est dans ce même esprit que nous avons abordé l’article 40 quater. Il réintroduisait dans le projet de loi de finances, l’article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, en y instaurant des contrats de confiance, nouvelle version adoucie des contrats de Cahors. (M. Loïc Hervé s’exclame.) Ces accords visent à maîtriser l’évolution des dépenses locales et à renforcer le crédit de la France. Ce n’est pas rien.
Notre groupe a cependant clairement exprimé, au moment de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques, ses réserves vis-à-vis de mécanismes contraignants. Ces réserves persistent, notamment à cause des sanctions, qui sont trop sévères pour les collectivités.
Toutefois, nous pensons plus opportun d’améliorer les solutions proposées par le Gouvernement, plutôt que de les rejeter en bloc. Aussi avons-nous proposé de conserver le mécanisme de suivi des dépenses, tout en supprimant les pénalités associées.
Nous aurions ainsi préféré que le Sénat puisse aboutir à un mécanisme de contrôle des finances locales sans mesures coercitives,…
M. Loïc Hervé. Ce serait mieux !
M. Emmanuel Capus. … car c’est là que le bât blesse.
J’espère que, dans le cadre de la navette parlementaire, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous aboutirons à un accord sur ce sujet, qui concerne à la fois les collectivités et nos finances publiques.
À ce propos, je me réjouis que la Haute Assemblée ait pu réduire le déficit public de 0,2 point de PIB. Certes, c’est moins que l’objectif que le Sénat s’était fixé lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques, mais c’est une avancée probante que notre groupe salue.
Mme Frédérique Puissat. C’est grâce à la mission « Travail et emploi » !
M. Emmanuel Capus. D’ailleurs, la réduction du déficit est, formellement, bien supérieure à 0,2 point de PIB, mais cette hausse est en trompe-l’œil. En effet, le budget sur lequel nous devons nous prononcer est amputé de certaines missions, et non des moindres. Or cette carence brouille le message politique que nous envoyons.
Quel est le message envoyé à nos agriculteurs, qui comptent sur notre soutien, lorsque le Sénat ne vote pas les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ?
Mme Sophie Primas. Que nous ne sommes pas contents !
M. Emmanuel Capus. Quel est le message envoyé à nos élus locaux, qui comptent aussi sur notre soutien, lorsque le Sénat ne vote pas les crédits de la mission « Cohésion des territoires » ?
M. Loïc Hervé. Nous avons voté la mission « Relations avec les collectivités territoriales » !
M. Emmanuel Capus. Quel est le message envoyé à tous nos compatriotes, qui souhaitent que notre politique migratoire soit à la fois plus juste et plus ferme, lorsque le Sénat ne vote pas les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » ? (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Rejeter ces missions, c’est convenir qu’il y a un problème. Certes, je l’entends bien, mais cela ne dit rien de la solution souhaitée. Cela dit juste ce que nous ne voulons, pas ce que nous voulons. (Mêmes mouvements.)
En conséquence, le texte ne nous paraît pas parfaitement équilibré à ce stade. C’est pourquoi…
M. Loïc Hervé. Vous allez le voter !
M. Emmanuel Capus. … les élus du groupe INDEP s’abstiendront majoritairement, certains votant néanmoins en faveur du texte.
Pour conclure, je dirai un mot sur les communes nouvelles.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Emmanuel Capus. Sur l’initiative de notre collègue Françoise Gatel, le Sénat a envoyé un message clair : il faut de toute urgence pallier la baisse de dotations qui menace certaines communes nouvelles. Le dispositif retenu par le Sénat est peut-être à améliorer techniquement, mais j’espère que nous parviendrons à une solution de compromis qui répondra aux attentes des élus locaux. Je pense notamment aux communes de Doué-en-Anjou et de Segré-en-Anjou, dont la situation n’est tout simplement pas tenable.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Charité bien ordonnée commence par soi-même !
M. Emmanuel Capus. Il y a urgence pour elles, mais cela vaut aussi pour les autres communes concernées. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Breuiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après 2 600 amendements et des dizaines d’heures de débat, je voudrais dire, en particulier à M. le ministre et à M. le rapporteur général : « Merci pour ce moment ! » (Sourires.)
Ce projet de loi de finances procède de choix qui ne nous conviennent pas. D’inspiration libérale, baissant l’impôt des entreprises, refusant toute nouvelle contribution de la part de ceux qui accumulent richesses et dividendes et donnant moins à ceux qui ont peu, il accentuera un peu plus les inégalités et les écarts de revenu sans cesse plus grands dans notre pays.
Selon l’Insee, les mesures sociales et fiscales intervenues en 2020 et 2021 profitent surtout à la moitié la plus aisée de la population : « Elles induisent une augmentation du niveau de vie allant jusqu’à 470 euros annuels en moyenne pour les personnes entre les 7e et 8e déciles, contre 90 euros pour les 50 % les plus modestes. »
L’inflation actuelle accentuera encore cette réalité brutale, car elle pénalise bien plus les catégories modestes et moyennes.
La suppression de la CVAE, privant l’État de 8 milliards d’euros de recettes, en pleine période de crise, serait immanquablement répercutée sur les ménages, via la TVA et l’endettement, et contribuerait ainsi à l’affaiblissement du service public, le bien commun de ceux qui n’ont pas de patrimoine. C’est pourquoi nous nous y sommes opposés.
Dans sa philosophie, notre projet politique, celui de la sobriété, est structuré par la volonté de garantir à tous une qualité de vie et par le fait de demander plus d’efforts à ceux qui accumulent toujours plus – plus de richesse, plus de biens, plus de dividendes –, et, bien sûr, qui polluent également plus.
Si l’immense majorité de nos amendements a été rejetée par la majorité sénatoriale, notre groupe a tout de même tenté d’exposer les termes possibles d’un avenir socialement plus juste, désirable et durable.
Sur la mission « Enseignement scolaire », qui concerne 12 millions d’élèves, nous avons voté la hausse indispensable de 3,7 milliards d’euros de crédits. Toutefois, la crise est d’une profondeur qui va bien au-delà du simple sujet budgétaire.
Le budget de la mission « Économie » traduit une politique très généreuse d’aides non conditionnées, trop fortement, voire essentiellement, destinées aux grands groupes, et dont l’on ne se sert pas comme d’un outil efficace de la bifurcation écologique, ce à quoi s’essayent les États-Unis.
La hausse des crédits de la mission « Justice », que nous avons approuvée pour indispensable qu’elle est, ne suffira pas à remettre à flot un système à bout de souffle.
Sur le volet de la sécurité civile, notre déception est grande : les moyens ne sont pas à la hauteur, car les conséquences du dérèglement climatique sont et seront chaque année plus graves.
Les crédits de la mission « Santé » ne suffiront pas. L’hôpital public s’effondre, les déserts médicaux s’étendent, nombre de Français renoncent aux soins. La santé mentale est au projet de loi de finances ce que la psychiatrie est à la médecine : un parent pauvre et délaissé. Il faudrait pourtant aider les adolescents, qui sont nombreux à être en souffrance psychique. Leurs souffrances et celles de leurs familles sont si grandes !
Ce projet de loi de finances n’a pas non plus pris suffisamment la mesure de la détresse de nombreux étudiants. Nous avons proposé plus de justice fiscale pour les bourses insuffisantes : cela a été rejeté.
Rejetées aussi toutes les mesures visant à permettre aux jeunes de se loger et de vivre au pays, malgré la démultiplication des Airbnb et des résidences secondaires, et l’envolée de la spéculation immobilière.
Rejetées encore les aides aux autorités organisatrices de mobilité, partout en France, alors que d’autres pays européens s’y engouffrent. Comment peut-on consacrer des milliards d’euros pour faciliter les déplacements automobiles et, simultanément, refuser des aides pour améliorer les transports en commun ? Monsieur le ministre, la TVA à 5,5 % sera-t-elle maintenue ?
Nous avons défendu l’augmentation du versement mobilité, demandée par Valérie Pécresse, mais refusée par la majorité sénatoriale. La désorganisation des transports va coûter cher. Elle coûtera cher à la planète, cher aux usagers, mais aussi aux entreprises, car les salariés ne pourront pas assurer leurs horaires de travail avec un système désorganisé.
Le Gouvernement a fait la sourde oreille durant tous nos débats. Faire payer 90 euros aux usagers d’Île-de-France, alors que les conditions de transport sont épouvantables et se dégradent, c’est inacceptable.
Dans le champ culturel, l’avenir de l’audiovisuel public reste incertain et les menaces que, au nom de la sécurité des jeux Olympiques, vous faites peser sur la saison 2024 inquiètent un secteur culturel déjà fortement fragilisé malgré un effort budgétaire réel.
Nous craignons la baisse des budgets locaux pour la culture, alors qu’ils réalisent 9,8 milliards d’euros d’investissement, soit les trois quarts de l’investissement public.
Si les collectivités territoriales se retrouvent face à ce choix, ce n’est pas de gaieté de cœur. Ce projet de loi de finances pourrait, grâce à des amendements sénatoriaux, préserver leur capacité d’action, avec l’indexation de la DGF sur l’inflation et un bouclier énergie simplifié et étendu. Monsieur le ministre, respecterez-vous cela ?
Avec l’article 40 quater, vous avez décidé de passer au-dessus de tous les votes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Cela témoigne d’une défiance à l’encontre des collectivités et du Parlement. Les collectivités ont besoin de confiance, pas de contrats.
Enfin, en matière environnementale, nous sommes loin du compte. Il aurait été possible de faire, au fond, le même effort que celui que vous fîtes pour le bouclier carburant, ou mieux encore, celui que vous avez fourni face au covid-19, car la crise est d’une ampleur similaire.
Au lendemain de la COP27 et à la veille de la COP15 sur la biodiversité, la continuité budgétaire à peine améliorée est un contresens historique. Le report d’une véritable rénovation thermique pénalisera de nombreux foyers, portera atteinte à nos objectifs en matière d’émissions de CO2 et fragilisera notre balance commerciale par la dépendance aux fossiles.
La défense des écosystèmes, de la biodiversité et de la forêt, la préservation de la ressource en eau, l’adaptation de notre agriculture vers l’agroécologie doivent être érigées en grandes causes nationales. C’est une nécessité pour nous, pour nos enfants et pour nos petits-enfants.
Enfin, ce budget est rendu insincère par le choix de la majorité sénatoriale de supprimer des missions entières : plus d’aides personnelles au logement (APL), plus de passeports et de cartes d’identité, plus d’aides aux agriculteurs, plus d’hébergements d’urgence, plus de politique migratoire… Pour afficher une baisse de la dépense publique, vous laisserez donc le Gouvernement décider seul.
Pour notre part, nous ne voterons pas ce budget, qui privilégie les baisses d’impôt aux urgences sociales et écologiques. En outre, monsieur le ministre, toutes vos interventions n’ont fait qu’annoncer votre décision de le « 49.3iser » dès la semaine prochaine. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées des groupes SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un an, une motion tendant à opposer la question préalable a été adoptée, excluant ainsi tout débat sur les différentes missions budgétaires du projet de loi de finances pour 2022. Notre assemblée a alors été privée des nocturnes budgétaires hivernales. Certains en sont peut-être nostalgiques vu le nouveau record du nombre d’amendements discutés cette année, que ce soit en première partie avec 1 741 amendements discutés ou en seconde partie.
Mes chers collègues, ce projet de loi de finances pour 2023 a été l’occasion d’adopter des mesures positives pour notre pays, pour les ménages, les services publics et les collectivités territoriales.
Pour commencer, le pouvoir d’achat des ménages a bénéficié de l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu qui représente 6,2 milliards d’euros.
Ce budget est également au service des missions régaliennes, grâce à des efforts considérables en faveur du ministère de la justice, dont le budget est en augmentation de 8 % pour la troisième année consécutive.
Le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse bénéficie quant à lui de la revalorisation des salaires des enseignants, l’objectif étant que le salaire minimum soit de 2 000 euros net par mois en début de carrière.
Enfin, ce budget montre que le Gouvernement est à l’écoute des collectivités, puisqu’il prévoit l’augmentation en 2023 de la dotation globale de fonctionnement de 320 millions d’euros. Après des années de baisse – 14 milliards d’euros au total, ce dont le maire que j’ai été entre 2001 et 2017 se souvient douloureusement –, puis de stabilisation entre 2017 et 2022, la DGF augmente pour la première fois depuis treize ans : je veux une fois encore le rappeler en cette période si délicate pour les collectivités territoriales.
M. Didier Marie. L’inflation est à 7 % !
M. Didier Rambaud. Cependant, force est de constater que, à l’issue de son examen au Sénat, le projet de loi de finances pour 2023 est dénaturé. C’est la raison pour laquelle le groupe RDPI s’abstiendra sur l’ensemble du texte, comme il s’est abstenu sur la première partie.
En réalité, dès l’examen de cette première partie, les fondations de ce budget pour 2023 étaient méconnaissables. Les amendements adoptés sur l’indexation de la DGF et sur le filet de sécurité y sont pour quelque chose. La suppression ubuesque de la réforme de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises enfonce définitivement le clou.
Vous avez rejeté des amendements de suppression de la réforme de la CVAE, puis improvisé un dégrèvement entre les réunions de commission et l’examen du texte en séance pour ensuite rejeter l’article que vous aviez pourtant modifié et justifier ce report de la mesure à après les sénatoriales ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le Gouvernement vous proposait pourtant, en supprimant la CVAE, une mesure qui bénéficierait à 530 000 entreprises et dont 25 % des gains seraient fléchés vers l’industrie.
Chers collègues, je m’interrogeais déjà sur la cohérence de la majorité sénatoriale ; en cette fin de période automnale, tout en saluant la courtoisie et l’écoute du rapporteur général, je constate que mes demandes sont visiblement restées lettre morte.
Dénaturé sur le fond en première partie, le projet de loi de finances l’est tout autant d’un point de vue budgétaire en seconde partie. Arrêtons-nous un instant sur le bilan de l’examen des missions « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », « Cohésion des territoires », « Immigration, asile et intégration » et « Administration générale et territoriale de l’État », confirmé encore hier soir par celui de la mission « Aide publique au développement » et l’adoption d’un amendement de suppression de 200 millions d’euros.
Les crédits de ces missions pourtant primordiales dans l’ossature budgétaire ont été rejetés, avec pour résultat 33,7 milliards d’euros d’économies en trompe-l’œil. Si le projet de loi de finances était adopté tel qu’il est issu du Sénat, il n’y aurait plus de financement pour les aides personnelles au logement (APL), pour les maisons France Services ou pour les aides au logement des personnes en difficulté.
Nous sommes tous ici d’accord pour maîtriser la dépense publique, mais mon groupe n’approuve absolument pas les cibles choisies pour réaliser ces économies.
En votant des économies non structurantes, le déficit s’établirait à 3,7 % du PIB, mais ce chiffre est factice : il reflète tout simplement la suppression sèche de politiques publiques qui sont pourtant essentielles !
Cela étant, je tiens à saluer l’adoption d’un certain nombre d’amendements, issus du groupe RDPI, qui sera positive pour les territoires ultramarins.
Ainsi, Wallis-et-Futuna disposera de 450 millions d’euros supplémentaires pour financer le remplacement des huit générateurs d’hémodialyse. À Mayotte sera prorogée la majoration des seuils de revenus fiscaux de référence, en dessous desquels les contribuables modestes ou âgés peuvent bénéficier des allègements de taxe foncière sur les propriétés bâties.
En Guadeloupe, le taux de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux appliquée aux centrales géothermiques électrogènes, essentiel par exemple pour la commune de Bouillante, sera augmenté.
Des mesures plus générales ne doivent pas être oubliées. Je pense à la prolongation de plusieurs dispositifs de défiscalisation en faveur des collectivités d’outre-mer jusqu’en 2029, à l’augmentation de 4 millions d’euros des crédits dédiés à la lutte contre l’habitat insalubre. Je pense encore au relèvement, de 205 euros à 400 euros, de la franchise de taxation appliquée à l’octroi de mer et à la TVA pour les biens faisant l’objet de petits envois non commerciaux, ce qui constitue, de nouveau, une mesure de soutien au pouvoir d’achat des ménages.
Compte tenu de l’adoption de ces amendements, les sénateurs ultramarins du groupe RDPI voteront en faveur du projet de loi de finances pour 2023. Néanmoins, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous comprendrez qu’une majorité des membres de ce groupe s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Le Sénat va maintenant procéder au vote sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2023, modifié.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Conformément à l’article 60 bis du règlement, il va être procédé à un scrutin public à la tribune, dans les conditions fixées par l’article 56 bis du règlement.
J’invite Mme Françoise Férat et M. Joël Guerriau, secrétaires du Sénat, à superviser les opérations de vote.
Je vais tirer au sort la lettre par laquelle commencera l’appel nominal.
(Le sort désigne la lettre H.)
M. le président. Le scrutin sera clos après la fin de l’appel nominal.
Le scrutin est ouvert.
Huissiers, veuillez commencer l’appel nominal.
(L’appel nominal a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Il ne va donc pas être procédé à un nouvel appel nominal.
Le scrutin est clos.
Mme et M. les secrétaires vont procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 94 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 305 |
Pour l’adoption | 197 |
Contre | 108 |
Le Sénat a adopté.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, voici quelques éléments de statistiques, qui souligneront votre présence sur ces travées : nous venons d’adopter le projet de loi de finances pour 2023 au terme de 160 heures de séance, soit dix heures de plus qu’il y a deux ans. Il s’agit d’une durée record depuis 1995 – ce qui nourrira, mes chers collègues, nos futures méditations dans le cadre de la conférence des présidents –, pendant laquelle a été examiné un nombre également record d’amendements, soit 3 057.
Je tiens à remercier le rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson, qui, par son travail, sa rigueur et sa vigueur, a éclairé nos débats qui ont porté sur l’ensemble des politiques publiques examinées ces dernières semaines.
Je veux également féliciter le président de la commission des finances, Claude Raynal, qui, en bon capitaine, a eu parfois, et même souvent, à choquer un peu nos voiles, lorsque l’hémicycle était tenté de lofer un peu.
Cela nous a permis, malgré quelques coups de vent, de naviguer dans une sérénité de bon aloi, si je puis dire, et de tenir le calendrier de la discussion budgétaire, tel qu’il est fixé par la Constitution.
Je salue tous les autres membres de l’équipage. Je pense aux 47 rapporteurs spéciaux de la commission des finances, aux 77 rapporteurs pour avis des autres commissions ainsi qu’à leurs présidents, et aux chefs de file des huit groupes politiques.
Enfin, je tiens à remercier particulièrement les vice-présidents de séance, qui ont conduit nos débats tout au long de ces semaines. (Applaudissements.)
Je remercie également l’ensemble des personnels des services du Sénat et des groupes politiques, de leur disponibilité et de leur engagement. Permettez-moi de saluer particulièrement les collaborateurs des commissions qui ont été extrêmement présents et qui ont fait face à cette charge de travail. (Nouveaux applaudissements.)
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence assidue – je ne rappelle pas le nombre d’heures – tout au long de l’examen de ce projet de loi de finances, mais aussi des nécessaires conciliabules menés à l’extérieur de l’hémicycle et qui font partie intégrante de la vie parlementaire.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai toujours plaisir à voir s’achever l’examen du projet de loi de finances et sa mise aux voix par un scrutin public à la tribune. Ce vote dure environ une heure – ce que certains pourraient regretter –, mais cela confère à ce moment une force particulière et j’y suis particulièrement attaché.
Si nous sommes attachés à ce mode de scrutin, certains, je ne dirais pas trichent, mais s’arrangent pour passer en premier. Je ne me permettrai pas de citer le rapporteur général, Jean-François Husson, mais je constate que, pour la troisième année consécutive, c’est la lettre H qui a été tirée au sort. (Rires et applaudissements.)
M. Jérôme Bascher. Il n’y a que des H ! (Sourires.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Si je n’y entends pas malice, c’est toutefois assez inattendu. D’un point de vue statistique, les chances de tirer une même lettre trois fois de suite sont assez minces !
Monsieur le président, je vous remercie d’avoir ouvert nos débats et de les conclure. Je remercie également, comme vous venez de le faire, les vice-présidents de séance qui ont présidé à la bonne organisation de nos travaux, ce qui ne fut pas si simple cette année, sans que cela signifie pour autant que cela l’ait été davantage les années précédentes.
Je salue évidemment le rapporteur général, qui a été aux avant-postes durant toute cette période, les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs pour avis, ainsi que l’ensemble des services du Sénat, particulièrement ceux de la direction de la séance, qui ont dû quelquefois modifier l’organisation de nos travaux pour que les débats se passent au mieux. Nous devrons sans doute collectivement progresser sur ce dernier point.
À mon tour, je salue le ministre Gabriel Attal, qui a toujours été présent au banc du Gouvernement, ainsi que l’ensemble de son cabinet. Je le remercie de sa disponibilité et de son envie d’expliquer ses positions, ce qui est utile dans nos débats.
Monsieur le président, vous l’avez indiqué, 3 000 amendements ont été examinés.
M. Jérôme Bascher. Inflation !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Je rappelle moi aussi, à la suite de Jérôme Bascher que, si nous avons examiné 500 amendements voilà dix ans, puis 1 000 amendements il y a cinq ans, nous en avons discuté 3 000 cette année. Oserais-je dire, n’en jetez plus, la coupe est pleine !
La difficulté est en effet de faire tenir les débats dans le temps fixé par la Constitution, soit une vingtaine de jours. Ce calendrier s’impose à nous et nous obligera, sans doute, dans les mois qui viennent, à réfléchir à l’organisation de nos travaux, afin qu’ils se déroulent de la meilleure façon possible dans ce délai contraint.
Enfin, il aurait été inutile de mener ce travail, pendant trois mois en commission et trois semaines en séance publique, si l’Assemblée nationale et le Gouvernement avaient l’idée de ne pas tenir pleinement compte de cette lecture complète du texte réalisée au Sénat.
Cependant, je n’ai aucun doute à ce sujet et j’en tire les conséquences en vue de l’adoption du texte définitif.
Un peu de travail reste donc encore à accomplir, mais nous y arriverons ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’adresse moi aussi des remerciements à tous les sénateurs, ainsi qu’à l’ensemble des équipes du Sénat présentes aussi bien dans l’hémicycle qu’en coulisses, que ce soit avant ou pendant l’examen du budget, période pendant laquelle – je le confesse volontiers – les nuits très courtes se sont succédé.
S’il ne s’est pas toujours agi d’un long fleuve tranquille, nous avons su, les uns et les autres, faire preuve d’écoute et trouver des modalités d’échanges, que ceux-ci soient brefs ou plus développés selon les sujets.
Je suis rapporteur général de la commission des finances pour la troisième année. Si, l’an dernier, nos travaux ont été plus courts, il s’agit d’une forme de marathon, mais c’est aussi une façon de prendre le pouls de la France au travers des discours de chacun.
Dans le cadre de ma fonction, si je m’efforce toujours de conserver un ton juste, j’essaie d’ajouter un peu de bonne humeur. Même s’il faut faire preuve de sérieux, des moments de respiration sont nécessaires.
Monsieur le ministre, le plus important nous attend : que restera-t-il des travaux du Sénat ?
Il n’a échappé à personne que nous vivons un quinquennat d’un temps nouveau, où la configuration de l’Assemblée nationale rend la situation plus complexe et où la Haute Assemblée vous adresse des messages clairs appuyés sur des positions quasi unanimes sur un certain nombre de sujets.
Ce n’est ni le moment ni l’heure de vous rappeler ce que nous vous proposons de promouvoir et de conserver dans le débat démocratique. En effet, nous devons prendre garde à ce que le Parlement continue d’être écouté et entendu tant par la voix qu’il porte que par les décisions qu’il prend et qu’il confie au Gouvernement.
Notre responsabilité collective est importante. Nous nous préparons à affronter des temps plus difficiles et nous devons être aux côtés des Français pour les aider à les traverser sans crainte particulière, sans amplifier leurs angoisses, mais en nous donnant la main avec les élus locaux et les chefs d’entreprise, afin que, en 2023 et les années suivantes, il fasse encore bon vivre dans notre si beau pays de France. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à mon tour, je veux remercier le président de la commission des finances et le rapporteur général de la commission des finances pour ces nombreuses heures d’examen et pour la qualité du travail que nous avons accompli ensemble.
Je remercie aussi l’ensemble des rapporteurs spéciaux et des rapporteurs pour avis de leurs contributions tout au long de ces semaines.
Jérôme Bascher indiquait qu’il s’agissait du premier projet de loi de finances examiné en application de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances (Lolf). En ce qui me concerne, il s’agissait tout simplement de mon premier projet de loi de finances en tant que ministre délégué chargé des comptes publics, donc du premier examen budgétaire auquel je participais au Sénat.
Pour ma part, j’ai beaucoup apprécié les échanges que nous avons eus. Ceux-ci ont toujours été empreints d’une très grande courtoisie républicaine, d’un très grand respect et d’une très grande écoute mutuelle. Cela fait du bien !
M. Bruno Retailleau. Cela change ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Nous avons eu de débats approfondis, parfois des divergences marquées. Cela me semble profondément utile.
Vous avez adopté un texte assez sensiblement différent de celui qui vous avait été présenté. Le solde budgétaire s’est amélioré. Cependant, comme l’a souligné Emmanuel Capus, cette évolution est en trompe-l’œil, puisqu’elle est essentiellement due à la suppression de pans entiers de l’action publique, avec le rejet des missions « Cohésion des territoires », « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et « Administration générale et territoriale de l’État ».
Si la navette parlementaire nous permettra évidemment de revenir sur certaines suppressions, je suis profondément convaincu que le texte adopté à son issue conservera la marque du Sénat. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)
En effet, de nombreux amendements ayant trait à nos valeurs et aux effets très concrets et importants sur la vie quotidienne des Français comme sur nos territoires ont été adoptés.
Il est impossible de tous les citer, mais je pense à l’amendement cosigné, me semble-t-il, par des sénateurs représentant l’intégralité des groupes, notamment par M. Rietmann, visant la suppression du malus auto pour les Sdis et pour la protection civile.
Je pense aussi à l’amendement tendant à majorer la dotation biodiversité défendu par Bernard Delcros, à l’amendement relatif à l’habitat insalubre en outre-mer présenté par Georges Patient, à l’amendement ayant trait à la continuité territoriale et au prix des billets d’avion de Mme Jacques ou encore à l’amendement ayant pour objet la suppression des prêts et avances pour l’Iran de M. Cozic, qui est très important dans le contexte que nous connaissons actuellement.
Je pense encore aux amendements de Claude Raynal ayant trait au financement des nouvelles lignes à grande vitesse (LGV), très importantes pour nos territoires et leur cohésion. Je pense enfin aux amendements du rapporteur général sur la lutte contre la fraude fiscale, issus du très bon rapport de la mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, créée au sein de la commission des finances.
Deux grands sujets ont irrigué nos débats.
Il s’agit, d’une part, de la suppression de la CVAE, que vous avez souhaité supprimer. Je le dis d’emblée, comme je l’avais déjà indiqué après le vote de cette mesure : nous proposerons à l’Assemblée nationale de rétablir la suppression de la CVAE.
Cependant, j’ai retenu de nos échanges que nous pouvions aller plus loin et être plus clairs s’agissant des modalités de compensation de cette suppression en faveur des collectivités territoriales. Croyez bien que nous allons poursuivre ce travail afin d’être plus convaincants.
Il s’agit, d’autre part, du nouveau filet de sécurité, adopté sur l’initiative du rapporteur général et de différents groupes. J’ignore si le filet de sécurité adopté à l’issue de la navette parlementaire sera conforme à celui qui a été voté par le Sénat, mais je sais qu’il sera différent de celui qu’a adopté en première lecture l’Assemblée nationale : davantage de communes seront concernées et elles seront mieux accompagnées. J’ai entendu le message que vous avez adressé en ce sens ici même et nous en tiendrons compte.
Tous ces exemples montrent que nous avons abordé des enjeux très concrets pour la vie des Français et de nos collectivités.
Le rapporteur général l’a souligné : notre pays et le monde entier connaissent des troubles, des inquiétudes, des angoisses.
S’il est un élément profondément rassurant dans ce contexte, c’est la capacité à continuer à se parler, à travailler ensemble, à échanger des arguments, selon la sensibilité et le tempérament de chacun, mais toujours dans l’intérêt des Français.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est l’expérience que j’ai vécue ces dernières semaines avec vous au Sénat. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures cinquante, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
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Mise au point au sujet d’un vote
Mme le président. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Ma collègue Christine Herzog, sénatrice de la Moselle, souhaite modifier son vote lors du scrutin n° 51 du 15 novembre 2022 portant sur l’ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. Elle a été déclarée comme ne prenant pas part au vote, alors qu’elle souhaitait s’abstenir.
Mme le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.
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Limitation de l’engrillagement des espaces naturels et protection de la propriété privée
Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires économiques, les explications de vote et le vote, en deuxième lecture, sur la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée (proposition n° 30, texte de la commission n° 150, rapport n° 149).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
Texte élaboré par la commission
Mme le président. Je donne lecture du texte élaboré par la commission.
proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée
Article 1er
(Conforme)
Le titre VII du livre III du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° A L’intitulé est ainsi rédigé : « Continuités écologiques » ;
1° B Il est inséré un chapitre Ier intitulé : « Trame verte et bleue » et comprenant les articles L. 371-1 à L. 371-6 ;
1° Il est ajouté un chapitre II ainsi rédigé :
« CHAPITRE II
« Dispositions propres aux clôtures
« Art. L. 372-1. – Les clôtures implantées dans les zones naturelles ou forestières délimitées par le règlement du plan local d’urbanisme en application de l’article L. 151-9 du code de l’urbanisme ou, à défaut dudit règlement, dans les espaces naturels permettent en tout temps la libre circulation des animaux sauvages. Elles sont posées 30 centimètres au-dessus de la surface du sol, leur hauteur est limitée à 1,20 mètre et elles ne peuvent ni être vulnérantes ni constituer des pièges pour la faune. Ces clôtures sont en matériaux naturels ou traditionnels définis par le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires prévu à l’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales, par le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse prévu aux articles L. 4424-9 à L. 4424-15-1 du même code, par le schéma d’aménagement régional pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et La Réunion prévu à l’article L. 4433-7 dudit code ou par le schéma directeur de la région d’Île-de-France prévu à l’article L. 123-1 du code de l’urbanisme. Les clôtures existantes sont mises en conformité avant le 1er janvier 2027. Tout propriétaire procède à la mise en conformité de ses clôtures dans des conditions qui ne portent pas atteinte à l’état sanitaire, aux équilibres écologiques ou aux activités agricoles ou forestières du territoire. Le présent alinéa ne s’applique pas aux clôtures réalisées plus de trente ans avant la publication de la loi n° … du … visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée. Il appartient au propriétaire d’apporter par tous moyens la preuve de la date de construction de la clôture, y compris par une attestation administrative. Toute réfection ou rénovation de clôtures construites plus de trente ans avant la promulgation de la loi n° … du … précitée doit être réalisée selon les critères définis au présent article.
« Le premier alinéa du présent article ne s’applique pas :
« 1° A Aux clôtures des parcs d’entraînement, de concours ou d’épreuves de chiens de chasse ;
« 1° B Aux clôtures des élevages équins ;
« 1° Aux clôtures érigées dans un cadre scientifique ;
« 2° Aux clôtures revêtant un caractère historique et patrimonial ;
« 3° Aux domaines nationaux définis à l’article L. 621-34 du code du patrimoine ;
« 4° Aux clôtures posées autour des parcelles sur lesquelles est exercée une activité agricole définie à l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime ;
« 5° Aux clôtures nécessaires au déclenchement et à la protection des régénérations forestières ;
« 6° Aux clôtures posées autour des jardins ouverts au public ;
« 7° Aux clôtures nécessaires à la défense nationale, à la sécurité publique ou à tout autre intérêt public.
« L’implantation de clôtures dans les espaces naturels et les zones naturelles ou forestières délimitées par le règlement du plan local d’urbanisme en application de l’article L. 151-9 du code de l’urbanisme est soumise à déclaration.
« Les habitations et les sièges d’exploitation d’activités agricoles ou forestières situés en milieu naturel peuvent être entourés d’une clôture étanche, édifiée à moins de 150 mètres des limites de l’habitation ou du siège de l’exploitation. » ;
2° et 2° bis (Supprimés)
3° L’article L. 371-3 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) Le d du III est complété par les mots : « , notamment par la limitation de l’implantation de clôtures dans le milieu naturel » ;
4° (Supprimé)
Article 1er bis
(Conforme)
L’article L. 424-3 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi rédigé :
« I. – Les terrains attenant à une habitation et entourés d’une clôture continue et constante faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins et empêchant complètement le passage des animaux non domestiques et celui de l’homme réalisée plus de trente ans avant la promulgation de la loi n° … du … visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée font l’objet, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, d’un plan de gestion annuel contrôlé par la fédération départementale des chasseurs et garantissant la prévention de la diffusion des dangers sanitaires entre les animaux non domestiques, les animaux domestiques et l’homme ainsi que la préservation de la biodiversité et des continuités écologiques. » ;
2° La première phrase du premier alinéa du II est complétée par les mots : « ou clôturés dans les conditions prévues à l’article L. 372-1 ».
Article 1er ter A
(Conforme)
La section 2 du chapitre IV du titre II du livre IV du code de l’environnement est complétée par un article L. 424-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 424-3-1. – I. – Tout propriétaire d’un enclos prenant la décision d’en supprimer la clôture ou se conformant à l’article L. 372-1 procède à son effacement dans des conditions qui ne portent atteinte ni à l’état sanitaire, ni aux équilibres écologiques, ni aux activités agricoles du territoire.
« II. – Dans le cas où une des atteintes mentionnées au I du présent article résulte de l’effacement d’une clôture, celui-ci est soumis à déclaration préalable auprès du représentant de l’État dans le département où l’enclos est situé.
« III. – Les modalités de déclaration préalable prévoient notamment d’informer l’administration des mesures qui sont prises préalablement à l’effacement de la clôture en vue de la régulation des populations de grand gibier contenues dans l’enclos.
« Un arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement et de l’agriculture détermine ces modalités de déclaration préalable. »
Article 1er ter
(Conforme)
Le I de l’article L. 171-1 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° À la première phrase du 1°, les mots : « espaces clos et aux » et les mots : « des domiciles ou de la partie » sont supprimés ;
2° Au 2°, après le mot : « lieux », sont insérés les mots : « , notamment aux enclos ».
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Article 1er quinquies
(Conforme)
Le code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Après le 5° de l’article L. 415-3, il est inséré un 6° ainsi rédigé :
« 6° Le fait d’implanter ou de ne pas mettre en conformité des clôtures dans les espaces ou zones naturels en violation de l’article L. 372-1. » ;
1° bis À l’avant-dernier alinéa du même article L. 415-3, après la référence : « 2° », sont insérés les mots : « du présent article » ;
2° Le 2° de l’article L. 428-15 est complété par des g et h ainsi rédigés :
« g) La non-conformité des clôtures implantées dans les conditions définies à l’article L. 372-1 ;
« h) Le non-respect des règles d’agrainage et d’affouragement définies en application de l’article L. 425-5. »
Article 1er sexies
(Conforme)
Le dernier alinéa de l’article L. 428-21 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Après le mot : « relatives », sont insérés les mots : « à la conformité des clôtures mentionnées à l’article L. 372-1, au plan de gestion annuel mentionné au I de l’article L. 424-3, » ;
1° bis À la fin, les mots : « , sauf opposition préalablement formée par ces derniers » sont supprimés ;
2° Sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « Ils disposent à cet effet des mêmes droits d’accès que ceux reconnus aux fonctionnaires et agents chargés de la police de l’environnement en application du 1° du I de l’article L. 171-1. Toute infraction constatée est signalée au représentant de l’État dans le département. »
Article 2
(Conforme)
Après l’article 226-4-2 du code pénal, il est inséré un article 226-4-3 ainsi rédigé :
« Art. 226-4-3. – Sans préjudice de l’application de l’article 226-4, dans le cas où le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement, pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui, sauf les cas où la loi le permet, constitue une contravention de la 4e classe. »
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Article 4
(Conforme)
Le troisième alinéa de l’article L. 421-14 du code de l’environnement est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ces actions peuvent contribuer à remplacer par des haies composées de différentes espèces locales d’arbres et d’arbustes les clôtures non conformes à l’article L. 372-1. »
Article 5
L’article L. 425-5 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – L’agrainage et l’affouragement sont interdits dans les espaces clos empêchant complètement le passage des animaux non domestiques sauf exceptions inscrites au schéma départemental de gestion cynégétique dans les cas et les conditions prévus par décret. Dans les espaces clos permettant le passage des animaux non domestiques, les conditions d’agrainage et d’affouragement sont celles prévues au I du présent article. »
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au Gouvernement, puis au rapporteur de la commission pendant sept minutes et, enfin, à un représentant par groupe pendant cinq minutes.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Cardoux, auteur de cette proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, aujourd’hui est une étape importante pour la biodiversité française.
Aujourd’hui, vous avez l’opportunité de mettre fin à des années de dégradation de notre belle nature.
Aujourd’hui, il vous est offert la possibilité de voter la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.
Le Gouvernement fait déjà beaucoup pour la biodiversité.
Un fonds vert de 2 milliards d’euros va être déployé.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Le fameux !
M. François Bonhomme. On le cherche toujours !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. Par ailleurs, 150 millions d’euros seront consacrés à notre stratégie nationale pour la biodiversité. C’est inédit !
Nous nous étions fixé un objectif de protection de 30 % de notre territoire terrestre et marin, objectif que nous avons atteint, et bientôt 10 % du territoire seront même en protection forte. Nous défendons les mêmes objectifs à l’échelle internationale.
M. François Bonhomme. Très bien !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. Nous mettons également en place des plans d’action nationaux pour protéger les espèces en danger. Je pourrais encore en dire beaucoup sur notre action : la liste est longue, car nous agissons avec détermination !
La protection de notre biodiversité passe aussi par l’arrêt du développement et le retrait des grillages, qui ruinent nos paysages naturels.
Les citoyens qui nous regardent et nous écoutent doivent s’en rendre compte : en 2019, plus de 3 000 kilomètres de grillage, au minimum, ont été recensés sur les trois départements du Loiret, du Cher et du Loir-et-Cher. Comment ne pas s’indigner d’un tel chiffre ?
Cette proposition de loi est la concrétisation d’un bel exemple de coconstruction législative entre le Sénat, l’Assemblée nationale et le Gouvernement. Que la politique est belle quand elle nous réunit ainsi pour l’intérêt commun du plus grand nombre ! (Exclamations amusées.)
M. François Bonhomme. Quel lyrisme !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. Je suis d’autant plus heureuse de vous retrouver, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’examen de la proposition de loi a commencé ici, au Sénat. Vous en êtes à l’initiative, monsieur le sénateur Cardoux, et je veux saluer une fois de plus votre engagement sincère sur ce sujet important pour votre belle Sologne. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
J’en profite également pour saluer le travail des rapporteurs des deux assemblées, Laurent Somon, ici même, et Richard Ramos, à l’Assemblée nationale.
Nous abordons maintenant une nouvelle étape dans la discussion de cette proposition de loi, après son examen, la semaine dernière, selon la procédure de législation en commission. Cet examen a donné lieu à un dialogue apaisé et constructif, le choix d’un tel format témoignant de l’efficacité de nos débats sur le sujet.
Le texte atteint de nombreux objectifs que nous partageons.
Il met fin à l’engrillagement, qui rompt les continuités écologiques.
Pour leur survie, les espèces doivent pouvoir se déplacer sans contrainte. Avec la trame verte et bleue, nous devons reconstituer un réseau d’échanges leur permettant, qu’elles soient animales ou végétales, de circuler, s’alimenter, se reproduire, se reposer et, ainsi, assurer leur cycle de vie.
M. François Bonhomme. C’est trop mignon !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. Il met également fin à la défiguration de notre paysage.
Nos concitoyens attendent de nous que nous restaurions la beauté de nos campagnes. Nous ne pouvons pas laisser quelques-uns accaparer nos bois, nos forêts ou nos prairies.
Il met aussi fin à des obstacles qui nous empêchent de lutter contre les incendies.
Le risque d’incendie grandit dans un contexte de réchauffement climatique et touche dorénavant des régions que nous pensions jusqu’à présent épargnées. Il est de notre devoir d’aider nos pompiers à accéder facilement à ces zones.
Nous sommes évidemment conscients que certaines clôtures sont nécessaires. Elles protègent parfois nos routes et nos voies ferrées. Elles participent aussi à la régénération forestière et soutiennent l’activité agricole.
Ces clôtures ne seront pas concernées.
Celles que nous devons réguler sont celles qui sont installées pour des pratiques purement cynégétiques ou celles, trop largement étendues, qui relèvent de la propriété privée.
Deux points de ce texte méritent d’être soulignés.
D’une part, l’article 1er prévoit une obligation de mise en conformité des clôtures hermétiques pour rétablir les continuités écologiques.
Lors de la navette parlementaire, le délai de prescription a évolué. Le Gouvernement y était favorable. Une prescription de trente ans a été introduite, de manière que la date ne soit pas contestable. Ce point a été sécurisé juridiquement. Il a fait l’objet d’une étude de constitutionnalité, qui en a souligné la pertinence.
Lors de la procédure de législation en commission, un point a été soulevé pour s’assurer que les troupeaux et l’agropastoralisme étaient bien compris dans les exceptions. J’ai pu confirmer que c’était le cas et me suis engagée à ce qu’une circulaire vienne explicitement préciser cette exception pour lever toute ambiguïté.
D’autre part, l’article 5 est le fruit d’une coconstruction entre le Sénat, l’Assemblée nationale et le Gouvernement. Initialement introduit par les députés, il prévoyait l’interdiction d’agrainage et d’affouragement dans les espaces clos. Le Sénat est venu préciser juridiquement cette disposition, en définissant les espaces clos concernés, à savoir les espaces étanches qui ne permettent pas le passage des animaux non domestiques. J’y étais également favorable.
La mesure permet de rétablir la cohérence entre les espaces ouverts et les espaces clos permettant le passage des animaux non domestiques, pour lesquels il est clairement précisé désormais que la même réglementation s’applique. Cela va dans le bon sens.
L’efficacité de notre travail permettra la mise en place rapide de cette nouvelle législation. Le Gouvernement souhaite, en effet, mesdames, messieurs les sénateurs, que le texte que vous êtes appelés à voter aujourd’hui soit soumis très rapidement à l’Assemblée nationale en deuxième lecture.
Une fois adopté, il sera nécessaire de poursuivre le travail sur le terrain. Il nous faut engager une action efficace, qui se concrétise le plus rapidement possible.
Le dialogue devra donc débuter très prochainement avec les acteurs de terrain, les propriétaires comme les élus, les fédérations départementales des chasseurs comme les associations écologiques.
Nous devons nous assurer que cette transition se déroule dans les meilleures conditions.
Je suis convaincue que cette proposition de loi sera une contribution réellement significative en faveur de la biodiversité.
J’aurai l’occasion de défendre haut et fort, au nom du Gouvernement, cet enjeu majeur lors de l’événement international que constitue la 15e conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, dite COP15, à Montréal.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comptez sur moi pour mettre toute mon énergie et aboutir à une COP décisive, avec des objectifs clairs, ambitieux et surtout quantifiés, associés à des moyens de financement adaptés.
Nous agissons en France autant qu’à l’international. C’est ainsi que nous sauverons notre biodiversité ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Jean-Noël Cardoux et Daniel Salmon applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)
M. Laurent Somon, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur la proposition de loi, présentée par Jean-Noël Cardoux, visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.
Ce texte a été examiné et voté, la semaine passée, en deuxième lecture, par la commission des affaires économiques dans le cadre de la procédure de législation en commission. En première lecture, il a reçu l’approbation unanime du Sénat et de l’Assemblée nationale. J’espère qu’il en sera de même cet après-midi.
Ce rare et remarquable consensus est le fruit d’une patiente coconstruction.
En s’attaquant au fléau de l’« emprisonnement de la nature », la proposition de loi a réussi à rassembler sénateurs et députés, chasseurs et non-chasseurs, citoyens et associations engagés de longue date dans ce combat. Il y avait urgence, tant l’engrillagement pose des problèmes pour la sécurité dans la lutte contre les incendies, la libre circulation de la faune et l’attractivité de nos territoires ruraux.
Cette réussite est d’abord le résultat du travail et de l’engagement de son auteur, Jean-Noël Cardoux, que je tiens à saluer. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)
Ce texte, très complet, est le fruit de sa grande connaissance de la chasse. Ardent défenseur de notre patrimoine naturel et forestier, notre collègue a su faire des propositions en dehors de tout esprit partisan. Militant pour une chasse durable, éthique et exigeante, il a dénoncé l’artificialisation des pratiques de chasse et de sylviculture, ainsi que l’enfermement de la nature, comme des hommes, derrière les grillages.
Sa proposition de loi, dès sa rédaction initiale, adoptait une approche globale et proposait des solutions équilibrées, dont la pertinence a été relevée par les deux assemblées.
Je tiens également à remercier Richard Ramos, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale. À l’écoute des différentes sensibilités, il a su rassembler pour aboutir à un approfondissement des dispositions votées par le Sénat. Sa recherche du consensus est à souligner et manifeste la volonté d’avancer ensemble vers l’objectif commun de protection de nos espaces naturels.
Enfin, madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre disponibilité et de votre aide pour permettre à cette initiative parlementaire d’aboutir. J’inclus dans ces remerciements les services de votre ministère, ainsi que l’Office français de la biodiversité (OFB), dont l’expertise a été précieuse pour enrichir le texte. Je me félicite de ce travail partenarial.
L’objectif de la commission des affaires économiques a été de consolider la proposition de loi en garantissant l’équilibre du texte, entre désengrillagement et respect du droit de propriété, mais aussi en garantissant sa bonne application.
Ainsi, en première lecture, la commission avait étendu les pouvoirs de contrôle des agents de l’Office français de la biodiversité afin de faire appliquer le droit de la chasse partout où elle se pratiquait et, plus particulièrement, dans les enclos qui s’y soustrayaient. Elle avait aussi voulu démultiplier les capacités de contrôle, en étendant les pouvoirs des agents assermentés des fédérations départementales des chasseurs. La commission avait en outre veillé à assortir les dispositions de la proposition de loi d’un volet répressif, en instaurant une sanction pour non-respect des nouvelles règles applicables aux clôtures, dont les modalités viennent d’être rappelées par Mme la secrétaire d’État.
En commission, en deuxième lecture, nous avons adopté conforme la quasi-totalité des articles amendés par l’Assemblée nationale, les modifications restant en ligne avec les orientations définies par le Sénat en première lecture. L’unique amendement adopté par la commission, à l’article 5 sur la réglementation de l’agrainage et de l’affouragement, poursuit ce travail de mise en cohérence et traduit une vision commune des solutions à apporter.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour conclure, je formule le vœu que ce texte soit adopté dès le début de l’année 2023 par l’Assemblée nationale, afin de garantir une application rapide et effective de la loi.
Je suis heureux de voir un texte dépasser les oppositions partisanes par des compromis constructifs entre le Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat, dans le but de protéger l’intérêt général. Nous pouvons en être fiers.
Pour que les milieux naturels restent des havres de paix et de tranquillité, libérons-les de ces grillages et luttons contre leur artificialisation ! Protégeons leur faune et leur flore, qui font leur charme et notre bonheur !
Pour satisfaire à l’envie de lyrisme de François Bonhomme, préférons, avec notre illustre prédécesseur Victor Hugo, au fil de fer l’œuvre du génie de la nature :
« Je ne demande pas autre chose aux forêts
« Que de faire silence autour des antres frais
« Et de ne pas troubler la chanson des fauvettes.
« Je veux entendre aller et venir les navettes
« De Pan, noir tisserand que nous entrevoyons
« Et qui file, en tordant l’eau, le vent, les rayons,
« Ce grand réseau, la vie, immense et sombre toile
« Où brille et tremble en bas la fleur, en haut l’étoile. »
(Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Marc et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)
Je terminerai par une note moins célèbre, mais plus personnelle :
Voilà cette nature partagée
Que j’observe vue des chemins autorisés,
Chasseur d’image ou de gibier
Tous engagés à la protéger.
Respect du gibier
Et de la propriété privée,
Il était urgent d’y contribuer.
À nous de légiférer !
(Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. François Bonhomme. Vive la Somme ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie par avance de m’excuser de ne pas faire, à mon tour, une intervention en alexandrins ou en rimes. J’en resterai à un exercice qui peut, lui aussi, prendre tout son sens : la prose libre ! (Sourires.)
Comme nous l’avons rappelé en première lecture, cette proposition de loi visant à garantir la libre circulation des animaux sauvages dans les territoires concernés par les pratiques d’engrillagement est bienvenue.
Si ce phénomène n’est pas nouveau, il n’est plus circonscrit à la Sologne et concerne aujourd’hui un nombre croissant de territoires. Lors d’une assemblée, le président de la Fédération nationale des chasseurs évoquait un véritable problème et expliquait que, si l’on ne réagissait pas rapidement, l’on finirait par avoir des cages partout en France.
Cette pratique, qui fait obstacle aux continuités écologiques, pose en effet des problèmes de sécurité incendie et de sécurité sanitaire, empêche la libre circulation de la faune, cantonne les populations de gibiers à l’intérieur des domaines, interdit la promenade et nuit au développement du tourisme rural. Elle traduit aussi une logique de privatisation de nos espaces forestiers, qui exacerbe les conflits d’usage.
Comme le souligne le rapport de mission interministérielle sur l’engrillagernent en Sologne, « il s’agit d’une appropriation renforcée de l’espace et un frein à l’exercice de la police de l’environnement, par une déviance du droit des enclos créant des zones de non-droit […] où la gestion “cynégétique” est littéralement aberrante ».
Le rapport mentionne même des installations de miradors et postes de tir mettant en danger les usagers des voies publiques.
Loin d’être un texte contre la chasse, cette proposition de loi met fin à une pratique – réservée à une très petite partie de la population, à une élite – qui s’apparente plus à un carnage. Je veux le dire ici : ce n’est pas là le sens de la chasse, n’en déplaise à certains !
De plus, ces barrières créent des risques sanitaires, liés à la surdensité et la maîtrise des populations. Elles interrogent sur l’égalité d’application du droit de la chasse, sur l’éthique, ainsi que sur l’illégalité de certaines pratiques, comme le souligne le rapport commandé par le ministère de la transition écologique et solidaire, en 2019.
En ce sens, la chasse en enclos contrevient au principe même d’une chasse populaire issue de la Révolution française, devenu acquis de la République.
En étendant le droit commun de la chasse à l’ensemble des territoires sur lesquels celle-ci est pratiquée et en renforçant l’accès aux enclos cynégétiques à des fins de contrôle, cette proposition de loi marque une avancée significative, même si nous pouvons regretter que le texte n’aille pas jusqu’à interdire la chasse en enclos à caractère commercial.
Ainsi, nous regardons comme une avancée la possibilité désormais offerte aux gardes de l’Office français de la biodiversité d’aller voir ce qui se passe dans ces enclos, sans avoir à saisir le juge des libertés et de la détention en cas de refus du propriétaire.
Nous nous réjouissons également de l’équilibre trouvé entre les deux assemblées quant à la sanction en cas de pénétration dans la propriété rurale ou forestière. La violation d’une propriété ne sera en effet sanctionnée par une contravention de quatrième classe uniquement dans le cas où le caractère privé du lieu est clairement identifié par une signalétique spécifique.
Les débats et la navette parlementaire aboutissent donc à un texte qui nous paraît prendre la bonne direction et pourrait être en mesure de contribuer – c’est le vœu que nous formons en cette fin d’année – à apaiser autant que possible le débat autour de la chasse dans notre pays, à faciliter cette pratique tout en en limitant les excès.
Cette proposition de loi, attendue par les chasseurs comme par les différents acteurs de nos territoires ruraux, va donc dans le bon sens et nous la voterons. (Applaudissements au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-Paul Prince. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à réitérer mes remerciements à notre collègue Jean-Noël Cardoux pour avoir permis l’inscription à l’ordre du jour des travaux de notre assemblée de ce sujet clé pour nos territoires.
Cette proposition de loi contribue en effet à la poursuite de nos efforts pour faire du Sénat une véritable caisse de résonance des enjeux territoriaux. Elle témoigne également du travail long et minutieux du rapporteur, Laurent Somon, qui a su s’emparer du sujet lors des deux lectures, afin de faire évoluer le texte pour le rendre encore plus complet d’un point de vue juridique et lui donner une ampleur de nature à convaincre les membres de la chambre basse du Parlement.
J’en profite pour saluer les travaux de l’Assemblée nationale sur le texte – notamment l’implication du rapporteur Richard Ramos. Ceux-ci ont permis de corriger certaines malfaçons et de mettre cette proposition de loi toujours plus en adéquation avec la réalité de nos territoires.
L’engrillagement des espaces naturels est un phénomène déjà ancien, mais qui a tendance à s’accentuer et à « contaminer », si j’ose dire, une part croissante de notre territoire.
La Sologne, souvent prise en exemple, est malheureusement caractéristique de ce phénomène. Comme d’autres ici, je la connais bien – même très bien. Aujourd’hui, on y compte près de 4 000 kilomètres de grillages, soit plus que la longueur totale des routes départementales dans mon département du Loir-et-Cher. Ce chiffre est révélateur des dérives néfastes de l’engrillagement !
Le développement de ce phénomène est l’un des symboles de l’évolution de la ruralité dans notre pays, mais aussi de la hausse d’une forme d’égoïsme dans notre société. Il caractérise non seulement une défense excessive du droit de propriété et un manque de respect des terrains d’autrui, mais aussi une perte de la culture rurale et cynégétique, ainsi qu’une atteinte à la biodiversité.
Cette proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, que nous examinons en seconde lecture, pose des règles pour mettre fin à ces difficultés, avec, pour conséquence, l’amélioration de la sécurité incendie, la consolidation de la sécurité sanitaire, l’arrêt de la destruction de la faune et de la flore, ainsi que le développement du tourisme rural.
Le dispositif proposé est global et les mesures vont dans la bonne direction.
L’interdiction des clôtures ne laissant pas passer la faune et utilisant des matériaux naturels représente le cœur de ce texte. Il s’agit en définitive de redonner de l’air à nos ruralités et à nos forêts sans priver les propriétaires de leurs biens.
Le renforcement du volet pénal condamnant les intrusions dans les propriétés privées est salutaire, afin de donner des garanties aux propriétaires et d’équilibrer le texte.
Enfin, l’obligation de mise en conformité des clôtures datant de moins de trente ans, et non plus, après examen par l’Assemblée nationale, de celles qui seraient postérieures à 2005 – preuve de l’intérêt pour le Parlement de travailler de concert au service de nos territoires –, permettra de contourner le phénomène d’opportunité que l’on a pu constater, visant à engrillager rapidement par peur de la nouvelle réglementation. Les exceptions prévues et recalibrées par les rapporteurs des deux assemblées sont aussi importantes, à l’image de la prise en compte du caractère historique et patrimonial des clôtures.
J’appelle néanmoins votre attention, mes chers collègues, sur une nouvelle disposition introduite à l’Assemblée nationale, qui, à mon sens, est problématique. Il s’agit de l’interdiction de la pratique de l’agrainage et de l’affouragement en enclos.
Je ne suis pas favorable à cette interdiction, aussi rigide que dogmatique, qui ne s’inspire pas de la réalité du terrain. Les récents apports de la commission des affaires économiques, élaborés grâce à la procédure de législation en commission, me semblent toutefois aller dans le bon sens.
En conclusion, madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous l’aurez compris, bien que j’émette une réserve sur les dispositions relatives à l’interdiction de l’agrainage et de l’affouragement, je soutiens pleinement cette proposition de loi et la majorité du groupe Union Centriste votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Jean-Noël Cardoux applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Madame le président, madame le secrétaire d’État, chers collègues, je considère la proposition de loi que nous nous apprêtons à adopter comme un texte excellent. En effet, nous ne pouvions pas laisser la France entière se faire engrillager et nous ne pouvions pas laisser privatiser tous les espaces naturels.
Au cours des dernières années, nous avons assisté à une explosion de cet accaparement des forêts et, à travers elles, de l’espace public : à mon sens, c’est une très mauvaise chose.
La navette parlementaire a apporté des améliorations substantielles. En particulier, je me félicite que les enclos existant depuis très longtemps soient finalement exclus du champ de cette proposition de loi ; certains d’entre eux ont une dimension historique. Ces enclos sont en fait victimes des pratiques tout à fait abusives qui se développent depuis une dizaine d’années et qui les frappent de discrédit. C’est contre ce dernier phénomène qu’il fallait réagir.
Ce travail commun entre l’Assemblée nationale et le Sénat a donc été très fructueux. Nous avons bien avancé, face à ce qui se passe notamment en Sologne. En la matière, tout le monde cite ce territoire comme le plus mauvais exemple de France, et à juste titre : les chiffres sont effarants et ce que l’on y constate est tout à fait scandaleux. Il était donc absolument nécessaire de trouver une réponse.
En l’occurrence, notre réaction est mesurée. Non seulement les mesures prévues sont assorties de délais, mais les enclos existant depuis un certain nombre d’années pourront être maintenus.
Cette dérogation est d’autant plus admissible que les enclos dont il s’agit ne sont pas si nombreux que cela. Je le répète, c’est seulement dans la période récente que ce phénomène a connu l’explosion face à laquelle il faut intervenir.
Pour ma part, je voterai cette proposition de loi.
Mme le président. La parole est à M. Christian Bilhac, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée revient devant la Haute Assemblée en deuxième lecture, après que nos collègues députés ont encore étendu sa portée.
Son objectif est d’arrêter l’expansion de la pratique de l’engrillagement, laquelle représente aujourd’hui 3 000 à 4 000 kilomètres linéaires de clôtures érigées sur des propriétés privées. Ces dernières empêchent à la fois la circulation de la faune sauvage, son brassage génétique et une gestion équilibrée de la biodiversité de nos territoires.
L’image que cette pratique donne de la chasse est loin d’être éthique : l’engrillagement, ce sont des animaux engraissés tués sans limite de nombre, toute l’année, dans des propriétés fermées. Telle n’est pas ma conception de la chasse.
À cet égard, il était urgent de mettre fin au privilège de l’enclos.
L’article L. 424-3 du code de l’environnement distingue deux formes de chasse sur les propriétés privées.
Le premier statut est celui de l’enclos cynégétique, apparenté au domicile. Il est assorti d’un droit de chasse dérogatoire permettant au propriétaire de chasser ou de faire chasser le gibier à poil, de pratiquer l’agrainage ou l’affouragement, tout en l’exemptant de plan de chasse et d’indemnisation financière des dégâts du grand gibier. C’est précisément le privilège de l’enclos.
Le second statut est celui des établissements professionnels de chasse à caractère commercial, ou parcs de chasse.
Par son article 1er, qui modifie la trame verte, cette proposition de loi supprime ce privilège et encadre les clôtures érigées par les parcs de chasse. L’article L. 371-1 du code de l’environnement est ainsi modifié pour réglementer les clôtures, qui devront désormais respecter plusieurs conditions : permettre en tout temps la libre circulation des animaux sauvages ; ne pas être enterrées dans le sol ou dépasser 1,20 mètre de hauteur ; être constituées de matériaux naturels ou traditionnels, tels que définis par le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).
Je suis satisfait que l’Assemblée nationale ait élargi le périmètre d’application de ces nouvelles règles aux zones naturelles et forestières identifiées par les plans locaux d’urbanisme (PLU) ou, à défaut, dans les espaces naturels, les trames vertes ne couvrant pas tous les espaces protégés subissant l’engrillagement.
Seront désormais autorisées les clôtures posées autour de parcelles agricoles, pour préserver les récoltes, ou nécessaires à la protection des régénérations forestières, ainsi que les clôtures d’intérêt public.
Pour ce qui concerne les clôtures existant au 1er janvier 2021, l’Assemblée nationale a avancé la date limite de mise en conformité au 1er janvier 2027. Cette mesure, qui va dans le bon sens, est assortie d’un certain nombre d’exemptions : les clôtures érigées dans un cadre scientifique, celles des domaines nationaux ou celles qui ont été réalisées avant la publication de la loi de 2005 relative au développement des territoires ruraux, la preuve devant être apportée par tous moyens.
Entre autres avancées, je relève l’extension, aux clôtures réalisées moins de trente ans avant la publication du présent texte, de l’obligation de conformité aux normes environnementales et de protection des paysages. Les députés ont estimé que la date de 2005 limitait les effets de la loi, la majorité des clôtures hermétiques ayant été édifiées dans les années 1980.
L’article 1er quinquies crée des sanctions pénales : engrillager ou ne pas mettre en conformité les clôtures sera puni de trois ans de prison et de 150 000 euros d’amende.
L’article 1er sexies prévoit le contrôle par des agents des fédérations de chasse de la conformité des clôtures et des plans de gestion des enclos.
À l’article 2, l’Assemblée nationale a rétrogradé la contravention prévue par le Sénat de la cinquième à la quatrième classe pour intrusion dans une propriété rurale ou forestière, passible de 1 500 euros d’amende. En effet, la nature n’appartient pas à tout le monde !
Après de longs débats, à l’article 5, les députés ont interdit l’agrainage et l’affouragement en enclos dans les espaces naturels définis, sauf ceux à visée scientifique. Toutefois, cette interdiction a été assouplie par un amendement de notre rapporteur, adopté en commission.
En vertu dudit amendement, ces pratiques sont interdites dans les espaces clos empêchant complètement le passage des animaux non domestiques, sauf exception inscrite au schéma départemental de gestion cynégétique (SDGC). Ces précisions sont renvoyées aux décrets d’application.
Avec les autres membres de mon groupe, je voterai en faveur de ce texte, dont les avancées répondent en grande partie aux attentes que j’ai exprimées ici même en première lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. Jean-Noël Cardoux. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il nous reste une petite étape à franchir, mais nous sommes presque à la fin du chemin. Je tiens à rappeler une nouvelle fois les trois grands axes qui ont guidé ma réflexion sur ce texte.
Premièrement, il s’agissait d’assurer le respect des équilibres naturels et de la biodiversité en permettant la libre circulation de la faune sauvage.
Deuxièmement, il s’agissait de garantir le respect de la propriété privée.
Troisièmement– ce dernier axe étant tout aussi important que les précédents –, il s’agissait de revenir vers une chasse naturelle dans laquelle l’éthique l’emporte sur la performance. On assimile toujours la chasse au tir et c’est une grave erreur : ce n’est pas parce que l’on tire bien que l’on chasse bien.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Bien dit !
M. Jean-Noël Cardoux. Ce travail n’a pas été un long fleuve tranquille ; il a inspiré beaucoup d’incrédulité. On me disait encore il y a peu de temps : « Vous n’y arriverez jamais. »
Ce texte a également soulevé des oppositions. Ce n’est pas un hasard si, en même temps, on m’a traité de bolchevik et de défenseur du grand capital. (Sourires.)
M. Laurent Somon, rapporteur. C’est un bon équilibre ! (Nouveaux sourires.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Tout à fait !
M. Jean-Noël Cardoux. C’est en effet la preuve que ce texte est équilibré.
Le Sénat, chambre de réflexion, s’est montré fidèle à sa réputation : il a pris son temps tout en prenant du recul. Tout le monde parlait de ce problème, tout le monde gesticulait, tout le monde communiquait depuis plusieurs années déjà. Nous, nous avons réfléchi. Nous avons étudié la question. Loin des déclarations, loin du simple affichage, nous avons travaillé. Nous avons agi en étroite collaboration avec l’Assemblée nationale et le Gouvernement et, maintenant, nous touchons au but.
Madame la secrétaire d’État, nous nous sommes découverts au cours de ce travail commencé avec Mme Abba, avec qui nous avions d’excellents contacts : vous lui avez succédé au pied levé en faisant preuve du même esprit constructif. Je tenais à vous en remercier.
Il faut également le souligner : il n’est pas si fréquent de voir une proposition de loi approuvée à l’unanimité, aussi bien au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. On pourrait en compter les exemples.
Mes chers collèges, cette proposition de loi a de nouveau recueilli l’unanimité lors de sa deuxième lecture en commission, la semaine dernière : une quatrième unanimité aujourd’hui serait parfaite pour montrer le chemin à nos collègues députés, en vue de la dernière lecture ! (Sourires.)
Je pense évidemment à l’article 5, car tous les autres articles ont été votés conforme. Il faut dire que les diverses améliorations, dont les précédents orateurs viennent de parler, ont toutes été négociées avec le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, Richard Ramos, que je connais bien : il est de mon département.
Notre collègue député a proposé d’inscrire cette proposition de loi dans l’une des niches de son groupe parlementaire, ce que j’ai bien sûr accepté. Nous avons travaillé de manière très étroite et – j’y insiste – toutes les avancées votées par l’Assemblée nationale ont fait l’objet d’une concertation entre lui et moi ; nous pouvons tous deux en être satisfaits.
L’article 5, dont nous avons déjà parlé, pose un problème de discrimination pour certains territoires. En outre – Jean-Paul Prince l’a souligné –, il faut prendre en compte le cas des territoires entièrement clos. À ce titre, il reste un grand travail à accomplir en aval, avec les décrets d’application, qu’il s’agisse de l’affouragement, de l’agrainage ou d’autres sujets. Nous entamerons bientôt cette nouvelle étape, en concertation avec les services du ministère.
Espérons que cet article puisse être voté très vite par l’Assemblée nationale : il ne compte que quatre lignes ! Si nos collègues députés se rallient à la rédaction que nous avons adoptée en commission, ce texte que tout le monde attend sera mis en œuvre très vite.
Je réitère mes remerciements au Gouvernement. Je remercie également Richard Ramos – nous avons beaucoup travaillé ensemble –, Laurent Somon, notre rapporteur poète (Sourires.), qui, s’il n’est pas chasseur, est originaire d’un département où la chasse est une institution, les membres du groupe d’études Chasse et pêche, Annie Charlez – elle doit être en tribune –, ancienne directrice juridique de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), qui a apporté une contribution fondamentale à la rédaction des différents articles, ainsi que tous les services impliqués dans l’élaboration de ce texte.
De ce travail intense, mené en équipe, c’est la biodiversité et la faune sauvage qui sortent vainqueurs ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer à mon tour Jean-Noël Cardoux, à qui nous devons cette proposition de loi : elle est le fruit d’un travail intense, qui aboutit à un résultat consensuel.
Cette proposition de loi est très attendue et largement soutenue par les associations, notamment par la Fédération nationale des chasseurs (FNC). Il s’agit d’un texte important et courageux, dont la qualité s’est confirmée lors des échanges en commission.
Ce travail constructif, collégial et transpartisan a été couronné de succès en première lecture, ce texte ayant été adopté à l’unanimité dans nos deux assemblées.
Je salue également le travail accompli par le rapporteur, Laurent Somon.
Ensemble, nous nous sommes accordés sur des mesures justes et équilibrées pour réguler et limiter le développement de l’engrillagement. Cette pratique néfaste est, en effet, en pleine expansion. Elle frappe désormais un certain nombre de territoires, à commencer par la Sologne, où 3 000 à 4 000 kilomètres de clôtures ont été érigées.
La beauté de cette région a été chantée par Maurice Genevoix, dont la voix résonne encore dans mon département de la Meuse, pour d’autres raisons. Dans son ouvrage Raboliot, qui lui valut le prix Goncourt, il dépeint ainsi la Sologne, ses étangs, ses chaumes, la fulgurance des odeurs.
Mes chers collègues, en votant ce texte, nous nous inscrirons aujourd’hui dans la droite ligne d’une chasse éthique, respectueuse de la faune, de la flore et des traditions ancestrales. Les valeurs qui les animent sont précisément celles que nous défendons au sein du groupe d’études Chasse et pêche du Sénat (M. Jean-Noël Cardoux le confirme.), dont vous êtes le président, monsieur Cardoux.
Plusieurs modifications notables ont été introduites par l’Assemblée nationale. Je pense notamment à la rétroactivité, fixée à l’année 1992. En outre, pour ce qui concerne la mise en conformité des clôtures, les députés ont retenu comme date butoir le 1er janvier 2027, ce qui assure la solidité juridique du dispositif.
L’Assemblée nationale a également remanié le texte en y ajoutant un article 5, qui interdit l’agrainage et l’affouragement en enclos. Cette disposition soulève toutefois une difficulté. En effet, elle est source d’iniquité entre les territoires déjà ouverts et ceux qui le seront par la future loi.
Ce problème a été résolu en commission, par un amendement de M. le rapporteur tendant à confirmer le principe de l’interdiction tout en ouvrant un certain nombre d’exceptions, qui seront encadrées par décret.
Ces évolutions vont dans le bon sens. Elles témoignent de débats sereins et constructifs avec l’ensemble des forces politiques, qui font honneur au Parlement.
La proposition de loi adoptée en première lecture au Sénat et à l’Assemblée nationale garantit la liberté de circuler tout en mettant l’accent sur la protection de la biodiversité et en protégeant le droit de propriété.
Ce texte relève un autre défi : préserver un équilibre entre défense de la propriété privée et lutte contre l’engrillagement des espaces naturels. En effet, il sanctuarise le respect de la propriété privée en durcissant les sanctions en cas d’intrusion illégale, même si l’Assemblée nationale a rétrogradé la contravention prévue de la cinquième à la quatrième classe.
Il est important de rappeler que la forêt et le foncier agricole ne sont en aucune manière des biens communs : détenus par des propriétaires, ils sont le fruit de leur engagement et de leur travail.
Cette proposition de loi permet aussi de répondre aux problèmes causés par les pratiques abusives d’engrillagement, qui créent de graves difficultés, notamment en matière sanitaire. L’absence de brassage entre les espèces, qui ne peuvent plus circuler librement, engendre des hausses de consanguinité et un certain nombre de maladies.
Enfin, la prolifération des clôtures aggrave les risques d’incendie, les pompiers se trouvant parfois dans l’impossibilité d’accéder à certaines parcelles. Le réchauffement climatique que nous vivons nous rappelle l’importance de ces enjeux.
Pour toutes ces raisons, les élus de notre groupe se prononcent évidemment en faveur de ce texte, tel qu’il a été modifié par l’Assemblée nationale, puis par le Sénat en commission. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le constat est unanime : l’engrillagement est un véritable fléau pour nos territoires ruraux et pour la faune. Non seulement il entrave la libre circulation des animaux, mais il entraîne souvent une surpopulation artificielle de gibier, dont découlent des problèmes sanitaires et des effets négatifs pour tout l’écosystème, qu’il s’agisse de la faune ou de la flore.
Je me félicite donc de cette proposition de loi et du travail constructif d’amélioration mené de concert par l’auteur du texte et les rapporteurs du Sénat et de l’Assemblée nationale.
J’avais proposé en première lecture un amendement, malheureusement rejeté, visant à réduire le délai de mise en conformité de sept à cinq ans : finalement, un délai de quatre années a été retenu. (M. le rapporteur rit.) C’est une excellente décision, qui permettra l’application rapide de ce texte et qui démontre une véritable volonté d’agir. Resteront les enclos antérieurs à 1992, ce que nous ne pouvons que regretter, exception faite, bien entendu, des enclos dits patrimoniaux.
Je me félicite également de l’interdiction, introduite dans ce texte, de l’agrainage et de l’affouragement dans les enclos hermétiques. Une interdiction plus générale eût été préférable, même si je comprends que cette technique puisse perdurer exceptionnellement dans une logique de protection des cultures.
Toutefois, madame la secrétaire d’État, j’appelle votre attention sur ce point : les exceptions dont il s’agit, et qui seront encadrées par décret, devront être strictement limitées. N’oublions pas que le nourrissage participe de l’explosion démographique des populations de grand gibier et que l’on justifie ensuite leur chasse par cette prolifération, au motif que ces animaux sont devenus des nuisibles.
Se pose également la question des contrôles. Comment faire en sorte que l’agrainage et l’affouragement ne soient plus pratiqués dans les enclos ? Qui s’en assurera ? Ce sont là de véritables questions.
Je me dois à présent d’ajouter quelques bémols.
Je pense notamment à l’article 2, qui crée une contravention de quatrième classe pour pénétration dans une propriété privée rurale ou forestière. Si l’ajout d’un critère de matérialisation physique des limites d’une propriété privée permet de prévenir tout risque d’infraction involontaire, j’ai été alerté sur le fait que les chasseurs pourraient continuer à pénétrer des propriétés privées au prétexte du passage des chiens de chasse et de leur récupération. À ce titre, il faut à tout prix éviter le « deux poids, deux mesures ». (Mme la présidente de la commission manifeste sa circonspection.) Cette situation pourrait susciter des conflits : aussi un éclaircissement semble-t-il nécessaire.
Enfin, ce texte fait l’impasse sur la chasse commerciale en enclos de manière générale. Or nous ne pourrons pas esquiver le débat quant à cette pratique, jusqu’alors méconnue, mais qui n’est pas pour autant anecdotique : je rappelle qu’elle concerne environ 1 300 parcs et enclos, détenant au total 50 000 à 100 000 animaux – en majorité des cerfs, des chevreuils, des mouflons et des daims.
C’est la question de l’éthique de cette pratique qu’il faut se poser. Je sais que l’auteur de cette proposition de loi est très attaché à l’éthique de la chasse et, à mon sens, il s’agit là d’un vrai sujet. Il faut compter 500 euros pour tirer sur un mouflon, 600 euros pour abattre un daim, le sanglier étant, lui, coté autour de 300 euros. Ces safaris organisés sans aucune logique de régulation ne sont plus acceptables aujourd’hui. Nous devrons bel et bien nous pencher sur ce problème.
Malgré ces quelques réserves, ce texte permet des évolutions indéniables et j’en remercie une nouvelle fois son auteur. Il participe à la fois à une reconquête du paysage et à la libre circulation de la faune sauvage : les élus du groupe écologiste le soutiendront.
Lorsque des jours sans chasse auront été édictés nationalement,…
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Oh là là…
M. Laurent Somon, rapporteur. Vous ne pouviez pas ne pas le dire !
M. Daniel Salmon. … nous aurons fait un grand pas vers le retour de la sérénité, dans nos forêts et sur nos chemins ruraux.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Nous avons le droit de ne pas être d’accord !
Mme le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dès le début de l’examen de ce texte en séance publique, au mois de janvier dernier, nous avons été nombreux sur ces travées à souligner la menace que l’engrillagement faisait peser sur la biodiversité et, plus largement, les problèmes environnementaux qu’il suscitait.
En limitant, voire en empêchant la libre circulation de la faune sauvage, cette pratique entrave la satisfaction par les différentes espèces de leurs besoins écologiques essentiels. Elle peut nuire à leur reproduction ou, à l’inverse, à l’intérieur des parcs et enclos, conduire à une surconcentration d’espèces aggravant les risques sanitaires et menaçant la flore.
Depuis la première lecture de ce texte au Sénat, la France a connu une importante vague de chaleur, directement imputable au réchauffement climatique. Cette dernière s’est traduite dans plusieurs régions par des incendies de forêt d’une ampleur inédite.
Si la problématique de l’engrillagement est intimement liée à la pratique de la chasse, ces récents événements légitiment d’autant plus l’encadrement de ce phénomène, tant la présence de clôtures peut se révéler un frein à l’intervention des services de secours.
Les membres du groupe RDPI et moi-même tenons à saluer l’esprit de coconstruction qui a marqué l’examen de cette proposition de loi. Le texte auquel nous parvenons parvient ainsi à concilier différents intérêts qui, sur ce sujet, pouvaient sembler inconciliables.
Le Gouvernement, en coordination avec l’auteur de cette proposition de loi, Jean-Noël Cardoux, le rapporteur pour le Sénat, Laurent Somon, et les rapporteurs pour l’Assemblée nationale, François Cormier-Bouligeon et Richard Ramos, a su faire évoluer efficacement ce texte.
Mes chers collègues, deux points ont fait plus particulièrement l’objet de discussions : d’une part, la définition des clôtures visées par l’obligation de mise en conformité ; d’autre part, l’agrainage et l’affouragement en enclos.
Pour ce qui concerne les clôtures, les deux assemblées sont parvenues à un consensus : ne seront visées que les clôtures postérieures à 1992. Ce choix n’entraîne pas de remise en cause fondamentale du droit de propriété, puisque les propriétaires non concernés par l’obligation de mise en conformité sont supposés bénéficier de la protection de la prescription trentenaire.
La mesure relative l’agrainage en espace clos, votée par l’Assemblée nationale, a été légèrement modifiée par notre rapporteur : celui-ci a à la fois confirmé et précisé le champ d’application de l’interdiction tout en ouvrant la voie à des exceptions, qui seront définies par décret.
Hormis cette précision, le Sénat a approuvé les avancées adoptées par l’Assemblée nationale. Voilà qui nous laisse espérer une entrée en vigueur rapide du texte, pour que ces espaces forestiers, trop longtemps défigurés, puissent enfin entamer un nouveau chapitre.
Les sénateurs du groupe RDPI voteront donc ce texte, porteur d’une avancée significative en faveur de la biodiversité.
Saluons encore une fois le travail réalisé par son auteur ainsi que par son rapporteur. Tous ont avancé de façon pragmatique, animés par un seul objectif : redonner du sens à la forêt, ne serait-ce que pour préserver des joies aussi simples que la traversée sans entrave de ces espaces sauvages. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Christian Redon-Sarrazy. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons été appelés à examiner en deuxième lecture, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.
Preuve qu’elle répondait à une problématique observée sur de nombreux territoires, cette proposition de loi est devenue un texte transpartisan, soutenu par plusieurs groupes politiques du Sénat, où elle a été adoptée à l’unanimité en commission et en séance publique en première lecture. Elle a d’ailleurs connu le même sort à l’Assemblée nationale.
Les députés ont néanmoins apporté quelques modifications, qui, si elles ne remettent pas en cause l’esprit du texte voté au Sénat, ont nécessité un nouvel examen.
Pour rappel, cette proposition de loi a émergé en réponse au développement incontrôlé des clôtures en milieu naturel, en d’autres termes de l’engrillagement, observé singulièrement dans le pays de grande Sologne. Ce phénomène rompt avec l’obligation pour les propriétaires et gestionnaires d’espaces naturels d’assurer la libre circulation de la faune sauvage dans le cadre des trames vertes et bleues.
De plus en plus de propriétaires installent des enclos de chasse sur leurs parcelles en édifiant des clôtures de plus de 1,80 mètre imperméables au passage de l’homme et des animaux.
Non seulement ces enclos dégradent le couvert forestier, mais ils nuisent à la continuité écologique et à la biodiversité. J’ajoute qu’ils ne respectent pas les usages locaux.
Comme le spécifiaient, dans leur rapport du mois d’août 2019, le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), ces enclos hermétiques « sont un non-sens cynégétique […] et échappent partiellement au contrôle des élus et de l’État sur des interprétations juridiques discutables ».
Il s’agit bien là de pratiques d’accaparement conduisant à la privatisation et à la perturbation de l’espace naturel et public. Elles heurtent aussi bien les usagers et les élus que les chasseurs eux-mêmes.
Ces espaces permettant la pratique de la chasse sans interruption saisonnière, sans contrôle possible des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) et sans plan de chasse sont donc des zones de non-droit, qui privatisent des espaces issus de notre patrimoine commun.
La prolifération de ces parcs de chasse privés était devenue intolérable et démontrait bien que les seules dispositions du code de l’urbanisme, inscrites dans les plans locaux d’urbanisme (PLU) ou dans les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi), étaient insuffisantes pour permettre aux maires ruraux de lutter contre leur édification.
Il nous a donc fallu légiférer pour les doter d’un indispensable arsenal législatif.
L’Assemblée nationale a ainsi précisé, en première lecture, un certain nombre de dispositions, sans remettre en cause la philosophie de la proposition de loi.
L’article 1er a été sensiblement enrichi. Il précise désormais les types de clôtures interdites et autorisées. En outre, son champ d’application a été élargi à toutes les zones naturelles ou forestières, et ne concerne plus seulement celles qui sont situées dans des trames verte et bleue.
Par ailleurs, le délai de mise en conformité passe désormais de sept ans – avancée obtenue par le Sénat – à cinq ans, contre dix ans dans le texte initial de la proposition de loi. À cela s’ajoute un autre progrès : les nouvelles règles s’appliqueront aux clôtures édifiées dans les trente années précédant la promulgation de la présente proposition de loi. Cette extension du délai de prescription permettra ainsi de mettre en conformité un plus grand nombre de parcs de chasse.
En revanche, il reste permis de se demander, ainsi que je l’ai déjà signalé en première lecture, qui appréciera l’antériorité de la construction des clôtures : les services de l’État ou bien le ou les maires des communes concernées ? Les risques de connivence avec le propriétaire sont une possibilité que nous ne pouvons exclure ! Voilà un flou juridique que le Parlement n’a pas su éclaircir.
J’aborderai deux sujets qui suscitent encore un certain nombre de réflexions.
L’Assemblée nationale a introduit un article 5 – nous l’avons déjà largement évoqué – visant à interdire l’agrainage et l’affouragement dans les enclos sauf exception. Cet article modifie le code de l’environnement en précisant que l’agrainage et l’affouragement sont interdits dans tous les espaces clos. Il prévoyait initialement quatre exceptions : cette interdiction ne s’appliquait pas dans un cadre scientifique ; au sein des enclos créés pour la protection des cultures et des régénérescences forestières, ainsi que pour le maintien du bétail ; au sein des établissements de chasse à caractère commercial disposant d’un enclos. En séance publique, seule l’exception pour l’agrainage et l’affouragement menés dans un cadre scientifique a été finalement retenue par les députés.
Dans sa rédaction actuelle, cette interdiction aura donc une portée assez large, que le rapporteur a néanmoins souhaité redéfinir.
J’émettrai quelques réserves sur d’autres points. Je pense en particulier aux dérogations prévues à l’article 1er. L’Assemblée nationale a maintenu les dérogations prévues par le Sénat et en a ajouté d’autres. Celles-ci s’élèvent donc désormais à neuf.
J’en citerai deux : les clôtures des parcs d’entraînement, de concours ou d’épreuves de chiens de chasse et les clôtures nécessaires au déclenchement et à la protection des régénérations forestières. Pour autant, comment s’assurer qu’une parcelle déclarée comme « parc d’entraînement de chiens de chasse » ne soit pas détournée de son usage originel afin d’être transformée en parc de chasse ? Combien de temps doit-on maintenir une clôture qui est indispensable à la régénération forestière ? Qui s’assurera de sa conformité avec les dispositions de la présente proposition de loi ? Comme toujours, il faut poser la question du contrôle et des moyens afférents à celui-ci.
Hormis ces quelques réserves, mon groupe politique partage la position du rapporteur, qui propose un vote conforme sur l’ensemble des articles, à l’exception de l’article 5, qui est le seul point de désaccord demeurant à l’issue de la navette parlementaire.
De nombreuses questions relatives à la mise en application de cette proposition de loi restent en suspens.
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Christian Redon-Sarrazy. Pour autant, félicitons-nous d’avoir déjà pu obtenir de grandes avancées pour encadrer cette dérive d’accaparement des espaces publics et naturels.
En conséquence, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
Mme le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)
Mme le président. La séance est reprise.
6
Déroulement des élections sénatoriales
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, les explications de vote et le vote sur la proposition de loi sur le déroulement des élections sénatoriales (proposition n° 46, texte de la commission n° 154, rapport n° 153).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
Texte élaboré par la commission
Mme le président. Je donne lecture du texte élaboré par la commission.
proposition de loi sur le déroulement des élections sénatoriales
Article 1er
L’article L. 306 du code électoral est ainsi modifié :
1° Les mots : « à L. 52-3 » sont remplacés par les mots : « et L. 52-3 » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de second tour, l’article L. 49 n’est pas applicable entre la proclamation des résultats du premier tour et l’ouverture du second tour. »
Article 1er bis (nouveau)
À la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 52-4 du code électoral, les mots : « à la date du » sont remplacés par le mot : « au ».
Article 2
La présente loi est applicable sur tout le territoire de la République.
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au rapporteur de la commission, puis au Gouvernement pendant sept minutes et, enfin, à un représentant par groupe pendant cinq minutes.
La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Hervé Marseille applaudit également.)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par François-Noël Buffet vise un objectif clair et précis : remédier aux difficultés constatées lors du scrutin sénatorial du mois de septembre 2020, afin de garantir, à l’avenir, le bon déroulement des élections sénatoriales.
Comme vous le savez, la loi du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral a étendu aux élections des sénateurs l’ensemble des règles applicables aux autres scrutins en matière de propagande électorale.
Cette loi est entrée en vigueur au mois de juin 2020, si bien que les élections du 27 septembre 2020 ont été le premier scrutin concerné par son application.
Ce scrutin a toutefois révélé deux types de difficultés : des interdictions relatives, d’une part, à la communication des résultats, d’autre part, à la propagande électorale.
Je rappelle que l’article L. 49 du code électoral interdit de mener toute action de propagande la veille et le jour du scrutin, tandis que l’article L. 52-2 du même code interdit de communiquer les résultats de l’élection en métropole, avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain.
L’application de ces deux articles s’est révélée problématique dans le cas des élections sénatoriales. Ce sont les seules élections – c’est leur singularité –, où peuvent avoir lieu deux tours de scrutin dans la même journée ; c’est le cas dans les circonscriptions où l’élection se déroule au scrutin majoritaire, qui correspondent aux circonscriptions où sont élus un ou deux sénateurs – cinquante-deux, à l’échelle nationale. Le premier tour de scrutin est ainsi ouvert de huit heures trente à onze heures, tandis que le second tour est ouvert, le cas échéant, de quinze heures trente à dix-sept heures trente.
Dans ces départements, les candidats qualifiés pour le second tour se sont donc trouvés, en 2020, dans une situation pour le moins incongrue, puisqu’il leur était strictement interdit de faire campagne entre les deux tours !
Par ailleurs, dans les départements concernés par le scrutin majoritaire, l’embargo sur les résultats imposé jusqu’à dix-sept heures trente a semblé tout aussi incompatible avec la nécessité de communiquer les résultats du premier tour dès la fin de la matinée, en tout état de cause avant l’ouverture du second tour de scrutin. Ainsi, même quand l’élection avait été acquise dès le premier tour, les résultats ne pouvaient pas être communiqués.
Dans ces conditions, il n’a donc guère été surprenant que, en dépit de l’embargo posé et des actions de communication menées à cette fin, des « fuites » dans les résultats aient été constatées avant dix-sept heures trente, qui émanaient de sites internet, de réseaux sociaux et d’organes de presse locale.
Ainsi, la commission des lois a jugé que les aménagements ponctuels aux modalités de propagande et de communication des résultats étaient bienvenus. C’est du reste ce que vise à permettre cette proposition de loi, d’abord en dérogeant à l’article L. 49 du code électoral pour la seule période de l’entre-deux-tours, ce qui paraît être une mesure de bon sens. Ainsi, les candidats qualifiés pour le second tour seraient de nouveau autorisés à faire campagne – distribuer des tracts, envoyer des messages, procéder à des appels téléphoniques en série ou encore tenir des réunions électorales durant cette période…
Du reste, la commission a souligné que cette disposition ne remettrait nullement en cause l’interdiction de mener des actions de propagande, laquelle continuerait de prévaloir non seulement la veille de l’élection dans chaque circonscription, ainsi que durant toute la journée de l’élection pour les départements concernés par le scrutin proportionnel, mais également le matin du jour de l’élection pour ceux qui sont concernés par le scrutin majoritaire.
La commission a également noté que la dérogation visée ne remettrait pas davantage en cause l’interdiction d’introduire tardivement des éléments nouveaux de polémique électorale, prévue par l’article L. 48-2 du code électoral.
Ensuite, il paraît pertinent de rétablir la possibilité de communiquer les résultats en métropole dès leur proclamation, indépendamment du fait que des bureaux de vote soient encore ouverts dans d’autres départements métropolitains. La communication des résultats pourrait ainsi s’effectuer de nouveau au fil de l’eau, ainsi qu’on l’observait avant le scrutin de 2020.
Enfin, nous avons souhaité clarifier la question du remboursement des dépenses à visée électorale engagées durant la période de l’entre-deux-tours par les candidats qualifiés pour le second tour.
La lettre actuelle de l’article L. 52-4 du code électoral ne permet pas, en effet, de considérer comme des dépenses électorales celles qui sont engagées le jour même de l’élection. En toute rigueur, les dépenses engagées durant l’entre-deux-tours des élections sénatoriales ne sont donc pas éligibles au remboursement forfaitaire de l’État.
C’est pourquoi nous avons estimé qu’il était indispensable d’adapter la rédaction de l’article L. 52-4 du code électoral à la spécificité du scrutin sénatorial, l’objectif étant de garantir, sans ambiguïté, l’éligibilité au remboursement des dépenses engagées entre les deux tours de scrutin, lorsque ceux-ci ont lieu le même jour.
Bien évidemment, l’éligibilité au remboursement ne signifie pas le remboursement effectif : il reviendra in fine à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) de vérifier, lors de l’examen des comptes de campagne, que la dépense en question revêt bien un caractère électoral et qu’elle s’accompagne des justificatifs requis.
Mes chers collègues, voilà les dispositions du texte de la proposition de loi, tel qu’il est issu des travaux de la commission. Il permettra de garantir le bon déroulement des élections sénatoriales à venir.
En toute logique, ce texte a vocation à entrer en vigueur avant la prochaine échéance électorale du mois de septembre 2023, qui visera, comme vous le savez, à renouveler cent soixante-dix sénateurs de la série 1. Il reviendra, bien sûr, au ministère de l’intérieur d’intégrer le changement des règles induit aux futurs circulaires et guides prévus à l’attention des candidats et des services des préfectures.
Dans ces conditions, chers collègues, la commission des lois vous propose d’adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Maryse Carrère et M. Jean-Yves Roux applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur le déroulement des élections sénatoriales, dont l’auteur est M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Ce texte a reçu un avis unanimement favorable en commission.
Je veux vous dire, au regard de mes nouvelles fonctions, toute l’importance que j’attache à la qualité de nos relations, que nous mettons au service des collectivités, des territoires et de nos concitoyens.
Je crois profondément au dialogue, à la possibilité de s’accorder sur les meilleurs compromis et à la nécessité de dégager des consensus. Cette proposition de loi, qui a été présentée en commission, où elle a été adoptée à l’unanimité, en offre d’ores et déjà une bonne occasion !
Ce texte porte sur un sujet sensible, qui touche à la mécanique même de notre démocratie. Il se fonde aussi sur un constat que nous partageons tous : l’inadéquation entre les modifications issues de la loi du 2 décembre 2019 et les particularités du scrutin sénatorial dans notre pays, notamment dans les départements concernés par le scrutin majoritaire à deux tours.
C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis favorable sur l’ensemble des dispositions de cette proposition de loi. Celles-ci permettront de lever l’interdiction de la communication des résultats avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain et de faire campagne entre les deux tours des sénatoriales, lorsque c’est applicable.
Ce sont des mesures de bon sens, qui permettent de corriger les difficultés et les ambiguïtés constatées lors de la première mise en œuvre de ces modifications, à l’occasion du scrutin de 2020.
La communication des résultats dans les départements à scrutin majoritaire, dont le premier tour a été conclusif, a tardivement été repoussée en fin de journée, alors même que les résultats fuitaient déjà dans les médias.
Par ailleurs, l’impossibilité de faire campagne entre les deux tours a présenté le risque de remettre en cause la sécurité juridique des élections sénatoriales, comme a pu le montrer la récente jurisprudence du Conseil constitutionnel.
En définitive, l’objectif est de prendre pour les élections sénatoriales les dispositions qui sont les plus adaptées à leur spécificité, donc aux réalités de nos territoires.
Sur la levée de l’interdiction de la communication des résultats, le Gouvernement n’émet aucune réserve, puisque cela ne risque pas de créer un précédent pour d’autres types de scrutins.
De plus, à propos de la levée de l’interdiction de faire campagne entre les deux tours, je dirai que rendre inapplicable l’article 49 du code électoral ne doit pas, pour autant, conduire à une politisation excessive de l’entre-deux-tours, afin de préserver la neutralité du vote.
C’est pourquoi nous proposons simplement de réitérer aux candidats les dernières recommandations de mesure et de retenue, de niveau infraréglementaire, comme c’était le cas auparavant.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois que ces ajustements techniques sont les bienvenus, à l’horizon du prochain scrutin sénatorial. Je suis convaincue qu’ils susciteront une large adhésion de votre part, au-delà de tout débat passionnel.
Cette proposition de loi va dans le sens de l’intérêt général de notre démocratie et d’une juste prise en compte des caractéristiques du Sénat, la chambre des territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Jean-Claude Requier et Yves Détraigne applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Hervé Marseille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’une spécificité du Sénat, car, en matière électorale, la Haute Assemblée en offre toujours quelques-unes !
Contrairement à l’élection de nos collègues députés, deux modes de scrutin continuent de subsister pour élire les membres de notre assemblée, même si, au fil des réformes, les départements soumis au scrutin majoritaire sont de moins en moins nombreux.
Des dérogations aux règles du code électoral régissant la propagande ont existé, mais elles ont largement disparu depuis les dispositions issues de la loi du 2 décembre 2019, puisque celles-ci visent à rendre applicables aux élections sénatoriales l’ensemble des règles de propagande de droit commun.
Jusqu’en 2014, les élections sénatoriales avaient encore une autre particularité : elles n’étaient toujours pas soumises aux dispositions relatives aux comptes de campagne. Depuis le renouvellement du mois de septembre 2014, nous sommes, là encore, entrés dans le droit commun.
Nous le voyons bien, les particularités sénatoriales en matière électorale subsistent, mais elles se font de plus en plus rares.
La proposition de loi de François-Noël Buffet, dont je tiens, à mon tour, à saluer l’initiative, est une invitation à nous plonger dans l’organisation des élections sénatoriales, à la veille du prochain renouvellement prévu au mois de septembre 2023.
Le rapporteur nous a précisément expliqué en quoi la loi du 2 décembre 2019, présentée sur l’initiative de notre collègue Alain Richard et dont le rapporteur était Arnaud de Belenet, comportait quelques lacunes, ou plutôt quelques difficultés d’application, notamment en ce qui concerne les dispositions relatives à la propagande entre les deux tours dans les départements soumis au scrutin majoritaire.
En effet, il était peu pertinent de continuer à interdire toute propagande entre les deux tours. Grâce au texte que nous nous apprêtons à voter, mes chers collègues, les candidats qualifiés pour le second tour seront de nouveau autorisés à distribuer des tracts, envoyer des messages ou encore tenir des réunions électorales entre les deux tours.
Le deuxième objet de la proposition de loi est d’aménager la règle de l’embargo sur les résultats.
Rappelons-nous que, au mois de septembre 2020, lors du dernier renouvellement sénatorial, nous avons vécu, au Sénat, une séquence assez lunaire : quasiment tout le monde avait connaissance des résultats, au fur et à mesure de la proclamation des candidats élus, mais, ici même, nous ne devions pas en parler – c’était motus et bouche cousue, jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote ! Tout cela était d’une grande hypocrisie…
Grâce au texte adopté en commission, les résultats des premiers tours de scrutin pourraient de nouveau être communiqués dès la fin de la matinée, tandis que les résultats des seconds tours de scrutin et ceux des scrutins à la représentation proportionnelle pourraient être de nouveau diffusés au fur et à mesure de leur remontée depuis les départements.
Je tiens à saluer encore une fois l’initiative de François-Noël Buffet, ainsi que la qualité du travail accompli par la commission des lois sous l’égide de son rapporteur, Stéphane Le Rudulier. Ce dernier nous a permis d’ajouter, en commission, une utile précision sur le sort des dépenses engagées entre les deux tours de scrutin, en cas de journée électorale unique. Il s’agit d’une précision sur l’éligibilité au remboursement des dépenses liées au traditionnel déjeuner républicain d’entre-deux-tours pour les départements au scrutin majoritaire. Madame la ministre, nous vous avons entendue, nous ne faisons pas de politique au Sénat, surtout entre les deux tours : n’exagérons rien ! (Rires au banc des commissions. – Mme la ministre déléguée rit également.)
Tout en conservant les nécessaires spécificités du scrutin sénatorial, l’adoption de ce texte sera de nature à sécuriser juridiquement les prochaines élections en évitant des contentieux inutiles relatifs à la propagande, aux dépenses de campagne entre les deux tours et à la diffusion des résultats.
Sans surprise, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi, tout en appelant l’attention du Gouvernement sur la nécessité d’inscrire au plus tôt ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)
Mme le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est évidemment utile à la vie des démocraties d’adapter et de corriger les règles électorales face aux difficultés ou aux évolutions qu’elles rencontrent dans leur mise en œuvre. Certes, les ajustements techniques ne suffiront jamais à redynamiser la culture citoyenne, mais ils sont tout de même impératifs.
Notre groupe salue donc l’initiative de François-Noël Buffet, qui participe à la préservation de la singularité du scrutin sénatorial.
La loi du 2 décembre 2019 d’Alain Richard a déjà comblé quelques lacunes des règles relatives à la propagande des élections sénatoriales en prévoyant des renvois au code électoral. Ces ajustements étaient bienvenus.
Cela étant, même si je n’étais pas directement concernée, nous avons constaté que le renouvellement du mois de septembre 2020 s’était heurté à des limites dans l’application au scrutin sénatorial de règles de droit commun relatives à la propagande électorale et à la communication des résultats.
Nous avons ainsi relevé deux limites, qui ont déjà été soulignées par les orateurs précédents.
En premier lieu, les règles applicables en matière de propagande électorale aux autres scrutins ont été étendues aux élections des sénateurs. Cela a conduit à un ensemble d’interdictions portant sur la diffusion de tracts, sur l’achat de publicités commerciales dans la presse, ou encore sur la figuration de la photographie sur le bulletin de vote.
En second lieu, l’embargo sur les résultats a été imposé jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote dans le territoire métropolitain, soit à dix-sept heures trente. Cet embargo est apparu en contradiction avec la nécessité de communiquer les résultats du premier tour de scrutin dès la fin de la matinée, donc avant l’ouverture du second tour de scrutin.
Au regard de ces observations, nous sommes donc pleinement favorables aux corrections proposées par l’auteur de cette proposition de loi, puisqu’elles tendent à aménager ces deux dispositifs, afin qu’ils s’accordent mieux aux spécificités du scrutin sénatorial.
La commission des lois a complété l’ensemble des mesures par des ajustements prévoyant d’adapter les règles de financement des dépenses électorales à la spécificité du scrutin sénatorial, visant à rendre éligibles au remboursement les dépenses engagées entre les deux tours de scrutin lorsque ceux-ci ont lieu le même jour.
Tout est à retenir, pourvu que l’on préserve ce qui fait la particularité du Sénat.
La singularité du scrutin sénatorial est l’essence même de notre assemblée. Elle contribue à ce que nous soyons moins exposés aux fluctuations et aux engouements électoraux, parfois volatils.
Ce mode de désignation justifie aussi que, en plus de participer à l’expression de la volonté générale, nous assumions notre rôle constitutionnel de représentation des territoires.
Tous ces mécanismes se reflètent dans nos travaux. Nos désaccords peuvent être profonds ; ils sont toujours débattus avec sérieux. La rigueur ne nous empêche pas d’être vigoureux, mais toujours dans le respect de la diversité des opinions.
Pour conclure mon propos, je citerai un court extrait du rapport présenté le 3 août 1874 par le député Antonin Lefèvre-Pontalis sur ce qui allait devenir la loi du 24 février 1875 instituant le Sénat de la IIIe République : « Une nation est livrée à toutes les surprises et à toutes les aventures, quand les volontés de la majorité numérique des citoyens peuvent faire la loi […]. Il ne faut pas que, si le suffrage universel est tenté de sacrifier les intérêts de la stabilité et de la conservation nécessaire à l’existence d’une société, il puisse faire tout ce qu’il veut. […] Telle est, dans une société démocratique comme la nôtre, l’importance ; il y a plus, telle est la nécessité d’un Sénat. » À quelques mois du renouvellement de notre hémicycle, ces quelques mots m’ont semblé pleins de justesse.
Pour toutes les raisons évoquées, notre groupe votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC. – MM. Guy Benarroche et Marc Laménie applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par François-Noël Buffet que nous examinons aujourd’hui permet d’adapter certaines dispositions du code électoral aux spécificités des élections sénatoriales.
Le rythme régulier des consultations électorales est le signe de la vitalité démocratique. La légitimation de la représentation nationale par la désignation de ses membres au scrutin universel est la base de toute République.
La République française tient aussi sa force de l’équilibre de ses pouvoirs. Sous la Ve République, le bicaméralisme est au cœur de cet équilibre, avec un Parlement composé de deux chambres différentes, complémentaires et désignées toutes les deux au scrutin universel.
La particularité du mode de scrutin sénatorial, outre son caractère indirect, est qu’il assure un renouvellement partiel de ses membres, gage de continuité de nos institutions. Or, lors des dernières élections de la série 2 du 27 septembre 2020, certaines dispositions du code électoral sont apparues comme peu adaptées aux spécificités de la désignation des sénateurs, notamment pour ceux qui sont élus au scrutin majoritaire – 52 circonscriptions étaient concernées en 2020.
En effet, l’organisation des deux tours de scrutin en une seule journée, pour l’élection au scrutin majoritaire, n’est pas compatible avec l’interdiction de faire campagne, aussi bien la veille que le jour même de l’élection.
La deuxième inadéquation entre le code électoral en vigueur et les élections sénatoriales concerne l’annonce des résultats, qui doivent demeurer sous embargo jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote, soit dix-sept heures trente.
Troisième inadéquation, la comptabilisation des frais de campagne ne peut s’étendre à la journée électorale unique, comme l’a souligné Hervé Marseille.
Ces inadaptations sont également liées à la complexification croissante du code électoral ces dernières années. En 2010, la commission des lois du Sénat regrettait déjà la « sédimentation de législations nouvelles » au sein du code électoral et sa perte de cohérence. Malgré la tentative de « recodification » engagée en 2007, le chantier demeure inabouti.
Aussi, la proposition de loi examinée ce jour vise à garantir le bon déroulement des prochaines élections sénatoriales en aménageant les règles de droit commun.
Avec bon sens, elle tend d’abord à autoriser la communication progressive des résultats à l’échelon métropolitain depuis le département dès la fin de la matinée pour le premier tour et, au fur et à mesure pour le second tour, ainsi que pour les scrutins à la proportionnelle.
Il est ensuite proposé de lever l’interdiction absurde aux candidats de faire campagne entre les deux tours de scrutin ayant lieu le même jour, bien éloignée de la pratique, notamment dans les circonscriptions concernées par le scrutin majoritaire. Dans l’optique de ces aménagements ponctuels, une observation pertinente a été soulevée par la commission – notamment par son rapporteur –, qui souhaite maintenir l’interdiction d’introduire tardivement des éléments nouveaux de polémique électorale qui pourraient altérer la sincérité des résultats.
Enfin, sur la proposition de notre rapporteur et dans la logique des aménagements proposés, la garantie de l’éligibilité au remboursement des dépenses engagées entre les deux tours de scrutin dans le cas de la journée électorale unique a été inscrite dans la proposition de loi, par souci de sécurité juridique.
Si la campagne électorale pour les élections sénatoriales est particulière, en raison du mode de désignation spécifique, le bon déroulement du scrutin doit être assuré.
Force est de constater que, si les élus municipaux qui remplissent, pour le compte de l’État et toujours bénévolement, ces formalités de vote ont un véritable savoir-faire en la matière, il n’en est pas toujours de même pour les services de l’État, qui, à chaque scrutin sénatorial, démontrent assez facilement leurs faiblesses organisationnelles.
Alors, madame la ministre, n’hésitez pas à transmettre aux préfectures concernées par le scrutin de 2023 un guide électoral, simple et plein de bon sens, pour faciliter le vote des élus locaux obligés de se déplacer à la préfecture !
Pour toutes ces raisons, mon groupe votera cette proposition de loi, adoptée en commission. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – MM. Guy Benarroche et Yves Détraigne applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que la campagne des prochaines élections sénatoriales approche, nous nous penchons aujourd’hui sur les conditions de ce scrutin.
Trop mal connue par nos concitoyens, mais aussi par les pouvoirs publics, cette élection se déroule selon des modalités particulières. Le Sénat est, en effet, la seule assemblée élue selon deux modes de scrutin différents : majoritaire et proportionnel.
Cela peut sembler étrange, mais cette différence s’explique facilement par la diversité de nos territoires : le département des Hauts-de-Seine, département très urbanisé, n’a pas grand-chose à voir avec celui de l’Aveyron, bien plus rural et beaucoup moins peuplé.
Il est logique que tous les départements n’élisent pas leurs sénateurs de la même manière.
En plus d’être renouvelé par moitié tous les trois ans, le Sénat connaît les seules élections dont les premier et second tours ont lieu dans la même journée.
Ajoutons à cela que nous sommes élus par de grands électeurs, et il est clair que ce ne sera pas évident pour tous les citoyens.
Ces modalités spécifiques rendent les réformes périlleuses. La loi du 2 décembre 2019 s’y est risquée. Si le travail d’Alain Richard est à saluer, quelques difficultés sont apparues « à l’usage », lors du scrutin de 2020.
Ainsi, que les élections sénatoriales aient été soumises à l’interdiction de faire campagne dans l’entre-deux-tours peut paraître anodin, mais cela a tout de même donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel en la matière. Un déjeuner avec des élus locaux a été assimilé à une réunion électorale, avec les conséquences qui lui sont attachées. (Sourires.)
Si l’écart de voix était suffisamment important pour que la validité du scrutin ne soit pas remise en question, il est clair qu’une telle situation doit être sécurisée. En effet, avant la loi du 2 décembre 2019, il n’était pas interdit aux candidats qualifiés pour le second tour de faire campagne dans l’entre-deux-tours.
Si la proposition loi de François-Noël Buffet acquiert force de loi, il sera de nouveau possible de tenir une réunion électorale, de distribuer des tracts ou encore d’appeler ou d’écrire aux grands électeurs dans l’entre-deux-tours. Les dépenses de campagne de l’entre-deux-tours seront également éligibles au remboursement.
L’autre sujet révélé par les élections de 2020 concerne la publication des résultats. La loi de 2019 a imposé, pour la communication des résultats de la métropole, d’attendre la fermeture de l’ensemble des bureaux de vote de celle-ci.
Cela a bousculé les habitudes en la matière, sans que ces nouvelles règles se justifient pour ces élections particulières que sont les élections sénatoriales. Au reste, le dernier scrutin a donné lieu à un grand nombre de fuites sur les réseaux sociaux, mais aussi par une presse accoutumée à diffuser les résultats à mesure que ceux-ci étaient acquis.
Le texte que nous examinons aujourd’hui prévoit que l’on revienne aux règles précédentes, permettant de publier les résultats des départements dès que ceux-ci seront connus.
Ces dispositions emportent, me semble-t-il, l’assentiment général. Les groupes de notre assemblée s’y sont montrés favorables et le Gouvernement a apporté son soutien à l’adoption de ce texte lors de la procédure de législation en commission.
Afin que ces quelques correctifs soient appliqués à temps pour les prochaines élections, nous devons agir vite. Il reviendra au Gouvernement d’inscrire au plus vite cette proposition à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale.
En plus de nous permettre de mettre en lumière un scrutin trop méconnu de la plupart de nos concitoyens – ils n’y participent pas tous –, ce texte peut être l’occasion d’une réflexion plus profonde.
Alain Richard a maintes fois appelé l’attention sur le fait que le code électoral était de moins en moins praticable. En 2019, nous avons pu constater que la législation en la matière résultait d’une sédimentation de réformes et manquait d’une vision d’ensemble cohérente.
Il est temps d’envisager une refonte du code électoral pour donner à notre législation davantage de lisibilité et de simplicité. Je suis convaincu que cela améliorera son application, diminuera le nombre de contentieux et, accessoirement, simplifiera la vie de tout le monde.
L’ensemble des membres de mon groupe votera, bien sûr, en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées des groupes RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis sincèrement de l’excellence de tous les orateurs qui sont intervenus avant moi et je me réjouis plus encore quand je vois les noms de ceux qui me succéderont. Nous avons formé une dream team pour ce texte ! (Sourires.) Je pense que, par nos prises de parole, nous allons faire avancer profondément notre régime démocratique.
Nous sommes à cette occasion de vrais maîtres dans l’art de la paraphrase : nous allons parvenir à dire exactement la même chose, mais pas de la même façon, ce qui est déjà un exploit. (Nouveaux sourires.)
Le second exploit est que, pour la première fois, je réussirai peut-être à respecter le temps de parole qui m’est imparti, ce qui m’est toujours un peu compliqué… (Rires.)
Mme le président. Je m’en occupe, mon cher collègue !
M. Guy Benarroche. Vous connaissez la position de notre groupe sur l’importance des temps démocratiques, dont les élections constituent un point d’orgue.
Les élections sénatoriales qui nous ont conduits sur ces travées ont une spécificité. En effet, ce scrutin a comme particularité de se dérouler selon deux modalités différentes selon le nombre de sièges à pourvoir.
François-Noël Buffet, l’excellent président de notre commission des lois et auteur de ce texte, l’a rappelé : dans les départements ne désignant qu’un ou deux sénateurs, le scrutin majoritaire à deux tours se déroule dans une seule et même journée. Le premier tour est clos à onze heures, le second tour est en général ouvert dans l’après-midi.
L’autre modalité, dans les autres départements, est celle d’un scrutin de liste à la représentation proportionnelle à un seul tour. C’est ce dernier qui nous a valu, au rapporteur et à moi-même, d’être élus dans les Bouches-du-Rhône.
Lors des dernières élections, plusieurs problèmes sont apparus dans l’application de la loi de décembre 2019, que ce texte amende.
La première difficulté est l’impossibilité officielle de l’utilisation de ce que l’on appelle généralement le « matériel de campagne » – comme les bulletins de vote, les e-mails de propagande électorale, etc. – entre les deux tours.
À juste titre, notre commission a acté que cette interdiction serait contraire à la sécurité juridique des élections sénatoriales et proposé sa levée – cela rend possibles la tenue de réunions entre deux tours, la distribution de propagande plus en phase avec la spécificité du scrutin… –, tout en rappelant le besoin de respecter l’interdiction de nouveaux éléments de polémique électorale.
Les travaux de notre commission ont encadré cette nouvelle propagande, rendant possible l’éligibilité des dépenses engagées lors de l’entre-deux-tours, qui peuvent être importantes. En particulier, nous pensons qu’il nous faut rester vigilants sur les montants des dépenses entre les deux tours, qui ne doivent pas être réservées à l’organisation d’agapes.
La seconde difficulté a été relevée lors des dernières élections sénatoriales. Elle est liée à la communication au public des résultats, qu’ils soient partiels ou définitifs, avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain. Je ne parle pas ici, monsieur le rapporteur, de la métropole d’Aix-Marseille-Provence, je ne voudrais pas créer de polémique ! (Sourires.)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Je n’ai rien dit ! (Nouveaux sourires.)
M. Guy Benarroche. Cette interdiction semble outrepasser le bon sens : comment justifier que, toujours dans le cadre des scrutins à deux tours, les résultats du premier tour soient proclamés, mais non publiés ? La non-publicité avant le second tour pose un problème réel et sérieux dans le déroulement du scrutin.
Ce texte prévoit de rectifier cette problématique et va même plus loin en permettant, pour l’ensemble des scrutins sénatoriaux et l’ensemble du territoire, une diffusion progressive, au fur et à mesure de leurs remontées par les départements.
Voilà, mes chers collègues, un texte qui, quoique très spécifique, répond à une problématique réelle et dont la mise en œuvre avant les prochaines échéances sénatoriales de l’année prochaine permettra une consolidation de notre socle démocratique.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’associera bien entendu à une révision des règles équilibrée, au plus près de la réalité du terrain. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, UC et Les Républicains. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au mois de mars 2019 et sur proposition d’Alain Richard, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à clarifier certaines dispositions du droit électoral, notamment celles qui sont relatives aux comptes de campagne.
Plusieurs modifications étaient nécessaires, car la sédimentation de législations nouvelles successives avait rendu le droit électoral peu clair, voire incohérent, pour les candidats aux différentes élections.
Composé initialement de huit articles, le texte a été enrichi puisque la loi promulguée au mois de décembre 2019 contient quinze articles. Tous éclairants, ces articles laissent néanmoins apparaître deux difficultés pour l’élection sénatoriale.
Ces difficultés nous concernent tous, mes chers collègues. Elles ont opportunément été relevées par François-Noël Buffet, que je tiens à mon tour à remercier de son initiative.
Comme l’a précisé le rapporteur, l’application aux élections sénatoriales des règles relatives à la propagande électorale et à la communication des résultats, en particulier dans les départements concernés par le scrutin majoritaire, a montré plusieurs limites lors du dernier scrutin du mois de septembre 2020.
En effet, l’interdiction de communication des résultats s’est révélée peu adaptée aux spécificités de l’élection sénatoriale, seule élection durant laquelle, pour les sénateurs élus au scrutin majoritaire, deux tours de scrutin peuvent se dérouler le même jour.
Ensuite, les candidats qualifiés pour le second tour se sont trouvés dans l’impossibilité de faire campagne entre les deux tours du scrutin, conformément à l’article L. 49 du code électoral, qui prévoit l’interdiction de mener des actions de propagande la veille et le jour de l’élection.
Cette difficulté a été confortée par la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, lequel a considéré qu’un déjeuner organisé entre le premier et le second tour de l’élection auquel étaient conviés les grands électeurs du département devait être « regardé comme une réunion électorale » au sens des dispositions de l’article L. 49 du code électoral.
Ainsi, adoptée et enrichie par la commission des lois, la proposition de loi permettra aux candidats, dans les départements soumis au scrutin majoritaire, de faire campagne, par exemple par la tenue d’une réunion électorale, entre les deux tours du scrutin. Elle supprimera également l’embargo sur les résultats applicable jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote de métropole.
Sur proposition du rapporteur, Stéphane Le Rudulier, dont je salue le travail, la proposition de loi prévoira l’éligibilité au remboursement des dépenses engagées entre les deux tours de scrutin lorsque ceux-ci ont lieu le même jour.
Est également prévue l’application des dispositions du texte dans les cinq collectivités régies par l’article 74 de la Constitution – Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Polynésie française –, ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie.
Ces mesures sont bienvenues et la fixation d’un cadre légal clair de ce que peut être une campagne entre les deux tours vient lever toute ambiguïté. Aussi, le groupe RDPI votera pour cette proposition de loi.
Je me permets de joindre à mon propos les rappels avisés d’Alain Richard sur le principe de toute campagne électorale : la liberté d’expression des candidats avec, comme contrepartie, le contrôle du juge quant à la loyauté de l’expression des uns et des autres. Ce principe, qui prévaut déjà, appelle les candidats à la prudence.
Je veux souligner une règle qui sera encore plus prégnante dans la campagne de l’entre-deux-tours : toutes les dépenses engagées au profit d’un candidat, et non pas forcément par lui-même, sont considérées comme des dépenses de campagne.
Futurs candidates ou candidats à un renouvellement, nous devons collectivement, aux côtés du Gouvernement, rappeler ces principes de base aux candidats avant l’élection.
Mes chers collègues, le Sénat est parfois critiqué, mais, nous le voyons depuis plusieurs mois, il joue un rôle essentiel de stabilisateur, d’approfondissement et de contre-pouvoir. C’est l’un des grands lieux de notre République, où respect et débats apaisés sont de rigueur.
Donnons les moyens aux futurs candidats de mener une campagne avec humilité et responsabilité et dans le respect des valeurs républicaines, dans l’espoir d’exercer ce beau mandat qu’est celui de sénateur. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Éric Kerrouche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à ce stade des explications de vote, je crains bien ne plus avoir grand-chose à dévoiler sur ce texte ! Au demeurant, je vais tâcher de faire encore plus court que Guy Benarroche… (Sourires.)
« Un sénateur, c’est un député qui s’obstine », disait Robert de Jouvenel. Je constate que le président de la commission des lois, François-Noël Buffet, montre l’inverse : il est possible de ne pas s’obstiner, même quand on est sénateur, et de corriger quelques défauts des textes que nous avons vus se dessiner.
Le texte que nous examinons est utile, mais il est purement technique.
Comme cela a été dit plusieurs fois, la loi du 2 décembre 2019 visait à clarifier des dispositions du droit électoral, singulièrement l’article 49 du code électoral, qui concerne les règles de propagande électorale, et l’article 52 du même code, qui concerne la communication des résultats électoraux.
Ces textes ont pour origine des propositions formulées par Alain Richard. Ces dispositions étaient de bon aloi. En effet, comment comprendre qu’il était possible, avant cette loi, de tenir une réunion électorale le samedi, mais que les tracts, les circulaires, les communications électroniques, eux, n’étaient pas possibles ? Il était normal d’imaginer une normalisation du régime de ces communications. C’est ce qu’a fait la loi de décembre 2019. Je le rappelle toutefois, l’extension de ces nouvelles règles s’est faite sur la base d’un simple amendement, sans que nous ayons pu en mesurer l’effet concret.
Les élections sénatoriales sont, comme les élections municipales, l’une des rares élections à connaître deux modes d’élection : l’un pour les départements qui élisent plus de deux sénateurs ; l’autre pour tous les autres, c’est-à-dire ceux qui sont au scrutin uninominal majoritaire.
Il se trouve que la loi est dysfonctionnelle, singulièrement pour les élections au scrutin uninominal majoritaire.
Cette difficulté n’est pas que théorique. Elle est aussi pratique, puisqu’un recours a été porté devant le Conseil constitutionnel, dont la décision du 26 février 2021 montre bien qu’une annulation sur le fondement de la loi de décembre 2019 aurait pu arriver et qu’il convenait, dans la mesure du possible, de revenir sur ce texte.
Il était d’autant plus nécessaire de résoudre l’ensemble des difficultés que nous avons pu constater que l’élection dont nous nous préoccupons aura lieu dans quelques mois.
C’est le sens de la proposition de loi, qui exempte de l’application de l’article L. 49 du code électoral les élections sénatoriales qui se déroulent au scrutin uninominal majoritaire. Si cette exemption est une avancée, encore faut-il que les règles de financement soient également adaptées. À cet égard, l’ajustement trouvé par M. le rapporteur est tout aussi important. Les deux dispositions vont dans le bon sens.
Il en va de même en ce qui concerne la communication des résultats : il est difficile de comprendre qu’il faille attendre l’échéance de dix-sept heures trente pour diffuser, à l’échelon national, les résultats de scrutins qui ont été proclamés localement.
Je remercie le président de la commission des lois de ce texte, qui vient corriger une difficulté technique. Nous demandons au Gouvernement de l’inscrire rapidement à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale, de façon qu’il puisse produire des effets juridiques dès les prochaines élections.
Au reste, s’il est heureux que nous légiférions aujourd’hui sur ce point, nous devrions peut-être plus souvent tenir compte des effets pervers engendrés par la loi, les évaluer et les corriger.
C’est ce que nous faisons aujourd’hui sur un point précis, mais le travail est grand dans tous les domaines. Notre champ d’investigation doit aller plus loin. Nous devons corriger les effets pervers de ce que nous votons ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Guy Benarroche et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a été très bien dit lors de l’examen du texte en commission conformément à la procédure de législation en commission, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne vise pas à repenser l’organisation des élections sénatoriales dans son ensemble ni à remettre en cause la pertinence de l’existence de deux types de scrutin le même jour, selon la taille des départements.
Je crois que l’auteur de ce texte ne m’en voudra pas si j’affirme à cette tribune, avec tout le respect que je lui porte, que cette proposition de loi n’a pas vocation à être révolutionnaire : elle vise, au contraire, à sécuriser et à améliorer le déroulement des élections sénatoriales dans les départements où celles-ci se déroulent au scrutin uninominal.
Comme cela a d’ores et déjà été expliqué, la loi du 2 décembre 2019 a aligné le régime applicable aux élections sénatoriales en matière de campagne électorale sur celui qui est applicable aux autres scrutins. Si cette réforme d’harmonisation était louable, cette extension a posé des difficultés, parce qu’elle n’a pas pris en compte la spécificité du scrutin sénatorial.
Je rappelle que, pour celui-ci, deux tours de scrutin se déroulent le même jour et que deux modes de scrutin s’appliquent selon le nombre de sièges à pourvoir dans chacun des départements. Pour autant, les candidats qualifiés pour le second tour ne sont, en l’état de la loi, pas autorisés à faire campagne entre les deux tours.
Au-delà de ce que nous pourrions qualifier de « paradoxe démocratique », cette interdiction peut remettre en cause la sécurité juridique des élections sénatoriales, comme le démontrent les difficultés rencontrées lors des élections du mois de septembre 2020 et la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel. De fait, l’extension de la disposition du code électoral aux élections sénatoriales s’est révélée peu adaptée aux spécificités de celles-ci.
À cet égard, nous ne pouvons que rejoindre l’auteur de la proposition de loi sur un fait : il est nécessaire de pouvoir faire campagne, par exemple, par la tenue d’une réunion électorale entre les deux tours de scrutin. Cela répond au besoin de garantir une vie démocratique riche en débats et en pluralité.
Ne l’oublions pas, un entre-deux-tours est un moment charnière. Nous en avons tous ici fait l’expérience et nous pouvons convenir qu’il est tout à fait opportun de bénéficier de ce temps politique, pour le moment cloisonné. Nous ne pouvons nier qu’il s’agit de la phase ultime qui fait vivre la démocratie, même s’il appartient à chacun des candidats de s’y employer de la manière dont il l’entend, y compris en fonction de sa personnalité, de la réalité et de l’histoire du département.
Si nous rétablissons et reconnaissons, par cette proposition de loi, la réintroduction d’un temps de campagne entre les deux tours, il faudra, je pense, continuer à travailler afin de formaliser les campagnes sénatoriales pour sécuriser les candidats, mais aussi la démocratie.
Nous saluons l’intégration dans les comptes de campagne des dépenses liées à ce deuxième tour. L’égalité entre les candidats est essentielle afin que les campagnes sénatoriales soient menées de façon équitable.
De plus, la suppression de l’embargo sur les résultats applicable jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote en métropole nous semble aller dans le bon sens, puisque la presse locale et les sites internet relaient déjà les résultats bien avant dix-sept heures. Contrairement aux autres élections, où les premiers bureaux de vote ferment à dix-huit heures et où le délai d’attente, jusqu’à vingt heures, est donc de plusieurs dizaines de minutes, il nous faut là patienter plusieurs heures… Les fuites existant inévitablement, autant légiférer en ce sens.
Je veux faire une remarque avec beaucoup de solennité.
Si l’heure de publicité des résultats pose question, en ce que la règle du code électoral dispose que l’on doit attendre la fermeture du dernier bureau de vote en métropole pour communiquer – règle que nous allons modifier pour la proclamation des premiers tours acquis des élections sénatoriales –, je rappelle que toute dérogation au code électoral doit être réalisée avec parcimonie, sauf à remettre en cause les principes de ce code, qui garantissent aux citoyens la sincérité du scrutin et, au-delà, la confiance qui se crée, lors de l’élection, entre les électeurs et les élus.
Malgré ces différentes réserves – si j’ose appeler ainsi mes remarques –, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera cette proposition de loi, qui facilite l’entre-deux-tours.
Nous ne pouvons que souhaiter bon courage aux dix-huit départements qui seront concernés par ce mode de scrutin l’an prochain ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées des groupes GEST, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi sur le déroulement des élections sénatoriales.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures.)
Mme le président. La séance est reprise.
7
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2022
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2022, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.
Dans le débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le vice-président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec plaisir que je vous retrouve ce soir afin de vous présenter, comme de coutume avant chaque Conseil européen, les principaux points qui y seront abordés. Fidèles à nos traditions, nous échangerons à leur propos.
La guerre en Ukraine continuera d’être le sujet le plus brûlant, mais nous évoquerons également la crise énergétique et la situation économique, ces deux derniers points étant – nous partageons tout ce constat – intrinsèquement liés. J’ai eu l’occasion de le souligner dans cet hémicycle lors de l’examen du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne, le 17 novembre dernier.
La commission des affaires européennes du Sénat a d’ailleurs pu entendre, le même jour, une communication de Patrice Joly intitulée « Le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne au défi de la guerre en Ukraine ».
Le Conseil européen sera par ailleurs marqué par des discussions portant, d’une part, sur la sécurité et la défense, d’autre part, sur notre politique étrangère. Des échanges sont en outre prévus sur les relations avec le voisinage sud, les États-Unis et les Balkans occidentaux. Enfin, il sera précédé d’un sommet entre l’Union européenne et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean).
Comme vous le savez, la situation évolue tous les jours et les positions que je m’apprête à vous exposer sont encore susceptibles de changer à l’aune des événements que vous connaissez et des concertations conduites entre Européens.
La guerre en Ukraine continue, avec la poursuite, ces dernières semaines, d’une stratégie de frappes brutales de la Russie contre les infrastructures civiles et énergétiques ukrainiennes. Affaiblir l’Ukraine par le froid et la faim, c’est la stratégie de Vladimir Poutine. Il faut maintenir notre soutien à l’Ukraine dans toutes ses dimensions et à long terme, l’urgence étant aujourd’hui de permettre aux Ukrainiens de passer l’hiver.
C’est à cette fin que le Président de la République a décidé, avec le président ukrainien Zelensky, d’organiser une conférence bilatérale pour la résilience et la reconstruction de l’Ukraine, le 13 décembre prochain, à Paris, pour répondre aux besoins de court terme dans le domaine de la résilience des infrastructures civiles.
Afin de structurer notre aide financière à l’Ukraine à long terme, la Commission européenne a en outre proposé la mise en place d’un soutien financier à l’Ukraine sous forme de prêts de 18 milliards d’euros pour l’année 2023.
Il n’a pas été possible de trouver un accord aujourd’hui au conseil des ministres de l’économie et des finances, mais nous sommes confiants sur notre capacité à y parvenir avant la fin de l’année, afin que les premiers versements puissent avoir lieu dès le mois de janvier prochain. Il y va de la crédibilité de l’Union européenne et des engagements pris par nos chefs d’État et de gouvernement.
Notre situation énergétique reste préoccupante.
Je salue une nouvelle fois les travaux de la commission des affaires européennes, notamment l’organisation d’une table ronde de haute tenue, le 16 novembre dernier, sur le thème « Ambitions européennes et chocs économiques actuels ».
Nous devons nous appuyer sur tous les règlements adoptés pour accélérer la réduction de notre dépendance à l’égard des énergies fossiles et de la Russie.
Nous saluons les efforts de la Commission européenne, qui a fait trois nouvelles propositions législatives susceptibles de répondre à une partie des enjeux liés à notre sécurité énergétique. Celles-ci permettraient d’agir partiellement sur les prix du gaz, de mettre en place une plateforme d’achats conjoints de gaz et de renforcer notre solidarité énergétique.
Nous nous félicitons aussi qu’un accord politique ait été trouvé lors du Conseil Énergie extraordinaire du 24 novembre dernier, sur les deux règlements présentés les 18 octobre et 9 novembre derniers, même si leur adoption formelle n’interviendra que la semaine prochaine.
L’ensemble de ces mesures ne répond toutefois pas à l’urgence de la situation, en dépit de la nouvelle proposition du 22 novembre dernier portant sur un mécanisme correctif sur le marché du gaz. Ce texte prévoit, certes, une forme de plafonnement sur une partie des prix du gaz, mais dans des conditions excessivement restrictives. Il doit encore gagner en crédibilité et en pertinence dans la situation actuelle, car il est essentiel que nous envoyions un signal fort aux marchés.
Nous devons aller plus loin pour faire baisser les prix du gaz et de l’électricité, le Président de la République l’a demandé au dernier Conseil européen. Nous continuerons donc d’appuyer des mesures permettant de faire baisser les prix à court terme, ainsi qu’à moyen terme, grâce à une réforme du marché de l’électricité.
Il est également impératif que nous apportions des réponses budgétaires coordonnées pour lutter contre l’inflation tout en préservant la croissance. Nous attendons des propositions de la Commission européenne pour avancer sur la mise en œuvre de mécanismes européens de solidarité financière, afin d’éviter toute fragmentation économique entre les États de l’Union européenne.
Le Conseil européen abordera ensuite les enjeux de sécurité et de défense. Le renforcement de l’industrie de défense européenne figure parmi ses priorités, dans la continuité des engagements pris lors du sommet de Versailles.
La Commission européenne a annoncé lundi dernier avoir débloqué un premier financement de 1,2 milliard d’euros du Fonds européen de la défense pour la prochaine génération d’avions de combat, des projets de chars et de navires et le développement de technologies militaires.
Ce sont ainsi 61 projets qui seront cofinancés, afin de « fournir des capacités de pointe à nos forces armées », par le Fonds européen de la défense, qui est doté de 7,9 milliards d’euros pour la période courant de 2021 à 2027.
Il nous faut aller plus loin. Il est nécessaire d’avancer rapidement sur le règlement créant un instrument d’urgence pour faciliter l’acquisition conjointe de matériel militaire, l’Edirpa pour European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act, en cours de négociation, puis sur la construction d’un instrument pérenne, l’Edidp pour European Defence Industrial Development Programme.
Ces instruments sont déterminants pour nous aider à structurer la demande et à donner davantage de visibilité à nos industriels. Ils doivent également être conçus d’une manière qui nous permette de réduire nos dépendances à des technologies et à des chaînes d’approvisionnement contrôlées par des États non européens.
La résilience et la cybersécurité des entités critiques européennes seront aussi à l’ordre du jour.
La palette d’instruments que nous sommes en train d’adopter constituera un pilier de notre stratégie numérique et l’une des clés d’une souveraineté affirmée. Une mise en œuvre rapide et effective sera importante pour notre résistance face aux actes malveillants à l’encontre de nos infrastructures critiques. Ces objectifs ne doivent pas occulter le besoin de renforcer la coopération avec nos partenaires internationaux, en particulier les plus exposés d’entre eux.
Cette coopération doit, plus que jamais, constituer un levier important de notre stratégie en matière de cybersécurité et de résilience.
Enfin, ce Conseil européen sera l’occasion d’assurer la soutenabilité de la facilité européenne pour la paix (FEP). Celle-ci a été mobilisée de manière massive et inattendue pour soutenir l’Ukraine. L’Union européenne a ainsi su utiliser à des fins nouvelles un instrument conçu pour la gestion de crise et l’accompagnement des missions de formation. Nous ne pouvons que nous féliciter de sa capacité d’adaptation.
Aujourd’hui, c’est grâce à la FEP que l’Union européenne est devenue un acteur majeur dans le domaine militaire dans le conflit ukrainien, avec 3 milliards d’euros mobilisés à ce titre. Cela fait toutefois peser un risque sur la soutenabilité de l’instrument, notamment sur sa capacité à continuer de porter son ambition initiale. C’est pourquoi le Conseil européen sera l’occasion d’acter son réabondement, d’une manière qui suive au plus juste les besoins réels.
Le Conseil européen se penchera aussi sur nos relations avec le voisinage sud, en préparation d’un sommet prévu pendant la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, au deuxième semestre 2023. Ces discussions sont importantes. Dans le contexte de l’agression russe en Ukraine, il est essentiel, d’une part, de lutter contre le narratif russe dans la zone, d’autre part, de poursuivre notre soutien à la prospérité et à la stabilité de cette région, dont les soubresauts nous affectent directement.
À Barcelone, le 24 novembre dernier, les ministres de l’Union européenne et des pays du voisinage sud – le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, la Libye, l’Égypte, la Jordanie, le Liban, Israël et la Palestine – ont échangé sur les pistes de coopération pour répondre au double défi posé par l’agression russe en Ukraine : celui de la sécurité alimentaire, mise en péril dans plusieurs pays du voisinage sud, en particulier en Tunisie, au Liban et en Égypte, et qui requiert le maintien de notre action à leurs côtés ; celui de l’énergie, à l’heure où cette guerre vient renforcer l’intérêt de diversifier nos approvisionnements et d’inscrire nos partenariats avec les pays du Sud dans la durée.
L’inscription d’un point concernant le voisinage sud à l’agenda du Conseil européen contribuera à ces objectifs en maintenant la dynamique de l’Union européenne en faveur d’une politique méditerranéenne ambitieuse et positive.
J’en viens aux relations extérieures. Le Conseil européen sera précédé par un sommet entre l’Union européenne et l’Asean, le premier au niveau des chefs d’État et de gouvernement des deux blocs. Il s’agit d’un moment essentiel pour poursuivre l’engagement européen renforcé dans l’Indo-Pacifique et mettre en œuvre le partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’Asean signé en 2020, notamment par des projets financés dans le cadre de l’initiative européenne Global Gateway.
Le Conseil européen devrait enfin revenir sur deux sujets d’actualité. Le premier sujet concerne nos relations avec les États-Unis dans un contexte marqué par l’adoption de l’Inflation Reduction Act ; le second, les relations de l’Union européenne avec les Balkans occidentaux, avec la demande du statut de candidat de la Bosnie-Herzégovine.
S’agissant des États-Unis, d’abord, le Conseil européen intervient après une séquence chargée.
Le Président de la République s’est rendu dans ce pays du 29 novembre au 3 décembre, pour sa deuxième visite d’État à Washington, la première sous l’administration Biden, signe de la densité de notre relation bilatérale. Il a porté un message clair, en lien étroit avec nos partenaires européens, sur les enjeux énergétiques et commerciaux.
La troisième réunion du Conseil du commerce et des technologies (CCT) Union européenne–États-Unis, qui s’est déroulée hier et avant-hier, a aussi permis à l’Union européenne d’approfondir ces messages. Cette enceinte est importante pour aborder, en partenaires, les défis communs auxquels nous faisons face.
Concernant le projet d’Inflation Reduction Act, l’intention en matière climatique des États-Unis est louable et nous devons nous en féliciter, mais les modalités prévues par ce dispositif créeront des distorsions de concurrence pour nos entreprises et pour notre activité.
Les mesures prises dans ce cadre sont absolument contraires à l’esprit de coopération transatlantique et nous devons identifier des solutions qui préservent pleinement les intérêts européens. C’est ce qu’a dit très clairement le Président de la République et ce sont les messages qui ont été passés lors du CCT.
La task force mise en place au sein de la Commission européenne doit nous permettre de trouver rapidement une solution négociée conforme aux intérêts européens. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur nous pour être très attentifs à ses résultats.
Cependant, il nous semble que l’Union européenne doit se préparer dès à présent à l’éventualité que ses demandes ne soient pas prises en considération, ou le soient seulement a minima, et être en mesure d’agir et d’envoyer des signaux efficaces aux entreprises avant la fin de l’année.
Il faut, notamment, avancer très vite sur la proposition faite par Ursula von der Leyen dans son discours sur l’état de l’Union de création d’un fonds de souveraineté européen. Nous devons également étudier comment les instruments anti-subventions mis en place pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne peuvent trouver à s’appliquer.
Le Conseil européen traitera, enfin, de la question des Balkans occidentaux. La France soutient résolument le processus d’adhésion de ces États à l’Union européenne. Nous n’avons pas compté nos efforts en ce sens pendant notre présidence du Conseil, comme en témoigne notre engagement en faveur de la résolution du différend bulgaro-macédonien, qui a permis la tenue des premières conférences intergouvernementales (CIG) d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord au mois de juillet dernier.
J’ai d’ailleurs eu l’occasion de me rendre récemment dans ces deux pays pour confirmer à leurs gouvernements notre implication dans la durée.
L’organisation du sommet Union européenne-Balkans occidentaux de Tirana, aujourd’hui même, offre une excellente opportunité de poursuivre cet élan, en particulier, de marquer notre solidarité et notre soutien dans le contexte actuel.
L’Union européenne est d’ores et déjà pleinement engagée aux côtés des Balkans occidentaux et ce sommet a été l’occasion de montrer concrètement nos actions dans la région, lesquelles doivent être poursuivies et amplifiées, afin que les pays de cette zone retirent des bénéfices concrets des efforts qu’ils auront consentis.
Cela concerne, par exemple, le paquet de soutien énergétique de 1 milliard d’euros, la continuation de la mise en œuvre du plan économique et d’investissement, les initiatives dans le domaine cyber, qui ont déjà vu le jour, ainsi que le projet de réduction progressive des frais d’itinérance téléphonique entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux, discuté aujourd’hui même.
En Bosnie-Herzégovine, nous formons le vœu que des gouvernements soient formés rapidement à tous les niveaux, à la suite des dernières élections du 2 octobre dernier. Il s’agit d’une étape indispensable pour la fonctionnalité des institutions et la poursuite des réformes.
Sur la question de l’octroi du statut de pays candidat, le Conseil européen prendra une décision la semaine prochaine, en considérant tous les paramètres en jeu : le contexte géopolitique comme les progrès du pays dans la mise en œuvre des réformes.
La poursuite du chemin européen de la Bosnie-Herzégovine dépend avant tout de la volonté politique des dirigeants bosniens, qui doivent commencer dès à présent à mettre en œuvre les réformes identifiées par la Commission européenne.
Vous le voyez, et j’espère vous en avoir convaincus, madame la présidente, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, le programme de ce Conseil européen est chargé. Il témoigne de l’énergie déployée par l’Union européenne pour faire face ensemble aux conséquences de l’agression russe contre l’Ukraine, sans laisser de côté les sujets de long terme qui font notre unité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)
Mme le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra les 15 et 16 décembre prochain sera le premier depuis la libération de Kherson par les troupes ukrainiennes le mois dernier.
Le succès de la contre-offensive lancée par l’état-major ukrainien au mois de septembre dernier ne saurait masquer les nombreuses incertitudes qui continuent d’obscurcir le champ de bataille. La guerre déclenchée au mois de février dernier par l’agression russe sur le territoire ukrainien dure depuis plus de neuf mois. D’ores et déjà, elle est inédite sur notre continent par son ampleur et son intensité depuis la fin de la guerre froide. Il existe malheureusement un risque réel pour qu’elle s’installe dans la durée.
S’il est difficile de prédire ce que sera l’avenir de cette guerre, nous constatons déjà, sur le théâtre des opérations, l’importance de la mobilisation des Européens en faveur de la liberté du peuple ukrainien.
Au lendemain du 24 février dernier, l’Union européenne a fait la preuve de sa capacité à s’unir et à se mobiliser, y compris sur la scène géopolitique internationale. Depuis cette date, la valeur totale des livraisons d’armes létales et non létales assurées par les États membres au bénéfice des soldats ukrainiens dépasse 8 milliards d’euros.
Cette somme n’atteint certes pas les 19 milliards de dollars de l’aide américaine, mais elle représente une contribution substantielle et, surtout, décisive à l’effort de guerre de l’Ukraine. Les soldats ukrainiens font chaque jour la démonstration de l’importance intacte des forces morales pour prendre la supériorité sur le terrain. Il est de notre devoir de continuer de leur apporter un soutien financier et capacitaire à la hauteur de leur résistance héroïque. Pour ce faire, nous devons à tout prix préserver l’unité qui caractérise l’Union européenne depuis le début de la guerre.
Or, à l’échelle de l’Union européenne, les instruments que nous avions imaginés pour une période de paix ne sont plus adaptés, en cette période de guerre. La facilité européenne pour la paix a démontré, depuis sa création en 2021, sa pertinence et sa souplesse d’utilisation, mais le montant de 5,7 milliards d’euros que nous avions initialement prévu se révèle largement en deçà des besoins.
La situation exceptionnelle dans laquelle nous nous trouvons actuellement exige des réponses exceptionnelles. Le versement des aides prévues par la sixième enveloppe, avalisée lors du sommet de Prague, au mois d’octobre dernier, portera à plus de 3 milliards d’euros le financement de l’aide aux armées ukrainiennes issu de la facilité européenne pour la paix.
Le refinancement de cet instrument devient donc une urgence. Le retour de la guerre sur notre continent justifie pleinement que nous dégagions des crédits exceptionnels pour cette opération. Nous devons nous mobiliser pour que l’Union européenne continue de s’appuyer sur un instrument suffisamment solide pour financer l’aide militaire décidée en commun.
Au-delà de cet enjeu de court terme, sur lequel les chefs d’État et de gouvernement devront trouver rapidement un compromis praticable, la coopération européenne de défense doit répondre à des enjeux de long terme, comme c’est le cas avec la boussole stratégique européenne.
La mobilisation des gouvernements au lendemain du déclenchement de la guerre en Ukraine s’est traduite par une hausse générale des budgets de défense au sein de l’Union européenne. Pour autant, si nous n’y prenons garde, celle-ci pourrait avoir pour effet de renforcer l’empreinte des industries d’armement américaines en Europe.
L’ambition française d’une autonomie stratégique européenne ne saurait se satisfaire d’une telle issue. Ce que nous devons promouvoir, dans le sillage de la boussole stratégique européenne, c’est un renforcement de nos dépenses en commun, pour financer la recherche et l’innovation dans le domaine de la défense ou des achats d’équipements.
Les statistiques les plus récentes sont inquiétantes dans ce domaine ; elles révèlent que la proportion des acquisitions communes de matériel militaire atteint seulement 18 % en 2021. C’est deux fois moins que l’objectif visé dans le cadre de la boussole stratégique européenne, soit 35 % des dépenses d’équipement en commun.
Dans ce contexte, la défense collective de l’Europe ne pourra être assurée qu’à la condition de répondre aux défis soulevés à court et à moyen terme par le retour de la guerre sur notre continent.
Madame la secrétaire d’État, nous serons attentifs à ce que la France soutienne les solutions qui permettront à l’Europe de se doter de l’autonomie stratégique que les circonstances exigent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI. – M. Claude Kern applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des finances.
M. Albéric de Montgolfier, vice-président de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est difficile d’évoquer le Conseil européen qui se tiendra d’ici dix jours sans prendre en compte le conseil des ministres de l’économie et des finances, dit aussi conseil affaires économiques et financières, qui s’est tenu ce matin même.
Vous ne serez donc pas étonnée, madame la secrétaire d’État, que ma première question porte sur les résultats de cette réunion : pouvez-vous nous en préciser les conclusions ? J’ai en particulier à l’esprit l’état d’avancement du dossier des ressources nouvelles, auquel la commission des finances est très attentive puisqu’il conditionne les modalités de remboursement du plan de relance européen.
Plus précisément, il semble que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières fasse encore l’objet de divergences, alors qu’il doit entrer en vigueur dès 2023 ; à moins que vous nous annonciez – ce soir, peut-être ? – un report de cette échéance. Qu’en est-il du champ d’application du mécanisme et de la suppression des quotas gratuits ? Pouvez-vous également nous informer de l’utilisation des revenus issus de ce mécanisme ? Celle-ci est-elle désormais stabilisée ? En clair, nous souhaitons savoir à quel niveau cette ressource viendra abonder le budget européen.
La réforme du marché du carbone me fournit une transition pour aborder un point de l’ordre du jour du Conseil européen qui préoccupe tout particulièrement la commission des finances : les liens entre la crise énergétique et notre économie.
Cela a déjà été souligné, mais j’y insiste : l’évolution des cours du gaz depuis le début de l’année 2021 apparaît d’une ampleur inédite dans l’histoire européenne. Cette hausse se répercute évidemment sur les consommateurs et sur les entreprises. C’est la raison pour laquelle la commission des finances a proposé l’adoption sans modification de l’article 12 quater du projet de loi de finances pour 2023 – voté cet après-midi –, lequel vise à proroger les dispositifs de boucliers tarifaires sur les prix du gaz et de l’électricité l’année prochaine.
Sans ce prolongement, les prix de l’énergie auraient connu une évolution insupportable pour les acteurs économiques. Cette mesure ne peut évidemment pas être évaluée sans prendre en compte le contexte européen, ce qui me conduit à vous poser trois questions, madame la secrétaire d’État.
Quelles sont les perspectives d’accord sur le plafonnement du prix du gaz ?
Qu’en est-il de la réforme attendue du marché de l’électricité ?
Quel sera l’impact du plafonnement du prix du pétrole russe, décidé à la fin de la semaine dernière, conjointement avec les pays du G7 et l’Australie ?
La crise énergétique me conduit à aborder également une préoccupation majeure pour les mois à venir : depuis plus de trente ans, nous vivions dans l’idée que l’inflation avait pratiquement disparu ; l’année 2022 a bouleversé cette croyance et l’inflation atteint actuellement plus de 10 % en moyenne dans l’Union européenne.
D’un point de vue financier, on peut s’interroger sur l’impact de ce choc exogène sur la mise en œuvre de la facilité pour la reprise et la résilience. En effet, les montants disponibles avaient été fixés début 2021, puis ajustés au 30 juin dernier. Ne sont-ils pas dépassés, dans la mesure où la hausse des prix touche fortement tous les États membres ? Elle est supérieure en moyenne à 10 % et atteint jusqu’à plus de 20 % dans les pays baltes.
À l’inverse, madame la secrétaire d’État, ne craignez-vous pas que, dans ce contexte de dégradation de la situation économique et financière, certains États membres éprouvent des difficultés à honorer leurs engagements quant au financement du budget européen ?
Si la hausse des prix a pour conséquence mécanique immédiate d’accroître les recettes de TVA, les perspectives de récession ne peuvent qu’emporter des conséquences négatives, tant sur le montant perçu au titre des droits de douane, qui sont la ressource propre traditionnelle de l’Union européenne, que sur le revenu national brut, qui représente la principale source de financement du budget européen.
Ce contexte général va-t-il se traduire par une accélération de la mise en chantier de la révision du cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 ?
Telles sont, madame la secrétaire d’État, les questions que je souhaitais vous poser au nom de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
Mme le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen aura lieu le 15 décembre, une journée durant laquelle seront abordés plusieurs sujets importants. Parmi ceux-ci, les trois que nous évoquerons ce soir seront directement liés à la crise en Ukraine : l’énergie, les relations transatlantiques, la guerre et ses conséquences.
Comme c’est le cas depuis plus de neuf mois, cette prochaine réunion sera donc malheureusement dominée par la guerre en Ukraine, qui voit la Russie accentuer la pression sur les civils, en violation flagrante des règles fondant l’ordre international.
Nous comptons, bien entendu, sur le Conseil européen pour renouveler le soutien de l’Union européenne à l’Ukraine dans tous les domaines, notamment – vous l’avez précisé, madame la secrétaire d’État – financier, mais aussi diplomatique et militaire comme humanitaire – nous y reviendrons –, afin d’obtenir que la Russie assume la responsabilité pleine et entière des crimes qu’elle commet.
À ce sujet, nous venons de recevoir au Sénat une délégation de parlementaires ukrainiens, menée par Maria Mezentseva, venue à Paris pour plaider en faveur de la mise en place d’un tribunal spécial chargé de juger le crime d’agression constitué par l’invasion russe.
Il est très important d’évaluer les différentes solutions juridiques envisageables pour que justice soit rendue dans les meilleures conditions d’impartialité et de sécurité juridique, sans quoi aucune paix durable ne pourra jamais se construire en Ukraine.
Dans ce contexte, le soutien public récemment apporté par la présidente de la Commission européenne à l’hypothèse du tribunal spécial réclamé par l’Ukraine ne peut manquer d’interroger. Madame la secrétaire d’État, le Conseil européen ne serait-il pas plus légitime pour s’engager au nom de l’Union européenne sur cette question juridiquement complexe et politiquement sensible ?
J’en viens à la crise énergétique. Ce sujet, en lien avec le précédent, s’imposera au Conseil européen lors de sa prochaine réunion.
L’objectif à court terme est double : il s’agit à la fois de cesser d’alimenter la Russie par nos achats d’énergie et d’amortir le choc économique et social que provoque la hausse des prix de l’électricité, plus globalement l’inflation.
Le sujet reste préoccupant malgré l’accalmie apparente que l’on doit aux températures clémentes, à l’approvisionnement soutenu en gaz naturel liquéfié (GNL) et à la quasi-saturation des capacités européennes de stockage.
Sur le long terme, l’Europe a besoin d’une énergie abondante, bon marché et décarbonée. La commission des affaires européennes travaille avec la commission des affaires économiques sur les réformes envisageables du marché de l’électricité européen pour y parvenir.
À cet égard, l’impulsion donnée par le Conseil européen des 20 et 21 octobre dernier reste inaboutie. Même s’ils s’accordent pour réduire la consommation d’électricité et taxer les superprofits, les États membres restent divisés sur les décisions structurantes que la crise exige de prendre et ils continuent d’avancer en ordre dispersé, avec le risque d’effets pervers et d’une distorsion de concurrence importante entre eux.
Nos industries ne peuvent pâtir plus longtemps des initiatives prises par d’autres États membres, qu’il s’agisse du mécanisme ibérique ou des aides d’État dont bénéficient leurs concurrents allemands. Madame la secrétaire d’État, dans quelle mesure le mécanisme temporaire de correction des prix du gaz que propose la Commission européenne peut-il sauver la compétitivité de nos entreprises ? C’est un point que vous avez abordé tout à l’heure, mais nous attendons de vous des réponses plus précises encore.
C’est le même souci qui m’amène à évoquer l’Inflation Reduction Act, cet arsenal législatif très puissant dont les États-Unis se sont dotés pour stimuler leur économie au prétexte de la transition verte.
Lors de sa récente visite aux États-Unis, le Président de la République n’a pu que déplorer le déséquilibre concurrentiel qui en résulte pour notre côté de l’Atlantique. Il est urgent que l’Union européenne réagisse et s’engage, elle aussi, à privilégier les achats européens. Le commissaire européen français Thierry Breton appelle à la création d’un fonds de souveraineté européen pour soutenir les projets industriels. Ce projet sera-t-il évoqué lors du Conseil européen ?
La question des relations transatlantiques figure bien à l’ordre du jour de ses travaux, mais nous savons aussi que certaines personnes outre-Rhin jugent le moment propice pour relancer les négociations d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Pouvez-vous nous rassurer à cet égard ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)
Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le début de l’année, la question de l’Ukraine occupe naturellement une grande partie de l’ordre du jour des Conseils européens qui se succèdent.
Nous aurions aimé qu’il en soit autrement. Hélas, la poursuite de l’agression russe, intensifiée par des frappes massives sur les infrastructures ukrainiennes, repousse chaque jour l’espoir d’un retour rapide à la paix. Cette situation dramatique aux portes de l’Europe nous conduit à rester encore au chevet de l’Ukraine.
La lassitude ne doit pas l’emporter sur notre engagement en faveur de la liberté de nos amis ukrainiens, d’autant qu’il s’agit aussi de protéger la nôtre. À plusieurs reprises, jusque sur les bancs de l’Organisation des Nations unies (ONU) au mois de septembre dernier, par la voix de son ministre des affaires étrangères, Vladimir Poutine a clairement déclaré la guerre aux valeurs démocratiques défendues par l’Occident.
Alors oui, quel que soit le coût de cet engagement, le groupe du RDSE soutient toutes les initiatives menées, d’un côté, pour sanctionner la Russie, de l’autre, pour apporter des solutions militaires et humanitaires à Kiev.
Nous approuvons, en effet, la mobilisation des différents leviers utilisés jusque-là pour aider l’Ukraine, qu’il s’agisse de l’assistance macrofinancière exceptionnelle de 9 milliards d’euros actée par le Conseil du 20 septembre dernier, de l’aide d’urgence humanitaire ou de la facilité européenne pour la paix.
En tant que présidente du groupe d’amitié France-Moldavie, je me réjouis également de l’attention particulière portée à ce pays et à certains de ses voisins. Le chef de l’État l’a rappelé il y a deux semaines aux côtés de la Première ministre moldave, « lutter pour la Moldavie […], c’est participer à l’effort de guerre que nous conduisons aux côtés de l’Ukraine ».
Nous savons bien que la déroute des troupes russes en Ukraine retarde pour le moment les projets à peine voilés de Moscou en Transnistrie. La communauté internationale doit donc demeurer vigilante.
S’agissant du soutien à Chisinau, entre les dons, les prêts et les projets financiers, avez-vous, madame la secrétaire d’État, une évaluation du montant cumulé des aides à la Moldavie ?
En ce qui concerne les sanctions contre Moscou, il faut espérer que la dernière mesure – celle de l’embargo sur le pétrole brut russe –, entrée en vigueur hier, remplisse son objectif de tarissement du financement de la guerre. En revanche, il est certain que le dispositif de plafonnement du prix du baril pour ceux qui continueront à importer du pétrole russe constitue une brèche. On peut le regretter, mais il est important de ne pas déstabiliser le marché mondial plus qu’il ne l’est déjà. Il s’agit aussi de ne pas alourdir outre mesure le choc énergétique, qui fragilise déjà beaucoup les économies européennes.
À cet égard, quel accueil la France réservera-t-elle au projet de compromis relatif au « mécanisme de correction du marché » des prix du gaz, récemment avancé par la présidence tchèque ? Il existe une ligne de fracture au sein de l’Union européenne qu’il faudra bien finir par aplanir si l’on veut avancer. Les conclusions du Conseil européen des 20 et 21 octobre dernier invitent à présenter un nouvel indice de référence reflétant plus exactement les conditions du marché du marché du gaz. Il est urgent de le mettre en œuvre en 2023, car le temps presse face à une inflation qui relativise les efforts des différents États en matière d’action publique.
Qu’il concerne les ménages, les collectivités locales ou les entreprises, le bouclier tarifaire de l’électricité et du gaz est un outil opportun. Dans cette période où il nous est demandé de faire preuve de résilience, il est fondamental de protéger les plus vulnérables de l’inflation. Néanmoins, jusqu’à quand nos finances publiques permettront-elles de tenir ce cap ? En outre, un véritable chapitre social cohérent reste à ouvrir en Europe…
Si la guerre en Ukraine a précipité le défi énergétique, il apparaît clairement que la sobriété risque de durer, compte tenu de l’accélération attestée du réchauffement climatique. Dans ces conditions, nous attendons une réponse globale et stratégique de long terme. Porter à 40 % l’objectif de l’Union européenne d’énergie produite à partir de sources renouvelables d’ici à 2030, soit 8 points de plus que la cible en vigueur, est une nécessité. J’espère que les trilogues aboutiront à un compromis acceptable pour notre pays qui – disons-le – accuse un retard en matière d’énergies renouvelables.
Face à cette crise et à la récession qu’elle entraîne, l’Union européenne, sans renier les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), doit par ailleurs s’affirmer face à certaines initiatives de ses partenaires peu respectueuses des règles du jeu.
Je pense à l’Inflation Reduction Act (IRA) du président Joe Biden. Ce plan de 420 milliards de dollars, qui contient une part de subventions et de réductions d’impôts, est-il de nature à créer un exode massif de nos industries outre-Atlantique, comme on l’entend ? Quel est le résultat du Conseil du commerce et des technologies Union européenne-États-Unis et sur ce sujet ?
Mon groupe n’est pas partisan d’alimenter un conflit commercial ou d’appeler au protectionnisme en représailles. Cependant, nous attendons de savoir quelles réponses systémiques entend mettre en œuvre Bruxelles pour protéger les entreprises européennes. A minima, il serait souhaitable, d’une part, d’encourager la délivrance des agréments pour les projets d’intérêt européen, d’autre part, de revoir le cadre des appels d’offres publics.
Mes chers collègues, sans transition, je terminerai mon intervention par la question de l’Europe de la santé, un peu reléguée à l’arrière-plan alors que l’épidémie de covid-19 n’a pas disparu. Madame la secrétaire d’État, où en sommes-nous du paquet de mesures pour l’Union européenne de la santé ?
La Commission européenne devrait notamment remettre en début d’année sa proposition de législation générale européenne concernant les médicaments. Mon groupe sera particulièrement attentif aux problématiques d’accès aux médicaments, ainsi qu’aux leviers pour une industrie pharmaceutique innovante et leader en Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. André Gattolin et Claude Kern applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année 2022 aura marqué le retour de la guerre sur le continent européen, une guerre totale qui vise autant l’armée ukrainienne que les populations. Pour l’instant, les desseins du président russe d’annexer l’Ukraine, d’y installer son pouvoir, de diviser et d’affaiblir les Européens ont été mis en échec.
Cet événement géopolitique majeur a forcé l’Europe à réagir avec fermeté et unité. La mise en œuvre du Fonds européen de la défense, l’adoption de la boussole stratégique européenne, la volonté d’accroître l’effort de défense et de mutualiser les achats militaires vont indéniablement dans le bon sens.
Malgré les mesures prises et l’unité affichée des Européens, nous sommes en réalité encore bien fragiles face aux soubresauts du monde, à l’affirmation de puissances désinhibées et à la dégradation du système multilatéral.
Les sanctions européennes n’ont pour l’instant pas permis d’affaiblir le pouvoir et l’économie russes autant que nous l’aurions espéré. Depuis plusieurs mois, les ventes d’hydrocarbures russes à la Chine sont en hausse et permettent en partie de pallier la défection des Occidentaux. Une Russie très affaiblie, voire exsangue, et dépendante de la Chine ne me semble pas, à terme, une bonne perspective pour la sécurité de l’Europe. Pourtant, ces sanctions sont nécessaires.
Le bannissement des productions pétrolières et gazières russes conduit à une crise énergétique déstabilisante. Elle a mis en lumière la dépendance et la légèreté de certains États membres en matière d’approvisionnement. Par ricochet, la filière nucléaire revient en grâce, mais après avoir été durablement affaiblie et dénigrée. Nous risquons ainsi des coupures de courant durant cet hiver.
Factuellement, la recherche de solutions de remplacement ne conduira-t-elle pas à de nouvelles dépendances, qu’il s’agisse du gaz de schiste américain ou de la production du Golfe et de la Caspienne, avec les conséquences politiques qui en découlent ? Le projet REPowerEU sera-t-il adapté et constitue-t-il vraiment une opportunité pour la France ?
Ces évolutions en matière de sécurité, d’énergie, de souveraineté seront-elles pérennes ? Avec le temps, ne risque-t-on pas d’en revenir au business as usal, au détriment d’une vision stratégique globale ?
Enfin, cet intérêt nouveau des Européens pour la défense profite surtout à la résurrection de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) et se manifeste largement par l’achat d’équipements militaires structurants américains. La base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne doit être privilégiée, les coopérations recherchées chaque fois que cela est possible, sans s’interdire des développements strictement nationaux lorsque des coopérations se révèlent préjudiciables à nos intérêts.
Parmi les autres points d’inquiétude, je rappelle les mesures protectionnistes américaines, dont les plus récentes, l’Inflation Reduction Act, prévoient près de 400 milliards de dollars d’aides à la relocalisation sur le sol américain d’industries d’avenir. Je partage les propos du président de la commission des affaires européennes du sénat et ceux de Véronique Guillotin : il y a là une menace directe pour l’Europe.
Le commissaire Thierry Breton appelle à la création d’un fonds de souveraineté européen. Qu’en est-il réellement, madame la secrétaire d’État ?
Concernant la Chine, une prise de conscience commence à émerger à l’échelon européen à propos du déséquilibre des échanges, du non-respect de la propriété intellectuelle, des différences de normes sociales et environnementales ou de ses visées géopolitiques. Pour autant, des projets de cession d’infrastructures européennes à des entreprises chinoises demeurent. N’avons-nous pas retenu la leçon du Pirée ? Nos voisins britanniques viennent d’évincer un actionnaire chinois de leur principal fabricant de semi-conducteurs et d’interdire l’installation de caméras produites en Chine pour la vidéosurveillance des sites sensibles.
M. André Gattolin. Très bien !
M. Pascal Allizard. Par ailleurs, où en est le projet Global Gateway qui se voulait une alternative vertueuse à la Belt and Road Initiative (BRI) chinoise ? N’est-il pas trop contraignant face à une offre chinoise qui s’adapte aux réalités locales ?
Sur les côtes de la Manche, la pression migratoire s’est fortement accentuée en 2022. Les Britanniques vont augmenter leurs versements à la France pour enrayer les traversées, mais leur économie, de fait, continue d’absorber ces flux de migrants illégaux. L’effet d’attraction demeure.
On fustige certes l’attitude du gouvernement italien dans l’affaire de l’Ocean Viking, mais c’est précisément la question migratoire non résolue, laissant parfois l’Italie bien seule, qui est l’une des causes majeures de l’arrivée au pouvoir de cette majorité populiste. Cela pourrait bien se produire ailleurs si des mesures plus fermes ne sont pas prises…
Enfin, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’appelle votre attention sur la situation en Birmanie. Dans ce pays, qui peut sembler loin de l’Europe, la junte a prévu demain l’exécution de onze jeunes étudiants : c’est inacceptable ! Où sont les protestations françaises et européennes ? Le prochain Conseil européen devrait, me semble-t-il, aussi prendre position sur ce sujet.
Telles sont, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les quelques observations que je souhaitais partager avec vous avant ce Conseil européen. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à la lumière du contexte international, de la guerre en Ukraine, mais également de l’urgence climatique, le prochain Conseil européen devra nous permettre de proposer des solutions pour faire baisser le prix de l’énergie. Il sera l’occasion d’évoquer la défense et la sécurité européenne, mais également de renforcer nos relations avec nos voisins des Balkans.
Néanmoins, c’est bien la question énergétique qui nous préoccupe aujourd’hui en premier lieu. L’Europe, qui dépendait jusqu’alors des hydrocarbures russes, se trouve aujourd’hui dans une situation difficile, ce qui annonce un hiver particulièrement complexe. Il nous faut trouver une réponse collectivement.
J’insiste sur l’adverbe « collectivement », car si l’on prend l’exemple du prix de l’électricité et de sa connexion à celui du gaz, on s’aperçoit qu’il n’est pas aisé de trouver une solution susceptible de satisfaire tous les États membres au vu de la diversité des degrés de dépendance aux énergies fossiles de chacun. Les actions solitaires, qui pourraient à terme déstabiliser l’Union européenne, sont à écarter.
C’est bien sur le volet énergétique que nos désaccords sont les plus profonds, à l’image du rendez-vous manqué entre les ministres européens de l’énergie réunis voilà dix jours pour convenir d’un plafonnement du prix du gaz. Madame la secrétaire d’État, quels sont vos lignes rouges et vos espoirs pour faire avancer ce dossier la semaine prochaine ?
L’urgence est également d’actualité en termes de défense. Vous annonciez récemment, madame la secrétaire d’État, que les relations franco-allemandes entraient dans une nouvelle phase. Force est de constater que les coopérations restent longues et parfois difficiles.
J’en profite pour vous interroger tout particulièrement sur le projet de système de combat aérien du futur (Scaf) lancé déjà depuis 2017 et qui peine à avancer. Comme chacun le sait, les négociations ont pris un sérieux retard. Or cette situation dessert de plus en plus la préparation de nos armées à la guerre aérienne du futur. Je me réjouis, cependant, de constater que nos deux pays avancent sur le sujet et que Dassault et Airbus poursuivent leur collaboration.
À ce titre, pouvez-vous nous en dire davantage sur les avancées concrètes à la suite de l’accord européen sur le démarrage de la phase 1B d’étude du démonstrateur, annoncé par le gouvernement allemand le 18 novembre dernier ?
Notre stratégie en termes de défense implique une industrie d’armements militaires forte et l’achat de produits européens. Nous ne pouvons que déplorer les commandes de F-35 américains passées par les Allemands.
Lors de la rencontre de notre Première ministre avec le Chancelier allemand, qu’est-il ressorti des discussions sur le volet défense ? Il était aussi question d’un Buy European Act, quelles évolutions en attendons-nous ?
Au-delà de ces questionnements, notre position européenne sur le conflit en Ukraine est claire. Je tiens notamment à saluer le vote de la proposition de résolution sur la reconnaissance de la Fédération de Russie en tant qu’État soutenant le terrorisme. Cette résolution condamne bien sûr la Russie de Poutine et réaffirme notre soutien aux Ukrainiens. Je le rappelle, ce soutien prend diverses formes et nous honore. Nous devons poursuivre sans relâche nos efforts.
La résolution établit plusieurs demandes en direction de la Commission européenne et des États membres. L’une d’entre elles concerne la création d’un mécanisme mondial de sanctions contre la corruption. Quelle est la position de la France sur ce sujet ?
J’en viens à nos relations avec les pays des Balkans. Le sommet qui s’est tenu aujourd’hui à Tirana est l’occasion pour les Européens de réaffirmer leur engagement dans la région, de reconfirmer les avancées progressives d’adhésion des Balkans occidentaux et d’appeler à l’accélération des négociations. Au mois d’octobre dernier, la Commission européenne a notamment recommandé d’octroyer le statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine ; cette décision reviendra au Conseil européen des 15 et 16 décembre prochain.
Le lien avec les Balkans occidentaux est d’autant plus nécessaire en raison de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Cette guerre aux portes de l’Europe nous oblige à renforcer rapidement nos décisions à vingt-sept. Nous ne pouvons pas reporter indéfiniment nos choix communs.
Différents dossiers restent dans l’impasse, particulièrement le découplage des prix de l’électricité et du gaz. Le Conseil européen doit réussir à trouver un chemin pour répondre à notre défi énergétique. C’est décisif. Soyez assurée de notre soutien, madame la secrétaire d’État.
Enfin, il faudra selon moi aller au-delà d’une simple réponse structurelle basée sur le marché de l’énergie. Cette crise doit nous amener plus loin : nous devons revoir nos modes de vie et de consommation. Il ne s’agit pas d’en revenir à la bougie ou à la lampe à huile, comme le réclament certains prédicateurs, ni de tomber dans la radicalité, mais nous devons nous adapter grâce à l’innovation et à l’intelligence collective. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)
Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la guerre d’invasion russe a amené l’Europe à faire preuve d’une détermination commune sans précédent pour soutenir l’Ukraine.
Il s’agit en effet d’une attaque contre nous tous, contre nos valeurs communes et contre les chances du multilatéralisme pour changer la donne planétaire. C’est aussi, d’une certaine façon, le défi du climat qui se joue un peu aujourd’hui en Ukraine.
Face à une situation inédite, des décisions impossibles à envisager il y a encore quelques mois ont été prises en quelques semaines, renforçant une évidence : ce n’est qu’ensemble que les États membres de l’Union européenne auront un poids suffisant.
Face à la crise énergétique, les États membres n’ont pas tous la même capacité à gérer équitablement les prix et la demande ni à fournir un soutien essentiel à ceux qui en ont besoin. La solidarité européenne est donc primordiale. Ce Conseil européen doit permettre d’avancer vers une réponse commune pour faire face aux enjeux des coûts et des approvisionnements énergétiques, une réponse commune qui soit aboutie, crédible et pertinente, pour reprendre vos termes, madame la secrétaire d’État, ainsi que ceux du président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin.
Cette réponse aboutie sera cohérente par rapport à nos objectifs climatiques si elle contribue à réduire notre dépendance à l’égard des importations d’énergies fossiles et des combustibles fossiles en général, en particulier en provenance des régimes autoritaires. La stratégie à court terme visant à favoriser de nouveaux investissements dans des pays tiers comme l’Azerbaïdjan ne va pas, selon moi, dans ce sens…
Face à la réponse des États-Unis à la crise, avec leur politique du bas prix de l’énergie et les centaines de milliards de dollars de l’Inflation Reduction Act résolument orientés vers la transition écologique et la décarbonation industrielle, notre Green Deal européen risque fort de faire pâle figure. La compétitivité de nos économies se joue dans ce défi.
La fragmentation de nos économies européennes constitue un péril imminent. Oui, un nouvel élan européen est nécessaire. Il convient donc, même si ce n’est pas facile, de trouver les voies d’un accord en faveur d’un plan massif d’amplification industrielle du Green Deal, avec des investissements à la hauteur, notamment grâce à la constitution d’un fonds de souveraineté supposant un emprunt commun nouveau.
Ce nouvel élan européen nécessite de hâter la mise en place concrète de l’ajustement carbone aux frontières : c’est ce protectionnisme vert européen – ce juste échange, si l’on préfère – qui équilibrera notamment la relation avec la politique américaine. Ce protectionnisme vert, c’est aussi la volonté de protéger nos économies en transition de ses concurrents qui méprisent l’environnement, le climat, ainsi que les droits sociaux et humains.
Le Conseil de l’Union européenne a adopté jeudi dernier sa position concernant la directive sur le devoir de vigilance. Sur ce point, on ne peut pas dire que le gouvernement français ait joué un rôle positif, puisque le secteur financier est de facto dégagé de toute responsabilité. Oui, le gouvernement français, champion du devoir de vigilance dans ses discours, a affaibli l’ambition du projet de directive européenne la semaine passée, entraînant avec lui l’Espagne et l’Italie. Pour rappel, les banques françaises ont investi plus de 743 millions d’euros dans la déforestation du Brésil. On ne peut pas ainsi les exempter de toute responsabilité, alors qu’a été votée la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre !
Dans le détail, votre gouvernement a poussé le Conseil de l’Union européenne à adopter une version moins ambitieuse du texte, puisque les mesures d’évaluation et de prévention des risques auxquelles seront soumises les entreprises ne seront que facultatives pour les banques. Or sans obligation, pas d’action. Les banques pourront donc continuer leur soutien, comme BNP Paribas qui est le premier financeur des projets d’énergies fossiles en Europe.
Pourtant, la France était le premier pays en 2017 à avoir inscrit dans son droit le devoir de vigilance. Qu’est devenu notre rôle de leader européen pour défendre des ambitions élevées en matière de défense des droits humains et de l’environnement ? Force est de constater que les lobbies ont du talent et que les intérêts sont ailleurs…
Le texte adopté par le Conseil de l’Union européenne est décevant. Il exclut la possibilité pour des victimes d’agir en justice afin d’être indemnisées lorsqu’une entreprise a manqué à ses obligations environnementales. Le climat a également été exclu du texte final, tandis que les dommages environnementaux, en général, devront être identifiés, mais sans engager aucune responsabilité. Aurons-nous une « loi d’apparence », pour reprendre les mots de Dominique Potier, le père de cette loi pionnière française ?
Heureusement, le Parlement européen n’a peut-être pas dit son dernier mot. Espérons qu’il pourra peser dans la négociation, comme il l’a fait pour l’accord historique intervenu la nuit dernière, qui vise à protéger les forêts du monde et à garantir aux Européens que les produits qu’ils mettent dans leurs paniers de course ne participent pas à la déforestation.
En imposant aux entreprises un devoir de vigilance en matière de déforestation liée à leurs activités, c’est sur 16 % de la déforestation mondiale dont l’Europe est responsable que nous agirons. Des ambitions élevées ont été maintenues en incluant le caoutchouc, le charbon et les dérivés de l’huile de palme. Certes, le secteur financier a réussi son lobbying pour être exclu dans un premier temps du règlement, mais nous y reviendrons dans deux ans.
C’est une ambition politique de même ordre qui devrait animer le Conseil pour que le Fonds social pour le climat permette d’éviter la casse sociale liée à la nécessaire mise en place de la transition écologique. L’abandon pur et simple de l’extension du marché carbone à la route et au bâtiment serait désastreux de ce point de vue. Oui, il faut éviter de taxer les ménages, mais les usages commerciaux peuvent et doivent être imposés. Le dernier trilogue n’a permis aucune avancée sur ce point. Nous comptons sur une action résolue pour y parvenir.
Sortir de la dépendance aux énergies fossiles, aboutir rapidement à une politique d’approvisionnement et de maîtrise des coûts partagée, défendre le Green Deal au niveau qui s’impose, ne renoncer ni au volet relatif à la vigilance des entreprises ni au Fonds social pour le climat, telles sont nos ambitions pour ce nécessaire nouvel élan européen ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Claude Kern et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors du précédent débat préalable en octobre dernier, j’avais déjà eu l’occasion de souligner que jamais l’ordre du jour d’un Conseil européen n’avait autant porté sur des thématiques internationales et géostratégiques.
Dans mon enthousiasme d’Européen convaincu, j’y lisais les prémices d’un possible réveil géopolitique de l’Union. Il ne saurait, en effet, y avoir d’Union européenne solide et pérenne sans un tel réveil.
Je le répète, quitte parfois à lasser, jamais au cours de l’histoire un regroupement volontaire d’États démocratiques ne s’est constitué autrement qu’à la suite d’une confrontation politique et militaire majeure, qu’il s’agisse d’une guerre d’indépendance, d’une guerre civile, d’une guerre de libération ou d’un conflit d’ampleur avec une puissance extérieure agressive.
L’Union européenne serait-elle, en la matière, une divine exception ? On l’oublie parfois, mais ce sont pourtant bien ces préoccupations géopolitiques qui ont été au cœur des premiers pas de la construction européenne, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
La création du Conseil de l’Europe en 1949, puis celle de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca) en 1951 – premier marché européen des matières premières stratégiques –, même limités dans leur périmètre, l’illustrent bien. Mais, patatras ! voilà que nous assistons en 1954 à l’échec de la Communauté européenne de défense (CED) et au repli contraint des pères de l’Europe vers une dimension plus strictement économique de la construction européenne.
L’infâme agression russe contre l’Ukraine et ses multiples conséquences remettent aujourd’hui cet enjeu géopolitique au centre du village Europe. En témoigne l’ordre du jour prévisionnel du Conseil des 15 et 16 décembre prochain, avec cette fois pas moins de six points ayant tous une portée géopolitique et géostratégique indéniable !
Poser les bonnes questions, c’est, dit-on, déjà commencer d’y répondre. Et, il faut le reconnaître, depuis février dernier, jamais l’Union n’aura autant avancé, en matière d’Europe de la défense, d’union des marchés de l’énergie et de lutte contre les ingérences étrangères. Sans vouloir jouer les rabat-joie, je rappelle cependant que le verre à moitié rempli n’augure pas nécessairement du fait qu’il sera plein un jour.
Dans ce type de débat, il est fréquent de citer – sans l’avoir lu – Jean Monnet, qui écrivait que « l’Europe se fer[ait] dans les crises et qu’elle ser[ait] la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises ».
C’est vrai. Mais on oublie en général de rappeler que toutes les crises traversées par l’Europe n’ont pas systématiquement fait l’objet d’une réponse adéquate. Par ailleurs, l’essentiel des crises affrontées par l’Union européenne depuis les années 1960 était de nature économique et financière, et les réponses apportées venaient, de fait, renforcer encore la nature essentiellement économique et commerciale de l’Union.
Jusqu’à présent, les moments géopolitiques cruciaux n’ont que rarement fait l’objet de réponses européennes à la hauteur des enjeux.
À la suite de la chute du mur de Berlin, puis de l’effondrement de l’URSS, l’Union a certes réagi, en acceptant la réunification de l’Allemagne et en procédant à un vaste élargissement incluant les pays libérés du joug soviétique. Mais nous avons renoncé à nous doter d’une gouvernance politique renforcée et surtout d’un système de défense propre à l’Europe qui aurait véritablement consolidé notre réponse.
Je m’agace aussi quand j’entends dire que l’actuelle guerre en Ukraine marquerait le retour de la guerre sur le territoire européen après soixante-dix années de paix. C’est faire, en effet, peu de cas de la succession de conflits sanglants qui se déroulèrent dans les Balkans occidentaux entre 1991 et 2001 et qui causèrent la mort de plus de 140 000 personnes.
Il faut dire que la réponse de l’Union, à l’époque, n’avait guère été à la hauteur, et que ce sont les États-Unis et l’Otan qui furent les maîtres d’ouvrage des engagements militaires visant à mettre fin à ce conflit.
Alors oui, dans la guerre en cours, les pays européens ont franchi un pas très significatif, mais qui reste d’importance bien inférieure à celui qui a été effectué par les États-Unis dans ce conflit. Je me demande parfois si notre engagement eût été le même si Washington n’avait pas fait le choix qui est le sien depuis plus de neuf mois.
Pour reprendre les propos de Jean Monnet, c’est la somme des réponses que nous apporterons aux crises géopolitiques qui nous frappent qui permettra de dire si l’Union est véritablement en train de franchir une étape décisive ou si, au contraire, une fois le conflit passé, nous nous laisserons glisser de nouveau vers le business as usual.
Pour ne pas céder à une indifférence qui confinerait à la lâcheté, nous devons garder sans cesse à l’esprit le courage et la détermination des Ukrainiens, qui nous rappellent tous les jours que « la liberté n’est pas une option, [que] c’est un combat ».
À ceux qui, aujourd’hui, jouent Pékin en pensant que Xi Jinping pourrait convaincre Vladimir Poutine d’arrêter sa guerre sanglante contre les Ukrainiens, je dis qu’ils connaissent très mal les actuels dirigeants de la Chine et de la Russie.
Si, à force d’exactions et de crimes de guerre commis par la Russie, les Européens se positionnent enfin clairement par rapport à Vladimir Poutine, il est loin d’en être de même vis-à-vis de Xi Jinping et de son pouvoir ultra-autoritaire et de plus en plus ouvertement expansionniste.
Lors de la dernière réunion du Conseil européen, nos chefs d’État et de gouvernement se sont bien posé la question de l’évolution de leur positionnement face à la nouvelle équation chinoise. Mais, là encore, nous sentons une véritable frilosité à mettre clairement des mots sur les choses, puisque ce débat a eu lieu dans le cadre d’un point sobrement intitulé « Relations internationales » de l’ordre du jour du précédent Conseil.
Bis repetita pour le Conseil à venir, qui n’a pas prévu de point référant explicitement à la Chine ! Pourtant, on ne voit guère comment ce Conseil, qui se tiendra au lendemain d’un sommet Union européenne-Asean, à Bruxelles, et surtout quelques jours après des soulèvements inédits contre la folle politique « zéro covid » des autorités chinoises, pourrait ne pas aborder le sujet.
C’est en osant enfin nommer les choses par leur nom que notre Union pourra véritablement affirmer son virage géopolitique ; un virage aujourd’hui indispensable à son existence pleine et entière, voire à sa survie, dans un monde où la brutalisation des relations internationales est non plus une menace, mais bel et bien une réalité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER et UC.)
Mme le président. La parole est à M. Didier Marie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Didier Marie. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 15 et 16 décembre prochain vient clore une année qui aura profondément bouleversé l’Europe. Confrontée à la guerre à ses portes, l’Union a su réagir et se montrer unie comme jamais, mais elle a aussi vu ses faiblesses mises à nu.
Elle a tout d’abord été solidaire avec l’Ukraine sur le plan financier, avec le déblocage de 18 milliards d’euros, comme l’a rappelé Mme la secrétaire d’État.
Elle a été solidaire également sur le plan militaire, avec les 3 milliards d’euros que représente l’instrument Facilité européenne pour la paix, sous forme de livraisons massives d’armes, lesquelles, ajoutées au courage des Ukrainiens, ont permis dans un premier temps de résister à l’offensive russe, puis de contre-attaquer avec succès.
La solidarité a par ailleurs été humanitaire, avec la mise en œuvre pour la première fois de la protection temporaire, qui vient d’être prolongée jusqu’en mars 2024 et a permis l’accueil de plusieurs millions de réfugiés, dont 100 000 en France.
Enfin, l’Union a fait preuve de solidarité pour sanctionner la Russie, même s’il aura fallu discuter et si l’on pouvait vraisemblablement aller plus loin.
Tout cela est à saluer, et l’Europe doit rester unie et déterminée dans son soutien à l’Ukraine et la condamnation sans concession de l’agresseur qu’est la Russie.
Permettez-moi à cet instant, madame la secrétaire d’État, de vous dire mon étonnement d’avoir entendu le Président de la République aborder la nécessité de donner à M. Poutine « des garanties de sécurité », alors que lui n’adresse aucun signe de désescalade, bien au contraire, en transformant l’hiver en arme de guerre contre les civils et en détruisant impitoyablement les infrastructures énergétiques du pays. À nos yeux, ce n’est pas à nous de tendre la main ni le moment de le faire.
Si l’Union a su réagir, la guerre marque cependant un avant et un après pour l’Europe. Nos certitudes s’évanouissent.
L’Union européenne n’est plus protégée. Elle ne peut se défendre seule et délègue sa sécurité au parapluie militaire américain. Sa prospérité, fondée sur la pérennité de la paix, est ébranlée, comme son économie, qui reposait jusqu’à présent sur une énergie bon marché.
L’inflation s’installe, la récession menace, la crise énergétique frappe les ménages et fragilise notre tissu industriel. Notre démocratie elle-même vacille sous la désinformation, les ingérences étrangères et la montée des populismes, comme nous l’avons amèrement constaté en Suède et en Italie.
L’Europe doit faire front, conforter son unité et ne pas céder à la fragmentation. Nous devons assumer nos responsabilités, reconstruire nos souverainetés et réduire nos dépendances. Cela commence par un premier point d’urgence : les réponses à la crise énergétique.
Les divergences entre États nous font perdre un temps précieux. Si un accord a pu être trouvé sur le pétrole russe, il faut aller plus loin et conclure un autre accord sur l’achat de gaz en commun, créer un fonds européen de soutien aux ménages et aux entreprises, enfin découpler le prix de l’électricité et celui du gaz.
C’est une priorité absolue, et nous espérons que le récent rapprochement des points de vue entre la France et l’Allemagne pour une réforme structurelle du marché de l’électricité permettra d’aboutir très rapidement et évitera la menace de délocalisations de nos industries.
Ensuite, viendra le temps de bâtir notre indépendance énergétique en investissant massivement dans les énergies renouvelables, en évitant qu’une nouvelle dépendance au gaz de schiste américain, dont le prix est élevé, ou à l’Azerbaïdjan ne succède à celle que nous avions avec la Russie.
Se posera aussi la question de la sécurité de nos approvisionnements en matières premières – l’uranium, par exemple, aujourd’hui importé de pays peu sûrs et dont les déchets sont recyclés en Russie, seul pays habilité à cet égard et en mesure de le faire.
Le deuxième point d’urgence est l’inflation. À un niveau de 11,5 % en moyenne en Europe en octobre dernier, elle fait peser de réels risques de récession. À ce sujet, le relèvement des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne (BCE) fait émerger de nombreuses inquiétudes, notamment pour l’accès au crédit.
Cette situation pose la question de notre politique budgétaire, ainsi que celle de la reconduite éventuelle du pacte de stabilité. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous éclairer sur la position que la France défend ?
Pour éviter la récession, bâtir notre autonomie stratégique, relever les grands défis climatiques et industriels, l’Europe doit investir. Pouvez-vous nous préciser la position du Gouvernement sur la faisabilité de la levée d’un grand emprunt communautaire afin de financer ces investissements, alors que le ministre allemand des finances ne lui apporte manifestement pas son soutien ?
Cette guerre nous affaiblit, après un épisode sanitaire qui avait déjà souligné nos dépendances et dans un contexte de tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine.
Nous devons, à la fois, renforcer notre politique industrielle commune, continuer d’agir pour réduire nos dépendances, rester solidaires et porter nos valeurs dans le contexte international.
À cet égard, les récents déplacements d’Olaf Scholz, puis de Charles Michel, à Pékin, et celui du président Macron, aux États-Unis, semblent s’inscrire dans une volonté de porter la voix économique et commerciale de l’Union européenne face à deux puissances certes différentes, mais qui n’ont ni l’une ni l’autre d’états d’âme.
Les objectifs de l’Allemagne sont-ils bien compatibles avec ceux du reste de l’Union européenne ? L’état des relations franco-allemandes a suscité de nombreuses réactions ces dernières semaines. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous faire un point sur les convergences et les divergences entre nos deux pays ? Prévoyez-vous un nouveau Conseil des ministres commun, après l’annulation de la première initiative ?
Le Président de la République, lors de sa visite d’État aux États-Unis, a pointé le danger que représenterait l’Inflation Reduction Act, avec ses 370 milliards de dollars de subventions et d’allégements fiscaux attribués aux entreprises américaines engagées dans la transition vers une économie décarbonée. Très bien. Mais ne soyons pas naïfs : les Américains ne nous épargneront pas. Nous devons bien évidemment négocier, mais aussi, parallèlement, nous protéger.
Aussi, madame la secrétaire d’État, à quand un Buy European Act, comme le demande le Parlement européen depuis de nombreuses années ?
Enfin, cette guerre aux portes de l’Europe nous interroge sur le positionnement géostratégique de l’Union européenne et ses relations de voisinage.
La question de l’élargissement est ainsi revenue sur le devant de la scène. Il est temps de mettre en œuvre une méthodologie clarifiée et harmonisée pour accélérer les négociations, répondre à l’envie d’Europe des peuples des Balkans occidentaux, de l’Ukraine et de la Moldavie et freiner l’influence croissante des puissances étrangères qui déstabilisent ces pays.
Le sommet UE-Balkans occidentaux, qui a lieu aujourd’hui, et le soutien d’un milliard d’euros pour faire face à la crise énergétique sont les bienvenus, mais il faut donner des gages supplémentaires à ces pays, tout en conservant un haut niveau d’exigence à l’égard des règles européennes.
Pour conclure, après six mois de présidence française et six mois de présidence tchèque, cette année 2022 aura permis certaines avancées, notamment sur la solidarité des Vingt-Sept à l’égard de l’Ukraine. Mais de nombreuses questions restent en suspens. Il est temps de passer de la parole aux actes, pour construire une Europe plus puissante, plus résiliente et plus ambitieuse. La France doit jouer un rôle moteur dans cette transformation.
Madame la secrétaire d’État, nous souhaitons que le Président de la République et vous-même fassiez preuve de diplomatie, de conviction et de fermeté lors de ce Conseil européen, pour engager enfin des avancées sur les nombreux sujets évoqués aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons ce soir à la veille d’un Conseil européen qui se tient dans un contexte d’aggravation certaine, en 2023, de la crise énergétique et économique au sein de l’Union.
Alors que toute une partie de la zone euro risque d’entrer en récession en 2023, selon les estimations de la Commission européenne, les gouvernements de la zone euro ont jusqu’à présent consacré collectivement environ 1,25 % du PIB intrazone au soutien à l’énergie pour cette année, ce qui représente environ 200 milliards d’euros.
En France, nous faisons face à des prix qui ont dépassé 1 000 euros le mégawattheure cet été et qui sont aujourd’hui aux alentours de 500 à 600 euros le mégawattheure, soit une multiplication comprise entre dix et vingt par rapport aux prix d’avant la crise sanitaire.
Si cette hausse a été exacerbée par la crise ukrainienne, il est admis que ses prémices sont antérieures. Dès juillet 2021, les tarifs réglementés de l’électricité en France ont connu une envolée vertigineuse du fait d’un emballement des prix sur le marché de gros.
Les prix de gros du gaz ont augmenté de 150 % environ entre avril 2021 et la fin octobre 2021. Pour un client moyen, la facture de gaz est passée de 977 euros à 1 482 euros.
Par conséquent, le prix de l’électricité sur les marchés de gros, corrélé au prix du gaz, a été complètement détourné du coût de production, avec un triplement des prix en un an. L’électricité nucléaire française a connu alors une décorrélation de son coût de production et de sa valeur sur les marchés.
Il est vrai que, en 2022, l’augmentation du coût de production a été importante du fait de l’indisponibilité d’une partie de notre parc nucléaire. La sécheresse a aussi eu un impact sur les volumes de production hydroélectrique. Toutefois, nos coûts de production sont restés très inférieurs aux prix de marché.
Je prends soin de faire ce rappel, car la crise ukrainienne et le manque de capacités de production, en particulier en France, n’expliquent pas à eux seuls la spirale haussière. Se limiter à cette explication reviendrait à passer à côté des véritables enjeux : la crise énergétique est non pas conjoncturelle, mais structurelle ; elle tient à l’organisation même du marché de l’énergie, celui de l’électricité en particulier.
Il faut bien le constater, c’est la part mineure de l’énergie échangée sur le marché de gros qui nous entraîne dans cette spirale inflationniste, laquelle met aujourd’hui en danger les particuliers, les collectivités et les entreprises.
Cette fragilité du marché unique européen de l’énergie est largement documentée. La France répète depuis des mois à qui veut l’entendre qu’il faut sortir du mécanisme de la dernière centrale appelée, mais devant les refus catégoriques, notamment celui de l’Allemagne, on se borne pour le moment à constater les dégâts.
Le plafonnement de la rente des inframarginaux à 180 euros le mégawattheure, soit au minimum trois à quatre fois leur coût de production, continuerait de tirer les prix à la hausse en France en maintenant d’énormes profits pour ces producteurs, aux dépens des consommateurs et des contribuables.
Tout porte à croire que les mécanismes proposés, très complexes, n’ont pas été suffisamment étudiés, qu’ils sont aux mieux inefficaces, au pire contre-productifs, et qu’ils entraîneront de nombreux effets d’aubaine, comme ceux qui sont liés à l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) ou, dernièrement, à la sortie de l’obligation d’achat.
La promotion des Power Purchase Agreements (PPA), ces contrats privés bilatéraux avec un droit de sous-tirage pour les acteurs privés, imaginés pour favoriser les investissements de long terme devant la faillite des effets spéculatifs du marché, revient à accepter de confier les moyens de production à de grands groupes privés français ou étrangers. Dans ces conditions, la décentralisation des moyens de production, mais aussi l’éclatement du réseau de distribution, porte en germe une potentielle remise en cause de la péréquation tarifaire et de l’égalité territoriale.
Les solutions consistant à se défaire de ce prix de marché, pourtant largement responsable de la crise, sont pour le moment éliminées d’office, au motif qu’elles sont contraires au dogme de la concurrence. Madame la secrétaire d’État, c’est bien pourtant la réforme en profondeur du marché européen de l’énergie que la France doit défendre ! Nous venons de déposer une proposition de résolution européenne à cet égard.
Cette réforme doit articuler des mesures immédiates : l’extension des tarifs régulés – nous la proposerons demain, dans notre espace réservé – pour les collectivités locales ; la négociation d’une dérogation permettant à la France de rapprocher les prix de nos coûts de production, compte tenu de la spécificité nucléaire de notre mix ; enfin, le plus rapidement possible, une exclusion de l’électricité des mécanismes concurrentiels, à commencer par une décorrélation du prix de l’électricité et du gaz.
C’est urgent, d’autant que les mécanismes de soutien censés compenser les folies du marché coûtent très cher. Le seul bouclier tarifaire, en France, est déjà estimé à près de 45 milliards d’euros !
Je voudrais, madame la secrétaire d’État, évoquer une seconde question : la proposition de directive sur le devoir de vigilance des grandes entreprises. Le Conseil vient d’approuver, le 1er décembre dernier, une position commune considérablement appauvrie, en raison notamment des pressions de la France.
Alors que seulement 16 % des entreprises européennes pratiquent volontairement une forme ou une autre de surveillance de l’ensemble de leur chaîne de valeur, afin de prévenir les impacts négatifs de leurs activités sur les droits humains et l’environnement, le projet de directive européenne portait l’ambition de rendre ce devoir de vigilance obligatoire dans toute l’Union ; on parlait de « zéro abus »…
Le texte adopté a été largement affaibli : la notion de chaîne de valeur a été remplacée par celle de chaîne d’activité, qui n’est pas définie en droit, ce qui ne permet plus d’intégrer les filiales, les sous-traitants et les fournisseurs aux obligations du devoir de vigilance.
Le champ du devoir de vigilance n’inclut ni l’usage qui est fait des produits commercialisés par les entreprises, ni les activités des clients des entreprises de services, ni les exportations d’armes ou de matériels de surveillance. La référence au secteur financier dans la définition de la « chaîne d’activité » a été également amoindrie : la liste des services financiers soumis au devoir de vigilance sera laissée au choix des États membres.
Ainsi, comme le soulignent différentes ONG, « de nombreux services financiers seront exclus, comme les activités d’investissement ou les activités des partenaires commerciaux des entreprises bénéficiant du service financier, exemptant les banques de leurs obligations de vigilance concernant les activités des sous-traitants des entreprises qu’elles financent, alors que, dans le secteur textile ou pétrolier par exemple, l’essentiel des violations survient en lien avec la sous-traitance ».
Vous avez démenti par voie de communiqué, madame la secrétaire d’État, avoir milité pour la sortie des banques du champ de la directive. Dont acte. Mais comment, alors, en est-on arrivé là ? Que s’est-il passé ? Quelle a été, et quelle sera, la position française sur le devoir de vigilance ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est une étape cruciale dans les sanctions infligées à la Russie par l’Occident. Depuis hier, plus aucun navire ne peut décharger de pétrole russe dans les ports de l’Union européenne, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, du Japon ou de l’Australie.
Au terme de difficiles négociations, notamment avec la Hongrie, pays de l’Union particulièrement enclavé et qui fait face à de grandes difficultés pour diversifier ses approvisionnements, un compromis a finalement été trouvé : seul le pétrole arrivant par bateau est concerné par l’embargo.
À cet embargo s’ajoute une nouvelle disposition, décidée vendredi dernier par l’Union européenne : les États membres se sont mis d’accord pour plafonner le prix du baril russe à 60 dollars. Ce plafond a été durci, avec l’ajout d’une disposition prévoyant de le maintenir 5 % en deçà du prix du marché du brut russe.
À ce stade, s’il faut nous féliciter de cette décision commune sur un sujet aussi stratégique, les pays de l’Union faisant face à des situations très disparates en matière d’approvisionnement énergétique et de possibilités de diversification, nous pouvons également nous interroger sur l’efficacité du dispositif, le baril russe se négociant aujourd’hui aux alentours de 65 dollars. Plusieurs pays ont d’ores et déjà fait part de leur déception.
J’en viens à une autre source d’énergie. La présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne a suggéré aux États membres de procéder à des ajustements des conditions d’activation du plafonnement des prix du gaz, jeudi 1er décembre, dans un premier projet de compromis relatif au « mécanisme de correction du marché ».
Présentée le 22 novembre, la proposition législative de la Commission européenne prévoit la mise en place automatique d’un plafond sur le prix du gaz négocié sur le marché des instruments dérivés TTF (taxe sur les transactions financières), lorsque deux conditions sont réunies de manière simultanée : premièrement, le prix de règlement pour les instruments dérivés TTF dépasse 275 euros pendant deux semaines consécutives ; deuxièmement, l’indice TTF European Gas Spot Index (EGSI) est supérieur de 58 euros au prix de référence du GNL au cours des dix derniers jours précédant la fin de la période de deux semaines susmentionnée.
Alors que les États membres partisans d’un plafond ont jugé ces conditions bien trop exigeantes, la proposition de la Commission va trop loin pour les pays opposés à tout plafonnement, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. Afin de trouver un compromis, Prague suggère d’abaisser de 275 euros à 264 euros la limite de prix au-delà de laquelle le plafond serait déclenché et de faire passer à cinq jours les deux périodes requises pour activer le mécanisme.
Le projet de compromis modifie également le champ d’application du mécanisme. Il ne serait ainsi plus limité aux dérivés TTF à un mois, mais concernerait également ceux dont l’échéance est comprise entre un et trois mois.
Enfin, Prague propose de supprimer l’obligation pour les États membres de notifier à la Commission européenne les mesures prises pour réduire la consommation de gaz et d’électricité en cas d’activation du mécanisme. Quelle sera la position de la France sur cette proposition ?
Alors que l’Union européenne entre dans l’hiver et que certains des pays membres font face à des températures inférieures à –10 degrés Celsius, les décisions doivent être prises rapidement.
À l’instar de la covid-19, la guerre en Ukraine est un accélérateur des tendances qui structurent l’Union européenne. Depuis des mois, la guerre est à nos portes et nous oblige à trouver des réponses adaptées. La démarche engagée par la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) lors du premier trimestre 2022 doit se poursuivre, afin de construire une Europe plus souveraine en matière d’énergie, mais aussi plus forte et capable d’agir en matière de sécurité et de défense.
À ce titre, nous nous félicitons de l’approbation par la Commission d’un investissement de près de 1,2 milliard d’euros dans la recherche et le développement en matière de capacités de défense : 61 projets collaboratifs seront soutenus et bénéficieront de financements du Fonds européen de la défense. Ces projets sont nécessaires pour renforcer, à la fois, nos fondations industrielles et technologiques de défense et leur politique de sécurité et de défense commune.
Nous saluons également l’accord trouvé entre les industriels allemands et français sur la phase 1B de l’avion du futur, le Scaf (système de combat aérien du futur). C’est une excellente nouvelle pour la France, mais aussi pour l’Europe de la défense, qui a tout de même du mal à prendre son envol…
C’est une percée majeure pour l’industrie de défense de l’Union, qui se situe au cœur de la « souveraineté européenne » souhaitée par la France. Si les blocages de la première phase du projet sont levés, il faudra de nouveau négocier pour les phases suivantes du projet.
Nous appelons de nos vœux des négociations plus apaisées pour les prochaines phases. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Europe est actuellement plongée dans une crise énergétique inédite.
La production des entreprises est menacée et freine la réalisation de l’objectif de réindustrialisation de l’Europe. Les collectivités sont au bord du gouffre, et avec elles les services publics fournis à nos concitoyens, qui eux-mêmes seront touchés tôt ou tard, puisqu’ils devront bien, un jour, payer le prix du bouclier tarifaire mis en place pour limiter en urgence l’impact de la hausse des prix.
La guerre en Ukraine, les tentatives de désorganisation du marché de l’énergie par la Russie et les sanctions prises par l’Union européenne contre le gaz russe ont mis en lumière les mauvaises décisions prises par notre pays en matière de nucléaire, ainsi que les lacunes du marché commun de l’énergie, en particulier pour ce qui concerne le calcul du prix de l’électricité.
En effet, alors que le prix du gaz s’est envolé du fait du contexte international, le coût de l’électricité atteint lui aussi, mécaniquement, des niveaux jamais vus par le passé, puisqu’il est calculé en fonction du coût de la dernière unité de production, qui est généralement une centrale thermique au gaz.
La politique des petits pas ne suffira pas pour remédier à cette situation. Traiter les conséquences de la crise énergétique sans accepter d’en voir les causes ne nous conduira qu’à une impasse et ne fera qu’aggraver l’état de nos finances publiques.
Le marché européen de l’électricité doit donc être réformé urgemment et en profondeur, en le décorrélant des prix du gaz, afin d’éviter que cette crise ne se poursuive ou ne se reproduise à l’avenir. Pourtant, la Commission européenne n’a toujours pas, à ce jour, présenté de proposition de réforme et ne devrait pas le faire avant mars 2023, alors que la période hivernale sera la plus risquée en termes d’augmentation des prix.
Rendons-nous bien compte que nous serons cet hiver confrontés à des risques de blackout et que des délestages seront très certainement mis en œuvre pour les éviter ! C’est du jamais vu, même si le Président de la République a tenté de nous rassurer en parlant de « scénarios de la peur »…
Je comprends bien que le sujet est très sensible parmi les États membres, qui ont chacun des mix énergétiques, donc des intérêts, différents. Mais la crise sanitaire nous a prouvé que l’Union était capable d’agir beaucoup plus rapidement qu’elle ne le fait actuellement ; quant à l’inadaptation du marché, elle est connue de longue date. Il faut accélérer de toute urgence sur ce volet, et la France doit peser de tout son poids en vue d’aboutir à une solution rapide.
Je souhaiterais donc savoir, madame la secrétaire d’État, si une accélération est prévue ou si nous devons nous résigner à attendre la fin du premier trimestre 2023, donc accepter les risques afférents à l’absence d’application d’une réforme durant l’hiver ?
En outre, pourriez-vous m’indiquer si des pistes commencent au moins à se démarquer ? Quel est, par exemple, l’avis du Gouvernement sur le système grec ?
Celui-ci consisterait à faire reposer la négociation du prix sur deux compartiments de centrales : d’un côté, les centrales « à forte proportion de coûts fixes », c’est-à-dire le renouvelable et le nucléaire, dont le prix de vente serait fixé sur la base d’un appel d’offres fondé sur le coût moyen de production ; de l’autre côté, les autres centrales, fonctionnant aux énergies fossiles, qui auraient un coût variable, le prix final de l’électricité étant alors formé par une moyenne pondérée des deux. Ou privilégieriez-vous d’autres pistes et, dans ce cas, lesquelles ?
Je voudrais, en outre, vous interroger sur une première étape intermédiaire qui pourrait être franchie en cas d’accord sur le principe d’un plafonnement temporaire du prix du gaz, dit « système ibérique ».
Il ne s’agit bien évidemment pas d’une réforme structurelle, et ce plafonnement n’a vocation à intervenir que dans des cas exceptionnels de très forte hausse des prix. Il aurait néanmoins le mérite d’éviter les situations les plus catastrophiques.
Cependant, des désaccords importants persistent entre les États membres, ce qui pourrait encore en retarder l’adoption. En effet, certains pays, dont la France, estiment que le plafond, fixé pour le moment à 275 euros le mégawattheure, est trop élevé et que les conditions sont trop difficiles à atteindre.
Cela a été dit, l’Allemagne et les Pays-Bas y sont pour leur part plutôt opposés, craignant une hausse de la consommation de gaz et un manque de compétitivité face aux marchés asiatique et américain, ce qui pourrait entraîner une rupture de l’approvisionnement du continent.
Or le plafonnement du prix du gaz serait justement accompagné d’un accord de solidarité entre les États membres pour la fourniture d’énergie, d’un accord pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables et d’un objectif de réduction de la consommation de 15 %, ce qui permettrait d’éviter les écueils soulevés par les sceptiques.
Par ailleurs, rien n’empêchera en parallèle d’augmenter les livraisons de gaz par le biais de sources dignes de confiance, telles que la Norvège ou l’Algérie.
Madame la secrétaire d’État, demeurez-vous optimiste sur l’obtention d’un accord ? Quel est l’état d’avancement des discussions ? Pouvons-nous espérer un assouplissement des conditions et/ou un abaissement du plafond, ou devrons-nous nous contenter du mécanisme très restrictif, présenté le 24 novembre dernier aux ministres de l’énergie, qui laisse peu d’espoir d’amélioration quant au prix du gaz ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
Mme Gisèle Jourda. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque nous avons défendu il y a quelques années ici, au Sénat, la proposition de résolution européenne visant à créer le Fonds européen de défense, nous avons entendu des réactions étonnées de personnalités émérites – y compris d’un ancien ministre des affaires étrangères ! –, pour lesquels la paix paraissait durable.
Je n’insisterai pas sur le sujet qui a déjà été abordé par les intervenants précédents, mais la guerre est aujourd’hui malheureusement si proche qu’elle a nécessité de la réactivité de notre part. Après le défi sanitaire auquel l’Europe a dû faire face, il a fallu essayer d’apporter des réponses, ce qui n’a pas été si simple… La réactivité européenne est faite de diversité, et nous n’avons pas tous les mêmes objectifs ou les mêmes façons d’y parvenir.
J’évoquerai ce soir les questions de voisinage, de sécurité et de défense. Alors que la défense européenne n’était plus qu’un vain fantasme pour certains – peu nombreux – qui osaient penser plus loin que l’Otan, et alors que le Fonds européen de défense, pour la création et l’abondement duquel nous nous étions battus, avait été siphonné pour faire face au covid-19, l’Europe s’est enfin décidée à faire siens les mots d’autonomie et de boussole stratégique.
Au-delà de l’aide militaire inédite apportée aux forces armées ukrainiennes et de la décision de faire entrer l’Ukraine et la Moldavie dans le processus d’élargissement, le premier semestre de 2022 a été marqué par l’adoption du premier Livre blanc de la défense européenne.
Cette boussole stratégique européenne a fait l’objet d’un accord unanime des États membres à l’occasion du Conseil européen du 25 mars dernier : il convient de s’en féliciter, tout en restant vigilants. D’après les statistiques de l’Agence européenne de défense, les acquisitions communes de matériels atteignent seulement 18 % des dépenses de défense. C’est deux fois moins que l’objectif de 35 % fixé dans la boussole.
Ce soutien politique est inédit et doit reposer sur un triptyque : la stratégie, la technique et la crédibilité.
L’Union européenne devrait prochainement se doter enfin de la base industrielle et technologique de défense (BITD) autonome, qui sera le fondement technique de son indépendance.
Désormais, l’Union doit mettre en œuvre la feuille de route fixée par la boussole stratégique : c’est une condition nécessaire pour garantir sa crédibilité sur la scène internationale.
Cette stratégie, c’est d’abord la lecture partagée des menaces auxquelles l’Europe doit faire face. C’est aussi le renforcement de la capacité d’action rapide, de commandement et de contrôle. C’est également le renforcement de la coopération face aux menaces hybrides, dans des domaines tels que le renseignement, le cyber, l’espace ou la lutte contre la désinformation. C’est ensuite la question des investissements communs en matière de capacités militaires. C’est enfin les partenariats stratégiques de l’Union.
Il reste une série de questions qui n’ont pas encore été abordées et que je résumerai en une phrase : la défense européenne est-elle un projet visant la coopération ou l’intégration ?
Tant que nous ne clarifierons pas ce que notre politique de défense commune est censée représenter au sein de la construction européenne, nous ne serons en mesure ni de comprendre ce que l’Union doit faire et ne doit pas faire, ni de départager les attributions respectives de l’Union et de l’Otan.
En effet, le retour de la guerre n’est plus une hypothèse d’école. L’inacceptable agression russe perpétrée en Ukraine en est une preuve sanglante. Notre action ne sera crédible qu’à la condition que nous réalisions les efforts techniques et stratégiques nécessaires.
Depuis le 23 juin dernier, la politique de voisinage et d’élargissement de l’Union européenne est entrée dans une phase complètement inédite.
Dès lors, comment valoriser, dans le processus d’élargissement, les efforts incontestables réalisés par l’Ukraine et la Moldavie dans le cadre du partenariat oriental ? Doit-on prendre en compte les acquis obtenus dans le cadre de l’accord d’association, ou ces pays doivent-ils repartir de zéro dans cette longue procédure ?
Quid de la Géorgie, bon élève du partenariat oriental ? Nous ne pouvons pas dire qu’elle ne remplissait pas les critères, ce serait inexact.
Au début du mois d’octobre dernier était organisée la première réunion de la Communauté politique européenne (CPE), voulue par le Président de la République, pour permettre, selon lui, « aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs de trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération ».
Prompte à saluer toute initiative de coopération, je m’interroge sincèrement sur le fonctionnement de nos instances européennes et internationales existantes : ne sont-elles pas censées être déjà cet espace ? La CPE n’est-elle pas un doublon du Conseil de l’Europe, puisqu’elle en a le même périmètre ? Comment se passeront les futures réunions prévues en Moldavie et en Espagne ?
Je m’interroge : si nous n’arrivons pas à trouver des positions communes à 27, allons-nous y parvenir à 44 ? Et il y a un risque grave, celui que l’Union ne s’écartèle sous le poids des ensembles régionaux devenus trop puissants, ou qu’elle ne se détruise en raison d’intrusions de superpuissances bien mieux organisées que nous.
Le succès de la nouvelle phase de la politique d’élargissement qui s’est ouverte cet été reposera sur la capacité de l’Union européenne à faire preuve de pragmatisme et à développer des coopérations concrètes avec nos partenaires. La CPE peut en être l’un des éléments.
Entre une adhésion accélérée illusoire et une procédure interminable aux effets délétères, la CPE a au moins le mérite d’arrimer rapidement à l’Union les pays aspirant à la rejoindre.
Je conclurai en demandant la mise en œuvre d’un plan de relance du partenariat oriental. Un accord d’association était en voie d’établissement avec l’Azerbaïdjan. Où en sommes-nous ? N’abandonnons pas le partenariat oriental : c’est un outil qu’il ne faut pas négliger ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. André Reichardt. Très bien !
Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à quelques jours du Conseil européen, nous tenons ce traditionnel débat parlementaire visant à éclaircir les différents points qui y seront abordés.
Pour commencer, le conflit russo-ukrainien demeure le plus grand défi actuel de l’Union européenne. Dans une guerre unilatéralement déclarée par la Fédération de Russie, nous devons évidemment rester aux côtés du peuple ukrainien et de son gouvernement.
Alors que les soldats des deux armées creusent des tranchées et que les combats font rage, comme à Bakhmout où opère la sinistre milice Wagner – l’armée de l’ombre de Poutine –, une issue diplomatique semble impossible à court terme. Nous y sommes donc : la guerre de mouvement fait place à une guerre de positions.
Ces termes ne sont pas anodins pour nous, Français, puisqu’ils renvoient au premier conflit mondial, qui a marqué à jamais notre pays.
Nous devons aujourd’hui puiser dans les leçons du passé pour mieux préparer l’avenir. Il s’agit de prévenir tout embrasement militaire à l’échelle continentale. C’est pourquoi le soutien, tant militaire qu’humanitaire, en faveur de l’Ukraine doit se poursuivre et s’intensifier.
Aussi, pour paraphraser la devise européenne, nous avons l’impérieuse nécessité de rester « unis dans la diversité ».
Unis, comme cela fut le cas lors de l’adoption de plusieurs paquets de sanctions, dont les effets limités restent toutefois perceptibles, puisque le PIB russe a diminué de 4 % en 2022.
Solidaires, aussi, en matière de défense : l’envoi de troupes françaises, tchèques, italiennes ou encore belges dans les États limitrophes de la Russie participe à maintenir une posture commune face à Moscou. J’ai une pensée particulière pour nos soldats mobilisés, tout particulièrement pour le 4e régiment de chasseurs alpins de Gap, dans mon département des Hautes-Alpes, qui est actuellement stationné en Roumanie.
Mes chers collègues, quand les démons du passé frappent aux portes du présent, il est de notre devoir de démocrates de faire triompher la raison sur la passion, l’humanité sur la brutalité.
Oui, cette guerre a définitivement été un révélateur des forces et faiblesses de l’Union européenne à tous les niveaux. Si j’ai mis en avant la réaction unanime et concertée des États membres face à l’agression russe, il ne faudrait pas pour autant occulter nos erreurs collectives et ne pas en tirer d’enseignements.
Je pense, par exemple, aux décennies de débats autour de l’autonomie militaire de l’Union, qui nous fait aujourd’hui défaut. Si la France a toujours été proactive sur ces sujets, de nombreux États membres ont souvent repoussé les discussions aux calendes grecques. L’accroissement des dépenses militaires annoncées par l’Allemagne ou encore la demande d’adhésion à l’Otan de la Suède et de la Finlande vont dans le bon sens, mais ce n’est que le début du processus.
L’autonomie stratégique au niveau européen est une assurance vie face aux futures mutations géopolitiques, dans un ordre mondial toujours plus troublé.
Néanmoins, autonomie ne signifie pas isolationnisme. C’est pourquoi je m’inscris dans les récents propos du Président de la République, qui, à l’occasion de sa visite d’État aux États-Unis, a appelé à renforcer « l’intimité stratégique » entre les deux côtés de l’Atlantique. Nous sommes des frères d’armes, a-t-il dit, et je suis d’accord avec lui.
Cette nécessaire autonomie s’applique également au secteur énergétique, comme l’ont souligné certains orateurs. Le développement des énergies renouvelables au sein d’un mix énergétique doit être favorisé à l’échelle européenne. En effet, les situations se révèlent très disparates : alors que la Hongrie dépend à 80 % de la Russie pour ses besoins en gaz, d’autres États, comme la France, possèdent une autonomie énergétique relative.
Je dis bien « relative », car il est question non pas uniquement de la production, mais de l’ensemble de la filière : des matières premières à la commercialisation, en passant par le traitement des déchets. Car oui, comme vous l’avez sans doute lu dans la presse récemment, mes chers collègues, l’unique entreprise capable de recycler l’uranium de nos centrales nucléaires est russe ! Le groupe Orano continue donc d’expédier de l’uranium vers l’usine de Seversk, en Sibérie, appartenant au groupe Rosatom.
En parlant de dépendance économique, je souhaite également évoquer la récente annonce par le gouvernement américain d’un Inflation Reduction Act.
Ce plan de réformes, qui couvre aussi bien la santé que le soutien aux entreprises, comprend en particulier un volet climat. Près de 400 milliards de dollars serviront à financer des mesures sur dix ans, qui doivent permettre aux États-Unis d’atteindre leur objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour les particuliers, cela signifie, par exemple, une aide de 7 500 dollars pour l’achat d’un véhicule électrique ou un dispositif de soutien à l’installation de panneaux solaires.
Jusque-là, tout va bien, mais ces mesures concernent uniquement les produits et services provenant du sol américain ou nord-américain. Cette véritable clause de préférence nationale n’est pas sans conséquence pour les Européens, parce qu’elle met en danger nos industriels.
L’administration Biden va favoriser les Tesla américaines par rapport aux BMW allemandes et aux Renault ou Peugeot françaises. Il y a surtout un risque de délocalisations massives d’entreprises européennes, tandis que des entreprises américaines qui avaient investi en Europe préféreront fabriquer sur le sol américain pour bénéficier des aides.
Cela a été rappelé à plusieurs reprises, ces mesures ouvertement protectionnistes vont à l’encontre des principes de libre-échange de l’OMC. C’est du moins ce qu’ont déclaré les ministres de l’économie allemand et français.
Face à cet état de fait, nous, Européens, devons réagir. Soit en négociant des dérogations, comme cela est le cas pour les Canadiens ou les Mexicains. Soit, comme l’a proposé le Président de la République, en établissant des dispositifs similaires, afin de sauvegarder les industries européennes et d’affirmer la place du vieux continent dans la compétition mondiale face à la Chine. J’attends, madame la secrétaire d’État, des précisions sur ce point.
Le dernier dossier que je souhaite aborder devant vous n’est pas le plus médiatisé, mais c’est celui qui a le plus d’écho dans les territoires ruraux : la nouvelle politique agricole commune (PAC).
Pilier de la construction européenne, l’ambition de l’autosuffisance alimentaire a toujours animé cette politique. Bien que plus de 387 milliards d’euros y soient consacrés jusqu’en 2027 avec des objectifs sociaux et environnementaux ambitieux, deux écueils, et non des moindres, persistent.
Tout abord, les nouveaux objectifs s’inscrivent dans le Pacte vert européen visant à favoriser la transition écologique. Dans cette perspective, une étude du Joint Research Center a conclu que la mise en œuvre de cette démarche entraînerait une réduction de la production : de 10 % à 15 % dans les filières céréales, oléagineux, viande bovine et produits laitiers, de plus de 15 % dans le porc et la volaille et de plus de 5 % dans les légumes et les cultures permanentes.
J’alerte donc : la transition écologique dans le domaine agricole, c’est non pas produire moins, mais produire mieux.
Oui, il faudra bien nourrir nos concitoyens. Et si nos agriculteurs produisent moins au nom de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, nous aurons recours aux importations depuis l’étranger, dont l’empreinte écologique est bien supérieure. L’écologie doit infuser toutes nos politiques agricoles, et elle doit se conjuguer avec les défis alimentaires à venir.
Ensuite, à la différence de l’ancienne PAC, la nouvelle prévoit que ce sont les États qui définissent les priorités du pays et les critères sur lesquels seront versées les aides vertes, dans le cadre d’un plan stratégique national. Que les États aient une marge d’appréciation ou d’adaptation pour la bonne application de la PAC, c’est une chose ; mais que chaque État fixe sa feuille de route, c’en est une autre.
Concrètement, nous assistons à une renationalisation de cette politique qui n’a plus que les fonds en commun. J’en appelle au Gouvernement, afin qu’il engage tous les moyens possibles pour préserver notre agriculture et nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à M. André Reichardt. (M. Jean-Claude Anglars applaudit.)
M. André Reichardt. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les discussions du prochain Conseil européen seront une nouvelle fois dominées par la guerre en Ukraine et ses conséquences sur notre continent. Néanmoins, les chefs d’État et de gouvernement débattront aussi à cette occasion des relations qu’entretient l’Union avec son voisinage méridional.
Nos liens avec la rive sud de la Méditerranée et, au-delà, avec le continent africain revêtent naturellement de multiples dimensions. Mais l’actualité récente – celle de ce qu’il faut bien appeler le fiasco de l’Ocean Viking, mais aussi celle, un peu plus ancienne, du drame de Melilla en juin dernier – vient nous rappeler à quel point la question migratoire reste prégnante.
Sept ans après le déclenchement de la crise de 2015, nous ne pouvons que constater combien l’Europe reste engluée dans ses contradictions, incapable d’opposer une réponse commune à des mouvements migratoires qui semblent toujours plus incontrôlés.
Dès 2016, pourtant, un premier paquet de réformes avait été proposé par la Commission Juncker. Malgré un certain nombre d’accords entre le Parlement et le Conseil, il s’est finalement heurté au mur des dissensions concernant la prise en charge des demandeurs d’asile. La Commission von der Leyen a donc repris le flambeau, mais, les mêmes causes produisant les mêmes effets, ces propositions sont elles aussi bloquées depuis deux ans.
La présidence tchèque, comme avant elle la présidence française, ne ménage pas ses efforts pour parvenir à un compromis. Quelques progrès sont certes à saluer, sur Eurodac ou sur le règlement Filtrage. Mais l’équilibre global, indispensable pour que la réforme puisse aboutir, semble toujours largement hors de portée – équilibre entre États, bien sûr, mais aussi entre institutions.
En effet, le Conseil, malgré ses divisions sur l’aspect solidarité, se retrouve largement sur certains points fondamentaux, comme la protection des frontières extérieures, le renforcement de la politique de retours ou l’attention accrue portée au modus operandi de certaines ONG en Méditerranée, qui se révèle parfois – je dirais même souvent – contraire aux règles et procédures définies par les conventions internationales.
Cette approche est malheureusement loin d’être partagée au Parlement européen, voire au sein de la Commission, où prévaut une ligne différente, qui s’apparente parfois à une consécration de facto d’un nouveau droit à la migration – je parle bien d’un « droit à la migration ». La Commission semble rejeter par principe un postulat pourtant fondamental : nul ne doit pouvoir entrer ou s’installer sur le sol européen sans y avoir été au préalable légalement autorisé.
Entre ces deux conceptions divergentes, l’Europe semble toujours incapable de trancher. L’agence Frontex et son désormais ex-directeur exécutif ont fait les frais de cette opposition entre le Conseil, la Commission et le Parlement, ainsi que des injonctions politiques contradictoires qui n’ont cessé d’en découler, alors même que Frontex a comptabilisé 281 000 passages illégaux des frontières de l’Union en une année, en progression – excusez du peu ! – de 77 % par rapport à l’année précédente…
Cette ambiguïté de l’Union maintient notre continent dans un tragique état de fragilité face aux phénomènes migratoires, le condamne à un certain nombre de psychodrames – la récente crise franco-italienne en est une parfaite illustration – et le contraint malheureusement à rechercher de vagues solutions d’attente.
La Commission a ainsi présenté le 21 novembre dernier un plan d’urgence en vingt points censé répondre à la hausse des flux en Méditerranée et aux mésententes des États membres concernant les opérations de recherche et de sauvetage. Un plan qui, dans les faits, ne prévoit rien de véritablement concret ni de très nouveau, notamment par rapport au mécanisme volontaire de solidarité mis en place en juin 2022.
En attendant, le nombre des arrivées et des demandes d’asile explose de nouveau. Quant à la politique de retours, la présidence tchèque constate que, malgré les outils mis en place, ses résultats restent médiocres.
Madame la secrétaire d’État, les institutions européennes ont signé une feuille de route avec en point de mire un accord d’ici à février 2024, soit l’ultime limite avant les prochaines élections européennes. Ce calendrier, avant tout basé sur des considérations politiques, risque malheureusement de ne pas être tenu. Il y a pourtant urgence à conclure ce dossier, qui n’a que trop duré et qui sape chaque jour un peu plus la crédibilité du projet européen vis-à-vis de nos concitoyens.
N’oublions pas non plus que, avec la crise de 2015, ce sont les fondations mêmes de l’espace Schengen qui ont vacillé, menaçant d’emporter avec elles le principe de libre circulation.
La question de l’asile et des migrations reste donc indissociable de celle du fonctionnement de l’espace Schengen. La réforme engagée, bien qu’elle soit loin de la « remise à plat » voulue il y a quelques mois par le Président de la République, apparaît néanmoins utile. Mais elle aussi n’avance que lentement. Et alors qu’elle n’a pas encore été menée à bien, la Commission et le Parlement européen viennent de donner leur aval à l’adhésion de la Croatie à l’espace Schengen,…
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. André Reichardt. … tout en préconisant également l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie.
Selon toute vraisemblance, le Conseil se prononcera dans deux jours sur cette question. Madame la secrétaire d’État, quelle sera la position défendue par la France ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
(M. Pierre Laurent remplace Mme Pascale Gruny au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les chefs d’État ou de Gouvernement de l’Union européenne se retrouvent la semaine prochaine à Bruxelles dans un contexte géopolitique et économique toujours très tendu.
Si la guerre en Ukraine sera une nouvelle fois au menu des échanges, avec l’entrée en vigueur du dernier train de sanctions à l’encontre de la Russie, les discussions porteront aussi sur les tensions commerciales entre Européens et Américains.
En se rendant aux États-Unis, Emmanuel Macron espérait convaincre Joe Biden de renoncer à son Inflation Reduction Act. Il n’a pu que constater une nouvelle fois la posture hyperprotectionniste des Américains, dont il avait fait déjà l’amère expérience en 2021 lors de l’annulation du « contrat du siècle » avec l’Australie.
Les priorités de Joe Biden ont toujours été claires : d’abord la politique intérieure, ensuite la Chine et, loin derrière, éventuellement, l’Europe. Cette posture des Américains renvoie notre continent à ses propres faiblesses et à l’impérieuse nécessité pour lui de réagir s’il ne veut pas finir par devenir invisible sur la scène internationale.
Face à l’ampleur des plans américains de nature protectionniste, aggravés par un choc négatif de compétitivité des prix de l’énergie, l’Europe doit soutenir puissamment son industrie et appliquer elle aussi une préférence pour les productions localisées sur notre continent.
Encore faudra-t-il que l’Europe puisse lever des moyens comparables à ceux des États-Unis : quand nous autorisons un financement public de 5 milliards d’euros pour l’hydrogène vert, Washington met 100 milliards de dollars sur la table. Le chemin semble donc encore bien long !
Puisqu’il est ici question de souveraineté industrielle, je voudrais vous interroger, madame la secrétaire d’État, sur deux sujets importants qui ont fait l’objet de travaux récents au Sénat : la santé et le numérique.
En matière de santé, notre pays fait actuellement face à des ruptures d’approvisionnement concernant de nombreux médicaments : c’est le cas notamment de la cortisone et des antibiotiques.
Alors que la situation est similaire chez nos voisins, la Commission européenne tarde à proposer une révision de la législation pharmaceutique et un plan d’action à l’échelle de l’Union pour lutter contre ces pénuries, lequel devrait passer par une plus grande maîtrise des approvisionnements et de la production.
Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est aujourd’hui et ce que peut faire la France pour inciter la Commission à prendre davantage en compte ce problème ?
Par ailleurs, la Commission a présenté une proposition de règlement visant à établir un espace européen des données de santé. Le Sénat, par mon intermédiaire et celui de ma collègue Laurence Harribey, entend se saisir de ce sujet pour garantir la protection des données à caractère personnel.
En effet, si nous comprenons bien l’enjeu que représente l’utilisation de ces données pour favoriser la recherche médicale, il est tout aussi indispensable d’en préserver la confidentialité, afin d’assurer la protection des libertés individuelles.
Les cyberattaques récurrentes menées contre notre système de santé – la plus récente vise l’hôpital de Versailles depuis samedi dernier – montrent que le sujet doit être pris très au sérieux. Nous devons nous armer contre ces hackers sans scrupule qui n’hésitent plus à diffuser sur le darknet des données confidentielles concernant les patients.
Pouvez-vous nous indiquer quelle position défend actuellement le gouvernement français dans le cadre des négociations au Conseil sur ce texte, notamment en ce qui concerne l’hébergement des données ?
En matière de numérique, la Commission européenne a également présenté une proposition de règlement visant à améliorer les conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme.
Ces plateformes numériques modifient la relation salarié-employeur classique et ont donc un impact important sur notre législation. Notre vigilance est nécessaire pour garantir la protection des travailleurs.
Pouvez-vous nous donner des informations concernant l’évolution des négociations sur ce texte ? Votre réponse intéressera également ma collègue Laurence Harribey.
Aujourd’hui, l’Union européenne et les États membres sont confrontés au défi que représente l’utilisation accrue des technologies du numérique développées le plus souvent par des opérateurs étrangers. On le voit aussi bien pour la question des travailleurs de plateforme que pour l’espace européen des données de santé.
La question de la sécurité, qui est à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, ne peut être dissociée de celle de la souveraineté européenne, sur le plan tant sanitaire que numérique. Cette question doit désormais devenir centrale dans toutes les discussions. Nous comptons sur le Gouvernement pour y veiller de près ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Laurence Harribey applaudit également.)
(Mme Pascale Gruny remplace M. Pierre Laurent au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-présidente
Mme le président. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Cadec. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 15 et 16 décembre prochain sera largement consacré aux questions de politique étrangère, de sécurité et de défense, notamment à la guerre en Ukraine et aux relations de l’Union avec les pays de son voisinage méridional. Il est cependant prévu que les chefs d’État et de gouvernement abordent également certaines questions économiques concernant l’énergie.
À l’évidence, toutes ces questions sont liées entre elles et sont plus importantes et urgentes les unes que les autres.
Nos concitoyens attendent surtout des dirigeants européens qu’ils fassent preuve de fermeté dans la défense des intérêts de l’Union et d’efficacité dans la prise de décision.
La solidarité avec le peuple ukrainien doit être sans cesse réaffirmée. Qu’on le veuille ou non, tout signe contraire, témoignant d’un début de lassitude de nos opinions publiques ou d’une certaine irrésolution de l’Union, serait perçu par les Russes comme une marque de faiblesse.
Nous n’avons donc pas d’autre choix que de poursuivre dans cette voie et de maintenir à tout prix l’unité du bloc tant qu’une issue satisfaisante n’aura pas été trouvée dans des termes acceptables pour l’Ukraine.
Le Président de la République a récemment répété qu’il entendait maintenir un dialogue direct avec le dirigeant russe. Je veux croire qu’il le fera avec le soutien explicite de ses partenaires européens et des autres alliés de l’Ukraine.
L’exercice est délicat, car il faut éviter d’ajouter de la confusion à la confusion. Les postures narcissiques et la volonté de se donner une importance personnelle ne doivent tenir aucune place dans ce genre d’exercice.
Le Conseil européen de décembre sera l’occasion pour les chefs d’État et de gouvernement d’envisager un paquet supplémentaire de sanctions – le neuvième – contre la Russie.
Toute sanction, quelles que soient sa nature et son ampleur, soulève cependant deux questions essentielles : celle de son efficacité pour amener le pays qui en est la cible à la résipiscence et celle de ses éventuelles répercussions négatives sur les pays qui adoptent la sanction.
Il me semble que, sur l’un et l’autre point, la pertinence des huit paquets de sanctions adoptés jusqu’à présent par l’Union n’a pas encore été totalement démontrée, tant s’en faut. Il serait bon que l’examen d’un éventuel nouveau paquet fournisse l’occasion d’un bilan réaliste.
La question vitale de l’énergie est bien sûr liée aux développements géopolitiques récents, mais elle ne s’y résume pas. Le tarissement de nos approvisionnements en gaz et en pétrole de Russie a surtout mis en évidence les mauvais choix politiques faits en Europe, particulièrement en France, au cours de la dernière décennie, marquée par un abandon programmé injustifiable de la filière nucléaire et par une aggravation inconsidérée, surtout de la part de l’Allemagne, de la dépendance gazière à l’égard de la Russie.
L’explosion des prix de toutes les sources d’énergie que nous subissons actuellement se conjugue à d’autres facteurs pour attiser le foyer d’une inflation galopante, qui affecte de plus en plus durement les entreprises comme les familles.
Enrayer ce processus infernal devrait être l’une des priorités des dirigeants européens. Évidemment, la solidarité est de mise, même s’il est apparu récemment que les intérêts des uns et des autres peuvent sérieusement diverger, voire se heurter.
Nous attendons de ce Conseil européen qu’il propose des solutions fortes et cohérentes, susceptibles de manifester rapidement leurs effets sur le marché des produits énergétiques.
En outre, toute discussion entre les chefs d’État et de gouvernement sur les relations de l’Union avec son voisinage méridional, particulièrement avec les pays du Maghreb, devra porter en priorité sur le problème de la gestion des flux migratoires.
La question de l’accueil des candidats à l’immigration en Europe est de plus en plus urticante. Elle envenime aussi bien nos débats de politique interne, en faisant le jeu des extrêmes des deux bords, que les relations diplomatiques au sein de l’Union entre les États membres principalement concernés.
Pour lutter efficacement contre ce phénomène et contre les réseaux criminels qui l’entretiennent, la coopération des pays d’origine est indispensable ; elle n’est pourtant pas à la hauteur de ce que l’Union serait en droit d’attendre. Les refus de réadmission le plus souvent manifestés par ces États, à la suite de décisions d’expulsion prises par les autorités des pays européens, sont tout simplement intolérables.
Les accords de réadmission et la mise en œuvre d’une coopération judiciaire et policière étroite devraient constituer pour l’Union une condition sine qua non à l’ouverture commerciale de notre marché intérieur aux marchandises de ces pays et à l’octroi d’autres mécanismes d’aide européenne pour leur développement économique.
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Alain Cadec. Telles sont, madame la secrétaire d’État, quelques-unes des grandes préoccupations que nous souhaiterions voir porter par le Président de la République à l’occasion de cette importante réunion du Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie vivement de vos interventions et de vos questions, auxquelles je vais tâcher de répondre.
Je commencerai par les points à l’ordre du jour du Conseil européen, avant de revenir sur les autres sujets d’actualité sur lesquels vous avez eu la gentillesse de m’interroger.
Premièrement, la plupart d’entre vous ont évoqué dans leurs interrogations la guerre menée par Vladimir Poutine en Ukraine. Je voudrais le redire devant vous : la France continuera à soutenir l’Ukraine. Comme le disait le sénateur Marie, ce soutien sera humanitaire, militaire et financier.
Il ne faut pas oublier d’ailleurs le soutien humanitaire lorsque l’on établit des comparaisons, parfois de manière trop hâtive : l’Europe est le seul continent qui accueille 2 millions de réfugiés en provenance de ce pays.
Nous continuerons de soutenir l’Ukraine dans la durée, puisque, comme la sénatrice Guillotin et le sénateur Allizard l’ont souligné, la guerre risque d’être longue.
J’ajouterai pour vous répondre, monsieur le sénateur Allizard, que, lorsque nous parlons de soutien et de défense, nous les envisageons évidemment dans le cadre d’une préférence européenne, au travers, par exemple, de la proposition de règlement relatif à la mise en place de l’instrument visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes, dite Edirpa. Nous prêtons une attention toute particulière à cette préférence.
Monsieur le sénateur Cadec, vous avez mentionné certains propos du chef de l’État sur l’Ukraine. Je le répète dans cet hémicycle : la paix se fera dans les conditions déterminées par l’Ukraine et quand celle-ci le souhaitera. Le Président de la République, à l’image de l’ensemble de nos partenaires, a déjà eu l’occasion de le préciser.
Comme vous le savez, l’Union européenne a pris la décision de soutenir l’Ukraine dans cette guerre et de collaborer en ce sens avec tous ses alliés. Ainsi, avec nos partenaires du G7 et l’Australie, nous avons décidé de plafonner les prix du pétrole russe.
Vous rappeliez, monsieur le sénateur Kern, que ce plafond a été fixé à 60 dollars. Cette mesure contribuera à réduire la capacité de la Russie à mener sa guerre, en diminuant fortement ses revenus issus du pétrole. Je ferai remarquer qu’elle a déjà contribué à faire baisser les prix, monsieur de Montgolfier, puisque les prix du brut ont atteint un plancher aujourd’hui.
Pour la suite, l’Union européenne continue de travailler à de nouvelles mesures, après déjà huit paquets de sanctions qui pèsent sur le régime russe. Plusieurs options supplémentaires sont à l’étude, notamment la restriction d’exportations dans les domaines de la technologie, des banques et des services, ainsi que de nouvelles désignations de responsables politiques, militaires et économiques russes soutenant la guerre.
Monsieur le sénateur Allizard, monsieur le sénateur Arnaud, vous l’avez tous deux souligné, c’est l’affaiblissement de la Russie à moyen terme que nous visons, et nous l’obtiendrons.
Monsieur Rapin, vous m’avez interrogée sur la mise en place d’un tribunal spécial pour les crimes relatifs à l’agression de la Russie. La lutte contre l’impunité pour les crimes commis en Ukraine est pour la France une priorité. Nous nous sommes mobilisés, en soutien tant de la justice ukrainienne que de la Cour pénale internationale.
S’agissant de la proposition de créer un tribunal spécial, nous avons commencé à y travailler avec nos partenaires européens et ukrainiens ; vous savez que nous avons reçu l’envoyé spécial ukrainien à ce sujet. Évidemment, il reviendra d’obtenir le plus large consensus possible au sein de la communauté internationale.
Deuxièmement, l’énergie, du fait de vos nombreuses interventions à ce sujet, est un enjeu qui me permettra de m’adresser à tout le monde.
Vous le savez, elle est vraiment au cœur de nos priorités européennes communes. J’ai rappelé les différents textes sur lesquels les ministres de l’énergie ont travaillé d’arrache-pied ces dernières semaines. Il est, d’évidence, important de préserver un cadre de concurrence équitable, comme l’a rappelé le sénateur Médevielle, sans sacrifier à la solidarité, comme l’a souligné le sénateur Fernique.
Monsieur le sénateur Rapin, madame la sénatrice Guillotin, vous avez mentionné le mécanisme de plafonnement du gaz. Il n’est pas assez ambitieux, nous en sommes d’accord. Certes, une réforme de l’indice du gaz est menée pour mieux refléter les prix à la fois du gaz par gazoduc et du gaz naturel liquéfié (GNL), mais il est clair qu’il faut aller plus loin.
Par conséquent, nous allons continuer d’insister pour faire baisser les prix du gaz, de même que nous allons continuer à utiliser la palette d’outils qui existe déjà ; elle contribuera à cette baisse.
Je pense à la plateforme d’achats conjoints qui nous donne un pouvoir de marché important. Je pense également aux discussions avec des partenaires stables, comme la Norvège et les États-Unis. Je pense enfin à l’accélération du déploiement des énergies renouvelables, qui va accroître notre indépendance ; il me semble que le sénateur Marie l’a spécifiquement mentionné.
Messieurs les sénateurs Rapin, Laurent et Pellevat, vous m’avez interrogée sur l’état des négociations relatives à la réforme du marché de l’électricité. Nous sommes d’accord : cette réforme est absolument essentielle, puisqu’elle va nous permettre de découpler durablement le prix de l’électricité de celui des énergies fossiles.
Il se trouve que la Commission nous a donné un calendrier assez précis pour cette réforme. Une consultation va être lancée sur la base d’un premier projet, d’ici à quelques jours ; sur cette base, la Commission formulera une proposition législative au mois de mars prochain.
Cela prend un peu de temps, du fait non seulement des consultations, mais aussi, monsieur le sénateur Pellevat, des études d’impact. Il me semble que nous nous dirigeons, pour cette réforme, vers quelque chose qui ressemblera aux contrats sur différence.
En tout état de cause, cette réforme sera adoptée avant les élections européennes, au printemps de 2024. Elle s’appliquera donc pour l’hiver 2024-2025. Il va nous falloir travailler à une solution pour l’hiver 2023-2024, afin que les prix de l’électricité soient maîtrisés. L’une des pistes est la prolongation des mesures de captation de la rente des énergéticiens, que nous avons adoptées cet hiver.
À ce propos, il est vrai que l’inflation provoquée par la hausse des coûts de l’énergie nous inquiète et aura sûrement des répercussions ; elle en a déjà sur les projets financés par le plan national de relance et de résilience (PNRR).
À ce stade, nous avons seulement envisagé des modifications marginales du cadre financier pluriannuel pour pouvoir préserver nos priorités, mais nous suivrons attentivement la situation.
À moyen terme, monsieur le sénateur Allizard, la transition énergétique assurera effectivement la sécurité de notre approvisionnement, qui sera atteinte grâce à notre autonomie – elle doit être la plus grande possible – et à la diversification des sources d’énergie. Plusieurs d’entre vous l’ont souligné, nous ne reviendrons pas au business as usual.
Troisièmement, j’ai été interrogée sur les relations avec la Moldavie par Mme la sénatrice Véronique Guillotin, qui, comme elle l’a précisé, est présidente du groupe d’amitié avec ce pays.
La Moldavie s’est vu octroyer le statut de pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne lors du Conseil européen des 23 et 24 juin.
Elle a désormais à mettre en œuvre les neuf mesures énoncées par la Commission européenne dans son avis du 17 juin sur la demande d’adhésion moldave ; ces mesures portent sur la réforme de la justice, sur la lutte contre la corruption, la criminalité organisée et l’influence des oligarques, sur la réforme de l’administration publique, sur la réforme de la gestion des finances publiques et sur la protection des droits de l’homme.
J’ai bien conscience que ces exigences sont nombreuses et importantes, mais elles sont essentielles pour préserver l’État de droit à nos frontières et dans l’Union. Nous soutenons les efforts de la Moldavie pour mettre en œuvre ces réformes.
Quatrièmement, j’ai été interrogée par Mme la sénatrice Jourda sur l’articulation entre la Communauté politique européenne et les autres organisations, notamment le Partenariat oriental ou le Conseil de l’Europe ; j’ajoute l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), que vous n’avez pas mentionnée, si mes souvenirs sont bons.
La CPE n’est pas une organisation multilatérale concurrente de ces organisations. Une majorité de nos partenaires, d’ailleurs, préfère très clairement un format souple, plus proche de celui du G7 ou du G20 qui, comme vous le savez, ne disposent pas de secrétariat permanent.
Nous sommes attentifs à la bonne articulation des travaux et du calendrier de la CPE avec ceux du Conseil de l’Europe, de l’OSCE et du Partenariat oriental.
À mon sens, il faut distinguer les objectifs : l’OSCE s’occupe de la sécurité, le Conseil de l’Europe de l’État de droit ; la CPE, quant à elle, est un espace politique, notamment pour discuter de sujets relatifs à l’Arménie, à l’Azerbaïdjan ou aux enjeux maritimes. Cet espace politique a été très utile le 6 octobre dernier, cela a été rappelé, pour l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
La CPE permet également de développer des projets concrets, comme l’éventuelle itinérance graduelle pour les pays membres – je la mentionnais précédemment – ou le déploiement d’infrastructures.
J’ajoute que de nombreux pays – Ukraine, Moldavie, Balkans occidentaux – me semblent avoir un grand appétit pour cette Communauté politique européenne. En s’élargissant, elle leur permet en effet de bénéficier de notre voisinage.
Monsieur le sénateur Rapin, monsieur le sénateur Allizard, messieurs les sénateurs Arnaud et Fernique, madame la sénatrice Guillotin, madame la présidente Gruny – je crois n’oublier personne ! –,…
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Le sujet fait l’unanimité sur nos travées !
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. … vous avez mentionné l’Inflation Reduction Act. Voilà au moins un élément consensuel ! Comme certains d’entre vous l’ont précisé, ce texte vient s’ajouter au différentiel de compétitivité créé par le choc des prix de l’énergie.
Il faut avoir en tête plusieurs éléments.
Tout d’abord, il existera quelques marges de manœuvre dans l’application de cette loi américaine lorsqu’elle fera l’objet d’un décret. Cela dit, ces marges de manœuvre, je crois que vous en avez parfaitement conscience, seront assez faibles.
Ensuite, nous disposons d’outils européens, par exemple les outils anti-subventions. Certains d’entre vous se sont inquiétés d’une possible guerre commerciale ; pour cette raison, les outils anti-subventions seront maniés avec précaution. Vous avez également mentionné le fonds souverain évoqué par la présidente de la Commission européenne dans son discours sur l’état de l’Union en septembre dernier.
Comme vous le savez peut-être, j’étais présente la semaine dernière au conseil Compétitivité au cours duquel il a été discuté de ce fonds. La plupart des pays sont favorables non seulement à l’accélération de sa mise en place, mais aussi à l’augmentation des investissements dédiés ; plusieurs d’entre vous ont, à ce titre, mentionné les montants accordés aux projets importants d’intérêt européen commun (Piiec).
Les États de l’Union se sont prononcés pour l’accélération de la délivrance tant du statut de Piiec que des sommes accordées au titre du fonds souverain. En effet, les États-Unis, avec l’Inflation Reduction Act, mettent en place des crédits d’impôt bien plus rapides que ne l’est le montage de projets Piiec.
Par ailleurs, comme vous le savez, ces projets sont souvent destinés à la transition énergétique, notamment dans le domaine de l’hydrogène et des batteries. À cet égard, je dois féliciter le Parlement européen et l’eurodéputé Canfin pour leur soutien, en particulier sur la déforestation.
Cinquièmement, M. le sénateur Gattolin a parlé de la Chine.
M. André Gattolin. Ainsi que M. Pascal Allizard !
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. En effet ! M. Allizard a posé énormément de questions… (Sourires.)
Vous connaissez le triptyque qui est le nôtre à l’égard de ce pays : coopération, concurrence et rivalité systémique. Lors du dernier Conseil européen, le Président de la République s’est exprimé avec force quant à l’importance croissante de la rivalité systémique dans nos relations avec la Chine.
Concrètement, cette rivalité croissante se traduit par la nécessité de renforcer à la fois les clauses miroir et la réglementation sur l’accès à nos marchés publics. À l’avenir, nous pourrions évidemment nous intéresser de plus près aux outils de contrôle d’exportations ou de filtrage d’investissements.
Sixièmement, les sénateurs Marie et Médevielle m’ont interrogée sur la relation franco-allemande. La semaine passée a témoigné, je dois le dire, d’une intense collaboration franco-allemande, puisque la ministre allemande des affaires étrangères est venue rencontre à Paris la ministre Colonna, les ministres des finances et de l’économie sont allés voir le ministre Bruno Le Maire, et, côté français, la Première ministre s’est rendue à Berlin, où je l’ai accompagnée.
Le travail est réellement intense dans la perspective du prochain conseil des ministres franco-allemand. Même si sa date n’est pas encore arrêtée, nous avons tous en tête le moment important des 60 ans du traité de l’Élysée.
Les travaux s’intensifient dans les domaines de la défense, du spatial, de l’énergie, de la culture, de l’éducation et dans bien d’autres secteurs, sur lesquels nous reviendrons à une autre occasion.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. C’est une bonne nouvelle !
M. André Gattolin. Comme le traité du Quirinal, en somme !
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Non, mieux encore ! (Sourires.)
Septièmement, le sénateur Marie m’a interrogée sur le pacte de stabilité et de croissance. Nous retrouvons dans les propositions de la Commission les principes auxquels nous sommes attachés : croissance, investissements et soutenabilité.
Nous partageons un cadre commun dans lequel les trajectoires sont personnalisées et qui nous permettra de mettre en œuvre les investissements dont nous avons besoin.
Pour ce qui nous concerne, je pense aux investissements dans la transition énergétique ; pour nos amis allemands, en plus de cette transition, la défense peut nécessiter davantage de dépenses. Ce cadre accorde cette souplesse. Mais bien sûr, le diable réside dans les détails, et nous attendons encore de préciser quelques points.
J’en ai terminé avec les questions relatives au Conseil européen. À présent, je vais répondre à quelques questions plus spécifiques.
En premier lieu, les sénateurs Laurent et Fernique m’ont interrogée sur le devoir de vigilance des entreprises. Il faut nous féliciter de l’accord auquel nous sommes parvenus jeudi dernier. En effet, il dessine le régime de vigilance le plus ambitieux au monde. En 2017, la France a été le premier pays au monde à adopter des règles juridiquement contraignantes sur le devoir de vigilance des entreprises.
Monsieur Laurent, je ne partage pas votre pessimisme. Je vous invite à discuter avec Dominique Potier, qui avait créé un groupe de travail transpartisan à ce sujet. Nous avons beaucoup échangé avec lui pendant le processus qui a conduit à cet accord.
La France a très fortement soutenu ce projet de directive européenne. Forte de son expérience en tant que pays disposant du cadre juridique le plus étendu sur le sujet, elle a plaidé pour un cadre de vigilance ambitieux et opérationnel à l’échelon européen.
Vous l’avez rappelé, messieurs les sénateurs, cette ambition aurait pu être plus forte encore, notamment sur la santé et la sécurité des travailleurs, sur les sociétés mères des grands groupes et multinationales, ou encore sur la responsabilité civile des entreprises. Toutefois, l’Union européenne suppose des compromis.
J’étais présente à la réunion du Conseil dédiée à ce devoir de vigilance des entreprises. Nous avons eu conscience que l’équilibre des forces ne permettait pas d’atteindre tous les objectifs. Nous espérons que les discussions avec le Parlement européen permettront d’améliorer encore le texte.
Qui plus est – je vais pouvoir clarifier ce point –, la France n’a jamais demandé l’exclusion des services financiers.
M. Pierre Laurent. Qui l’a demandée alors ?
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Nous avons souhaité que le secteur financier soit traité comme tous les autres secteurs de l’économie.
Par ailleurs, les ministres participant au conseil Justice et affaires intérieures se réuniront jeudi prochain à Bruxelles. Plusieurs d’entre vous m’ont parlé des migrations. Les ministres auront l’occasion jeudi de revenir sur le plan d’action décidé lors du conseil extraordinaire du mois dernier pour mieux gérer les routes migratoires dans les Balkans et en Méditerranée.
En ce qui concerne les bateaux, il a été créé un groupe de contact entre États membres qui va inclure les ONG. L’objectif est d’éviter de répéter, monsieur le sénateur Cadec, ce à quoi nous avons assisté il y a quelques semaines et qui est à déplorer.
Depuis deux ans, vous le savez, monsieur le sénateur Reichardt, nous avançons sur le pacte asile et migrations. Il a d’ailleurs été débloqué sous présidence française du Conseil de l’Union européenne ; il était bloqué depuis dix ans, monsieur le sénateur ! (M. André Reichardt s’exclame.)
Nous avançons selon un autre triptyque. Le premier élément est la solidarité entre pays de l’Union européenne, essentielle pour garantir la liberté de circulation dans l’espace Schengen. Elle va de pair avec le deuxième élément : la responsabilité. Enfin, le dernier élément, dont la France a fait preuve il y a quelques semaines, est l’humanité.
Lors du prochain conseil Justice et affaires intérieures, les ministres évoqueront également l’élargissement de l’espace Schengen, que vous évoquiez de nouveau. Les nombreuses évaluations réalisées montrent que la Croatie, la Roumanie et la Bulgarie appliquent correctement les règles de Schengen. Elles sont prêtes à rejoindre cet espace, en contribuant de manière positive à sa sécurité.
Les traités prévoient, vous le savez, que la décision politique de cette pleine intégration appartient désormais au Conseil, à l’unanimité. À l’heure où nous parlons, cette unanimité ne semble pas réunie. La présidence s’efforce de parvenir sur cette question à un consensus, qui peut aussi être un compromis.
Enfin, madame Gruny, madame Guillotin, vous m’avez interrogée sur l’Europe de la santé et de la stratégie pharmaceutique. L’enjeu est, en effet, particulièrement important pour la France, puisqu’il participe du renforcement de notre autonomie stratégique européenne.
La révision de la législation pharmaceutique de l’Union doit être présentée par la Commission en décembre prochain. Nous sommes assez confiants. Nous pensons qu’elle répondra aux attentes.
Sur l’espace européen de santé et les entreprises qui pourraient être en charge du stockage des données afférentes, les discussions sont encore en cours au Conseil.
Le Contrôleur européen de la protection des données et le Comité européen de la protection des données ont produit un avis sur la question. Comme vous le savez sûrement, ils ont notamment proposé qu’il soit inscrit dans le texte que ces données doivent être hébergées sur le territoire de l’Union européenne.
Pour conclure, vous releviez, messieurs les sénateurs Gattolin et Marie, que jamais l’Union n’aura autant avancé que ces derniers mois en matière d’Europe de la défense, d’union des marchés de l’énergie et de lutte contre les ingérences étrangères.
Pour l’ensemble de ces sujets, le maître-mot est, me semble-t-il, celui de souveraineté. Le Président de la République avait proposé ce même agenda de souveraineté à nos partenaires européens dès 2017, dans le discours de la Sorbonne.
Ce mot de souveraineté est désormais repris par nos partenaires, de même que celui de boussole ou d’autonomie stratégique. Il faut vraiment saluer, comme vous l’avez fait ce soir, l’ampleur du changement de paradigme qui s’est opéré depuis lors.
Oui, l’Europe avance d’autant plus vite face aux crises, si nous prenons en commun nos responsabilités. Oui, l’Europe est complexe et l’on n’avance pas toujours aussi vite qu’on le souhaiterait, mais nous sommes vingt-sept à la construire, comme vous le souligniez, madame la sénatrice Jourda.
Je crois que c’est l’honneur de la France, parmi ces vingt-sept, que d’être constamment à l’initiative et force de proposition. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Conclusion du débat
Mme le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Pour conclure ce débat préalable, je vous remercie, madame la secrétaire d’État, d’avoir répondu aussi précisément et nominativement à tous les sénateurs intervenus ce soir sur des sujets aussi importants qu’intéressants.
Ces thèmes donnent l’impression d’être redondants, parce qu’ils sonnent rythmés depuis un moment par la guerre en Ukraine, mais ils n’en demeurent pas moins essentiels.
Je souhaiterais seulement revenir sur plusieurs points.
Le premier est celui de la justice, qui devra un jour être faite pour les crimes perpétrés par les Russes. Au-delà des crimes physiques, qui se ressentent, qui se voient et qui sont présentés par les médias, il existe un crime majeur, relevé par les députés ukrainiens qui ont rendu visite la semaine dernière à notre commission : la déportation.
M. Allizard s’est exprimé sur ce qui peut se passer en Birmanie demain ; je mets en garde, pour ma part, sur ce qui peut se passer dans les mois et les années à venir, du fait de tous ces enfants et toutes ces familles qui ont connu la déportation. L’Union européenne doit observer très attentivement cette situation pour le moins dramatique.
Le deuxième point a été évoqué par nos spécialistes de la santé. Nous avions parlé, madame la secrétaire d’État, avant l’ouverture de la séance et sans nous être concertés, de la pénurie de médicaments. (Mme la secrétaire d’État acquiesce.)
En tant que professionnel de santé, j’ai reçu aujourd’hui un nombre d’alertes considérable, à la fois en provenance de professionnels délivrant au nom des médecins, comme les pharmaciens, et de patients. Ils nous expliquent qu’il est même difficile d’obtenir en ce moment des antibiotiques dans les pharmacies.
Le problème est réel, mais il est récurrent et cyclique. De fait, nous en avions déjà parlé ; je me souviens d’avoir posé deux ou trois questions d’actualité en la matière, pour des produits tout à fait différents. En effet, nous avions rencontré des problèmes avec les antihypertenseurs, puis avec les corticoïdes ; désormais, le problème touche aux antibiotiques. Il faut vraiment y veiller. N’ajoutons pas une crise sanitaire à la crise sanitaire que nous venons de vivre, du fait d’un manque de traitements.
On pense toujours que cela n’arrive qu’aux autres, mais quelque chose commence à poindre…
Le dernier point sur lequel j’aimerais revenir est celui de la Communauté politique européenne. Sincèrement, à l’origine, je considérais cet outil comme un gadget. Mais au fil des rencontres avec nos collègues européens, qui l’intègrent progressivement, nous nous rendons compte qu’elle peut être un outil intéressant.
Le message à faire passer à toutes ces nations qui veulent entrer dans la Communauté politique européenne est qu’il leur revient aussi de la faire vivre. Elles ne peuvent pas tout attendre de l’Union européenne ; elles ne peuvent pas tout attendre des États membres. Elles doivent pouvoir aussi s’affirmer et émettre leurs propres propositions ; nous l’avons souligné.
Le président Gérard Larcher et moi-même étions en déplacement en Serbie récemment. La CPE n’est pas un nouveau paradis qui s’offre à ces pays : elle doit être un outil. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et RDPI.)
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2022.
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Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 7 décembre 2022 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures trente à vingt heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe CRCE)
Proposition de loi visant à protéger les collectivités territoriales de la hausse des prix de l’énergie en leur permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente de l’énergie, présentée par M. Fabien Gay, Mmes Céline Brulin, Cécile Cukierman et plusieurs de leurs collègues (texte n° 66, 2022-2023) ;
Proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, pour le développement du transport ferroviaire, présentée par M. Gérard Lahellec, Mme Marie-Claude Varaillas et plusieurs de leurs collègues (texte n° 144, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER