Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au Gouvernement, puis au rapporteur de la commission pendant sept minutes et, enfin, à un représentant par groupe pendant cinq minutes.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Cardoux, auteur de cette proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, aujourd’hui est une étape importante pour la biodiversité française.
Aujourd’hui, vous avez l’opportunité de mettre fin à des années de dégradation de notre belle nature.
Aujourd’hui, il vous est offert la possibilité de voter la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.
Le Gouvernement fait déjà beaucoup pour la biodiversité.
Un fonds vert de 2 milliards d’euros va être déployé.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Le fameux !
M. François Bonhomme. On le cherche toujours !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. Par ailleurs, 150 millions d’euros seront consacrés à notre stratégie nationale pour la biodiversité. C’est inédit !
Nous nous étions fixé un objectif de protection de 30 % de notre territoire terrestre et marin, objectif que nous avons atteint, et bientôt 10 % du territoire seront même en protection forte. Nous défendons les mêmes objectifs à l’échelle internationale.
M. François Bonhomme. Très bien !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. Nous mettons également en place des plans d’action nationaux pour protéger les espèces en danger. Je pourrais encore en dire beaucoup sur notre action : la liste est longue, car nous agissons avec détermination !
La protection de notre biodiversité passe aussi par l’arrêt du développement et le retrait des grillages, qui ruinent nos paysages naturels.
Les citoyens qui nous regardent et nous écoutent doivent s’en rendre compte : en 2019, plus de 3 000 kilomètres de grillage, au minimum, ont été recensés sur les trois départements du Loiret, du Cher et du Loir-et-Cher. Comment ne pas s’indigner d’un tel chiffre ?
Cette proposition de loi est la concrétisation d’un bel exemple de coconstruction législative entre le Sénat, l’Assemblée nationale et le Gouvernement. Que la politique est belle quand elle nous réunit ainsi pour l’intérêt commun du plus grand nombre ! (Exclamations amusées.)
M. François Bonhomme. Quel lyrisme !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. Je suis d’autant plus heureuse de vous retrouver, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’examen de la proposition de loi a commencé ici, au Sénat. Vous en êtes à l’initiative, monsieur le sénateur Cardoux, et je veux saluer une fois de plus votre engagement sincère sur ce sujet important pour votre belle Sologne. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
J’en profite également pour saluer le travail des rapporteurs des deux assemblées, Laurent Somon, ici même, et Richard Ramos, à l’Assemblée nationale.
Nous abordons maintenant une nouvelle étape dans la discussion de cette proposition de loi, après son examen, la semaine dernière, selon la procédure de législation en commission. Cet examen a donné lieu à un dialogue apaisé et constructif, le choix d’un tel format témoignant de l’efficacité de nos débats sur le sujet.
Le texte atteint de nombreux objectifs que nous partageons.
Il met fin à l’engrillagement, qui rompt les continuités écologiques.
Pour leur survie, les espèces doivent pouvoir se déplacer sans contrainte. Avec la trame verte et bleue, nous devons reconstituer un réseau d’échanges leur permettant, qu’elles soient animales ou végétales, de circuler, s’alimenter, se reproduire, se reposer et, ainsi, assurer leur cycle de vie.
M. François Bonhomme. C’est trop mignon !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. Il met également fin à la défiguration de notre paysage.
Nos concitoyens attendent de nous que nous restaurions la beauté de nos campagnes. Nous ne pouvons pas laisser quelques-uns accaparer nos bois, nos forêts ou nos prairies.
Il met aussi fin à des obstacles qui nous empêchent de lutter contre les incendies.
Le risque d’incendie grandit dans un contexte de réchauffement climatique et touche dorénavant des régions que nous pensions jusqu’à présent épargnées. Il est de notre devoir d’aider nos pompiers à accéder facilement à ces zones.
Nous sommes évidemment conscients que certaines clôtures sont nécessaires. Elles protègent parfois nos routes et nos voies ferrées. Elles participent aussi à la régénération forestière et soutiennent l’activité agricole.
Ces clôtures ne seront pas concernées.
Celles que nous devons réguler sont celles qui sont installées pour des pratiques purement cynégétiques ou celles, trop largement étendues, qui relèvent de la propriété privée.
Deux points de ce texte méritent d’être soulignés.
D’une part, l’article 1er prévoit une obligation de mise en conformité des clôtures hermétiques pour rétablir les continuités écologiques.
Lors de la navette parlementaire, le délai de prescription a évolué. Le Gouvernement y était favorable. Une prescription de trente ans a été introduite, de manière que la date ne soit pas contestable. Ce point a été sécurisé juridiquement. Il a fait l’objet d’une étude de constitutionnalité, qui en a souligné la pertinence.
Lors de la procédure de législation en commission, un point a été soulevé pour s’assurer que les troupeaux et l’agropastoralisme étaient bien compris dans les exceptions. J’ai pu confirmer que c’était le cas et me suis engagée à ce qu’une circulaire vienne explicitement préciser cette exception pour lever toute ambiguïté.
D’autre part, l’article 5 est le fruit d’une coconstruction entre le Sénat, l’Assemblée nationale et le Gouvernement. Initialement introduit par les députés, il prévoyait l’interdiction d’agrainage et d’affouragement dans les espaces clos. Le Sénat est venu préciser juridiquement cette disposition, en définissant les espaces clos concernés, à savoir les espaces étanches qui ne permettent pas le passage des animaux non domestiques. J’y étais également favorable.
La mesure permet de rétablir la cohérence entre les espaces ouverts et les espaces clos permettant le passage des animaux non domestiques, pour lesquels il est clairement précisé désormais que la même réglementation s’applique. Cela va dans le bon sens.
L’efficacité de notre travail permettra la mise en place rapide de cette nouvelle législation. Le Gouvernement souhaite, en effet, mesdames, messieurs les sénateurs, que le texte que vous êtes appelés à voter aujourd’hui soit soumis très rapidement à l’Assemblée nationale en deuxième lecture.
Une fois adopté, il sera nécessaire de poursuivre le travail sur le terrain. Il nous faut engager une action efficace, qui se concrétise le plus rapidement possible.
Le dialogue devra donc débuter très prochainement avec les acteurs de terrain, les propriétaires comme les élus, les fédérations départementales des chasseurs comme les associations écologiques.
Nous devons nous assurer que cette transition se déroule dans les meilleures conditions.
Je suis convaincue que cette proposition de loi sera une contribution réellement significative en faveur de la biodiversité.
J’aurai l’occasion de défendre haut et fort, au nom du Gouvernement, cet enjeu majeur lors de l’événement international que constitue la 15e conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, dite COP15, à Montréal.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comptez sur moi pour mettre toute mon énergie et aboutir à une COP décisive, avec des objectifs clairs, ambitieux et surtout quantifiés, associés à des moyens de financement adaptés.
Nous agissons en France autant qu’à l’international. C’est ainsi que nous sauverons notre biodiversité ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Jean-Noël Cardoux et Daniel Salmon applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)
M. Laurent Somon, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur la proposition de loi, présentée par Jean-Noël Cardoux, visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.
Ce texte a été examiné et voté, la semaine passée, en deuxième lecture, par la commission des affaires économiques dans le cadre de la procédure de législation en commission. En première lecture, il a reçu l’approbation unanime du Sénat et de l’Assemblée nationale. J’espère qu’il en sera de même cet après-midi.
Ce rare et remarquable consensus est le fruit d’une patiente coconstruction.
En s’attaquant au fléau de l’« emprisonnement de la nature », la proposition de loi a réussi à rassembler sénateurs et députés, chasseurs et non-chasseurs, citoyens et associations engagés de longue date dans ce combat. Il y avait urgence, tant l’engrillagement pose des problèmes pour la sécurité dans la lutte contre les incendies, la libre circulation de la faune et l’attractivité de nos territoires ruraux.
Cette réussite est d’abord le résultat du travail et de l’engagement de son auteur, Jean-Noël Cardoux, que je tiens à saluer. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)
Ce texte, très complet, est le fruit de sa grande connaissance de la chasse. Ardent défenseur de notre patrimoine naturel et forestier, notre collègue a su faire des propositions en dehors de tout esprit partisan. Militant pour une chasse durable, éthique et exigeante, il a dénoncé l’artificialisation des pratiques de chasse et de sylviculture, ainsi que l’enfermement de la nature, comme des hommes, derrière les grillages.
Sa proposition de loi, dès sa rédaction initiale, adoptait une approche globale et proposait des solutions équilibrées, dont la pertinence a été relevée par les deux assemblées.
Je tiens également à remercier Richard Ramos, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale. À l’écoute des différentes sensibilités, il a su rassembler pour aboutir à un approfondissement des dispositions votées par le Sénat. Sa recherche du consensus est à souligner et manifeste la volonté d’avancer ensemble vers l’objectif commun de protection de nos espaces naturels.
Enfin, madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre disponibilité et de votre aide pour permettre à cette initiative parlementaire d’aboutir. J’inclus dans ces remerciements les services de votre ministère, ainsi que l’Office français de la biodiversité (OFB), dont l’expertise a été précieuse pour enrichir le texte. Je me félicite de ce travail partenarial.
L’objectif de la commission des affaires économiques a été de consolider la proposition de loi en garantissant l’équilibre du texte, entre désengrillagement et respect du droit de propriété, mais aussi en garantissant sa bonne application.
Ainsi, en première lecture, la commission avait étendu les pouvoirs de contrôle des agents de l’Office français de la biodiversité afin de faire appliquer le droit de la chasse partout où elle se pratiquait et, plus particulièrement, dans les enclos qui s’y soustrayaient. Elle avait aussi voulu démultiplier les capacités de contrôle, en étendant les pouvoirs des agents assermentés des fédérations départementales des chasseurs. La commission avait en outre veillé à assortir les dispositions de la proposition de loi d’un volet répressif, en instaurant une sanction pour non-respect des nouvelles règles applicables aux clôtures, dont les modalités viennent d’être rappelées par Mme la secrétaire d’État.
En commission, en deuxième lecture, nous avons adopté conforme la quasi-totalité des articles amendés par l’Assemblée nationale, les modifications restant en ligne avec les orientations définies par le Sénat en première lecture. L’unique amendement adopté par la commission, à l’article 5 sur la réglementation de l’agrainage et de l’affouragement, poursuit ce travail de mise en cohérence et traduit une vision commune des solutions à apporter.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour conclure, je formule le vœu que ce texte soit adopté dès le début de l’année 2023 par l’Assemblée nationale, afin de garantir une application rapide et effective de la loi.
Je suis heureux de voir un texte dépasser les oppositions partisanes par des compromis constructifs entre le Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat, dans le but de protéger l’intérêt général. Nous pouvons en être fiers.
Pour que les milieux naturels restent des havres de paix et de tranquillité, libérons-les de ces grillages et luttons contre leur artificialisation ! Protégeons leur faune et leur flore, qui font leur charme et notre bonheur !
Pour satisfaire à l’envie de lyrisme de François Bonhomme, préférons, avec notre illustre prédécesseur Victor Hugo, au fil de fer l’œuvre du génie de la nature :
« Je ne demande pas autre chose aux forêts
« Que de faire silence autour des antres frais
« Et de ne pas troubler la chanson des fauvettes.
« Je veux entendre aller et venir les navettes
« De Pan, noir tisserand que nous entrevoyons
« Et qui file, en tordant l’eau, le vent, les rayons,
« Ce grand réseau, la vie, immense et sombre toile
« Où brille et tremble en bas la fleur, en haut l’étoile. »
(Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Marc et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)
Je terminerai par une note moins célèbre, mais plus personnelle :
Voilà cette nature partagée
Que j’observe vue des chemins autorisés,
Chasseur d’image ou de gibier
Tous engagés à la protéger.
Respect du gibier
Et de la propriété privée,
Il était urgent d’y contribuer.
À nous de légiférer !
(Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. François Bonhomme. Vive la Somme ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie par avance de m’excuser de ne pas faire, à mon tour, une intervention en alexandrins ou en rimes. J’en resterai à un exercice qui peut, lui aussi, prendre tout son sens : la prose libre ! (Sourires.)
Comme nous l’avons rappelé en première lecture, cette proposition de loi visant à garantir la libre circulation des animaux sauvages dans les territoires concernés par les pratiques d’engrillagement est bienvenue.
Si ce phénomène n’est pas nouveau, il n’est plus circonscrit à la Sologne et concerne aujourd’hui un nombre croissant de territoires. Lors d’une assemblée, le président de la Fédération nationale des chasseurs évoquait un véritable problème et expliquait que, si l’on ne réagissait pas rapidement, l’on finirait par avoir des cages partout en France.
Cette pratique, qui fait obstacle aux continuités écologiques, pose en effet des problèmes de sécurité incendie et de sécurité sanitaire, empêche la libre circulation de la faune, cantonne les populations de gibiers à l’intérieur des domaines, interdit la promenade et nuit au développement du tourisme rural. Elle traduit aussi une logique de privatisation de nos espaces forestiers, qui exacerbe les conflits d’usage.
Comme le souligne le rapport de mission interministérielle sur l’engrillagernent en Sologne, « il s’agit d’une appropriation renforcée de l’espace et un frein à l’exercice de la police de l’environnement, par une déviance du droit des enclos créant des zones de non-droit […] où la gestion “cynégétique” est littéralement aberrante ».
Le rapport mentionne même des installations de miradors et postes de tir mettant en danger les usagers des voies publiques.
Loin d’être un texte contre la chasse, cette proposition de loi met fin à une pratique – réservée à une très petite partie de la population, à une élite – qui s’apparente plus à un carnage. Je veux le dire ici : ce n’est pas là le sens de la chasse, n’en déplaise à certains !
De plus, ces barrières créent des risques sanitaires, liés à la surdensité et la maîtrise des populations. Elles interrogent sur l’égalité d’application du droit de la chasse, sur l’éthique, ainsi que sur l’illégalité de certaines pratiques, comme le souligne le rapport commandé par le ministère de la transition écologique et solidaire, en 2019.
En ce sens, la chasse en enclos contrevient au principe même d’une chasse populaire issue de la Révolution française, devenu acquis de la République.
En étendant le droit commun de la chasse à l’ensemble des territoires sur lesquels celle-ci est pratiquée et en renforçant l’accès aux enclos cynégétiques à des fins de contrôle, cette proposition de loi marque une avancée significative, même si nous pouvons regretter que le texte n’aille pas jusqu’à interdire la chasse en enclos à caractère commercial.
Ainsi, nous regardons comme une avancée la possibilité désormais offerte aux gardes de l’Office français de la biodiversité d’aller voir ce qui se passe dans ces enclos, sans avoir à saisir le juge des libertés et de la détention en cas de refus du propriétaire.
Nous nous réjouissons également de l’équilibre trouvé entre les deux assemblées quant à la sanction en cas de pénétration dans la propriété rurale ou forestière. La violation d’une propriété ne sera en effet sanctionnée par une contravention de quatrième classe uniquement dans le cas où le caractère privé du lieu est clairement identifié par une signalétique spécifique.
Les débats et la navette parlementaire aboutissent donc à un texte qui nous paraît prendre la bonne direction et pourrait être en mesure de contribuer – c’est le vœu que nous formons en cette fin d’année – à apaiser autant que possible le débat autour de la chasse dans notre pays, à faciliter cette pratique tout en en limitant les excès.
Cette proposition de loi, attendue par les chasseurs comme par les différents acteurs de nos territoires ruraux, va donc dans le bon sens et nous la voterons. (Applaudissements au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-Paul Prince. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à réitérer mes remerciements à notre collègue Jean-Noël Cardoux pour avoir permis l’inscription à l’ordre du jour des travaux de notre assemblée de ce sujet clé pour nos territoires.
Cette proposition de loi contribue en effet à la poursuite de nos efforts pour faire du Sénat une véritable caisse de résonance des enjeux territoriaux. Elle témoigne également du travail long et minutieux du rapporteur, Laurent Somon, qui a su s’emparer du sujet lors des deux lectures, afin de faire évoluer le texte pour le rendre encore plus complet d’un point de vue juridique et lui donner une ampleur de nature à convaincre les membres de la chambre basse du Parlement.
J’en profite pour saluer les travaux de l’Assemblée nationale sur le texte – notamment l’implication du rapporteur Richard Ramos. Ceux-ci ont permis de corriger certaines malfaçons et de mettre cette proposition de loi toujours plus en adéquation avec la réalité de nos territoires.
L’engrillagement des espaces naturels est un phénomène déjà ancien, mais qui a tendance à s’accentuer et à « contaminer », si j’ose dire, une part croissante de notre territoire.
La Sologne, souvent prise en exemple, est malheureusement caractéristique de ce phénomène. Comme d’autres ici, je la connais bien – même très bien. Aujourd’hui, on y compte près de 4 000 kilomètres de grillages, soit plus que la longueur totale des routes départementales dans mon département du Loir-et-Cher. Ce chiffre est révélateur des dérives néfastes de l’engrillagement !
Le développement de ce phénomène est l’un des symboles de l’évolution de la ruralité dans notre pays, mais aussi de la hausse d’une forme d’égoïsme dans notre société. Il caractérise non seulement une défense excessive du droit de propriété et un manque de respect des terrains d’autrui, mais aussi une perte de la culture rurale et cynégétique, ainsi qu’une atteinte à la biodiversité.
Cette proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, que nous examinons en seconde lecture, pose des règles pour mettre fin à ces difficultés, avec, pour conséquence, l’amélioration de la sécurité incendie, la consolidation de la sécurité sanitaire, l’arrêt de la destruction de la faune et de la flore, ainsi que le développement du tourisme rural.
Le dispositif proposé est global et les mesures vont dans la bonne direction.
L’interdiction des clôtures ne laissant pas passer la faune et utilisant des matériaux naturels représente le cœur de ce texte. Il s’agit en définitive de redonner de l’air à nos ruralités et à nos forêts sans priver les propriétaires de leurs biens.
Le renforcement du volet pénal condamnant les intrusions dans les propriétés privées est salutaire, afin de donner des garanties aux propriétaires et d’équilibrer le texte.
Enfin, l’obligation de mise en conformité des clôtures datant de moins de trente ans, et non plus, après examen par l’Assemblée nationale, de celles qui seraient postérieures à 2005 – preuve de l’intérêt pour le Parlement de travailler de concert au service de nos territoires –, permettra de contourner le phénomène d’opportunité que l’on a pu constater, visant à engrillager rapidement par peur de la nouvelle réglementation. Les exceptions prévues et recalibrées par les rapporteurs des deux assemblées sont aussi importantes, à l’image de la prise en compte du caractère historique et patrimonial des clôtures.
J’appelle néanmoins votre attention, mes chers collègues, sur une nouvelle disposition introduite à l’Assemblée nationale, qui, à mon sens, est problématique. Il s’agit de l’interdiction de la pratique de l’agrainage et de l’affouragement en enclos.
Je ne suis pas favorable à cette interdiction, aussi rigide que dogmatique, qui ne s’inspire pas de la réalité du terrain. Les récents apports de la commission des affaires économiques, élaborés grâce à la procédure de législation en commission, me semblent toutefois aller dans le bon sens.
En conclusion, madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous l’aurez compris, bien que j’émette une réserve sur les dispositions relatives à l’interdiction de l’agrainage et de l’affouragement, je soutiens pleinement cette proposition de loi et la majorité du groupe Union Centriste votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Jean-Noël Cardoux applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Madame le président, madame le secrétaire d’État, chers collègues, je considère la proposition de loi que nous nous apprêtons à adopter comme un texte excellent. En effet, nous ne pouvions pas laisser la France entière se faire engrillager et nous ne pouvions pas laisser privatiser tous les espaces naturels.
Au cours des dernières années, nous avons assisté à une explosion de cet accaparement des forêts et, à travers elles, de l’espace public : à mon sens, c’est une très mauvaise chose.
La navette parlementaire a apporté des améliorations substantielles. En particulier, je me félicite que les enclos existant depuis très longtemps soient finalement exclus du champ de cette proposition de loi ; certains d’entre eux ont une dimension historique. Ces enclos sont en fait victimes des pratiques tout à fait abusives qui se développent depuis une dizaine d’années et qui les frappent de discrédit. C’est contre ce dernier phénomène qu’il fallait réagir.
Ce travail commun entre l’Assemblée nationale et le Sénat a donc été très fructueux. Nous avons bien avancé, face à ce qui se passe notamment en Sologne. En la matière, tout le monde cite ce territoire comme le plus mauvais exemple de France, et à juste titre : les chiffres sont effarants et ce que l’on y constate est tout à fait scandaleux. Il était donc absolument nécessaire de trouver une réponse.
En l’occurrence, notre réaction est mesurée. Non seulement les mesures prévues sont assorties de délais, mais les enclos existant depuis un certain nombre d’années pourront être maintenus.
Cette dérogation est d’autant plus admissible que les enclos dont il s’agit ne sont pas si nombreux que cela. Je le répète, c’est seulement dans la période récente que ce phénomène a connu l’explosion face à laquelle il faut intervenir.
Pour ma part, je voterai cette proposition de loi.
Mme le président. La parole est à M. Christian Bilhac, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée revient devant la Haute Assemblée en deuxième lecture, après que nos collègues députés ont encore étendu sa portée.
Son objectif est d’arrêter l’expansion de la pratique de l’engrillagement, laquelle représente aujourd’hui 3 000 à 4 000 kilomètres linéaires de clôtures érigées sur des propriétés privées. Ces dernières empêchent à la fois la circulation de la faune sauvage, son brassage génétique et une gestion équilibrée de la biodiversité de nos territoires.
L’image que cette pratique donne de la chasse est loin d’être éthique : l’engrillagement, ce sont des animaux engraissés tués sans limite de nombre, toute l’année, dans des propriétés fermées. Telle n’est pas ma conception de la chasse.
À cet égard, il était urgent de mettre fin au privilège de l’enclos.
L’article L. 424-3 du code de l’environnement distingue deux formes de chasse sur les propriétés privées.
Le premier statut est celui de l’enclos cynégétique, apparenté au domicile. Il est assorti d’un droit de chasse dérogatoire permettant au propriétaire de chasser ou de faire chasser le gibier à poil, de pratiquer l’agrainage ou l’affouragement, tout en l’exemptant de plan de chasse et d’indemnisation financière des dégâts du grand gibier. C’est précisément le privilège de l’enclos.
Le second statut est celui des établissements professionnels de chasse à caractère commercial, ou parcs de chasse.
Par son article 1er, qui modifie la trame verte, cette proposition de loi supprime ce privilège et encadre les clôtures érigées par les parcs de chasse. L’article L. 371-1 du code de l’environnement est ainsi modifié pour réglementer les clôtures, qui devront désormais respecter plusieurs conditions : permettre en tout temps la libre circulation des animaux sauvages ; ne pas être enterrées dans le sol ou dépasser 1,20 mètre de hauteur ; être constituées de matériaux naturels ou traditionnels, tels que définis par le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).
Je suis satisfait que l’Assemblée nationale ait élargi le périmètre d’application de ces nouvelles règles aux zones naturelles et forestières identifiées par les plans locaux d’urbanisme (PLU) ou, à défaut, dans les espaces naturels, les trames vertes ne couvrant pas tous les espaces protégés subissant l’engrillagement.
Seront désormais autorisées les clôtures posées autour de parcelles agricoles, pour préserver les récoltes, ou nécessaires à la protection des régénérations forestières, ainsi que les clôtures d’intérêt public.
Pour ce qui concerne les clôtures existant au 1er janvier 2021, l’Assemblée nationale a avancé la date limite de mise en conformité au 1er janvier 2027. Cette mesure, qui va dans le bon sens, est assortie d’un certain nombre d’exemptions : les clôtures érigées dans un cadre scientifique, celles des domaines nationaux ou celles qui ont été réalisées avant la publication de la loi de 2005 relative au développement des territoires ruraux, la preuve devant être apportée par tous moyens.
Entre autres avancées, je relève l’extension, aux clôtures réalisées moins de trente ans avant la publication du présent texte, de l’obligation de conformité aux normes environnementales et de protection des paysages. Les députés ont estimé que la date de 2005 limitait les effets de la loi, la majorité des clôtures hermétiques ayant été édifiées dans les années 1980.
L’article 1er quinquies crée des sanctions pénales : engrillager ou ne pas mettre en conformité les clôtures sera puni de trois ans de prison et de 150 000 euros d’amende.
L’article 1er sexies prévoit le contrôle par des agents des fédérations de chasse de la conformité des clôtures et des plans de gestion des enclos.
À l’article 2, l’Assemblée nationale a rétrogradé la contravention prévue par le Sénat de la cinquième à la quatrième classe pour intrusion dans une propriété rurale ou forestière, passible de 1 500 euros d’amende. En effet, la nature n’appartient pas à tout le monde !
Après de longs débats, à l’article 5, les députés ont interdit l’agrainage et l’affouragement en enclos dans les espaces naturels définis, sauf ceux à visée scientifique. Toutefois, cette interdiction a été assouplie par un amendement de notre rapporteur, adopté en commission.
En vertu dudit amendement, ces pratiques sont interdites dans les espaces clos empêchant complètement le passage des animaux non domestiques, sauf exception inscrite au schéma départemental de gestion cynégétique (SDGC). Ces précisions sont renvoyées aux décrets d’application.
Avec les autres membres de mon groupe, je voterai en faveur de ce texte, dont les avancées répondent en grande partie aux attentes que j’ai exprimées ici même en première lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)