M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’aide publique au développement est un pilier de la politique étrangère de la France et contribue à assurer la paix et la sécurité dans le monde.
Cette définition résulte de la loi du 4 août 2021 relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, pour laquelle le Sénat, et plus particulièrement les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, s’est grandement mobilisé. C’est notamment le cas de ma collègue Marie-Arlette Carlotti, qui représente aujourd’hui le Sénat à l’Assemblée parlementaire de l’Otan, et que j’associe à mon intervention.
Le Sénat a permis de nombreuses avancées, bien que notre groupe eût souhaité, sur beaucoup de points, une position plus ambitieuse.
Cette loi propose notamment la création d’un mécanisme de restitution des biens mal acquis. Les socialistes ont beaucoup œuvré dans ce sens et je tiens tout particulièrement à rendre hommage au travail réalisé sur cette question par notre collègue Jean-Pierre Sueur. Bien d’autres engagements ont été pris dans cette loi. Nous attendons désormais que chacun d’entre eux soit suivi d’effet…
Sur la trajectoire financière de l’aide publique au développement, une position de compromis avait été trouvée lors des débats. Nous souhaitons que celle-ci soit respectée. Or, à bien y regarder, la trajectoire française semble remise en cause, l’objectif de 0,7 % étant reporté à 2030, alors que la loi de programmation votée par le Parlement prévoyait 2025. Mesdames les ministres, pouvons-nous compter malgré tout sur vous pour tenir l’engagement initial ?
Pourquoi le Gouvernement refuse-t-il tout financement innovant ? L’augmentation de la taxe sur les transactions financières ou l’élargissement de son assiette aurait été un signal fort en faveur de l’aide publique au développement, une première marche à franchir pour atteindre l’objectif de 0,7 %. C’est un combat que nous rappellerons chaque fois que le débat le permettra.
Si l’Agence française de développement a pour mission de financer des projets de développement par des dons, elle accorde également une grande part de ses financements au travers de prêts bancaires. Nous soutenons la proposition de nos deux rapporteurs pour avis, Hugues Saury et Rachid Temal, consistant à bien distinguer clairement les deux activités, l’AFD devant rester en priorité l’outil de la solidarité de la France envers les pays les plus pauvres. Telle était sa mission lors de sa création.
La loi précitée a ciblé des pays prioritaires, à savoir les dix-neuf pays les moins avancés, selon l’OCDE, c’est-à-dire les pays les plus pauvres, pour lesquels la solidarité par les dons doit être prioritaire par rapport à la solidarité par les prêts bancaires. En effet, de nombreux pays qui bénéficient de prêts se trouvent dans des situations proches du surendettement.
Nous regrettons qu’une fois de plus le projet de loi de finances ne rééquilibre pas la part entre ces deux piliers : les prêts et les dons. La solidarité française ne doit pas être monnayée. La situation économique mondiale plaide, plus que jamais, pour l’octroi de dons plus importants.
L’aide publique au développement a aussi pour objectif d’éradiquer la pauvreté, de lutter contre les inégalités, de promouvoir les droits humains et de renforcer l’État de droit. À nos yeux, la promotion de l’enregistrement des naissances et la mise en place d’états civils fiables doivent être une priorité de la politique de développement solidaire de la France. Aujourd’hui, de nombreux pays n’ont pas d’état civil. Les conséquences sont dramatiques pour les personnes qui sont privées d’identité juridique. Comme ils n’existent pas juridiquement, ils sont très vulnérables.
En 2019, un rapport de l’Unicef soulignait qu’un enfant de moins de 5 ans sur quatre n’était pas enregistré à la naissance et que ce ratio s’accentuait en Asie du Sud et en Afrique. Pour ces enfants, qui deviendront des adultes invisibles, sans état civil, il n’y aura aucun accès aux droits les plus élémentaires. Ils seront à la merci de trafics en tout genre, des mariages forcés, de la prostitution.
Nous attendons de la France qu’elle ait une position ambitieuse dans la promotion de la constitution d’états civils fiables, qu’elle contribue au fonds du groupe de travail pour l’identité juridique et nous entendons que le Gouvernement consente enfin à nous communiquer le montant de sa contribution.
Enfin, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, permettez-moi d’avoir une pensée pour chacun des acteurs qui œuvrent au Mali, qu’ils interviennent pour l’AFD ou pour des organisations de la société civile. Ce pays, qui fut un modèle de démocratie en Afrique, vit aujourd’hui une situation très grave. La junte met en scène le rejet de la France, manipule ses opinions publiques et laisse des pans entiers de son pays aux mains des terroristes ou des milices de Wagner.
Face à cette situation, le Quai d’Orsay aurait décidé d’arrêter le financement d’associations notoirement anti-françaises. Mesdames les ministres, sur quels critères appuyez-vous cette décision ? Quelles sont ces associations ?
Cette situation nous inquiète doublement, d’autant que le gouvernement malien, même s’il est peu crédible, a, en guise de réponse, déclaré « interdire, avec effet immédiat, toutes les activités menées par les associations, les organisations non gouvernementales et assimilées opérant sur le territoire de la République du Mali, sur financement ou avec l’appui matériel ou technique de la France ».
D’une part, nous ne serons jamais favorables à la rupture de tout lien avec des associations engagées sur le terrain, sur des projets qui contribuent le plus souvent à maintenir à flot un embryon de démocratie.
D’autre part, de nombreuses collectivités territoriales s’interrogent sur le futur de leur coopération décentralisée. Elles ont besoin d’être éclairées, voire confortées. Mesdames les ministres, je souhaite que ce débat vous donne l’occasion de nous apporter toutes les réponses à ces questions.
Malgré les efforts qui restent à faire sur le financement de l’aide publique au développement, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en faveur des crédits de cette mission, parce que nous ne poursuivons qu’un seul but : éradiquer la pauvreté dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette année, le budget de l’aide publique au développement augmente de 800 millions d’euros. Nous progressons, certes, mais lentement, trop lentement, au point de repousser dès cette année l’objectif de 0,7 %, faute d’avoir pu sanctuariser une véritable programmation budgétaire lors du débat, en 2021, sur le projet de loi qui contenait pourtant dans son titre le substantif prometteur de « programmation »…
Par ailleurs, on persiste à ne pas corriger au fond la partie inadaptée de cette aide publique, ces contenus trop souvent conçus non pour aider les pays destinataires à s’émanciper durablement de leurs dépendances, mais d’abord pour préserver les intérêts français dans les régions concernées.
La répartition de l’augmentation des crédits entre les prêts et les dons reste manifestement déséquilibrée au profit des premiers, même si ce déséquilibre commence à être corrigé, alors que l’on recommandait, sur toutes les travées du Sénat, d’inverser ce rapport, afin de concentrer l’aide vers les pays les plus fragiles. Nous proposerons, au travers de l’amendement n° II-1258, de modifier cette répartition.
Nous avons également déposé un amendement n° II-1259 visant à modifier le mode de calcul des quotes-parts de droits de tirage spéciaux (DTS) et de leurs bonifications – je prends souvent la parole sur cette question – afin d’en augmenter le volume au profit des pays les plus pauvres, ceux qui en ont le plus besoin, tandis que certains pays plus riches et mieux dotés en DTS ne les utilisent pas tous.
Une autre injustice continue de nous scandaliser. Alors que le produit de la taxe sur les transactions financières (TTF) devrait atteindre le niveau record de 2,24 milliards d’euros en 2023, la part de ces recettes affectée au fonds de solidarité pour le développement plafonne à 528 millions d’euros.
L’objet initial de cette taxe était pourtant de participer à la solidarité internationale. Or voici que 1,7 milliard d’euros sont subtilisés au détriment de l’aide publique au développement, pour servir à rembourser une dette créée par notre pays. L’argent ira donc dans la poche de créanciers qui vivent des intérêts de cette dette, ceux-là mêmes qui participent au racket organisé par la dette sur le dos des pays pauvres. Il s’agit d’un véritable détournement !
Pendant ce temps, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la crise alimentaire mondiale pourrait menacer de famine 11 millions à 19 millions de personnes supplémentaires, alors que, pour la première fois depuis 1990, l’extrême pauvreté augmente et que l’indice de développement humain global diminue pour la deuxième année consécutive. Madame la ministre, comment peut-on continuer à justifier une telle indécence dans l’utilisation de la TTF ? Ce n’est pas possible ! La France doit donc prendre ses responsabilités et augmenter massivement le volume de son fonds de solidarité pour le développement.
Nous proposons ainsi de rehausser le taux de la TTF, de 0,3 % à 0,7 %, ce qui permettrait d’octroyer près de 1,5 milliard d’euros supplémentaires à l’aide publique au développement ; nous proposons également d’en élargir l’assiette pour que plus d’entreprises y soient éligibles.
Enfin, nous voulons continuer à alerter sur les problèmes de sens, de critères, de ciblage, de pilotage et de transparence de l’aide publique au développement. Le pilotage de cette politique doit être démocratisé. Son efficacité en termes de développement endogène des pays destinataires doit être mieux évaluée.
Dans une communication adressée en février 2020 à notre commission des finances, la Cour des comptes lançait l’alerte sur le manque de transparence dans la mise en œuvre de cette politique. Or la commission d’évaluation instaurée par la loi du 4 août 2021, où doivent siéger des parlementaires, tarde toujours à être mise en place. À cela s’ajoutent tous les problèmes relatifs au contenu de cette aide.
Je terminerai mon propos en évoquant la suspension des financements d’aide publique au développement destinés au Mali. Cette décision irresponsable scandalise, à juste titre, le monde humanitaire et associatif au Mali, mais aussi en France. Faire ainsi payer les frais des désaccords politiques entre nos deux gouvernements à l’une des populations les plus pauvres du monde, c’est une faute ! Cela revient malheureusement à faire droit à une demande formulée par Marine Le Pen le 31 janvier dernier, après l’expulsion du Mali de l’ambassadeur français. Cette décision doit être revue au plus vite. Nous appelons à la reprise du dialogue, car l’engrenage actuel est catastrophique pour les deux pays.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ne sera pas en mesure de voter les crédits de cette mission, qui progressent trop faiblement à ses yeux et ne prennent pas en compte les changements de conception que la politique de développement mondial appelle de toute urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Le Nay. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jacques Le Nay. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2023, les crédits de la mission « Aide publique au développement » augmenteront de 21,4 % en autorisations d’engagement et de 16 % en crédits de paiement.
Avec ce projet de loi de finances, l’objectif, annoncé par le Président de la République en 2017, de porter à 0,55 % la part de notre revenu national brut consacrée à l’aide publique au développement est atteint. Nous avions entériné cet objectif l’an dernier, au travers de la loi du 4 août 2021 ; nous saluons donc le respect de cet engagement. La cible de 0,7 % du RNB, fixée depuis 1970 par l’ONU, sera quant à elle repoussée de 2025 à 2030 en raison de la crise économique actuelle.
Néanmoins, dans ce contexte, nous ne pouvons que saluer la forte augmentation des crédits dédiés à l’aide humanitaire et, tout particulièrement, de ceux d’entre eux qui sont alloués au Fonds d’urgence humanitaire. Ces crédits vont permettre une action approfondie dans les trois zones de l’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et du Sahel. En tant que président du groupe interparlementaire d’amitié France-Afghanistan et que membre du groupe France-Ukraine, je ne peux que souscrire à la création d’enveloppes dédiées à ces deux pays qui se trouvent dans des situations extrêmement difficiles.
Dans le cadre de la guerre en Ukraine, l’Agence française de développement apporte sa pierre à l’aide humanitaire, mais aussi à l’aide au développement, non seulement en Ukraine, mais encore en Moldavie et en Roumanie. Cette adaptabilité du groupe AFD aux changements de contexte international doit être soulignée ; nous ne pouvons que nous en féliciter.
Plus largement, ce sont tous les crédits de la mission qui augmentent en 2023, avec 1,4 milliard d’euros supplémentaires en autorisations d’engagement et 819 millions en crédits de paiement. Cette augmentation correspond aux ambitions et orientations fixées l’an dernier dans la loi de programmation de notre aide publique au développement.
Toutefois, même s’il est encore difficile d’apprécier réellement l’atteinte des objectifs chiffrés, le taux d’aide bilatérale, fixé dans cette loi à 65 %, au minimum, de l’aide totale, n’a pas été atteint en 2021, année où il s’élevait à 60 %.
Le report de la cible de 0,7 % du RNB, évoqué au début de mon intervention, pose également question : le Parlement sera-t-il associé à la réactualisation nécessaire de la programmation financière prévue par la loi ?
De la même manière, la création, dans ce projet de loi de finances, d’un mécanisme de réserve pour crise majeure, doté de 270 millions d’euros, est bienvenue pour renforcer le dynamisme et la réactivité de l’aide humanitaire française, mais ce mécanisme ne doit pas devenir une réserve de budgétisation.
La loi de programmation a également mis en avant le besoin de transparence de notre aide au développement. Nous nous réjouissons donc de la récente mise en ligne, par le ministre de l’économie et le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, d’une base de données ouvertes visant à regrouper les informations relatives à l’APD de notre pays. Ce travail sur la transparence a déjà été reconnu par le gain de cinq places enregistré par l’AFD dans le classement de l’ONG Publish What You Fund, qui analyse la transparence des principales agences de développement dans le monde.
En revanche, il faut tout de même souligner que la mise en place de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement se fait attendre, alors qu’elle doit devenir un véritable instrument de transparence et d’efficacité de notre politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales.
M. Christian Cambon. Absolument !
M. Jacques Le Nay. Alors que la France vit une crise d’influence, notamment en Afrique, continent prioritaire de notre politique de développement, il est nécessaire de renforcer encore davantage cette transparence. Il est aussi indispensable de mettre en avant notre politique de développement et notre apport à la solidarité internationale par des actions de communication à destination des populations bénéficiant des projets, notamment les jeunes générations. L’augmentation de l’aide bilatérale doit aller de pair avec une lutte contre la désinformation à l’encontre de la France.
Cette affirmation est particulièrement vraie au Sahel, où la stratégie 3D – défense, diplomatie, développement – a mal fonctionné, notamment en matière de coordination entre la défense et le développement, et où nos efforts politico-militaires ont été refoulés, comme l’illustre aujourd’hui la crise profonde avec les autorités maliennes. Le 16 novembre dernier, tous les projets de développement français ont été suspendus au Mali, pour éviter tout risque de détournement. On peut s’interroger sur la suite des événements : que vont devenir les projets en cours et les financements prévus ?
Le Sénat restera attentif aux orientations données à la politique de développement française, tout particulièrement lors de la prochaine réunion du comité interministériel de la coopération internationale et du développement, qui devrait se tenir au début de l’année prochaine.
Estimant tout de même que l’augmentation des crédits de la mission « Aide publique au développement » suit les orientations exprimées dans la loi du 4 août 2021, le groupe Union Centriste votera ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, un de ses départements – Mayotte – est en proie à la guerre civile, son gouvernement annonce la fermeture des écoles en raison de coupures d’électricité, sa dette atteint 3 000 milliards d’euros, son système de santé est au bord de la faillite, son quotidien s’ensauvage, son ministre de l’économie déclare être « à l’euro près » : le premier pays « tiers-mondisé » que la France devrait aider, c’est précisément la France !
Les crédits de paiement de cette mission d’aide publique aux pays en développement connaissent cependant une hausse de 16 % pour l’année à venir.
Sans renoncer à notre politique d’influence humanitaire à l’étranger et à un nécessaire soft power à la française, nous devrions ajuster ce budget au contexte national de tension financière exceptionnelle.
Il m’est impossible de soutenir le projet contesté d’un nouveau siège pour l’Agence française de développement, qui coûterait 1 milliard d’euros au contribuable français. Cette somme, c’est précisément ce qu’Emmanuel Macron a refusé d’investir en 2019 pour financer le nucléaire du futur, sacrifiant ainsi notre indépendance énergétique…
Je dénonce également les 41 millions d’euros versés à la Turquie dans le cadre du mécanisme d’accueil des réfugiés syriens, alors que le sultan Erdogan ne se prive pas de faire du chantage aux clandestins à nos frontières européennes et de soutenir l’invasion de l’Arménie par l’Azerbaïdjan. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Par ailleurs, je vois mal l’intérêt de financer de l’aide humanitaire dans un Afghanistan totalement sous l’emprise des talibans, car nous n’avons aucun contrôle sur la destination de ces fonds.
Cependant, nous ne devons pas seulement nous demander combien nous dépensons, mais aussi comment nous dépensons.
En effet, le retour sur investissement de cette dépense publique est gravement mis en cause. Pour avoir tiré la sonnette d’alarme chaque année, je peux vous dire que je regrette chaque euro dépensé pour le Mali, qui nous aura offert en retour la haine, de sa population comme de son gouvernement, à l’égard de la France. Cela doit nous servir de leçon !
L’aide publique au développement doit être conditionnée à nos intérêts, afin de garantir la sécurité de notre territoire en contrôlant les trafics et les flux humains bien en amont. Elle doit être conditionnée à l’acceptation automatique, par les États bénéficiaires, de leurs étrangers expulsés de notre territoire national.
N’ayant pas de consignes claires quant à la conduite à tenir, l’AFD ne se soucie pas de soutenir les entreprises et l’industrie françaises lorsqu’elle finance un projet à l’étranger. C’est tout à fait déplorable !
En outre, le Président de la République vient de déclarer que la France allait débloquer une enveloppe de 1 milliard d’euros pour aider l’Afrique du Sud à sortir du charbon, alors que les choix de ce même Président ont entraîné la réouverture de centrales à charbon sur notre sol. Regardons la poutre qui est dans notre œil plutôt que le charbon dans celui du voisin ! Il y a tant à faire dans notre pays en matière de développement…
Il faut que chaque euro dépensé à l’étranger serve au développement du pays en savoir-faire et en infrastructure, afin que les populations se fixent, deviennent autonomes et prospèrent.
En définitive, favorable à la réduction de la dépense publique, je voterai contre les crédits de cette mission, qui réserve la générosité nationale aux autres plutôt qu’aux nôtres !
M. le président. La parole est à M. André Guiol.
M. André Guiol. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette mission s’inscrit au cœur des valeurs que la France défend, celles de solidarité et de respect des droits humains, des valeurs que tous ne semblent pas partager…
En tant que pays développé, pour ne pas dire riche, nous avons le devoir de préserver une aide au développement ambitieuse, en faveur du droit à une vie digne pour tous.
Nos rapporteurs spéciaux ont exposé les chiffres qui confirment la hausse du soutien de la France : les crédits de la mission « Aide publique au développement » augmenteront de 16,04 % en 2023.
Avec un montant total d’aide de 14,8 milliards d’euros selon les critères de l’OCDE, on peut se réjouir que notre pays ait rempli, en 2022, son objectif d’une aide portée à 0,55 % du revenu national brut, conformément à la loi de programmation du 4 août 2021.
Toutefois, comme pour les autres missions budgétaires, l’inflation, hélas ! imprime sa marque. En effet, en raison de la situation économique actuelle, l’objectif de 0,7 % du RNB est reporté de 2025 à 2030.
C’est bien entendu regrettable, mais on peut espérer qu’il sera possible de réinscrire, au plus vite, nos moyens dans une trajectoire plus dynamique. En attendant, il me semble essentiel que les crédits proposés se concentrent sur les zones prioritaires définies par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement en 2018 et réaffirmées depuis lors.
À cet égard, madame la ministre, notre politique de développement solidaire est-elle bien concentrée sur les 19 pays prioritaires identifiés, quasiment tous situés en Afrique ?
Le Sénat a souvent souligné la difficulté à transcrire les priorités géographiques dans les faits ; de fait, il n’y a pas si longtemps, les pays les plus pauvres ne recevaient que 15 % de notre aide publique au développement. Pourtant, aux termes de l’article 2 de la loi du 4 août 2021, 25 % de l’aide programmable devra bénéficier à ces pays en 2025. C’est le choix de la France, que mon groupe partage.
Cela dit, ne cachons pas que certains de ces choix sont parfois amers. Je pense à ce qui se passe au Mali, pays dans lequel l’image de la France est injustement abîmée.
Il convient toutefois de ne pas renoncer. Ne mettons pas en avant nos liens passés avec le continent africain, ce qui a parfois tendance à irriter. Voyons plutôt l’Afrique pour ce qu’elle est aujourd’hui : le cœur de tous les défis, démographiques, économiques et climatiques.
C’est un continent où les vulnérabilités socio-économiques sont structurelles dans la plupart des États. Néanmoins, beaucoup de pays africains ont une formidable capacité de résilience, similaire à celle que l’on observe actuellement au Bangladesh.
C’est dans un esprit de partenariat que nous devons accompagner ces pays dans leur développement, sur le fondement d’une coopération plus moderne, qu’il faut sans doute mieux expliquer aux populations, à l’aide de nos outils d’influence.
L’urgence, aujourd’hui, c’est de ne pas laisser ces populations s’enfoncer dans la crise alimentaire. L’agression russe en Ukraine a créé une situation dramatique, en particulier au Sahel et dans la Corne de l’Afrique. Je salue donc la hausse des crédits destinés à l’aide alimentaire au sein de cette mission.
Enfin, mes chers collègues, je rappelle que faire preuve de solidarité pour le développement, ce n’est pas faire œuvre de charité. C’est une responsabilité que nous avons en tant que pays du Nord, eu égard à notre modèle de développement qui – il faut bien le dire – a mis la planète en danger.
Aussi, je me réjouis de l’avancée de la COP27 sur le fonds « pertes et dommages » destiné aux pays du Sud touchés par les dégâts dus au dérèglement climatique. Le RDSE compte sur vous, madame la ministre, pour que ce projet ne reste pas une coquille vide ; sinon, la gestion des conflits verts deviendra un défi imminent.
Le groupe du RDSE votera les crédits de la mission « Aide publique au développement ». (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Pandémie de covid-19 ; changement climatique accéléré ; insécurité alimentaire grandissante ; terrorisme ; guerres et regain des tensions internationales ; choc énergétique ; surendettement ; inflation : la liste des crises qui secouent le monde ces dernières années semble ne pas devoir s’arrêter de croître.
Inévitablement, leurs conséquences humaines s’alourdissent et rendent plus que jamais nécessaire l’aide internationale en faveur des pays les plus fragiles. La France, qui se classe au cinquième rang mondial des bailleurs de fonds, a d’ailleurs consenti depuis dix ans des efforts considérables pour se hisser à la hauteur cet enjeu.
Souvenons-nous qu’en 2014 le volume global de ses engagements au titre de l’aide publique au développement était de 8 milliards d’euros, soit 0,37 % de son revenu national brut. En 2022, il est passé, selon nos rapporteurs spéciaux, à 13 milliards d’euros, soit 0,51 % du RNB. L’année prochaine, cette montée en puissance sera une nouvelle fois intensifiée pour dépasser les 15 milliards d’euros et s’établir à 0,55 % du RNB.
Les crédits de la mission budgétaire « Aide publique au développement » ne constituent qu’une partie, certes substantielle, de ce vaste ensemble. Pour 2023, le Gouvernement propose de les augmenter de manière très appréciable : la hausse est de quelque 16 % en crédits de paiement.
Si le groupe Les Républicains n’approuve pas tout à fait le volume de cette hausse – j’y reviendrai –, il en soutient toutefois le principe.
Il le soutient, tout d’abord, parce que c’est précisément dans la tourmente que notre contribution au développement et notre solidarité en matière humanitaire sont les plus essentielles.
En effet, les pays les plus fragiles sont largement, voire parfois totalement dépourvus des moyens nécessaires pour amortir les effets des crises. Leurs populations, qui sont déjà les plus vulnérables, sont donc, de fait, les plus menacées. Les soutenir face aux soubresauts qui agitent le monde, comme nous le faisons par exemple en Ukraine, est donc une exigence morale à laquelle nous ne pouvons nous soustraire.
Mais permettez-moi, mes chers collègues, de souligner qu’il s’agit aussi de notre intérêt. Dans une économie globalisée, la prospérité des uns ne peut aller durablement de pair avec la paupérisation des autres. En stimulant la vitalité économique des pays en développement et la hausse du niveau de vie de leurs populations, nous favorisons aussi des partenariats, nous créons les conditions d’un échange économique plus soutenu avec la France.
En outre, ne sous-estimons pas le fait que l’aide au développement est également une contribution apportée à la sécurité internationale.
C’est particulièrement vrai en Afrique subsaharienne, qui est à la fois la zone d’action prioritaire de l’AFD et le théâtre principal des opérations extérieures que nous avons engagées au cours des dix dernières années. Y aider les populations à satisfaire leurs besoins fondamentaux – se nourrir, se soigner, s’éduquer – et contribuer à ce qu’elles bénéficient de perspectives économiques, c’est en partie assécher le terreau sur lequel se développent les mouvements djihadistes, contre lesquels nos soldats continuent de lutter. C’est aussi, ne l’oublions pas, contribuer à dessiner un avenir qui ne passe pas automatiquement par les routes migratoires.
Au moment où l’opération Barkhane s’achève officiellement, de nombreux enseignements doivent toutefois être tirés de l’action de notre pays dans la région. Le bilan de cette opération, s’il est plus qu’honorable d’un point de vue militaire, est en revanche politiquement calamiteux. Jamais la France n’a été tant critiquée, tant contestée, tant rejetée !
Tel est le cas bien au-delà du Mali, du Burkina Faso et du Sahel entier : c’est dans l’ensemble de l’Afrique que la France perd progressivement pied. Face à ce recul, qui ne cesse de s’accélérer, la redéfinition d’une politique africaine globale est désormais urgente. Elle devra nécessairement inclure une nouvelle réflexion sur les résultats de la politique d’aide au développement que nous y menons.
C’est d’autant plus essentiel que le volume, les modalités et les objectifs de l’aide économique revêtent une dimension stratégique qui ne fait que s’affirmer. Cette aide est devenue, en particulier sur le continent africain, un enjeu à part entière dans la lutte d’influence à laquelle se livrent les grandes puissances, dont certaines ne ménagent pas leurs efforts pour nous concurrencer, voire nous évincer. Une aide au développement revisitée doit donc nous permettre de retrouver, dans cette partie du monde, les leviers d’action qui nous échappent peu à peu.
Voilà, brossées à grands traits, les raisons qui amènent notre groupe à soutenir, malgré l’extrême difficulté du contexte économique, un nouveau renforcement des crédits de la mission « Aide publique au développement ».
Cette aide, c’est une réponse aux risques créés par des crises qui se multiplient et se combinent. Cette aide, c’est aussi un instrument du rayonnement et de l’influence de la France. Cette aide, c’est enfin l’expression des orientations définies dans la loi de programmation du 4 août 2021, que le Sénat avait adoptée à la quasi-unanimité.
Cette loi exprimait notamment l’ambition d’engager, à partir de 2025, une aide d’un montant équivalent à 0,7 % du RNB. Mais cet objectif semble désormais hors de portée, compte tenu des évolutions radicales de la conjoncture intervenues depuis le vote de ce texte, et le Gouvernement a décidé d’en reporter la réalisation à 2030.
Concernant l’annuité qui nous intéresse aujourd’hui, celle de 2023, la cible initialement fixée à 0,61 % du RNB a en conséquence été ramenée à un niveau plus soutenable de 0,55 %. La dégradation importante de nos comptes publics, l’impact de l’inflation et le risque de récession, de plus en plus prégnant, ne laissaient, à la vérité, pas d’alternative.
Il n’en reste pas moins que le Gouvernement propose, en crédits de paiement, de mobiliser 818 millions d’euros supplémentaires au bénéfice de cette mission, qui disposerait ainsi de 5,9 milliards d’euros au total en 2023.
Cette augmentation s’inscrit dans un cadre général, que le Gouvernement a exposé dans son projet de loi de programmation des finances publiques. Or la majorité sénatoriale a contesté, il y a un mois, l’économie générale de ce texte, estimant qu’il ne permettrait pas de réduire le déficit public dans des délais satisfaisants.
Le budget général pour 2023, construit sur cette base, doit donc être révisé pour être conforme à la trajectoire de maîtrise des dépenses retenue par la Haute Assemblée.
En conséquence, même si nous considérons que les crédits de la mission « Aide publique au développement » doivent rester orientés à la hausse, il nous paraît qu’ils peuvent être raisonnablement mis à contribution.
C’est pourquoi, dans le cadre d’une approche globale et cohérente, notre groupe proposera, par voie d’amendement, de fixer leur progression à 618 millions d’euros l’année prochaine.
Il s’agit, nous semble-t-il, d’une voie équilibrée, qui permet de satisfaire à deux exigences en apparence peu conciliables : d’un côté, réaffirmer notre engagement à faire plus pour la solidarité internationale, de l’autre, agir résolument pour restaurer la responsabilité et la crédibilité budgétaires de notre pays. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)