Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Outre-mer » n’ont augmenté que de 1,71 % en autorisations d’engagement et de 1,29 % en crédits de paiement par rapport à la loi de finances pour 2022.
C’est peu pour une mission dont le principal objectif est le rattrapage des écarts persistants entre l’outre-mer et la métropole, a fortiori dans un contexte de crise économique et sociale, et alors que les inégalités entre les territoires ultramarins et la métropole ne cessent de se creuser.
Ainsi, l’effondrement du tourisme entraîne une situation catastrophique en Polynésie et plus de 20 % des Antillais et des Guyanais vivent sous le seuil de pauvreté, ce chiffre étant plus élevé encore à Mayotte.
L’outre-mer compte 13 % des logements indignes recensés en France, pour 4 % de la population du pays. Comme l’a montré le rapport que j’ai commis avec mes collègues Victorin Lurel et Micheline Jacques, que je salue, l’objectif de 10 000 logements créés ou réhabilités chaque année n’est, hélas ! pas atteint.
Pourtant, 80 % des habitants des outre-mer sont éligibles au logement social ; mais seuls 15 % d’entre eux en bénéficient.
À cet égard, nous regrettons que les fonds demeurent insuffisants pour résorber l’habitat insalubre et que les crédits de l’action Logement du programme 123 baissent de 10,57 % en crédits de paiement. Plutôt que de lutter contre les facteurs de la sous-consommation des crédits outre-mer, on réduit les lignes budgétaires.
Si les collectivités ultramarines ont leur part de responsabilité dans cette situation, le manque d’ingénierie de l’État et la faiblesse du pilotage du ministère sont également en cause, comme nous le soulignions dans notre rapport. Nous y demandions l’organisation d’assises du logement outre-mer ; monsieur le ministre, nous n’attendons que votre signal.
Rappelons aussi que la Cour des comptes estimait, en septembre 2020, que les coûts des matériaux étaient de 20 % à 30 % supérieurs en outre-mer. Depuis lors, cet écart n’a fait que s’aggraver ; raison de plus, comme nous le suggérions également, pour renforcer les filières locales et pour promouvoir les matériaux biosourcés locaux et une architecture bioclimatique s’appuyant sur les savoir-faire traditionnels et l’habitat vernaculaire. Voilà une impulsion à donner pour utiliser les nombreux crédits non consommés d’un plan de relance !
Ce programme budgétaire a pour vocation d’opérer un rattrapage de niveau de vie ; et pourtant, il ne comprend toujours pas de plan Marshall des infrastructures, lesquelles pèchent dans tous les domaines – réseaux électrique, de transports, de communication.
Le plus grave est toutefois la vétusté considérable du réseau d’eau et d’assainissement. Comment imaginer, dans la septième puissance économique mondiale, que des robinets soient à sec ou déversent une eau blanche saumâtre, voire contaminée au chlordécone ; que les coupures d’eau soient hebdomadaires, comme en Guadeloupe ; que des écoles ferment plus d’un mois par an faute d’eau ?
En cause, des canalisations vétustes et mal entretenues, qui entraînent une invraisemblable déperdition de 60 % à 80 % de l’eau captée, un défaut d’entretien et de surveillance qui touche 70 % des stations d’épuration et des réseaux d’assainissement privés qui ne sont pas aux normes.
Cette catastrophe sociale se double naturellement d’une catastrophe écologique : le débit des rivières diminue dangereusement, ce qui menace la continuité écologique et des pans entiers de la biodiversité. Les nappes phréatiques, souvent contaminées au chlordécone, risquent en outre la salinisation.
En Martinique, la pêche est interdite dans de nombreux cours d’eau à cause du chlordécone, et les récifs coralliens souffrent grandement.
En Guadeloupe, l’agence régionale de santé (ARS) donne l’alerte : à ce rythme, d’ici dix ans, il n’y aura plus de coins de baignade de grande qualité. Un désastre écologique, touristique et, partant, économique est en germe.
Le cas des Antilles est symptomatique, mais j’aurais pu évoquer les eaux contaminées au nickel en Nouvelle-Calédonie, ou au mercure en Guyane.
Monsieur le ministre, votre prédécesseur a promis 170 millions d’euros pour les réseaux guadeloupéens, là où il en faudrait 600, voire 700. Il avait l’ambition de régler le problème en cinq ans. Il faut accélérer !
Financement, ingénierie, main-d’œuvre : l’État doit suppléer les collectivités locales partout où c’est nécessaire. Il faut mettre en place une gestion publique de l’eau et cesser de confier ce précieux commun à la prédation de Veolia et consorts.
Un mot, pour finir, de la protection de la biodiversité ultramarine, qui concentre plus de 90 % des espèces présentes sur le territoire national. Selon les estimations de l’Office national de la biodiversité (OFB), ce sont 500 000 à 1 million d’espèces qui sont menacées de disparition.
Monsieur le ministre, la visibilité fait grandement défaut, dans ce PLF, quant aux crédits destinés spécifiquement à la protection de la biodiversité ultramarine. Cela est d’autant plus problématique que la France vient d’annoncer un renforcement de ses aires marines protégées.
En tout état de cause, ne serait-il pas préférable que la protection de la biodiversité ultramarine fasse l’objet d’un programme spécifique de la mission « Outre-mer » ?
Avec toutes les réserves énoncées, et en souhaitant que les avancées du Sénat résistent au 49.3, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ces crédits. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances est un moment toujours particulier pour nous, sénateurs ultramarins. Je dis « nous », parce que ces débats, s’ils sont scrutés dans nos territoires, n’attirent généralement pas les foules dans cet hémicycle.
Les attentes et les enjeux sont pourtant nombreux, puisqu’il s’agit de combler le retard de développement pris sur l’Hexagone en matière d’emploi et de conditions de vie.
Cette année, l’examen de la mission revêt peut-être une dimension supplémentaire. C’est en effet une année de renouvellement sénatorial, mais c’est aussi la première fois depuis deux ans que nous nous réunissons pour débattre de ces crédits.
Avec 2,75 milliards d’euros en autorisations d’engagement, le budget du ministère des outre-mer enregistre pour 2023 une légère hausse, de 1,7 %, par rapport à la loi de finances initiale pour 2022. À périmètre constant, c’est toutefois une hausse supérieure à 11 % qu’il nous faut saluer.
Dans le détail, le budget de la mission « Outre-mer » est résolument tourné vers l’emploi.
La hausse des crédits du programme 138 au titre de la compensation des exonérations de cotisations sociales patronales est bien sûr un motif de satisfaction ; elle permettra de renforcer la compétitivité des entreprises ultramarines et de soutenir l’emploi dans les secteurs stratégiques.
Autre motif de réjouissance, la forte progression des moyens alloués à l’aide à l’insertion et à la qualification professionnelle, portée par le déploiement du plan SMA 2025+. Les quelque 30 millions d’euros supplémentaires qui seront mobilisés permettront de poursuivre les projets entrepris cette année, notamment à Mayotte et en Polynésie française.
Enfin, Ladom continuera de mettre en œuvre l’accord-cadre national avec Pôle emploi et recentrera ses actions de formation sur des filières stratégiques et d’avenir comme la transition écologique et le numérique.
Second volet de la mission, le programme 123, « Conditions de vie outre-mer », enregistre pour 2023 une hausse de 4 millions d’euros de la ligne budgétaire unique consacrée au logement social. Cette augmentation s’inscrit dans la dynamique impulsée par le plan Logement outre-mer 2019-2022, ce dont nous nous réjouissons.
Ce budget se caractérise surtout par le renforcement substantiel du soutien aux collectivités – 34 millions d’euros supplémentaires en autorisations d’engagement, 50 millions d’euros supplémentaires en crédits de paiement –, qui permet le maintien à niveau des crédits des contrats de convergence et de transformation et le financement de la subvention à la collectivité territoriale de Guyane.
Ce soutien aux collectivités se traduira également par un effort exceptionnel de 30 millions d’euros pour soutenir le syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe, ce dont je me félicite – j’y reviendrai dans quelques instants.
Notons également la poursuite de l’action de l’État en matière d’assistance technique et de soutien à l’ingénierie pour la concrétisation des projets structurants des territoires ultramarins, ainsi que l’effort déployé pour répondre au problème de la sous-consommation des crédits que nous votons chaque année.
Au-delà de nos talents locaux, nos collectivités doivent se saisir des outils dont elles disposent – je pense notamment à l’Agence nationale de la cohésion des territoires.
Je me réjouis par ailleurs de la contribution du ministère à la lutte contre les algues sargasses et au programme d’intervention territoriale de l’État, ainsi que de la prise en charge de la totalité des investissements des services publics antisargasses qui viennent d’être créés en Guadeloupe et en Martinique.
Il y a là un nouveau motif de satisfaction, car la création de ces services publics était l’une des recommandations formulées dans mon rapport de 2019 intitulé « Lutte contre les sargasses dans la Caraïbe : stratégies de prévention et de coopération régionales ».
Cette étape est importante, mais elle doit être suivie d’une seconde, à savoir le stockage des algues. Les teneurs mesurées en arsenic, et parfois en chlordécone, font en effet craindre une pollution des sols et des eaux à proximité des sites de stockage. Il nous faut avancer sur cette problématique ; dans mon rapport, monsieur le ministre, je préconisais par exemple l’endiguement de ces sites.
Permettez-moi, pour conclure, de formuler un regret et quelques souhaits.
Mon regret, tout d’abord, se rapporte à la gestion de l’eau en Guadeloupe. Les moyens alloués, à hauteur de 30 millions d’euros, devront s’accompagner d’une vision, mais aussi d’un engagement pluriannuel de l’État. C’est à mes yeux le seul moyen de retrouver la sérénité nécessaire et de régler définitivement cette question qui embrase un peu nos territoires ; car les financements ne sont pas tout : il faut encore savoir les mobiliser.
Mes souhaits, ensuite, ont trait au périmètre de la mission « Outre-mer ». Chaque année, nous sommes nombreux sur les travées de cet hémicycle à regretter que ces crédits ne représentent que 13 % du budget que l’État consacre à nos territoires.
Le périmètre exhaustif des crédits comprend en effet 101 programmes budgétaires relevant de 32 missions. En 2023, plus de 20 milliards d’euros seront ainsi mobilisés pour les outre-mer, en hausse de 1,1 % en autorisations d’engagement et de 3,7 % en crédits de paiement.
C’est beaucoup, et pourtant, nous ne disposons pas, à ce jour, d’un espace de discussion sur ce budget transversal qui fonde le développement de nos territoires.
Les crédits qui ne figurent pas dans la mission « Outre-mer » – soit 87 % du total – ne doivent pas être passés sous silence et échapper ainsi au débat politique. Il nous faudra pouvoir un jour discuter de la réalité de nos territoires, de nos aspirations, de nos différences. En effet, les questions relatives à la sécurité, à l’éducation et à la santé, par exemple, ne se posent pas dans les mêmes termes que l’on soit à Mayotte, en Polynésie française ou en Guadeloupe.
Je plaide pour qu’émerge une vision moderne de l’approche budgétaire. Et pareil renouvellement de l’approche budgétaire doit aller de pair, me semble-t-il, avec une nouvelle loi d’orientation et de programmation pour les outre-mer – je vous soumets cette idée que, du reste, vous aurez peut-être déjà eue, monsieur le ministre.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe RDPI votera les crédits de cette mission et soutiendra les amendements déposés par les rapporteurs spéciaux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Victoire Jasmin et Nassimah Dindar applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Catherine Conconne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par saluer un certain état d’esprit qui régit désormais les relations entre les élus et le ministère de ladite outre-mer.
Monsieur le ministre, je tiens à vous dire que, depuis que celui qui en était le titulaire lors des précédents débats budgétaires a commencé d’exercer ces fonctions, j’apprécie la réactivité, la proximité, l’écoute de votre ministère – et vous avez heureusement maintenu cette ambiance générale.
Ce regain d’attention permet évidemment une meilleure compréhension de nos peuples singuliers. La prise en compte de nos cultures, de nos expressions, de nos passés douloureux doit présider au traitement de notre quotidien.
Votre budget est en augmentation, monsieur le ministre. J’aurais pu m’en contenter, m’en satisfaire ; mais non ! j’aimerais que l’on aille plus loin. À mes yeux, les intentions comptent davantage encore que les sommes importantes affectées à votre mission. Je crois aux intentions fortes, affichées et concrètes en faveur d’une plus grande justice et d’une plus grande équité.
Tel est le sens des amendements que j’ai déposés. En les défendant, nous ne vous dirons pas : « mettez plus ! ». Nous solliciterons votre engagement à tenir des objectifs pour le quotidien de nos peuples.
Ce quotidien rime avec augmentation du taux de pauvreté, vie chère, vieillissement et baisse de la population, en particulier pour la Guadeloupe et la Martinique.
Par ces amendements, je vous demande notamment de sanctuariser une somme pour l’accompagnement dans le logement social. Les bailleurs sociaux sont aux abois, non parce qu’ils n’auraient pas assez de sous pour construire, mais parce qu’ils sont désormais confrontés à l’immense difficulté du vivre-ensemble.
Les crédits de la LBU doivent permettre d’y veiller, en donnant aux bailleurs les moyens d’assumer les nouveaux rôles qui, de fait, leur incombent : assistant social, psychiatre, gériatre, travailleur familial.
Par ces amendements, je vous demande également d’afficher une intention forte en faveur de l’amélioration de la mobilité de nos populations, en situation de grande injustice face à l’augmentation considérable des tarifs aériens.
Il faudra favoriser le retour, en particulier en Guadeloupe et en Martinique. On déplore, dans les rangs des Martiniquais, une saignée de 4 500 personnes par an ! Pareille situation appelle un dispositif exceptionnel, car nos peuples sont tout simplement en voie de disparition.
Les départs ont été organisés par l’État entre les années 1960 et les années 1980. C’était alors la seule réponse apportée au mal-développement : « Partez ! Allez ailleurs ! »
Monsieur le ministre, il faut désormais organiser le retour. Le même dispositif qui a servi à saigner ces peuples doit à présent œuvrer à repeupler nos territoires ! D’après un sondage très sérieux mené auprès de 6 000 de nos ressortissants, 85 % d’entre eux veulent rentrer dans leur pays.
Nos peuples ont soif d’entendre des mots forts, des intentions fermes, des objectifs évaluables !
Les collectivités locales, vers lesquelles, souvent, on se tourne – l’État lui-même nous renvoie volontiers vers elles –, ont beau pousser à fond leurs moyens, elles ne peuvent plus continuer à éponger une pauvreté qui augmente sans cesse, en particulier en cette période de forte inflation.
Monsieur le ministre, écoutez-nous lorsque nous défendrons nos amendements. Faites confiance à nos analyses : le bon sens dont elles sont empreintes est le fruit d’une connaissance exceptionnelle de nos compatriotes et du terrain. Ne sanctionnez pas systématiquement nos propositions pour un droit au bonheur de nos compatriotes d’un implacable et froid avis défavorable !
Ne soyez pas défavorable à l’équité, monsieur le ministre ! Ne soyez pas défavorable à la justice ! Ne soyez pas défavorable au mieux-être et au mieux-vivre de nos peuples, rompus qu’ils sont de mauvais sommeil !
Ne soyez tout simplement pas défavorable à l’esprit de la République !
Monsieur le ministre, parce que je crois en l’homme et parce que j’ai de moins en moins envie d’entendre craquer les os de ces vieilles nations impérialistes, j’ai envie de vous faire confiance. Je voterai donc votre budget. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Nassimah Dindar et M. Michel Dennemont applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à souligner l’augmentation de plus de 2,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement des crédits alloués à la mission « Outre-mer ».
Les dispositifs de soutien exceptionnel aux collectivités d’outre-mer sont renforcés, ce qui permet d’élargir la liste des bénéficiaires. Cela témoigne de la bonne volonté du Gouvernement de se soucier – enfin – de tous les territoires de la République.
Mais est-ce suffisant pour faire face à l’ampleur des enjeux et de la détresse, évoquée à l’instant, des habitants des outre-mer ?
La première journée du 104e Congrès des maires, à Paris, était consacrée à l’outre-mer. L’inquiétude de nos élus locaux face aux enjeux et problématiques des territoires ultramarins n’est pas une mince affaire : elle appelle une forte attention et le déploiement de grands moyens.
Dans ces territoires doublement affectés par la crise économique, énergétique, écologique, sanitaire, et dont le retard de développement ne pourra pas être compensé de sitôt, les communes et les élus locaux ont besoin d’un accompagnement fort pour mettre en place des politiques publiques, pour exercer leur mission première de service public et pour lutter contre la pauvreté grandissante.
L’inflation a dépassé les 10 %. La vie est chère, le pouvoir d’achat diminue, la population est en détresse.
Les mobilisations populaires continuent, et le calme n’est malheureusement pas près de revenir.
Les produits alimentaires sont entre 28 % et 38 % plus chers qu’en métropole.
Le taux de pauvreté en outre-mer varie entre 33 % et 77 %, contre 14 % dans l’Hexagone.
Les citoyennes et les citoyens des outre-mer demandent une égalité de traitement et veulent qu’on les considère comme tous les autres. Pour cela, ils et elles doivent pouvoir travailler et vivre dignement ; l’emploi est un vecteur fondamental de lutte contre cette pauvreté.
Mais le niveau de vie médian en outre-mer est inférieur de près de 30 % à celui de l’Hexagone. Comment compenser un tel retard ? À emploi équivalent, les salaires sont plus bas que dans l’Hexagone, alors même que la vie est plus chère dans les outre-mer.
Je salue l’amendement n° II-16 rectifié, présenté au nom de la commission des finances, visant à majorer les crédits alloués à la résorption de l’habitat insalubre (RHI) en outre-mer. Du fait de la rareté du foncier, du réchauffement climatique et de ses conséquences, de la croissance démographique et de bien d’autres paramètres, les difficultés relatives au logement et à l’habitat vont en effet croissant. Une politique du logement forte s’impose, non seulement pour construire davantage de logements sociaux, mais également pour lutter – c’est une grande bataille – contre l’habitat indigne.
Les services publics sont touchés, les ressources manquent et les inégalités entre l’Hexagone et les outre-mer sont frappantes. Les déserts médicaux avancent, les hôpitaux sont en détresse, le service public de la santé fait défaut.
Le développement de l’économie locale est pourtant indispensable pour permettre aux ménages et aux jeunes de sortir de cette spirale par l’emploi.
Au-delà de l’augmentation des crédits de la mission « Outre-mer » – que je salue de nouveau –, il faut lutter contre les différences de traitement et hiérarchiser les objectifs.
L’égalité républicaine doit exister pour toutes et pour tous. Ces territoires veulent se développer, avoir leur destin en main. Les jeunes veulent étudier dans de bonnes conditions, s’insérer dans le milieu professionnel, dépasser ce plafond de verre et construire leur vie. Ils ont besoin de soutien et d’écoute.
Monsieur le ministre, ce ne sont pas des décisions prises d’« en haut » qui permettront de comprendre les problématiques du « bas ». Il faut faire avec celles et ceux qui sont confrontés aux difficultés quotidiennes. Il faut faire avec les maires, avec les élus dans leur diversité, qui demandent un dialogue et de la coopération. Les représentants de l’État doivent entendre les revendications et adapter leurs propositions en fonction des territoires.
Dans la droite ligne des présents propos, nous avons déposé des amendements tendant à mettre en lumière quelques difficultés rencontrées par les populations d’outre-mer : vie chère, accès à l’eau, désamiantage – nous y reviendrons.
Mme la Première ministre a annoncé ce mardi qu’un comité interministériel des outre-mer se tiendrait au printemps afin de suivre ces différents dossiers. Nous y serons attentifs, et nous serons aux côtés de celles et ceux qui ont besoin d’être écoutés.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, l’augmentation des crédits de cette mission montre qu’il y a du progrès. Il faut maintenant des actes forts en faveur de nos concitoyens ultramarins qui subissent au quotidien, depuis des années, ces inégalités, ces défaillances structurelles et ce manque de considération.
Cela étant dit, mon groupe ne s’opposera pas à l’adoption des crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et RDPI. – Mme Nassimah Dindar et MM. Stéphane Artano et Alain Duffourg applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Poadja. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes LR et SER.)
M. Gérard Poadja. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux commencer par remercier M. le ministre de sa présence dans cet hémicycle aujourd’hui, alors qu’il revient à peine du Caillou, où avec M. Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, il a travaillé au retour du dialogue entre tous les partis calédoniens, indépendantistes et non indépendantistes. C’est très important à ce moment de notre histoire !
Votre présence témoigne de votre considération pour la représentation sénatoriale.
Le projet de loi de finances que nous examinons traduit l’intention du Gouvernement d’aider nos compatriotes ultramarins à faire face à un contexte international particulièrement défavorable, qui aggrave les difficultés déjà considérables de nos territoires.
Je salue en particulier les moyens alloués au plan SMA 2025+ ainsi qu’à la lutte contre le changement climatique dans le Pacifique.
Monsieur le ministre, mon propos sera précis : il faut désormais traduire dans les faits l’une des recommandations du rapport d’information de l’Assemblée nationale en date du 3 octobre 2019 sur la continuité territoriale dans les outre-mer.
J’invite donc le Gouvernement à appliquer effectivement l’article L. 1803-4 du code des transports sur l’aide à la continuité territoriale.
À l’heure actuelle, seule la Guyane bénéficie de ce dispositif. Si cette aide est indispensable compte tenu des difficultés inhérentes à ce territoire, cela s’entend également pour la Polynésie française, dont le territoire intérieur est composé de 118 îles réparties sur 5,5 millions de kilomètres carrés.
Et cela vaut, bien sûr, pour les îles de l’archipel calédonien, les populations de Lifou, de Maré, de Tiga, d’Ouvéa, de Bélep et de L’Île-des-Pins devant prendre l’avion ou le bateau pour accéder à des services publics essentiels – lycée, université, hôpital, démarches administratives, etc.
Quant aux habitants de l’île de Futuna, ils ont impérativement besoin de rejoindre régulièrement l’île de Wallis, distante de 250 kilomètres. Et certains services, notamment médicaux, ne sont accessibles aux habitants de Wallis et de Futuna que s’ils se rendent à Nouméa, distante de 2 100 kilomètres.
L’extension de l’aide à la continuité territoriale aux déplacements inter-îles permettrait d’éviter l’exode des populations vers Papeete et Nouméa et d’assurer le développement économique et le désenclavement de ces territoires.
Monsieur le ministre, soyez assuré que nos populations socialement en difficulté ont besoin de bénéficier de ce dispositif – je pense en particulier à nos anciens et à nos jeunes. Je compte sur votre détermination pour mettre fin à cette injustice entre les outre-mer. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – M. Jean-Louis Lagourgue et Mmes Victoire Jasmin et Éliane Assassi applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Petrus. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Annick Petrus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Outre-mer » est l’occasion pour moi de vous livrer l’état d’esprit de nombreux collègues des territoires ultramarins.
Si nous pouvons nous féliciter d’un budget en augmentation et du soutien d’un ministre qui connaît et apprécie nos territoires, nous avons vite déchanté lorsqu’a commencé l’examen du projet de loi de finances pour 2023.
Fatigués, nous sommes de nous voir opposer des fins de non-recevoir, au nom d’arguments qui démontrent une méconnaissance tant de nos territoires que des difficultés de ceux qui y vivent – du reste, la plupart de ces difficultés ont disparu de l’Hexagone depuis fort longtemps.
Fatigués, nous sommes, tandis que nos amendements sont rejetés l’un après l’autre, d’être confrontés à ce sentiment d’indignité et à l’impression fréquente de mendier, quand nos demandes relèvent pourtant du droit primaire de nos administrés : se soigner, se loger décemment, aider l’économie pour donner un emploi et, partant, un peu de dignité à chacun, un système scolaire prenant en compte les particularités des territoires et permettant à chacun de réussir.
Au-delà de ce manque de connaissance des territoires ultramarins, nous devons faire face à l’incompréhension de nos concitoyens qui, devant les injustices qu’ils subissent, sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les extrêmes.
Concernant le droit à réduction d’impôt qu’ouvrent les investissements réalisés en faveur de la rénovation hôtelière, comment expliquer le refus systématique du Gouvernement d’aligner le taux applicable à Saint-Martin sur celui dont bénéficient les départements d’outre-mer, en dépit du manque de chambres d’hôtel disponibles sur l’île de Saint-Martin, de l’état de son économie, du taux de chômage qui l’affecte et du désavantage dont elle pâtit comparé à ses voisins qui, eux, ne sont pas soumis aux normes strictes imposées aux régions ultrapériphériques (RUP) ?
Comment expliquer que les gens continuent à mourir à Saint-Martin faute de pouvoir être transférés vers le CHU le plus proche après dix-huit heures ? Une solution n’a toujours pas été trouvée pour garantir ces évacuations sanitaires, par exemple en autorisant les vols après dix-huit heures au départ de l’aéroport de Grand-Case.
Pour autant, nous ne céderons pas au pessimisme, car, bien sûr, tout n’est pas noir : nous continuons d’espérer. Je formulerai donc quelques vœux pour Saint-Martin, monsieur le ministre.
Je plaide, tout d’abord, pour la mise en place à Saint-Martin du bouclier tarifaire, afin que la péréquation tarifaire qui y prévaut depuis 1975 et qui est garantie par la convention-cadre de 2001 ne soit pas, dans les faits, remise en cause.
Je souhaite, ensuite, que soit conçu et mis en œuvre, dans le courant de l’année 2023, un dispositif de remise automatique sur le prix du carburant dans les trois collectivités d’outre-mer (COM) de l’Atlantique.
Je propose l’instauration du chèque énergie dès l’an prochain.
Je milite, compte tenu de la prégnance des problématiques relatives au logement, pour l’octroi à Saint-Martin, à partir de 2023, d’une dotation exceptionnelle pluriannuelle de 2,7 millions d’euros sur six ans au titre de la RHI, analogue à celle dont bénéficie la COM de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Par ailleurs, à ce jour, la compensation rétroactive par l’État des charges résultant des compétences transférées en 2012 – logement et habitat –, soit au minimum 17,4 millions d’euros sur dix ans, n’a toujours pas été engagée.
Quant à mon souhait d’une augmentation de 45,9 % à 53,55 % du taux de la réduction d’impôt applicable aux travaux de rénovation hôtelière, je l’ai déjà exprimé.
Je demande la révision, courant 2023, de la convention de gestion signée le 21 mars 2008 entre la collectivité de Saint-Martin et la direction générale des finances publiques (DGFiP), et la création d’applications informatiques adaptées à la fiscalité saint-martinoise, assortie de l’assistance humaine, financière et technique nécessaire, conformément aux recommandations de la mission interministérielle de juillet 2015, mais aussi au référé de la Cour des comptes en date du 22 décembre 2017.
Je sollicite, enfin, le réengagement de l’État dans l’administration des douanes. Il ne reste que deux douaniers à Saint-Martin, monsieur le ministre ! Cela signifie qu’il n’y a plus de contrôle effectif sur le territoire. Si, en effet, Saint-Martin a été érigée en collectivité d’outre-mer au sens de l’article 74 de la Constitution, notre statut, au sens du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, n’a pas été modifié. Saint-Martin reste une région ultrapériphérique de l’Union européenne, et relève à ce titre du territoire douanier communautaire.
Telles sont, monsieur le ministre, les actions prioritaires qui pourraient redonner un peu d’espoir à Saint-Martin. Ne laissez pas la géographie décider de qui est citoyen français à part entière, ou entièrement à part ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE.)