M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le conflit qui oppose la République d’Arménie et la République d’Azerbaïdjan s’inscrit dans la durée, puisque plusieurs épisodes de violences ont eu lieu depuis la proclamation de l’indépendance du Haut-Karabagh en 1991.
La présente proposition de résolution vise, à son alinéa 17, à pousser le Gouvernement à agir pour faire respecter le cessez-le-feu du 9 novembre 2020. Plus largement, elle vise, à l’alinéa 22, à faire appliquer « les réponses les plus fermes » contre l’Azerbaïdjan. Enfin – et ce dernier point doit requérir toute notre attention –, elle réaffirme, à l’alinéa 27, la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh. Cette proposition de résolution fait plus que demander le simple retrait des troupes azéries, car elle soulève également les sujets du rapatriement des prisonniers de guerre, à l’alinéa 19, et de l’élimination des discriminations raciales, à l’alinéa 20.
Le Président de la République a eu samedi dernier un échange téléphonique avec son homologue azerbaïdjanais, à l’issue duquel les deux dirigeants ont souhaité « maintenir une étroite coordination ». Il s’entretiendra également avec le premier ministre arménien en marge du sommet de la francophonie à Djerba le 19 novembre prochain. La voie du dialogue permet d’avancer de façon concrète avec les deux parties. Il faut rappeler cette échéance et privilégier le dialogue entre dirigeants.
La France souhaite s’inscrire dans une position de conciliation des intérêts et permettre le dialogue constructif entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Les deux États ont discuté à Washington, le lundi 7 novembre dernier, sous l’égide des États-Unis, quelques heures après de nouveaux bombardements frontaliers, dans un conflit qui a fait des centaines de morts ces derniers mois. La France a « souhaité maintenir une étroite coordination dans le sillage du sommet de Prague », qui avait réuni le 6 octobre dernier, en marge de la première réunion de la Communauté politique européenne, le président Aliyev et le premier ministre Pachinian.
Le Président de la République a « salué l’effet stabilisateur de la mission civile de l’Union européenne le long de la frontière avec l’Azerbaïdjan ». Le déploiement de cette mission avait été décidé lors du sommet de Prague. Le Président de la République a également réaffirmé « la pleine disposition de la France à accompagner le processus de normalisation des relations entre les deux pays, et à œuvrer pour une solution politique dans la région qui puisse permettre à la paix de s’installer durablement ».
Il est vrai que l’Azerbaïdjan a rompu le cessez-le-feu conclu le 9 novembre 2020 avec l’Arménie à deux reprises – une première fois au début du mois d’août et, plus récemment, dans la nuit du 12 au 13 septembre 2022. Ce faisant, l’Azerbaïdjan a fait le choix de l’emploi de la force plutôt que de la voie diplomatique pour négocier avec l’Arménie les conditions d’une paix durable au Haut-Karabagh.
Il est faux de dire que la France demeure inactive, puisque, à la suite de cette nouvelle offensive, elle a demandé au Conseil de sécurité de l’ONU, qu’elle présidait alors, de se réunir. Avec le soutien de la Turquie, l’Azerbaïdjan a contraint l’Arménie à abandonner la route existante par le couloir de Latchin – étroite bande de cinq kilomètres qui relie le Haut-Karabagh à l’Arménie.
Le Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a appelé à la retenue. Il faut veiller à ne pas mettre en échec les négociations engagées à Bruxelles entre les deux parties, sous l’égide de l’Union européenne, depuis quelques mois.
S’il est vrai que nous importons beaucoup de gaz d’Azerbaïdjan depuis le début de la guerre en Ukraine, cet intérêt économique ne doit pas être retenu comme le déterminant majeur de l’action de la France, pays des droits de l’homme, qui a toujours su prendre et tenir des engagements courageux. Une résolution réglera-t-elle plus efficacement le conflit que la diplomatie entre nos représentants ? La question est ouverte.
Le groupe RDPI n’a pas cosigné cette proposition de résolution. Avec mes collègues, nous sommes hautement préoccupés par la situation dans le Haut-Karabagh et nous condamnons fermement les graves incidents survenus dernièrement dans le secteur du couloir de Latchin.
Nous partageons nombre des constats de cette proposition de résolution, dans laquelle est réaffirmée « la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh ». Toutefois, le groupe RDPI estime qu’une telle reconnaissance ôterait à la France la possibilité de jouer un rôle de médiation en vue de l’établissement d’une paix durable. Bien entendu, notre groupe appelle au cessez-le-feu, au repli des forces azéries et au respect de l’intégrité territoriale de l’Arménie.
Au vu de ces éléments factuels, mais aussi stratégiques, la majorité du groupe RDPI a décidé d’opter pour une abstention constructive. Elle ne nie pas l’urgence, mais elle émet de sérieux et profonds doutes sur l’opportunité d’une telle proposition de résolution. C’est sa position constante – c’est également celle du Quai d’Orsay – et elle s’inscrit dans la continuité de celle de novembre 2020 sur la proposition de résolution portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh.
Néanmoins, certains collègues de notre groupe – en toute liberté et en fonction de l’appréciation de chacun – voteront en faveur de cette proposition de résolution. (MM. Frédéric Marchand et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Gilbert-Luc Devinaz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la diplomatie parlementaire est précieuse. Elle permet à des élus de discuter en toute bienveillance et de partager leurs espoirs, leurs doutes et leurs angoisses.
Le groupe d’amitié France-Arménie du Sénat, que j’ai l’honneur de présider, et qui est l’un des plus actifs de la Haute Assemblée, grâce à l’engagement de tous ses membres, entretient avec son homologue de l’Assemblée nationale arménienne des relations suivies et empreintes d’une profonde et réciproque fraternité.
Nos amis députés arméniens nous ont livré avec une grande franchise leurs réflexions sur la situation de leurs pays, parce qu’ils ont confiance en nous. À plusieurs reprises par le passé – et notamment en 2019 –, ils nous ont alertés sur les risques d’une agression militaire. Leurs craintes étaient fondées, nous les avons relayées auprès des autorités françaises, mais elles n’ont pas été entendues.
Lors de notre dernière rencontre à Erevan, en septembre dernier – je remercie ici Brigitte Devésa, Étienne Blanc et Pierre Ouzoulias de leur présence et de leur engagement – nous avons, tous les quatre, été bouleversés par leur désespoir et leur désespérance. Abandonnée par la Russie, oubliée par l’Union européenne et meurtrie par le voyage de la présidente de la Commission européenne à Bakou, l’Arménie leur semblait perdue.
J’évoquerai trois de nos échanges. Dans le premier, ils ont demandé d’imposer à l’Azerbaïdjan de retourner à ses positions du 9 novembre 2020. Dans le deuxième, ils ont souhaité qu’une force d’interposition sécurise la frontière de l’Arménie avec l’Azerbaïdjan. Dans le troisième, ils ont réclamé que l’on donne les moyens à l’Arménie d’assurer la sécurisation de ses frontières.
La proposition de résolution qui nous réunit aujourd’hui n’est pas un pamphlet contre l’Azerbaïdjan ou un éloge de l’Arménie. Il s’agit de défendre la paix et nos valeurs démocratiques. Nous participons à des groupes d’amitié, non pas pour le plaisir de découvrir de nouveaux pays ou de les visiter, mais pour œuvrer au renforcement des liens qui nous unissent et attester des difficultés qu’ils traversent.
C’est donc avec une certaine solennité et le devoir moral de témoigner du sentiment d’urgence absolue qui occupe les esprits de nos collègues parlementaires que je m’adresse aux trente-neuf membres du groupe d’amitié France-Arménie, à l’ensemble de notre assemblée et, bien sûr, au gouvernement français. L’Arménie a besoin de nous, de notre attention et de notre soutien !
Mes chers collègues, sachez que même dans le plus petit village d’Arménie, notre dernière résolution a été entendue et reçue avec espoir. Dans les décombres d’une petite maison de la campagne de l’Artsakh en décembre 2020, où j’ai été accueilli avec ce qu’il restait – quelques pommes et du pain –, un homme m’a dit à propos de la résolution du Sénat : « La France pense encore à nous, nous vivons encore ! »
Non, jamais une résolution parlementaire ne consolera la souffrance des familles des disparus ! Jamais elle ne fera oublier la désolation des cimetières où les visages de soldats – si jeunes – sont gravés sur les tombes. Jamais elle ne ramènera l’allégresse dans ces vignes et ces vergers ravagés par la guerre. Jamais elle ne séchera les larmes de ces populations chassées des terres de leurs ancêtres. Jamais elle ne ramènera dans son foyer le jeune qui a donné sa vie pour que triomphe dans cette partie du monde la démocratie !
Mes chers collègues, soyons certains que dans toute l’Arménie le vote de notre Sénat est attendu comme un message d’espoir par un peuple tant de fois meurtri par les catastrophes de l’histoire et qui aspire – encore plus aujourd’hui – à vivre en paix pour poursuivre son destin sur et dans ses terres. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Cazabonne.
M. Alain Cazabonne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord je tiens à remercier les présidents Retailleau et Cambon d’avoir pris l’initiative de cette proposition de résolution, ainsi que le président Marseille, qui apporte, par sa cosignature, le soutien de notre groupe.
Au fur et à mesure de notre débat, nous sommes amenés à répéter certaines choses, mais il n’est pas inutile, je crois, de réitérer une fois de plus notre attachement à l’Arménie, pour donner ainsi plus de force à notre proposition de résolution.
Le Sénat a toujours été au rendez-vous lorsqu’il s’est agi de défendre l’Arménie et les Arméniens – je pense notamment à notre vote à la quasi-unanimité de la proposition de résolution portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh en 2020. Deux ans après la signature du cessez-le-feu conclu entre Bakou et Erevan, le conflit n’est toujours pas résolu et la situation reste extrêmement tendue. Alors que les regards du monde entier demeurent rivés sur le conflit ukrainien, il est urgent d’agir dans la région du Sud-Caucase. Dans la nuit du 12 au 13 septembre dernier – cela a été rappelé –, l’agression de l’armée azérie a causé la mort de quelque 286 Arméniens.
Pourtant, plusieurs négociations ont été ouvertes pour résoudre ce conflit, mais elles ont limité, hélas ! l’efficacité de l’action internationale, car elles n’étaient pas coordonnées. Du côté russe, le 31 octobre dernier, Vladimir Poutine a réuni à Sotchi le président Aliyev et le premier ministre Pachinian pour essayer – sans grand espoir – de contenir l’escalade. Du côté de Washington, la semaine dernière, Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine, a réuni les ministres des affaires étrangères des belligérants. Du côté européen, Charles Michel et Emmanuel Macron ont été à l’initiative d’une mission d’observation qui a conclu naturellement que l’Azerbaïdjan avait mené des attaques agressives contre l’Arménie.
La particularité de ce conflit est que les puissances cherchent à se poser en médiatrices, mais en faisant primer la concurrence sur la collaboration, alors même que les Occidentaux ont su s’unir face au conflit ukrainien pour prendre des décisions et des sanctions communes. Il devient nécessaire que la communauté internationale prenne ses responsabilités pour que la paix puisse revenir dans cette partie du Caucase.
Je comprends très bien que la position des Européens à l’égard de Bakou soit pour le moins délicate. Alors que le Kremlin nous a fermé les robinets de gaz, nous nous sommes tournés vers l’Azerbaïdjan, de manière à trouver l’énergie qui nous sera nécessaire pour nous chauffer cet hiver. Bruno Retailleau a d’ailleurs écrit récemment un livre – je l’ai beaucoup apprécié – évoquant le risque de manquer de « lumière » cet hiver…
Dès lors, pourquoi y a-t-il deux poids, deux mesures à l’égard du régime totalitaire d’Ilham Aliyev ? Après l’Ukraine et l’Arménie, allons-nous créer une jurisprudence d’annexion dans l’indifférence ? Pour reprendre une célèbre citation, « c’est pire qu’un crime, c’est une faute ». Ce qui vaut pour la Russie ne vaut-il pas également pour l’Azerbaïdjan ? Les efforts de sobriété que nous nous imposons pour rendre efficientes nos sanctions ne peuvent-ils pas s’appliquer aussi au régime azéri ?
En 2020, des milliers d’Arméniens ont péri lors de la guerre du Haut-Karabagh. Allons-nous laisser ce conflit s’enliser ainsi ? Nous devons prendre nos responsabilités, et vite ! La France a toujours été aux côtés des Arméniens, pris en étau entre la Turquie et l’Azerbaïdjan. Si nous n’agissons pas, nous serons coupables et nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.
Ainsi, le groupe Union Centriste votera, dans sa très grande majorité, cette proposition de résolution, qui vous invite, monsieur le ministre, notamment en son alinéa 27, à tout mettre en œuvre pour que l’Azerbaïdjan s’engage instamment dans un processus de négociation diplomatique, afin d’aboutir à l’établissement d’une paix durable dans le Sud-Caucase. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Étienne Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par cette proposition de résolution, le Sénat honore un engagement ancien de la France en faveur de la protection des pays et des communautés chrétiennes du monde, qui aujourd’hui font, hélas ! l’objet de persécutions.
Les rapports entre la France et l’Arménie s’inscrivent dans cette longue histoire que Charles de Gaulle résumait par ces mots simples : « Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. »
Pourquoi donc protéger l’Arménie ? D’abord parce que c’est une démocratie dans un océan de dictatures violentes : la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Iran – pays frontaliers de l’Arménie – violent les droits humains fondamentaux, qui sont le socle même de notre civilisation. Épuration ethnique, génocide, instrumentalisation de la justice, violence, voilà leurs outils quotidiens d’exercice du pouvoir ! Mais l’Arménie, elle, n’est pas dans ce camp-là, il s’en faut. C’est la raison pour laquelle il faut protéger cette si petite démocratie dans cette région du Caucase.
Ensuite, il faut protéger l’Arménie parce qu’elle est une victime. Protéger une victime, c’est d’abord et avant tout désigner son agresseur, l’Azerbaïdjan, qui s’en prend aujourd’hui à l’Arménie et ne fait pas dans la demi-mesure : massacres, exécutions sommaires, démembrements de cadavres, viols, rétentions et tortures de prisonniers. Tout cela nous a été décrit lorsque nous étions à Erevan, voilà quelques semaines : ce sont des méthodes communes aux dictateurs !
Rien de tout cela n’a été épargné ni au petit peuple arménien ni à son armée, qui n’a du reste pas été protégée par les lois de la guerre inscrites dans la convention de Genève. L’inhumanité du président Aliyev l’a conduit à exposer dans un parc de Bakou les trophées sanglants, les casques et les vêtements de ces jeunes Arméniens, des gamins de 20 ans massacrés par l’armée d’Azerbaïdjan – victorieuse parce que dotée, par la Turquie, de drones, d’artilleries et d’armes modernes. On peut être un simple supplétif et se prendre pour un héros.
Enfin, il nous faut protéger l’Arménie, car elle est devenue le jouet d’une rivalité géopolitique qui se dessine dans la région entre la Russie et la Turquie, la seconde considérant que l’Arménie contrarie un panturquisme assumé, quand la première tente de conserver, au sein d’une ancienne république soviétique, une influence qui s’évanouit.
Mais protéger l’Arménie, c’est aussi nous protéger nous-mêmes face au fondamentalisme d’un islam politique totalitaire qui nie l’altérité, élimine ce qui ne lui est pas semblable. La France doit alors être du côté de l’altérité, du respect des différences, de la protection des minorités, tout cela sous couvert de la défense de la liberté de penser, de croire ou, tout simplement, de la liberté de vivre.
Oui, ce que vit aujourd’hui l’Arménie, c’est ce que nous pourrions être appelés, demain, à connaître, si nous ne défendons pas ces valeurs universelles auxquelles nous croyons.
Cette proposition de résolution contient trois réponses à une question que j’ai posée au Gouvernement le 5 octobre dernier.
Elle propose, d’abord, de désavouer la Commission européenne, qui, sous le nom de Mme von der Leyen, a signé un accord indigne, honteux, avec l’Azerbaïdjan pour s’assurer de livraisons de gaz et de pétrole. La France ne peut pas accepter que soit sacrifiée la liberté du peuple arménien pour préserver son confort hivernal. En cela, la proposition d’embargo sur le gaz et le pétrole est sans doute une réponse à la hauteur des crimes qui ont été commis par l’Azerbaïdjan.
Cette résolution vous exhorte, ensuite, monsieur le ministre, à renforcer les capacités défensives de l’Arménie en lui fournissant les armes nécessaires à sa protection. Il est temps, sur ce sujet, de passer de la parole aux actes pour protéger ce territoire, que l’on sait si fragile.
Enfin, et c’est la demande la plus pressante de l’Arménie, de son président et de son premier ministre, que nous avons rencontrés à Erevan, avec le président du groupe interparlementaire d’amitié France-Arménie, Gilbert-Luc Devinaz, à la fin du mois de septembre : il faut que la France profite de la présidence française du Conseil de sécurité pour mettre en place la force d’interposition tant attendue. Elle garantira la souveraineté de l’Arménie sur son territoire et ses frontières, la liberté de son peuple et l’intégrité des Arméniens du Haut-Karabakh, une République que le Gouvernement français serait bien inspiré de reconnaître enfin.
Alors, oui, en votant cette proposition de résolution, la France s’honorera en protégeant le peuple arménien, qui n’attend d’elle qu’une chose : une œuvre de paix. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dignité d’un peuple réside avant tout dans sa souveraineté et le respect de l’intangibilité de ses frontières. Le peuple arménien en est la parfaite illustration.
Ce peuple, d’un courage exemplaire, se bat seul, isolé du reste du monde, dans une forme d’indifférence, contre une coalition azérie-turque et ses mercenaires djihadistes, qui bombardent des civils et massacrent des soldats désarmés.
Oui, l’Arménie est en danger de mort. Il est de notre responsabilité première de la secourir, de la protéger, et notre inaction dans ce domaine est purement inacceptable et suicidaire.
L’histoire des hommes, c’est d’abord et avant tout l’histoire des civilisations, et celles-ci, par essence, peuvent être mortelles. Or le peuple arménien, premier État chrétien du monde, appartient plus qu’aucun autre à notre civilisation et partage nos racines judéo-chrétiennes.
Nous avons aujourd’hui, comme Bruno Retailleau l’a clairement dit, la désagréable impression qu’est appliqué le fameux « deux poids, deux mesures », insupportable dans le cadre de la politique étrangère de l’Europe, mais également de la part de la France.
Nous avons infligé d’énormes sanctions à la Russie après son agression de l’Ukraine – il fallait bien évidemment le faire –, jusqu’à renoncer à nous alimenter en gaz russe. Mais, mes chers collègues, qu’avons-nous fait concrètement pour nos amis arméniens ? En réalité, disons-le, assumons-le : pas grand-chose !
Nous nous sommes contentés, jusqu’à présent, de simples communiqués de protestation, de badge à la boutonnière, qui, malheureusement, n’ont eu aucun effet chez les agresseurs, qui sont véritablement dans une logique non pas d’apaisement, mais d’épuration ethnique, entamée avec le génocide de 1915.
Pis encore, Mme von der Leyen s’est rendue en personne à Bakou pour célébrer en grande pompe un nouvel accord gazier prévoyant le doublement des importations de gaz en provenance de l’Azerbaïdjan. C’est purement immoral et abject !
Y aurait-il une hiérarchie dans les conflits ? Bruno Retailleau nous a interrogés sur le sujet : le sang et les larmes des Arméniens valent-ils moins que ceux des Ukrainiens ?
Notre politique étrangère ne peut être à géométrie variable. Il y va de la crédibilité de la France, ce vieux pays dont la voix singulière vient du fond des âges.
Choisir comme fournisseur de gaz l’Azerbaïdjan pour pallier le manque d’approvisionnement russe est non seulement une preuve de renoncement à nos valeurs, mais aussi, et surtout, une immense faute géopolitique, car cet accord renforce de facto le régime autocratique, dictatorial d’Aliyev.
De surcroît, cette décision européenne alimente l’ambition impérialiste de M. Erdogan, qu’il déploie depuis plusieurs années, à travers notamment une stratégie de déstabilisation internationale.
Pour conclure, mes chers collègues, la question qui se pose, en fait, à travers cette proposition de résolution, est de savoir si l’Europe et la France sont prêtes à accepter, à leurs portes, un nouvel empire ottoman, plus islamique que jamais, un nouveau tyran qui, du Caucase à la Méditerranée, imposerait ses visions.
En quelque sorte, est-on prêt à accepter pour quelques mégawattheures la disparition d’un peuple qui nous supplie à genoux de l’aider ? Qui oserait répondre par l’affirmative à cette interrogation ?
Nous vous proposons, par cette proposition de résolution, d’envoyer un message clair et fort, de répondre non à cette question, avec la plus grande fermeté, et de défendre l’identité et la souveraineté d’un État. Il y va de notre civilisation, de notre culture et de nos racines. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, qui accompagne actuellement le Président de la République au G20 en Indonésie. C’est donc le ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères qui portera la parole du Gouvernement.
La proposition de résolution qui est débattue aujourd’hui devant votre assemblée porte sur un enjeu particulièrement important pour la France, pour l’Europe, et prend une acuité particulière après l’agression russe en Ukraine, au mépris de tous les principes du droit international.
D’ailleurs, à l’heure où je vous parle, l’Ukraine subit une vague de bombardements massifs, visiblement sans précédent par son intensité, et touchant les infrastructures énergétiques de plusieurs villes d’Ukraine.
La guerre, qui est revenue en Europe par l’agression russe, n’est pas sans conséquence dans la région du Caucase, qu’elle contribue à déstabiliser. Elle n’est pas sans conséquence pour l’Arménie, qui en subit le contrecoup face au défaut de légitimité d’une Russie guerrière pour se poser en faiseur de paix.
Ce contexte porteur de risques d’embrasement nous conduit à redoubler d’efforts pour œuvrer à des solutions permettant une paix et une stabilité durables dans le Caucase.
La première condition de cette stabilité, et pour que les négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan puissent progresser, est le strict respect du cessez-le-feu et le renoncement au recours à la force pour régler les différends.
Lors des très graves affrontements qui sont survenus à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan les 13 et 14 septembre, la France s’est immédiatement mobilisée.
Le Président de la République a été en contact avec le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, et avec le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, et a appelé à l’arrêt des combats, au respect de l’intégrité territoriale de l’Arménie et à un retrait des positions occupées par l’Azerbaïdjan.
Nous avons aussi réuni le Conseil de sécurité sous présidence française à deux reprises, les 15 et 16 septembre, pour marquer la même exigence.
Nous avons aussi obtenu l’envoi d’une mission d’évaluation de l’OSCE du côté arménien de la frontière.
Aujourd’hui, c’est l’intégrité territoriale de l’Arménie qui est en jeu et qui doit être défendue. Il n’y aura pas de solution durable sans respect des principes du droit international.
Aussi, l’un des objectifs majeurs du Président de la République, lorsqu’il a réuni à Prague, aux côtés de Charles Michel, le premier ministre Pachinian et le président Aliyev, a été que les deux pays confirment leur attachement à la Charte des Nations unies et à la déclaration d’Alma-Ata de 1991, par laquelle ils reconnaissaient mutuellement leur intégrité territoriale et leur souveraineté.
L’autre résultat majeur de la réunion de Prague a été la mise en place d’une mission civile de l’Union européenne le long de la frontière, avec laquelle l’Azerbaïdjan a accepté de coopérer. Cette mission s’est déployée dès le lendemain du sommet de Prague pour une durée de deux mois. L’objectif de cette mission est d’établir la confiance et, par ses rapports, de contribuer aux commissions de délimitation des frontières. Son déploiement a déjà contribué à une diminution significative des incidents et des tensions.
Saluons l’extrême célérité avec laquelle l’Union européenne a été en mesure de déployer ses observateurs.
Et c’est à Prague, enfin, qu’a eu lieu la rencontre historique entre le premier ministre Pachinian et le président turc Recep Erdogan, grâce à l’intermédiation du Président de la République, Emmanuel Macron.
La France n’a pas non plus ménagé ses efforts en faveur de la libération des prisonniers de guerre arméniens. Grâce aux interventions conjuguées de la France, de l’Union européenne et des États-Unis, trois libérations successives de prisonniers sont intervenues cette année. Nous continuons d’appeler à ce que tous les prisonniers – je dis bien tous ! – soient remis en liberté. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)
La France est donc pleinement mobilisée dans ses efforts de médiation aux côtés de l’Union européenne, mais aussi des États-Unis, afin de parvenir à des solutions négociées sur l’ensemble des questions en suspens.
Lors d’une réunion le 7 novembre à Washington, une première session de négociations s’est tenue entre les parties sur un projet de traité de paix. Nous les encourageons à poursuivre ces négociations de bonne foi, ainsi que celles sur la délimitation de la frontière.
Notre rôle est de faciliter ces pourparlers et d’essayer de contribuer à un climat de confiance, et non de prendre des mesures de rétorsion à l’égard d’une partie, au risque de renforcer les hostilités. Il existe aujourd’hui une opportunité pour parvenir à la paix, qui doit être saisie.
Ce que nous demande aujourd’hui l’Arménie, c’est de continuer à être un médiateur actif sur tous ces sujets. C’est le message que le ministre arménien des affaires étrangères m’a donné la semaine dernière – dans mon bureau – et qui guide notre action.
La France continuera également d’œuvrer au règlement de la question du Haut-Karabakh, qui demeure en suspens. Là encore, je vous invite à bien écouter ce que dit le gouvernement arménien et ce que m’a répété le ministre Ararat Mirzoyan : « La question du Haut-Karabakh n’est pas une question de territoire, mais de droit. Si, dans le passé, nous placions la question du statut au fondement, en faisant dériver de lui les garanties de sécurité et les droits, désormais, nous plaçons les garanties de sécurité et les droits à la base, en en faisant découler le statut. »
Ces propos courageux, tenus par le premier ministre Pachinian devant le Parlement arménien le 13 avril dernier, ont ouvert un espace de négociations, visant à définir le contenu de ces droits et de ces garanties.
La France soutient cette approche, car il ne lui appartient pas de prétendre mieux savoir que le gouvernement arménien ce qui est dans l’intérêt de l’Arménie. Il nous appartient de contribuer avec nos partenaires à l’émergence de solutions dans lesquelles nous puissions avoir confiance. Il s’agit de garantir à la population arménienne du Haut-Karabakh qu’elle pourra continuer d’y vivre dans la sécurité et d’y jouir de tous ses droits. C’est ainsi que nous serons utiles et solidaires de l’Arménie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, aucun pays, sur la scène internationale, ne fait davantage que la France pour soutenir l’Arménie.