M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Frédérique Puissat applaudit également.)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de M. Bruno Retailleau a un objectif que nous souhaitons tous atteindre depuis maintenant une décennie : faire en sorte d’avoir des médecins dans nos villages, dans nos bourgs. En bref, il s’agit de lutter contre les « zones sous-denses ». Je sais que la commission des affaires sociales est mobilisée sur le sujet.
Élu de Corrèze et médecin en milieu rural, je ne peux que constater les problèmes provoqués par le manque dramatique de médecins généralistes.
Qu’ils vivent en milieu rural ou en périphérie des villes, les citoyens doivent pouvoir être soignés et suivis. Nous souhaitons avoir un médecin dans nos maisons de santé. J’avais d’ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens. La suppression du numerus clausus est une bonne chose, mais nous devrons patienter une dizaine années avant d’en ressentir les premiers effets sur nos territoires.
Les territoires ruraux connaîtront une véritable catastrophe si nous ne prenons pas rapidement des décisions efficaces. Car les urgences sont encombrées, de nombreux patients n’ayant pas de médecin traitant.
La proposition de loi que nous étudions vise à introduire une avancée nouvelle. C’est aussi l’une des promesses de campagne du président Macron. L’urgence est réelle. Je me réjouis que nous ayons ce débat et je tiens à féliciter Mme la rapporteure Corinne Imbert.
J’ai rencontré récemment des étudiants en médecine qui m’ont fait part de leurs craintes : ils craignent d’être exploités avec cette année supplémentaire, en étant payés 2 000 euros par mois après dix ans études. Je comprends parfaitement leurs réticences, dans la mesure où, auparavant, les remplacements s’effectuaient en sixième ou septième année.
Les études de médecine sont déjà très longues ; elles durent neuf ans. De nombreux stages sont au programme. Les étudiants s’inquiètent aussi de ne pas être suffisamment secondés au cours de cette dernière année d’internat. Je leur ai répondu qu’ils bénéficieraient d’un médecin référent. En outre, à l’heure actuelle, après trois ans d’internat et six stages de six mois, ils peuvent remplacer sans médecin référent. De la même manière, après trois stages, dont six mois en médecine polyvalente, ils peuvent remplacer sans médecin référent.
À la suite de ces rencontres, j’ai décidé de déposer trois amendements à la proposition de loi.
Le premier, déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, était en réalité un amendement d’appel. J’en suis conscient, il n’aurait pas été adopté. Il s’agissait d’une réécriture de l’article unique, s’inscrivant dans la ligne de pensée ayant dominé nos échanges en 2019, au moment de l’adoption de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé. À l’époque, la commission avait adopté, de manière consensuelle, un amendement visant à faire en sorte que les six derniers mois d’internat soient réalisés dans les territoires manquant de médecins. Cette disposition avait été négociée par Alain Milon avec les étudiants. Toutefois, le décret n’est pas paru.
Par ce premier amendement, il s’agissait de prolonger le stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée (Saspas) d’un autre stage de six mois, faisant ainsi passer la période stage à une durée d’un an, sans ajouter une année supplémentaire complète à l’internat en médecine générale. Bien entendu, la priorité aurait été donnée aux zones sous-denses.
Je proposais en outre une rémunération plus importante au cours de cette année de Saspas.
J’avais déposé un deuxième amendement, qui, lui aussi, a été déclaré irrecevable pour les mêmes raisons que le précédent, ce que j’ai un peu de mal à comprendre.
Il portait sur la rémunération des médecins juniors dans le cadre d’une quatrième année d’internat. Je proposais de placer cette rémunération mensuelle à hauteur de l’équivalent de dix consultations payées à l’acte par jour, avec un logement, le médecin faisant appel à un médecin junior bénéficiant d’une clientèle importante.
Je le rappelle, les étudiants de dernière année d’internat ont déjà neuf ans d’études. Ils sont formés et peuvent donner des consultations seuls, avec l’aide et les conseils d’un médecin référent. Bien entendu, il est préférable que ce dernier soit un maître de stage universitaire (MSU), comme le prévoit cette proposition de loi. Toutefois, monsieur le ministre, lorsqu’ils ont une clientèle débordante, les médecins n’ont pas le temps d’être MSU. Telle est la réalité du terrain.
Les médecins devront donc devenir MSU, avec plus de proximité dans la formation.
Enfin, mon troisième amendement porte sur le lieu de la dernière année d’internat prévue dans la proposition de loi. Selon moi, il est important qu’elle se fasse sur le territoire du CHU où l’étudiant a fait ses études.
Parallèlement, des étudiants en quatrième année et cinquième année pourraient aller dans des hôpitaux périphériques. Cela participe aussi à la répartition géographique des étudiants et des internes et à la découverte des territoires.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons l’impérieuse nécessité de proposer l’accès aux soins dans tous les territoires. C’est le rôle de l’État. À mon sens, nous devons davantage écouter les étudiants pour ce qui concerne leur rémunération. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc en faveur de cette proposition de loi, qui, je l’espère, apportera en 2026 des solutions pour les zones sous-denses. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, signe de l’impuissance des politiques publiques, les zones sous-denses s’étendent depuis longtemps, renforçant les inégalités d’accès aux soins.
Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), entre 2015 et 2018, la part de la population française vivant en zone sous-dotée en médecins généralistes a augmenté de 50 %. Particulièrement impactées, les zones rurales et les zones populaires des métropoles subissent à la fois les fermetures des hôpitaux de proximité, des maternités et des services d’urgence, ainsi que le non-remplacement des médecins, des infirmiers ou des sages-femmes.
Toujours selon la Drees, 60 % des personnes en territoires ruraux connaissent des difficultés d’accès à un médecin généraliste. Comme souvent, les mesures d’incitations financières ont été privilégiées. Des dizaines de millions d’euros ont été dépensés, avec des résultats plus que décevants. En 2014, puis en 2019, la Cour des comptes avait constaté que ces mesures avaient plutôt provoqué des effets d’aubaine pour les médecins déjà en place.
Cet échec doit nous conduire à reprendre l’analyse des causes, pour de nouvelles solutions.
Si certaines études scientifiques disponibles concluent qu’un stage long en zone rurale sous-dotée, surtout en fin de cursus, peut encourager les nouveaux médecins à s’installer, d’autres considèrent son impact comme très faible.
Toutefois, d’autres études pointent des pistes intéressantes, car structurelles, ayant donné d’excellents résultats, de surcroît durables, notamment à l’étranger. À ce sujet, la méta-analyse de la Drees, en 2021, est formelle : il ressort de toute la littérature scientifique que le choix de s’installer dans une zone mal desservie est en premier lieu lié à un ensemble de facteurs personnels, et ce sans méconnaître les conditions d’environnement plus générales : intensité des services publics, proximité de centres hospitaliers, autres professionnels de santé installés sur le territoire, dynamisme des activités économiques.
Toutes ces raisons, nous les connaissons. Cependant, de façon constante, les travaux de recherche concluent que l’origine rurale du médecin est un facteur essentiel et le meilleur prédicteur de l’installation en zone rurale. Le fait d’être né en milieu rural, d’y avoir grandi, d’y avoir effectué sa scolarité ressort dans tous les pays comme un des déterminants majeurs du choix d’exercer dans cet environnement.
Or les territoires ruraux étant majoritairement populaires, les élèves qui en sont issus se heurtent à la sélection à l’université, amplifiée depuis quelques années par Parcoursup, véritable machine de reproduction sociale. Après les grandes écoles, les études de santé comptent parmi les plus clivées socialement. Ainsi, alors que les enfants des cadres métropolitains sont surreprésentés en études de médecine, leurs chances de réussite sont deux fois et demie fois supérieures à celle d’un enfant d’ouvrier.
Cette absence de diversité sociale a été amplifiée par les politiques de déstructuration de l’enseignement supérieur et la concentration des lieux de formation. Les fusions des universités vont frontalement à l’encontre des recommandations de l’OMS, qui préconise justement la décentralisation des centres de formation dans les territoires ruraux et sous-denses.
De nombreux pays ont entamé une démarche de décentralisation des ressources à des centres satellites ruraux, voire ont ouvert de nouvelles écoles de médecine. Je pense à la Norvège, à l’Australie ou au Canada, qui suivent ainsi les recommandations de l’OMS.
De la critique des critères de sélection à l’université pour ouvrir la diversification sociale à la décentralisation, autant que possible, des lieux de formations, certaines solutions durables contre les déserts médicaux réclament des mesures structurelles, qui questionnent les politiques en matière tant d’enseignement supérieur que d’aménagement du territoire.
L’aménagement du territoire accentue aujourd’hui un phénomène de répartition sociale du territoire, entre, d’un côté, une concentration des cadres, que le chercheur Guillaume Faburel appelle les « classes créatives », au sein des grandes métropoles, et, de l’autre, des territoires ruraux majoritairement ouvriers, qui subissent la dévitalisation économique, la fermeture des services publics et les déserts médicaux.
Il n’est pas étonnant que le démographe Hervé Le Bras ait pu dire hier que la France des déserts médicaux était celle des « gilets jaunes ». Or, pour lutter contre un tel phénomène, l’OMS recommande des politiques d’admissions ciblées pour les étudiants d’origine rurale et une décentralisation d’une partie des campus et des programmes d’internat.
Cette proposition de loi présente, selon nous, une solution de régulation très partielle et contestée, en faisant l’économie d’autres types de régulation, notamment par l’installation, comme des causes que je viens d’évoquer.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe écologiste votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Abdallah Hassani. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Abdallah Hassani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est l’un des chemins de recherche pour préserver et améliorer notre système de soins, sur tous nos territoires.
La médecine générale est la seule spécialité à n’avoir que trois années de formation en troisième cycle, sans phase de consolidation ni d’accès au statut de docteur junior. Le dispositif proposé vise à mettre en place une quatrième année, véritable année de professionnalisation. Les internes réaliseront plusieurs stages en autonomie supervisée et en ambulatoire, tout en préparant mieux leur installation.
Longtemps mentionnée comme piste de réflexion pertinente, cette quatrième année permettrait l’arrivée chaque année de plusieurs milliers de médecins juniors, affectés en priorité dans des zones où l’offre de soins est faible. Ce serait aussi l’occasion pour ces jeunes professionnels de découvrir et apprécier d’autres lieux et d’autres modes de vie.
Plusieurs véhicules législatifs nous permettront de débattre davantage d’une telle mesure, le Gouvernement l’ayant inscrite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce dont je me félicite. Nous sommes tous à la recherche de solutions pour consolider la formation de nos médecins, faciliter leur installation et également permettre à chaque citoyen d’obtenir les soins qu’il nécessite, sans inégalité. La mesure s’inscrit ainsi dans une logique plus globale et effective d’amélioration de la santé pour tous.
En complément d’autres dispositifs déjà mis en œuvre par l’État et nos collectivités, elle nécessitera d’assurer un nombre suffisant de maîtres de stage. Grâce à l’effort engagé, le nombre de praticiens habilités a connu une hausse de 9,6 % entre 2019 et 2021.
Il faut inciter davantage les médecins à candidater et faciliter les procédures, en ciblant les territoires où l’offre de soins est très insuffisante.
En outre, l’exercice de la médecine a changé. Les jeunes professionnels ont désormais des souhaits qu’il faut prendre en compte si l’on souhaite assurer leur venue sur nos territoires et leur installation dans la durée : profession du conjoint, éducation des enfants, services publics, sécurité, mais aussi organisation du travail et existence d’un réseau de professionnels paramédicaux et de spécialistes ; ce dernier critère suppose d’ailleurs d’augmenter aussi le nombre de maîtres de stage universitaires dans les autres spécialités. C’est donc en réalité un ensemble de mesures qu’il faut prendre.
J’en suis d’autant plus persuadé que je viens d’un territoire non pas sous-doté, mais – j’y insiste – « sous-sous-doté ». J’aimerais d’ailleurs saluer le travail réalisé par mes collègues de la commission des affaires sociales sur le système de soins à Mayotte.
L’offre de soins, en médecine de ville en particulier, y est balbutiante : vingt-sept médecins généralistes libéraux, dont sept maîtres de stage, pour ainsi dire aucun spécialiste, et ce pour 300 000 habitants. À La Réunion, le département voisin, dont la population est presque trois fois plus nombreuse, on compte 1 200 médecins généralistes et plus de 160 maîtres de stage. Mayotte n’a pas de CHU. Son centre hospitalier doit pallier les lacunes d’accès aux soins primaires ; il est constamment sous tension et multiplie les évacuations sanitaires vers La Réunion.
Les Mahorais qui en ont les moyens vont se soigner hors du département, à La Réunion ou en métropole. Les autres renoncent souvent aux soins, même essentiels. L’état de santé de la population se situe très en deçà de la moyenne nationale. La sécurité sociale est toujours régie par des dispositions spécifiques, mais je suis heureux de constater que la convergence progresse via notamment l’extension à Mayotte, dans le PLFSS pour 2023, de la complémentaire santé solidaire ; vous savez que les médecins libéraux du département sont nombreux à n’avoir pas signé de convention avec la sécurité sociale, ce qui pose beaucoup de problèmes, l’absence de remboursement incitant certains malades à rester à la maison…
Cette quatrième année d’internat apprendrait beaucoup aux internes qui la feraient chez nous et serait une chance pour l’île. Je souligne d’ailleurs la création, sur l’initiative du centre hospitalier de Mayotte, d’une agence territoriale de recrutement qui a reçu cette année le grand prix de l’innovation en ressources humaines. Elle vise l’ensemble des acteurs de santé du territoire et doit permettre de centraliser le recrutement, d’accompagner les candidats, de renforcer l’attractivité et de fidéliser les personnels.
Les obstacles sont nombreux dans nos territoires, et les problèmes se posent de manière particulièrement intense et urgente à Mayotte.
Cette proposition de loi contribue en partie à les lever. Le groupe RDPI votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre monde vit actuellement assez de malheurs pour qu’on essaie de lui en épargner au moins un : celui de mal nommer les choses. Or c’est bien une telle confusion, que j’entends s’exprimer depuis la présentation qui en a été faite par son auteur, qu’installe cette proposition de loi.
Le texte a été déposé au mois de janvier dernier, avec un titre faisant référence à la formation des internes en médecine générale et à la lutte contre les déserts médicaux. Huit mois plus tard, à l’occasion de l’inscription de son examen en séance publique, le volet « lutte contre les déserts médicaux », bien qu’effacé du titre, reste omniprésent dans les propos de l’auteur du texte lui-même et dans ceux des collègues qui se sont exprimés à tour de rôle. Si cela ne signifie pas mettre de la confusion dans le débat, il faut m’expliquer…
Et ce n’est pas parce que le titre en a été expurgé que la proposition de loi porte bien sur la formation des internes de médecine générale. J’y insiste, vraiment : l’un des problèmes qui grèvent actuellement le débat public dans notre pays est que les objectifs y sont masqués au lieu d’être dits clairement aux premiers concernés par le dispositif, en l’occurrence les jeunes médecins.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Bernard Jomier. Nous préférons le langage des intentions clairement affirmées. À cette aune, le texte est maladroit. Notre vie publique est bien trop encombrée de termes euphémisés ; nous le voyons tous les jours. Dans notre pays, quand il est question de « concertation », en gros, cela veut dire : « cause toujours » ; quand on parle de « coconstruction », cela veut dire : « on fait comme j’ai prévu ». C’est précisément ce qui est en train de se passer sur le dossier qui nous occupe.
Nous connaissons les capacités d’analyse, de clarté et de synthèse de Bruno Retailleau ; je ne veux pas croire une minute qu’il les ait soudain perdues. (Sourires.) Il faut donc clarifier. Or la véritable question qui se pose à nous est la suivante : est-il possible de conjuguer, dans un dispositif unique, l’objectif d’une meilleure professionnalisation des études de médecine générale avec celui d’un apport de temps médical supplémentaire au bénéfice d’une population qui en a besoin ? En d’autres termes, doit-on demander aux jeunes médecins de participer à une meilleure offre de soins dans la partie sous-dotée du pays, soit 85 % ou 90 % de notre territoire ?
S’il n’y va que d’une question de formation, comme le suggère l’intitulé, la quatrième année n’a rien à faire dans cette histoire.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Tout à fait !
M. Bernard Jomier. Car ce n’est pas le Parlement, ce n’est jamais la loi qui décide de la longueur des cycles des études de médecine. Ce n’est pas le Parlement qui décide des lieux dans lesquels les étudiants doivent effectuer leur stage.
M. Pierre Ouzoulias. Cela s’appelle l’autonomie universitaire !
M. Bernard Jomier. On peut dire que le Gouvernement, en inscrivant un tel dispositif dans le PLFSS, prend un risque d’inconstitutionnalité. Mais je dis, moi, qu’en en faisant une proposition de loi, on abaisse le niveau de la loi dans un débat d’ordre réglementaire.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Vous proposez que l’on ne fasse rien, une fois de plus ? Voilà bien l’impossibilisme français dans toute sa splendeur !
M. Bernard Jomier. Mais si, comme nous le pensons, il est possible de proposer un dispositif conjuguant ces deux objectifs, il faut commencer par tenir un langage de vérité aux premiers concernés : les jeunes médecins.
Et il faut d’abord leur dire, avec force, que nous savons qu’ils ne sont pas responsables de la grave pénurie de médecins que connaît notre pays. La France, au mitan des années 1970, formait 10 000 médecins par an. Ce nombre est tombé à 3 250. Actuellement, nous en formons 8 500 par an. Comment notre pays ne subirait-il pas une pénurie profonde quand, dans le même temps, notre population est passée de 50 millions à plus de 65 millions d’habitants, le vieillissement faisant, de surcroît, émerger les problématiques de l’autonomie et de la dépendance ?
Les jeunes ne sont en rien responsables de cet état de fait : les responsables sont les gouvernements successifs, obsédés par une politique de l’offre visant à réduire les dépenses de santé en réduisant le nombre de médecins formés. Encore me dois-je de préciser qu’à cette décision des gouvernants ont participé activement un certain nombre de syndicats professionnels médicaux, ainsi que l’ordre des médecins,…
M. Jean-Michel Arnaud. Eh oui !
Mme Émilienne Poumirol. Très bien !
M. Bernard Jomier. … arguant ensemble d’un manque de patients pour plaider la réduction du nombre de médecins. Là est la vérité ! Et les seuls qui, à l’époque – je m’en souviens bien –, au mitan des années 1990, prirent position pour dire qu’il s’agissait d’une erreur funeste, ce sont les organisations de jeunes, celles qu’aujourd’hui vous refusez d’associer à la négociation en soumettant un dispositif au Parlement de manière précipitée !
Les jeunes refusent, et ils ont raison, une quatrième année d’internat, car ce dispositif ne permet pas leur pleine reconnaissance. C’est un statut sous-rémunéré. On fait croire qu’il n’est question que de formation sans même en expliciter les objectifs. Cette décision est prise sans eux : vous mettez la charrue avant les bœufs ! Il faut d’abord négocier. (Mme Émilienne Poumirol et MM. Patrick Kanner et Daniel Breuiller applaudissent.)
Oui, il est possible de mieux préparer les étudiants à des modalités d’exercice devenues, certes, plus complexes sous l’effet de la rareté de l’offre et de l’apparition de nouveaux parcours de soins, de nouvelles organisations territoriales et de nouveaux enjeux sociaux, qui, plus prégnants qu’auparavant, rendent inopérante une approche purement sanitaire.
Conjuguer une meilleure professionnalisation avec l’apport de temps médical dans nos territoires sous-dotés, voilà donc l’équation à résoudre ! Il s’agit bien de travailler à la fois au cadre pédagogique et à l’apport de santé publique.
La bonne réponse, à cet égard, se situe non pas dans la quatrième année d’internat de médecine générale, mais dans une année de professionnalisation – et les mots ont un sens ! – en respectant ces jeunes, c’est-à-dire en reconnaissant et en rémunérant à sa juste valeur la contribution demandée, en prenant en compte leurs problématiques de vie, en associant aux universités les collectivités territoriales, qui sont mieux à même de leur garantir des conditions matérielles adaptées en matière de logement, de transport et de vie quotidienne.
L’examen de ce texte est précipité. D’ailleurs, nous avons bien noté qu’une course s’était engagée entre la majorité sénatoriale et le Gouvernement, par proposition de loi et PLFSS interposés – Mme la rapporteure a rappelé le calendrier –, pour faire prospérer à toute vitesse ce dispositif. Je ne doute pas que, au moment de l’examen du PLFSS, se renouera une alliance déjà manifeste lors de la session extraordinaire du mois de juillet. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Prenons-en le pari, si vous le voulez, mes chers collègues ! C’est ce qui est en train de se préparer.
L’examen de ce texte est précipité, car il ne faut pas inscrire aujourd’hui dans la loi une quatrième année du troisième cycle de médecine générale ! La question de savoir comment ils peuvent apporter du temps médical supplémentaire où il y en a besoin, au bénéfice de notre population et de la santé publique, doit faire l’objet d’une négociation avec les jeunes médecins et avec leurs organisations syndicales. Ils y sont prêts, à condition que le Parlement n’ait pas déjà délibéré. On négocie d’abord ; on vote la loi ensuite !
Cette proposition de loi est donc, à bien des égards, contre-productive. Le cadre posé n’est pas adapté et le législateur commettrait une erreur à modifier ex abrupto la durée du troisième cycle de médecine générale. Nous en appelons au volontarisme de la négociation et de la responsabilité partagée pour allier meilleure formation et temps médical augmenté. À défaut d’avoir été entendus, nous voterons contre la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1947, Jean-François Gravier publiait Paris et le désert français, ouvrage qui fit longtemps référence et dans lequel l’auteur démontrait le fort déséquilibre entre Paris et la province, analysant les conséquences qui en résultaient.
Soixante-quinze ans plus tard, la rhétorique du désert retrouve une acuité et une actualité particulièrement sensibles, notamment en matière médicale.
Depuis quelques dizaines d’années, cher Bernard Jomier – sans doute au moins quarante ans –, les déserts médicaux se répandent sur l’ensemble du territoire, au point de n’être plus cantonnés à la ruralité : les villes, et notamment leurs quartiers périphériques, sont désormais concernées.
La question est de savoir si ces déserts médicaux sont des phénomènes spécifiques ou s’ils ne sont pas plutôt la conséquence d’un phénomène global lié à la disparition des services publics dans les territoires ruraux et dans certains quartiers suburbains.
Peut-on raisonnablement espérer l’installation de médecins et de leurs familles dans des lieux sous-équipés en services publics de qualité, notamment scolaires et culturels, largo sensu.
Peut-on raisonnablement envisager que la vie et le rythme de travail d’un médecin de campagne des années 1970-1980 correspondent aux attentes des nouvelles générations ? Cela vaut également pour la médecine de ville.
Les évolutions des mentalités et la juridicisation de la société ont nécessairement un impact sur les installations en libéral.
Face à cette situation complexe et multicausale, il est impératif de proposer des solutions permettant de concilier les attentes des jeunes médecins avec celles d’une patientèle inquiète de voir son accès aux soins limité.
La proposition de loi déposée par Bruno Retailleau s’inscrit dans cette volonté d’apporter, d’une part, des réponses précises à nos concitoyens, mais aussi aux élus locaux, qui sont souvent en première ligne devant les doléances de leurs administrés, et d’améliorer, d’autre part, le cursus de formation des étudiants en médecine générale.
Cette préoccupation n’est pas nouvelle pour le Sénat. Dès 2019, monsieur le ministre, nous avions adopté un dispositif presque similaire, resté depuis lettre morte en l’absence des décrets d’application nécessaires, qui relèvent du Gouvernement. Et voilà que l’exécutif ajoute à la hâte au PLFSS examiné cet automne un article reprenant quasiment les termes de cette proposition de loi sans y apporter la moindre plus-value. La méthode est pour le moins discutable, car elle traduit une forme de mépris à l’égard du travail parlementaire consistant à se l’approprier en catimini au lieu de le valoriser.
Mais laissons de côté ce problème méthodologique et concentrons-nous sur les dispositions du texte ; elles ont fait l’objet de débats fort intéressants en commission des affaires sociales, tant le sujet revêt différentes dimensions : enjeux sociétaux, aménagement du territoire, formation de nos étudiants.
Je sais que les internes contestent en ce moment même le bien-fondé d’une telle réforme, en raison de l’allongement d’un an de la durée du troisième cycle des études de médecine générale. En outre, l’obligation de réaliser cette quatrième année en stages ambulatoires, sous un régime d’autonomie supervisée et prioritairement dans les zones sous-denses identifiées par les agences régionales de santé (ARS) inquiète aussi certains d’entre eux.
Il convient de souligner les apports de ce texte pour la professionnalisation des internes en médecine générale. Grâce à cette année supplémentaire, ils acquerront le statut de docteur junior, dont jusqu’à présent ils ne bénéficient pas. Grâce à l’accompagnement d’un médecin « superviseur », ils seront mieux préparés à l’exercice de la médecine en ville.
Ce texte constitue donc une réelle avancée, bien que certains points restent en suspens.
C’est le cas notamment des conditions de rémunération de ces étudiants, mais également de leurs conditions d’accueil dans les communes. Leurs frais d’hébergement et de transport seront-ils à la seule charge des collectivités ? Comment les inciter à s’installer dans ces zones sous-denses ?
De même, la question de l’encadrement demeure essentielle. Les maîtres de stage formés seront-ils en nombre suffisant ? Et seront-ils équitablement répartis sur l’ensemble du territoire ?
Le versement des honoraires pédagogiques des maîtres de stage devra se faire dans des délais raisonnables et non, comme cela se passe trop souvent, plusieurs mois après la fin des stages des internes. De tels retards de paiement pénalisent et démotivent les maîtres de stage qui se sont engagés dans le processus d’accompagnement et de formation des internes.
Enfin, il convient de mener une réflexion sur le lien entre la création de postes d’internes et les caractéristiques des bassins de vie où sont implantées les universités en matière démographique, sanitaire ou sociologique, et ce afin d’éviter les distorsions entre la réalité de terrain et le nombre d’internes formés dans les centres hospitaliers universitaires.
Un exemple simple : dans les Alpes-Maritimes,…