Mme Cathy Apourceau-Poly. Et encore…
M. François Braun, ministre. Cette réforme importante et nécessaire, que nous aurions dû mener voilà dix ou quinze ans, devrait permettre d’inverser la dynamique de la démographie médicale et de renforcer nos bataillons de médecins, généralistes comme spécialistes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le pense profondément, cette quatrième année ne serait pas seulement une chance pour nos territoires sous-dotés : elle serait également une chance pour nos jeunes médecins. Oui, cette année supplémentaire leur permettrait de bénéficier d’une phase bienvenue de consolidation de leur formation, à l’instar de ce qui se fait dans les autres spécialités. Elle est, à mon sens, la clé d’une responsabilisation progressive et supervisée, pour accompagner le mieux possible nos jeunes médecins généralistes vers leur installation. Elle traduit la volonté que j’ai exprimée dès ma prise de fonction : des solutions concrètes et pragmatiques pour répondre aux défis auxquels notre système de santé fait face.
Ainsi, sur le fond, je partage l’intention des auteurs de la proposition de loi. Toutefois, vous le savez, le Gouvernement a choisi de faire prospérer une telle mesure via le PLFSS pour 2023. C’est pourquoi il émet un avis de sagesse bienveillante sur cette proposition de loi de M. Retailleau. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe Les Républicains relative à la formation des internes en médecine générale nous permet d’avoir un débat sur les réponses publiques à apporter aux difficultés d’accès aux soins. Je salue le travail de Mme la rapporteure Corinne Imbert.
Comment accepter que 30 % de la population française vive dans un désert médical ? La difficulté à obtenir un rendez-vous avec un généraliste en secteur 1 n’est plus une situation spécifique aux territoires ruraux ; elle concerne désormais également les territoires périurbains et urbains. Ainsi, la région Île-de-France est le premier désert médical de France. En effet, 62,4 % de la population francilienne – cela représente 7,6 millions de personnes – a du mal à accéder aux médecins, trop peu nombreux. Les maires sont soumis à rude épreuve pour trouver une solution coûte que coûte !
Il faut le répéter, depuis vingt ans, les gouvernements successifs ont refusé de supprimer le numerus clausus et d’augmenter le nombre d’étudiantes et d’étudiants en médecine. L’ancienne ministre de la santé, Agnès Buzyn, reconnaissait elle-même, dans une tribune parue dans le journal Le Monde, que le numerus clausus avait été desserré de façon trop progressive et que l’on avait « perdu plus de quinze ans ».
Depuis 2017, les gouvernements d’Emmanuel Macron n’ont pourtant pas corrigé la tendance, puisque le remplacement du numerus clausus par le numerus apertus n’a pas significativement augmenté le nombre de médecins formés. Faute de moyens financiers et humains supplémentaires pour les universités, le nombre d’étudiants en médecine est passé de 9 300 en 2020 à seulement 11 180 en 2021, alors que les besoins sont plus importants, la population plus nombreuse, les patients plus âgés et souvent atteints de polypathologies.
Dans ce contexte, la proposition de loi du groupe Les Républicains visant à ajouter une quatrième année d’études aux internes en médecine générale non seulement ne résoudra rien, mais, au contraire, démotivera et précarisera les internes.
Tout d’abord, je souhaite dire quelques mots sur la méthode : ajouter une dixième année d’étude sans avoir ouvert de négociation avec les internes revient à mettre la charrue avant les bœufs.
En outre, une réforme de la formation des internes nécessiterait de discuter du contenu pédagogique et du rythme des études, de réfléchir à la prise en compte de l’épuisement professionnel qui touche les deux tiers des internes, à la revalorisation de leur statut, aux mesures de lutte contre les comportements sexistes lors des stages dénoncés par l’Association nationale des étudiants en médecine de France. Je le rappelle, un interne a environ trois fois plus de risque de se suicider qu’un jeune du même âge, à telle enseigne que, en 2021, une campagne intitulée #ProtègeTonInterne avait été lancée.
L’idée d’ajouter une dixième année d’études prouve bien que cette proposition de loi est en déconnexion totale avec la réalité des internes. Du reste, elle ne réglera ni la pénurie des médecins ni l’aspiration des jeunes médecins, qui souhaitent, à juste titre, pouvoir pratiquer la médecine en conciliant davantage vie familiale et vie personnelle.
Aujourd’hui, les nouveaux médecins aspirent en majorité à exercer leur activité dans un cadre salarié, en équipe, dans un territoire muni d’un hôpital de proximité, et non en libéral, comme le privilégie cette proposition de loi. Il faudrait donc favoriser les stages et l’installation en centre de santé.
L’incitation à faire des stages dans les territoires sous-dotés n’entraînera pas mécaniquement l’arrivée de 3 900 internes dans les déserts médicaux. Les incitations fiscales à l’installation ont démontré leurs limites, puisque seulement 400 médecins par an réclament les 50 000 euros proposés pour s’installer dans un territoire sous-doté.
Les internes qui souhaiteraient effectuer un stage dans un désert médical devront être encadrés par un médecin senior, alors que, par définition, les déserts médicaux sont dépourvus de médecin ou, en tout cas, manquent de médecins disponibles.
De plus, l’ajout d’une année supplémentaire en stage créera une année blanche d’installation de nouveaux médecins.
Enfin, les critères d’attractivité pour les jeunes médecins font cruellement défaut, puisque les politiques d’austérité menées au cours des vingt dernières années, y compris par la droite, cher collègue Bruno Retailleau, ont entraîné la fermeture des hôpitaux et maternités de proximité, ainsi que la disparition des services publics de proximité.
Selon nous, la réponse politique doit être multiple. Mais, dans le temps qui m’est imparti, je souhaite privilégier quatre propositions qui me semblent majeures : l’augmentation des moyens des universités pour former davantage de professionnels de santé ; le développement de centres de santé ; le rétablissement de la permanence médicale la nuit et le week-end, via l’abrogation du décret Mattei et la revalorisation des gardes de tous les soignants dans le public et le privé ; enfin, la mise en place d’un conventionnement sélectif dans les zones surdotées.
Mes chers collègues, vous êtes loin du compte avec votre proposition de loi. Aussi, les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront contre ce texte, tout comme nous voterons contre l’article 23 du PLFSS pour 2023, qui prévoit un dispositif similaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quelques semaines, nous a été soumise une proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale afin de lutter contre « les déserts médicaux ».
Les internes en médecine générale n’étant pas une variable d’ajustement, les démarches qui consisteraient à proposer une modification de leur formation dans l’unique objectif de lutter contre les « déserts médicaux » nous sembleraient inadaptées. On n’envoie pas les jeunes dans des « déserts » pour réparer des erreurs dont ils ne sont pas responsables.
M. Bernard Jomier. Bravo !
Mme Nadia Sollogoub. Le poids des mots, ce n’est pas rien ; il est grand temps d’en changer certains…
J’habite moi-même une région où l’angoisse des patients et des soignants est grande. L’accès aux soins y est le problème central, sans doute à l’origine d’un sentiment d’abandon dramatiquement vécu par les habitants et les électeurs. On ne peut certes ignorer l’attente des territoires – les travaux que nous avons menés avec Hervé Maurey et Jean-François Longeot l’ont démontré –, mais on ne peut pas dire que ce soient des déserts !
De nouvelles manières de travailler y amènent de nouveaux habitants, des projets y émergent, des soignants y viennent aussi, certes en nombre – hélas ! – insuffisant, mais de leur plein gré et avec un vrai projet de vie. Les jeunes médecins ne construisent pas leur vie en fonction de primes ; ils la construisent en cherchant à s’épanouir professionnellement et personnellement. Donc, pas de « désert » ; pas de punition !
Cela, notre commission l’a bien compris. Elle a veillé à présenter en séance un texte désormais intitulé proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale. Si l’initiative de Bruno Retailleau et de certains de nos collègues vise à orienter la formation des jeunes praticiens vers plus d’ambulatoire, alors, elle est intéressante et doit être soutenue.
Les autres spécialisations médicales se font en quatre années. Il y a donc une forme de logique à aligner cette spécialité sur les autres, à considérer que la médecine générale est une spécialité pleine et entière, exigeant une phase longue de pratique de terrain, qui est au fond la meilleure des écoles. L’année en tant que docteur junior, pour être pleinement attractive, devra être assortie d’une juste rémunération.
Cette période sera un peu comme les remplacements que faisaient les jeunes médecins généralistes ici ou là, pendant quelques mois ou années, période que certains d’entre vous ont sans doute connue, le temps d’écrire leur thèse, avant de se fixer pour de bon.
Voici ce que je lis dans le communiqué d’un regroupement de jeunes généralistes installés ou remplaçants : « Nous témoignons tout notre soutien à nos futurs confrères en formation ; nous réclamons pour eux une formation de qualité et une phase de consolidation qui les accompagne réellement dans la construction de leur projet. » Oui, il est indispensable que cette quatrième année soit une plus-value pour eux.
Au sein du groupe Union Centriste, les avis sur ce texte sont majoritairement favorables. Néanmoins, si, pour ma part, je m’apprête à le voter, certains de mes collègues émettent, je le sais, des réserves sur le nombre potentiellement insuffisant de maîtres de stage, sur la nécessité d’une plus grande concertation, sur le besoin d’enseignants en médecine générale ou encore sur le risque d’une coercition déguisée.
Par le passé, j’ai moi-même accueilli dans mon foyer, en tant que conjoint collaborateur d’un médecin généraliste, de jeunes internes en fin d’études, pour des sessions de quelques semaines. Je sais combien ces séjours, à ce moment de leur vie, à la découverte d’un territoire, au contact des habitants de celui-ci, peuvent être déterminants. Trois de ces stagiaires se sont installés près de chez nous. Une année pleine et entière en autonomie aurait certainement eu des effets encore plus significatifs. Par conséquent, j’y crois.
J’y crois, mais avec des réserves. Quid, en effet, des maîtres de stage ? Pour connaître les médecins généralistes de mon département, la Nièvre, et leur charge de travail, je sais que les sessions de formation à Dijon, située à deux heures et demie de route, pendant des journées entières et revenant régulièrement, c’est très dissuasif. Si certaines sessions sont, depuis la crise sanitaire, assurées à distance, celles qui subsistent en présence devraient être organisées au plus près des médecins, dans tous les départements, comme cela commence à se pratiquer en de rares endroits. Cette possibilité doit se généraliser. C’est à ce prix que de nouveaux médecins viendront grossir les rangs des maîtres de stage universitaires.
Actuellement, l’ambulatoire est déjà au programme du diplôme d’études spécialisées de médecine générale, mais il est insuffisamment mis en œuvre, faute de lieux de stages et, parfois, parce que les internes restent – hélas ! – dans les centres hospitaliers universitaires pour remédier au manque de personnel, ce qui est inadmissible.
La réflexion autour de l’ambulatoire doit être globale. Elle doit concerner également les spécialistes, ne pas rester théorique et s’inscrire peut-être dans un vaste chantier de refonte des études médicales, en s’inspirant d’autres modèles voisins.
Reste l’épineux sujet du lieu de ces stages, puisqu’il est désormais acquis que c’est presque tout le territoire national qui est en zone sous-dotée. Les internes aiment les stages enrichissants. Mais, en fin de cursus, ils peuvent également avoir des charges de famille et des ancrages que l’on comprend aisément. Le lieu de vie pendant une année entière, après de longues études, ce n’est pas rien.
L’idéal serait alors qu’ils puissent se diriger vers une région, probablement sous-dotée, puisqu’elles le sont presque toutes, où ils ont déjà une attache, voire un début de projet. « Quatrième année » ne doit pas impliquer « territoire inconnu », non plus que « désert » ou « punition ». Il faut prévoir de la souplesse dans les affectations.
Cela m’amène à un autre sujet essentiel, celui de l’origine géographique des étudiants. Prenons encore le cas de ma région. Si tous ceux qui réussissent le concours de médecine à Dijon sont de jeunes Dijonnais qui ont bénéficié d’une proximité familiale et d’un contexte connu, il semble difficile, sauf coercition, de les voir s’installer en milieu rural !
C’est pourquoi il est capital que les formations se délocalisent, ne se cantonnent pas aux grandes villes universitaires et viennent au plus près des territoires. C’est en partie les années pendant lesquelles nous n’avons formé que de jeunes urbains que nous payons actuellement.
Une faculté de médecine est ainsi en train de se mettre en place à Orléans. Le parcours accès santé spécifique (Pass), première année d’études de médecine, ouvert à Nevers après de longues années de bataille, a permis à 50 % des étudiants de réussir le concours. Voilà une vraie solution, et il y en a d’autres ailleurs en France ! Les « déserts médicaux » sont tout simplement des déserts de formation.
Il en faut plus, monsieur le ministre ; le numerus apertus doit muter en numerus proximus ! (Sourires.) Voilà ce que la proposition de loi de Bruno Retailleau m’a permis d’exprimer.
Si cette disposition est adoptée, il faudra que les moyens soient au rendez-vous, de même que les décrets d’application, car il y a des précédents…
Monsieur le ministre, vous visez le même objectif, au travers de l’article 23 du PLFSS pour 2023. Vous justifiez le recours à ce véhicule en affirmant que cette mesure aurait un impact sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou sur les dépenses des organismes concourant à leur financement qui affecte directement l’équilibre financier de ces régimes. Or, d’après le chapitre relatif à l’impact financier global de l’étude d’impact du projet de loi, votre dispositif n’aurait aucun effet sur les régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss). Ce que je vois, le Conseil constitutionnel le verra également ; je n’en doute pas. Aussi, je vous invite à vous saisir du véhicule législatif que nous vous présentons.
Je termine en citant une réponse de vos services, monsieur le ministre, à une question que j’avais posée en 2018 sur les stages des internes en médecine : « La ministre des solidarités et de la santé est extrêmement attachée à favoriser le développement de la maîtrise de stage ambulatoire. Les débats qui ont eu lieu avant l’adoption de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé ont rappelé combien la diversification des lieux de stages constituait une nécessité pour permettre aux étudiants, futurs médecins, de se former et de découvrir un large spectre de situations professionnelles. »
Souhaitons donc que la loi de 2022 puisse mettre en place, en mieux, ce que la loi de 2019 n’a pas pu faire aboutir. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bienvenue en France, le pays qui prétend posséder le meilleur système de santé au monde, mais qui abandonne plus de 10 % de sa population, soit 8 millions de personnes, dans les déserts médicaux !
Même si, désormais, certaines grandes villes se trouvent sous-dotées, en raison principalement de l’insécurité qui y règne, comme dans les quartiers nord de Marseille, où la patientèle ne manque pourtant pas, puisqu’elle vient des quatre coins du monde, et plus précisément du tiers-monde, les déserts médicaux se concentrent principalement en ruralité.
Le désert n’y est pas que médical ; il est global ! Comment voulez-vous qu’un médecin aille s’installer avec sa famille dans un endroit où s’accumulent les problématiques de mobilité, de logement, d’emploi, et où ont disparu les écoles et les commerces, faute d’une véritable politique d’aménagement du territoire ?
De plus, une aggravation inéluctable de cet état de fait est à venir : un généraliste sur deux est âgé de plus de 60 ans et partira bientôt à la retraite.
Le vieillissement général de la population rendra l’abandon plus criant. Les pénuries énergétiques et l’inflation amplifieront ces phénomènes, car l’assurance maladie rembourse les consultations, mais pas les trajets pour s’y rendre.
Chez moi, dans les Bouches-du-Rhône, la disparition de SOS Médecins dans les communes rurales a pour conséquence un nombre moindre de visites à domicile et de médecins disponibles les week-ends et jours fériés. Cela aboutit à une surcharge ambulancière supportée par le Samu ou les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), déjà sous tension.
Les maires sont le dernier influx nerveux d’une ruralité exsangue. Beaucoup débloquent des aides incitatives. Malgré cela, les maisons de santé pluridisciplinaires se retrouvent souvent sans médecin.
Face à une telle situation, c’est tout un panel de soutien à la ruralité qu’il faut repenser. Mais avant toute chose, il convient de réintégrer les soignants non vaccinés. Leur suspension, qui était déjà un scandale, n’a vraiment plus aucun sens aujourd’hui.
J’en viens aux dispositions constituant le cœur de la proposition de loi. Les internes en médecine ne peuvent pas être les variables d’ajustement des carences de l’État. Ce sont déjà eux qui font tourner l’hôpital.
En quatrième année d’internat, les étudiants ont entre 27 ans et 30 ans et certains ont déjà fondé une famille. On ne peut pas leur imposer une année supplémentaire après dix ans d’études, sans qu’ils sachent où ils seront affectés. Surtout en les payant 8 euros de l’heure !
Cette mesure coercitive sur un an pose également un problème de suivi des patients. L’« excellent », comme le veut la formule consacrée, président Bruno Retailleau a évoqué tout à l’heure une mission de service public pour justifier ce texte. Où est-elle ? La proposition de loi relève plutôt de la philosophie macroniste. (Marques de dénégation sur les travées du groupe Les Républicains.) On la retrouve d’ailleurs – allez savoir pourquoi – à l’article 23 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Pour conclure, je voterai contre cette mesure palliative administrée à un système en état de mort annoncée. Je suis partisan d’une réforme en profondeur en faveur de la ruralité. Aujourd’hui, une méthode demande à être mieux exploitée, celle du contrat d’engagement de service public (CEST), qui aide les médecins à s’installer dans les déserts médicaux à hauteur de 1 200 euros par mois. Le nombre de CEST signés évolue chaque année. Faisons en sorte que ce dispositif soit plus connu, en attendant de reconstruire l’attractivité de nos territoires.
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et UC.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par cette proposition de loi, dont l’initiative revient à M. Bruno Retailleau et à un certain nombre de ses collègues, nous sommes invités à nous saisir de la question essentielle de la formation des médecins. Cette dernière doit répondre à la fois à l’acquisition d’une somme importante de connaissances, d’un savoir-être, et surtout à la préparation des jeunes médecins à leur futur exercice professionnel, qui, pour les généralistes, se fera majoritairement sur les territoires, en libéral.
Le sujet n’est pas tant d’aligner le nombre d’années de la spécialité médecine générale sur celle des autres spécialités. C’est plutôt, et surtout, de savoir pourquoi on ajoute une année supplémentaire au troisième cycle des études médicales.
S’il s’agit de déployer un bataillon de docteurs juniors sur des territoires sous-dotés pour apporter une réponse politique à la problématique complexe des déserts médicaux, je n’y serai pas favorable.
En effet, le doute persiste sur la finalité de cette proposition de loi, du fait du titre initial du texte, de la communication faite autour de cette mesure, des discussions ayant eu lieu en commission des affaires sociales et dans le cadre d’auditions, jusqu’à l’exposé des motifs du texte, qui débute par l’évocation des déserts médicaux.
Alors que la discussion est entamée depuis plusieurs années déjà sur cette question, que les étudiants, professeurs et doyens n’y étaient pas et n’y sont toujours pas fermement opposés, la finalité à peine masquée de la mesure a suscité beaucoup d’inquiétudes.
Si l’accès aux soins doit mobiliser chacun d’entre nous, je ne crois pas aux mesures coercitives, y compris quand elles se drapent de bonnes intentions, à plus forte raison dans un contexte de manque de professionnels.
Doit-on le rappeler ? En dix ans, la France a perdu 5 000 médecins généralistes. En vingt ans, leur densité sur les territoires a baissé deux fois plus que celle des autres spécialités. Aujourd’hui, 84 % de notre pays est sous-doté. Aucune réforme, aucun décret, aucune mesure, aucun plan, n’ont réglé et ne régleront de manière isolée la problématique de l’accès aux soins, tant que le nombre de généralistes en exercice n’aura pas augmenté de manière significative, par une amplification nette du numerus apertus et, surtout, du quota de médecins généralistes dans le cadre de la sélection pour les spécialités.
Alors que cette année supplémentaire doit voir le jour, il faut parler de pédagogie, de professionnalisation et d’une meilleure adaptation de la formation au cœur de métier de la médecine générale.
Une quatrième année professionnalisante, bien pensée et concertée, pourrait et devrait mieux préparer les jeunes médecins à la réalité du métier, qui se fait pour l’essentiel – je l’ai déjà indiqué – en libéral. Si elle est bien menée, elle favorisera les installations sur les territoires.
J’en suis convaincue, cette quatrième année, avec un stage obligatoire en ville, mais aussi un stage libre, par exemple dans un hôpital de proximité, répondrait mieux aux exercices partagés, aujourd’hui plébiscités par les jeunes, et au décloisonnement ville-hôpital que nous appelons tous de nos vœux.
J’y vois aussi un autre avantage : les étudiants devront présenter leur thèse en troisième année de troisième cycle, et ne pourront plus repousser cette échéance, report qui les éloigne aujourd’hui d’autant d’une installation en cabinet.
Mais cette année supplémentaire doit répondre à plusieurs conditions.
Tout d’abord, elle ne doit pas être un prétexte pour répondre de manière totalement imparfaite à la problématique des déserts médicaux.
Ensuite, elle doit entraîner l’adhésion des étudiants et du Collège national des généralistes enseignants.
Par ailleurs se pose la question de l’encadrement. S’il est bien précisé que ces stages s’effectueront « sous un régime d’autonomie supervisée », ils devraient être obligatoirement encadrés par un maître de stage des universités. Sont-ils suffisamment nombreux dans les territoires pour accueillir ces jeunes de quatrième année ?
Enfin, la dernière condition est liée à la rémunération. La proposition de loi évoque une rémunération à l’acte. Cette option me semble peu aboutie. Ne risquerait-elle pas de créer des conflits entre stagiaires et référents ? Ne faudrait-il pas un socle commun salarial, avec – pourquoi pas ? – une incitation supplémentaire dans le cas de cabinets à forte activité ou pour une pratique en zone sous-dense ?
De manière générale, ne l’oublions pas, ce sont de bonnes conditions de travail, un environnement professionnel stimulant et des territoires accueillants qui sont, je le crois, les critères privilégiés du choix d’installation des jeunes professionnels. Plutôt que d’orienter les docteurs juniors en priorité vers les territoires sous-dotés, dont la définition est imparfaite, orientons-les en priorité vers des lieux d’exercice où il existe des dynamiques de santé, avec des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), des exercices professionnels coordonnés et des équipes de soins primaires (ESP) à même de leur donner envie de poursuivre l’aventure.
Faisons en sorte de former, dès le début des études médicales, de jeunes médecins en proximité.
Sous toutes ces réserves, le groupe RDSE n’est pas défavorable a priori à cette proposition de loi, mais – vous l’aurez compris – pas à n’importe quel prix.
Notre groupe déterminera son vote en fonction de la discussion qui suivra et du sort qui sera réservé aux amendements, notamment aux plus coercitifs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi n’est pas sortie du chapeau ; M. Bruno Retailleau l’a rappelé. Nous en parlons depuis plusieurs années avec le Conseil national de l’ordre des médecins et la conférence des doyens des facultés de médecine. Lors de l’audition que nous avons menée en début d’année, qui a réuni l’Association nationale des étudiants en médecine de France et la conférence des doyens, la quatrième année avait été évoquée et avait recueilli l’assentiment, notamment, de cette dernière.
Je voudrais tout d’abord remercier la rapporteure de la commission des affaires sociales de son travail sur ce texte, que j’avais bien évidemment cosigné. Elle a en effet apporté deux clarifications qui me semblent indispensables.
Tout d’abord, sur l’entrée en vigueur, il est parfaitement clair que l’allongement de la durée des études ne s’appliquera pas aux étudiants ayant entamé leur troisième cycle. La réforme suppose en effet une révision de la maquette, ce qui ne s’improvise pas. Par ailleurs, il ne s’agit pas de prendre au dépourvu des internes déjà bien avancés dans leur cursus.
Ensuite, et cette deuxième précision était nécessaire, la réforme ne vise pas à réformer les études de médecine générale uniquement pour répondre à la question de l’accès aux soins dans les territoires sous-denses. Il s’agit de réformer les études de médecine générale pour consolider la formation des futurs médecins en leur permettant de se confronter aux caractéristiques de l’exercice en médecine de ville, sous un régime d’autonomie supervisée.
La crainte des étudiants, nous l’avons entendue dès 2019. La commission avait alors proposé d’aménager la troisième année du cursus pour permettre un an de stage en autonomie supervisée. Cette année s’était ensuite transformée en six mois en commission mixte paritaire. Ils ne se sentaient pas prêts à un exercice autonome, craignaient pour la qualité de leur formation, et redoutaient une affectation forcée dans un lieu non choisi, où ils se trouveraient abandonnés à leur solitude, de surcroît dans des territoires qualifiés, de manière peu engageante, de « déserts ».
Rien de tel dans le texte que nous proposons. Le mode d’exercice est bien celui de l’autonomie supervisée, sous l’autorité de maîtres de stages universitaires formés, avec une formation à l’exercice en ville et, très certainement, à l’exercice coordonné, avec le collectif et la pluriprofessionnalité auxquels les jeunes médecins aspirent.
La formation au premier recours en médecine de ville, à la gestion de l’« entreprise médicale », qui fait actuellement défaut, ou à la compréhension des mécanismes des projets territoriaux – je pense notamment aux centres de perfectionnement du personnel soignant (CPPS) – viendra compléter les cursus. Ce seront de vrais apports pédagogiques pour les futurs médecins.
Nous ne tentons pas de transformer de jeunes internes en médecins de famille à l’ancienne ni d’en mettre un sous chaque clocher. Cela ne correspond plus à la société actuelle.
En revanche, il nous faut réfléchir, en termes d’accès aux soins, à des formes qui peuvent évoluer, dans des territoires donnés. Je pense notamment à des zones d’activité médicale permettant, pour les patients et les médecins, de trouver un équilibre pour ce qui concerne les demandes de recours.
La concurrence entre les territoires est délétère ; il nous faut plus de coopération.
L’acceptation forcée, qui – je le conçois bien correspond au souhait de certains, ne me semble pas envisageable dans le contexte de la démographie médicale et du vieillissement de la population. On ne gère pas la pénurie par la coercition. Il n’existe pas de zones surdotées, en tout cas en secteur 1. Il s’agit d’un phénomène urbain, périurbain et rural.
Dans le cadre de la mission que vous mettrez en place, monsieur le ministre, il faudra associer les ARS, les unités de formation et de recherche (UFR), les représentants des internes, les ordres, les unions régionales des professionnels de santé (URPS) et les élus, pour définir les zones et les lieux de la professionnalisation sur chaque territoire.
Avec ces temps de formation nouveaux, le dispositif crée du temps médical supplémentaire – c’est un point majeur –, en irriguant les territoires chaque année en nouveaux médecins.
La nouvelle maquette incitera les internes en médecine générale à passer leur thèse, échéance qu’ils ont aujourd’hui trop tendance à repousser, ce qui est rédhibitoire pour les installations et qui dément aussi l’idée de retard à l’installation liée à la quatrième année.
Les territoires ont un rôle à jouer pour soutenir le développement des maîtres de stage universitaires – cela a été souligné –, faire valoir leur dynamique et mettre en place de bonnes conditions d’accueil. Les collectivités sont déjà très impliquées, et certaines obtiennent d’excellents résultats.
Il existe déjà 12 000 maîtres de stage universitaires. Certes, leur nombre devra être renforcé pour que les docteurs juniors puissent être accompagnés. Cela me semble tout à fait possible. Bien entendu, cette proposition de loi ne saurait constituer une réponse unique au creux de la démographie médicale auquel nous serons confrontés pendant encore au moins dix ans. À cette question éminemment complexe, les réponses doivent être multiples. Elles vont de la télémédecine aux délégations de tâches, en passant par l’organisation de transports et d’accompagnement pour les patients, etc.
Le texte vise à mieux préparer les étudiants en médecine générale à la médecine de ville, afin qu’ils fassent leur choix de vie et d’exercice en confiance et en pleine connaissance de territoires où ils pourront faire le choix de s’installer.
Faisons ce pari sans tarder, dans un esprit gagnant-gagnant. C’est la raison pour laquelle je voterai évidemment la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)