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Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique

Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la commission des affaires économiques

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires économiques, sur les conclusions du rapport d’information intitulé Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes : l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre chargé de l’industrie, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

La parole est tout d’abord aux orateurs de la commission qui a demandé ce débat.

La parole est Mme Amel Gacquerre, au nom de la commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme Amel Gacquerre, au nom de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier, c’était le paracétamol, les masques et les puces électroniques ; aujourd’hui, c’est la moutarde, l’huile de tournesol et le gaz. Alors que les crises économiques, sanitaires et sécuritaires s’enchaînent, notre pays se redécouvre vulnérable.

Comment avons-nous pu en arriver là ? Surtout, au-delà des constats, comment sortir de cet état de dépendance qui nous coûte et nous contraint ?

Ce sujet fondamental de souveraineté a occupé notre commission pendant près de six mois.

Le rapport que j’ai présenté avec la présidente Sophie Primas et notre collègue Franck Montaugé a permis d’identifier précisément nos vulnérabilités dans différents secteurs. Le constat est alarmant, car il révèle une perte d’autonomie transversale et profonde.

À l’heure où la guerre frappe aux frontières de l’Europe, où l’arme nucléaire n’est plus un tabou, où les frontières entre l’économie réelle et l’économie numérique se brouillent, où la valeur de l’énergie continue d’augmenter et où la concurrence internationale en matière de talents fait rage, il nous faut avoir le courage de regarder les choses en face : reconstruire notre souveraineté doit être, au même titre que la transition écologique, la priorité majeure de nos politiques publiques.

C’est la raison pour laquelle notre commission a appelé à passer à l’acte, du sursis au sursaut, via cinq plans stratégiques.

Je veux revenir sur les trois postulats sur lesquels reposent ces plans.

Il s’agit premièrement de ne pas opposer les souverainetés, car la France a besoin de l’Europe pour être plus forte. Il faut donc que nous agissions ensemble, avec nos voisins, pour mobiliser davantage de moyens et d’innovations.

Nombre de nos recommandations concernent l’action de l’Union européenne en matière de télécommunications, de législation environnementale ou de projets industriels communs. Par exemple, 99 % du réseau internet mondial transite via des câbles sous-marins, contrôlés pour la majorité d’entre eux par les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Pour des raisons évidentes de sécurité et de gestion des risques, il nous faut travailler à l’établissement d’un réseau indépendant de câbles sous-marins de télécommunication reliant entre eux les pays de l’Union européenne.

Dans ce même registre, la part du transfert de données hors de France et de l’Union européenne ne cesse de croître, de sorte qu’il faut rendre obligatoires la localisation et le stockage des données personnelles des citoyens et des entreprises européennes sur le sol de l’Union européenne.

Le deuxième principe qui nous servira à garantir notre souveraineté repose sur une meilleure exploitation de nos forces et nos ressources, qu’elles soient minières, humaines ou agricoles, et cela dans le respect de l’environnement. On évitera ainsi la dépendance aux importations et la pollution qui en découle.

Vous le savez, la France dépend à 100 % de la Chine pour les terres rares et à 80 % de l’Amérique du Sud pour le lithium. Il nous semble donc essentiel d’intensifier le soutien au recyclage des métaux critiques et des biens industriels pour réduire notre dépendance.

La question des compétences est également fondamentale. En effet, alors que nous nourrissons de fortes ambitions pour notre industrie, un employé sur trois de ce secteur partira à la retraite d’ici à 2030, et 50 % des métiers de l’industrie sont en tension.

Nous envisageons le développement de la filière nucléaire. Mais disposons-nous des compétences suffisantes pour le mettre en œuvre ? Il nous faut de manière urgente repenser les filières et les diplômes de demain vers les métiers en tension, dans des secteurs comme le numérique, la métallurgie ou l’électronique.

Troisièmement, dans le cadre de ce rapport, nous recommandons de poursuivre l’effort de compétitivité et d’ancrage de notre tissu économique.

Notre souveraineté ne repose pas seulement sur les grandes entreprises françaises, même si celles-ci jouent un rôle moteur pour l’économie et qu’il convient de les protéger. C’est aussi l’ensemble des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), comme les start-up innovantes ou les exploitants agricoles, qui garantissent au quotidien la résilience de notre économie et de notre société.

Il faut leur assurer un environnement compétitif dans lequel ils pourront se développer sans craindre l’injustice fiscale ou la concurrence déloyale étrangère. Commençons par faire respecter, par exemple, les normes de production instaurées au sein de l’Union européenne.

Tels sont les trois principes sur lesquels reposent les plans stratégiques, que nous avons transmis au Gouvernement pour qu’il les mette en œuvre urgemment, afin de reconstruire notre souveraineté. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, au nom de la commission des affaires économiques. (Applaudissements.)

M. Franck Montaugé, au nom de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion de ce débat, nous voudrions comprendre quelle est la politique de souveraineté du Gouvernement en matière d’industrie, d’agriculture et de numérique.

Alors même que les conséquences négatives des délocalisations étaient perçues par tous depuis des années, les premières études relatives à la dépendance des filières industrielles en intrants importés n’ont été réalisées qu’au moment de la crise liée au covid-19.

Quelle est donc, dans le domaine des industries, la politique de souveraineté du Gouvernement ? Les constats ont été faits. Il faut désormais en tirer tous les enseignements nécessaires.

En s’appuyant sur les comités stratégiques de filière, l’État pourrait jouer le rôle d’animateur, par exemple d’agrégateur, pour faciliter l’achat et le stockage d’intrants stratégiques.

En réalité, nous considérons qu’il faut réinvestir la politique industrielle dans tous les secteurs, dont celui de l’énergie, où l’on manque aujourd’hui de solutions pour être à la hauteur des enjeux. Nous vous attendons sur ce point, monsieur le ministre.

Décomposer les chaînes de valeur, mieux les comprendre pour les réorganiser dans l’intérêt national, tel est l’impératif qui s’impose à nous, de même que nous devrons prendre en compte la totalité du cycle de vie des produits que nous consommons, depuis les métaux critiques jusqu’aux produits finaux.

Nous appelons aussi le Gouvernement à développer fortement le recyclage des matières premières. Alors qu’elle pourrait être un levier d’emploi, de décarbonation et d’indépendance industrielle, l’activité reste sous-dimensionnée.

L’approvisionnement est aussi un enjeu majeur pour l’agriculture et la filière agroalimentaire.

Après la désindustrialisation que nous avons connue pendant des décennies, la dégradation constante et historique du solde extérieur de notre agriculture témoigne, pour de trop nombreux produits de base et de moyenne gamme, d’une dépendance accrue de la France. La souveraineté alimentaire française est donc aussi en question.

Notre rapport met en évidence des dépendances fortes notamment en matière d’alimentation animale, de protéines végétales et d’engrais. Le cheptel français se réduit d’année en année. Si l’on veut que l’agriculture française continue de nourrir notre population, il nous faut veiller à la compétitivité de notre production, à l’équité des conditions commerciales et à maintenir un équilibre juste entre protection environnementale et souveraineté alimentaire.

Quelle est la politique du Gouvernement pour recouvrer les positions perdues ?

Enfin, monsieur le ministre, dans le domaine du numérique, comment appréciez-vous la souveraineté de la France ? Le Sénat plaide pour un débat sur l’opportunité de localiser les données à caractère personnel des citoyens et les données sensibles des entreprises sur le territoire de l’Union européenne, dans le cadre de politiques de sécurité spécifiques, dont l’actualité récente nous rappelle l’urgente nécessité – je pense aux cyberattaques qu’ont subies certains hôpitaux.

Cette localisation des données doit aussi s’accompagner d’une politique de localisation des infrastructures sur le territoire de l’Union européenne. En effet, 80 % des données générées par les internautes français sont aujourd’hui hébergées aux États-Unis. Il est temps de construire des infrastructures européennes pour nos propres usages numériques.

Sur terre, il nous faut notamment planifier l’implantation de serveurs et de centres de données. En mer, nous devons doter l’Union européenne d’un réseau résilient et indépendant de câbles sous-marins, pour contourner celui qui est détenu par les Gafam et par lequel entre 96 % et 99 % du trafic internet mondial transitent. Dans l’espace, nous devons soutenir l’initiative d’une constellation européenne de satellites pour sécuriser nos communications.

Enfin, nous estimons que les investissements en faveur de la souveraineté en matière de logiciels doivent être développés. La protection des brevets logiciels français devrait aussi faire l’objet d’une attention particulière. Est-ce le cas monsieur le ministre ?

Si le cloud européen Gaïa-X ne répond pas, selon nous, à l’impératif de souveraineté des États membres, la stratégie de certification SecNumCloud, développée par le Gouvernement, favorise plutôt les logiciels américains. Pour assurer notre autonomie technique, il faut développer les investissements en faveur d’une filière européenne du logiciel et de la donnée, dont les entreprises seront immatriculées sur le territoire de l’Union européenne.

Où en est la réflexion sur tous ces sujets numériques dont dépend de plus en plus la souveraineté nationale ? Quel est le plan d’action du Gouvernement en matière de souveraineté numérique ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Mesdames, messieurs les sénateurs, je félicite vos rapporteurs du travail absolument colossal qu’ils ont mené. Leur rapport de plus de 300 pages sera extrêmement utile, car il cartographie les forces et les faiblesses de l’industrie française, ainsi que les dépendances de cette dernière par rapport à l’international, de manière extraordinairement détaillée, grâce à un travail dense et de grande qualité.

Nous sommes d’accord avec l’essentiel de vos préconisations. Je le dis d’autant plus volontiers que le Gouvernement a déjà commencé à mettre en œuvre un grand nombre d’entre elles ! Nous partageons donc les constats de votre rapport et approuvons très largement les solutions que vous proposez.

En revanche, je vous trouve sévères à l’encontre du Gouvernement (Sourires.), même si c’est de bonne guerre, et l’on pourrait facilement critiquer certains titres du rapport.

Ainsi, quand on lit : « Des fragilités de l’industrie dénoncées de longue date, mais renforcées à la faveur de la naïveté ou, pire, de l’inaction des pouvoirs publics », on ne peut que se dire que vous avez un ou deux quinquennats de retard… En effet, nous nous sommes attelés à réduire la dépendance de notre pays depuis déjà cinq ans, et l’on peut considérer que la réindustrialisation a commencé à cette même date. Nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler ce soir.

Autre regret, sans doute plus fondamental, vous mentionnez assez peu l’attractivité de notre pays, alors que celui-ci est classé depuis trois ans comme la première destination des investissements étrangers.

Il s’agit là d’un atout important. Il montre que la souveraineté industrielle est une force, qui doit non seulement garantir notre autosuffisance, mais aussi nous permettre de conquérir le monde. Je reste convaincu que la protection n’est pas forcément synonyme de protectionnisme. Et je serai heureux d’en débattre avec vous.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi quau banc des commissions. – M. Fabien Gay applaudit également.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la vie d’un pays repose sur deux enjeux : d’une part, il faut que l’assiette soit pleine, pour nourrir l’homme ; d’autre part, il faut de l’énergie, si l’on veut qu’il y ait de la vie.

Je veux remercier mes trois collègues de leur rapport, qui décrit de manière très claire la situation dans laquelle se trouve notre économie.

Je limiterai mon propos au dossier énergétique, car ses conséquences sont terribles pour l’ensemble des secteurs d’activité. En cette période, comme vous l’avez très bien montré, mes chers collègues, le dossier énergétique ne se résume pas à la crise ukrainienne. Quel que soit le secteur d’activité, l’énergie est un élément clé de la compétitivité.

Or, monsieur le ministre, nous continuons de nous en référer à la planification et à la stratégie d’indépendance énergétique grâce au nucléaire, stratégie bâtie par général de Gaulle.

Les chiffres sont clairs.

En 2009, le coût de l’électricité française était inférieur de 29 % à la moyenne européenne pour les entreprises et de 30 % si l’on inclut les ménages.

En 2012, on était encore à 27 % grâce à la politique d’indépendance par le nucléaire, mais aussi par l’hydraulique – n’oublions pas que notre pays est compétitif en matière d’énergie hydraulique.

En 2018, juste avant la pandémie, alors que le coût de l’électricité était de 0,18 euro par kilowattheure en France, il était à 0,30 euro, soit presque le double, en Allemagne, qui est souvent en compétition avec nous pour la relocalisation et la production industrielle.

Enfin, en 2020, une année que l’on peut difficilement prendre comme référence, dans la mesure où elle a été très perturbée, notre avantage en matière de coût de l’électricité était encore de 38 % par rapport à la moyenne européenne.

Or sur le marché spot de lundi dernier, le mégawattheure était à 300 euros en France, contre 243 euros en Allemagne.

Par conséquent, alors que nous voulons gagner en compétitivité et développer l’activité économique des entreprises dans nos territoires, tout ce que nous avons construit pendant ces dernières années grâce aux effets de cette politique énergétique, avec des avancées sociales bien plus importantes que dans les autres pays de l’Union européenne, notamment pour le coût de l’heure travaillée, se trouve désormais dans une situation de grande fragilité.

Encore une fois, tous les secteurs d’activité sont concernés, pas seulement les plus énergivores. Nous avons déjà perdu certaines activités industrielles, parce que le prix de l’énergie ne permettait même plus la production. Même les entreprises de plus petite taille sont menacées, et nous sommes tous confrontés dans nos territoires à des situations de précarité et de fragilité qui résultent de l’augmentation du prix de l’énergie, conduisant parfois même à un arrêt de l’activité.

Le dossier est plus complexe qu’il ne semble. Certes, monsieur le ministre, des mesures ont été prises, mais leurs conséquences sur l’activité industrielle n’ont été que très limitées, car la plupart des entreprises n’ont pu en bénéficier. Même si vous avez dernièrement amélioré le critère d’éligibilité du pourcentage par rapport au chiffre d’affaires, de nombreuses entreprises restent exclues du dispositif.

La commission des affaires économiques ambitionne de relocaliser l’activité économique dans les territoires. Or chacun sait que le prix de l’énergie est un élément déterminant lorsqu’une entreprise fait le choix d’investir dans tel pays ou dans tel territoire. Il est temps de rassurer.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Gremillet. Quand le président de la République annonce six EPR, il en faudrait quatorze, voire plus, pour développer une ambition industrielle. Il convient de rassurer, mais il faut aussi favoriser l’investissement industriel dans la politique énergétique de notre pays, si l’on veut améliorer notre compétitivité. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Daniel Salmon proteste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Gremillet, je reconnais bien volontiers votre précision technique. Vous connaissez les chiffres par cœur et vous maîtrisez ce marché comme personne.

Vous avez mis en lumière les contraintes de très court terme auxquelles nous sommes soumis, qui sont liées non seulement à la crise en Ukraine, mais aussi à des difficultés plus anciennes, avec pour conséquence que désormais l’on ne produit plus assez d’électricité en France. Nous le regrettons tous et nous travaillons sur le sujet.

Le Gouvernement protège-t-il suffisamment l’industrie ? Non, de sorte que nous y travaillons encore. Soyons très clairs sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs : l’industrie française ne sera pas une victime collatérale de la guerre en Ukraine. Nous avons mis en place un fonds de soutien, dont bénéficient déjà un certain nombre d’entreprises, mais dont les critères d’accès ne sont pas assez flexibles et, surtout, dont l’ambition reste insuffisante. Des négociations sont en cours à Bruxelles pour en doubler les plafonds, de sorte qu’ils passeront rapidement de 2, 25 et 50 millions d’euros à 4, 50 et 100 millions d’euros.

Nous souhaitons également adapter les critères d’éligibilité pour aider les entreprises qui doivent faire face à des hausses de facture extrêmement importantes – nous l’avons constaté sur le terrain.

Toutefois, ce fonds se limite à corriger a posteriori des pertes quasiment insurmontables pour les entreprises. Or l’enjeu majeur est surtout de réduire les coûts en amont, c’est-à-dire le prix de l’énergie, de l’électricité et du gaz. À ce sujet, nous avons engagé des discussions très fermes à Bruxelles, dont j’espère qu’elles aboutiront rapidement, pour que nous puissions plafonner le prix de l’électricité.

En effet, à ce jour, le déséquilibre de la production d’électricité nucléaire en France et le nécessaire recours au gaz allemand ont pour conséquence qu’il faudrait baisser le prix du gaz pour réduire celui de l’électricité. Nous examinons un dispositif « à l’espagnole », que je pourrai vous expliquer plus en détail ultérieurement. Nous sommes fortement mobilisés pour accompagner les entreprises aux niveaux européen, national et local.

Enfin, les entreprises qui rencontrent des difficultés dans vos territoires peuvent s’adresser aux commissaires au redressement et à la productivité (CRP), qui les aideront à renégocier les contrats et – espérons-le – à faire baisser les prix.

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour la réplique.

M. Daniel Gremillet. Monsieur le ministre, que répondez-vous aux entreprises qui sont acculées parce qu’elles sont en rupture de contrat ?

Par ailleurs, il nous faut accélérer la procédure d’investissement. Je regrette que nous n’ayons pas de débat parlementaire sur le développement et les choix stratégiques en matière de nucléaire, sans oublier non plus l’hydroélectricité.

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise du covid-19, la guerre en Ukraine, les tensions d’approvisionnement ou la désindustrialisation sont autant de problématiques auxquelles notre pays est confronté.

Malheureusement, ces phénomènes ne sont que le révélateur d’une fragilité qui s’est installée depuis de nombreuses années. Le présent rapport, dont je veux saluer la qualité, entend en tirer les conséquences en proposant cinq plans d’action.

Deux chiffres illustrent malheureusement notre perte de souveraineté et la gravité de la situation. Premièrement, la part de l’industrie dans le PIB a été divisée par deux depuis 1974. Deuxièmement, 40 % de nos intrants industriels sont importés, contre 29 % il y a vingt ans.

Notre balance commerciale en souffre. En effet, 900 produits importés génèrent 80 % du déficit commercial de la France, et celui-ci croît – il devrait franchir la barre des 100 milliards d’euros en 2022.

Le rapport d’information indique que notre industrie et notre agriculture sont fortement dépendantes d’importations critiques, telles que les protéines végétales destinées à l’alimentation animale, les métaux ou certaines substances chimiques. La sécurisation de notre accès à ces intrants est cruciale. Oui à l’indépendance, non à la monodépendance !

Je voudrais tout d’abord évoquer la question des traités commerciaux. Nous souhaitons une ratification systématique par les parlements, avant leur application, des accords commerciaux mixtes. En effet, cela renforce le contrôle démocratique et la ratification permet de prendre en compte l’ensemble des conséquences d’un accord, notamment stratégiques. Je crois nécessaire d’aller plus loin, en procédant à des évaluations continues dans le temps.

Par ailleurs, je voudrais revenir sur l’extraterritorialité, préoccupante, de certaines législations étrangères. Les auteurs du rapport d’information soulignent que nous disposons de trop peu d’informations sur les conséquences économiques de ces mesures.

Des amendes faramineuses ont été infligées à des fleurons français et européens, menant parfois à des acquisitions assez discutables. Nous devons protéger nos entreprises, car il n’est pas acceptable qu’une souveraineté étrangère empiète sur celles de la France et de l’Europe, sans capacité de réciprocité.

Notre souveraineté économique passe également par le secteur de l’énergie. La France est condamnée à la dépendance dans la mesure où elle doit importer les matériaux nécessaires à la production de son énergie. Pour autant, cette dépendance n’est pas incompatible avec notre souveraineté si nous parvenons à nous approvisionner auprès de sources diversifiées et sûres.

Le nucléaire, dont la place est indispensable dans le mix énergétique français, est une chance pour notre pays. Depuis de nombreuses années, nous avons malheureusement tourné le dos à cette énergie décarbonée, dont nous avions la pleine maîtrise. Il est nécessaire de préserver nos capacités matérielles et en termes de savoir-faire.

Les temps qui viennent s’annoncent difficiles. Des financements et des investissements importants en matière d’énergie nucléaire sont essentiels pour garantir durablement notre souveraineté énergétique, qui devra autant que possible être renforcée par le développement des énergies renouvelables, mais aussi par la recherche d’économies d’énergie, la rénovation énergétique et le développement de technologies plus sobres.

Mes chers collègues, il nous faut également bâtir une souveraineté européenne qui nous permettra de conjuguer transition écologique et défense de nos valeurs et de nos intérêts.

Pour développer des solutions efficaces et pérennes, il nous faut travailler de concert avec nos partenaires européens et retrouver la maîtrise de nos dépendances, réformer plus vite le marché européen de l’énergie et revoir notre politique de concurrence pour favoriser l’émergence de leaders mondiaux dans différents domaines, tels que l’industrie et l’énergie.

Nous devons absolument nous donner les moyens de passer de l’innovation à la réalisation de succès industriels et économiques. La France doit réarmer ses capacités industrielles ; elle doit maîtriser les technologies de demain et veiller à ce que les chaînes de valeur se déploient sur l’ensemble de son territoire.

Nous devons tous être conscients que notre modèle social ne peut être financé que par un haut niveau de performance économique, ce qui fait défaut depuis plusieurs années. L’industrie, l’énergie et l’agriculture ont un combat commun : l’innovation et la compétitivité. Il est urgent d’agir ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.  M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le sénateur, le plan France 2030, qui permet d’accompagner les investissements d’avenir et stratégiques, notamment en matière d’innovation, prévoit une enveloppe de 54 milliards d’euros sur ces sujets.

Nous avons élaboré, dans ce cadre, une cartographie très précise des dépendances dans cinq secteurs stratégiques : l’alimentation, la santé, l’électronique, les métaux et la chimie. Pour ces secteurs, l’objectif de France 2030 est bien de déployer des crédits, afin de répondre aux vulnérabilités qui ont été identifiées.

Des appels à projets ont déjà été lancés. Près de 300 millions d’euros sont disponibles pour le secteur de l’alimentation, et 5 milliards d’euros sont destinés à renforcer notre souveraineté dans l’électronique.

En ce qui concerne les métaux, le rapport de Philippe Varin propose de créer un fonds stratégique pour investir et sécuriser l’approvisionnement en ressources partout dans le monde, y compris en Europe et en France. Nous souscrivons à cette idée et nous travaillons à sa mise en œuvre.

S’agissant de notre capacité à protéger nos fleurons, nous avons sans doute été naïfs pendant trop longtemps, mais, vous le savez, la loi Pacte a permis de renforcer les dispositions sur les investissements étrangers dans notre pays.

Aujourd’hui, les contrôles sont plus systématiques qu’auparavant et concernent davantage de secteurs. En 2021, le nombre des contrôles s’est accru de 20 % : quelque 328 dossiers ont été examinés, dont 124 étaient jugés sensibles ; 67 d’entre eux ont été acceptés sous conditions, et certains ont été refusés. Sachez que ces statistiques sont assez similaires à celles des États-Unis.