M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Mme la rapporteure applaudit.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que la France comptait en 1830 environ 9 millions d’hectares de surface forestière, on estime aujourd’hui que 31 % de la superficie de la métropole est couverte par des forêts, soit 17 millions d’hectares, en progression de 0,6 % par an en moyenne depuis une trentaine d’années, et même de 1,2 % dans ma région, l’Occitanie. Cette proportion place notre pays parmi les plus boisés en Europe.
La forêt française est en évolution constante, à l’image aussi – il faut le rappeler – des modes d’utilisation du bois, en particulier le développement du bois-énergie.
Notre forêt se situe au carrefour de multiples enjeux. Ils sont d’ordre environnemental, bien sûr, dans la mesure où les forêts contribuent fortement au stockage du carbone dans le contexte climatique que nous connaissons.
Ils portent également sur la préservation et le développement de la biodiversité, par la protection des biotopes qu’abritent nos forêts métropolitaines ainsi que celles d’outre-mer, et grâce à la déclinaison gastronomique que permettent les champignons - pensons aux cèpes, girolles, trompettes-de-la-mort et autres oronges et coulemelles ! (Sourires.)
Ils sont encore d’ordre social, dans la mesure où faciliter l’accès aux forêts publiques du plus grand nombre contribue par exemple à déconnecter nos enfants de leurs écrans et à leur ouvrir des activités de loisirs de plein air.
Ils sont de nature patrimoniale et paysagère, comme le dénote la grande diversité des massifs forestiers et des essences présentes sur notre sol.
Enfin, cela a été dit, ils sont d’ordre économique, car on sait que nos forêts restent sous-exploitées et sous-valorisées tandis que certains pays lorgnent sans scrupule ni ménagement sur notre bois dans un contexte mondial de forte spéculation sur les matières premières.
Cela a été rappelé, près de trois quarts des forêts appartiennent aujourd’hui à 3,8 millions de propriétaires privés. La reforestation observée depuis plusieurs décennies a conduit à un morcellement croissant des forêts, puisque près de 2 millions de parcelles font moins d’un hectare et que presque la moitié des parcelles ne disposent pas d’outils de suivi de la gestion forestière.
Les acteurs forestiers ont par conséquent de plus en plus de mal à identifier les propriétaires. Comme l’a dit Daniel Gremillet, les tempêtes récentes ont enchevêtré les arbres et brouillé les limites des parcelles. Cette méconnaissance des propriétaires ralentit évidemment la possibilité d’une exploitation efficace et raisonnée sur le plan économique.
À ce titre, je ne peux que souscrire aux propos de notre rapporteure qui a souligné l’importance du travail de terrain pour assurer une mise en œuvre effective du plan de gestion des forêts et les travaux d’entretien ou de coupe afférents. La matrice cadastrale, dont il est question dans le présent texte au travers du rôle des experts forestiers, en est l’indispensable support.
Notre groupe approuvera donc, bien évidemment, cette proposition de loi qui vient pérenniser un dispositif institué à titre provisoire et expérimental par la loi du 13 octobre 2014.
Plus généralement, je veux souligner que, dans le contexte des Assises de la forêt et du bois en cours, dont nous attendons prochainement les conclusions, l’ONF continue de jouer un rôle fondamental de protection du patrimoine forestier. Je tiens à saluer le travail précieux et considérable effectué par l’ensemble de ses agents. Là encore, l’intervention de la puissance publique a toute sa légitimité pour aider les propriétaires privés à mieux gérer leurs parcelles au travers de l’expertise et de l’information qu’elle peut apporter.
Il faudra bien sûr aller plus loin dans la modernisation de notre patrimoine forestier, sous toutes ses formes.
À l’image de ce qu’a pu être le remembrement agricole, dont nous avons pu certes mesurer les limites sur le plan environnemental, nous attendons désormais de nouveaux outils de regroupement des parcelles forestières, qui iraient plus loin que le droit de préférence ou les bourses aux échanges.
Nous appelons ainsi de nos vœux une politique ambitieuse de planification et de gestion forestières, qui s’inscrirait dans le cadre plus large d’un développement harmonieux des territoires ruraux dont la forêt n’est qu’une des nombreuses richesses. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou.
M. Serge Mérillou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt est à la fois un puits de carbone, un espace de loisirs et une filière économique. Sa gestion et son exploitation constituent des enjeux capitaux dans notre pays.
Trop souvent oubliée des débats, la forêt revêt une immense importance tant elle apporte une réponse pertinente à nombre des défis que nous devons relever.
La proposition de loi que nous examinons vise à pérenniser une habilitation votée dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui permettait aux experts forestiers d’accéder aux données cadastrales afin de mener à bien leur mission. Portée par deux amendements sénatoriaux émanant des groupes socialiste et centriste, cette autorisation leur donnait, pendant trois ans, un droit d’accès aux données cadastrales sans limitation du nombre de demandes, mais restreint au périmètre géographique d’exercice de leur mission.
Dès 2014, nous avions pressenti qu’il était nécessaire de faire une exception au principe du secret fiscal pour ces professionnels, qui concourent notamment à la protection et à la mise en valeur des bois et forêts, à la préservation de la qualité des sols forestiers ou encore au rôle de puits de carbone des forêts.
Le temps nous a donné raison, puisque les experts nous demandent désormais de prolonger ce dispositif, afin de poursuivre leur mission dans de meilleures conditions.
Cela sera chose faite grâce à cette proposition de loi, qui vient pallier l’échec de l’inscription de cette mesure dans la loi ASAP en 2020.
Pourquoi un tel prolongement est-il nécessaire ? Bien qu’elle soit la quatrième forêt d’Europe, la forêt française se caractérise par son morcellement. Le constat est clair : 12 millions d’hectares de forêts privées, 3,8 millions de propriétaires, avec une surface moyenne de 3,4 hectares par propriétaire. Dans mon département, la Dordogne, même scénario : privée à 98 %, la forêt périgourdine est partagée par 90 000 propriétaires, dont 70 000 ne détiennent pas plus de 4 hectares.
Cet émiettement constitue un frein tenace tant à un usage raisonné et durable des richesses de nos forêts qu’à leur entretien. Parmi ces nombreux propriétaires, comme cela a déjà été dit, certains ont parfois même oublié détenir des parcelles et laissent ces dernières à l’abandon ; d’autres n’ont pas les moyens nécessaires à leur entretien, ce qui ne permet pas leur valorisation.
Pis, la négligence des espaces met en péril notre sécurité, en augmentant les risques d’incendie.
Ce manque à gagner à la fois patrimonial, écologique et économique sera, je l’espère, en partie pallié par cette proposition de loi.
Grâce à ce texte, les experts forestiers auront les moyens d’identifier l’ensemble des propriétaires d’un même massif forestier, ce qui permettra une gestion commune et partagée. Les opérations d’entretien et de reboisement seront facilitées et nous pourrons ainsi parvenir à une meilleure connaissance de notre patrimoine forestier et, si nécessaire, à en rationaliser l’exploitation.
Je salue le caractère consensuel du dispositif. Il y va de la pérennité de nos paysages ruraux et de nos modèles agricoles. Il y va aussi de notre sécurité civile, car une forêt mal entretenue peut, dans le contexte du réchauffement climatique, être sensible au feu. Il y va de notre résilience économique et de notre capacité de développement : l’exportation et la destruction de nos forêts à des fins d’exploitation sans état d’âme ne sont décidément pas le modèle que nous défendons si fièrement.
M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les experts forestiers, les gestionnaires forestiers et les organisations de producteurs mènent des actions pour informer les propriétaires des possibilités de valorisation de leurs bois et forêts. Par leurs actions, dans le cadre d’une gestion durable, ils concourent au reboisement, et donc à la fixation et au stockage du dioxyde de carbone.
Toutefois, vous en conviendrez, pour pouvoir informer ce public, encore faut-il identifier les propriétaires de ces parcelles, au moyen de ce qu’on appelle pompeusement la « matrice cadastrale », seul instrument disponible en la matière.
En effet, la forêt française est très morcelée. Cette proposition de loi vise à simplifier l’accès des experts forestiers à ces données cadastrales. En identifiant les propriétaires des forêts privées, les opérateurs pourront proposer d’effectuer l’exploitation de parcelles contiguës qui, prises individuellement, sont souvent trop petites pour être valorisées. Ce morcellement constitue un véritable frein à la production nationale du bois, que cette loi peut contribuer à développer.
Aujourd’hui, le nombre de demandes que les professionnels forestiers ont la possibilité d’adresser à l’administration fiscale est limité. C’est la raison pour laquelle une loi de 2014 avait instauré une habilitation temporaire de trois ans, afin de permettre aux experts forestiers d’accéder sans limitation du nombre de demandes aux informations cadastrales situées dans le périmètre géographique d’exercice de leur mission.
Les experts forestiers ont ainsi temporairement bénéficié d’un accès simplifié à ces données. La fin de cette période d’habilitation n’a pas manqué de souligner l’opacité des propriétés forestières. Chère à notre collègue Daniel Gremillet, la loi d’accélération et de simplification de l’action publique de 2020, dite loi ASAP, entendait résoudre cette problématique en pérennisant cette habilitation, au moyen d’un article adopté par le Parlement. Le Conseil constitutionnel a cependant qualifié cet article de cavalier législatif en décembre 2020, et le dispositif n’a pas été promulgué.
Comme vous l’aurez compris, la proposition de loi vise à pérenniser cette habilitation au sein d’un véhicule législatif approprié, afin de permettre aux experts forestiers, aux organisations de producteurs de secteurs forestiers et aux gestionnaires forestiers professionnels d’avoir accès sans limitation du nombre de demandes aux données cadastrales dans le périmètre géographique d’exercice de leur mission.
Ces acteurs doivent informer le maire des communes concernées de chacune de leurs demandes. Les données communiquées leur permettront de mener des actions à destination des propriétaires identifiés, pour les informer des possibilités de valorisation économique de leurs bois et forêts. Les données recueillies ne peuvent pas être cédées à des tiers. Enfin, comme l’a dit Mme le rapporteur, un décret pris après avis de la CNIL précisera les conditions d’application cette habilitation, ainsi que la liste des données communiquées.
Je tiens à remercier Mme le rapporteur pour la qualité de son travail. Le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Je voudrais simplement compléter mes propos et apporter un élément de réponse à la question de Mme la rapporteure.
Je la remercie de nouveau, ainsi que le député Nicolas Turquois qui a porté cette proposition de loi. Je sais tout le travail que les deux rapporteurs, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, ont accompli pour que ce texte soit présenté. Au regard des différentes prises de parole, il semble recueillir un soutien véritablement transpartisan, ce qui prouve sa totale pertinence.
Je m’engage également à ce que mes équipes appuient la filière dans l’élaboration d’un code de bonnes pratiques pour l’utilisation des données auxquelles cette loi donne accès.
M. Daniel Gremillet. Très bien !
M. Julien Denormandie, ministre. Ces travaux doivent contribuer à veiller à la bonne appropriation par les gestionnaires forestiers des règles fixées dans la loi et dans le décret d’application, ainsi que celles rappelées par la CNIL pour l’usage des données. Je réponds donc favorablement à votre demande, madame la rapporteure. (M. Daniel Gremillet applaudit.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à simplifier l’accès des experts forestiers aux données cadastrales
Article unique
(Non modifié)
I. – Le VII de la section II du chapitre III du titre II du livre des procédures fiscales est complété par un 11° ainsi rédigé :
« 11° : Activités forestières
« Art. L. 166 G. – I. – Les experts forestiers figurant sur la liste mentionnée à l’article L. 171-1 du code rural et de la pêche maritime, les organisations de producteurs du secteur forestier reconnues par l’autorité administrative dans les conditions prévues à l’article L. 551-1 du même code et les gestionnaires forestiers professionnels satisfaisant aux conditions mentionnées à l’article L. 315-1 du code forestier peuvent, sans limitation du nombre de demandes, avoir communication des données cadastrales, notamment des informations mentionnées à l’article L. 107 A du présent livre, relatives aux propriétés inscrites en nature de bois et forêts situées dans le périmètre géographique dans lequel ils sont habilités à exercer leurs missions d’information. Ils informent le maire des communes concernées de chacune de leurs demandes.
« Ces données leur sont communiquées afin de leur permettre de mener des actions d’information à destination des propriétaires identifiés sur les possibilités de valorisation économique de leurs bois et forêts.
« Les données recueillies ne peuvent être cédées à des tiers.
« II. – Un décret publié dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n° … du … visant à simplifier l’accès des experts forestiers aux données cadastrales précise les conditions d’application du présent article ainsi que la liste des données communiquées. Ce décret est pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »
II. – L’article 94 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt est abrogé.
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je souhaiterais rapidement souligner la qualité du travail réalisé par la commission des affaires économiques, en particulier par la rapporteure Mme Loisier. Je félicite l’ensemble des sénateurs pour la qualité de leurs interventions et je vous remercie, monsieur le ministre.
Élu du département forestier des Ardennes, j’ai un attachement particulier pour la forêt. Il y a des forêts domaniales, communales, syndicales, et des forêts privées. La forêt fait partie de notre patrimoine.
La filière bois, chargée de la valorisation du bois, doit tenir compte des évolutions. J’ai été maire d’un village de 170 habitants, dont je suis toujours conseiller municipal ; j’ai vu le morcellement du territoire, la complexité du cadastre. Il est parfois difficile de donner accès aux données et de favoriser l’exploitation forestière, car les intervenants sur ces questions sont nombreux.
Ce texte a le mérite de trouver des solutions, en facilitant l’accès des experts forestiers aux données cadastrales et en sensibilisant de nombreux acteurs dans ce domaine. Comme beaucoup de nos collègues qui sont intervenus, je soutiendrai ce texte.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à simplifier l’accès des experts forestiers aux données cadastrales.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
12
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le président, lors du scrutin n° 104 sur le projet de loi ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l’article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace, M. Bernard Jomier souhaitait non pas voter contre, mais voter pour.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
13
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 21 février 2022 :
À dix-sept heures :
Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021-1605 du 8 décembre 2021 étendant et adaptant à la fonction publique des communes de Polynésie française certaines dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (procédure accélérée ; texte de la commission n° 436, 2021-2022).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures dix.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER