Sommaire
Présidence de M. Roger Karoutchi
Secrétaires :
M. Jacques Grosperrin, Mme Victoire Jasmin.
2. Attribution à une commission des prérogatives d’une commission d’enquête
3. Compétences de la Collectivité européenne d’Alsace. – Adoption définitive en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Clôture de la discussion générale.
Article 1er bis A (suppression maintenue)
Amendement n° 5 de M. Olivier Jacquin. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Articles 1er ter et 1er quater (suppressions maintenues)
Articles 1er quinquies, 1er sexies et 1er septies – Adoption.
Article 1er octies (suppression maintenue)
Article 1er decies – Adoption.
Articles 1er undecies et 1er duodecies (suppressions maintenues)
Articles 1er terdecies A, 1er terdecies B, 1er quaterdecies et 1er sexdecies – Adoption.
Amendement n° 4 de M. Olivier Jacquin. – Rejet par scrutin public n° 103.
Après l’article 1er septdecies
Amendement n° 3 de M. Olivier Jacquin. – Rejet.
Amendement n° 2 de M. Olivier Jacquin. – Rejet.
Amendement n° 1 rectifié bis de Mme Catherine Belrhiti. – Rejet.
Articles 1er octodecies et 1er novodecies – Adoption.
Article 2 bis (suppression maintenue)
Adoption définitive, par scrutin public n° 104, du projet de loi dans le texte de la commission.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur
4. Communication relative à une commission mixte paritaire
5. Combat contre le harcèlement scolaire. – Discussion en nouvelle lecture d’une proposition de loi
Discussion générale :
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports
M. Olivier Paccaud, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication
Mme Jacqueline Eustache-Brinio
6. Communication relative à une commission mixte paritaire
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
7. Communication d’un avis sur un projet de nomination
8. Combat contre le harcèlement scolaire. – Suite de la discussion en nouvelle lecture et rejet d’une proposition de loi
Clôture de la discussion générale.
Suspension et reprise de la séance
9. Aménagement du Rhône. – Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
M. Patrick Chauvet, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Mme Sophie Primas, président de la commission des affaires économiques
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission mixte paritaire.
10. Marché de l’assurance emprunteur. – Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Amendement n° 3 du Gouvernement. – Réservé.
Amendement n° 4 du Gouvernement. – Réservé.
Amendement n° 2 du Gouvernement. – Réservé.
Amendement n° 5 du Gouvernement. – Réservé.
Amendement n° 1 rectifié du Gouvernement. – Réservé.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques
Adoption définitive, par scrutin public n° 106, de la proposition de loi dans le texte de la commission mixte paritaire, modifié.
Suspension et reprise de la séance
11. Accès des experts forestiers aux données cadastrales. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques
M. Julien Denormandie, ministre
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.
12. Mise au point au sujet d’un vote
13. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Roger Karoutchi
vice-président
Secrétaires :
M. Jacques Grosperrin,
Mme Victoire Jasmin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Attribution à une commission des prérogatives d’une commission d’enquête
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen d’une demande de la commission des affaires sociales tendant à obtenir du Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qu’il lui confère, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour mener une mission d’information sur le contrôle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
Il a été donné connaissance de cette demande au Sénat lors de la séance du 8 février dernier.
Je mets aux voix la demande de la commission des affaires sociales.
(La demande de la commission des affaires sociales est adoptée.)
M. le président. En conséquence, la commission des affaires sociales se voit conférer, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour mener cette mission d’information.
Le Gouvernement sera informé de la décision qui vient d’être prise par le Sénat.
3
Compétences de la Collectivité européenne d’Alsace
Adoption définitive en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l’article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace (projet n° 410, texte de la commission n° 456, rapport n° 455).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis ici ce matin pour examiner ce projet de loi inscrit dans le prolongement de la loi du 3 août 2019 qui a, vous le savez, acté la création de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA).
Avec l’adoption de cette loi « Alsace », le Gouvernement a su créer un cadre de confiance pour mener à bien cette réforme importante et répondre à des besoins largement exprimés par les Alsaciens et les élus locaux. La loi du 3 août 2019 est le fruit de la volonté de l’État de reconnaître la particularité de ce territoire alsacien, territoire français profondément européen. Nous sommes dans une nouvelle étape de décentralisation et de mise en cohérence des compétences de la CEA avec ses réalités territoriales.
Cette nouvelle étape répond donc à une promesse ancienne de l’exécutif, très attendue par la CEA pour l’exercice de ses responsabilités dans des domaines aussi stratégiques que la gestion des infrastructures et le transport routier.
Les ordonnances dont le Gouvernement vous propose la ratification sont le résultat de longs mois d’échanges et d’une concertation étroite avec les acteurs locaux, que je tiens à remercier. Si l’élaboration de ces ordonnances a été relativement rapide, cette concertation nous a permis d’aboutir à un texte équilibré.
L’enjeu principal du texte, qui tend à ratifier trois ordonnances entrées en vigueur en mai 2021, est de doter la CEA des outils nécessaires pour assumer sa nouvelle compétence dans de bonnes conditions, en vue notamment de réguler les flux de transport routier de marchandises.
L’article 13 de la loi actant la création de la CEA prévoyait l’adoption d’ordonnances.
Il s’agit, d’abord, de donner la possibilité à la CEA de mettre en place une taxe sur le transport routier de marchandises sur certaines voies de son domaine public routier. Les Alsaciennes et les Alsaciens attendent, vous le savez, cette mesure depuis plus de quinze ans. L’article 1er du projet de loi que vous allez examiner procède à la ratification de cette ordonnance.
Il s’agit, ensuite, de préciser et de compléter les dispositions relatives au transfert des routes nationales non concédées. C’est l’objectif de l’article 2.
Il s’agit, enfin, de préciser les conditions dans lesquelles la Collectivité européenne d’Alsace ou l’Eurométropole de Strasbourg continuent d’assurer les engagements de l’État portant sur les routes qui leur sont transférées et qui sont liées à la mise en service de l’autoroute A355. C’est chose faite avec l’article 3.
Trois principes sous-tendent ce projet de loi.
Le premier est, vous l’aurez compris, le dialogue et la cohérence. Le texte prévoit une concertation de la CEA avec les représentants des secteurs concernés, avant la mise en œuvre de la taxe poids lourds.
Le deuxième est la confiance et une forme de liberté d’adaptation. Avec ce projet de loi de ratification, le Gouvernement se fixe un cadre juridique clair tout en laissant d’importantes marges de manœuvre à la CEA, par exemple sur la fixation des paramètres de la taxe sur le transport routier. Il s’agit de permettre l’adaptation des cadres aux contextes locaux.
Le troisième est la préfiguration, avec l’optique d’une taxe sur le transport routier de marchandises, qui est – on le sait – souhaitée par des acteurs voisins. Nous avons eu ce débat en première lecture au Sénat comme à l’Assemblée nationale. Je tenais à affirmer de nouveau que la finalisation des travaux s’agissant de la CEA permettra d’exporter la mise en place de cette taxe dans d’autres régions. C’est l’objet de l’article 137 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience.
La mise en œuvre de la contribution au niveau de la CEA, potentiellement au 1er janvier 2024, préfigurera les travaux pour les autres collectivités volontaires, qui feront l’objet d’un processus ad hoc.
J’entends que les processus peuvent sembler longs. C’est – je le crois – le prix, et vous le savez en tant qu’acteurs de vos territoires, de la concertation et du respect des territoires et de leurs spécificités pour mettre en place des mesures véritablement adaptées qui leur bénéficieront pleinement.
Je tiens également à me féliciter du fait que, au cours de ce long travail et cette réflexion, l’examen parlementaire en première lecture ait permis d’enrichir le texte.
Je pense notamment à la création d’un comité de concertation entre acteurs publics locaux sur la taxation des poids lourds.
Je pense également aux possibilités données à la CEA de moduler le taux kilométrique de la taxe en fonction des saisons, d’utiliser un dispositif adapté pour les redevables occasionnels ou encore d’augmenter les amendes dans certains cas. La rédaction retenue dans ce texte et le cadre qui a été instauré traduisent bien la confiance et la liberté d’adaptation.
Il est prévu que le rapport sur le bilan de l’application de la taxe évaluant les reports de trafic soit remis au bout de trois ans, et non plus cinq ans, après l’entrée en vigueur de cette mesure. Ce calendrier nous permet d’avoir suffisamment de recul et de faire preuve, dans le même temps, de réactivité dans la mise en œuvre.
Vous l’aurez compris, le Gouvernement est tout à fait favorable à cette version du texte. Nous sommes parvenus à un équilibre précieux – et je vous en remercie – qui respecte la liberté d’administration des collectivités locales. Le projet de loi a été voté à l’unanimité le 26 janvier dernier à l’Assemblée nationale. Je souhaite que nous puissions parvenir aujourd’hui à un vote conforme pour que l’examen parlementaire de ce texte aboutisse dans le calendrier que vous connaissez.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’adoption de ce texte est pleinement nécessaire à l’effectivité des ordonnances prises en 2021. Il s’agit d’un projet de longue date qui a fait l’objet d’un dialogue réunissant État et élus locaux dans un travail de concertation étroit, lequel illustre et concrétise la politique de différenciation territoriale promise et appliquée concrètement par le Gouvernement tout au long du quinquennat.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte sur lequel nous avons à nous prononcer aujourd’hui en deuxième lecture s’inscrit dans une démarche de long terme engagée par les Alsaciennes et les Alsaciens voilà plus de quinze ans.
Ce texte comptait initialement trois articles visant à ratifier trois ordonnances, dont l’une a plus particulièrement fait l’objet de débats nourris en première lecture : l’ordonnance relative à l’instauration d’une taxe sur le transport routier de marchandises par la Collectivité européenne d’Alsace.
Depuis 2005 en effet, date de la mise en place d’une taxe sur le transport de marchandises en Allemagne, l’Alsace souffre d’importants reports de trafic sur le réseau routier qui la traverse. Ces reports sont source d’importantes nuisances environnementales et affectent aussi la santé des riverains.
Après de multiples tentatives législatives pour instaurer une taxe sur le transport de marchandises français, dont nous n’avons pas oublié les rebondissements, l’une des trois ordonnances que le présent projet de loi vise à ratifier porte notamment sur la possibilité donnée à la Collectivité européenne d’Alsace de mettre en place une telle taxe sur le domaine routier qui lui a été transféré.
En première lecture, en commission puis en séance publique, le Sénat avait considérablement enrichi le dispositif prévu par l’ordonnance, en introduisant une vingtaine d’articles additionnels sur ce sujet, suivant trois axes.
Premier axe, nous avions cherché à renforcer l’efficacité et le caractère opérationnel du dispositif prévu dans l’ordonnance du 26 mai 2021, afin notamment de le rendre facilement transposable à d’autres collectivités. Comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, l’article 137 de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 prévoit en effet la possibilité, pour les régions volontaires, de mettre en œuvre une taxe sur le transport routier de marchandises.
Le deuxième axe de progrès proposé par le Sénat pour améliorer ce texte portait sur les conditions d’un meilleur dialogue entre les collectivités territoriales directement ou indirectement concernées. En effet, plusieurs collectivités limitrophes nous ont fait part de leurs préoccupations quant aux possibles « effets de bord » qui pourraient découler de la mise en place d’une taxe sur le réseau alsacien. Nous avons donc veillé à favoriser, en amont de sa mise en place, la création d’une instance de concertation entre les collectivités et, en aval, une évaluation des reports de trafic.
Troisième et dernier axe : nous avions, en première lecture, veillé à anticiper la révision de la directive Eurovignette dans un double objectif : d’une part, faire en sorte que la taxe puisse prendre en compte les émissions de CO2 des véhicules, afin d’améliorer sa dimension environnementale et, d’autre part, permettre à la Collectivité européenne d’Alsace, d’appliquer la taxe aux véhicules utilitaires légers à partir de 2,5 tonnes. Nous avions bien évidemment prévu que ces évolutions soient mises en œuvre sous réserve de l’entrée en vigueur de la nouvelle version de la directive Eurovignette.
Au terme de son examen en première lecture au Sénat, le texte comptait ainsi 23 nouveaux articles, en plus des trois articles du projet de loi initial. Ces évolutions résultent d’un important travail d’écoute et de concertation, y compris au plus près du terrain, en Alsace. Après son examen à l’Assemblée nationale, le texte nous revient avec 21 articles, dont deux nouveaux articles introduits sur l’initiative de l’Assemblée nationale.
En définitive, il apparaît que l’Assemblée nationale a globalement conforté les apports du Sénat puisqu’elle en a conservé une grande partie. Dix des articles additionnels créés au Sénat ont été adoptés conformes ou modifiés à la marge à l’Assemblée nationale. Ainsi, ont été conservés les articles relatifs à la création d’un comité de concertation des collectivités territoriales en matière de taxation des poids lourds, ou encore à l’aggravation des sanctions en cas de comportements frauduleux.
D’autres articles introduits par le Sénat ont fait l’objet de modifications plus importantes, mais qui ne remettent pas en cause leurs objectifs, comme l’article 1er sexies, qui permet à la Collectivité européenne d’Alsace de mettre en place une solution de ticketing pour les redevables occasionnels de la taxe. J’ai également dialogué avec mon collègue rapporteur à l’Assemblée nationale pour définir des positions de compromis sur quelques dispositions.
S’agissant de l’évaluation de la taxe, par exemple, nous avions souhaité prévoir la remise d’un rapport d’étape après deux ans de mise en œuvre. L’Assemblée nationale a supprimé ce rapport d’étape, mais, faisant preuve d’un esprit de compromis, a en contrepartie réduit de cinq ans à trois ans le délai accordé au Gouvernement pour remettre un rapport d’évaluation au Parlement.
Les députés ont également enrichi le texte de deux nouvelles dispositions qui permettent encore, à la marge, d’améliorer le caractère opérationnel de l’ordonnance.
Je viens d’évoquer des points positifs, dont on peut se réjouir. Ceux-ci ne doivent néanmoins pas occulter un certain nombre de reculs sur des apports du Sénat, qui se traduisent par la suppression de six articles insérés au Sénat et la modification de plusieurs autres. Par exemple, les articles adoptés au Sénat afin d’anticiper la révision de la directive Eurovignette ont été supprimés, l’Assemblée estimant qu’ils portaient atteinte à la lisibilité du droit. Je ne souscris pas à cet argument, et je rappelle que l’entrée en vigueur des dispositions en question était subordonnée à la révision de la directive. Je regrette ces censures qui constituent des reculs significatifs sur certains apports du Sénat.
Je vous propose néanmoins, mes chers collègues, d’adopter ce texte conforme à celui qu’a adopté l’Assemblée nationale en première lecture, pour trois raisons principales.
D’abord, comme je vous l’ai indiqué, je constate que le travail du Sénat n’a pas été dénaturé, ses principaux apports ayant été conservés par l’Assemblée nationale. Ces apports permettent sans aucun doute d’améliorer significativement les ordonnances, et donc de renforcer le caractère opérationnel d’un dispositif attendu depuis longtemps par les Alsaciens. Je vous propose donc, par l’adoption d’un texte conforme, d’accompagner la Collectivité européenne d’Alsace dans sa démarche.
Dans l’absolu, il serait certes envisageable de faire évoluer ce texte afin de rétablir certains articles, mais j’en viens justement à mon deuxième point : le calendrier parlementaire rend difficile d’envisager une troisième lecture, compte tenu de la suspension à compter du 28 février prochain. Par ailleurs, le Premier ministre ne peut convoquer une commission mixte paritaire sur ce texte puisque la procédure accélérée n’a pas été engagée.
En définitive, deux options s’offraient à nous.
Soit modifier ce texte, avec le risque de laisser la navette parlementaire au milieu du gué, et avec pour conséquence le fait que l’ordonnance, déjà entrée en vigueur, ne serait ni modifiée ni ratifiée. Très concrètement, si nous n’adoptions pas ce texte conforme, la Collectivité européenne d’Alsace serait privée de la possibilité de mettre en place une solution de paiement pour les redevables occasionnels.
M. Olivier Jacquin. Mais non !
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. Idem pour le comité de concertation préalable ou encore le rapport évaluant les potentiels reports de trafic. Cette option est peu opportune, car elle conduirait à ne retenir aucun des apports du Sénat, qui ont pourtant fait l’objet d’un important travail de concertation.
Soit, et c’est l’option pour laquelle je plaide aujourd’hui, nous choisissons d’adopter ce texte conforme à celui adopté par l’Assemblée nationale afin de préserver les apports des deux chambres qui permettent, comme je l’ai évoqué, de renforcer le caractère opérationnel du dispositif et de créer les conditions du dialogue entre les collectivités territoriales.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Olivier Jacquin. C’est faux !
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. Enfin, troisième point, l’adoption d’un texte dans les mêmes termes que celui adopté par l’Assemblée nationale permettra de ratifier les trois ordonnances du projet de loi, et donc de sécuriser leurs dispositions en leur conférant une valeur législative. La taxe alsacienne est susceptible de faire l’objet de plusieurs contentieux. Une sécurisation de l’ordonnance par sa ratification est donc opportune pour renforcer ce dispositif.
Pour l’ensemble de ces raisons, je vous propose, mes chers collègues, dans un esprit de responsabilité, d’adopter ce texte sans modification. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a ce matin conjonction des calendriers de notre Sénat et du Parlement européen : en effet, ils disposent chacun d’un temps important pour faire avancer les principes pollueur-payeur et utilisateur-payeur s’agissant du transport routier de marchandises.
Pour le Parlement européen, ce sera peut-être le moment du vote définitif de la refonte de la directive relative aux redevances routières, autrement dit la directive Eurovignette, transformée par le compromis du 15 juin dernier, insatisfaisant de mon point de vue, qui encadre les conditions dans lesquelles les États peuvent instaurer une taxe.
Pour notre Sénat, c’est donc à présent la deuxième lecture de la loi ratifiant l’ordonnance pour la mise en place de la taxe poids lourds en Alsace. Cette taxe alsacienne devrait être, en dehors des autoroutes concédées à péage, le seul périmètre où s’appliquerait dans notre pays un dispositif relevant de cette directive. Sauf si, à partir de 2024, des régions frontalières décidaient d’utiliser la possibilité de taxer les poids lourds que leur a ouverte la loi Climat et résilience.
Autrement dit, dans une perspective européenne d’harmonisation et de renforcement du principe pollueur-utilisateur-payeur pour le fret routier, c’est l’Alsace qui sera, selon la façon de voir les choses, soit l’exception durable, comme un petit village gaulois atypique qui aurait enfin la capacité de résister à l’afflux de nuisances camionnées, soit la pionnière d’une extension, voire d’une généralisation, à venir.
Que l’un ou l’autre scénario l’emporte, la mise en œuvre alsacienne doit être de toute façon facilitée et accompagnée. Elle a besoin de l’action efficace de l’État pour franchir sans tarder les obstacles et les étapes qui sont encore devant elle avant qu’une taxe à la hauteur de la LKW-Maut allemande ne la protège effectivement, comme elle le veut depuis dix-sept ans. Pour la protéger, ce qui doit être fait est clair : une taxe alsacienne d’un niveau équivalent à celui de la taxe allemande.
Rappelons-le, l’Allemagne, comme la Suisse qui a été pionnière en la matière, n’a pas détruit avec sa taxe les équilibres économiques de ses entreprises de transport. Elle a, au contraire, modernisé sa logistique, amélioré sa performance économique, optimisé ses charges transportées, abondé les moyens d’un report modal qui permet un fret ferroviaire allemand quatre fois plus important que le nôtre et mis en place une stratégie de transition des transports que nous lui envions.
Je parlais à l’instant de la nécessité d’une action efficace de l’État ; je dois donc relever, madame la secrétaire d’État, que si ces ordonnances avaient été publiées par le Gouvernement dans les délais prévus par la loi « Alsace », nous ne serions pas contraints aujourd’hui à un vote conforme obligatoire en deuxième lecture pour tenir le calendrier parlementaire qui s’achève la semaine prochaine.
M. André Reichardt. C’est exact !
M. Jacques Fernique. C’est dommage, car s’il faut saluer le travail des rapporteurs du Sénat et de l’Assemblée, des améliorations étaient, à mon avis, encore à notre portée, pour mieux s’adapter aux possibilités de la directive nouvelle, comme cela a été dit.
Je pense à la lutte contre l’abus des véhicules utilitaires légers assurant du transport pour le compte d’autrui, ou encore à la meilleure prise en compte des riverains du sillon lorrain. C’est dommage. Les conditions précipitées et contraintes de ce travail parlementaire risquent paradoxalement d’aboutir ce matin à empêcher une belle unanimité – il y aura peut-être une petite part de votes négatifs, ce qui est regrettable – sur cette avancée positive concernant une Alsace pleinement volontaire et tellement impatiente.
Pour sa part, le groupe écologiste optera bien évidemment pour le vote conforme,…
M. André Reichardt. Ah !
M. Claude Kern. Très bien !
M. Jacques Fernique. … car les dispositions de ce texte sont somme toute positives et mettent à présent la Collectivité européenne d’Alsace et la région Grand Est face à leurs responsabilités respectives et à la nécessité d’assurer la cohérence de leurs actions. En effet, la CEA devra agir dans le cadre de ses marges de manœuvre pour mettre en œuvre les mesures contenues dans les ordonnances, et la région Grand Est aura, quant à elle, la capacité d’agir à partir de 2024 pour élargir éventuellement le périmètre de ces mesures au sillon lorrain. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, UC et Les Républicains. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il s’agit ici non pas de refaire le débat que nous avons eu en première lecture, mais de porter une appréciation sur le travail d’adaptation conduit par notre rapporteur.
Les adaptations proposées nous semblent conformes aux options retenues par le Sénat en première lecture. Je tiens à mon tour à saluer la qualité du travail produit sous l’égide de notre collègue Jean-Claude Anglars. C’est aussi la raison pour laquelle nous n’avons déposé aucun amendement.
Pour autant, cela ne modifie en rien l’appréciation que nous portons au fond sur ce texte et sur la régionalisation de l’écotaxe, qui ne nous paraît pas être la bonne réponse à un problème pourtant bien réel. Nous comprenons l’impatience des collectivités d’Alsace et, au-delà, des régions traversières qui sont concernées, car elles doivent subir quotidiennement les nuisances de la circulation des poids lourds.
Compte tenu de ces nuisances et des dégâts qu’elles occasionnent, nous comprenons aussi que ces collectivités soient impatientes de recueillir quelques subsides pour compenser ces effets et de pouvoir contribuer au développement de modes de transport alternatifs à la route.
Pour autant, la régionalisation de l’écotaxe ne nous paraît pas être la bonne solution, car toutes les régions de France ne sont pas géographiquement égales. Ainsi, les camions en transit traversent l’Alsace et le Grand Est de la France, mais ce n’est pas le cas pour les régions périphériques, ou pour une région péninsulaire comme la Bretagne ! Ainsi, on vient en Bretagne ou on en part, mais on n’y passe pas. Cependant, cette région a aussi besoin de moyens pour financer des modes de transports alternatifs à la route et une solidarité nationale nous semble indispensable pour mettre en œuvre cette orientation !
Par ailleurs, nous considérons que la réponse au problème rencontré passe aussi par la mobilisation de moyens importants pour développer le fret ferroviaire. En effet, le mode ferroviaire, qui est écologiquement le plus vertueux, est le seul mode de transport qui paye la totalité de ses coûts : infrastructures, péages, etc.
Enfin, s’agissant du produit financier de l’écotaxe, nous ne savons pas si celui-ci ira alimenter la trésorerie des collectivités pour financer l’entretien et le développement des routes ou les modes alternatifs de transport.
Une politique nationale de développement des transports alternatifs à la route devrait, à nos yeux, passer par l’affectation de moyens plus importants à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), qui serait la mieux placée pour pourvoir, par exemple, au financement de nouveaux investissements ferroviaires.
Ce sont là autant de raisons qui nous conduiront à nous abstenir sur ce texte.
M. Claude Kern. Dommage !
M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)
M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai envie de dire : enfin ! Effectivement, au regard des spécificités du trafic routier en Alsace, caractérisé par un report important de flux de circulation de poids lourds en provenance d’Allemagne à la suite de la mise en place d’une LKW-Maut – la fameuse taxation des poids lourds – sur l’autoroute allemande, le transfert décidé en 2019, et effectif depuis le 1er janvier 2021, de la voirie nationale non concédée à la CEA offre la perspective d’une gestion homogène du trafic et de ses contraintes.
L’enjeu qui nous réunit aujourd’hui est de pourvoir la collectivité des outils nécessaires à l’exercice de cette nouvelle compétence de façon pragmatique.
Je dirais même que, fort opportunément, tous les paramètres convergent donc avec la loi Climat et résilience d’août 2021 qui permet la mise en place d’écotaxes régionales dans les territoires subissant des reports significatifs de circulation des poids lourds, afin d’agir concrètement sur le flux de transport routier de marchandises et, par voie de conséquence, de peser positivement sur la transition écologique.
En effet, l’Alsace subit depuis de trop nombreuses années une dégradation importante de ses infrastructures routières, assortie d’une paralysie du trafic à certaines heures. Il en découle une accidentologie élevée, sans même parler des effets délétères pour la santé publique dus à la forte augmentation de la pollution de l’air et du bruit.
Aussi, en tant que sénateur du Bas-Rhin, et me faisant la voix du territoire que je représente, je me réjouis d’assister à la concrétisation de mesures que feu Adrien Zeller, il y a vingt ans déjà, appelait de ses vœux et que notre collègue député Yves Bur avait fait adopter en 2005, mais qui n’avaient pas pu aboutir en raison des circonstances de l’époque.
Nous ne pouvons donc que nous inscrire dans la ligne constructive qui a prévalu tout au long du processus d’adoption de ce projet de loi.
À ce titre, je salue tout particulièrement, avec les égards qu’il mérite, le rapporteur Jean-Claude Anglars pour son investissement et ses travaux de qualité.
Certes, tout n’est pas parfait et quelques ajustements pratiques n’ont pas permis d’atteindre un consensus total. Je pense en particulier au fait que la CEA ne puisse pas installer un dispositif de contrôle automatisé, ce qui est regrettable. Mais retarder l’adoption d’un texte tant attendu sur le territoire aurait constitué un manquement particulièrement préjudiciable, d’autant que, globalement, ce texte qui arrive au terme de son processus législatif accorde à la CEA une grande souplesse pour adapter ses outils à la réalité de terrain.
Je me réjouis donc de l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui et apporte donc bien évidemment mon entier soutien au projet de loi de ratification, qui représente un premier test. Cette expérimentation pourra être généralisée, grâce à une extension aux régions volontaires en vertu de la loi de décentralisation tout récemment votée.
Je ne minimise pas pour autant certaines problématiques qui ne vont pas manquer d’alimenter durablement les débats. Je pense notamment aux transporteurs locaux français qui vont être fortement pénalisés, mais également aux reports vers des axes secondaires gratuits qui vont naturellement et inexorablement avoir lieu.
Mais j’ai confiance dans le dialogue qui va s’instaurer pour dégager des solutions permettant de traiter de manière pragmatique et différenciée l’ensemble de ces situations – condition sine qua non de l’acceptabilité et, in fine, de l’efficacité de cette écotaxe.
Dans ces conditions, et vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, le groupe Union Centriste, au nom duquel j’interviens, votera donc aujourd’hui la ratification de ces ordonnances, qui représentent une avancée importante pour l’Alsace tout en répondant aux préoccupations de nos citoyens en matière de changement climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’écrivait Corneille : « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. » À n’en point douter, cela ne s’applique pas à la réforme territoriale issue des lois Maptam (loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles), NOTRe (loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République) et de la fusion des régions.
Cette semaine marque la fin d’une consultation citoyenne organisée par la Communauté européenne d’Alsace portant sur la question de son maintien au sein de la région Grand Est. Voilà les effets d’un découpage régional dont personne ne voulait.
M. André Reichardt. C’est sûr !
M. Jean-Claude Requier. Oui à la différenciation, non aux entorses à l’indivisibilité de la République et à l’égalité de nos concitoyens devant la loi ! Des garde-fous identiques doivent être instaurés pour tous les territoires.
Le groupe du RDSE, qui avait d’ailleurs voté contre la création de la CEA, fait siennes les craintes exprimées dans les départements limitrophes quant à la mise en place de la taxe poids lourds, dont les modalités d’application sont définies par le présent projet de loi, largement amélioré par le Sénat.
Le territoire de la CEA n’est pas le périmètre le plus pertinent pour la mise en œuvre de cette taxe qui, à défaut d’être instituée au niveau national afin de permettre un financement territorialement équitable de l’ensemble des infrastructures de transport, devrait être instaurée au niveau régional, comme le permettra ultérieurement l’article 137 de la loi Climat et résilience votée en juillet dernier.
Ce texte ouvre la voie à un pouvoir fiscal des collectivités territoriales à géométrie variable, ce que nous ne pouvons pas approuver.
Nous comprenons l’impatience de nos collègues alsaciens. La situation de l’Alsace est particulière, puisque cette dernière subit depuis plus de quinze ans, et la mise en place de la LKW-Maut en Allemagne, un report de la circulation et le passage d’environ 20 000 poids lourds par jour sur l’autoroute A35, engendrant des nuisances pour les habitants dont la qualité de vie est fortement affectée.
Néanmoins, nous considérons que la taxe ne fera que déplacer le problème tant que les autres territoires ne pourront pas s’en saisir.
Il n’y aura donc pas de report modal du transport routier vers le transport ferroviaire ou fluvial, mais simplement un report vers les itinéraires alternatifs situés en Moselle, en Meurthe-et-Moselle et dans les Vosges – je pense notamment à l’A31, d’ores et déjà congestionnée. Pour cette raison, ma collègue Véronique Guillotin demandait l’application concomitante de la taxe sur cet axe.
M. Olivier Jacquin. Bravo !
M. Jean-Claude Requier. Les émissions de gaz à effet de serre ne baisseront donc pas si l’on n’accélère pas la décarbonation du secteur des transports. Pourtant, l’application du principe « pollueur-payeur » était le premier objectif de la taxation des poids lourds.
Cet objectif ne doit pas être perdu de vue, dans le contexte d’une acceptation difficile de la fiscalité environnementale, devenue la « vache à lait » du budget de l’État. À la lecture du dernier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, je me réjouis particulièrement de la recommandation visant à affecter ces recettes aux investissements nécessaires à la transition écologique.
En effet, cette transition ne peut pas reposer uniquement sur la fiscalité. D’autres solutions doivent être créées en parallèle, afin de n’entraver ni la compétitivité de nos entreprises ni le pouvoir d’achat des ménages.
Le choix de l’écologie ne doit pas toujours être celui de la taxation ou de la punition ; une telle politique serait vouée à l’échec. Le financement de la politique du fret ferroviaire demeure très en retard. Des trains circulent sur des voies datant, à certains endroits, du XIXe siècle.
Si la taxe poids lourds est appliquée, encore faut-il qu’elle produise suffisamment de ressources pour financer le fret ferroviaire et mettre fin à la distorsion de concurrence qui bénéficie encore au transport routier. En France, le prix par kilomètre est 30 % plus cher que celui qui est appliqué en Allemagne.
Réjouissons-nous de la fin du feuilleton législatif de la taxation des poids lourds, du moins pour le seul épisode alsacien. Puisque nos collègues alsaciens veulent cette taxe, et qu’ils forment le vœu de se différencier sur cette compétence, permettons-leur de l’appliquer !
Cependant, considérant que ni l’aménagement du territoire ni l’écologie n’en sortent gagnants, le groupe RDSE s’abstiendra sur le projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la ratification de ces ordonnances d’apparence technique est véritablement politique.
Il s’agit d’un vrai sujet : l’application, enfin, pour la première fois en France, du principe « pollueur-payeur », dans ce drame français de l’écotaxe, parsemé de « bonnets rouges », de « gilets jaunes » et de sécessionnistes alsaciens. Ce débat a lieu au moment même où le Parlement européen votera la révision de la directive Eurovignette relative à la taxation des poids lourds pour certaines infrastructures.
D’ailleurs, Karima Delli, présidente de la commission des transports et du tourisme du Parlement européen, nous a appris lundi dernier, lors du colloque sur les concessions d’autoroutes organisé au Sénat, que votre gouvernement, madame la secrétaire d’État, avait obtenu, seul contre tous, un délai incroyable de huit ans pour appliquer cette directive en France.
Que faut-il en penser, du point de vue de nos objectifs climatiques et environnementaux ou de la qualité de l’air, madame la secrétaire d’État chargée de la biodiversité ?
C’est un vrai sujet, vous l’avez dit. Nos voisins allemands, plus sensibles aux problématiques environnementales, ont mis en œuvre dès 2005 l’écotaxe allemande, la LKW-Maut. Un flot de poids lourds a dès lors préféré emprunter la voie alsacienne, gratuite.
Je félicite nos amis alsaciens pour leur ténacité : éprouvée depuis dix-sept ans, l’Alsace a enfin obtenu ce vote nécessaire tant pour la limitation des reports de trafic insupportables, que pour l’environnement et la justice.
Le parcours de ces mesures a été jonché de nombreuses embûches, de promesses gouvernementales sans cesse reniées et de trahison. Pour parvenir à leurs fins, des véhicules législatifs singuliers sont empruntés, comme le texte qui a porté sur les fonts baptismaux la Collectivité européenne d’Alsace, nouveau nom d’un grand et beau département possédant bien peu de compétences particulières…
M. André Reichardt. Eh oui !
M. Olivier Jacquin. L’objet véritable de ce texte est plutôt d’être le ferment de la division de la région Grand Est, sous un prétexte de différenciation.
En témoignent les propos clivants et fracassants du Premier ministre à Strasbourg en janvier 2021, avant les élections régionales. D’ailleurs, avant-hier s’est terminée la consultation spécieuse et sécessionniste…
M. André Reichardt. Ce terme est scandaleux !
M. Olivier Jacquin. … du président de la CEA, demandant aux Alsaciens s’ils veulent quitter le Grand Est.
J’en viens au défaut majeur de ce texte : ce qu’il combat, c’est-à-dire le report du trafic depuis l’autre rive du Rhin, il va le décaler du sillon rhénan au sillon lorrain.
Mes chers collègues, vous aviez pourtant entendu cet argument en 2019, en adoptant à l’unanimité un sous-amendement de Jean-Marc Todeschini, qui avait pour objet d’instaurer concomitamment l’écotaxe sur l’A35 en Alsace et sur l’A31 en Lorraine, cette dernière subissant sinon un report de trafic. Des milliers de camions préféreront prendre la voie lorraine, gratuite, d’autant plus qu’ils profiteront des carburants détaxés luxembourgeois.
Le Gouvernement vous dit l’inverse, mais prenez vos téléphones connectés. Sur votre application de guidage préférée, regardez les itinéraires entre Mannheim et Beaune, ou encore entre Hambourg et Lyon. Vous verrez qu’il faut être fou pour ne pas préférer la Lorraine gratuite et les carburants à bas coûts !
Chers amis alsaciens, lors de la première lecture de ce texte, alliés à la majorité sénatoriale, vous avez rejeté notre amendement visant à étendre l’écotaxe à la Lorraine, au motif que cela retarderait la mise en œuvre du dispositif en Alsace.
Nous vous avons écoutés, et nous avons réélaboré le dispositif, en introduisant un différé : d’abord, nous instaurons l’écotaxe alsacienne, puis nous évaluons le report de trafic, ce qui déclenchera la mise en place automatique de l’écotaxe lorraine, et donc ne retardera pas la mise en œuvre du texte.
Monsieur le rapporteur, cher Jean-Claude Anglars, je vous ai loué d’avoir entendu nos arguments, qui ont permis l’avancée majeure obtenue à l’article 137 de la loi Climat et résilience autorisant l’instauration d’écotaxes dans les régions subissant des reports de trafic de l’étranger ; je vous ai loué, car, au moyen de subtilités légistiques, il vous aurait été loisible de mépriser notre démarche en rendant ces amendements irrecevables. Vous ne l’avez pas fait, et je vous en remercie encore. Mais là, par les subtilités d’un vote conforme, vous nous volez ce débat !
M. Claude Kern. Mais non !
Mme Catherine Belrhiti. Si, c’est vrai !
M. Olivier Jacquin. Vous spoliez les Lorrains, en empêchant le débat et des avancées, au moyen d’une alliance incompréhensible avec la majorité gouvernementale, et en opposition avec la majorité régionale, qui pourtant demande ce texte ! Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre. Nous continuerons la bataille et nous la gagnerons !
En première lecture, j’avais présenté une centaine de motions signées par les collectivités de Meurthe-et-Moselle. J’ai diffusé cette plaquette, et j’ai réuni aujourd’hui près de deux cents motions demandant cette écotaxe. (M. Olivier Jacquin brandit une liasse de feuilles.)
Madame la secrétaire d’État, de plus, tous les grands élus de Meurthe-et-Moselle ont signé un courrier totalement transpartisan pour obtenir les travaux sur l’A31. Nous demandons un rendez-vous au ministre chargé des transports…
M. le président. Monsieur Jacquin, votre temps de parole est écoulé. Vous avez déposé plusieurs amendements, leur présentation vous permettra de défendre davantage votre point de vue.
La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il aura fallu prendre son mal en patience, mais après des années de transactions, d’avancées puis de renoncements, de valses-hésitations, nous sommes en train de franchir un pas décisif.
L’écotaxe alsacienne est à portée de vote. Monsieur le rapporteur, je me réjouis qu’un esprit de coconstruction vous ait guidé tout au long de ces travaux : vous avez su travailler avec beaucoup de bienveillance avec la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, sur un sujet d’importance qui dépasse les logiques partisanes.
Nous connaissons tous la situation : les autoroutes alsaciennes sont surchargées et dangereuses. Ce constat ne date pas d’hier, et la situation empire de jour en jour : en semaine, entre 160 000 et 180 000 véhicules, dont 16 500 poids lourds, traversent chaque jour Strasbourg par l’A35. Dans l’agglomération de Mulhouse, les poids lourds représentent 20 % du trafic, soit 6 points de plus que sur le réseau autoroutier français.
En conséquence de cette saturation, les accidents ne cessent de faire l’actualité régionale. Pour ne prendre qu’un exemple récent, le 24 janvier dernier, à la suite d’un carambolage impliquant plusieurs véhicules au niveau de Sausheim dans le Haut-Rhin, l’A35 a été coupée pendant près de cinq heures.
L’article 1er de ce projet va mettre fin à tout cela. Issu de l’article 13 de la loi relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace, le dispositif va permettre d’instaurer une taxe sur le transport routier de marchandises, et ainsi de désengorger cet axe autoroutier pris d’assaut par les poids lourds en transit, afin d’éviter la fameuse LKW-Maut d’outre-Rhin.
Toutefois, il va falloir faire montre d’encore un peu de patience : la décongestion de notre principal axe autoroutier ne devrait pas avoir lieu avant la fin de 2024.
Pourquoi encore de longs mois d’attente ? Parce qu’il reste beaucoup de travail. Types de véhicules concernés, systèmes de contrôle choisis, acceptabilité auprès des transporteurs locaux, délai minimal des autorisations nécessaires : toutes ces modalités ne sont pas encore arrêtées.
Aussi une large concertation doit-elle s’ouvrir auprès de l’ensemble de la filière économique alsacienne, de façon à ce que cette dernière soit le moins possible affectée. En effet, la taxe au kilomètre parcouru touchera forcément les transporteurs alsaciens, et non uniquement les poids lourds en grand transit.
Ces modalités techniques prennent du temps. Il s’agit d’un point important que la CEA doit prendre à bras-le-corps, mais le Parlement, et en particulier le Sénat, a souhaité les garantir, du moins pour partie.
Tel est l’objet des vingt-trois articles introduits au Sénat, qui ont été pour la plupart conservés par nos collègues députés. Je mentionnerai la possibilité pour la Collectivité européenne d’Alsace de moduler le taux kilométrique de la taxe en fonction des saisons, l’augmentation du montant des amendes infligées visant à éluder le paiement de la taxe ou de l’équipement électronique embarqué, l’inclusion des sociétés donneuses d’ordre dans la consultation préalable à l’instauration de la taxe, la création d’un comité pour faciliter la concertation des collectivités territoriales en matière de taxation des poids lourds.
En revanche, nos collègues de l’Assemblée nationale ont procédé à quelques rectifications. Je pense notamment à la suppression de l’article instaurant l’écotaxe pour les grands véhicules utilitaires légers, qui pourrait ne pas correspondre à la réforme de la directive Eurovignette, ce qui n’est pas souhaitable, en matière de lisibilité et de droit. Par ailleurs, une telle disposition pénaliserait les entreprises locales qui disposent fréquemment de ce type de véhicules.
Hormis quelques modifications, l’Assemblée nationale a largement repris les apports bénéfiques de notre Haute Assemblée, ce dont nous nous réjouissons.
Pour conclure, mes chers collègues, il faut désormais aller vite ; pour cette raison, le vote conforme proposé nous convient. Il est urgent que la CEA s’empare rapidement des compétences accordées par la loi, pour définitivement mettre un terme aux caravanes de camions qui perturbent la vie de beaucoup de nos concitoyens alsaciens. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois de plus, le Parlement a démontré l’importance de la ratification des ordonnances.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Joël Guerriau. D’une part, l’Assemblée nationale et le Sénat ont pour prérogative majeure de contribuer à la fabrication de la loi. D’autre part, les améliorations apportées à ce projet de loi sont notables.
Je salue ici l’important travail effectué par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, et en particulier par son rapporteur.
Je me réjouis que les avancées réalisées au Sénat aient été pour la plupart conservées lors de la première lecture à l’Assemblée nationale. Il est essentiel de maintenir certaines précisions quant à l’encadrement des mécanismes prévus par les ordonnances, à l’image des dispositions venant soit compléter les mécanismes de sanction et de constatation d’irrégularités dans le cadre de l’écotaxe, soit préciser les montants des amendes.
D’autres points ont été modifiés par l’Assemblée nationale, mais ils n’ont pas fondamentalement dénaturé l’âme que le Sénat avait insufflée au projet de loi.
Je n’évoquerai qu’un seul exemple, qui tenait à cœur à certains membres de mon groupe, ainsi qu’à de nombreux élus, d’après nos échanges : celui des effets de l’écotaxe sur les territoires limitrophes. Le rapport prendra en compte l’évaluation des reports de trafic sur le réseau du domaine public des régions, des départements et des communes limitrophes.
Notre interrogation reste la même : une fois ces reports et leurs conséquences négatives constatés, comment y remédier ? Ce point est important, d’autant que l’exemple de la Collectivité européenne d’Alsace pourra inspirer d’autres régions, comme la loi le prévoit désormais. Nous resterons donc vigilants concernant ce sujet précis.
Nous pouvons également regretter que certaines évolutions significatives effectuées par la chambre haute et saluées par notre groupe aient été supprimées. Je pense en particulier à l’article 1er ter, qui anticipait la révision de la directive Eurovignette devant certainement entrer en vigueur l’année prochaine.
Nous serons amenés, quoi qu’il en soit, à nous emparer du sujet prochainement, une transposition de cette directive étant nécessaire. Cependant, nous pouvons d’ores et déjà nous réjouir que ce sujet soit abordé au niveau européen.
Si ce projet de loi, que nous examinons pour la deuxième fois, n’est pas parfait, il comporte des avancées notoires. Nous garderons un œil sur l’application de l’écotaxe et des divers mécanismes prévus, ainsi que sur leurs effets potentiellement négatifs.
Nous sommes en présence d’un texte équilibré, et nous entendons les arguments du rapporteur demandant une adoption conforme. L’urgence de la situation et la demande du territoire nous conduisent, tout en restant vigilants, à être pragmatiques. Le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte, car rechercher les meilleures solutions pour nos territoires et nos concitoyens est l’essence même du travail de cette Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Elsa Schalck. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Elsa Schalck. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous retrouvons ce matin pour voter en deuxième lecture le projet de loi ratifiant les ordonnances relatives aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace.
Je tiens tout d’abord à remercier M. le rapporteur Jean-Claude Anglars de son travail, ainsi que de son écoute attentive des élus locaux dans la préparation de ce texte.
Je suis évidemment très favorable à la ratification de ces ordonnances, dont les mesures sont attendues depuis fort longtemps par les Alsaciens.
Ce texte est important pour trois raisons : premièrement, il répond à des enjeux importants pour l’Alsace ; deuxièmement, il répond à une forte attente et à un engagement de longue date ; troisièmement, enfin, il répond au besoin de prendre en compte des spécificités locales et d’avancer dans la voie de la différenciation.
Il s’agit de mettre en œuvre les dispositions de la loi de 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace, et de donner ainsi à cette dernière, deux ans après le vote de cette loi, les moyens juridiques et fiscaux pour lui permettre de pleinement exercer ses nouvelles compétences.
Depuis le 1er janvier 2021, la Collectivité européenne d’Alsace est propriétaire de la voirie non concédée sur son territoire. L’instauration par elle d’une taxe vise à répondre à un problème existant depuis bien trop longtemps : celui de l’encombrement du sillon rhénan depuis la mise en place d’une taxe poids lourds sur l’A5 allemande au 1er janvier 2005. Depuis ce jour, des camions venus de toute l’Europe circulent sur l’autoroute A35, de Mulhouse à Strasbourg en passant par Colmar.
Il s’agit donc de répondre à un besoin et à une réalité territoriale transfrontalière, car ce report engendre de nombreuses conséquences, comme la dégradation des infrastructures, une accidentologie élevée en raison du volume de circulation, mais également un fort impact environnemental.
Vous le comprenez, mes chers collègues, il s’agit donc d’une réelle attente des élus alsaciens et de toute la population depuis plus de dix-sept ans. Ces ordonnances s’inscrivent également dans le cadre d’un engagement et d’une volonté politique ancienne, comme l’a rappelé notre collègue Claude Kern.
Adrien Zeller avait déjà souhaité un tel dispositif pour l’Alsace. Puis, en 2005, c’est le député Yves Bur qui avait fait adopter par le Parlement une taxe sur le transit des poids lourds en Alsace, mais ce projet n’avait malheureusement pas été appliqué, et avait été abandonné en 2013.
Aujourd’hui, nous y sommes enfin. Je me réjouis que les apports du Sénat aient été conservés dans ce texte, notamment en ce qui concerne la création d’un comité de concertation des collectivités territoriales en matière de taxation des poids lourds, ou également au sujet du système de ticketing, solution technologique mise à la disposition de la collectivité pour la constatation et le paiement de la taxe, notamment pour les redevables occasionnels.
Malgré l’abandon de certains apports significatifs, comme l’anticipation de la révision de la directive Eurovignette ou encore la possibilité pour la Collectivité européenne d’Alsace d’installer des dispositifs de contrôle automatisés, ce texte doit pouvoir être appliqué rapidement. Pour cela, il doit être voté dans une rédaction conforme à celle du texte adopté par l’Assemblée nationale.
Ce texte est salutaire pour avancer vers la différenciation. Il intervient d’ailleurs quelques jours après le vote de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS. Même si nous pouvons regretter que cette dernière loi manque d’envergure alors que le Gouvernement l’annonçait comme une grande loi de décentralisation, elle permet des ajustements et des avancées pour les élus locaux.
La loi de 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace doit pouvoir pleinement être appliquée. Aujourd’hui, nous en votons une première étape au sujet de la voirie non concédée, mais d’autres champs restent à mettre en œuvre, notamment la création de ligues sportives alsaciennes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Muller-Bronn. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaiterais d’abord remercier notre rapporteur Jean-Claude Anglars de sa bienveillance et de son travail de qualité.
En qualité de sénatrice du Bas-Rhin, mais également en tant que conseillère d’Alsace, cette intervention devant vous, à l’occasion de l’examen de ce projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace, est pour moi un moment important.
Il s’agit d’un moment important, car ce texte concerne l’instauration de la taxe poids lourds tant espérée par une grande partie des Alsaciens. En effet, depuis 2006, nous attendons une amélioration de la circulation sur nos routes, pour plus de sécurité, moins d’embouteillages et une diminution des nuisances liées au trafic, comme le bruit et la pollution.
Il s’agit d’un moment important pour les élus locaux, notamment pour les maires des communes concernées et pour les conseillers de la Collectivité européenne d’Alsace, qui ont fait avancer ce dossier.
Cette taxe permettra une régulation optimale par la CEA du trafic routier dans le sillon rhénan, depuis bien trop longtemps encombré. La situation avait été fortement aggravée en 2005 à la suite de la mise en œuvre de la taxe allemande, la LKW-Maut, qui a provoqué un report du trafic des poids lourds en transit sur l’A35.
Nous pouvons donc être satisfaits du texte examiné aujourd’hui, que l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité le 26 janvier dernier. Il s’agit là d’un texte de compromis, qui n’appelle pas de modifications.
Ce texte de loi permettra à la Collectivité européenne d’Alsace, tout en respectant le cadre européen, d’être dotée de marges de manœuvre sur les modalités de cette taxe, afin notamment de l’adapter aux spécificités de notre territoire. En effet, nous déterminerons alors notamment le tonnage minimal et les catégories de véhicules taxables, le réseau concerné, le taux kilométrique de la taxe en fonction des saisons, la majoration pour les coûts externes, ainsi que les réductions et les exonérations.
Je tiens à préciser que la volonté de la CEA n’est pas de percevoir une quelconque recette fiscale supplémentaire. Il s’agit bien de mettre en place une gestion raisonnée du flux du trafic routier de marchandises sur certaines voies du domaine de la CEA, et de financer la dégradation des voiries causées par les véhicules lourds en transit, selon une logique d’utilisateur-payeur.
Nous sommes également satisfaits de la conservation du ticketing en faveur des usagers occasionnels et de la souplesse du dispositif qui permet de ne pas pénaliser les transports régionaux.
Des semaines de débats parlementaires ont permis d’améliorer les ordonnances, tout en respectant leur état d’esprit, c’est-à-dire le droit à la différenciation et les accords de Matignon.
Il faut maintenant laisser le texte se déployer et faire ses preuves. Il servira de terrain d’expérimentation pour les autres régions de France. La CEA est prête à lancer les appels à projets, et nous remercions donc tous les acteurs qui ont soutenu ce projet de loi. Pour ces raisons, le groupe Les Républicains votera donc en faveur d’une adoption conforme de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sabine Drexler. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons arrive enfin au terme de son parcours législatif.
Je salue, en tant que conseillère d’Alsace, le vote des députés qui ont donné leur feu vert à la mise en place de cette taxe poids lourd pour le transport routier de marchandises, communément appelée « écotaxe alsacienne », en ne modifiant qu’à la marge le texte que le Sénat avait adopté et enrichi en première lecture.
Je ne reviendrai pas sur les péripéties de l’écotaxe en France, que tout le monde connaît, mais je me réjouis que nous puissions donner aujourd’hui à la Collectivité européenne d’Alsace la possibilité d’expérimenter une solution nouvelle en votant conforme, je l’espère, ce projet de loi.
Ce texte s’inscrit dans la dynamique du droit à la différenciation territoriale et à la déconcentration, soit deux des trois « D » de la loi dite 3DS votée récemment. Il permettra de maîtriser et d’endiguer la saturation de l’axe rhénan, causée par l’important report de trafic induit par la taxe mise en place il y a une quinzaine d’années sur le réseau autoroutier allemand.
Il correspond à une attente et à une demande forte des Alsaciens, qui subissent au quotidien les nuisances liées au trafic des poids lourds. Il est cohérent de doter la CEA des moyens nécessaires à la mise en œuvre d’une compétence qui lui est dévolue par la loi de 2019.
J’entends bien sûr les craintes de nos amis lorrains et mosellans concernant un potentiel report de trafic, mais il me semble que ce texte, grâce aux apports du Sénat, permettra de trouver une solution de compromis. Il apporte des garanties de contrôle et d’évaluation à chaque étape de l’instauration de la taxe, notamment par le biais de la création d’un comité de concertation et par la demande d’un rapport d’étape. Ces garanties permettront de mesurer si un report de trafic sera effectif, ce dont je doute encore pour ma part.
J’aimerais conclure sur une note positive : non seulement cette taxe répond aux enjeux sanitaires et écologiques, puisqu’elle désengorgera l’A35 et limitera la pollution atmosphérique, mais elle ouvre également la porte à la mise en place future d’autres dispositifs similaires dans d’autres territoires.
Il s’agit d’une expérimentation inédite, qui mérite pour cette raison d’être soutenue. Nous devrions tous en espérer la réussite. Vous l’aurez compris, j’espère sincèrement que le Sénat votera conforme ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Claude Kern et Jacques Fernique applaudissent également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l’article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la collectivité européenne d’alsace
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Article 1er bis A
(Suppression maintenue)
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par MM. Jacquin, Todeschini et J. Bigot, Mme Bonnefoy, M. Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Gillé et Houllegatte, Mme Préville, M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante
I. – Au 2° de l’article 2 de l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée, le nombre : « 3,5 » est remplacé par le nombre : « 2,5 ».
II. – Le I entre en vigueur au plus tard six mois après l’entrée en vigueur de la révision de la directive 1999/62 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 1999 relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures.
La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Par cet amendement, il s’agit de rétablir l’une des avancées significatives que nous avions adoptées unanimement en première lecture, en anticipant la transposition de la directive européenne concernant un fléau des transports qui n’est pas pris en compte par le texte actuel, lié aux véhicules utilitaires légers (VUL).
Pour des raisons que je comprends mal, le rapporteur de l’Assemblée nationale a proposé de supprimer cette disposition. Je tiens à le dire, au niveau européen, dans le cadre de la modernisation de la directive Eurovignette, il s’agit de prendre en compte la possibilité d’intégrer les VUL de plus de 2,5 tonnes utilisés dans le transport pour compte d’autrui au processus de taxation.
Chers amis alsaciens, au nom d’un vote conforme, vous allez prendre du retard en rejetant cet amendement, ce que je regrette.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. Si la commission n’est pas opposée à cet amendement sur le principe, puisqu’elle avait émis, je l’ai dit tout à l’heure, un avis de sagesse en première lecture, elle souhaite toutefois un vote conforme du projet de loi, afin de conserver une grande partie des apports du Sénat.
Par conséquent, elle est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Vous le savez, le Gouvernement est défavorable à cette proposition, pour les motifs qui ont conduit à la suppression de l’article 1er bis A par l’Assemblée nationale. En effet, en termes de lisibilité et de qualité de la norme, il ne nous semble pas souhaitable d’anticiper sur la révision d’une norme supérieure.
Par ailleurs, nous ne sommes pas convaincus par l’opportunité même de la mesure. En effet, le coût de l’opération d’un VUL le rend moins avantageux, à la tonne portée, qu’un poids lourd.
En outre, les écarts de réglementation entre conducteurs de VUL et conducteurs de poids lourd, pour ce qui concerne les temps de repos, ont été sensiblement atténués par l’adoption du paquet mobilité 1, qui limitera clairement les distorsions de concurrence dont pouvaient bénéficier ces VUL.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Je veux exprimer mon regret s’agissant de la modification adoptée par l’Assemblée nationale. Pour ma part, j’étais, en accord avec la majorité du Sénat, tout à fait favorable à ce que les VUL de plus de 2,5 tonnes soient également pris en compte dans le texte. À cet égard, je me félicite de l’amendement de M. Jacquin.
Toutefois, comme vient de le dire M. le rapporteur, le calendrier nous impose de voter ce texte conforme. Je suis donc tout à fait désolé, mon cher collègue, qu’un élément s’oppose, une nouvelle fois, à ce que nous puissions vous rejoindre et vous donner quitus.
M. le président. En conséquence, l’article 1er bis A demeure supprimé.
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Articles 1er ter et 1er quater
(Suppressions maintenues)
Article 1er quinquies
(Non modifié)
Le premier alinéa de l’article 23 de l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée est ainsi rédigé :
« La Collectivité européenne d’Alsace peut, sur délibération, exonérer de la taxe : ».
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er quinquies.
(L’article 1er quinquies est adopté.)
Article 1er sexies
(Non modifié)
L’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée est ainsi modifiée :
1° L’article 27 est ainsi modifié :
a) Le 2° est ainsi rédigé :
« 2° Disposent d’un équipement électronique embarqué du système européen de télépéage régi par le règlement d’exécution (UE) 2020/204 de la Commission du 28 novembre 2019 susvisé, qui répond aux conditions suivantes :
« a) Il permet l’enregistrement automatique des éléments nécessaires à la liquidation de la taxe ;
« b) Il est mis à disposition, dans le cadre d’un contrat conclu à cet effet, par un prestataire du service européen de télépéage ayant conclu une convention avec la Collectivité européenne d’Alsace conformément à l’article 54 ;
« c) Il est interopérable avec les systèmes électroniques de perception du péage utilisés sur le réseau autoroutier national concédé. » ;
b) L’avant-dernier alinéa est supprimé ;
1° bis Après l’article 27, sont insérés des articles 27-1 et 27-2 ainsi rédigés :
« Art. 27-1. – Par dérogation à l’article 27 et sur délibération de la Collectivité européenne d’Alsace, les véhicules peuvent :
« 1° Soit disposer, à la place de l’équipement mentionné au 2° du même article 27, d’un équipement électronique embarqué du système européen de télépéage qui répond à la condition mentionnée au a du même 2° et que la Collectivité européenne d’Alsace met à disposition ;
« 2° Soit être dispensés des obligations prévues audit article 27 lorsqu’est déposée, dans un délai minimal préalable au fait générateur, une déclaration précisant les caractéristiques du véhicule et du trajet.
« Art. 27-2. – Une délibération de la Collectivité européenne d’Alsace détermine les conditions et les limites dans lesquelles il peut être recouru aux options mentionnées aux articles 27 et 27-1. Cette délibération fixe, le cas échéant, les modalités, y compris financières, de la mise à disposition mentionnée au 1° du même article 27-1. Elle fixe aussi le contenu de la déclaration mentionnée au 2° dudit article 27-1, les conditions dans lesquelles cette déclaration peut être déposée, annulée ou rectifiée ainsi que le délai minimal entre son dépôt ou sa rectification et le fait générateur. » ;
2° Le premier alinéa de l’article 28 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, dans le cas prévu au 2° de l’article 27-1, elle est liquidée à partir des éléments de la déclaration prévue au même 2°. » ;
3° Le dernier alinéa de l’article 29 est complété par les mots : « et, le cas échéant, les acomptes versés en application de l’article 31-1 et les majorations applicables en application de l’article 33-1 » ;
4° L’article 31 est complété par les mots : « compte tenu, le cas échéant, des acomptes versés en application de l’article 31-1 » ;
4° bis Après le même article 31, il est inséré un article 31-1 ainsi rédigé :
« Art. 31-1. – Dans le cas prévu au 2° de l’article 27-1, le paiement de la taxe donne lieu au versement d’un acompte lors de la déclaration mentionnée au même 2°.
« Le montant de l’acompte est égal au montant de la taxe résultant de l’utilisation du réseau taxable compte tenu des caractéristiques déclarées.
« Une preuve du paiement de l’acompte est délivrée au redevable.
« Une délibération de la Collectivité européenne d’Alsace détermine les conditions dans lesquelles l’acompte est acquitté et régularisé en cas de rectification ou d’annulation du trajet déclaré. » ;
4° ter Après l’article 33, il est inséré un article 33-1 ainsi rédigé :
« Art. 33-1. – Dans le cas mentionné au 2° de l’article 27-1, fait l’objet d’une majoration de 30 euros le paiement d’un acompte insuffisant compte tenu de l’utilisation effective du réseau taxable, avant le début du délai préalable minimal mentionné à l’article 27-2.
« Le paiement de la majoration mentionnée au premier alinéa du présent article éteint l’action publique lorsqu’il intervient dans un délai déterminé par délibération de la Collectivité européenne d’Alsace, qui ne peut être supérieur à cinq jours à compter du fait générateur de la taxe. » ;
5° Après le mot : « maintenance », la fin du 1° de l’article 49 est ainsi rédigée : « des dispositifs techniques nécessaires à la mise en œuvre de la taxe, y compris concernant le traitement automatisé des données, la réception et la gestion des déclarations et des paiements ainsi que la mise à disposition des équipements électroniques embarqués ; ». – (Adopté.)
Article 1er septies
(Non modifié)
L’article 32 de l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée est ainsi modifié :
1° Le début est ainsi rédigé : « Le propriétaire en cas de location, toute autre personne morale utilisatrice du véhicule et le conducteur sont solidairement… (le reste sans changement). » ;
2° Le mot : « relatif » est remplacé par le mot : « relatifs ». – (Adopté.)
Article 1er octies
(Suppression maintenue)
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Article 1er decies
(Non modifié)
I. – L’article 37 de l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée est ainsi modifié :
1° Le 1° est complété par les mots : « et agréés par le procureur de la République » ;
2° À la fin du 2°, les mots : « du contrôle des transports terrestres » sont remplacés par les mots : « les fonctionnaires ou agents de l’État assermentés dans les conditions prévues à l’article L. 130-7 du code de la route, chargés du contrôle des transports terrestres et placés sous l’autorité du ministre chargé des transports » ;
3° Après le mot : « définies », la fin du dernier alinéa est ainsi rédigée : « par un arrêté conjoint du ministre chargé des transports et du ministre de la justice. »
II. – À l’article 38 de l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée, les mots : « constatées par des » sont remplacés par les mots : « effectuées au moyen d’ ». – (Adopté.)
Articles 1er undecies et 1er duodecies
(Suppressions maintenues)
Article 1er terdecies A
(Non modifié)
Au premier alinéa de l’article 41 de l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée, le mot : « , il » est remplacé par les mots : « ou lorsque la constatation d’une irrégularité a été effectuée au moyen d’un appareil de contrôle automatique dans les conditions prévues à l’article 38, le redevable ». – (Adopté.)
Article 1er terdecies B
(Non modifié)
Après le mot : « par », la fin de la première phrase de l’article 44 de l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée est ainsi rédigée : « une délibération de la Collectivité européenne d’Alsace. » – (Adopté.)
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Article 1er quaterdecies
(Non modifié)
L’article 46 de l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La récidive des infractions prévues au présent article est passible d’une amende de 15 000 €. » – (Adopté.)
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Article 1er sexdecies
(Non modifié)
L’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée est ainsi modifiée :
1° Le chapitre II du titre III est abrogé ;
2° L’article 56 est ainsi modifié :
a) Après le premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Les délibérations mentionnées aux articles 2, 3, 4, 8, 9, 11, 15, 21, 23, 27, 27-1, 27-2, 31-1, 33 et 33-1 entrent en vigueur à une date fixée par la Collectivité européenne d’Alsace, postérieure à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de leur publication. Lorsqu’elles sont prises pour la première fois, ces délibérations entrent en vigueur à une date concomitante ou antérieure à la délibération mentionnée au premier alinéa du présent article.
« La délibération mentionnée à l’article 9 est prise après que l’État a transmis, dans les meilleurs délais, les informations mentionnées au f du 3 de l’article 7 octies de la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 1999 précitée. » ;
b) Après la référence : « article 6 », la fin du second alinéa est ainsi rédigée : « de la même directive. » ;
3° Au premier alinéa de l’article 57, le mot : « à » est remplacé par les mots : « au premier alinéa de ». – (Adopté.)
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Article 1er septdecies
(Non modifié)
L’article 61 de l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « trois » ;
b) Sont ajoutés les mots et une phrase ainsi rédigée : « et évaluant les reports de trafic sur le réseau du domaine public des régions, des départements et des communes limitrophes. Ce rapport comprend un bilan d’évaluation des reports de trafic sur l’autoroute A 31. » ;
2° Le second alinéa est ainsi rédigé :
« Les régions, la Collectivité européenne d’Alsace, les départements et les communes limitrophes concernés transmettent à l’État les informations à leur disposition que celui-ci estime nécessaires à l’élaboration de ce rapport ainsi que toute autre information qu’ils jugent pertinente pour cette élaboration. »
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par MM. Jacquin, Todeschini et J. Bigot, Mme Bonnefoy, M. Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Gillé et Houllegatte, Mme Préville, M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
. Ce rapport
par les mots :
ainsi qu’un rapport d’étape au plus tard deux ans après la mise en œuvre de cette taxe. Ce rapport d’étape
La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Je l’ai dit au cours de la discussion générale, nous avons entendu en première lecture la crainte de nos collègues alsaciens d’être retardés dans leur démarche.
C’est la raison pour laquelle nous avons proposé que soit d’abord mise en place l’écotaxe alsacienne, laquelle devra être évaluée. Au vu de cette évaluation, qui révélera la réalité du report de trafic vers l’A31, dont nous ne doutons pas, l’écotaxe devra être mise en place par l’État, s’il est compétent, ou par la région.
J’ai bien compris la situation et votre souhait de procéder à un vote conforme, mes chers collègues. Ainsi, alors qu’une commission mixte paritaire ne nous aurait fait perdre que quelques jours – elle pouvait être réunie dans le cadre de la session actuelle, qui se termine le 28 février –, je ne peux que regretter un tel choix.
C’est la raison pour laquelle je demanderai un scrutin public sur cet amendement, dans la mesure où l’amendement n° 3, que nous avons également déposé et qui tend à organiser véritablement ce report, risque de devenir sans objet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. Bien évidemment, la commission n’était pas opposée à une telle proposition, que nous avions d’ailleurs nous-mêmes introduite.
Toutefois, au fur et à mesure de nos échanges avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, nous sommes parvenus à une position d’équilibre concernant la question du bilan de la taxe. Si l’Assemblée nationale avait initialement simplement supprimé le rapport d’étape adopté par le Sénat, elle a ensuite, en contrepartie de cette suppression, réduit le délai de remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement de cinq ans à trois ans.
Un tel équilibre semble satisfaisant. Par ailleurs, l’adoption de cet amendement mettrait à mal la stratégie de vote conforme proposée par la commission.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Vous l’aurez compris, le Gouvernement est défavorable à cet amendement. En effet, le débat parlementaire a permis de trouver une position d’équilibre : plutôt qu’un rapport d’étape, une préférence s’est dessinée en faveur d’un raccourcissement du délai de transmission du rapport au Parlement, qui est passé de cinq ans à trois ans.
Il ne paraît donc pas nécessaire de maintenir un rapport d’étape qui interviendrait seulement un an avant la transmission du rapport final, dont l’article 1er septdecies prévoit déjà qu’il évaluera les reports de trafic sur l’A31, deux ans seulement après la mise en œuvre de la taxe.
Les délais proposés par cet amendement me paraissant trop courts pour permettre un retour d’expérience significatif, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Permettez-moi de le préciser de nouveau, l’amendement n° 4 vise non pas à organiser le différé de la mise en place de l’écotaxe, mais à reporter le rapport d’évaluation.
Dans la mesure où je crains que l’amendement n° 3 ne devienne sans objet et ne puisse faire l’objet d’un scrutin public, j’ai demandé, au nom de mon groupe, un scrutin public sur l’amendement n° 4.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 103 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 314 |
Pour l’adoption | 66 |
Contre | 248 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’article 1er septdecies.
(L’article 1er septdecies est adopté.)
Après l’article 1er septdecies
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 3, présenté par MM. Jacquin, Todeschini et J. Bigot, Mme Bonnefoy, M. Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Gillé et Houllegatte, Mme Préville, M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er septdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
En fonction des conclusions du rapport d’étape mentionné à l’article 61 de l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée, une taxe applicable aux véhicules de transport de marchandises qui utilisent l’autoroute A31 est instituée au plus tôt, sauf si un dispositif régional est mis en place avant la publication du rapport susmentionné.
Un décret détermine le régime juridique et les conditions d’application de cette taxe.
La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, je ne reprends pas la parole, mais défends bien sûr ardemment cet amendement !
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par MM. Jacquin, Todeschini et J. Bigot, Mme Bonnefoy, M. Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Gillé et Houllegatte, Mme Préville, M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er septdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
En fonction des conclusions du rapport mentionné à l’article 61 de l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée, une taxe applicable aux véhicules de transport de marchandises qui utilisent l’autoroute A31 est instituée au plus tôt, sauf si un dispositif régional est mis en place avant la publication du rapport susmentionné.
Un décret détermine le régime juridique et les conditions d’application de cette taxe.
La parole est à M. Olivier Jacquin, pour défendre ardemment cet amendement.
M. Olivier Jacquin. Il est ardemment défendu, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par Mme Belrhiti, M. Longuet, Mmes Gosselin et Garriaud-Maylam, MM. Menonville, Gremillet et Husson, Mme Guillotin, M. Mizzon et Mme Paoli-Gagin, est ainsi libellé :
Après l’article 1er septdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
En fonction des conclusions du rapport mentionné à l’article 61 de l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée, la région Grand Est est autorisée à instaurer une taxe applicable aux véhicules de transports de marchandises qui utilisent l’autoroute A31.
Un décret fixe le régime et les conditions d’application de cette taxe.
La parole est à Mme Catherine Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. La mise en œuvre d’une taxe kilométrique sur les véhicules de transport routier de marchandises sur le seul territoire alsacien aura pour principale conséquence le report d’une partie du trafic sur l’autoroute lorraine A 31, même si mes collègues alsaciens ne veulent pas le reconnaître.
Cette autoroute est déjà saturée par un flux continu de poids lourds et provoque de multiples nuisances, qu’il s’agisse de pollutions sonores, d’émissions de gaz à effet de serre ou de congestions routières.
Même si la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets permet au Gouvernement, d’ici deux ans, de légiférer par ordonnance pour permettre aux régions de mettre en place des contributions spécifiques sur le transport routier de marchandises, il faut agir sans attendre pour permettre, dans l’intervalle, à la région Grand Est d’instaurer une taxe poids lourds sur cette autoroute A31, afin qu’elle puisse s’aligner, au même moment, sur la contribution alsacienne.
Cet amendement vise donc à créer un article additionnel après l’article 1er septdecies, lequel prévoit la remise au Parlement d’un rapport présentant le bilan de la mesure en matière de maîtrise du trafic routier de marchandises. Il s’agit d’intégrer la problématique de l’A31 aux conclusions de ce rapport. À cet égard, je veux remercier ma collègue alsacienne Sabine Drexler d’avoir porté attention à notre problématique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. Comme en première lecture, la commission a émis un avis défavorable sur ces amendements, pour quatre raisons principales.
Premièrement, la loi Climat et résilience prévoit déjà la possibilité pour les régions volontaires de mettre en place cette taxe…
Mme Catherine Belrhiti. Dans deux ans !
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. Il appartiendra donc aux régions volontaires et, on l’espère, à la région Grand Est de s’en saisir, une fois que les routes leur auront été transférées, si elles le souhaitent.
Deuxièmement, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Il semble en effet important que la région, comme l’a fait la CEA, prenne le temps d’élaborer son propre dispositif, en coconstruction avec les services de l’État. Une telle démarche doit s’inscrire dans un calendrier défini, pour en garantir le succès.
Troisièmement, ces amendements ne respectent pas l’article 34 de la Constitution. En effet, il n’est pas constitutionnel de fixer par décret le régime et les conditions de l’application d’une taxe. Un certain nombre de modalités relèvent du domaine de la loi : l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement.
Quatrièmement, la commission vous propose d’adopter, mes chers collègues, un texte conforme à celui de l’Assemblée nationale. J’ajoute que l’amendement n° 3 est désormais sans objet, puisqu’il fait référence au rapport d’étape que l’amendement n° 4, qui n’a pas été adopté, visait à rétablir.
La commission est donc défavorable à ces trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Aux yeux du Gouvernement, l’instauration de cette contribution sur le transport routier de marchandises par les régions, et plus particulièrement par la région Grand Est, doit être traitée dans l’ordonnance qui sera prise sur le fondement de l’article 137 de la loi Climat et résilience, adoptée en 2021, article qui prévoit une présentation de cette ordonnance dans les deux ans.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Monsieur Jacquin, madame Belrhiti, je veux vous assurer de mon regret de ne pouvoir poursuivre la discussion sur ce texte et, plus particulièrement, sur votre demande. En effet, pour des raisons de calendrier, nous devons procéder à un vote conforme.
Toutefois, mes chers collègues, l’article de la loi Climat et résilience, rappelé à l’instant par Mme la secrétaire d’État, permet de prendre une ordonnance visant à faire droit à votre demande.
Je le dis ici solennellement, l’Alsacien que je suis ne se dérobera pas à cette demande des Mosellans et des Lorrains. S’il y avait nécessité de soutenir ensemble une ordonnance en la matière – on sait que ce processus prend quelquefois du temps, sans compter les éventuels changements de majorité – pourquoi ne pas envisager sa rédaction pendant l’été, quel que soit le gouvernement en place ?
Personnellement, si les collègues mosellans le souhaitent, je m’associerai volontiers à une telle démarche. Je le répète, nous avons la volonté de nous montrer solidaires de nos voisins. Il ne s’agit absolument pas de faire cavalier seul, mais, bien au contraire, d’ouvrir la voie !
Bien que je ne puisse pas adopter ces amendements, d’autant que se pose le problème juridique du décret, j’estime que nous aurions pu en discuter et examiner comment trouver un accord. Tel ne sera pas le cas aujourd’hui, ce que je regrette.
M. le président. La parole est à M. Christian Klinger, pour explication de vote.
M. Christian Klinger. Mon collègue vient de présenter les arguments que je souhaitais moi-même développer !
Depuis dix-sept ans, nous attendons la mise en place de cette taxe poids lourds. Chère collègue Catherine Belrhiti, vous pourrez compter sur vos collègues alsaciens pour aider à élargir la possibilité de réduire le trafic poids lourds, s’il devait y avoir un report de trafic.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Je voterai bien évidemment l’amendement de Mme Catherine Belrhiti, qui est la copie conforme de mon propre amendement, mais concerne la région Grand Est et non pas la Lorraine.
Même si, aujourd’hui, nous perdons une bataille, cette possibilité s’ouvrira un jour à nous ! En effet, je ne vois pas comment nous pourrions réécrire cette ordonnance dès l’été prochain. En vertu de quel calendrier, au nom de quelle motivation ? Ce serait reconnaître que nos travaux actuels n’ont que peu de valeur. Pour ma part, c’est ce que je crois et c’est la raison pour laquelle mon groupe votera contre ce texte.
Je soutiens donc ardemment l’amendement de ma collègue Catherine Belrhiti.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour explication de vote.
Mme Catherine Belrhiti. Je le précise, en Moselle, cela fait trente ans que nous avons un problème avec l’A31. Nous réclamons depuis trente ans la construction d’une A31 bis, laquelle, je l’espère, verra bientôt le jour.
La situation justifie donc la mise en place d’une écotaxe. Si quelqu’un doutait encore du report du trafic et des difficultés rencontrées en Moselle, je tenais à dissiper toutes les interrogations.
Quoi qu’il en soit, je remercie mes collègues alsaciens de nous comprendre. J’espère que nous pourrons, au plus vite, traiter cette problématique.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er octodecies
(Non modifié)
Un comité facilite la concertation des collectivités territoriales en matière de taxation des poids lourds.
Sont membres de ce comité :
1° Le président de la Collectivité européenne d’Alsace ;
2° Le président de l’Eurométropole de Strasbourg ;
3° Les présidents des conseils départementaux des départements limitrophes de la Collectivité européenne d’Alsace ;
4° Le président du conseil régional de la région Grand Est.
Les représentants de l’État dans la région et dans les départements concernés ainsi que les représentants des services déconcentrés de l’État participent aux séances du comité à leur demande. Le comité peut associer à ses travaux des représentants de toute autre collectivité territoriale concernée ou de tout groupement de collectivités territoriales concerné. Il peut consulter toute personne ou tout organisme qualifié.
Le comité est présidé par le président de la Collectivité européenne d’Alsace.
Il organise librement ses travaux et leur publicité, les modalités de réunion et les règles de représentation de ses membres, dans le cadre de son règlement intérieur.
Il est convoqué par son président, au moins une fois par an jusqu’à la mise en œuvre de la taxe. – (Adopté.)
Article 1er novodecies
(Non modifié)
L’article L. 330-2 du code de la route est complété par un IV ainsi rédigé :
« IV. – Les personnes mentionnées au 12° du I du présent article doivent produire à l’appui de leur demande tous éléments utiles permettant de vérifier la réalité des manquements au regard de la taxe prévus par l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 relative aux modalités d’instauration d’une taxe sur le transport routier de marchandises recourant à certaines voies du domaine public routier de la Collectivité européenne d’Alsace. » – (Adopté.)
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Article 2 bis
(Suppression maintenue)
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Article 4
(Non modifié)
Après l’article 6 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 précitée, sont insérés des articles 6-1 et 6-2 ainsi rédigés :
« Art. 6-1. – Le fait, pour le conducteur d’un véhicule, de ne pas respecter la mesure, prise par l’autorité investie du pouvoir de police en application du II de l’article 6, d’interdiction d’accès de certaines routes aux véhicules en transit dont le poids total en charge est supérieur à 3,5 tonnes est puni d’une amende forfaitaire de 750 €.
« L’immobilisation du véhicule peut être prescrite dans les conditions prévues aux articles L. 325-1 à L. 325-3 du code de la route.
« Art. 6-2. – I. – Afin de faciliter la constatation de l’infraction prévue à l’article 6-1 et de permettre le rassemblement des preuves de celle-ci et la recherche des auteurs, des dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules peuvent être mis en œuvre par les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale ou par les services de police municipale des communes membres de l’Eurométropole de Strasbourg.
« Lorsqu’elles sont effectuées au moyen de dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatique homologués, les constatations de l’infraction prévue à l’article 6-1 font foi jusqu’à preuve du contraire.
« II à V. – (Supprimés) – (Adopté.)
Article 5
(Non modifié)
L’ordonnance n° 2021-616 du 19 mai 2021 précitée est ainsi modifiée :
1° Après l’article 2, sont insérés des articles 2-1 et 2-2 ainsi rédigés :
« Art. 2-1. – En cas de survenance de l’événement mentionné à l’article 40 du cahier des charges mentionné à l’article 1er de la présente ordonnance, la fraction de l’indemnité éventuellement due à la société concessionnaire, dont l’article 7 de la convention financière mentionnée à l’article 1er de la présente ordonnance prévoit la prise en charge, est répartie à parts égales entre l’État et l’Eurométropole de Strasbourg, à condition que l’Eurométropole de Strasbourg ait pris la décision de ne pas mettre en place l’interdiction de circulation mentionnée à l’article 2 de la présente ordonnance ou d’abroger totalement ou partiellement cette interdiction dans les cinq années suivant la mise en service de l’autoroute A 355.
« Art. 2-2. – Les obligations mentionnées aux articles 2 et 2-1 sont satisfaites dès lors que l’Eurométropole de Strasbourg a pris une mesure visant à interdire la circulation des poids lourds en transit sans l’abroger dans les cinq années suivant la mise en service de l’autoroute A 355. » ;
2° Le premier alinéa de l’article 3 est ainsi modifié :
a) Au début, est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Lorsque l’État considère que les motifs de la déchéance du concessionnaire sont susceptibles d’être réunis, il en informe sans délai l’Eurométropole de Strasbourg. » ;
b) Après la référence : « article 1er », sont insérés les mots : « ou à la transmission de l’arrêté mentionné à l’article 7 de la même convention ». – (Adopté.)
M. le président. Les autres dispositions du projet de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. En conclusion de ce débat, je veux exprimer de nouveau le regret que des dispositions substantielles aient été supprimées par l’Assemblée nationale. Ainsi, l’anticipation de la directive Eurovignette aurait naturellement permis de régler d’importants problèmes pour l’Alsace.
Nous aurions pu, chers collègues mosellans, poursuivre les discussions sur ce texte, si nous n’avions pas été coincés par le calendrier, qui interdit la poursuite de nos travaux. Il nous faut donc voter conforme, ce que je ferai. J’appelle d’ailleurs tous mes collègues ici présents à faire de même.
En effet, dix-sept ans d’attente, c’est long ! Par ailleurs, il faut le savoir, lorsque ce texte sera définitivement adopté ici, il faudra nous accorder, en Alsace, sur les modalités de cette taxe, ce qui ne sera pas simple, cela a été dit.
Vous le savez, le président de la CEA, la Collectivité européenne d’Alsace, a décidé de recourir à l’association de la population pour la mise en œuvre de ses politiques, quelles qu’elles soient. S’est d’ailleurs terminée la nuit dernière une votation sur la pérennité de la présence de la Collectivité européenne d’Alsace au sein de la région Grand Est. Je le dis ici solennellement, mon cher collègue Olivier Jacquin, il ne s’agit en aucun cas d’un réflexe sécessionniste ! Je ne peux accepter ce terme ! Nous voulons simplement retrouver la région d’Alsace que nous avions par le passé.
De la même façon, une autre votation concernant les modalités de l’écotaxe interviendra. Il est donc fondamental que nous votions aujourd’hui ce texte, pour permettre, à l’avenir, une véritable démarche de concertation sur cette écotaxe.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour explication de vote.
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de voter pour l’ensemble de ce texte, puisque mon groupe a choisi en responsabilité de ne pas déposer d’amendement, je voudrais insister sur la volonté qui avait motivé notre unique amendement en première lecture, lequel avait d’ailleurs été rejeté à une voix près. Afin de ne pas perdre de temps, il visait à donner un signal impérieux, en réduisant de moitié le délai de six ans laissé à la CEA pour la mise en place de la taxe.
J’espère donc que la Collectivité européenne d’Alsace et l’État feront chacun preuve d’une réactivité encore meilleure, ainsi que d’un rythme et d’une qualité d’accompagnement adéquats pour que se déroulent le plus rapidement possible toutes les étapes de concertation encore nécessaires, mais sans rétropédalage, face aux quelques réticences convenues d’organisations professionnelles, ainsi que toutes les étapes de préparation, auxquelles il a été fait allusion, de mise en place des décisions précisant les tonnages, les catégories, le réseau taxable exact, les dispositifs kilométriques, les majorations pour coûts externes, les possibilités de la directive Eurovignette, les réductions et les exonérations.
Toutes ces étapes devront se réaliser au mieux, pour tenir la promesse d’une entrée en vigueur sans perte de temps, dans un délai raisonnablement réduit, et garantir – c’est très important – le caractère transférable d’un dispositif, qui, comme me le disait hier M. le ministre chargé des transports, doit être un modèle pionnier. (M. André Reichardt applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Je serai bref. Je l’ai dit, je regrette que ce vote conforme empêche le débat et une nouvelle avancée, indispensable pour la Lorraine. Je regrette profondément cette situation, que j’ai qualifiée de véritable « spoliation » des Lorrains. Je pèse mes mots et insiste sur ce terme, particulièrement fort.
Bien évidemment, nous ne baisserons pas les bras. Nous poursuivrons cette bagarre pour l’environnement et la justice. Nous constatons d’ailleurs que, après toutes ces années de lutte pour établir un tel dispositif en Lorraine, nous avons obtenu une grande avancée avec l’article 32 du projet de loi Climat et résilience. À cet égard, je salue les travaux de la commission mixte paritaire, qui permettront aux régions frontalières subissant des reports de trafic de mettre éventuellement en place une écotaxe. Pour ce faire, il fallait que la loi 3DS soit votée. Son adoption permet désormais aux régions de faire des expérimentations en matière de gestion autoroutière.
Le combat n’est pas fini, c’est simplement la fin d’une bataille. Je profite de l’occasion qui m’est donnée, madame la secrétaire d’État, pour signaler que, dans une union transpartisane – même si je suis le seul sénateur de Meurthe-et-Moselle présent aujourd’hui ! –, tous les parlementaires du département, ainsi que la présidente de la métropole et la présidente du conseil départemental, ont écrit au Premier ministre Jean Castex, pour demander une rencontre, afin d’évoquer la question de l’A31 au sud de Nancy, qui doit être considérée avec le même degré de priorité concernant les travaux de modernisation et d’élargissement prévus par le grand débat public.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble du projet de loi ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l’article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, l’autre, du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 104 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 313 |
Pour l’adoption | 247 |
Contre | 66 |
Le Sénat a adopté définitivement le projet de loi. (Applaudissements.)
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. Cher collègue Jacquin, je tiens à vous assurer qu’il n’y a de notre part aucune volonté de spoliation de qui que ce soit.
Je veux surtout remercier les personnels de la commission, pour leur travail, ainsi que son président, pour sa confiance. Merci aussi aux équipes du ministère de la transition écologique, madame la secrétaire d’État ; nous avons bien travaillé ensemble.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la secrétaire d’État, je souhaite vous remercier à mon tour de votre engagement ; je me félicite de l’adoption de ce projet de loi.
Merci à notre rapporteur, Jean-Claude Anglars, pour le travail important qu’il a réalisé, pour son esprit d’initiative et pour ses qualités d’excellent négociateur.
Je tiens également à saluer notre collègue Philippe Tabarot pour la force de proposition dont il a fait preuve lors de l’examen du projet de loi Climat et résilience. Il est utile de rappeler que le travail de Philippe Tabarot et de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a été décisif pour l’adoption du présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
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Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
5
Combat contre le harcèlement scolaire
Discussion en nouvelle lecture d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à combattre le harcèlement scolaire (proposition n° 480, résultat des travaux de la commission n° 485, rapport n° 484).
Je précise à l’attention de l’ensemble de nos collègues que je suspendrai la séance, quoi qu’il advienne, entre douze heures cinquante-cinq et treize heures.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi est le dernier texte sur l’éducation de la législature. Aussi, permettez-moi de remercier les représentants de la Nation que vous êtes pour leur travail continu et leur engagement sincère sur les sujets d’éducation.
Je me réjouis aussi que ce soit précisément cette proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire que nous ayons à examiner aujourd’hui, d’abord parce que la lutte contre le harcèlement en milieu scolaire aura été l’une des grandes causes de mon action pendant ce quinquennat, ensuite parce qu’il s’agit d’un sujet qui, comme souvent lorsqu’il est question de l’école, a vocation à créer de la concorde et à nous rassembler.
Je connais la mobilisation du Sénat sur ce sujet et regrette évidemment qu’une motion tendant à opposer la question préalable ait été déposée. Ce texte émane d’une initiative parlementaire, celle du député Erwan Balanant. Nous l’avons accueillie favorablement, comme nous l’avons fait chaque fois que des propositions allaient dans le bon sens – et ce fut souvent le cas, je tiens à le souligner, de la part des représentants de la chambre haute.
La lutte contre le harcèlement, nous en sommes tous d’accord, est un enjeu de société. Cet enjeu dépasse largement le cadre scolaire et nécessite une mobilisation générale ; il renvoie tout simplement à la valeur de fraternité qui est le ciment de notre nation.
Si les actions menées depuis 2017 ont permis de contenir le harcèlement « physique » entre élèves, la progression rapide et exponentielle du cyberharcèlement nous appelle à redoubler d’efforts et de vigilance.
Nous ne nous habituerons jamais à ce que des vies d’enfants et d’adolescents soient brisées, abîmées, parfois de façon irrémédiable, par ce fléau. Nous lutterons donc sans relâche et avec la dernière énergie contre ce phénomène. En la matière, nous avons d’ailleurs beaucoup avancé.
Nous ne nous résignerons pas. Nous pouvons atteindre un objectif de zéro harcèlement à l’école, c’est possible ! Certains pays, certains établissements, certains professeurs y réussissent chaque jour, y compris en France. Cet objectif est donc à notre portée. Et je me réjouis que cette proposition de loi nous permette d’avancer en ce sens.
Du plan de lutte contre le harcèlement à l’école, en 2018, à la généralisation du programme de lutte contre le harcèlement à l’école (pHARe), en 2022, nous n’avons pas attendu pour prendre à bras-le-corps ce phénomène.
Dès 2018, nous avons engagé un plan volontariste et ambitieux pour combattre le harcèlement à l’école autour de trois grands axes : prévenir, intervenir, former.
Prévenir, tout d’abord : nous avons pris en la matière un certain nombre de mesures fortes, comme l’interdiction du téléphone portable au collège, qui est désormais effective – c’est très important –, le dialogue avec les plateformes de réseaux sociaux, le lancement de cinq campagnes de prévention autour des thèmes suivants : revenge porn, rôle des témoins, dynamiques de groupe, école primaire, cyberharcèlement. J’ai effectué, sur cette question, de nombreux déplacements au sein des établissements, souvent avec Mme Macron, qui en a fait un thème de mobilisation.
Face à ces agissements, nous l’avons toujours dit, aucun élève ne doit être laissé seul. C’est pourquoi le ministère finance deux numéros d’écoute, le 3020 pour le harcèlement et le 3018 pour le cyberharcèlement, en partenariat avec l’association e-Enfance.
J’étais justement en déplacement avec Mme Macron, tout récemment, pour promouvoir une nouvelle étape du 3018 via le lancement d’une application pour téléphone mobile permettant aux élèves de signaler en temps réel un cyberharcèlement dont ils sont l’objet. Cette application est facile d’accès et d’utilisation ; elle permet notamment les échanges par courriel, tchat et WhatsApp.
Il est nécessaire aussi de développer un réseau d’acteurs dont la prise en charge du harcèlement est en quelque sorte le « métier ». C’est pourquoi nous avons travaillé à améliorer la prise en charge des situations de harcèlement en renforçant la formation initiale et continue des professeurs, qui intègre désormais cette dimension de façon systématique, et en développant le dispositif des élèves ambassadeurs, qui permet la sensibilisation entre pairs, mais aussi en publiant des ressources et des guides pour les personnels, les élèves et leurs familles.
Nous avons également, à la rentrée 2021, complété le dispositif en lançant ce que nous appelons le « carré régalien », organisé selon quatre axes ayant trait à la vie scolaire des élèves : la laïcité et les valeurs de la République, la lutte contre la radicalisation, la lutte contre les violences, la lutte contre le harcèlement. Des professionnels affectés au traitement de ces sujets viennent en appui des établissements dès que cela s’avère nécessaire.
À la rentrée 2022, nous aurons franchi un nouveau cap avec la généralisation, au cours de la présente année scolaire, du programme pHARe à toutes les écoles et à tous les collèges. Celui-ci s’inspire en partie du programme finlandais KiVa, la Finlande faisant partie des pays qui ont particulièrement bien réussi dans le domaine de la lutte contre le harcèlement. Notre pays peut devenir ainsi un exemple de ce qui se fait de mieux au monde en la matière.
Très concrètement, nous dotons les établissements d’un référent harcèlement, de personnels formés à la détection et au traitement des situations, ainsi que d’élèves ambassadeurs pour le signalement. Ce programme est déjà une réalité sur le terrain, dans une bonne partie des établissements.
Les familles sont associées à cet effort collectif, via la mise à disposition de ressources accessibles en ligne ou l’organisation de moments de rencontre avec les professeurs et les personnels de direction. Ces initiatives importantes rejoignent ce que j’avais moi-même mis en place, lorsque j’occupais d’autres fonctions, avec la « mallette des parents », car on sait combien l’implication des familles est décisive pour prévenir ce type de situation.
La méthode utilisée, appelée Pikas, a fait ses preuves, car elle permet aux adultes de repérer les « signaux faibles » et d’intervenir rapidement pour protéger les victimes, tout en amenant les auteurs à une prise de conscience. Lorsque vient le moment de la sanction, en effet, il est souvent déjà trop tard…
Une méthode s’applique, donc, établissement par établissement, avec des équipes formées et un traitement de chaque situation.
L’objectif est très simple : aucun cas de harcèlement ne doit rester sans réponse.
Si nous voulons lutter efficacement contre le harcèlement en milieu scolaire, nous devons sortir d’une logique exclusivement défensive pour passer à l’offensive, ce qui revient à dire que nous menons une politique du « climat scolaire ». En effet, le harcèlement est d’une certaine façon le résultat d’une dégradation du climat scolaire. Ce que nous devons viser, c’est tout simplement l’installation d’un climat scolaire fraternel, à base d’engagement notamment.
Avec le Conseil d’évaluation de l’école, que nous avons créé par la loi pour une école de la confiance, nous sommes désormais en mesure d’évaluer le climat scolaire dans chaque établissement, afin de disposer d’un état des lieux et, le cas échéant, de prendre des mesures adéquates.
Il nous faut également chercher à promouvoir l’engagement des élèves, leur sens de l’intérêt général, du civisme et de l’empathie, ces « compétences douces » qui sont si importantes. C’est ce que nous faisons en menant un travail sur les compétences psychosociales dès l’école maternelle. Lorsque j’ajoute « respecter autrui » à « lire, écrire, compter », cet ajout participe évidemment de cet objectif. Nous élevons ce « respecter autrui » au rang de compétence fondamentale dès l’école primaire ; cela va de pair avec le renforcement de l’enseignement moral et civique et de l’éducation aux médias et à l’information.
Nous avons par ailleurs créé, outre les ambassadeurs « Non au harcèlement », 250 000 écodélégués, afin de diversifier les formes d’engagement des élèves. Nous avons aussi promu les prix « Non au harcèlement », que nous avons étoffés en créant un prix spécifique à la lutte contre le cyberharcèlement. Ces prix donnent lieu chaque année à des travaux remarquables dans les classes ; je vous invite par exemple à consulter la vidéo réalisée par les élèves lauréats du prix « Non au harcèlement » 2020, qui a fait, depuis, le tour du monde – 48 millions de vues !
Il faut citer également, en bout de chaîne, le service national universel (SNU) et les services civiques, à 16 ans et au-delà, qui constituent une forme d’accomplissement du parcours citoyen, avec un effet rétroactif sur tout ce qui précède – le service national universel, rappelons-le, permet d’envoyer un signal quant à l’engagement des élèves en amont du SNU lui-même. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que de jeunes engagés en service civique puissent être mobilisés pour participer à la mise en œuvre du programme pHARe dans les écoles et les établissements – ce sont souvent ces jeunes qui parlent le mieux aux élèves de tels sujets.
La proposition de loi qui vous est soumise vient donc couronner cette dynamique générale.
Elle apporte une nouvelle pierre à l’édifice, en élargissant la base légale du harcèlement scolaire, que nous avions déjà commencé à poser via la loi pour une école de la confiance, et en créant un délit spécifique de harcèlement scolaire.
Sur plusieurs autres points, elle complète l’action engagée à travers le programme pHARe notamment. Je pense en particulier au rôle des associations, dont certaines ont participé activement à l’élaboration de ce dispositif.
Elle permet surtout, mesdames, messieurs les sénateurs, d’envoyer un message très clair à la Nation tout entière : non, le harcèlement n’a pas sa place dans nos établissements. Oui, l’école doit rester, selon la fameuse formule de Jean Zay, cet « asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ».
Durant ces cinq années, nous avons beaucoup fait pour l’égalité : école à 3 ans, classes dédoublées, opérations Devoirs faits et Vacances apprenantes, cités éducatives, internats d’excellence, petits-déjeuners gratuits… Nous avons beaucoup fait, également, pour la liberté : personnalisation des parcours, avec les réformes du lycée et de la voie professionnelle – offrant ainsi beaucoup plus de choix aux élèves –, refonte de l’orientation pour ouvrir le champ des possibles, autonomie accrue des établissements, création d’une fonction de directeur d’école – là aussi, le Sénat a pris toute sa part…
La liberté et l’égalité ont donc été des clés de notre politique scolaire.
Avec cette proposition de loi, on voit aussi que la troisième valeur de notre devise républicaine est au centre de l’action menée. Cette valeur si essentielle pour notre République, donc pour notre école, j’y ai fait référence pour évoquer le climat scolaire ; il s’agit bien sûr, vous l’avez compris, de la fraternité.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Olivier Paccaud, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre – nous sommes très heureux de vous retrouver au banc : quoique très bien représenté, vous nous avez beaucoup manqué voilà quinze jours ! –, mes chers collègues, à l’occasion de cet examen en nouvelle lecture de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire, permettez-moi de vous faire part, au nom de la commission, de satisfactions et de regrets.
Je commencerai par les points de satisfaction.
Le texte élaboré en première lecture par la Haute Assemblée est le fruit d’un travail consensuel. Il a rassemblé opposition et majorité sénatoriale autour d’un objectif commun : agir globalement pour lutter contre le harcèlement scolaire.
En septembre dernier, la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, présidée par notre collègue Sabine Van Heghe, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et dont la rapporteure était Colette Mélot, sénatrice du groupe Les Indépendants – République et Territoires, a adopté trente-cinq préconisations.
J’ai tenu, lors de l’élaboration du texte en première lecture, à m’appuyer le plus possible sur ces travaux et à reprendre les recommandations à portée législative du rapport. Ainsi de la prise en compte des témoins, du renforcement de la formation initiale et continue de l’ensemble des adultes d’un établissement, des actions résolues contre le cyberharcèlement ou encore de l’instauration d’une sensibilisation annuelle des élèves.
Ces travaux ont permis également d’éclairer nos débats sur l’opportunité de créer un délit spécifique de harcèlement scolaire.
Ce consensus transpartisan s’est également traduit dans les amendements que nous avons adoptés. Ils émanent de plusieurs groupes politiques, et notamment de l’opposition sénatoriale.
En voici quelques exemples : une vigilance particulière concernant la détection des cas de harcèlement lors des visites médicales scolaires – l’initiative en revient à Céline Brulin – ou une demande d’information quant à la prise en charge des frais de consultation et de soins pour les victimes et auteurs de harcèlement scolaire – le rapport ainsi demandé permettra notamment de dresser le bilan du « chèque psy » destiné aux mineurs et aux étudiants, annoncé par le Président de la République dans le cadre du confinement.
Autres exemples : une prise en compte de la lutte contre le harcèlement scolaire par le réseau des établissements français à l’étranger, l’obligation pour les réseaux sociaux de mieux sensibiliser leurs utilisateurs contre le cyberharcèlement.
Des amendements de la majorité sénatoriale ont été soutenus par l’opposition. Je pense à la possibilité de recruter les assistants d’éducation en contrat à durée indéterminée au bout de six ans ou encore à l’alerte que nous avons formulée concernant la nouvelle mission dévolue au réseau des œuvres universitaires – Toine Bourrat et Pierre Ouzoulias y étaient particulièrement sensibles.
Le Sénat avait proposé des assouplissements de la carte scolaire, ainsi que des modalités de recours à l’instruction en famille, pour les élèves victimes de harcèlement. Un élève harcelé qui quitte son établissement, c’est toujours une défaite de l’école, je l’ai dit et redit. Mais, dans certains cas, la poursuite de la scolarité dans l’établissement où il a été harcelé pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, n’est pas possible ou pas souhaitée par la victime.
Certes, la loi confortant le respect des principes de la République prévoit la possibilité de commencer rapidement l’instruction en famille d’un enfant victime de harcèlement scolaire, sans attendre l’autorisation de l’administration, qui peut prendre deux mois. Mais cette situation demeure transitoire. Le maintien dans l’instruction en famille nécessite que les parents présentent un projet pédagogique et justifient d’une capacité d’enseignement. L’enfant harcelé se retrouve, alors, dans une situation incertaine. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité aligner les conditions de recours à l’instruction en famille qui s’appliquent aux enfants harcelés sur celles qui s’appliquent aux enfants en situation de handicap, isolés ou en itinérance.
Ces assouplissements et dérogations, chers à Max Brisson, Bruno Retailleau, Pierre-Antoine Levi – j’aurais pu citer bien d’autres collègues –, sont pragmatiques et de bon sens.
Enfin, pour ce qui est du titre II, le Sénat a tiré les conséquences de deux récentes questions prioritaires de constitutionnalité relatives au cyberharcèlement – Jacqueline Eustache-Brinio les a brillamment présentées.
L’ensemble de ces éléments démontre une volonté commune des membres de la Haute Assemblée de voter un texte ambitieux, permettant une lutte globale contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement.
J’ai donc d’autant plus de regrets quant à l’échec de la commission mixte paritaire.
Deux points durs opposent le Sénat et l’Assemblée nationale : l’extension de la définition du harcèlement scolaire aux fins d’y inclure des faits commis par des adultes ; la création d’un délit spécifique de harcèlement scolaire.
Pourquoi ces deux dispositions nous posent-elles problème ? J’y reviendrai plus en détail à l’occasion de la présentation de la question préalable déposée par la commission. Voici néanmoins quelques éléments, afin de faire taire les rumeurs selon lesquelles le Sénat se serait opposé à un texte de lutte contre le harcèlement scolaire.
L’élargissement de la définition du harcèlement scolaire, monsieur le ministre, risque d’affaiblir l’institution scolaire, dans un contexte de défiance envers l’école. Le droit existant permet déjà de sanctionner pénalement et administrativement des actes de harcèlement commis par des adultes sur les élèves.
Quant au délit spécifique, son quantum de peine semble disproportionné et en définitive peu opérant. Quelle est la signification de peines si élevées, qui ne seront sans doute pas appliquées dans les faits ?
Nous étions prêts à un compromis sur l’un de ces points. Malheureusement, nos collègues députés n’étaient pas disposés à faire un pas vers nous pour que nous les retrouvions au milieu du gué.
Le texte a été examiné en nouvelle lecture le 10 février dernier à l’Assemblée nationale. Que reste-t-il de nos apports ? Trop peu de choses !
L’Assemblée nationale a bien entendu rétabli sa définition du harcèlement scolaire, ainsi que la création d’un délit pénal spécifique. Elle acte ses positions, qui divergent des nôtres, sur ces deux points essentiels pour le Sénat.
L’Assemblée nationale a également rejeté de très nombreuses dispositions que nous avions introduites.
Je pense au cyberharcèlement, dont vous venez de parler, monsieur le ministre, en évoquant l’application mobile nouvellement lancée : il me semble important qu’il soit mentionné explicitement, conjointement avec le harcèlement scolaire. Puisque ce texte se veut pédagogique, envoyons clairement un message de lutte contre ce fléau qui amplifie le harcèlement scolaire et ne laisse à la victime ni répit ni abri, pas même dans la sphère privée.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a refusé toute possibilité d’assouplissement des modalités de dérogation à la carte scolaire ou de recours à l’instruction en famille pour l’élève harcelé.
Elle a supprimé de la liste des personnes bénéficiant d’une formation initiale et continue à la prévention et à la lutte contre le harcèlement scolaire les titulaires d’un contrat d’engagement éducatif. Une telle mention aurait pourtant encouragé à la création d’un module consacré à cette thématique dans la préparation au brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA).
Enfin, l’Assemblée nationale n’a pas entendu notre alerte quant à la création d’une nouvelle mission pour le réseau des œuvres universitaires. Faute de financement pérenne, cette nouvelle mission risque de se transformer très rapidement en nouvelle charge financière. Espérons que des crédits budgétaires soient prévus dans le prochain budget afin de reconduire les 1 600 référents sur lesquels l’Assemblée compte pour la mise en œuvre de cette nouvelle mesure.
Malheureusement, les conditions ne sont pas réunies pour faire évoluer ce texte. Le manque d’ouverture de la part de l’Assemblée nationale est tout à la fois frappant et navrant.
S’agissant d’un sujet sociétal aussi important et d’un fléau dont l’éradication nécessite une mobilisation générale de la société, un tel texte aurait mérité une volonté de compromis, bien au-delà des postures politiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en première lecture, j’avais déjà souligné le caractère plus symbolique qu’opérant de cette proposition de loi. Ce sentiment se trouve amplifié en nouvelle lecture, malgré l’important travail accompli par le Sénat pour l’améliorer en profondeur.
La nécessaire mobilisation générale contre ce fléau qu’est le harcèlement scolaire, que l’existence des réseaux sociaux et des plateformes aggrave, mérite clairement que l’on fasse mieux.
Le calendrier imposé n’est pas non plus propice à un examen serein de cette proposition de loi et il est regrettable que l’ensemble, ou presque, des dispositions adoptées par le Sénat aient été balayées.
L’article 1er, en ne faisant aucune distinction entre le harcèlement entre élèves et le harcèlement impliquant des adultes, en intégrant les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) et en omettant de mentionner le cyberharcèlement, nous interpelle.
On ne saurait mettre sur un pied d’égalité des harceleurs mineurs et des adultes responsables détenteurs d’une autorité et soumis par ailleurs à un cadre statutaire strict.
M. Olivier Paccaud, rapporteur. Tout à fait !
Mme Céline Brulin. Pour ce qui est des Crous, on impose à un opérateur en difficulté budgétaire, dont les référents harcèlement ne seront plus financés à partir de septembre prochain, de remplir une mission que leur ministère de tutelle ne semble pas avoir songé à leur confier…
Notre critique principale concerne l’article 4, qui crée un délit pénal spécifique de harcèlement scolaire. Loin de le renforcer, on vient ainsi affaiblir l’arsenal juridique existant déjà étoffé, quitte, comme l’écrivait Colette Mélot dans son rapport, à « nuire à la nécessaire mobilisation générale ».
Nous ne comprenons pas la volonté des députés d’adopter un quantum de peine qui risque de n’être jamais appliqué tant il est disproportionné par rapport au droit commun. Oui, il faut mieux, beaucoup mieux lutter contre le harcèlement qui intervient dans le cadre scolaire en renforçant les instruments juridiques existant dans notre droit, en cohérence avec celui-ci. De ce point de vue, faire du harcèlement scolaire une circonstance aggravante du harcèlement nous semble particulièrement sensé.
Comme cela a été souligné, l’efficacité de la lutte contre le harcèlement scolaire passe par l’action systémique et conjuguée des différents acteurs de la communauté éducative. À ce propos, il manque dans cette proposition de loi des éléments centraux de la mobilisation contre le harcèlement : des moyens pour la médecine scolaire, l’amélioration de la prise en charge psychologique et psychique des élèves, la mise en sécurité d’urgence des élèves harcelés.
Le Sénat avait fait des propositions en ce sens. Je pense notamment à nos amendements sur la santé scolaire, qui est en grande difficulté dans nos établissements.
La formation est également indispensable pour aider les personnels de l’éducation nationale à repérer et à accompagner les victimes. À l’heure actuelle, un tiers seulement des enseignants se sentent suffisamment armés pour cela et 83 % d’entre eux indiquent n’avoir jamais reçu aucune formation ni information sur la détection du harcèlement scolaire et l’accompagnement des victimes.
Quant aux multiples enjeux qui doivent être abordés en éducation morale et civique – environnement, laïcité, lutte contre le harcèlement, et j’en passe –, leur énumération suffit à démontrer qu’il est impossible de les traiter véritablement sous cette forme. Même chose pour les comités d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement, dont le champ d’action ne cesse d’être élargi.
Enfin, le programme pHARe à peine généralisé, les dispositions de cette proposition de loi viennent en percuter les objectifs, sans rien améliorer.
Il est donc regrettable que nos deux chambres n’aient pas trouvé de terrain de conciliation sur ce sujet qui mérite pourtant notre pleine et entière mobilisation, un sujet d’intérêt général qui devrait tout particulièrement nous inciter à travailler de concert, comme vient de le rappeler notre rapporteur Olivier Paccaud, ce que la majorité présidentielle n’est visiblement pas prête à faire ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Claude Kern. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour une nouvelle lecture de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire.
Je souhaite exprimer ma déception quant à l’échec de la commission mixte paritaire sur un sujet qui s’annonçait pourtant transpartisan et ne prête guère à polémique.
Pour mémoire, le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement concernent entre 800 000 et 1 million d’enfants ; en d’autres termes, 6 % à 12 % des élèves subissent ou ont subi une forme de harcèlement au cours de leur scolarité. Chacun d’entre nous doit prendre conscience de cette réalité et mesurer le drame, individuel et collectif, que le harcèlement représente aujourd’hui pour l’école de la République. Nous parlons d’enfants ou d’adolescents durablement affectés par les menaces, les humiliations ou les violences physiques dont ils font l’objet.
Le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale comporte à nos yeux plusieurs écueils.
Le premier concerne le cyberharcèlement. Lors de l’examen du texte en première lecture au Sénat, nous nous étions attachés à y intégrer ce phénomène trop absent de la version issue des travaux de l’Assemblée nationale.
Le cyberharcèlement crée un continuum du harcèlement scolaire, via les réseaux sociaux, les tablettes ou les smartphones, ne laissant aucun répit aux victimes. Il amplifie également l’aspect « meute » du phénomène. Je rappelle que, selon les chiffres de la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, près d’un quart des collégiens y sont confrontés. Il est une facette importante du harcèlement scolaire et doit nécessairement être pris en compte si l’on veut traiter efficacement ce fléau.
Aussi le détricotage effectué par l’Assemblée nationale sur ce point nous paraît-il incompréhensible.
Le second point concerne la définition du harcèlement scolaire introduite par l’Assemblée nationale, qui a souhaité ne pas limiter le harcèlement scolaire à un harcèlement entre pairs.
Cette définition, incluant les adultes, est un très mauvais signal envoyé aux personnels de l’éducation nationale. Elle va à rebours des textes que nous avons défendus dans cet hémicycle – je pense par exemple à la proposition de loi créant la fonction de directeur d’école.
Cette définition ne fera que renforcer un climat de défiance de plus en plus insupportable pour les personnels de l’éducation nationale et déconstruire un peu plus l’autorité des professeurs.
Un autre point de désaccord majeur concerne la création d’un délit spécifique dans le code pénal. Nous ne sommes pas convaincus de la portée pédagogique de ce dispositif, qu’invoquent les députés, et craignons plutôt qu’il n’engendre une incohérence dans les peines applicables, voire une rupture d’égalité. Comme l’avait dit ma collègue Annick Billon lors de l’examen du texte en première lecture, ne laissons pas croire que la création d’un nouveau délit suffira à résoudre le problème. Si tel était le cas, nous aurions déjà pu le régler sur la base des textes existants.
Enfin, en supprimant du texte les articles 3 bis A, 3 bis B et 3 bis C, l’Assemblée nationale refuse toute possibilité d’assouplissement des dérogations à la carte scolaire, disposition défendue par nombre de nos collègues. Cet assouplissement nous semblait pourtant une mesure de bon sens. Cette possibilité leur étant refusée, les élèves victimes de harcèlement sont doublement victimes : ils n’ont parfois que la déscolarisation pour toute solution, ce qui les mène peu à peu à l’échec scolaire.
Pour conclure, je souhaite de nouveau saluer le travail de notre commission, du rapporteur, Olivier Paccaud, de la rapporteure pour avis du texte en première lecture, Jacqueline Eustache-Brinio, ainsi que celui de la mission d’information du Sénat sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement.
Nous regrettons que les recommandations de cette mission d’information n’aient pas été prises en compte dans l’élaboration du texte que nous examinons aujourd’hui.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste, dans sa très grande majorité, votera la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’exprimerai d’abord deux regrets.
Le premier porte sur l’issue non conclusive de la commission mixte paritaire. Pourtant, autour de cette grande table, les représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat n’étaient pas assis aux extrémités, mais bien face à face. Je pensais que, sur un sujet aussi grave, nous aurions pu trouver des points d’entente.
Le deuxième regret concerne le recours, désormais presque habituel, à la motion tendant à opposer la question préalable. Ce fut déjà le cas, hier, sur la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. Au sein du groupe du RDSE, nous ne pensons pas que le Sénat remplisse son rôle en renonçant constamment à débattre, à argumenter et à renvoyer systématiquement la décision finale à l’Assemblée nationale.
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
M. Bernard Fialaire. Le harcèlement scolaire est un fléau dont on estime qu’il touche un élève sur dix. Ce fléau continue de se répandre, malheureusement aidé par les outils numériques, le cyberharcèlement en étant l’une des formes les plus violentes. Il est favorisé par le silence des victimes, motivé souvent par la peur ou la honte et par le silence des témoins.
C’est pourquoi je me réjouis du choix de l’Assemblée nationale de conserver un apport du Sénat : l’intégration des témoins, aux côtés des victimes et des auteurs de harcèlement, dans les mesures prises par les établissements, afin de lutter contre le harcèlement scolaire.
Les députés ont également décidé d’inclure une formation à l’identification et à la prise en charge des témoins dans la formation initiale à destination des adultes à même d’être confrontés à des faits de harcèlement scolaire : personnels médicaux et paramédicaux, personnels de l’éducation nationale, travailleurs sociaux et animateurs, mais aussi policiers, gendarmes et magistrats.
Car, on le sait, le témoin est un personnage central du phénomène de harcèlement. Il s’agit d’un phénomène de groupe, et le harceleur trouve parfois son intérêt à harceler dans la présence de témoins, auditoire de l’humiliation qu’il fait subir.
Nous devons encourager cette démarche d’implication du témoin pour qu’à l’avenir il ne soit plus simplement passif, mais qu’il devienne un allié dans le combat mené contre ce mal meurtrier qu’est le harcèlement scolaire.
La définition même du harcèlement scolaire dans le code de l’éducation a été l’un des principaux points de désaccord.
Je ne crois pas qu’il faille exclure les adultes du champ du harcèlement scolaire.
L’article 1er de la proposition de loi consacre le droit à une scolarité ou à une formation sans harcèlement. C’est une affirmation qui se veut de portée générale, protégeant l’ensemble des élèves et des étudiants à l’égard de leurs pairs, mais aussi à l’égard de toutes les personnes travaillant au sein de l’établissement d’enseignement. Exclure une catégorie de personnes enverrait un message confus et affaiblirait la portée de cette affirmation.
Cette limitation a pu être motivée par une volonté de protéger les enseignants d’éventuels recours abusifs de la part d’élèves et de leurs familles. Au contraire, c’est bien un moyen de protéger les enseignants que de renvoyer les plaignants devant la justice, qui constituera un recours protecteur.
Le second élément de désaccord a été la création d’un délit autonome de harcèlement scolaire. Créer un délit spécifique, inscrit dans le code pénal, est un signal fort à destination des auteurs de harcèlement scolaire. Il peut déclencher une prise de conscience de la gravité des actes commis, surtout chez de jeunes auteurs.
Aussi, il est logique que le quantum de peine proposé ouvre la possibilité de poursuivre tout auteur de harcèlement scolaire sur une base unique, qui prend en compte la réalité des conséquences du harcèlement scolaire et sa gravité. Pour ma part, je salue donc le rétablissement de cette qualification pénale.
Le groupe du RDSE, conformément à sa tradition, votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Sabine Van Heghe. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sabine Van Heghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux vous dire ici ma forte déception face à l’absence d’accord en commission mixte paritaire sur cette proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire, dont j’ai salué le dépôt en première lecture et que nous n’avons eu de cesse d’améliorer durant la navette.
La responsabilité en incombe principalement à l’Assemblée nationale et à sa majorité, qui n’a absolument pas souhaité avancer vers des solutions de compromis. Cette attitude est à l’image de celle du Gouvernement, qui a, hélas ! fait peu de cas du rapport de la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, que j’ai eu l’honneur de présider, et dont la rapporteure était Colette Mélot.
Ce refus de prise en compte de notre rapport sénatorial et de ses trente-cinq propositions immédiatement applicables, tout comme ce désaccord en commission mixte paritaire, fait perdre de précieux jours alors qu’il y a urgence pour notre jeunesse.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a accueilli plutôt favorablement cette proposition de loi en première lecture, principalement comme outil de mobilisation de l’ensemble de la société face à ce fléau, sans ignorer cependant la portée purement symbolique de certaines dispositions de ce texte.
Le nerf de la guerre contre le harcèlement scolaire, ce sont les moyens octroyés à l’éducation nationale pour recruter davantage de médecins, d’infirmières, de psychologues scolaires. Je regrette l’insuffisance de ces moyens, monsieur le ministre, alors que ces acteurs sont en première ligne pour lutter contre le fléau du harcèlement scolaire, comme j’ai eu l’occasion de vous le dire lors de la présentation du rapport de notre mission sénatoriale.
Cette proposition de loi contient incontestablement des dispositions positives, comme la place donnée dans le code de l’éducation à la lutte contre le harcèlement scolaire, et l’extension de la définition du harcèlement scolaire au harcèlement universitaire.
Positifs aussi sont l’application des nouvelles dispositions de lutte contre le harcèlement aux établissements privés, le renforcement de la formation et de la sensibilisation de l’ensemble des personnels au contact des élèves, ou encore la saisie du matériel ayant servi au harcèlement.
Je regrette que l’Assemblée nationale n’ait pas accepté la réécriture de l’article 4 de ce texte, proposée par le Sénat sur l’initiative de la rapporteure pour avis de la commission des lois. En effet, nous ne sommes pas favorables à la création d’un délit spécifique de harcèlement scolaire, et nous trouvions que sa transformation en circonstance aggravante du délit de harcèlement était une bonne solution de compromis.
Le délit spécifique de harcèlement scolaire tel que l’Assemblée nationale le propose est assorti de peines particulièrement lourdes et totalement inapplicables. Notre mission d’information sénatoriale avait d’ailleurs préféré miser sur une meilleure prévention.
Autre regret, l’Assemblée nationale est revenue sur la rédaction de l’article 7 de la proposition de loi, en retirant l’ajout de notre groupe qui prévoyait un renforcement du concours des hébergeurs et fournisseurs d’accès à la lutte contre le harcèlement. Nous proposions la présentation périodique aux utilisateurs de vidéos de sensibilisation aux bons usages du numérique et à la prévention du cyberharcèlement, avec mention des peines encourues par les contrevenants et voies de recours pour les victimes, conformément aux préconisations de notre mission sénatoriale.
Quelques avancées proposées par le Sénat ont été conservées par l’Assemblée nationale, comme la prise en charge des témoins de faits de harcèlement au même titre que les victimes ou les auteurs, ou encore l’affirmation du rôle central des visites médicales dans l’identification des enfants victimes.
Je me félicite également de l’introduction au Sénat de dispositions permettant le recrutement des assistants d’éducation en contrat de travail à durée indéterminée (CDI) après six ans d’activité, tout en regrettant que cette mesure de bon sens ne s’applique pas aux accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH). C’est une différence de traitement injuste, incompréhensible et génératrice d’une colère légitime de ces personnels ô combien indispensables !
Notre groupe n’était pas en accord avec la totalité de la version sénatoriale de la proposition de loi.
Ainsi, nous n’étions pas favorables à l’ajout de dispositions concernant l’instruction en famille, le harcèlement scolaire pouvant servir de prétexte pour renforcer ce mode d’instruction que nous considérons comme inégalitaire.
Nous désapprouvions aussi l’exclusion du champ du texte des faits de harcèlement en provenance des enseignants ou du personnel des établissements : c’est un phénomène certes minoritaire, mais qui doit être considéré.
Nous saluons aussi le rétablissement de l’article 6, supprimé au Sénat, qui prévoit des stages de sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire dans le cadre de stages de citoyenneté ou de formation civique, comme le souhaitait notre mission sénatoriale.
Je suis sûre qu’il aurait été possible de conjuguer les apports positifs de l’Assemblée nationale et du Sénat sur ce texte, et je regrette que cela n’ait pas été possible, en grande partie – je le répète – du fait de l’attitude dogmatique de la majorité à l’Assemblée nationale.
Notre groupe ne votera pas la motion tendant à opposer la question préalable, car il est opposé par principe à l’arrêt des débats, en particulier sur ce sujet qui préoccupe fortement nos concitoyens et qui touche nos enfants. Il aurait préféré pouvoir débattre en détail des différents points que je viens d’évoquer et voter en faveur du texte élaboré par l’Assemblée nationale qui, malgré sa frilosité et son aspect abusivement répressif, constituait tout de même une avancée pour lutter contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire, nous examinons pour la dernière fois la proposition de loi de notre collègue député Erwan Balanant visant à combattre le harcèlement scolaire, déjà adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Rappelons quels sont les objectifs défendus dans ce texte : mieux prévenir le harcèlement scolaire ; mieux accompagner les victimes, mais aussi les témoins, ce qui constitue un ajout bienvenu du Sénat, car cette disposition manquait dans le texte initial ; mieux protéger les enfants et les jeunes adultes tout au long de leur parcours éducatif, de la maternelle jusqu’à la vie universitaire. Autant d’avancées nécessaires face à l’ampleur du phénomène et à sa gravité, puisque certaines victimes vont parfois jusqu’à se donner la mort.
Les enfants sont en effet toujours trop nombreux à être victimes de tels actes et à en souffrir, dans l’enceinte de l’établissement et/ou sur les réseaux sociaux.
Je tiens à saluer ici, une nouvelle fois, le travail de nos collègues Sabine Van Heghe et Colette Mélot dans le cadre de la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. Permettez-moi de citer un extrait de leur rapport : « Le harcèlement scolaire, surtout quand il est démultiplié par les réseaux sociaux, est un drame individuel, mais aussi collectif. Il bride la liberté individuelle, porte atteinte à l’égalité en droits et fracasse l’idéal de fraternité. »
Oui, chaque année, plus de 700 000 enfants sont cassés, abîmés par le harcèlement scolaire. C’est ce chiffre effroyable que rappelle sur son site l’association Les Papillons. Ces enfants peuvent être les nôtres, nos nièces, nos neveux, nos cousins, nos voisins. Nous sommes toutes et tous concernés et touchés.
Je le disais en première lecture, qui d’entre nous regarderait son enfant se débattre dans ses cauchemars, dans ses peurs, perdre confiance en lui et dans les adultes ? Nous nous devons d’agir et beaucoup a été fait depuis 2017, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.
Dans la continuité de ces actions, notre groupe avait souhaité inscrire ce texte à son ordre du jour réservé. Nous avions déposé plusieurs amendements de rétablissement en première lecture, ici même en séance publique, car la version initiale du texte, votée de façon transpartisane par l’Assemblée nationale, nous semblait plus efficace.
Parmi les dispositions adoptées en commission au Sénat, nous avions notamment regretté l’exclusion des adultes de la définition du harcèlement scolaire, et sa limitation aux pairs, de même que la suppression du délit autonome de harcèlement scolaire et sa transformation en circonstance aggravante.
Nous sommes favorables à l’intégration d’une mention explicite, dans le code pénal, de la sanction du harcèlement scolaire et universitaire en tant que tel. Et nous sommes donc favorables à son rétablissement par l’Assemblée nationale.
Nous partageons également pleinement le maintien à l’Assemblée nationale de l’article 3 quater, introduit cette fois au Sénat par Mme Toine Bourrat et plusieurs de nos collègues. Celui-ci vise à modifier l’article du code de l’éducation relatif aux conditions de recrutement et d’emploi des assistants d’éducation. Il prévoit ainsi la définition par décret des conditions dans lesquelles l’État peut conclure un contrat à durée indéterminée avec un assistant d’éducation (AED). C’est une avancée importante que nous approuvons.
Enfin, nous ne voterons pas la motion tendant à opposer la question préalable, puisque nous n’en partageons pas l’objet, mais il est exact, au regard des conclusions de la commission mixte paritaire et de son déroulement, que de nouvelles avancées semblent compromises.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’enfance est un territoire fragile et s’il est un lieu qui devrait être un sanctuaire pour nos enfants, c’est bien l’école, lieu de transmission des savoirs et de socialisation.
Entre 800 000 et 1 million d’élèves sont victimes chaque année en France de harcèlement scolaire. Pour ces enfants, le havre se transforme en geôle et l’étau se resserre parfois jusqu’à la mort. En 2021, vingt-deux enfants sont décédés des suites de harcèlement.
Agir contre la violence, c’est semer les graines d’une société de la bienveillance dans laquelle le respect de l’autre accompagne le respect de soi-même, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre.
Cette proposition de loi est le fruit du travail mené par Erwan Balanant, dans le cadre de la mission gouvernementale qui lui a été confiée. En tant que rapporteure de la mission sénatoriale contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, présidée par Sabine Van Heghe, j’ai bien sûr examiné cette initiative avec le plus grand intérêt.
Je regrette que le cyberharcèlement, qui prend le plus souvent naissance dans le harcèlement à l’école, en l’amplifiant, ait disparu du texte, alors que cette dimension dématérialisée prend une ampleur grandissante. Il est impossible, au XXIe siècle, de dissocier harcèlement scolaire et cyberharcèlement – M. le ministre l’a souligné et M. le rapporteur, Olivier Paccaud, a insisté sur ce point.
Si notre rapport n’a pas emprunté la voie de la réponse judiciaire, la demande de création d’un délit autonome de harcèlement scolaire vient d’une volonté des acteurs de terrain, confrontés chaque jour à cette violence insupportable. Nous pouvons le comprendre.
Mon souhait est pourtant de favoriser autant que possible la prévention, la détection et le traitement des situations de harcèlement scolaire.
Cette proposition de loi intègre une partie des propositions de la mission d’information sénatoriale : le stage de sensibilisation, la formation des professionnels et la mise à contribution des plateformes, notamment.
L’État n’est pas seul à bord. L’ensemble de la société doit se mobiliser. Pour cela, je souhaite que le prochain gouvernement érige la lutte contre la violence à l’école en grande cause nationale.
Nous devons agir plus particulièrement sur « le dernier kilomètre », en utilisant sur le terrain des dispositifs existants. Sensibiliser les élèves, les enseignants et les parents dès la rentrée scolaire me paraît primordial. La médecine scolaire a un rôle central à jouer dans la détection des situations de harcèlement. Or la pénurie de médecins qui touche de nombreux territoires entrave l’accès à la santé physique et psychologique de nombreux élèves.
Nous devons aussi prendre en charge l’après-harcèlement, en favorisant le remboursement d’un panier de soins indispensables pour accompagner les élèves victimes. Des stages pour renforcer l’estime de soi et apprendre des techniques de négociation et de gestion des conflits pourraient être proposés à ces élèves.
Nous devons progresser ensemble, en nous inspirant des initiatives vertueuses, aux échelles locale, nationale et européenne. Placer la parole et la confiance au centre des apprentissages, faire en sorte que le chemin de l’école soit celui du vivre ensemble, retrouver le sens de notre destin collectif, telle est la ligne d’horizon qui doit nous guider, avec une seule certitude : la honte doit changer de camp, pour que la jeunesse reste ce champ des possibles dans lequel chacun peut trouver sa place, grandir, étudier, s’épanouir dans le respect des valeurs qui fondent notre République.
Ne nous trompons donc pas de cible en tombant dans un arbitrage politique !
En dépit des réserves qui sont les miennes et parce que tous les outils doivent être actionnés afin d’éradiquer un fléau sans pitié, au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires, je voterai contre la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la commission.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rapporteure pour avis lors de la première lecture de la proposition de loi qui nous réunit ce matin, j’ai pu auditionner les représentants d’associations de défense des victimes du harcèlement scolaire et je tiens à leur manifester tout mon soutien, tout comme je pense à ces jeunes enfants et adolescents victimes, harcelés par leurs pairs et qui vivent l’enfer.
Rappelons que la mission d’information du Sénat sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, présidée par notre collègue Sabine Van Heghe et dont la rapporteure était Colette Mélot, avait souligné en septembre dernier la nécessité d’une prise de conscience et d’une action rapides face à l’ampleur de ce phénomène.
Selon les chiffres donnés par cette mission, 6 % à 10 % des élèves subiraient une forme de harcèlement au cours de leur scolarité, et un quart des collégiens seraient confrontés à du cyberharcèlement. Au total, chaque année, entre 800 000 et 1 million d’enfants seraient victimes de harcèlement scolaire. Terrible constat !
Il est de notre devoir de lutter contre toutes les formes de harcèlement, et notamment le cyberharcèlement, qui prend une place de plus en plus importante dans notre société. Mais n’oublions pas que la priorité est d’éduquer ces jeunes afin qu’ils respectent leurs camarades, et d’aider à la libération de la parole afin que toute violence verbale, physique, psychologique ou numérique soit dénoncée. Pour ce faire, le rôle des parents est primordial.
Je tiens à revenir sur le point majeur d’achoppement avec nos collègues de l’Assemblée nationale lors de la commission mixte paritaire, et plus particulièrement sur le titre II de la proposition de loi, dont la commission des lois s’était saisie.
Tout en partageant, bien entendu, le souhait d’améliorer le droit pénal pour lutter contre le harcèlement scolaire, la commission a suivi les orientations de la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, et refusé l’inscription dans la loi d’un délit autonome de harcèlement scolaire.
Nous ne négligeons pas l’enjeu symbolique, mais le champ de l’infraction spécifique et le quantum de peine proposé nous ont paru problématiques et surdimensionnés. Nous avons néanmoins reconnu l’importance de réprimer les faits de harcèlement qui interviennent dans les établissements d’enseignement, donc scolaires ou universitaires. Mais, en cohérence avec la position de la commission de la culture du Sénat et de son rapporteur, Olivier Paccaud, nous les avons limités aux faits de harcèlements entre pairs.
Il est regrettable que les députés se soient opposés à la rédaction du Sénat concernant les personnes susceptibles de commettre l’infraction de harcèlement scolaire.
Le Sénat refuse l’inclusion dans la définition du harcèlement scolaire des faits commis sur un enfant par un adulte, pour la simple et bonne raison qu’ils sont déjà inscrits dans la loi.
Par ailleurs, l’extension aux adultes, prévue par l’article 1er initial de la proposition de loi, risquerait de provoquer une instrumentalisation du délit de harcèlement par des élèves ou des parents d’élèves en conflit avec l’enseignant, et de contribuer à l’affaiblissement de l’autorité de ce dernier.
Lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance, le Gouvernement et la commission avaient d’ailleurs été défavorables à l’inclusion dans la définition du harcèlement scolaire de faits commis par des adultes.
Le Sénat, dans sa très grande majorité, a donc souhaité réintégrer le harcèlement dans les établissements d’enseignement comme une circonstance aggravante du délit général de harcèlement prévu par le droit existant. Même si notre objectif est le même et si les autres divergences qui existent sur le titre II ne sont pas essentielles, notre désaccord sur la question du délit spécifique est majeur.
Nous regrettons que le Gouvernement et l’Assemblée nationale n’aient pas entendu, une nouvelle fois, la voix du bon sens. Est-il nécessaire de surlégiférer en permanence ? Pourquoi ne pas simplement compléter le droit existant ?
C’est pour ces raisons, entre autres, que notre groupe a décidé, à juste titre, de soutenir la motion tendant à opposer la question préalable déposée par M. le rapporteur.
Avant de conclure, je souhaite attirer votre attention sur la question spécifique du cyberharcèlement.
Je tiens à saluer le lancement, le 8 février dernier, de l’application 3018 visant à lutter contre le cyberharcèlement. C’est un premier pas, mais, dans le combat contre le cyberharcèlement, la France ne peut agir seule. L’Europe doit se saisir de ce sujet grave et inciter les plateformes à jouer leur rôle dans la lutte contre cette violence quotidienne et sournoise.
Les plateformes ont le devoir de prévenir ces faits et d’augmenter leur réactivité pour retirer les contenus participant au cyberharcèlement…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. La présidence française du Conseil de l’Union européenne pourrait être l’occasion de prendre ce sujet à bras-le-corps.
Les voyages diplomatiques du Président sont nécessaires, mais trouver des solutions concrètes à ce problème de société me paraît également prioritaire. Profitons de ce semestre pour montrer l’exemple ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. Mes chers collègues, nous poursuivrons l’examen de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire à la reprise de la séance.
6
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – dix-huit voix pour, deux contre – à la reconduction de M. François Jacq aux fonctions d’administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.
8
Combat contre le harcèlement scolaire
Suite de la discussion en nouvelle lecture et rejet d’une proposition de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à combattre le harcèlement scolaire.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 700 000 élèves sont chaque année victimes de harcèlement scolaire et 10 % des élèves y font face au moins une fois dans leur scolarité. Le harcèlement scolaire est bien un fléau pour notre pays.
Des cours d’école, en passant par les réseaux sociaux et jusqu’aux jeux vidéo, les victimes n’ont aucun répit, avec parfois des conséquences terribles et définitives. Ces drames nous obligent et nous devons leur apporter une réponse. Tel est l’objet de cette proposition de loi.
Fruit des travaux d’Erwan Balanant à l’Assemblée nationale, ce texte reconnaît tout d’abord un nouveau droit, un principe essentiel : une scolarité sans harcèlement.
Pour faire respecter ce droit, un nouveau délit de harcèlement scolaire est créé, assorti d’un quantum de sanction très élevé : entre trois ans et dix ans d’emprisonnement et 45 000 euros à 150 000 euros d’amende selon la gravité. C’est sur ce point particulier que porte en grande partie le désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Notre Haute Assemblée a fait le choix de ne pas créer de délit spécifique, mais d’intégrer le harcèlement scolaire comme circonstance aggravante du harcèlement moral. Nous avions soutenu, en première lecture, cette réécriture et nous n’avons pas changé de ligne.
Nous considérions que le quantum de peine applicable à ce délit de harcèlement était beaucoup trop élevé pour des mineurs, surtout lorsque le harcèlement est un phénomène de groupe. Ces peines seraient quasiment inapplicables.
Nous comprenons que l’Assemblée nationale ait l’ambition de permettre, avec ce nouveau délit, une meilleure caractérisation des spécificités de ces agressions par les forces de l’ordre et d’attirer encore davantage l’attention de la société, des élèves et de la communauté éducative sur le sujet, mais nous estimons que l’enjeu réside plutôt dans la formation de tous les acteurs concernés, l’identification, la détection et la prévention.
Comme je l’ai dit en première lecture – certains l’ont également dit ce matin –, l’état de délabrement de la médecine scolaire dans notre pays est un frein à ce processus. Les médecins, infirmiers et infirmières scolaires pourraient être les vigies qui nous manquent tant.
Avec un peu moins de 1 000 médecins scolaires et 7 700 infirmiers et infirmières scolaires pour 12,5 millions d’élèves, soit un médecin pour 14 000 élèves et un infirmier ou une infirmière pour 1 600 élèves, cette tâche est tout simplement impossible.
D’autres désaccords entre les deux chambres ont vu le jour, notamment sur la reconnaissance claire du cyberharcèlement, dont l’Assemblée nationale ne veut pas, ou encore sur les informations du tissu associatif, l’implication des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) ou les stages de responsabilisation à la vie scolaire, dont le Sénat ne veut pas.
Mais c’est la suppression du délit de harcèlement qui a provoqué le plus d’incompréhension, surtout chez certaines associations de victimes. Il aurait été plus sain et salutaire de continuer à en débattre lors de cette nouvelle lecture, mais notre rapporteur a déposé une motion tendant à opposer la question préalable sur ce texte – nous le déplorons.
Refuser le débat n’est jamais une solution, surtout sur des sujets aussi graves et sensibles. Nous aurions souhaité discuter de ce texte, confronter les visions des deux chambres pour lever ambiguïtés et incompréhensions. Nous aurions pu voter le texte de l’Assemblée nationale, même imparfait et trop répressif.
C’est pourquoi nous voterons contre cette motion.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains est évidemment favorable à toutes les mesures visant à renforcer la lutte contre le harcèlement scolaire qui demeure trop souvent caché, silencieux, et dont les conséquences sont destructrices.
Conscient de ce sujet préoccupant, le Sénat avait d’ailleurs diligenté une mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. C’est fort de ce travail que nous avons adopté plusieurs mesures concrètes et opérationnelles à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, mais force est de constater que l’Assemblée nationale, en refusant d’y accéder, s’est contentée de conférer au texte une valeur symbolique.
Comme vous le savez, la commission mixte paritaire a échoué sur un point d’achoppement majeur pour nous : la création d’un délit spécifique de harcèlement scolaire qui viserait aussi bien les élèves que les adultes travaillant au sein de l’établissement.
Nous estimons qu’il n’y a pas lieu de viser des adultes comme de potentiels auteurs de cette infraction. C’est d’ailleurs un point, monsieur le ministre, sur lequel le Gouvernement s’était également déclaré défavorable lors des discussions sur le projet de loi pour une école de la confiance.
Il nous semble tout d’abord évident que des menaces ou abus éventuels d’un adulte sur un élève ne relèvent pas du même type de situation que le harcèlement qui peut exister entre élèves. De plus, les éventuels actes de malveillance commis par des personnels adultes au sein de l’établissement scolaire sont d’ores et déjà réprimés pénalement ou sanctionnés sur le plan administratif et disciplinaire.
Ensuite, avec cette disposition, nous pouvons nous interroger sur le sens du message envoyé aux enseignants à un moment où leur autorité est souvent remise en question, tant par des élèves que par des parents. Nous le constatons, les parents sont de plus en plus prompts à intervenir dans le quotidien scolaire des enfants ; alors, à partir de combien de mauvaises notes ou de punitions pour devoirs non faits certains parents vont-ils évoquer un harcèlement ?
Ainsi, mes chers collègues, je crains fort que la nouvelle définition n’ouvre la porte à toutes les dérives et n’envoie aux équipes pédagogiques un bien mauvais signal.
Finalement, la création d’un délit spécifique de harcèlement scolaire est la disposition centrale du texte. Sur ce point, nous rencontrons un nouveau désaccord. En effet, la loi consacre déjà le droit à une scolarité sans harcèlement et organise l’arsenal juridique nécessaire : dans ces conditions, pourquoi une telle surenchère ?
Au-delà de sa valeur symbolique, ce texte semble surtout avoir une valeur politique à l’approche d’échéances électorales importantes… Dans ces conditions, parvenir à un texte commun semblait bien difficile.
Si le maintien de l’enfant dans son milieu scolaire est par principe la voie à privilégier, il peut être nécessaire, voire indispensable, au regard de son état psychologique, de l’éloigner au plus vite. C’est pourquoi j’avais personnellement proposé de mettre rapidement à l’abri un enfant en danger, en permettant aux parents de recourir en cours d’année à l’instruction en famille ou à l’enseignement à distance.
Dans le même esprit, nous avions élargi les conditions d’une déscolarisation d’urgence en cas de plainte déposée et nous avions fixé la nécessaire prise en considération de la parole de l’enfant.
Hélas, ces dispositions ont été supprimées en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale.
L’examen du texte par le Sénat aura néanmoins permis plusieurs avancées : le dépistage du harcèlement par les visites médicales obligatoires ou encore la reconnaissance de l’importance du travail des assistants d’éducation.
Quant au cyberharcèlement, hélas partie intégrante de la vie des élèves, il est regrettable que les députés aient supprimé la plupart de nos apports.
Vous l’avez compris, nous ne sommes pas satisfaits de ce texte, dont les avancées restent trop limitées. Nous ne pouvons qu’acter et regretter la disparition des améliorations que nous avions apportées et notre désaccord sur deux points fondamentaux : la mise en cause des enseignants et la création d’un délit spécifique. Pour ces raisons, nous soutiendrons la motion tendant à opposer la question préalable.
Je suis par ailleurs convaincu que l’efficacité de la lutte contre le harcèlement scolaire repose moins sur une intervention législative que sur des mesures de terrain et des moyens pour les mettre en œuvre. Que dire du manque criant de médecins scolaires, d’infirmières, de psychologues, pourtant les plus à même de repérer la détresse de l’enfant ? Ce sujet est pour moi essentiel, il est la première réponse que le Gouvernement aurait dû apporter en matière de prévention et de lutte contre le harcèlement.
C’est donc avec un sentiment d’inachevé, malgré la qualité du travail réalisé par Jacqueline Eustache-Brinio et Olivier Paccaud, que nous suivrons nos rapporteurs en actant le fait qu’il n’y a pas lieu de poursuivre l’examen de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Paccaud, au nom de la commission, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à combattre le harcèlement scolaire (n° 480, 2021-2022).
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous souhaitons tous une lutte renforcée contre le harcèlement scolaire, intégrant toutes ses dimensions, avec des mesures efficaces, compréhensibles et donc acceptables par les élèves.
C’est pourquoi la commission a fait le choix de déposer cette motion. En effet, nous estimons que ce texte rate sa cible.
À l’article 1er, l’Assemblée nationale a fait le choix de rétablir sa définition du harcèlement scolaire, incluant les faits commis par un adulte à l’encontre d’un élève.
De manière constante, le Sénat s’est opposé à cette extension du périmètre du harcèlement scolaire. Est-ce à dire que nous sommes opposés à une sanction pour de tels agissements lorsqu’ils sont reprochés à un adulte ? Évidemment non, mais le droit actuel permet déjà de sanctionner administrativement et pénalement un adulte commettant de tels actes.
En revanche, dans le contexte actuel de défiance de la société envers l’institution scolaire, comme vient de le dire Max Brisson, cette extension du périmètre participe à l’affaiblissement de l’école. Aujourd’hui, un enseignant sur quatre se demande s’il n’aurait pas mieux fait de choisir une autre voie professionnelle que l’enseignement, monsieur le ministre. Alors que les enseignants se plaignent régulièrement d’un manque de soutien de leur hiérarchie – ce « pas de vague » que votre ministère dit combattre, mais dont ils ont du mal à voir la traduction au quotidien –, quel message cette nouvelle définition du harcèlement scolaire envoie-t-elle ? Celui d’une suspicion généralisée à l’égard des personnels de l’éducation nationale !
Je regrette vivement le revirement du Gouvernement sur ce sujet.
En effet, monsieur le ministre, vous déclariez ici même, il y a à peine trois ans, à l’occasion de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance : « Il est bon de distinguer les faits qui relèvent de l’action d’élèves envers d’autres élèves, autrement dit de mineurs envers d’autres mineurs, de ceux qui relèvent de l’action d’adultes vis-à-vis de mineurs. C’est un problème distinct, qui ne s’apparente pas forcément au harcèlement. Nous n’avons pas intérêt à mettre ces actions répréhensibles sur le même plan. » Vous parliez d’or !
Mais il y a quinze jours, lors de la première lecture de la présente proposition de loi, la position de Mme Moreno, qui vous représentait, était tout autre : « L’enjeu de cette proposition de loi est de protéger les enfants contre le harcèlement, quel qu’il soit, quelle que soit la personne ayant commis les faits de harcèlement, qu’il s’agisse d’un autre élève ou d’un professionnel qui travaillerait au sein de l’établissement. »
Comment expliquer ce virage à 180 degrés ? Y aurait-il eu une forte hausse en deux ans du nombre d’adultes travaillant dans un établissement scolaire et soupçonnés de participer à des phénomènes de harcèlement ?
Les auditions que j’ai pu mener dans le cadre des travaux de la commission sur cette proposition de loi disent toutes le contraire. En revanche, cette nouvelle définition participe à l’affaiblissement de l’autorité du professeur. Une boîte de Pandore est ouverte !
J’en viens maintenant au deuxième point de divergence majeur avec l’Assemblée nationale : la création d’un délit spécifique, prévue à l’article 4 de la proposition de loi.
L’Assemblée nationale, par la voix de son rapporteur, souhaite cette création pour deux raisons. La première est un objectif pédagogique : selon notre collègue député Erwan Balanant, « pour protéger, il faut définir un interdit, fonction nécessaire à toute société et dévolue au code pénal ». La seconde est un objectif statistique de suivi des plaintes pour harcèlement scolaire.
Le Sénat partage ces préoccupations. D’ailleurs, la rédaction que nous avions adoptée en première lecture permettait de répondre sur ces deux points.
La création d’une circonstance aggravante en cas de harcèlement d’un élève ou étudiant par l’un de ses pairs au sein d’un établissement d’enseignement, telle que la proposaient nos collègues de la commission des lois, permettait à la fois d’affirmer un interdit clair, compréhensible par un mineur, et de disposer de statistiques.
J’ai pu le constater à l’occasion de l’audition de représentants de la Chancellerie par ma collègue Jacqueline Eustache-Brinio dans le cadre des travaux préparatoires à l’examen de ce texte. En effet, ils ont été en mesure de nous indiquer le nombre de dépôts de plainte pour harcèlement sur un mineur de 15 ans, soit la deuxième circonstance aggravante de l’actuel article relatif au harcèlement – il y en a eu 35 en 2018.
La Chancellerie aurait été tout aussi capable de disposer de statistiques sur la circonstance aggravante de harcèlement commis sur un élève ou un étudiant par toute personne étudiant au sein du même établissement d’enseignement, que nous proposions de créer.
Le texte de l’article 4, rétabli par l’Assemblée nationale, durcit fortement les peines applicables : nous proposions une peine pouvant aller, selon les circonstances, jusqu’à deux ans à trois ans d’emprisonnement et 30 000 euros à 45 000 euros d’amende en cas de harcèlement au sein d’un établissement scolaire. Le texte de l’Assemblée nationale prévoit des peines beaucoup plus lourdes : de trois ans jusqu’à dix ans d’emprisonnement et de 45 000 euros à 150 000 euros d’amende.
Quelle signification ont de tels quantums de peine pour des harceleurs qui sont, dans la plupart des cas, mineurs – Thomas Dossus l’a rappelé ?
Quel message pour les victimes et leur famille, lorsque les tribunaux n’appliqueront pas ce quantum de peine qui est disproportionné ? La mission d’information alertait sur le risque de créer un « tigre de papier » avec ce délit spécifique. Ce risque est d’autant plus fort avec des peines aussi élevées.
Par ailleurs, ce quantum de peine interroge profondément sur les ruptures d’égalité entre auteurs de faits aux conséquences similaires. Le harcèlement commis sur un enfant lors d’activités périscolaires par ses camarades de club de sport ou encore par des jeunes de l’établissement scolaire voisin fréquentant les mêmes transports en commun au quotidien serait donc moins puni que les mêmes faits commis par des élèves de son établissement scolaire…
Pourquoi le cyberharcèlement serait-il plus grave, lorsqu’il est réalisé par un jeune fréquentant le même établissement scolaire que la victime, même si le harceleur et le harcelé ne se connaissent pas dans le monde réel ?
Où est la cohérence, lorsque l’incitation au suicide ou l’homicide involontaire sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, alors que les faits conduisant au suicide ou à la tentative de suicide en cas de harcèlement scolaire seraient punis de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende ? Quel message transmettent ces comparaisons en termes d’interdits sociétaux ?
Sur ces deux points – définition du harcèlement scolaire et création d’un délit spécifique –, le Sénat était ouvert à un compromis en commission mixte paritaire. Malheureusement, ce n’était pas le cas de l’Assemblée nationale – le rétablissement de son texte en nouvelle lecture en témoigne.
J’en viens maintenant au cyberharcèlement, dont vous avez parlé, monsieur le ministre. Nous avions enrichi le texte en première lecture afin que la prévention et la lutte contre le cyberharcèlement soient spécifiquement mentionnées dans ce texte au moment de la formation initiale et continue, dans les mesures que doivent prendre les établissements scolaires face à ce fléau ou encore lors de l’information annuelle délivrée aux élèves et aux familles.
L’Assemblée nationale a supprimé toute mention du cyberharcèlement, sauf à l’occasion de cette sensibilisation annuelle des élèves et des parents d’élèves. Selon le rapporteur de l’Assemblée nationale, mentionner le cyberharcèlement au côté du harcèlement scolaire serait davantage une source de confusion que de sécurité pour les élèves.
Toutes celles et tous ceux qui ont participé aux travaux de notre mission d’information ont abouti à la conclusion contraire et je ne partage pas du tout le point de vue du rapporteur de l’Assemblée nationale. La mission sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement a montré combien il est urgent de s’attaquer à ce problème. Vous avez d’ailleurs commencé à le faire, monsieur le ministre, avec le lancement de l’application dont vous nous avez parlé.
Un quart des collégiens seraient confrontés au cyberharcèlement ; il est très souvent à connotation sexuelle ou physique et les filles y sont cinq à six fois plus confrontées que les garçons.
En outre, ce cyberharcèlement se diffuse désormais dans l’enseignement primaire, avec l’abaissement de l’âge de possession du premier smartphone et d’inscription sur les réseaux sociaux. Ne pas faire référence au cyberharcèlement dans un texte qui se veut pédagogique, c’est minorer la réalité !
Je m’interroge également sur la rédaction de l’Assemblée nationale qui limite la mention du cyberharcèlement à cette information annuelle des élèves et des parents, comme si ce phénomène relevait uniquement de la sphère privée et ne concernait pas l’institution scolaire.
Les travaux de la mission d’information étaient pourtant explicites : « Ce serait une erreur de penser que le cyberharcèlement n’a pas de lien avec l’institution scolaire et ne doit donc pas être combattu par l’école. » La mission sénatoriale appelait également au développement d’un « savoir-être » plutôt que d’un « savoir-faire », rapidement obsolète en raison de la course constante aux innovations techniques et de l’émergence de nouveaux réseaux sociaux. Cela concerne les élèves et leurs parents, mais aussi l’ensemble du personnel de l’éducation nationale.
Hasard du calendrier, la semaine où l’Assemblée nationale minorait la mention du cyberharcèlement dans ce texte, vous annonciez, monsieur le ministre, depuis un établissement scolaire, le lancement d’une application dédiée à la lutte contre le cyberharcèlement dans le cadre du Safer Internet Day – j’aurais préféré que le nom de cette journée soit en français… Le but de cette application : faire en sorte que « chaque élève puisse signaler un cyberharcèlement ».
Harcèlement scolaire et cyberharcèlement sont présentés côte à côte dans vos déclarations, monsieur le ministre. Il est regrettable que ce soit trop peu le cas dans ce texte. Le Sénat avait même décidé que le titre de la proposition de loi devait inclure le mot cyberharcèlement.
D’autres rétablissements en nouvelle lecture de dispositions adoptées par l’Assemblée nationale sont regrettables. Je pense à la création d’une nouvelle mission pour le réseau des œuvres universitaires ; notre alerte sur le financement de cette mission n’a malheureusement pas été entendue.
Les désaccords sont persistants et portent sur des dispositions majeures. Du fait du rétablissement par nos collègues députés de leur texte sur ces points, la commission de la culture considère qu’un nouvel examen détaillé de la proposition de loi ne permettrait pas de rapprocher les points de vue de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Pour toutes les raisons que je viens de vous indiquer, la commission propose à la Haute Assemblée d’adopter la présente motion tendant à opposer la question préalable sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Claude Kern applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Défavorable, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Toine Bourrat, pour explication de vote.
Mme Toine Bourrat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en soutenant cette motion, le groupe Les Républicains veut exprimer une ambition déçue, et non une obstruction, car jamais l’obstruction n’a été dans l’ADN du Sénat, encore moins sur ce texte.
Il est à cet égard tout à fait regrettable que la commission mixte paritaire du 1er février n’ait pas abouti, alors que le Sénat, s’inspirant des contributions de sa mission d’information, avait enrichi le texte dans un souci d’efficacité.
In fine, l’une des seules avancées substantielles conservées dans le texte final concerne les assistants d’éducation, acteurs incontournables de la lutte contre le harcèlement scolaire : ils se verront proposer un contrat à durée indéterminée au terme de leur engagement contractuel de six ans.
Mais le texte issu de la nouvelle lecture ne prend pas suffisamment en compte le cyberharcèlement. Son effacement sémantique est un très mauvais signal, surtout au regard de la réalité des chiffres : 73 % des moins de 13 ans possèdent un compte sur un réseau social et 9 932 procédures pénales ont été ouvertes pour des mineurs victimes de faits commis sur internet.
Pis, mes chers collègues, au risque de répéter ce qui a déjà été dit, ce texte institue une définition du harcèlement scolaire potentiellement ravageuse pour l’autorité du maître et du professeur. Comment comprendre que, sur la caractérisation même de ce mal, la première chambre s’enferre dans une posture, au détriment de la sécurité des adultes enseignants ? Comment tolérer, dans un contexte hélas marqué par un mouvement de sape de toute autorité, l’ouverture d’une telle brèche dans une institution scolaire dont l’autorité s’effrite chaque jour davantage ?
L’inclusion dans la définition du harcèlement scolaire des faits commis sur un enfant par un adulte n’est ni juste ni pertinente, car elle ouvre la voie à d’irrémédiables abus, des abus qui noieront les voix des vraies victimes dans un ballet de dénonciations hasardeuses et qui empêcheront les garants de l’autorité, qui sont pourtant le seul salut des victimes, d’agir.
Nous ne votons donc pas cette motion tendant à opposer la question préalable dans un esprit chagrin, polémique ou vindicatif, mais devant l’implacabilité de cette nouvelle lecture, il nous fallait faire preuve de responsabilité.
Il n’est plus l’heure d’étendre nos discussions, car ce texte, quoique imparfait, doit entrer en vigueur au plus vite. Il aurait été préférable que les deux chambres trouvent un consensus ; vous ne l’avez pas permis, monsieur le ministre – dont acte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais rappeler les réserves que j’ai exprimées lors de la discussion générale, concernant notamment la reconnaissance du cyberharcèlement.
Je rejoins le rapporteur de la commission sur le fait que le cyberharcèlement est un sujet extrêmement important. Il faut bien comprendre que l’enfant qui est harcelé à l’école continuera de l’être, via son smartphone ou sa tablette, lorsqu’il rentrera chez lui. Le fait que nos collègues de l’Assemblée nationale n’aient pas accepté que le cyberharcèlement soit davantage mentionné est extrêmement grave.
Par ailleurs, la création d’un délit spécifique n’est pas tout à fait conforme aux conclusions de la mission sénatoriale d’information, alors que le triptyque « prévenir-détecter-traiter » était au cœur de nos travaux.
En dépit de ces réserves, le groupe Les Indépendants votera contre la motion tendant à opposer la question préalable. D’une façon générale, mes collègues et moi-même sommes opposés ce type de motion qui interrompt le débat. C’est d’autant plus problématique ici que la lutte contre le harcèlement est un sujet qui mérite toute notre attention et que nous devons trouver les moyens d’avancer. Je regrette cette situation.
Nous voterons contre cette motion.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera pour cette motion tendant à opposer la question préalable.
Mais plus nous avançons dans ce débat, plus je m’interroge sur les motivations profondes qui ont fait que la commission mixte paritaire n’ait pas abouti à un accord. J’ajoute que l’absence d’arguments avancés par M. le ministre pour défendre son avis défavorable ne fait qu’accroître ma perplexité, car tous ceux qui vous connaissent, monsieur le ministre, savent que cette réserve n’est guère dans vos habitudes…
Personne ici n’ignore le fléau du harcèlement, en particulier à l’heure du développement des réseaux sociaux et des plateformes internet. Les jeunes n’ont plus aujourd’hui un seul instant de répit, lorsqu’ils sont confrontés à une telle situation, et cela peut conduire à des drames.
Dans ce contexte, la question qui nous est posée est de savoir comment lutter efficacement contre ce phénomène aux causes et aux implications multiples, qu’il faut traiter dans leur diversité. Rien ne s’opposait vraiment à ce que nous avancions ensemble sur ces sujets, car le Sénat comme l’Assemblée nationale avaient chacun proposé des solutions constructives.
Nous aurions pu trouver la voie d’un consensus et il aurait été tout à fait opportun de donner cette image à l’ensemble de la société, en particulier à la communauté éducative. Pour des raisons qui me paraissent obscures, cela n’a pas été possible, je le regrette profondément. Voilà pourquoi nous voterons cette motion.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Max Brisson, vice-président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Sur ce texte, la commission a travaillé dans le prolongement des conclusions de la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, dont la présidente était Sabine Van Heghe et la rapporteure Colette Mélot. Nos propositions étaient particulièrement étayées et nous nous sommes même inspirés, monsieur le ministre, des déclarations que vous avez faites sur ces sujets à l’occasion de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance.
Nous avons constaté, pour le regretter, qu’il était impossible d’ouvrir le dialogue avec nos collègues de l’Assemblée nationale sur ce sujet pourtant important. Leur position nous a surpris, car nous aurions pu aboutir à un consensus – ce sujet le méritait. Notre rapporteur et notre rapporteure pour avis étaient prêts à entrer dans un tel dialogue, mais nous avons vraiment eu l’impression que le texte de l’Assemblée nationale était à prendre ou à laisser !
Voilà ce qui explique la position de notre commission qui regrette profondément cette situation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Paccaud, rapporteur. Je voudrais tout d’abord remercier très sincèrement pour la qualité et la sincérité de leur engagement celles et ceux qui ont pris part à nos débats sur ce texte, que ce soit aujourd’hui ou lors de nos précédents travaux.
Je voudrais ensuite exprimer un grand regret, monsieur le ministre, celui de ne pas avoir entendu votre position sur la question du harcèlement entre pairs. Vous aviez exprimé une position en 2019 et mon petit doigt me dit que vous n’avez pas vraiment changé d’avis depuis lors. Le fait que vous n’ayez pas avancé d’arguments au moment de donner l’avis du Gouvernement sur cette motion, comme l’a relevé Mme Brulin, me paraît quand même très gênant…
L’ensemble des personnels de l’éducation nationale – un million de personnes ! –, qu’ils soient professeurs, accompagnants d’élèves en situation de handicap, médecins ou encore auxiliaires de vie scolaire, sont stigmatisés d’une façon certaine par l’article 1er de cette proposition de loi.
Le message que vous leur envoyez par votre silence me surprend beaucoup, parce que nous connaissons tous votre engagement en faveur du monde enseignant. Je suis vraiment navré, parce que je pense que vous êtes aujourd’hui malheureux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Exclamations.)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, puisque vous avez tout fait pour me pousser à m’exprimer, je vais évidemment vous répondre. Je m’en voudrais de vous décevoir ne serait-ce qu’une seule fois au cours de ce quinquennat ! (Sourires.) On ne peut pas s’exprimer à tout instant au cours des débats parlementaires – le président de séance s’en inquiéterait ! –, mais je ne resterai pas silencieux, je répondrai à vos inquiétudes, comme je l’ai toujours fait ; je ne ferai pas exception aujourd’hui.
Cela étant, je ne dirai évidemment rien de différent de ce que j’ai dit dans mon intervention liminaire à la tribune, de même que je ne reviendrai pas sur mon avis défavorable.
Les débats qui ont eu lieu aujourd’hui ne sont pas dépourvus d’une certaine noblesse. Il y a des arguments pour et contre l’article 1er, comme très souvent, heureusement, dans les débats parlementaires. On peut regretter, comme chaque fois que cela se produit, que les deux assemblées ne soient pas parvenues à s’entendre. Des arguments importants ont évidemment été avancés de part et d’autre.
L’objet de cet article est de permettre de lutter véritablement contre le harcèlement dans tous les cas de figure. Des faits tels que ceux qui sont visés par cet article se sont produits dans le passé. Pour résumer votre position, vous redoutez, et je le comprends, que cet article n’ait des effets pervers : vous craignez que des adultes, et pas seulement des professeurs d’ailleurs, ne soient confrontés à une judiciarisation excessive de la vie scolaire, situation contre laquelle je mets effectivement en garde.
Les deux positions sont défendables. Je regrette moi aussi qu’il n’ait pas été possible de trouver un terrain d’entente, notamment sur la distinction entre harcèlement et cyberharcèlement. Cela étant, ce n’est pas si grave puisque, comme vous l’avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, cette distinction est faite de toutes les façons par le ministère de l’éducation nationale dans son travail. Le débat sur ce point est plus théorique qu’autre chose. Le cyberharcèlement, sujet que nous prenons à bras-le-corps, est évidemment compris dans le harcèlement.
Il faut placer cet article en regard d’autres dispositions protectrices des professeurs, que j’ai souhaitées et qui existent.
Je rappelle que l’article 1er de la loi pour l’école de la confiance, qui demeure en vigueur, prévoit des dispositions protectrices pour les enseignants, en particulier dans sa deuxième phrase, contre toute dénonciation calomnieuse et tout autre problème. Les déclarations que j’ai faites restent valables et ont été traduites dans des textes tels que celui-là.
Évidemment que la parole du professeur est fondamentale ! Elle ne saurait être considérée comme étant de même nature que celle d’un élève. On ne qualifie pas n’importe quoi de harcèlement.
Il est également important de faire preuve de sagesse dans la mise en œuvre des dispositions, y compris de celles, de nature réglementaire, qui seront prises dans les temps qui viennent.
Ma position n’a pas varié d’un pouce : nous devons la protection à nos professeurs et à l’ensemble des adultes qui travaillent pour l’éducation nationale, qu’ils relèvent de la fonction publique d’État ou des collectivités territoriales.
Ce texte ne doit en aucun cas entraîner une fragilisation juridique de la situation des professeurs. Les autres textes, ainsi que les dispositions réglementaires qui les accompagnent, permettent un équilibre. Enfin, nous pouvons compter sur la sagesse des acteurs, y compris le juge dans les cas extrêmes. Cet article constitue toutefois un progrès pour les cas extrêmes, justement, de par son large spectre.
Je comprends certaines des interventions, qui me semblent inspirées par la crainte que cet article n’ait des effets pervers. Après tout, ce n’est pas une approche aberrante, car il faut en effet éviter de tels effets. Cela étant, ces effets peuvent aussi être contenus. C’est évidemment ce que tout le monde fera, à commencer par moi-même, à travers tout ce qui accompagnera cette loi.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 105 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 214 |
Contre | 128 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire est rejetée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinq, est reprise à quinze heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
9
Aménagement du Rhône
Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l’aménagement du Rhône (texte de la commission n° 479, rapport n° 478).
La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Patrick Chauvet, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à l’aménagement du Rhône est parvenue à un accord.
Je me félicite que le Sénat et l’Assemblée nationale aient abouti à un compromis sur ce texte important pour prolonger, mais aussi pour sécuriser, la concession du Rhône, attribuée à la Compagnie nationale du Rhône (CNR).
Preuve de son importance, ce texte a été adopté à l’unanimité par le Sénat : c’est un signal très positif en direction de la CNR, acteur incontournable de la transition énergétique nationale et de l’aménagement du territoire rhodanien.
Pour autant, il y a beaucoup à dire sur la méthode retenue par le Gouvernement sur ce dossier : il aurait pu et dû prolonger par décret la concession de la CNR sitôt les concertations préalables achevées.
Par ailleurs, si cette proposition de loi est salutaire pour la CNR, étant donné le contentieux européen entourant les concessions hydroélectriques, elle ne résout pas les difficultés rencontrées par les autres concessions échues qui, faute d’être renouvelées, ont été placées sous le régime des « délais glissants » : 39 concessions, sur un total de 400, soit près de 10 %, relèvent de ce régime.
Le Gouvernement doit enfin proposer une solution globale, concrète et négociée, afin de sortir par le haut de cette situation d’insécurité juridique, sans rien sacrifier de notre souveraineté économique ni de notre transition énergétique !
J’en reviens à la proposition de loi. Lors de son examen au Sénat, nous avons veillé à inscrire la CNR sur la voie de la neutralité carbone, en valorisant ses activités liées à l’hydrogène vert et au photovoltaïque innovant.
Nous avons également voulu promouvoir le dialogue territorial, en prévoyant la consultation des collectivités territoriales sur les projets de la concession, dont l’un, de 180 millions d’euros, est en suspens à Saint-Romain-de-Jalionas, et en garantissant leur éligibilité aux aides fournies par la CNR.
Nous avons aussi souhaité favoriser le développement agricole en prévoyant l’association du ministère de l’agriculture et en encourageant les emplois liés. Il s’est agi, en somme, de fiabiliser et de consolider le texte, non d’en modifier l’équilibre général.
Le compromis auquel est parvenue la commission mixte paritaire a permis de conserver la totalité des apports sénatoriaux : c’est une grande satisfaction ! Quelques ajustements méritent cependant d’être signalés.
Tout d’abord, l’articulation entre le programme de travaux et le schéma directeur de la concession a été affinée. De plus, l’autorité organisatrice de la consultation sur les modalités de réaffectation financière prévues, en l’absence de réalisation du projet en suspens, a été précisée. Il s’agit de la CNR pour les projets proposés et de l’État pour les sommes réaffectées. Sur un autre point, la mission de soutien à l’emploi de la CNR a été étendue des emplois agricoles aux emplois locaux. Enfin, la modification du cahier des charges et du schéma directeur a été autorisée par décret simple.
In fine, l’examen du texte aura démontré tout l’intérêt du bicamérisme : sa rapidité, pour prolonger la concession dans les meilleurs délais ; son utilité, pour garantir la sécurité juridique de cette prolongation. Je pense donc que nous avons fait œuvre utile.
C’est pourquoi je tiens à remercier chaleureusement la présidente de la commission, Sophie Primas, le président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, Roland Lescure, et le rapporteur Patrick Mignola, ainsi que tous ceux qui ont contribué à ce résultat, du travail fructueux qui a permis d’aboutir à ce texte. J’invite donc le Sénat à adopter le compromis de la commission mixte paritaire.
Cent ans après la loi de 1921, qui a fixé les missions historiques de la CNR, ce texte permettra la poursuite de la concession pour dix-huit années de plus et inscrira, de surcroît, les missions de la Compagnie dans les enjeux énergétiques et climatiques actuels. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis de nouveau très honorée de partager avec vous ce moment de cohésion sur cette proposition de loi et sur cette structure exceptionnelle, la CNR, qui porte la promesse de concilier à la fois les enjeux économiques, environnementaux, sociaux, énergétiques, mais aussi agricoles, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur. Cette compagnie nous permettra d’actionner tous les leviers pour parvenir à un équilibre entre ces différents enjeux à l’échelle d’un territoire.
Nombreux sont les défis que nous devons relever dans nos territoires, de la gestion de l’eau au déploiement des énergies renouvelables.
Le Rhône, véritable colonne vertébrale avec ses 300 kilomètres de voies navigables, est le quatrième fleuve européen, le plus puissant de France. Sa biodiversité est exceptionnelle. Son potentiel énergétique, les possibilités qu’il offre en termes de mobilité durable – je pense au transport fluvial – font de ce fleuve et de la CNR l’âme du bassin rhodanien.
Nous saluons aujourd’hui le travail et l’engagement de l’équipe de près de 1 400 salariés de la CNR au cœur de ce territoire.
Ce fleuve est un atout pour développer les énergies renouvelables, pour la navigation et pour l’irrigation.
Nous avons des objectifs ambitieux de déploiement massif des énergies renouvelables dans notre mix énergétique. La Compagnie nationale du Rhône, c’est à la fois l’hydroélectricité, mais également l’énergie photovoltaïque, et demain l’hydrogène, qui est appelé à monter en puissance. Dès 2023, la CNR démarrera un projet pilote d’électricité osmotique. La CNR est donc au cœur des innovations et de la recherche sur le développement des énergies renouvelables.
Nous avons une vision holistique à l’échelle du territoire et nous sommes dans le temps long, la prolongation de la concession que le texte prévoit nous conduisant à nous projeter dans l’avenir. Il était nécessaire pour cette compagnie, mais aussi pour les élus et les collectivités de ce territoire, de pouvoir se projeter enfin et de concevoir des projets à long terme.
Le texte prévoit donc une prolongation de la concession jusqu’au 31 décembre 2041. Il s’agit d’un texte riche, équilibré, qui renforce les exigences du cahier des charges de la CNR et associe les différents acteurs. Nous sommes parvenus à un compromis et à un équilibre extrêmement appréciable en la matière.
La CNR, c’est une concession qui s’étend sur 27 000 hectares de domaine concédé, dans onze départements répartis dans trois régions. Une centaine de collectivités en sont actionnaires. Tous les niveaux de collectivités sont représentés et associés aux réflexions.
Je salue de nouveau l’esprit de consensus qui a présidé aux travaux parlementaires sur ce texte. Je vous remercie, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, du travail que vous avez effectué jusqu’à la réunion de la commission mixte paritaire. Le fait qu’elle ait été conclusive nous permet d’espérer aujourd’hui un vote du texte à l’unanimité, comme ce fut déjà le cas en première lecture dans les deux chambres.
Je remercie également Patrick Mignola, l’auteur de cette proposition de loi, auquel nous souhaitons un prompt rétablissement.
Enfin, je vous redis, mesdames, messieurs les sénateurs, à quel point j’ai été honorée de participer à la prolongation de cette concession et heureuse d’observer la mobilisation de la représentation nationale. C’est une belle reconnaissance pour tous ceux qui font vivre la Compagnie nationale du Rhône et la preuve que les projets forts, ambitieux et nécessaires peuvent susciter un beau consensus et s’affranchir des postures.
Évidemment, vous l’aurez compris, le Gouvernement soutient pleinement l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte, en ne retenant que les amendements présentés, ou acceptés, par le Gouvernement.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
proposition de loi relative à l’aménagement du rhône
TITRE Ier
DATE D’ÉCHÉANCE DE LA CONCESSION GÉNÉRALE DU RHÔNE À LA COMPAGNIE NATIONALE DU RHÔNE
Article 1er
Le dixième alinéa de l’article 2 de la loi du 27 mai 1921 approuvant le programme des travaux d’aménagement du Rhône, de la frontière suisse à la mer, au triple point de vue des forces motrices, de la navigation et des irrigations et autres utilisations agricoles, et créant les ressources financières correspondantes est ainsi rédigé :
« La concession unique prend fin le 31 décembre 2041. »
TITRE II
CAHIER DES CHARGES GÉNÉRAL DE LA CONCESSION GÉNÉRALE DU RHÔNE
Article 2 A
Après le 3° de l’article 1er de la loi du 27 mai 1921 précitée, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Cet aménagement veille à s’inscrire dans la réalisation des objectifs de la politique énergétique nationale, en vue d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, définis à l’article L. 100-4 du code de l’énergie et pris en application de l’article L. 100-1 A du même code. »
Article 2
Le quatrième alinéa de l’article 2 de la loi du 27 mai 1921 précitée est ainsi rédigé :
« Les statuts de la société unique ou des sociétés qui sont substituées au concessionnaire après autorisation sont approuvés par décret en Conseil d’État, sur proposition des ministres mentionnés au deuxième alinéa. Le cahier des charges est annexé à la loi n° … du … relative à l’aménagement du Rhône et fixe notamment : ».
Article 3
Après le neuvième alinéa de l’article 2 de la loi du 27 mai 1921 précitée, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :
« 6° Un schéma directeur qui précise la nature et le contenu d’un ensemble d’actions et d’objectifs proposé par le concessionnaire à l’État et mis en œuvre au travers de programmes pluriannuels quinquennaux. Ces programmes font l’objet d’une consultation du comité de suivi de l’exécution de la concession prévu à l’article L. 524-1 du code de l’énergie, associant l’ensemble des parties intéressées, dans les conditions prévues par le cahier des charges. Par dérogation au même article L. 524-1, les représentants de l’État dans les départements concernés peuvent organiser, par arrêté conjoint, le comité de suivi en trois commissions territoriales, dont chacune comporte des représentants des personnes mentionnées à la dernière phrase du I dudit article L. 524-1. Des membres de la direction régionale chargée de l’agriculture et de celle chargée de l’environnement figurent parmi les représentants de l’État. Les députés et les sénateurs des circonscriptions dont tout ou partie du périmètre géographique recoupe le périmètre géographique de la concession du Rhône peuvent faire partie du comité de suivi ou de ses commissions territoriales.
« En outre, ce schéma directeur définit et précise les missions d’intérêt général confiées au concessionnaire ;
« 7° (nouveau) Un programme de travaux supplémentaires. Ce programme fait l’objet d’une consultation du comité de suivi de l’exécution de la concession prévu à l’article L. 524-1 du code de l’énergie, selon les mêmes modalités que celles mentionnées au premier alinéa du 6°.
« Le cahier des charges, ainsi que le schéma directeur qui lui est annexé, de la concession unique mentionnée au deuxième alinéa du présent article peuvent faire l’objet de modifications approuvées par décret, après avis des conseils départementaux et des conseils régionaux concernés. Ces avis sont réputés favorables à l’issue d’un délai de quatre mois à compter de la transmission du projet de modification du cahier des charges ou du schéma directeur qui lui est annexé aux conseils départementaux et aux conseils régionaux intéressés. »
Article 4
Le cahier des charges général et le schéma directeur qui lui est annexé, tous deux annexés à la présente loi, sont, à compter de la promulgation de la présente loi, adoptés et substitués au cahier des charges général et au schéma directeur de la concession unique mentionnée au deuxième alinéa de l’article 2 de la loi du 27 mai 1921 précitée, dans leur rédaction antérieure à la promulgation de la présente loi.
TITRE III
ÉNERGIES RÉSERVÉES
Article 5
La loi du 27 mai 1921 précitée est ainsi modifiée :
1° Après l’article 2, il est inséré un article 2-1 ainsi rédigé :
« Art. 2-1. – Par dérogation à l’article L. 522-2 du code de l’énergie, l’énergie réservée prévue aux dix-huitième et avant-dernier alinéas de l’article 2 de la présente loi est rétrocédée par les représentants de l’État dans le département aux bénéficiaires d’une décision d’attribution, dont ceux prévus à l’article 3.
« Les modalités selon lesquelles cette énergie réservée est tenue à la disposition du représentant de l’État dans le département et des ayants droit ainsi que les travaux qui peuvent être imposés au concessionnaire pour l’utilisation de ces énergies réservées sont fixés par décret en Conseil d’État.
« La part non attribuée de cette énergie réservée peut faire l’objet d’une compensation financière par le concessionnaire, dont les modalités et les bénéficiaires sont fixés par décret en Conseil d’État. L’autorité concédante ne peut figurer parmi ces bénéficiaires.
« À compter du 1er janvier 2023, le représentant de l’État dans le département peut abroger les décisions d’attribution d’énergie réservée accordées par l’État avant cette date. » ;
2° À l’avant-dernier alinéa de l’article 3, les mots : « décrets délibérés en conseil d’État et rendus sur la proposition du ministre des travaux publics, à l’accord avec le ministre de l’agriculture » sont remplacés par les mots : « voie réglementaire ».
TITRE IV
COMPTABILITÉ ET TITRES D’OCCUPATION DU DOMAINE PUBLIC
Article 6
La loi n° 80-3 du 4 janvier 1980 relative à la Compagnie nationale du Rhône est ainsi modifiée :
1° Le deuxième alinéa de l’article 1er est supprimé ;
2° L’article 4 est ainsi rétabli :
« Art. 4. – La Compagnie nationale du Rhône applique les normes du plan comptable général conformément au code de commerce et au guide comptable des entreprises concessionnaires.
« Elle procède, s’agissant de la production d’électricité, à la séparation comptable prévue à la sous-section 1 de la section 6 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier du code de l’énergie.
« S’agissant de la concession générale mentionnée au premier alinéa de l’article 1er de la présente loi, elle produit un compte spécial de la concession et met en place une comptabilité analytique. » ;
3° Après le même article 4, il est inséré un article 4-1 ainsi rédigé :
« Art. 4-1. – La Compagnie nationale du Rhône peut délivrer, après accord du représentant de l’État dans le département et dans les conditions prévues par le cahier des charges général de la concession générale mentionnée au premier alinéa de l’article 1er, les titres d’occupation du domaine public concédé de l’État pour une durée n’excédant pas le terme normal de la concession, en application des articles L. 2122-5 à L. 2122-19 du code général de la propriété des personnes publiques. »
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M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à M. Loïc Hervé, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi afin d’examiner les conclusions de la commission mixte paritaire qui est parvenue à un accord voilà tout juste une semaine sur la proposition de loi relative à l’aménagement du Rhône. Ce texte d’initiative parlementaire – faut-il le rappeler ? – a pour objet principal de prolonger et de moderniser la concession du Rhône, créée en 1921 et attribuée à la Compagnie nationale du Rhône, qui est un modèle de concession unique en Europe.
Avant de revenir sur les principaux apports de ce texte, je tiens à remercier très chaleureusement Patrick Mignola, auteur et rapporteur de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale – je m’associe, madame la secrétaire d’État, aux vœux de prompt rétablissement que vous lui avez adressés –, et notre collègue Patrick Chauvet, rapporteur au Sénat, de leur investissement, malgré des délais de travail contraints.
Transition énergétique, souveraineté énergétique et aménagement du territoire rhodanien ont été les maîtres mots, le fil rouge tout au long de l’examen de ce texte. En tant que parlementaire de Haute-Savoie, je me réjouis que nos deux chambres soient parvenues à un accord.
Le Rhône, long de 812 kilomètres, prend sa source dans le massif du Saint-Gothard, en Suisse, au cœur d’un glacier, traverse le lac Léman, parcourt toute la vallée qui porte son nom, avant de se jeter par le delta de Camargue dans la mer Méditerranée.
Dès 1921, la loi approuvant le programme des travaux d’aménagement du Rhône a fixé à la concession, détenue par la Compagnie nationale du Rhône, trois missions historiques : la production d’hydroélectricité, l’irrigation agricole et la navigation fluviale.
Comme nous l’a rappelé notre rapporteur, il s’agit d’une entreprise remarquable. En effet, ses missions historiques, sa gouvernance mixte et son engagement sans faille en faveur de la transition énergétique font de la Compagnie nationale du Rhône une entreprise à nulle autre pareille. J’ai vu dimanche dernier à Seyssel, dans mon département, ses installations sur le fleuve.
Les enjeux sont donc nombreux ! La concession attribuée à la CNR arrive à échéance en 2023. Il était donc nécessaire que le législateur intervienne, à défaut du Gouvernement, sinon cette concession aurait été placée sous le régime transitoire dit « des délais glissants », qui touche déjà 39 concessions hydroélectriques sur 400, soit près de 10 % d’entre elles.
Désormais, grâce au texte que nous nous apprêtons à voter dans quelques instants, il sera inscrit dans le marbre de la loi que la concession du fleuve attribuée à la CNR et le cahier des charges sont prolongés jusqu’en 2041. Autrement dit, la CNR reste à l’abri du contentieux européen, au moins pour quelques années encore.
Lors de la réunion de la commission mixte paritaire, les apports du Sénat et les quatre axes qui avaient été définis ont été sauvegardés. Pour rappel, il s’agit du développement des énergies renouvelables ; d’une meilleure association des collectivités territoriales aux prises de décisions du comité de suivi de l’exécution de la concession – je citerai un seul chiffre : pas moins de 183 collectivités sont adhérentes à la concession – ; du soutien aux professionnels agricoles ; du renforcement, enfin, de la sécurité juridique de la concession.
La commission mixte paritaire a procédé simplement à quelques ajustements rédactionnels et de bon sens. Ainsi, l’articulation entre le programme de travaux et le schéma directeur a été précisée. En ce qui concerne les modalités de réaffectation financière prévues en l’absence de réalisation d’un projet hydroélectrique en suspens, l’autorité procédant à cette consultation, que ce soit la CNR ou l’État, a été ajustée. Enfin, les emplois locaux ont été promus dans les missions de la CNR, aux côtés des emplois agricoles. Il s’agit d’apports substantiels, certes, mais qui renforcent juridiquement le texte.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, il était impératif que le législateur s’empare de la problématique du prolongement de la concession de la CNR afin que cette compagnie ne passe pas sous le régime de la mise en concurrence, ce qui aurait donné lieu à un contentieux avec la Commission européenne. Aussi ce texte était-il très attendu par les élus locaux, car il va leur permettre d’appréhender au mieux différents travaux sur leurs territoires, tels que des projets de barrages, d’écluses, etc.
Telles sont les raisons pour lesquelles les sénatrices et les sénateurs du groupe Union Centriste soutiendront et voteront le texte tel qu’il résulte des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi nous offre l’occasion rare de nous prononcer sur le prolongement d’une concession hydroélectrique, sans mise en concurrence, la concession d’aménagement du Rhône octroyée au concessionnaire actuel depuis 1934, qui fournit tout de même un quart de la production d’énergie hydraulique de notre pays.
Cela est d’autant plus exceptionnel que l’accord préalable des services de la Commission européenne a pu être obtenu en l’espèce. Comme l’avait souligné Édouard Herriot en février 1946 : « Il est plus facile de construire un barrage en pierre ou en béton que de forcer le barrage des bureaux. »
M. Loïc Hervé. Belle référence !
M. Bernard Fialaire. N’est-ce pas ? (Sourires.)
La situation singulière de la Compagnie nationale du Rhône explique la relative facilité avec laquelle la France a pu obtenir la prolongation de la concession pour dix-huit années supplémentaires, soit jusqu’en 2041. Cela a été rappelé à maintes reprises, la CNR a été privée de l’exploitation des barrages de 1946 à 2006 en raison de la nationalisation de la production de l’énergie.
Que le Parlement puisse avoir son mot à dire, alors que la prolongation de la concession d’aménagement du Rhône pouvait intervenir aisément par décret, constitue à mon sens un point très positif. Toute consultation démocratique sur la politique énergétique de notre pays, qui implique des engagements à très long terme, ne peut être que bénéfique.
Néanmoins, ne nous réjouissons pas trop vite s’agissant de l’avenir de notre patrimoine hydraulique. Nous ne sommes en effet qu’à l’entrée du tunnel des contentieux en cours relatifs à l’application de la directive européenne du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession, dite directive « Concessions ».
Rappelons-le, 150 concessions arriveront à échéance l’année prochaine. Une issue, de préférence favorable à notre souveraineté énergétique, doit être rapidement trouvée afin de déclencher une dynamique d’investissement dans un secteur clé pour la transition énergétique, qui ne peut se passer ni de la houille blanche ni de solutions de stockage de l’électricité, conditions sine qua non pour atteindre l’objectif de 40 % d’énergies renouvelables dans notre mix électrique. Les programmes pluriannuels quinquennaux apporteront ainsi 500 millions d’euros d’investissements.
Outre sa mission relative à la production d’énergie hydraulique, cette concession revêt également un caractère stratégique pour les territoires parcourus par le Rhône, que ce soit dans le domaine de la navigation fluviale ou de l’agriculture.
Il convient d’être particulièrement vigilant quant à la gestion quantitative et qualitative de l’eau, sachant l’enjeu qu’elle représente pour l’agriculture locale, fortement dépendante de l’irrigation.
La prolongation accordée permettra donc de poursuivre les trois missions historiques à l’origine de l’aménagement du Rhône, conformément à la volonté insufflée dès le départ.
Comme cela a été dit en première lecture par mon collègue Henri Cabanel, la modernisation des contrats de concession doit être poursuivie dans l’ensemble des domaines d’intervention de l’État, notamment lorsque celle-ci nous engage pendant près d’un siècle. Les prérogatives de puissance publique ne s’usent que si l’on ne s’en sert point ! (Sourires.)
Un État exigeant est un État concédant qui ne s’arrête pas à l’origine étymologique du mot « concéder », qui ne se retire donc pas totalement de l’exécution du contrat et qui ne doit pas entériner des situations acquises excessivement confortables pour le concessionnaire, comme on a pu le constater avec les sociétés concessionnaires autoroutières.
Aussi, l’insertion de clauses de revoyure en 2028 et en 2034 et la possibilité de modifier par décret le cahier des charges permettront, le cas échéant, d’ajuster l’équilibre de la concession. Cette souplesse est devenue plus que nécessaire.
Concertation approfondie en amont ; renforcement de l’association des élus à tous les stades de l’exécution de la concession ; durée raisonnable de la prolongation dans le cadre de circonstances exceptionnelles ; possibilité d’ajuster l’équilibre du contrat : les conditions nous semblent réunies pour maintenir le concessionnaire actuel dans son statut.
La commission mixte paritaire a préservé les apports du Sénat. Les modalités de la prolongation de la concession dans la proposition de loi sont favorables à la transition énergétique. Aussi le groupe du RDSE votera-t-il la présente proposition de loi. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. La commission mixte paritaire qui s’est réunie voilà quelques jours sur la proposition de loi relative à l’aménagement du Rhône est parvenue à un accord.
Les sénatrices et les sénateurs socialistes, écologistes et républicains se réjouissent que la CNR soit ainsi reconduite en tant que concessionnaire jusqu’au 31 décembre 2041 dans le texte qui nous est aujourd’hui soumis. Ce texte apporte stabilité, sécurité et vision à long terme à tous les professionnels et habitants des rives du Rhône.
La présente proposition de loi reprend les trois missions historiques de la CNR, à savoir la production d’électricité, le développement de la navigation sur le Rhône et l’irrigation des terres agricoles, mais elle va plus loin en donnant à la Compagnie les moyens d’être un acteur de la transition énergétique.
Le changement climatique et ses effets s’imposent à tous. Toutes nos politiques publiques doivent désormais le prendre en compte. C’est à la fois une contrainte, mais aussi une occasion de développer l’inventivité de nos chercheurs, de nos entreprises et de nos services.
La CNR a d’ores et déjà emprunté cette voie. Elle produit près d’un quart de l’hydroélectricité française. Elle a aussi créé 49 parcs photovoltaïques et 57 parcs éoliens.
Le texte que nous allons voter comporte en annexe un cahier des charges et un schéma directeur. Au total, 500 millions d’euros d’investissements, dont 165 millions d’euros les cinq premières années, sont programmés. La CNR devra contribuer aux objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). La neutralité carbone à l’horizon 2050 demeure de ce point de vue un objectif essentiel.
La prolongation de la concession de la CNR est la garantie que perdurera une démarche de service au profit de tous. Il est important pour nous, comme nous l’avons déjà souligné, que cette société demeure sous contrôle public, en association avec les collectivités territoriales.
La production électrique est un enjeu majeur dans la lutte contre le réchauffement climatique. Son pilotage ne peut être efficace que s’il fait l’objet d’une articulation forte avec les autorités publiques, nationales ou locales.
Nous avons contribué à renforcer le rôle du comité de suivi dans l’exécution de la concession. Le Rhône traverse 3 régions, 11 départements, et 183 collectivités locales sont adhérentes. Nous nous réjouissons que les parlementaires soient associés à ce comité de suivi.
Indépendamment de la lutte contre le réchauffement climatique, les travaux programmés permettront de rénover et d’améliorer l’équipement de 6 barrages sur le Rhône, favorisant la continuité piscicole. La CNR a pour mission de développer la navigation fluviale et de favoriser l’irrigation pour l’agriculture. Nous avons veillé, dans ce texte, à maintenir un soutien aux emplois liés à l’irrigation agricole dans la vallée du Rhône.
Élue du département de l’Ain, je serai très attentive à la consultation des différentes parties sur le projet prévu en amont du confluent de l’Ain à Saint-Romain-de-Jalionas et, s’il ne pouvait aboutir, à la réaffectation des fonds.
Au-delà de ce texte, c’est l’ensemble du secteur hydroélectrique en France qu’il nous faut stabiliser pour l’avenir. Or, pour l’heure, rien n’est fait, alors que 10 % des concessions hydroélectriques sont arrivées à échéance et que le contentieux avec les institutions et la Commission européennes n’est en rien réglé. Nous sommes dans la phase des délais glissants, dangereuse pour ces concessions. Je souhaiterais que le pouvoir exécutif se montre plus actif dans ce domaine pour traiter au fond le contentieux européen et pour sécuriser les autres concessions et installations hydroélectriques.
Les sénatrices et sénateurs socialistes, écologistes et républicains sont très favorables à l’adoption de cette proposition de loi, qui consolide un pan important de la production électrique en France. Il s’agit à présent d’œuvrer pour qu’il en aille de même pour les autres concessions hydroélectriques et pour EDF, principal opérateur public du secteur. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la cohabitation de l’homme de Neandertal avec homo sapiens a été confirmée par des chercheurs ayant constaté jeudi dernier la présence de fossiles très parlants dans la grotte de Mandrin, sur la commune de Malataverne dans la Drôme, à quelques kilomètres du Rhône. Une telle découverte confirme le rôle de ce fleuve comme grand couloir de migration ayant permis à homo sapiens de rejoindre l’espace méditerranéen et l’espace continental européen. Cette position stratégique peut s’expliquer par les brusques variations climatiques en Europe et en Asie, qui ont fait de notre fleuve Rhône un refuge contre ces aléas. Quel est le lien avec les conclusions de la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi ?
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. La poésie…
M. Bernard Buis. Le fait, tout simple, que, bien avant la création de la CNR, l’espèce humaine a su tirer parti des ressources stratégiques de ce fleuve. Ces ressources, aujourd’hui économiques et écologiques, sont judicieusement exploitées depuis un siècle par la CNR. Cette dernière doit pouvoir continuer à les exploiter jusqu’en 2041 : ce fut l’objet de notre courte réunion de commission mixte paritaire jeudi dernier. Je rappelle qu’il s’agit de la onzième CMP conclusive, sur les douze que nos deux commissions ont organisées. Ce taux de réussite, de 92 %, démontre que l’apport du Sénat est bien pris en compte.
Je m’en réjouis, tout comme je me réjouis de la bonne entente de nos deux présidents de commission, Roland Lescure et Sophie Primas.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Merci !
M. Bernard Buis. Il faut dire que la CNR fait du bon travail et que la moindre des choses était de l’accompagner, et donc de s’accorder sur cette prolongation. Je tiens à saluer ses représentants, présents dans les tribunes, qui travaillent particulièrement pour ce renouvellement de concession depuis huit ans.
Nos deux rapporteurs n’ont fait que peu d’objections, au contraire. Les modifications rédactionnelles de notre rapporteur Patrick Chauvet, que je remercie de son engagement, ont bien été prises en compte par l’Assemblée nationale. Elles consolident le texte sur le plan juridique. D’autres précisions, plus substantielles, permettent aux territoires concernés d’être encore plus impliqués dans le processus de décision.
Je me félicite ainsi que le rapport annexé soit amendé pour que le comité de suivi émette un avis sur les résultats des études relatives à l’éventuelle réalisation d’un nouvel équipement hydroélectrique à Saint-Romain-de-Jalionas en Isère. Ce projet suscite en effet un certain nombre d’interrogations qu’il faut entendre. Il conviendra d’être vigilant et constructif.
Notre rapporteur a également veillé à inscrire la CNR sur la voie de la neutralité carbone, en valorisant ses activités liées à l’hydrogène vert et au photovoltaïque innovant. Ce sont des ajouts salutaires, qui s’inscrivent dans les engagements de la CNR : très innovante dans la recherche de nouvelles solutions pour favoriser la transition énergétique, celle-ci a présenté en 2020 un parc photovoltaïque flottant sur le lac de la Madone, à quelques kilomètres de l’agglomération lyonnaise. Il s’agit de la première et unique plateforme en France à être transversale. Elle combine habilement irrigation, énergie et biodiversité, par l’installation de nurseries à poissons sous la plateforme, ce qui permet de concilier enjeux énergétiques et environnementaux.
Par cet exemple, on comprend bien que la CNR est beaucoup plus qu’un simple concessionnaire pour la production d’électricité française. Elle nous démontre qu’il est tout à fait possible de bâtir un modèle économique qui produise des richesses, donc de l’emploi, sans gaspiller, sans salir, sans détruire, mais en favorisant au contraire l’essor des énergies renouvelables, en faisant de notre territoire un laboratoire pour l’invention de nouvelles ressources énergétiques.
À présent, comme la CNR va pouvoir travailler sereinement, elle devra nous démontrer que, dans les faits, l’acteur clé de la transition énergétique qu’elle est devenue pourra suivre les projets en faveur du développement et de l’équilibre des territoires. Au regard de ses actions et de la philosophie qui l’anime, elle conserve toute notre confiance.
Nous voterons bien sûr ce texte, en adressant tous nos vœux de prompt rétablissement à Patrick Mignola, l’auteur de cette proposition de loi. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’unanimité est suffisamment rare pour être relevée : cette proposition de loi l’a recueillie au sein des deux chambres du Parlement, à la fois grâce au travail de compromis qui a été réalisé et à l’importance du sujet, qui n’est plus à démontrer.
Je souhaite remercier notre rapporteur Patrick Chauvet pour son engagement sur ce texte et les précisions d’importance qui ont été apportées. Je salue aussi le travail qui a été fourni par la chambre haute. Les modifications effectuées sont rigoureuses et équilibrées. Peu de retouches ont été faites lors de la réunion de la commission mixte paritaire, ce qui prouve la qualité des échanges et des solutions envisagées en amont.
Comme je l’ai dit en première lecture, le Rhône est un fleuve aux multiples atouts pour les territoires qu’il traverse et pour notre pays. Soutenir et finaliser le prolongement de la concession de la Compagnie nationale du Rhône est primordial aux yeux de notre groupe. Nous nous félicitons donc qu’un accord rapide ait pu voir le jour.
Le Rhône, comme d’ailleurs tous les fleuves de notre pays, représente un énorme potentiel économique, industriel et écologique. La question des emplois en lien avec le fleuve, sur les territoires des départements par lesquels il s’écoule, en est la meilleure illustration : le Rhône est vecteur de progrès.
La France fait face à de nombreux enjeux, et notamment à celui de la lutte contre le dérèglement climatique. Comme en première lecture, je me réjouis donc que le Sénat ait inscrit dans la proposition de loi que l’aménagement du Rhône devait se faire en respectant l’objectif de neutralité carbone à l’horizon de 2050.
Cet aménagement est précieux pour les collectivités territoriales et les élus locaux, protagonistes privilégiés et efficaces des évolutions territoriales. Il faut souligner le travail de coordination et les relations construites entre ces derniers et la Compagnie nationale du Rhône. Le dialogue avec tous les acteurs en présence est synonyme de réussite pour les territoires et pour les Français. Il doit se poursuivre et s’accentuer pour répondre au mieux aux enjeux actuels. C’est un exemple transposable pour d’autres territoires.
L’aménagement du Rhône est aussi un formidable moyen pour répondre à l’objectif de développement du transport fluvial – et la France se veut ambitieuse en ce domaine. Cela participe à la décarbonation du secteur des transports, très émetteur et où les solutions restent à financer et à inventer.
La biodiversité est fortement affectée par la gestion des cours d’eau. Le Rhône abrite une faune et une flore exceptionnelles. La qualité de l’eau et l’aménagement sont deux facteurs essentiels pour les espèces concernées. Elles participent également à l’équilibre du fleuve. La qualité de l’eau et sa quantité suffisante sont un avantage indéniable pour les cultures qui bordent le Rhône. Les emplois induits sont nombreux, tout comme les familles qui en dépendent.
Chacun a conscience que la bonne gestion du fleuve par la CNR est une nécessité. C’est d’autant plus vrai si l’on pense à l’hydroélectricité. J’avais déjà longuement insisté sur ce point la semaine dernière : l’hydroélectricité constitue un espoir véritable, dans la production électrique, pour atteindre les objectifs de la PPE, et le Rhône y a une place privilégiée, car principale. Développer l’hydroélectricité, la rendre plus flexible, plus attractive, est une question de souveraineté énergétique. Les innovations sont impressionnantes dans ce secteur et j’espère que la France persévérera dans cette voie.
Énergie du passé, l’eau est l’énergie du présent, comme elle sera celle de l’avenir. Les discussions au niveau européen doivent se poursuivre. La France doit continuer à investir dans ce secteur tout en préservant ses intérêts.
Cette proposition de loi garantit une sécurité juridique adaptée, un cahier des charges et un schéma directeur au service des enjeux multiples auxquels fait face le Rhône. Elle est l’exemple d’un travail parlementaire de qualité et de compromis. Elle était nécessaire et les conclusions de la commission mixte paritaire montrent que l’exercice a été réussi.
Pour toutes ces raisons, comme en première lecture, le groupe Les Indépendants votera à l’unanimité en faveur de son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Laure Darcos applaudit également)
M. le président. La parole est à Mme Vivette Lopez, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Vivette Lopez. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que la commission mixte paritaire soit parvenue à un accord sur ce texte, qui vise à prolonger et à moderniser la concession détenue par la Compagnie nationale du Rhône sur ce fleuve. Je salue le travail de notre Haute Assemblée et plus particulièrement celui de notre rapporteur Patrick Chauvet, ainsi que celui de la présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas.
Depuis près de quatre-vingt-dix ans, la CNR est un acteur incontournable de la transition énergétique. Elle assure un quart de la production hydroélectrique dans notre pays et conduit des projets de recherche et d’innovation, particulièrement en matière d’hydrogène ou de photovoltaïque.
La CNR est également un acteur majeur de l’aménagement du territoire rhodanien par ses ouvrages hydroélectriques ou ses sites industriels et portuaires. Au terme de l’examen du texte, le territoire concédé se répartira sur 30 000 hectares et 550 kilomètres de fleuve. Seules la concession de Cusset, gérée par EDF, et la traversée de Lyon, gérée par Voies navigables de France (VNF) et la métropole de Lyon, demeureront hors du périmètre de la concession.
Le texte confère une valeur législative au cahier des charges général et au schéma directeur, qui comprend un ensemble d’actions et d’objectifs mis en œuvre par des plans quinquennaux dont le montant atteint 165 millions d’euros dans un premier temps, et 500 millions d’euros au total.
Je me réjouis du programme de travaux supplémentaires, prévus notamment pour l’équipement de six barrages par de petites centrales hydroélectriques, pour une étude de faisabilité d’un nouvel ouvrage hydroélectrique d’une puissance de 40 mégawatts dans le secteur de Saint-Romain-de-Jalionas, pour une augmentation des capacités de production de l’aménagement hydroélectrique de Montélimar et, enfin, pour des passes à poissons.
Ce texte est l’aboutissement des travaux et concertations préalables ayant débuté en 2019, en lien avec les élus locaux et les acteurs territoriaux, qui soutiennent tous la prolongation de la concession. La Commission européenne a également confirmé la compatibilité de cette prolongation avec le droit européen.
Néanmoins, le Sénat a souhaité enrichir le texte pour favoriser la transition énergétique, le dialogue territorial et le développement agricole.
Il s’agit tout d’abord de développer les énergies renouvelables en plaçant les missions de la CNR sur la voie de la neutralité carbone d’ici à 2050, en promouvant les projets relatifs à l’hydrogène renouvelable ou bas carbone, en soutenant l’utilisation de procédés photovoltaïques innovants.
Il s’agit ensuite d’associer les collectivités territoriales, en territorialisant le comité de suivi de la concession, en consolidant leur association à l’élaboration des programmes pluriannuels de travaux, ainsi que leur consultation sur le programme de travaux supplémentaires et son état d’avancement, ainsi que sur l’évolution ultérieure du cahier des charges ou du schéma directeur.
Il s’agit enfin de soutenir les professionnels agricoles en prenant mieux en compte les emplois induits par l’irrigation agricole dans les missions de la CNR, en associant le ministère de l’agriculture au statut de la CNR et au comité de suivi de la concession, et en prévoyant que la compensation financière prévue pour les énergies réservées non attribuées soit bien affectée aux acteurs de terrain et non à l’État.
La quasi-totalité des apports du Sénat ont été maintenus dans le texte issu de la commission mixte paritaire. C’est pourquoi le groupe Les Républicains le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient cette proposition de loi visant à reporter à 2041 la question de la mise en concurrence de la concession du Rhône, qui arrive à son terme en 2023. Ce texte important prévoit la mise à jour du cahier des charges de cette concession et de son schéma directeur, permettant ainsi de moderniser les modalités et le périmètre des activités de la CNR.
Cette actualisation prévoit 500 millions d’euros d’investissement sur le Rhône, consacrés à la production d’énergie hydraulique, au transport fluvial, à l’irrigation, ainsi qu’à des travaux environnementaux. Sur cette somme, 165 millions d’euros seront dépensés au cours des cinq premières années, avec un volet spécifique de 30 millions d’euros consacré aux projets des collectivités locales. Nous saluons ces mesures.
Nous avons également soutenu en commission les apports du rapporteur, notamment la réaffirmation du cadre de transition énergétique appelant à la neutralité carbone et le renforcement du dialogue territorial.
Nous aurions toutefois souhaité intégrer à ce cadre la question de la préservation de la biodiversité, qu’il est toujours utile de rappeler et qui doit se concilier avec le déploiement de l’hydroélectricité.
Le Sénat a également contribué à rendre le texte juridiquement plus solide et à rappeler les objectifs nationaux de la PPE, à l’atteinte desquels la CNR doit pleinement contribuer.
Nous nous félicitons de ces apports adoptés au Sénat, et nous nous félicitons qu’ils aient été maintenus dans la dernière version du texte.
Si cette proposition de loi est utile et bénéfique pour la CNR, elle ne résout pas les problèmes majeurs de la mise en concurrence pour les autres concessions hydroélectriques, et notamment pour celles qui sont détenues par le groupe EDF. Cette mise en concurrence est imposée par la directive européenne de libéralisation du marché de l’électricité.
Déjà, 39 concessions hydroélectriques sur 400 sont arrivées à échéance et ont été placées sous le régime des « délais glissants ». Leur devenir est très incertain et le Gouvernement n’a toujours pas proposé de solution pérenne.
Le secteur de l’hydroélectricité attend des solutions globales, concrètes et négociées, afin de sortir par le haut de cette situation d’insécurité juridique sans mettre à mal notre souveraineté économique ni notre transition énergétique.
Notre groupe a déposé une proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public, qui a été examinée en fin d’année dernière. Nous demandions la mise en place d’un véritable service public des énergies renouvelables afin de répondre à l’absence de politique publique efficace et d’apporter une vision stratégique sur ces questions majeures.
Un service public des énergies renouvelables permettrait d’amplifier notre transition énergétique, de planifier, de réguler le déploiement des énergies renouvelables dans notre pays, d’accompagner les acteurs privés, de structurer les filières industrielles et d’organiser la solidarité nationale permettant d’assurer un tarif unique de l’électricité partout en France.
Pour nous, il est donc essentiel que la majorité des capitaux de la CNR demeurent publics. La question du statut hybride de la CNR, mi-public et mi-privé, se posera d’ailleurs à terme. C’est une garantie de stabilité et de perspectives à moyen terme pour l’entreprise et les salariés.
Ce texte est très attendu par les collectivités, les élus et les salariés. Il est important aussi, bien sûr, pour notre politique énergétique, les enjeux climatiques et la biodiversité. Il permet de mettre la CNR à l’abri du contentieux européen.
C’est pourquoi nous voterons pour cette proposition de loi. Nous resterons mobilisés sur ces enjeux majeurs de souveraineté et de transition énergétique. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, enfin, nous y sommes, et c’était attendu ! Attendu par la direction de la CNR, mais aussi attendu par les salariés qui, depuis sept ans, étaient dans l’expectative.
C’est donc une issue positive qui nous réunit aujourd’hui, et qui permettra à la Compagnie nationale du Rhône de continuer d’œuvrer pour les territoires, de concert avec les acteurs locaux. La CNR implique 183 collectivités territoriales partenaires, et 50,3 % de son capital est issu du secteur public. Elle ne procure pas moins de 14 500 emplois directs et indirects en vallée du Rhône, notamment grâce à une politique d’achats concentrés à 85 % sur des entreprises locales. La CNR a bien un statut d’entreprise structurante du territoire, et il faut se féliciter que cela continue pour de nombreuses années.
Elle est le premier producteur d’énergie exclusivement renouvelable en France, ce qui l’inscrit parfaitement dans la politique de lutte contre le changement climatique. Avec ses 19 barrages et ses 49 centrales hydroélectriques, elle produit 25 % de l’hydroélectricité française.
Je rappelle toutefois que ma collègue Cécile Cukierman, lors de la première lecture, a déclaré que le développement de l’hydrogène entraînerait des besoins en eau supplémentaires, tout comme le maintien, voire le développement, du parc nucléaire. Nous devons donc veiller à la sécurisation de l’approvisionnement en eau.
Respectueuse de l’environnement, faisant travailler localement nos concitoyens, il ne manquerait plus que la CNR soit rentable pour l’ériger en modèle qui fonctionne… Eh bien, c’est le cas, puisque la CNR est aussi extrêmement rentable, avec un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros et un résultat net compris entre 90 et 100 millions d’euros !
J’en profite pour rappeler au Gouvernement qu’EDF dégage un résultat net de 650 millions d’euros et qu’Aéroports de Paris, avant la crise de la covid-19, avait un résultat net de 588 millions d’euros. Nos entreprises à capitaux majoritairement publics sont donc très souvent excédentaires. Ne les laissons pas à la main des grands groupes privés ! Nous l’avons fait pour les autoroutes, et nous nous en mordons les doigts…
Madame la secrétaire d’État, notre pays est aujourd’hui à la croisée des chemins. Les décisions qui seront prises dans le dossier EDF peuvent être lourdes de conséquences pour notre souveraineté énergétique, pour la lutte contre le réchauffement climatique, mais également pour l’emploi lié à l’industrie électrique dans notre pays. Le Gouvernement doit apporter une réponse cohérente et montrer qu’une autre voie que celle de la rentabilité peut exister. Nous devons être guidés par une démarche qui réponde aux besoins des Françaises et des Français, de nos entreprises, et qui mène à la décarbonation de la consommation d’énergie.
Je fais le vœu que l’adoption de cette proposition de loi, dans l’unanimité – et je salue le travail de notre rapporteur –, soit le point de départ d’une nouvelle façon de concevoir le service public de l’énergie, en le voyant comme un bien commun. Or un bien commun ne peut en aucun cas être libéralisé. Le simple fait que l’énergie soit pensée comme un service public implique qu’elle soit sortie des logiques de concurrence et de marché.
Je souhaite sincèrement que le modèle de la CNR, respectueux de l’environnement et fonctionnant au service de la population des territoires, soit présent à l’esprit de chacune et de chacun si, dans les mois et années à venir, nous devions examiner un énième texte visant à privatiser nos services publics. Madame la secrétaire d’État, nous savons bien que, si votre majorité est reconduite pour un second mandat, nous aurons à débattre du projet Hercule. Dans ce cas, vous nous trouverez face à vous pour le contrecarrer ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, sans allonger les débats, je voudrais simplement remercier l’ensemble des acteurs de cette discussion et de cette négociation, et notamment les rapporteurs et le Gouvernement. Oui, cher Fabien Gay, nous faisons œuvre utile ! Mais je ne voudrais pas que nous terminions ce débat sans rendre hommage au travail d’Élisabeth Ayrault, qui a présidé la CNR au cours des dernières années. Nous souhaitons le meilleur à la nouvelle présidente, Mme Laurence Borie-Bancel, présente dans la tribune du public. Le Parlement lui accorde toute sa confiance ainsi qu’à son équipe, pour qu’ils continuent leur œuvre utile sur ce fleuve ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi relative à l’aménagement du Rhône.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)
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Marché de l’assurance emprunteur
Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur (texte de la commission n° 448, rapport n° 447).
La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de soumettre aujourd’hui à votre vote le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur, qui s’est réunie le jeudi 3 février dernier.
Les débats entre les deux chambres ont été vifs et animés, mais ils ont permis d’aboutir à de très nombreux compromis utiles et consensuels, sur un sujet auquel la majorité de nos concitoyens sont confrontés au moins une fois dans leur vie.
Avec ce texte, nous mettons un point final à une aventure législative qui dure depuis une dizaine d’années et qui aura non seulement permis l’ouverture à la concurrence de ce marché, mais aussi, grâce aux travaux de nos chambres, accompli de grandes avancées en matière de justice sociale.
Je me réjouis donc que nos deux chambres se soient entendues pour avancer sur ces sujets. Je salue le travail de mon homologue de l’Assemblée nationale, Mme Patricia Lemoine, et la remercie pour son écoute et pour tout le temps que nous avons passé à travailler ensemble. Nous sommes partis de loin, dans un contexte où de nombreux mensonges ont été proférés par certaines associations.
Mais j’en viens à ce qui est important aujourd’hui. Vous le savez, en première lecture, nous avions refusé de faire le même pari que l’Assemblée nationale s’agissant de la résiliation à tout moment. L’honnêteté m’oblige à le répéter : à nos yeux, une telle mesure n’apportera quasiment rien aux consommateurs, mais elle présente plusieurs risques, notamment celui de la démutualisation, qui pénalisera en priorité les publics les plus âgés et les plus fragiles. Toutefois, le compromis trouvé en commission mixte paritaire, qui reprend la quasi-totalité des apports du Sénat sur le volet médical, rend un tel pari plus acceptable. La protection apportée aux publics vulnérables qui ont été ou sont frappés par la maladie est significative. Dès lors, et sous réserve que l’information du consommateur soit grandement renforcée, il nous est apparu légitime de valider cette disposition.
Je souhaite évoquer le contenu du texte de compromis auquel nous sommes parvenus. Ainsi que je viens de l’indiquer, compte tenu de la rédaction retenue à l’article 1er, il sera désormais possible de résilier son assurance emprunteur à tout moment ; jusqu’à présent, il fallait respecter certains délais. Néanmoins, un droit de résiliation est inutile si les consommateurs ne le connaissent pas. C’est pourquoi le Sénat souhaitait que les assureurs informent désormais chaque année les assurés de ce droit et de ses modalités de mise en œuvre ; il a été entendu.
Nos apports sur le renforcement des motivations des décisions de refus des prêteurs sont également conservés. De même, les articles additionnels que nous avions introduits en vue de rééquilibrer le rapport de force entre l’emprunteur et le prêteur sont maintenus. Il sera donc interdit à un prêteur de modifier le mode d’amortissement d’un prêt ; il lui faudra afficher le coût de l’assurance emprunteur sur huit ans.
Surtout, nos deux assemblées se sont mises d’accord pour conserver la quasi-intégralité du travail du Sénat sur le droit à l’oubli et la suppression du questionnaire médical.
Ainsi, le droit à l’oubli est réduit de dix ans à cinq ans pour les pathologies cancéreuses et l’hépatite C. Par ailleurs, la convention Aeras (s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé) devra être travaillée en vue d’un élargissement de ce droit et de sa grille de référence à de nouvelles pathologies, notamment chroniques. En l’absence de résultat, le Gouvernement devra agir avant le 31 juillet 2022.
Le questionnaire médical reste supprimé pour les prêts de moins de 200 000 euros par personne, soit 400 000 euros pour un couple, sous réserve que l’échéance de remboursement du crédit contracté soit antérieure au soixantième anniversaire de l’assuré. Nous avons également prévu qu’un décret puisse faire évoluer les seuils, mais uniquement dans un sens plus favorable à l’emprunteur.
Mes chers collègues, j’ai reçu – j’imagine que c’est pareil pour vous – énormément de courriers de remerciement de concitoyens m’indiquant que c’était la fin d’un cauchemar de plusieurs années pour eux. Nous avons fait œuvre utile. Nous pouvons en être fiers.
Je le précise, le risque de hausse soudaine des tarifs que brandissent certains assureurs n’est pas crédible. En effet, nous avons renforcé la concurrence.
Je tiens à le souligner, ce texte est un texte « vivant ». Tout gouvernement, quel qu’il soit, pourra par un simple décret relever le plafond de 200 000 euros ou l’âge maximal de 60 ans. Il pourra aussi, toujours par décret, et grâce au travail de la convention Aeras,…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. … exclure de nouvelles pathologies chroniques. Cela permettra à de multiples familles d’acheter un appartement ou une maison, voire de la faire construire ; c’est souvent un projet de vie.
Je souhaite vraiment saluer le travail du Sénat. Notre vote en première lecture a été un élément essentiel dans la réussite de la CMP. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite l’adoption des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur, texte déposé par la députée Patricia Lemoine.
La possibilité de changer à tout moment de contrat d’assurance permettra aux Français de gagner environ 550 millions d’euros de pouvoir d’achat par an. Pour un jeune emprunteur ayant souscrit un contrat afin d’acquérir, pour la première fois, son logement, l’économie moyenne sera de 3 800 euros sur la durée du prêt.
Au demeurant, une telle réforme présente l’avantage non négligeable pour le ministre des comptes publics que je suis de ne pas coûter un seul euro à l’État. La proposition de loi introduit des mesures de simplification et crée des droits nouveaux pour les emprunteurs sans venir grever les finances publiques.
Vous le savez, pour beaucoup de nos concitoyens, l’accession à la propriété représente l’objectif de toute une vie. Or cela repose essentiellement sur le crédit immobilier, qui est très souvent conditionné à la souscription d’une assurance emprunteur. Une telle assurance peut parfois représenter jusqu’à 30 % du coût total du crédit.
Ainsi, l’accessibilité d’une assurance emprunteur au meilleur prix, confortant le pouvoir d’achat des Français, est une préoccupation forte du Gouvernement.
La proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui répond à deux objectifs essentiels, que le Gouvernement soutient évidemment : d’une part, permettre aux Français de changer à tout moment leur contrat d’assurance, gage d’un libre choix et de la possibilité pour chacune et chacun de bénéficier de meilleures garanties, au meilleur tarif ; d’autre part, permettre de réduire les discriminations d’accès des personnes qui sont ou ont été atteintes par des maladies de longue durée. C’est aussi une question de justice sociale devant l’accès à la propriété et au prêt qui la conditionne.
Le marché de l’assurance emprunteur compte entre 20 millions et 25 millions de contrats actifs. Au cours de la dernière décennie, le législateur s’est légitimement penché à plusieurs reprises sur le sujet pour que l’assurance emprunteur protège les assurés à un coût le plus compétitif possible.
Les réformes qui se sont succédé depuis 2010 ont d’ores et déjà permis des avancées significatives. Le marché de l’assurance emprunteur pour le crédit immobilier s’est progressivement ouvert à la concurrence. Avant 2010, chacun devait adhérer au contrat de groupe qui pouvait lui être imposé par sa banque. Aujourd’hui, les emprunteurs ont tout loisir de retenir l’assureur de leur choix, sachant de surcroît que ce choix n’est désormais plus irrévocable.
De plus, il est possible de résilier son contrat à tout moment jusqu’à douze mois après la signature de l’offre de prêt, puis lors de chaque échéance annuelle. C’est cet aspect du droit que cette proposition de loi va pouvoir améliorer.
Les réformes intervenues depuis 2010 ont facilité le changement d’emprunteurs et ont déjà offert des bénéfices substantiels pour les consommateurs. Le bilan qui en est dressé met en évidence un renforcement de la concurrence et une baisse de la tarification des contrats d’assurance emprunteur pour le plus grand nombre. Ainsi, le Comité consultatif du secteur financier fait état d’une baisse tarifaire comprise entre 20 % et 41 % dont bénéficient tous les assurés depuis 2010. Je crois que nous pouvons nous en féliciter.
Nous devons cependant améliorer encore le dynamisme de ce marché et la protection des consommateurs, et ce au bénéfice de tous. De nombreux acteurs, dont les associations de consommateurs, se font régulièrement l’écho de difficultés concrètes rencontrées par nos concitoyens pour remplacer le contrat proposé par la banque par un autre à travers une délégation d’assurance. Le dispositif actuel paraît souvent peu lisible pour les emprunteurs. Je suis aussi fermement convaincu que nous devons continuer à lutter contre les pratiques de nature à décourager les emprunteurs dans leur démarche.
Le Gouvernement soutient donc les mesures qui permettent de rendre le dispositif de résiliation pleinement opérationnel. Je pense à la transparence des décisions de refus de substitution pour l’assurance, à la meilleure information des assurés, à l’introduction d’un délai de production de l’avenant au contrat de crédit lors d’une substitution d’assurance ou encore au renforcement des sanctions administratives à l’encontre des prêteurs et des assureurs qui auraient des pratiques dilatoires.
Ainsi conçu, le dispositif de résiliation infra-annuelle devra permettre d’accélérer le mouvement engagé en orientant encore les tarifs à la baisse pour le plus grand nombre. Cette nouvelle possibilité de résiliation rapprochera aussi l’assurance emprunteur du régime de résiliation infra-annuelle, qui s’est étendu à un certain nombre de contrats de masse, comme les assurances auto, les assurances habitation, ainsi que les complémentaires santé.
Une telle mesure vient également, je l’ai indiqué, soutenir le pouvoir d’achat. C’est peut-être l’objet d’une appréciation un peu divergente entre M. le rapporteur et le Gouvernement, mais nous considérons que le dispositif pourrait faire économiser sur la durée du prêt un peu moins de 4 000 euros à un primo-accédant ayant emprunté 250 000 euros, à l’âge de 35 ans, pour acheter son logement.
Le Gouvernement veille enfin tout particulièrement à l’effectivité des réformes menées au bénéfice de nos concitoyens. Il sera donc nécessaire de prévoir un bilan de la mise en œuvre de la résiliation infra-annuelle, par exemple un an ou deux ans après son entrée en vigueur. Le Gouvernement avait confié dès l’origine au Comité consultatif du secteur financier la tâche de suivre la mise en œuvre des réformes engagées depuis 2010. Je salue l’excellent travail de cette instance et les avancées qu’il a permises.
La proposition de loi comporte un deuxième pilier majeur ; vous y avez fait référence, monsieur le rapporteur. Il s’agit de permettre aux personnes en situation de risque aggravé de santé du fait d’une maladie ou d’un handicap d’avoir accès à l’assurance emprunteur, donc à la propriété. Le crédit immobilier doit être accessible à tous, notamment aux plus fragiles.
À ce titre, je remercie les parties prenantes de la convention Aeras, signée par les pouvoirs publics, les fédérations professionnelles de la banque, de l’assurance, de la mutualité, les associations de malades et de consommateurs. Celle-ci a pour objet d’élargir l’accès à l’assurance et à l’emprunt des personnes ayant ou ayant eu un problème de santé. Leurs travaux ont permis de grandes avancées. Les derniers dispositifs spécifiques mis en place depuis 2015, comme le droit à l’oubli et la grille de référence Aeras offrent des possibilités plus larges d’accès à l’assurance des prêts. Cette grille évolue régulièrement, prévoyant la prise en charge par les assureurs et les réassureurs de nouvelles pathologies en fonction des progrès de la médecine et des données de santé disponibles.
Ce cadre conventionnel est essentiel pour favoriser l’accès à l’assurance des plus fragiles, afin que les candidats à l’emprunt ayant été atteints d’un cancer ou d’une autre pathologie ne subissent pas une double peine, avec des refus, des exclusions de garantie ou des surprimes importantes pour raisons de santé. Il repose non pas sur l’occultation des situations personnelles, mais sur l’encadrement des pratiques à l’égard des plus fragiles. C’est pour nous le seul moyen efficace de garantir que les assureurs puissent continuer d’assurer les plus fragiles dans des conditions raisonnables.
À l’inverse, modifier un paramètre de ce cadre de manière excessive ou injustifiée au regard des données médicales en remettant en cause les conditions de mutualisation ou d’aléas ne permettrait pas de couvrir davantage les plus fragiles et se traduirait par un renchérissement massif des tarifs et une suppression de la concurrence, puisqu’aucun assureur de substitution n’aurait de connaissance de ses assurés.
Nous avons opté depuis trente ans, toutes majorités confondues, pour un modèle reposant sur la protection des plus vulnérables, en encadrant les pratiques et en intégrant tous les acteurs, qu’il s’agisse des banques, des assureurs ou des associations, à une convention de place.
La collégialité des décisions relatives à l’évolution de la grille de référence Aeras et au dispositif du droit à l’oubli est indispensable. Pour nous, c’est même une condition pour préserver l’accès le plus large possible au crédit des malades et des anciens malades. Ce modèle est copié en Europe, car il permet non pas d’ignorer de telles situations personnelles, mais bien d’encadrer les pratiques.
Nous proposons de renforcer ce régime fondé sur l’association de toutes les parties prenantes en traduisant l’engagement pris par le Président de la République et partagé par nombre de parlementaires sur toutes les travées de l’Assemblée nationale et du Sénat : réduire la durée de droit à l’oubli des anciens malades d’un cancer ou de l’hépatite C à cinq ans au lieu de dix ans et augmenter le montant du plafond jusqu’auquel les modalités d’assurance des personnes malades sont encadrées pour mieux les protéger. Nous le ferons via une méthodologie que vous avez rappelée, monsieur le rapporteur. Elle est facile, souple, et permet des adaptations, toujours dans le respect du consensus et de l’accord de place que j’ai évoqué voilà un instant.
Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutient la présente proposition de loi, qui renforce la justice et le pouvoir d’achat et qui répond à la préoccupation d’un grand nombre de nos concitoyens fragilisés ou ayant été fragilisés par la maladie. Les droits nouveaux qu’elle crée nous paraissent tout à fait essentiels.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite l’adoption des conclusions de la commission mixte paritaire.
M. le président. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte, en ne retenant que les amendements présentés, ou acceptés, par le Gouvernement.
En conséquence, le vote sur les amendements et sur les articles est réservé.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur
TITRE IER
DROIT DE RÉSILIATION À TOUT MOMENT DE L’ASSURANCE EMPRUNTEUR ET AUTRES MESURES DE SIMPLIFICATION
Article 1er
I. – Le premier alinéa de l’article L. 113-12-2 du code des assurances est ainsi modifié :
1° Au début de la première phrase, les mots : « Sans préjudice de l’article L. 113-12 » sont remplacés par les mots : « Par dérogation à l’article L. 113-12, à l’exception du dernier alinéa » ;
2° À la même première phrase, les mots : « dans un délai de douze mois » sont remplacés par les mots : « à tout moment » ;
2° bis (nouveau) À la deuxième phrase, les mots : « par lettre recommandée ou par envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « dans les conditions prévues à l’article L. 113-14 du code des assurances » ;
3° À la fin de la même deuxième phrase, les mots : « au plus tard quinze jours avant le terme de la période de douze mois susmentionnée » sont supprimés ;
4° À la troisième phrase, la référence : « ou à l’article L. 113-12 du présent code » est supprimée.
II. – Le troisième alinéa de l’article L. 221-10 du code de la mutualité est ainsi modifié :
1° Au début de la première phrase, les mots : « Sans préjudice du » sont remplacés par les mots : « Par dérogation au » ;
2° À la même première phrase, les mots : « dans un délai de douze mois » sont remplacés par les mots : « à tout moment » ;
3° À la fin de la deuxième phrase, les mots : « au plus tard quinze jours avant le terme de la période de douze mois susmentionnée » sont supprimés ;
4° À la troisième phrase, les mots : « ou au premier alinéa du présent article » sont supprimés et les mots : « par lettre recommandée ou par envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « dans les conditions prévues à l’article L. 113-14 du code des assurances ».
Article 2
Le code de la consommation est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa des articles L. 313-8 et L. 313-28, les mots : « de groupe » sont supprimés ;
2° L’article L. 313-30 est ainsi modifié :
aa) À la première phrase, les mots : « de groupe » sont supprimés ;
a) Après le mot : « résiliation », la fin de la deuxième phrase est ainsi rédigée : « prévu au premier alinéa de l’article L. 113-12-2 du code des assurances ou au troisième alinéa de l’article L. 221-10 du code de la mutualité. » ;
b) La dernière phrase est ainsi rédigée : « Toute décision de refus est explicite et comporte l’intégralité des motifs de refus. » ;
c) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Elle précise, le cas échéant, les informations et garanties manquantes. » ;
3° Au deuxième alinéa de l’article L. 313-31, la référence : « du deuxième alinéa de l’article L. 113-12 du code des assurances, » est supprimée, les mots : « même code » sont remplacés par les mots : « code des assurances » et les mots : « des premier ou troisième alinéas » sont remplacés par les mots : « du troisième alinéa » ;
4° (nouveau) À l’article L. 313-32, la référence : « du deuxième alinéa de l’article L. 113-12 du même code » est supprimée et les mots : « des premier ou troisième alinéas » sont remplacés par les mots : « du troisième alinéa ».
Article 3
I. – Après l’article L. 113-15-2 du code des assurances, il est inséré un article L. 113-15-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 113-15-3. – I. – Pour les contrats mentionnés à l’article L. 113-12-2, l’assureur informe chaque année l’assuré, sur support papier ou tout autre support durable, du droit de résiliation prévu à l’article L. 113-12, des modalités de résiliation et des différents délais de notification et d’information qu’il doit respecter.
« Les manquements à cette obligation sont constatés et sanctionnés par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, dans les conditions prévues à la section II du chapitre Ier du titre Ier du livre III.
« II. – Les manquements à cette obligation peuvent également être recherchés et constatés par les agents mentionnés aux articles L. 511-3 et L. 511-21 du code de la consommation, dans les conditions prévues à l’article L. 511-7 du même code.
« Ils sont passibles d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale.
« L’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l’autorité compétente pour prononcer, dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V dudit code, l’amende administrative prévue au présent II. »
II. – Le code de la consommation est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa de l’article L. 313-8 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cette notice indique la possibilité pour l’emprunteur de résilier le contrat d’assurance à tout moment à compter de la signature de l’offre de prêt. » ;
1° bis (Supprimé)
2° Après le 29° de l’article L. 511-7, il est inséré un 30° ainsi rédigé :
« 30° De l’article L. 113-15-3 du code des assurances et de l’article L. 221-10-4 du code de la mutualité. »
III. – Après l’article L. 221-10-3 du code de la mutualité, il est inséré un article L. 221-10-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 221-10-4. – I. – Pour les contrats d’assurance mentionnés au troisième alinéa de l’article L. 221-10, la mutuelle ou l’union informe chaque année l’assuré, sur support papier ou tout autre support durable, du droit de résiliation prévu au premier alinéa du même article L. 221-10, des modalités de résiliation et des différents délais de notification et d’information qu’il doit respecter.
« Les manquements à ces obligations sont constatés et sanctionnés par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, dans les conditions prévues au livre V.
« II. – Les manquements au premier alinéa du I du présent article peuvent également être recherchés et constatés par les agents mentionnés aux articles L. 511-3 et L. 511-21 du code de la consommation, dans les conditions prévues à l’article L. 511-7 du même code.
« Ils sont passibles d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale.
« L’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l’autorité compétente pour prononcer, dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V dudit code, l’amende administrative prévue au présent II. »
Article 3 bis
Au 2° de l’article L. 313-8 du code de la consommation, après le mot : « assurance », sont insérés les mots : « , sur une durée de huit ans et ».
Article 4
Au troisième alinéa de l’article L. 313-31 du code de la consommation, après le mot : « avenant », sont insérés les mots : « , dans un délai de dix jours ouvrés à compter de la réception de la demande de substitution, ».
Article 4 bis
À l’article L. 313-32 du code de la consommation, après le mot : « crédit, », sont insérés les mots : « y compris son mode d’amortissement, ».
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Article 6
I. – Le présent titre est applicable aux nouvelles offres de prêts émises à compter du 1er juin 2022.
II. – Le présent titre est également applicable, à compter du 1er septembre 2022, aux contrats d’assurance en cours d’exécution à cette date.
TITRE II
DROIT À L’OUBLI ET ÉVOLUTION DE LA GRILLE DE RÉFÉRENCE DE LA « CONVENTION AERAS »
Article 7
I A. – L’article L. 1141-5 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° et 2° (Supprimés)
3° Le quatrième alinéa est ainsi rédigé :
« Dans tous les cas, le délai au-delà duquel aucune information médicale relative aux pathologies cancéreuses et à l’hépatite virale C ne peut être recueillie par les organismes assureurs ne peut excéder cinq ans après la fin du protocole thérapeutique. » ;
4° (Supprimé)
I. – Les signataires de la convention nationale mentionnée à l’article L. 1141-2 du code de la santé publique engagent, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, une négociation sur la possibilité d’appliquer :
1° Pour les pathologies autres que cancéreuses, des délais au-delà desquels aucune information médicale ne peut être recueillie par les organismes assureurs ;
2° Pour davantage de pathologies autres que cancéreuses, les interdictions prévues dans le cadre de la grille de référence mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 1141-5 du code de la santé publique.
II. – Les signataires de la convention nationale mentionnée au I du présent article engagent, au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, une négociation sur une hausse du montant mentionné au 1° de l’article L. 1141-2-1 du code de la santé publique.
III – L’instance de suivi et de propositions mentionnée au 10° du même article L. 1141-2-1 adresse un rapport d’avancement au Gouvernement et au Parlement au plus tard neuf mois après la promulgation de la présente loi.
IV. – À défaut d’accord au terme des négociations mentionnées aux I et II du présent article, les conditions d’accès à la convention sont fixées par décret en Conseil d’État au plus tard le 31 juillet 2022. Ces conditions sont fixées à un niveau au moins aussi favorable pour les candidats à l’assurance que celles en vigueur à la date de publication de la présente loi.
Article 7 bis
Après l’article L. 113-2 du code des assurances, il est inséré un article L. 113-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 113-2-1. – Par exception au 2° de l’article L. 113-2, lorsque le contrat d’assurance a pour objet de garantir, en cas de survenance d’un des risques que ce contrat définit, soit le remboursement total ou partiel du montant restant dû au titre d’un contrat de crédit mentionné au 1° de l’article L. 313-1 du code de la consommation, soit le paiement de tout ou partie des échéances dudit prêt, aucune information relative à l’état de santé ni aucun examen médical de l’assuré ne peut être sollicité par l’assureur, sous réserve du respect de l’ensemble des conditions suivantes :
« 1° Le montant dû au titre de la quotité assurée est inférieur à 200 000 euros ;
« 2° L’échéance de remboursement du crédit contracté est antérieure au soixante anniversaire de l’assuré.
« Un décret en Conseil d’État peut définir des conditions plus favorables pour l’assuré en termes de plafond de la quotité assurée et d’âge de l’assuré. »
Article 8
(Supprimé)
Article 9
Le Comité consultatif du secteur financier mentionné à l’article L. 614-1 du code monétaire et financier et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution remettent chacun au Parlement, au plus tard deux ans après la promulgation de la présente loi, un rapport mesurant les conséquences tant pour les assureurs que pour les assurés de la mise en œuvre de la résiliation à tout moment et de la suppression du questionnaire de santé.
Ces rapports évaluent notamment l’impact de la présente loi sur le processus de mutualisation des risques et sur la segmentation des tarifs en fonction des profils de risque, sur l’évolution des tarifs proposés, sur le type et le niveau des garanties proposées aux emprunteurs dans les contrats d’assurance et sur leur évolution depuis six ans, ainsi que sur les capacités d’accès à l’emprunt immobilier des emprunteurs selon leur profil de risque.
Ces rapports évaluent également la mise en œuvre de l’article 7 bis de la présente loi notamment en termes d’égalité de traitement entre les emprunteurs, proposent les ajustements éventuels des conditions relatives à l’âge et la quotité des prêts ainsi que les conditions d’application de la suppression du questionnaire médical aux prêts professionnels.
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
à l’exception du dernier alinéa
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Le Gouvernement a déposé cinq amendements tendant à améliorer le fonctionnement du dispositif ou de nature rédactionnelle.
En l’occurrence, le présent amendement est un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Sur l’article 2, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur cet article ?…
Le vote est réservé.
article 3
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
à l’article L. 113-12
par les mots :
au même article
La parole est à M. le ministre délégué.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Sur les articles 3 bis à 7, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
article 7 bis
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le présent article entre en vigueur le 1er juin 2022.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Cet amendement vise à prévoir un délai de trois mois avant l’entrée en vigueur du dispositif prévu à l’article 7 bis, qui serait ainsi fixée au 1er juin 2022, afin de laisser aux professionnels le temps de s’adapter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. La demande d’un délai de trois mois avant l’entrée en vigueur de l’interdiction de solliciter un questionnaire médical peut s’entendre au regard de la nécessité pour les assurances et les banques de s’adapter. Avis favorable.
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 1° La part assurée sur l’encours cumulé des contrats de crédit n’excède pas 200 000 euros par assuré ;
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Afin de préciser la première condition de l’interdiction de solliciter des informations relatives à l’état de santé ou un examen médical de l’assuré, cet amendement tend à prévoir que le plafond de 200 000 euros s’applique par assuré et sur l’encours cumulé des contrats de crédit.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Je remercie les services du ministère de la nouvelle rédaction proposée pour l’alinéa 3 de l’article 7 bis.
Là encore, nous sommes en présence d’une disposition « vivante ». Une personne ayant emprunté 200 000 euros et ayant remboursé 50 000 euros au bout de cinq ans peut de nouveau emprunter 50 000 euros sous réserve que le montant cumulé de ses crédits ne dépasse pas 200 000 euros et qu’elle-même ait moins de 60 ans.
Une telle précision est utile. Elle permet d’éviter d’éventuels abus du système tout en préservant la possibilité pour l’emprunteur de se projeter dans l’avenir.
La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer les mots :
et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution remettent chacun
par le mot :
remet
II. – Alinéas 2 et 3
Remplacer les mots :
Ces rapports évaluent
par les mots :
Ce rapport évalue
III. - Alinéa 3
Remplacer le mot :
proposent
par le mot :
propose
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Cet amendement vise à supprimer le rapport prévu par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), afin d’éviter la production de deux rapports différents sur un même sujet, d’autant plus que cette instance est déjà consultée dans le cadre des rapports réalisés par le Comité consultatif du secteur financier.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Le Sénat avait considéré qu’un tel rapport de l’ACPR n’était pas nécessaire. Nous nous réjouissons donc que le Gouvernement souhaite en revenir à notre position initiale. Avis favorable.
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Daniel Salmon applaudit également.)
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire du 3 février dernier sur la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur a été conclusive. Je ne peux que m’en réjouir et remercier le rapporteur Daniel Gremillet d’y avoir grandement contribué.
Ce texte portait initialement une mesure phare : faciliter la résiliation de l’assurance emprunteur.
Sur le sujet, notre groupe a été à l’offensive depuis 2014, prônant alors la possibilité de résilier à tout moment au cours de la première année, puis avec l’amendement Bourquin en 2017. Nous saluons donc l’accord trouvé.
Nous avons collectivement œuvré au Sénat à rendre ce texte réellement progressiste. J’irai même plus loin : ce texte est peut-être historique, grâce au renforcement du volet santé, d’ailleurs dans un premier temps contre l’avis du Gouvernement.
Nous avons eu, ici, un débat sur les modalités de la résiliation. En première lecture, notre Haute Assemblée avait majoritairement opté pour une possibilité de résiliation une fois par an, avec une information renforcée et plus claire pour l’emprunteur.
L’Assemblée nationale a mis l’accent sur la possibilité de résiliation à tout moment, considérant qu’ouvrir davantage la possibilité de résiliation permettrait une fluidité plus importante de ce marché. En réalité, la concurrence accrue entre assureurs a déjà permis des gains substantiels pour les emprunteurs.
En moyenne, depuis le début des années 2010 – M. le ministre l’a évoqué –, on a constaté une diminution pouvant aller jusqu’à 40 % au bénéfice des emprunteurs et sans baisse de garanties. Au cours de la commission mixte paritaire, notre souci a été d’encadrer la libéralisation du marché, afin d’éviter une démutualisation sans contrôle, susceptible de nuire à certaines catégories d’emprunteurs ; je pense aux plus âgés ou aux personnes atteintes de pathologies.
Nous avons donc veillé à maintenir l’obligation annuelle d’information de l’emprunteur, qui reste, à notre avis, essentielle.
De même, en cas de rejet par le prêteur d’une demande de résiliation, celui-ci devra justifier intégralement les différents motifs de son refus. Il était impératif de se préserver des manœuvres dilatoires de certaines banques ou assurances.
Ces dispositions seront effectives dès quatre mois après la publication de la loi.
J’en viens au second volet.
À nos yeux, dans la version initiale de l’Assemblée nationale, pour ce qui était de rendre le crédit plus inclusif, le compte n’y était pas. Aujourd’hui, de nombreuses personnes sont exclues de l’accès à l’emprunt, donc à la propriété, en raison de leur âge ou de certaines pathologies dont elles ont souffert ou souffrent actuellement.
Nous avons voulu en finir avec une telle injustice. Après la CMP et le travail réalisé en amont au Sénat, il nous faut reconnaître que des avancées notables ont été permises.
Avec notre groupe, nous avions déposé un amendement pour que le questionnaire de santé soit supprimé pour les prêts inférieurs à 500 000 euros. Le Sénat a finalement retenu le chiffre de 350 000. Et, dans le compromis trouvé en CMP, le questionnaire de santé est supprimé pour les prêts inférieurs à 200 000 euros. Nous regrettons évidemment ces réductions du seuil, mais la mesure est incontestablement une avancée. Nous sommes persuadés qu’elle en appellera d’autres ultérieurement.
Un autre point important était l’accès à l’emprunt des personnes atteintes de pathologies. Là encore, nous pouvons exprimer notre satisfaction.
Le droit à l’oubli est ramené pour les pathologies cancéreuses et l’hépatite C de dix ans à cinq ans. C’est un progrès très important. Nous souhaitions également faire évoluer ce droit pour d’autres pathologies, notamment chroniques. Les partenaires de la convention Aeras y travailleront. Si les discussions échouent, un décret pourra fixer la liste des maladies chroniques auxquelles le droit à l’oubli s’appliquera.
En conclusion, au vu des avancées importantes obtenues, avec mes collègues sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous voterons avec enthousiasme ce texte.
Je voudrais terminer en citant Catherine Simonin, administratrice de la Ligue nationale contre le cancer : « Une marche de plus a été franchie vers la guérison sociale des personnes ayant eu un cancer. » Je crois que nous pouvons nous féliciter de ce texte et en être fiers. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Fabien Gay applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie Evrard, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Mme Marie Evrard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 26 janvier dernier, malgré les profondes modifications apportées par notre vénérable institution à la proposition de loi de la députée Patricia Lemoine, j’avais déclaré à cette tribune faire confiance à la navette parlementaire pour « décadenasser » définitivement le marché de l’assurance emprunteur pour le bien des consommateurs. Le texte de la commission mixte paritaire du 3 février dernier, tel qu’il nous est proposé, atteint pleinement cet objectif.
Avec les sénateurs du groupe RDPI, nous sommes satisfaits de l’accord élaboré à l’occasion de cette CMP.
Monsieur le rapporteur, comme vous avez pu le dire en commission le 26 janvier dernier : « Il ne s’agit pas uniquement d’une histoire d’argent ; il y va avant tout de l’homme ! » Je partage pleinement votre analyse. Je tiens d’ailleurs à saluer votre travail, ainsi que celui de la rapporteure à l’Assemblée nationale, afin d’aboutir à ce texte équilibré.
Je vous remercie également Mme la présidente de la commission des affaires économiques de la qualité de nos débats. Certes, les oppositions ont été claires et même franches, en séance, mais toujours courtoises et basées sur de saines argumentations.
Je n’oublie pas non plus l’engagement et la détermination de M. le ministre.
Au-delà des postures politiques, trois avancées principales ont pu être trouvées pour faire primer l’intérêt de nos concitoyens.
La première est la possibilité de changer à tout moment d’assurance emprunteur. Cela facilitera la vie des Français, conduira à une baisse des tarifs et leur rendra du pouvoir d’achat. Nous sommes ainsi au rendez-vous des attentes et des préoccupations de nos concitoyens. Le pouvoir d’achat est au cœur des débats.
Pour preuve, la deuxième commune de mon département, Sens, a accueilli jeudi dernier le Premier ministre à l’occasion du journal de treize heures de France 2 pour répondre aux questions de cinq Français sur cette thématique. La libération de pouvoir d’achat induite par ce texte, quel que soit son montant, ne doit pas être négligée.
Monsieur le ministre, comme vous l’avez indiqué le 26 janvier dernier, le dispositif peut concerner 20 millions à 25 millions de Français ayant un contrat d’assurance emprunteur actif, sans oublier ceux qui aspirent à devenir propriétaires.
Dans le même temps, la proposition de loi renforce l’information du consommateur sur ses droits. Elle alourdit les sanctions pour les établissements bancaires et les assurances qui ne jouent pas le jeu. Elle rend plus transparent le processus de résiliation de l’assurance emprunteur, afin de mettre fin aux mesures dilatoires bien connues de tous.
L’abaissement du droit à l’oubli de dix ans à cinq ans pour tous les malades du cancer et de l’hépatite C, quel que soit leur âge, constitue la deuxième avancée du texte.
C’était une promesse du candidat Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017. Il s’agit donc d’une nouvelle promesse tenue par le Président de la République et notre majorité avant la fin du quinquennat.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. C’est un peu gonflé !
Mme Marie Evrard. Cela ouvrira aux anciens malades du cancer et de l’hépatite C un accès effectif au crédit immobilier, qui représente une étape cruciale pour se projeter dans l’avenir et se reconstruire sur le plan personnel.
Le compromis trouvé quant à la suppression du questionnaire de santé est la troisième avancée principale du texte. Celle-ci concernera les prêts immobiliers jusqu’à 200 000 euros pour les personnes de moins de 60 ans. Cette question a fait l’objet de nombreux échanges entre nous, mais au final, nous pouvons nous en réjouir.
Le texte sur lequel nous allons nous prononcer est le fruit d’intenses concertations, de bonnes volontés transpartisanes et du travail en bonne intelligence de nos deux chambres. Il aura un effet concret sur la vie de nos concitoyens. Nous pouvons en être fiers !
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’initiative de la députée Patricia Lemoine est une bonne nouvelle pour les Français. Je me réjouis de l’accord trouvé en commission mixte paritaire.
Cette proposition de loi, dont nous allons adopter aujourd’hui la version définitive, a été soutenue par le Gouvernement et enrichie par le Sénat. D’apparence technique, elle apporte des solutions très concrètes à des problèmes très concrets. Elle a un objectif clair : rendre l’accès à l’assurance emprunteur à la fois plus simple et plus juste.
Les débats que nous avons eus en première lecture l’ont bien montré : la réglementation du marché de l’assurance emprunteur repose sur des équilibres délicats, entre liberté du consommateur et stabilité des acteurs économiques, entre saine concurrence et barrières à l’entrée.
Plus fondamentalement, il me semble que cette proposition de loi est un acte fort pour lutter contre les discriminations en raison de la santé.
Ainsi que je l’avais souligné en première lecture, ces discriminations ne sont tolérées dans aucun domaine de la société. Il n’y a donc aucune raison de les tolérer pour l’assurance emprunteur.
Or pour beaucoup de Français, une maladie passée, un cancer vaincu ou même un traitement restent le principal obstacle pour accéder à la propriété.
C’est d’autant plus inacceptable que, pour des millions d’entre eux, l’achat d’un bien immobilier est un projet engageant, qui mobilise leurs économies et contraint leurs revenus futurs. Il s’agit donc d’une décision importante. Nous devons veiller à ce que personne n’en soit exclu en raison de son état de santé. Il n’est pas juste de renvoyer à leur maladie passée des acheteurs qui ont déjà réussi à obtenir un crédit.
La mouture finale du texte vise à atteindre un tel objectif. Le compromis trouvé en CMP me semble équilibré. Il a permis de conserver à la fois la mesure essentielle de la proposition de loi et les principaux apports du Sénat.
C’est exactement la ligne que j’avais, pour ma part, défendue en première lecture. Vous comprendrez donc que j’approuve toutes les dispositions du texte.
Je pense d’abord à la possibilité pour les emprunteurs de résilier à tout moment leur contrat d’assurance. Cette mesure phare a bien été réintégrée au dispositif législatif ; je m’en réjouis. Malgré les arguments avancés par nos deux rapporteurs en première lecture, je reste convaincu qu’il s’agit d’une mesure au service des emprunteurs, c’est-à-dire des consommateurs. Le but de ces derniers n’est pas de changer sans cesse d’assurance. Je ne pense d’ailleurs pas que les Français vont s’amuser à répéter les démarches administratives en ce sens. En revanche, dès lors qu’ils auront connaissance d’une offre qui leur paraîtra plus intéressante, ils pourront résilier leur contrat sans avoir à prendre date dans plusieurs mois pour changer de contrat d’assurance. Tel est l’objet, très simple, du dispositif.
Je salue également l’ajout du Sénat concernant la suppression du questionnaire santé pour certains crédits immobiliers.
J’avais pour ma part repris un amendement que le Sénat avait adopté lors de la dernière loi de finances. La solution proposée était autre : il s’agissait de créer des contrats d’assurance inclusifs poursuivant le même objectif, mais selon une méthode différente.
Quoi qu’il en soit, ces deux mesures permettront de renforcer les droits des emprunteurs, de rendre le marché de l’assurance emprunteur plus compétitif et de faciliter l’accès des Français à la propriété. Surtout, elles permettront de lutter contre les discriminations en raison de la santé.
Vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants votera en faveur du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Micheline Jacques applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Segouin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes ici pour voter les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur.
Le but premier de ce texte était de donner aux assurés la possibilité de résilier à tout moment leur contrat d’assurance emprunteur et d’obtenir un meilleur tarif par le jeu de la concurrence.
Actuellement, plus de 88 % des parts de marché sont détenues par les banques, qui usent de tous les stratagèmes imaginables pour refuser les demandes de résiliation, pourtant permises par la loi.
Le principal stratagème consiste à refuser la demande, au motif que la résiliation ne respecte pas la date d’échéance, laquelle n’existe pas… Bien souvent, ce refus n’est pas signifié à l’assuré, qui se retrouve donc à payer deux assurances emprunteur.
On comprend dès lors pourquoi la concurrence s’est vite découragée, et pourquoi les banques ont maintenu un niveau de cotisation par rapport aux sinistres – le « niveau de sinistre à prime », dans le jargon des assurances – élevé, de 34 %, permettant de conserver une forte rentabilité de ce produit.
Le texte de l’Assemblée nationale visait à permettre la résiliation à tout moment, avec obligation pour la banque d’informer rapidement l’assuré du refus de résiliation et d’éditer dans un délai de dix jours le nouvel avenant du prêt avec délégation d’assurance.
Nous nous félicitons de ces avancées, qui vont libéraliser ces assurances et garantir un meilleur tarif aux assurés.
La première partie du texte avait le mérite de répondre à l’objectif d’un accès plus simple et plus transparent à l’assurance emprunteur, mais pas à celui d’un accès plus juste, comme le promettait l’intitulé de la proposition de loi. Il a fallu attendre pour cela le texte du Sénat et de son rapporteur, Daniel Gremillet.
Mes chers collègues, vous allez sûrement être surpris par ma position, mais avant d’être sénateur, je suis agent d’assurances et, à plusieurs reprises, j’ai vécu des situations difficiles.
Imaginez une personne atteinte d’un cancer, en rémission depuis plus de cinq ans, qui se rend à chaque contrôle semestriel avec l’angoisse de la rechute. Recevant de bons résultats d’examens et encouragée par ses médecins, elle reprend foi en l’avenir et envisage des projets personnels et professionnels. Comment expliquer à cette personne, quel que soit son âge, qu’elle ne pourra pas obtenir son prêt, car sa pathologie, bien que très ancienne, apparaît dans le questionnaire médical et qu’aucun assureur n’acceptera de prendre le risque ?
On peut aisément imaginer le désespoir de ces personnes, qui ne peuvent ni devenir propriétaires dans leur vie privée ni construire une vie professionnelle. Il leur est impossible de penser à autre chose qu’à leur maladie.
Ces situations sont humainement insupportables non seulement pour l’assuré, mais aussi – je tiens à le dire – pour le banquier et l’assureur.
Sans les apports du Sénat, nous n’aurions pas réglé le problème. Nous aurions continué de notifier des refus pour l’acquisition de leur résidence principale à des personnes qui ont été malades il y a plus de cinq ans. Il s’agit donc d’une avancée considérable pour les assurés, bien plus importante que la faculté de résilier à tout moment.
Monsieur le ministre, je n’ai pas compris pourquoi vous preniez position contre l’article 7 bis du texte, qui permet à des personnes empruntant pour acheter leur résidence principale de souscrire à des contrats sans questionnaire médical. Je n’ai pas compris non plus votre refus du droit à l’oubli des pathologies cancéreuses au-delà de cinq ans.
Par ces articles, nous entendions répondre à une véritable attente des Français !
Vous avez prétexté que le but était de diminuer le tarif de l’assurance en simplifiant l’accès à la résiliation, et qu’avec ces nouvelles dispositions, les assurés allaient payer plus cher !
Vos arguments ne tenaient pas et vous regrettiez simplement, me semble-t-il, de ne pas avoir eu l’idée avant les sénateurs. Il était pourtant nécessaire que la loi impose cette obligation aux assureurs pour qu’ils puissent calculer un tarif par rapport à une population plutôt qu’à une personne, de sorte que les conditions soient les mêmes pour tous.
Quant à la hausse des tarifs, nous pouvons émettre quelques doutes, compte tenu des marges bénéficiaires actuelles.
Au risque de me répéter, je veux de nouveau féliciter le rapporteur Daniel Gremillet et le Sénat de n’avoir pas cédé sur ce sujet lors de la CMP.
Le Parlement a pleinement joué son rôle et l’objectif d’assurer un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur est désormais atteint.
Les membres du groupe Les Républicains voteront donc les conclusions de cette commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite, avec les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, que la commission mixte paritaire ait réussi à trouver un accord sur cette proposition de loi relative à l’assurance emprunteur, un sujet important pour le pouvoir d’achat des Françaises et des Français qui s’engagent dans un prêt bancaire.
Nous soutenions la disposition phare du texte initial, figurant à l’article 1er, qui prévoit d’autoriser la résiliation sans frais des contrats d’assurance emprunteur pour des crédits immobiliers à tout moment, et non plus seulement au cours de la première année ou à la date anniversaire du contrat.
Cette mesure a fort heureusement été maintenue dans le texte final, la majorité sénatoriale ayant tout d’abord privilégié le statu quo de la résiliation annuelle.
Le risque de démutualisation n’est pas avéré. Au final, seuls les assureurs ou les courtiers qui excluaient les personnes en mauvaise santé devront désormais intégrer le coût de ce risque dans leurs tarifs. Les banques françaises ne verront pas leurs tarifs augmenter brutalement, car elles intègrent déjà les emprunteurs malades et mutualisent fortement les risques.
Nous espérons que cette mesure de bon sens, attendue par les Français, portera ses fruits rapidement.
Nous saluons également les dispositions du texte visant à rendre l’assurance emprunteur plus accessible aux personnes les plus fragiles et à celles qui présentent un risque aggravé de santé. En ce sens, réduire de dix ans à cinq ans la durée du droit à l’oubli pour les pathologies cancéreuses et étendre ce droit à l’hépatite C sont des mesures justes et attendues.
Si nous regrettons qu’il n’ait pas été élargi également aux maladies chroniques et au VIH, nous faisons confiance aux membres de la convention Aeras, qui doivent désormais se saisir de cette question et négocier pour aboutir à un accord.
Autre point majeur du texte, la suppression du questionnaire de santé pour les prêts d’un montant inférieur à 200 000 euros contractés par des personnes de moins de 60 ans constitue également une belle avancée de justice et de solidarité, même si le Sénat avait été encore plus ambitieux quant aux plafonds de quotité et d’âge.
Ce questionnaire, dans lequel il est demandé aux clients de dresser l’historique de leurs antécédents médicaux, permettait aux banques de mettre en place une tarification au risque, généralement très défavorable aux personnes atteintes de maladies longues ou chroniques, qui se retrouvaient parfois totalement exclues du marché de l’assurance emprunteur.
Comme le soulignait M. le rapporteur, les assureurs n’ont pas besoin de disposer d’autant d’informations pour tarifer le risque présenté par un assuré.
Nous aurions voulu aller plus loin encore sur le droit à l’oubli, le questionnaire de santé ou les questions de transparence, mais nous voterons ce texte, dont la mesure phare, la résiliation de l’assurance emprunteur à tout moment, a été réintégrée, et qui s’est enrichi des apports pertinents défendus par notre rapporteur.
Après plusieurs lois successives, la libéralisation du marché de l’assurance emprunteur immobilier n’était toujours pas au rendez-vous. Nous espérons que ce texte permettra réellement de débloquer la situation et qu’il entraînera un transfert de revenus non négligeable des banques vers les emprunteurs, grâce à une véritable mise en concurrence, participant ainsi à la lutte contre les rentes bancaires. (Mme la présidente de la commission applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous félicitons également de l’accord trouvé en CMP, qui va rééquilibrer la relation entre les bancassureurs et les emprunteurs. Nous remercions sincèrement notre rapporteur pour ses travaux. Surtout, nous pensons que c’est une bonne chose pour nos concitoyennes et nos concitoyens, qui pourront résilier à tout moment leur assurance emprunteur, comme nous l’avions proposé.
Si j’étais un peu taquin, je conseillerais à la majorité sénatoriale d’écouter un peu plus le côté gauche de l’hémicycle à l’avenir : en l’occurrence, l’accord aurait été plus rapide en CMP. (Sourires.)
Par conséquent, nous saluons cette avancée qui permettra aux ménages éloignés des pratiques de l’assurance de bénéficier de meilleurs tarifs et de sortir de l’emprise des établissements bancaires.
Par ce texte, nous admettons enfin que les pratiques dilatoires des banques sont inhérentes à leur situation ultramajoritaire : les banques définissent les prix et il n’y a pas de fluidité du marché, car les gens ne disposent pas de l’information nécessaire, ne connaissant ni les conditions de garanties ni les règles du marché.
Enfin, les banques s’arrogent les meilleurs contrats et laissent gérer le risque aux assureurs alternatifs. Non, la « concurrence pure et parfaite » n’était pas une réalité. Si nous devons choisir de consacrer un droit de résiliation à tout moment, il n’en demeure pas moins qu’il faut accroître l’information des consommateurs, ce que devraient permettre les propositions de notre rapporteur Daniel Gremillet.
Nombre de nos concitoyens subissent par ailleurs des discriminations en raison de leur état de santé et se voient appliquer surprimes et exclusions de garanties disproportionnées. C’est absolument intolérable. À ce titre, nous saluons l’avancée réelle du raccourcissement du droit à l’oubli de dix ans à cinq ans pour les cancers et l’hépatite C, une disposition que nous avons votée à l’unanimité au Sénat.
L’administratrice de la Ligue nationale contre le cancer, Catherine Simonin, a eu des mots très justes en affirmant que la guérison médicale se traduira un peu plus par une « guérison sociale ». La suppression du questionnaire de santé s’inscrit dans la même voie : réduire les discriminations sur une forme de condamnation à perpétuité sociale lorsqu’on est malade ou qu’on l’a été.
Je sais que les associations de malades et nos concitoyens les plus atteints, les plus vulnérables, pâtissent du comportement des banques à leur égard. La peur doit changer de camp.
Toutefois, nous devrons nous assurer de l’effectivité de cette mesure, car le risque d’effets de bord n’est pas nul. Je m’explique : la suppression du questionnaire pourrait engendrer une hausse générale du coût de l’assurance pour tous nos concitoyens. Les banques auraient alors beau jeu de justifier cette hausse des tarifs par une répartition des risques. Il faudra que nous restions vigilants.
La suppression du questionnaire de santé pourrait également inciter les banques à se tourner vers les profils qui, a priori, présentent le moins de risques – les jeunes, les cadres, les moins anciens sur un poste –, laissant toujours davantage les assureurs alternatifs se préoccuper des éloignés de l’assurance, donc de l’accès au crédit immobilier.
Dernier point qui nous tient à cœur, malgré la suppression du questionnaire de santé, les banques disposent de nos données de paiement. Là encore, nous devrons être extrêmement attentifs, car c’est une mine d’or pour un certain nombre d’entre elles, qui peuvent savoir combien de fois nous allons à la pharmacie, chez le médecin, à l’hôpital, au bureau de tabac… Le suivi de la loi sera extrêmement important.
Pour garantir l’inclusion, il faut rendre accessible l’assurance en obligeant à intégrer les profils dits « à risque ». Comme nous le proposions, chaque emprunteur dont la demande de crédit a été acceptée doit donc se voir proposer une assurance emprunteur aux garanties minimales, sans surcoût ni surprime.
Malgré ces quelques réserves, nous nous réjouissons de voter en faveur de ce texte issu des travaux de la CMP. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Micheline Jacques applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur permettent d’illustrer tout l’intérêt d’un bicamérisme apaisé et constructif.
En effet, et comme cela vient d’être rappelé, le texte qui nous est soumis est le fruit d’un compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat, compromis qui n’était pas écrit d’avance…
Je crois pouvoir dire que nos deux chambres ont chacune fait un pas vers l’autre dans la rédaction des dispositifs qui nous sont proposés. Ce rapprochement a été possible, car, sur le fond, les objectifs de cette réforme de l’assurance emprunteur immobilier étaient les mêmes pour les députés et les sénateurs : garantir le meilleur niveau de protection de l’emprunteur au coût le plus juste, simplifier les processus d’acquisition et de résiliation d’une assurance en garantissant la transparence des décisions, améliorer l’information du consommateur tout au long de son contrat d’assurance.
Pour Sylvie Vermeillet, moi-même et nos collègues du groupe Union Centriste, ces axes constituaient déjà notre boussole lors de la première lecture de la proposition de loi. Nous sommes en effet convaincus que ces objectifs sont plus importants encore que les mesures précises qui ont été proposées.
Le texte final contient de grandes avancées en matière de droit de la consommation pour l’ensemble des emprunteurs et constitue à ce titre l’aboutissement de toutes les évolutions législatives depuis 2011. Après les lois Lagarde et Hamon, après l’amendement Bourquin, nous allons adopter aujourd’hui la dernière brique d’un ensemble législatif cohérent, qui est toujours allé dans la même direction.
Ne tombons donc pas dans le piège d’opposer députés et sénateurs ou de créer de fausses polémiques. Nos deux chambres ont toujours fait le même choix, celui d’améliorer le droit des consommateurs.
Saluons ainsi l’équilibre trouvé, qui permettra désormais de résilier à tout moment les contrats d’assurance emprunteur, comme le voulait l’Assemblée nationale, mais avec des obligations d’information renforcées des assurés sur leur droit à résiliation, comme le souhaitait le Sénat.
Le texte valide aussi la suppression du questionnaire médical pour les prêts immobiliers inférieurs à 200 000 euros et réduit de dix ans à cinq ans le délai de droit à l’oubli pour les pathologies cancéreuses et l’hépatite C, comme le proposait la commission des affaires économiques du Sénat.
Ces trois mesures phares répondent de manière très claire aux difficultés rencontrées par les emprunteurs, qu’il s’agisse du manque de transparence des dispositifs existants et des décisions des banques, de la faiblesse de l’information du consommateur ou des freins dans l’accompagnement des publics les plus fragiles.
Sur ce dernier point, le Sénat a vraiment fait œuvre utile et d’avant-garde. Personne, avant l’examen de cette proposition de loi, n’aurait imaginé que le texte final soit si ambitieux sur le droit à l’oubli et pour les personnes les plus pénalisées par les pratiques actuelles. La suppression du questionnaire médical est une belle porte ouverte. C’est une vraie mesure d’accompagnement social, alors que ce questionnaire est à l’origine d’inégalités fortes entre les consommateurs.
Naturellement, il faudra revenir sur les seuils fixés en matière de montants empruntés et d’âge dès que nous aurons les premières analyses sur les conséquences du texte.
Nous comptons sur le pouvoir réglementaire, à qui nous avons fixé un objectif d’adaptation, de manière à réussir cette réforme.
Sur ce point précis, comme sur le reste du compromis, j’aimerais saluer le travail et l’engagement de notre rapporteur, Daniel Gremillet. Il n’a pas ménagé sa peine pour aboutir à un texte commun et, surtout, pour défendre la singularité des apports du Sénat.
En conséquence, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera en faveur des conclusions de cette commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons, après plusieurs mois de débats passionnés, à l’examen des conclusions de cette proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur.
Je tiens, au nom de mon groupe, à saluer l’immense travail réalisé par les deux rapporteurs, dont notre collègue sénateur Daniel Gremillet et la députée Patricia Lemoine.
Cette volonté commune d’avancer a permis de réunir la commission mixte paritaire dans une atmosphère constructive.
Cet investissement est tout à fait louable, tant le marché de l’assurance emprunteur concerne des millions de Français, sur tout le territoire. Bien que la souscription d’une assurance ne soit pas juridiquement obligatoire, elle est très courante lors de l’octroi d’un prêt immobilier. Nous mesurons donc l’impact significatif de ce texte sur la vie quotidienne de bon nombre de nos concitoyens, qui éprouvent le besoin de se projeter vers l’avenir.
En effet, à l’heure de la sortie encore très progressive d’une crise sanitaire ayant nettement confiné nos esprits, les Français retrouveront rapidement des prédispositions à bâtir des projets personnels, impliquant souvent d’avoir recours à l’emprunt.
Ces démarches de recours à l’emprunt s’ajoutent traditionnellement à d’autres de nature administrative, au cours desquelles nous faisons face à d’innombrables demandes de pièces justificatives, doublées de difficultés à contacter un interlocuteur ou à obtenir les bonnes informations, qui produisent de fait le sentiment d’un parcours du combattant, notamment pour les foyers modestes.
La présente proposition de loi revêtait ainsi à nos yeux une importance capitale pour renforcer les prérogatives des emprunteurs face aux assureurs.
Force est de constater que l’accord trouvé en CMP répond positivement à cet objectif. Pour rappel, lors du premier examen du texte dans cet hémicycle, notre groupe s’était abstenu en raison du désaccord avec la majorité sénatoriale sur la rédaction de l’article 1er, substance même de la proposition de loi.
Le retour à la version initiale du texte, qui offrait la possibilité de résilier à tout moment les contrats d’assurance emprunteur, assortie d’une obligation pour l’assureur d’informer chaque année l’assuré de son droit, nous satisfait. Cela contribue non seulement à accorder plus de liberté aux assurés, mais aussi à améliorer l’accès au droit.
Le rétablissement de l’article 3 bis, qui prévoyait la mention obligatoire du coût de l’assurance sur une durée de huit ans, constitue une sécurité supplémentaire pour les assurés et leurs ressources.
En outre, nous accueillons positivement la rapidité avec laquelle les mesures contenues dans le titre Ier de cette proposition de loi entreront en vigueur, grâce à l’article 6.
Sur le volet médical, la réduction de dix ans à cinq ans de la durée du droit à l’oubli pour les pathologies cancéreuses, après la fin du protocole thérapeutique, et l’extension de ce droit à d’autres pathologies comme l’hépatite C constituent un progrès incontestable. C’est une très belle disposition et une protection essentielle pour les emprunteurs qui ont été affectés dans le passé par ces maladies.
Le présent texte prévoit par ailleurs un plafond de 200 000 euros pour l’application du questionnaire de santé, alors que notre groupe soutenait un relèvement à 300 000 euros. Nous défendions cette mesure dans le souci de faire peser moins de contraintes sur les ménages, lorsque l’on sait que le montant moyen emprunté par les Français se rapproche d’année en année de 200 000 euros – très précisément 193 204 euros en 2021. Toutefois, nous saluons la nuance apportée, qui permet au pouvoir réglementaire de faire évoluer ce plafond à la hausse après étude du Comité consultatif du secteur financier et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
À propos d’évaluation, l’obligation de réaliser un rapport deux ans après la promulgation de la présente loi nous permettra d’identifier les outils les plus efficaces pour atteindre nos objectifs initiaux.
En somme, vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre groupe porte un regard favorable sur cette version équilibrée de la proposition de loi réformant le marché de l’assurance emprunteur. Nous voterons donc en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le ministre, les 550 millions d’euros d’économies que vous avez annoncés dans votre intervention ne correspondent pas exactement aux montants qui nous ont été communiqués par les services de Bercy. Vos chiffres sont repris par l’UFC-Que Choisir, mais nous estimons de notre côté l’économie à 1 300 euros environ par ménage, ce qui est déjà substantiel.
Pour le reste, vous l’aurez compris, le Sénat sera attentif au risque de démutualisation entraîné par l’article 1er. Les rapports de suivi seront les bienvenus à ce propos.
Comme mon collègue Fabien Gay, je serai un peu taquine : vous vous félicitez à présent de cette proposition de loi, monsieur le ministre, mais il aura quand même fallu combattre pied à pied avec vous… Vincent Segouin l’a parfaitement rappelé et je veux rendre hommage au travail de Daniel Gremillet. (Mme Marta de Cidrac applaudit.)
Vous avez aussi beaucoup parlé, à juste titre, de la convention Aeras, monsieur le ministre. Je me permets toutefois de souligner que, lors des auditions, 100 % des associations nous ont indiqué que la présente convention ne répondait pas à leurs besoins. Cette proposition de loi que nous nous apprêtons à voter devrait leur donner un sérieux coup de main dans la négociation à venir.
Nous allons certainement, une deuxième fois cet après-midi, faire œuvre utile, en votant une autre CMP à l’unanimité du Sénat.
Je suis très reconnaissante au travail de Daniel Gremillet et des services du Sénat, et je n’oublie pas non plus notre ancien collègue Martial Bourquin, alors qu’aboutit aujourd’hui la démarche de réforme du marché de l’assurance emprunteur qu’il avait engagée il y a déjà quelques années. (Applaudissements.)
M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement, l’ensemble de la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires économiques.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 106 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 343 |
Le Sénat a adopté définitivement la proposition de loi, à l’unanimité. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
11
Accès des experts forestiers aux données cadastrales
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à simplifier l’accès des experts forestiers aux données cadastrales (proposition n° 315 [2020-2021], texte de la commission n° 472, rapport n° 471).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, madame la rapporteure Anne-Catherine Loisier, mesdames, messieurs les sénateurs, avec plus de 17 millions d’hectares en métropole et 8,7 millions d’hectares en outre-mer, la forêt française constitue un atout stratégique pour la France.
En tant qu’ingénieur agronome et forestier, j’ai de la forêt une vision très claire. Tout d’abord, nous devons préserver ce qui fait sa richesse plurielle.
Notre forêt exerce en effet une triple fonction : une fonction environnementale, en raison de sa grande capacité de stockage du carbone et de ses atouts indéniables pour préserver la biodiversité ; une fonction de ressource naturelle, au service, par exemple, de la construction et de l’utilisation de ce si beau matériau qu’est le bois – vous le savez mieux que quiconque, il constitue, grâce à ses propriétés, un matériau de choix dans le cadre de la lutte contre le changement climatique ; enfin, une fonction sociétale très importante pour l’ensemble de nos concitoyens.
Aucune de ces trois fonctions ne doit être oubliée. C’est bien cette richesse plurielle qui a sculpté nos forêts et guidé nos politiques forestières comme celle de la filière bois.
Dans chaque territoire, l’importance de chacune de ces trois composantes peut varier, mais nos outils de gestion doivent nous permettre de faire vivre cet équilibre et de nous adapter à la réalité de chacune de nos forêts.
La gestion durable des forêts sur ces trois volets est à ce titre essentielle. Le code forestier dont nous allons discuter définit ainsi des conditions rigoureuses de reconnaissance et d’exercice de l’ensemble de ces activités.
Cultiver notre forêt suppose d’exercer une bonne gestion en menant, par exemple, des actions de renouvellement. Notre forêt n’est pas une forêt sous cloche. C’est ce travail important de protection et de culture qu’exercent au quotidien les exploitants forestiers, avec passion et l’envie de transmettre un patrimoine de qualité aux générations futures.
Pour relever ce défi d’une gestion multifactorielle, l’État se mobilise et investit massivement en faveur de la filière forêt-bois. Ainsi, dans le cadre du plan France Relance, nous avons consacré plus de 150 millions d’euros à l’enjeu du renouvellement forestier, afin de remplacer des peuplements qui, parfois, dépérissent du fait du changement climatique.
À ce jour, plus de 90 millions d’euros sont d’ores et déjà engagés pour des projets concrets en forêts domaniales, communales ou privées.
Si ces résultats sont satisfaisants, je compte sur la mobilisation de toutes et tous pour maintenir la dynamique. En effet, le Président de la République a annoncé, il y a quelques mois, dans le cadre de la présentation du grand projet France 2030 que plus de 600 millions d’euros supplémentaires seront déployés dans les prochaines années au bénéfice de nos massifs forestiers et de notre filière bois.
Cet effort – au total 800 millions d’euros d’investissement d’ores et déjà engagés ou en cours d’engagement – est tout à fait considérable et nous pouvons dire que jamais, nous n’avons autant investi pour nos forêts.
Il nous faut maintenant renforcer le dialogue entre tous les acteurs et créer une véritable dynamique pour « faire filière ». C’est ainsi que nous pourrons avancer ensemble dans la gestion des enjeux et répondre aux questions opérationnelles, en dépassant les conclusions des multiples rapports qui ont été produits sur la forêt.
Créer les conditions d’un dialogue constructif et d’une véritable dynamique au sein de la filière-bois, tel est l’objectif qui a été au cœur de notre action, durant ces derniers mois.
À titre d’exemple, je citerai l’accord de filière à destination du chêne, que nous avons signé ce matin avec l’ensemble des parties prenantes, dans une situation ô combien compliquée – vous le savez – du fait des exportations de plus en plus massives de nos chênes vers d’autres pays, notamment en Asie.
Cet accord de filière est, en tous points, exemplaire, tant il témoigne de la mobilisation de l’ensemble de la filière, d’amont en aval, pour relever un défi, qui est d’ailleurs à la fois environnemental et de souveraineté.
Un autre exemple est la belle dynamique que nous avons lancée – vous y avez participé – au travers des Assises de la forêt et du bois. Nous les pilotons avec mes collègues Bérangère Abba, Agnès Pannier-Runacher et Emmanuelle Wargon.
Outre la qualité des contributions et des discussions auxquelles elles ont donné lieu, ces assises ont permis, en associant les territoires à la réflexion, de nourrir une vision partagée des actions concrètes à mettre en œuvre pour faire avancer la filière forêt-bois, aujourd’hui et demain.
À quelques semaines ou quelques jours de la clôture de cet exercice, permettez-moi, à titre personnel, de remercier très spécifiquement Mme la rapporteure, pour son engagement. Je sais toute la passion et toute l’énergie qu’elle consacre à ces assises et, en tant que président d’une de leurs thématiques, je veux souligner à quel point elle joue un rôle déterminant dans la réussite des travaux.
Encore aujourd’hui, madame la rapporteure, vous montrez votre engagement et votre volonté d’agir pour nos forêts, puisque l’une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés est le morcellement de la forêt française.
Au regard du rôle que jouent – et que doivent jouer demain, plus encore – devant ces enjeux les experts forestiers, les organisations de producteurs et les gestionnaires forestiers professionnels, la présente proposition de loi est capitale.
Elle doit permettre à ces acteurs de mener efficacement leurs actions d’information à destination des propriétaires forestiers privés et contribuer ainsi à la gestion durable forestière. Elle prévoit de donner un accès illimité aux données utiles du cadastre numérique à ces acteurs reconnus d’intérêt général.
La loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt et son décret d’application, pris en 2016 après avis favorable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), ont permis d’expérimenter cet accès pendant trois ans. L’évaluation de cette expérimentation devait être validée par la loi et le fait que ce texte y contribue est extrêmement positif.
La matrice cadastrale est en effet le seul instrument grâce auquel il est possible d’identifier les propriétaires de parcelles forestières. Or la forêt française est extrêmement morcelée : on compte plus de 3,5 millions de propriétaires forestiers et leur nombre peut être élevé sur une surface très réduite.
Le dispositif expérimental a permis d’engager des actions dans des zones forestières non gérées depuis des décennies, en identifiant, informant puis mobilisant des propriétaires au service de la gestion durable de nos forêts, alors que parfois nous ne les connaissions pas et qu’eux-mêmes n’étaient pas nécessairement informés du fait qu’ils étaient propriétaires de parcelles forestières.
La pérennisation de l’accès tel qu’expérimenté a donc tout son sens pour le Gouvernement. C’est pourquoi je vous propose d’adopter la présente proposition de loi, en réitérant mes remerciements spécifiques à Mme la rapporteure, qui s’est beaucoup impliquée, une fois encore, sur ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi visant à simplifier l’accès des experts forestiers aux données cadastrales, présentée par le député Nicolas Turquois et adoptée en janvier 2021 à l’Assemblée nationale.
Elle a pu être inscrite in extremis à l’ordre du jour des travaux du Sénat alors que l’actualité de la filière bois – vous l’avez dit, monsieur le ministre – plaide pour une meilleure gestion durable de cette ressource naturelle.
Cette proposition de loi – dont le titre n’est pas très approprié, puisqu’elle concerne en réalité non pas seulement les experts forestiers, mais l’ensemble des gestionnaires agréés – reprend le dispositif d’un amendement sénatorial transpartisan adopté dans la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Il prévoyait, à l’époque, une expérimentation triennale simplifiant l’accès aux données cadastrales pour les experts forestiers, les organisations de producteurs et les gestionnaires forestiers professionnels. L’objectif était, d’ores et déjà, de favoriser la gestion regroupée des parcelles et de lutter ainsi contre les conséquences du morcellement de la propriété forestière privée, à savoir l’absence de gestion durable.
Le plan cadastral est bien évidemment déjà ouvert au public, mais les données littérales du cadastre, dont l’identité et les coordonnées des propriétaires, ne le sont pas, au nom de la protection de la vie privée. En dérogeant à ce principe, la mesure proposée facilite l’identification des petits propriétaires de parcelles non gérées par les gestionnaires, afin de les informer des modalités d’accompagnement existantes.
Les petits propriétaires – vous l’avez dit, monsieur le ministre – méconnaissent en effet souvent jusqu’à l’existence même des parcelles qu’ils détiennent et, a fortiori, les possibilités de leur gestion durable.
L’enjeu autour de la gestion de ces petites parcelles est majeur. La forêt française est aux trois quarts privée. Elle occupe 12 millions d’hectares en métropole pour 3,5 millions de propriétaires et seulement 3 millions d’hectares disposent d’un plan simple de gestion (PSG).
Si l’on décompte les quelques millions d’hectares gérés sous code des bonnes pratiques sylvicoles (CBPS), on constate l’importance de ces forêts dormantes qui ne bénéficient pas d’une gestion durable et suivie. Il s’agit de parcelles « timbre-poste » ou encore de bandes de forêts de quelques dizaines de mètres de large et parfois de plusieurs kilomètres de long, issues de divers découpages et successions.
De gros efforts ont été faits, depuis des années, au travers de stratégies locales de développement forestier (SLDF), par les pouvoirs publics, le Centre national de la propriété forestière (CNPF), les régions et les départements, afin de lutter contre ce morcellement synonyme de non-gestion.
Les tensions grandissantes d’approvisionnement en matière première bois conduisent aujourd’hui les pouvoirs publics à chercher à mobiliser plus et mieux les ressources existantes sur l’ensemble du territoire.
Ainsi, la valorisation de la filière et les moyens de garantir son approvisionnement font, depuis octobre dernier, l’objet d’intenses discussions dans le cadre des Assises de la forêt et du bois, dont vous êtes à l’origine, monsieur le ministre, avec trois de vos collègues. Les réflexions ont largement porté sur une meilleure valorisation de ces millions d’hectares de forêts, puits de carbone et de ressources, qu’il est devenu essentiel de mettre au service des enjeux sociétaux.
L’article unique de la présente proposition de loi est quasiment identique à celui qui avait été voté dans le cadre du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP). En première lecture, l’Assemblée nationale a simplement procédé à deux ajouts, auxquels la commission des affaires économiques est favorable : l’avis de la CNIL et une date butoir de six mois pour prendre le décret d’application.
Permettez-moi de revenir en quelques mots sur deux éléments de cadrage de cette proposition de loi pouvant prêter à débat : le périmètre même de la dérogation, qui se justifie au regard des objectifs d’intérêt général, et les conditions énumérées par la CNIL.
En autorisant la mise en gestion durable de parcelles forestières jusque-là abandonnées, la proposition de loi apporte une réponse aux enjeux de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, d’adaptation au changement climatique et de valorisation d’un matériau renouvelable.
Nous connaissons tous, mes chers collègues, les risques croissants d’incendie dans les forêts non gérées. Nos forêts seront d’autant plus résilientes qu’elles seront gérées et adaptées progressivement au changement climatique.
Nous entendons les besoins de notre industrie pour approvisionner en matériaux durables les filières construction, bâtiment, emballages, ameublement, etc.
Nous avons largement débattu, lors de l’examen du projet de loi Climat et résilience, de la nécessaire optimisation des fonctions de puits de carbone et de séquestration des écosystèmes forestiers. L’objectif est de passer – je le rappelle – de 2 millions de tonnes de CO2 séquestrées chaque année à 20 millions en 2050, soit une multiplication par dix en à peine trente ans.
En ce sens, les plans France Relance et France 2030 visent à investir massivement dans la modernisation de la filière pour accompagner cet allongement de la durée de vie des produits et séquestrer ainsi le carbone plus longtemps.
En promouvant la mixité des matériaux dans la construction, la nouvelle réglementation environnementale des bâtiments neufs, la RE2020, entrée en vigueur au 1er janvier dernier, permettra de substituer davantage de matériau bois renouvelable aux traditionnels matériaux plus émissifs.
Ces dernières années, avant les dépérissements massifs liés au réchauffement climatique, la récolte annuelle n’équivalait pas à l’accroissement naturel annuel des forêts. C’est dire si la forêt française est loin d’être surexploitée. En gérant plus et mieux nos forêts, nous préserverons un capital forestier devenu plus vulnérable, du fait des fortes chaleurs, des déficits hydriques et des attaques d’insectes répétées.
Notre collègue Daniel Gremillet rappelait fort à propos, en commission, combien l’accès des chambres d’agriculture aux données du cadastre avait pu être utile, après la tempête de 1999, pour identifier les parcelles touchées, extraire les chablis et procéder au reboisement. C’est bien parce qu’elle contribue à ces objectifs publics prioritaires que la simplification de l’accès au cadastre pour les gestionnaires agréés a été jugée conforme au droit par la CNIL dans ses deux avis de 2014 et 2015.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés précise que seules les organisations relevant d’une mission d’intérêt général – condition satisfaite par les acteurs retenus dans la proposition de loi, dans la mesure où ils sont agréés par une autorité administrative ou ordinale – seraient légitimement habilitées à accéder à ces données, d’autant que ces prérogatives élargies iront de pair – notamment en raison de la mise en place, depuis 2018, du règlement général sur la protection des données (RGPD) – avec une responsabilité élargie.
En ce sens, la commission des affaires économiques souhaiterait un engagement de votre part, monsieur le ministre, pour que votre administration accompagne la filière dans l’élaboration d’un code de bonnes pratiques favorisant l’appropriation par les gestionnaires forestiers des règles fixées dans la loi, dans le décret d’application et par la CNIL. Cette proposition figurait d’ailleurs déjà dans un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) publié en 2019.
Ce code de bonnes pratiques pourrait ainsi opportunément clarifier la distinction essentielle entre l’information à diffuser et le démarchage commercial abusif. Il rappellerait les sanctions administratives, voire pénales, en cas d’utilisation des données cadastrales à d’autres fins que la gestion durable et définirait, enfin, des modalités de suivi et d’évaluation des impacts de la mesure.
Moyennant ces prescriptions d’usage qui semblent nécessaires à la bonne application et à la bonne mise en œuvre de la loi, la commission des affaires économiques s’est prononcée favorablement sur l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de voir inscrite à notre ordre du jour cette proposition de loi, qui vise à pérenniser une habilitation votée dans la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Introduite sous le quinquennat précédent, celle-ci permettait aux experts forestiers d’accéder aux données cadastrales afin de mener à bien leur mission.
Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de solidifier dans notre droit cette expérimentation qui, depuis lors, a été unanimement reconnue comme positive, tandis qu’en parallèle, les experts forestiers en ont demandé la prolongation.
Leur demande est légitime, car ils participent à la protection et à la mise en valeur des bois et des forêts ainsi qu’au reboisement, dans le cadre d’une gestion durable de nos forêts.
En effet, ils doivent faire face à un fort morcellement de la forêt privée française, qui se caractérise par un nombre très important de propriétaires, trop souvent peu, voire mal identifiés. Notre pays, doté de la quatrième surface forestière d’Europe, compte ainsi près de 4 millions de propriétaires qui se partagent 76 % de la surface forestière privée.
Ce morcellement est un frein à la mobilisation de la matière première en France, dans un contexte où la demande est tendue, ainsi qu’au bon entretien de nos forêts. Il rend de fait plus compliqué l’exercice de leur mission par les experts forestiers, qui doivent avoir accès à certaines données pour la mener à bien.
Je salue donc le choix de Mme la rapporteure et du Gouvernement de s’en tenir à la rédaction de 2014, c’est-à-dire d’ouvrir aux experts forestiers, sans limitation du nombre de demandes, l’accès aux données cadastrales des propriétés forestières, dans le périmètre géographique dans lequel ils sont habilités à exercer leur mission d’information.
De fait, les garde-fous qui avaient été mis en place ont été conservés. Le rôle du maire est ainsi préservé, ce dernier devant être notifié lorsqu’une demande a lieu dans sa commune. Quant aux données, elles ne peuvent par la suite être cédées à des tiers. En nous en tenant à la rédaction initiale, nous restons conformes à l’avis rendu par la CNIL à l’occasion du vote du projet de loi d’avenir pour l’agriculture.
Ce texte, en prévoyant l’intervention des experts forestiers tout en maintenant le cadre juridique existant, permet d’apporter une aide aux petits propriétaires dans la lutte contre les conséquences du morcellement de nos forêts. Il évite toutefois de tomber dans une logique privilégiant la seule rentabilité, même si certains grands industriels l’appellent de leurs vœux.
Il s’agit avant tout de protéger nos forêts de prédateurs qui ne voient en elles qu’une opportunité d’exploitation économique, certes nécessaire, mais qui ne doit pas se faire à n’importe quel prix.
Il faudra réfléchir aux solutions que nous pourrons proposer à l’avenir aux territoires dépourvus de grands massifs forestiers, mais qui comptent de nombreuses microparcelles ne faisant, bien souvent, l’objet d’aucun document de gestion.
Les associations de propriétaires qui se créent dans ces territoires, accomplissent très souvent, en collaboration avec des structures locales telles que les parcs naturels régionaux (PNR) ou les pays, un excellent travail pédagogique opérationnel de gestion et d’exploitation de ces espaces. Elles auront sans doute besoin d’être écoutées à l’avenir.
Au cours des décennies écoulées, la forêt a trop souvent été envisagée sous le seul angle du modèle économique ou du patrimoine familial.
De nouveaux usages et de nouvelles utilités sont apparus comme le tourisme, la biodiversité, l’aménagement du territoire ou le changement climatique. Cela entraîne inévitablement l’arrivée de nouveaux acteurs qui peuvent, eux aussi, avoir besoin, pour intervenir utilement, d’accéder à certaines données dont ils ne disposent pas pour l’instant.
Nous devrons sans doute réfléchir à la manière de les intégrer et prévoir d’améliorer le partage des informations, à condition toutefois que celles-ci ne soient pas systématiquement utilisées à des fins commerciales.
À ce stade, restons-en aux dispositions du présent texte. Pour toutes les raisons que j’ai exposées et au nom de la protection de nos forêts, constitutives du patrimoine naturel de la Nation, les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront pour cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Marie Evrard.
Mme Marie Evrard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt a toujours nourri l’imaginaire des rapports de l’homme à la nature. Selon les sociétés, elle occupe une place plus ou moins importante dans les représentations sociales des paysages, que ces derniers soient considérés comme bucoliques, pittoresques ou romantiques.
La culture impressionniste de la fin du XIXe siècle l’a d’ailleurs sublimée. La forêt médiévale resurgit et prend une dimension mythique, sombre et ténébreuse, en double sémantique de l’architecture gothique.
Je pense ainsi à la forêt d’Othe, qui s’étend de Joigny, dans l’Yonne, à Troyes, dans l’Aube, sur 28 000 hectares et qui est encadrée par les vallées de la Vanne, de l’Yonne et de l’Armançon. On l’associe à un pays, le pays d’Othe. Ce site – je vous invite à le découvrir – abrite des sources d’eaux auxquelles on accorde des vertus guérisseuses, voire rédemptrices. Je pense en particulier aux étangs de Saint-Ange à Bussy-en-Othe, une commune de mon canton.
C’est cette représentation enchantée de nos espaces forestiers que nous devons conserver, notamment pour nous y promener, mais pas uniquement.
Outre la beauté de ces paysages si particuliers, la forêt constitue aussi un potentiel économique sous-exploité. Dans ce domaine, notre déficit commercial ne cesse de croître, alors même que la France dispose de la troisième surface forestière d’Europe et de la première place pour ce qui est de la production de chênes. Cela s’explique en partie par la spécialisation de la filière.
La forêt est aussi un enjeu environnemental : par sa fonction de stockage du carbone, elle participe à la lutte contre le réchauffement climatique. En effet, les surfaces boisées stockent le dioxyde de carbone et rafraîchissent l’air. Sous l’effet du soleil, l’eau absorbée par les arbres s’évapore et se transforme en vapeur d’eau. Ainsi des nuages se forment, engendrant de nouvelles précipitations qui freinent l’ardeur du soleil.
Toutefois, cette forêt française que nous chérissons tous pour son potentiel paysager, économique et environnemental se heurte au morcellement extrême de ses parcelles. La grande majorité de la surface forestière française est en effet morcelée entre de nombreux propriétaires privés.
Nous avons souligné, sous le prisme de l’engrillagement à outrance, cette parcellisation à l’extrême de nos forêts et ses conséquences néfastes sur l’environnement, dans la proposition de loi déposée par Jean-Noël Cardoux visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée. Nous espérons, à ce propos, que la navette parlementaire se poursuivra dans un avenir proche.
Plus largement, l’extrême parcellisation du foncier forestier est à la source d’un mauvais entretien des forêts privées et d’une sous-valorisation des bois et forêts. Elle empêche la forêt, en définitive, de remplir pleinement sa vocation environnementale et économique.
Ce texte ne mettra pas fin à la parcellisation et ce n’est pas son objet. Les Assises de la forêt et du bois, dont les conclusions sont attendues prochainement, devraient répondre à ce défi parmi d’autres, à partir d’une vision partagée par l’ensemble des acteurs de la filière forêt-bois.
Cependant, la présente proposition de loi pose une pierre fondatrice pour le renouveau de nos espaces forestiers, en particulier les forêts privées.
Un certain nombre de ces parcelles appartiennent à des propriétaires qui s’ignorent, souvent parce qu’ils ont hérité d’un terrain de quelques ares, désormais laissé à l’abandon.
Concrètement, de nombreux espaces non entretenus sont inexploitables – et je parle aussi bien de la gestion économique du bois que du simple loisir de la promenade – en raison, par exemple, de l’accumulation de chablis.
L’idée du texte qui nous est proposé est de prolonger une expérimentation prévue dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt et qui permet aux experts forestiers d’accéder aux informations cadastrales numériques relatives aux propriétés forestières. Il s’agit d’identifier un ensemble de propriétaires sur un massif forestier, de leur permettre de gérer en commun leurs arbres et de coordonner leurs actions pour aboutir à une gestion plus harmonieuse des forêts.
Nous soutiendrons pleinement cette initiative de bon sens porteuse d’espoir pour nos massifs forestiers. Beaucoup reste à faire pour que notre forêt française soit une force motrice de notre environnement et de notre économie.
Les constats ont été posés, les solutions sont en train d’être mises en œuvre. Relevons ces défis ! En attendant, nous soutiendrons cette proposition de loi. (Mme la rapporteure applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, pérenniser une expérimentation revient à reconnaître l’effet positif que le mécanisme apporte à la vie quotidienne des personnes concernées. C’est une réussite collective que l’on décide d’inscrire dans le long terme.
En l’espèce, il s’agit de faciliter le travail des professionnels forestiers en leur donnant accès aux données nécessaires à l’exercice de leur mission. Plus largement, le dispositif qui nous est proposé permettra aux acteurs de la forêt française de développer une gestion durable de celle-ci.
Le groupe Les Indépendants est mobilisé depuis plusieurs années sur la question de la forêt. Il a d’ailleurs organisé, en novembre 2020, un débat dans cet hémicycle, intitulé : « La forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux. »
Les principaux atouts dont nous disposons grâce à un domaine forestier important ont pu être mis en lumière. Les obstacles auxquels nous devons, et devrons, faire face pour régler les nombreuses problématiques forestières ont aussi été évoqués, aux premiers rangs desquels se trouvent le nombre considérable de propriétaires et l’immense diversité des parcelles.
C’est précisément ce point qui est traité dans la proposition de loi que nous examinons. Je souhaite saluer nos collègues de l’Assemblée nationale et du Sénat qui se sont mobilisés depuis plusieurs années sur ce sujet, ainsi que la rapporteure Anne-Catherine Loisier, dont je connais l’engagement sur les dossiers consacrés à la forêt française et à la filière bois.
Les diverses étapes historiques de ce texte ayant été rappelées, je ne m’attarderai pas à les retracer une nouvelle fois. Elles traduisent le travail de conviction mené par les élus en faveur de nos territoires.
Le dispositif prévu par la proposition de loi a lui aussi été clairement détaillé précédemment ; je me bornerai simplement à évoquer deux sujets majeurs qui me paraissent importants.
Le premier concerne l’avis de la CNIL qui fait dorénavant partie du processus d’adoption du décret. Ce point a été ajouté à l’Assemblée nationale. En plus de mettre en application le dispositif contenu dans la loi, le décret traitera de la liste des données qui seront communiquées aux experts forestiers. Les données sont toujours un sujet sensible, et la CNIL a toute sa place pour faire les recommandations qui s’imposent et pour effectuer un contrôle.
Le second se réfère à l’encadrement très strict, et nécessaire, du périmètre de l’exception au principe du secret professionnel en matière fiscale que constitue l’accès aux données cadastrales.
Cela étant dit, je ferai un point rapide sur la mission des experts forestiers pour lesquels nous demandons la pérennisation de l’expérimentation. En effet, leur travail n’est pas des moindres : il consiste à gérer le domaine forestier français et plus précisément à construire une gestion durable de la forêt.
Cela suppose évidemment de proposer des solutions communes aux multiples propriétés qui dessinent un plus grand ensemble, et donc d’identifier ces dernières. C’est aussi et surtout faire cohabiter des considérations environnementales et économiques : fort heureusement, elles ne sont pas incompatibles, loin de là.
Gérer et entretenir durablement une forêt, c’est par ailleurs créer une filière bois ; c’est aussi développer une exploitation intelligente des ressources en bois qui réponde aux objectifs français en matière de matériaux ; c’est enfin participer à la construction d’une forêt capable de s’adapter et de lutter contre le dérèglement climatique. C’est pourquoi je partage la nécessité de créer un code de bonne conduite de la filière bois et forêt.
Le présent texte est le fruit d’un long travail parlementaire de compromis et d’une expérimentation réussie. Nous soutenons donc la demande d’adoption conforme qui a été proposée. Le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi. (Mme la rapporteure applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cultiver notre forêt est effectivement un élément essentiel. J’ai eu la chance d’être le rapporteur de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi ASAP, dans laquelle figurait ce dispositif sur lequel nous avions obtenu un accord. Je voudrais remercier notre rapporteure Anne-Catherine Loisier du travail qu’elle a réalisé dans un temps record. On ne peut pas encore mesurer l’impact du dispositif, mais il sera significatif pour nos territoires forestiers.
La forêt a besoin de femmes et d’hommes sur le terrain : leur donner, au travers de ce texte, des moyens supplémentaires pour être efficaces sur nos territoires, c’est permettre des améliorations quant au renouvellement, qu’il s’agisse de régénération naturelle ou de replantation, quant à l’observation – nous en avons besoin –, quant à la protection et à l’équilibre sylvo-cynégétique, quant aux aspects sanitaires – je souhaiterais, monsieur le ministre, que l’on embrasse cette question de manière plus volontariste sur certains territoires expérimentaux –, quant à la biodiversité et surtout à la valorisation.
Combien de propriétaires sont capables de dire où est leur parcelle forestière ? Combien de personnes ne savent absolument pas qu’elles sont détentrices de surfaces forestières, et ce dans tous nos massifs ? On sait qu’un gisement important de ressources forestières existe dans les territoires français. Comme l’a indiqué la rapporteure, ce gisement se trouve dans les parcelles de forêt privée.
Anne-Catherine Loisier l’a dit, lorsque j’étais – dans une autre vie ! –, président de la chambre d’agriculture des Vosges, nous avions eu l’audace d’investir dans le cadastre numérisé, peu de temps avant la tempête de 1999. Le département des Vosges a été celui qui a perdu le moins de bois, car nous avons été capables de démêler les arbres enchevêtrés et de retrouver les différents propriétaires. J’insiste sur cet élément, car ce qui est arrivé se reproduira – c’est la vie !
Nous avons aujourd’hui des besoins en matière de construction, d’ameublement, d’isolation, de chimie verte et de biomasse ; or un gisement naturel existe dans nos territoires, et il constitue de plus un véritable poumon d’oxygène. Ce texte, qui pourrait donner l’impression d’être peu important, est absolument significatif car il permet de prendre en compte tous ces enjeux.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué les Assises de la forêt et du bois dont vous allez bientôt présenter les conclusions. J’ai eu la chance de coanimer les assises régionales sur la forêt du Grand Est qui ont permis une appropriation territoriale du sujet. Les experts forestiers étaient présents lors de ces assises ; ce sont des acteurs significatifs de l’action forestière qui sont au service non seulement des propriétaires, mais aussi de l’intérêt général.
Je voudrais dire à notre rapporteure que je partage complètement son avis : il serait nécessaire que nous ayons un code de bonnes pratiques. Monsieur le ministre, cette demande est essentielle pour ne pas assister à des dérives. Un tel code permettra, au contraire, de renforcer le poids, la présence et le rôle, important, des experts forestiers dans la valorisation de notre patrimoine.
Un autre point a été abordé par la commission des affaires économiques, sur lequel nous ne nous attarderons pas car nous souhaitons voter le texte conforme : il s’agit du droit de préférence, sur lequel il vous faudra évoluer, monsieur le ministre. Le voisin d’un propriétaire qui vend une parcelle est prioritaire pour l’acquérir, mais les grands propriétaires sont voisins d’un peu tout le monde, de sorte que les petits propriétaires, voire certaines communes, se trouvent parfois privés de leur capacité d’agrandir leur parcelle ou de mieux l’organiser : il faut leur prêter attention. Je le répète, c’est un sujet sur lequel nous devrons revenir.
On dit souvent que l’arbre cache la forêt. Je conclurai en affirmant que grâce au texte que nous allons voter, c’est notre forêt et toute l’ambition que nous avons pour elle que nous mettrons au grand jour ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’extrême morcellement de la forêt privée, qui représente trois quarts de la surface boisée en France, est un frein important et dommageable à une gestion durable de ces forêts et à la mobilisation d’une ressource en bois respectueuse des écosystèmes.
En ce sens, l’accès des gestionnaires forestiers aux données du cadastre est un des outils pour améliorer l’information des propriétaires forestiers sur les potentialités de leur parcelle.
Les objectifs de recours accru au bois, induit notamment par la réglementation environnementale pour les bâtiments neufs, la RE2020, ne seront pas atteints sans la contribution de nombreux propriétaires forestiers, dans le cadre d’une gestion durable.
Nous voulons cependant faire entendre une voix quelque peu critique s’agissant de la disposition contenue dans ce texte : si accéder à une information forestière permettant de gérer en commun des surfaces plus grandes qu’elles ne le sont aujourd’hui a du sens, la gestion des forêts privées ne doit pas conduire à une gestion exclusivement comptable et à une exploitation intensive, à rebours des objectifs climatiques et de biodiversité et d’une nécessaire conduite résiliente des forêts face aux menaces sanitaires et au réchauffement climatique.
Contrairement à ce qu’indique son intitulé, ce texte permet d’ouvrir l’accès aux données non seulement aux experts forestiers, dont nous ne remettons pas en cause le travail de gestion de la forêt, mais aussi aux coopératives forestières, qui sont souvent porteuses d’un modèle d’industrialisation de la gestion des forêts. Nous avons donc là un point d’alerte.
Comme en agriculture, les coopératives ont connu un phénomène de concentration, ces dernières années, et ont acquis une situation de quasi-monopole pour la gestion et l’exploitation des forêts privées.
Production de plants, conseil et conduite de travaux, commercialisation du bois : les coopératives forestières ont intérêt à préconiser aux propriétaires des coupes rases pour mieux vendre ensuite des travaux de plantation sur lesquels elles se financent.
C’est pourquoi nous craignons qu’en ouvrant à ces acteurs l’accès aux données, on ne favorise une gestion plus industrielle de la forêt. Monsieur le ministre, vous le savez, la forêt est bien plus qu’une simple culture. Nous rejoignons donc les demandes de la rapporteure sur le code de bonnes pratiques commun aux trois familles de gestionnaires concernées. Néanmoins, ce format ne paraît pas assez contraignant.
Pour pouvoir voter ce texte, nous souhaiterions que l’accès aux données du cadastre soit conditionné à des pratiques sylvicoles réellement durables, notamment via une exclusion des coupes rases sur de grandes surfaces, ainsi que celle des replantations monospécifiques qui ont un effet très néfaste sur la biodiversité, les sols, la filtration d’eau et le puits de carbone forestier.
Les coupes rases sur de grandes parcelles doivent être une exception dans la gestion des forêts, en cas d’impasse sanitaire avérée, et non une pratique courante. Il faut encadrer ces procédés, de plus en plus contestés par la société civile et certains élus locaux.
Par ailleurs, le petit foncier forestier ne dispose pas de documents de gestion agréés dont les prescriptions pourraient limiter l’intensité des coupes. Le nouveau droit accordé par cette proposition de loi devrait ainsi avoir pour contrepartie le respect d’un code de bonne gestion, prenant en compte la multifonctionnalité des forêts et conçu avec le concours des professionnels, des élus et de l’ingénierie étatique de l’ONF, comme l’avait souligné le député Dominique Potier.
En conclusion, il est crucial de respecter la multifonctionnalité de la forêt : la production de bois, la forêt loisir, les services écosystémiques, dont le stockage du carbone qui est un enjeu de ce siècle, la régulation du climat par l’évapotranspiration et la préservation de la biodiversité.
Malheureusement, la forêt est aujourd’hui parfois davantage perçue comme un capital, dont on souhaite assurer la capacité à fructifier, que comme un écosystème vivant à préserver.
Oui à une gestion responsable, durable, précautionneuse des forêts, soucieuse des intérêts économiques et aussi de la biodiversité, une gestion s’appuyant sur des pratiques de futaie irrégulière et de régénération naturelle, quand c’est possible !
Comptez sur nous pour continuer de défendre un modèle forestier pratiquant une sylviculture douce, plus résiliente face au changement climatique, et également plus rentable à terme pour les propriétaires que l’exploitation intensive, dont les travaux sont souvent extrêmement coûteux.
« Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent », aurait écrit Chateaubriand. Nous devons chérir nos forêts, pourvoyeuses de richesses et d’aménités : elles produisent l’humus, et donc l’humanité, et elles fertilisent également notre imaginaire. La forêt, c’est l’essence de nos cultures. Il faut absolument la préserver et ne pas la cultiver uniquement dans un esprit de rentabilité.
Nous conditionnerons notre vote aux garanties que le Gouvernement pourra nous apporter sur la question des coupes rases et des plantations monospécifiques, et sur la nécessaire évolution des pratiques forestières.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’un des objectifs de la proposition de loi dont nous débattons est une meilleure connaissance de la propriété forestière privée.
Nous partageons cet objectif. En effet, les trois quarts de la forêt française métropolitaine, soit près de 12,6 millions d’hectares, appartiennent à 3,5 millions de propriétaires. Cela signifie que ce sont des particuliers, des associations ou encore des coopératives qui gèrent eux-mêmes leur forêt, mais cela constitue rarement leur activité principale : 60 % d’entre eux possèdent au moins un hectare de bois et n’en tirent aucun revenu. Les parcelles de moins de 25 hectares, pour lesquelles un plan de gestion n’est pas obligatoire, sont globalement peu gérées, voire pas du tout.
De plus, de nombreux propriétaires forestiers ignorent jusqu’à l’existence de certaines de leurs parcelles. Ainsi, l’éloignement géographique des familles et le manque de connaissances sur le milieu forestier conduisent au délaissement de ces petites forêts.
Si ce morcellement contribue à la diversité de la forêt et la protège des dangers de l’uniformité, notamment des peuplements monoespèces, l’extrême parcellisation du foncier forestier est responsable d’un mauvais entretien des forêts privées et constitue un frein à une gestion raisonnée des espaces forestiers et à la mobilisation du bois.
Or le propriétaire est un acteur fondamental dans la production de l’espace forestier. La connaissance de la forêt privée passe donc par une meilleure connaissance de ses propriétaires.
Cette amélioration de l’identification permettrait, d’une part, une application du droit plus satisfaisante, de préférence au profit des propriétaires forestiers voisins en cas de vente d’une petite parcelle boisée.
D’autre part, elle favoriserait – et c’est l’objet de cette proposition de loi – la mise en gestion, l’entretien et l’exploitation durables des ressources forestières, lesquelles sont caractérisées par le morcellement. Cela contribuerait aussi à développer la production de bois.
Toutefois, cette meilleure connaissance, donc cet accès facilité aux cadastres pour les gestionnaires forestiers privés, doit être soumise non seulement à des critères économiques, mais aussi à des impératifs de bonne gestion, tels que ceux mis en œuvre par l’ONF dans le domaine public.
C’est pourquoi nous partageons pleinement la nécessité rappelée par Mme la rapporteure de mettre en place un code de bonne conduite permettant une protection des données personnelles des propriétaires forestiers et la protection contre le démarchage commercial abusif.
Il nous semble aussi important de rappeler que cette extension d’accès à certaines données fiscales ne doit pas avoir pour conséquence d’affaiblir la biodiversité et la capacité de régénération des forêts. En ce sens, cette connaissance ne doit pas devenir un outil permettant de faciliter les coupes rases et la mal-forestation.
Cet accès ne doit pas non plus entraîner la conversion d’un peuplement de feuillus en une plantation monospécifique, comme on a pu le constater avec la multiplication de la monoculture intensive de sapins de Douglas un peu partout sur le territoire.
En bref, « la forêt qui dort » ne doit pas devenir une usine à bois. Dans le contexte que nous connaissons, où les ressources en bois se raréfient et où les pénuries s’accentuent, nous devons être particulièrement vigilants. On le sait, les arbres sont essentiels dans la lutte contre le changement climatique et ils ne peuvent déployer leurs capacités de stockage de CO2 et de réserve de biodiversité que lorsqu’ils sont partie intégrante d’une forêt en bonne santé, diversifiée et entretenue.
Malgré ces remarques, nous voterons pour cette proposition de loi, qui permet de pérenniser l’expérimentation.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Mme Marta de Cidrac, M. Emmanuel Capus et Mme la rapporteure applaudissent.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant qu’ancien président de la commission spéciale du Sénat chargée de l’examen de la loi ASAP, je me réjouis de l’examen consensuel de la présente proposition de loi.
En effet, ce texte est de bon sens.
Sur la forme, il s’agissait de trouver un véhicule législatif adapté à la suite de la censure par le Conseil constitutionnel d’une disposition considérée comme un cavalier législatif.
Sur le fond, le texte traduit une volonté exprimée par le législateur de pérenniser une mesure ayant fait l’objet d’une expérimentation à la suite de la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014.
En effet, l’ambition de valoriser nos bois et nos forêts est largement partagée au sein de cet hémicycle, et le Sénat peut se targuer d’être avant-gardiste et force de proposition en la matière. Je pense notamment aux travaux du groupe d’études, présidé par Anne-Catherine Loisier, « Forêt et filière bois » en 2019 ou à ceux de la commission des finances sur ladite filière en 2015.
Face à une forêt publique dont l’exploitation est multifonctionnelle, la forêt privée, qui représente - vous le savez – 75 % de notre forêt française, reste quant à elle caractérisée par son extrême morcellement, qui conduit à sa sous-exploitation.
Aujourd’hui, plus de la moitié de la surface forestière privée est dormante. Ce constat n’est évidemment pas nouveau puisque le rapport Méo-Bétolaud de 1978 l’esquissait et aboutissait déjà à la conclusion que les marges de manœuvre de cette filière résidaient dans la forêt privée.
Toutefois, l’identification des 3,3 millions de propriétaires privés reste une difficulté de taille.
Aussi, le présent texte, en permettant aux experts forestiers agréés d’accéder aux informations cadastrales, relève du bon sens.
Une telle mesure permet de sensibiliser lesdits propriétaires et, in fine, de mieux répartir l’effort entre forêt privée et publique. La pérennisation de cette mesure, dont l’expérimentation a été concluante, permettra – j’en suis sûr – un meilleur dialogue entre propriétaires.
Or celui-ci est non seulement nécessaire, mais également salutaire pour préserver la multifonctionnalité forestière et faire face aux nombreux défis et injonctions diverses que connaît la forêt.
J’en citerai trois.
Premièrement, le défi économique est celui d’une plus grande adaptation de l’offre de bois de la forêt publique et des forestiers privés à la demande des marchés, avec un accroissement de la part des résineux, afin de réduire le déficit commercial de la filière.
Deuxièmement, le défi écologique passe par le maintien d’un niveau élevé de biodiversité via une importante variété des peuplements, de bois mort et d’îlots de vieillissement, et l’établissement, ou la poursuite, de pratiques de gestion forestière favorables à la biodiversité.
Troisièmement, le défi sanitaire est très criant dans mon département à la suite de l’épidémie de scolyte qui a causé le dépérissement de 30 000 hectares de peuplements forestiers en France. À cet égard, et symptomatiquement, je suis convaincu qu’une meilleure vision d’ensemble alliant le public et le privé et un meilleur dialogue entre les propriétaires de parcelles voisines, permis par une identification facilitée, pourraient ralentir la diffusion de ces parasites, de surcroît dans un contexte d’épisodes de sécheresse liés au changement climatique.
Aussi, pour toutes ces raisons, le groupe centriste soutiendra naturellement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Mme la rapporteure applaudit.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que la France comptait en 1830 environ 9 millions d’hectares de surface forestière, on estime aujourd’hui que 31 % de la superficie de la métropole est couverte par des forêts, soit 17 millions d’hectares, en progression de 0,6 % par an en moyenne depuis une trentaine d’années, et même de 1,2 % dans ma région, l’Occitanie. Cette proportion place notre pays parmi les plus boisés en Europe.
La forêt française est en évolution constante, à l’image aussi – il faut le rappeler – des modes d’utilisation du bois, en particulier le développement du bois-énergie.
Notre forêt se situe au carrefour de multiples enjeux. Ils sont d’ordre environnemental, bien sûr, dans la mesure où les forêts contribuent fortement au stockage du carbone dans le contexte climatique que nous connaissons.
Ils portent également sur la préservation et le développement de la biodiversité, par la protection des biotopes qu’abritent nos forêts métropolitaines ainsi que celles d’outre-mer, et grâce à la déclinaison gastronomique que permettent les champignons - pensons aux cèpes, girolles, trompettes-de-la-mort et autres oronges et coulemelles ! (Sourires.)
Ils sont encore d’ordre social, dans la mesure où faciliter l’accès aux forêts publiques du plus grand nombre contribue par exemple à déconnecter nos enfants de leurs écrans et à leur ouvrir des activités de loisirs de plein air.
Ils sont de nature patrimoniale et paysagère, comme le dénote la grande diversité des massifs forestiers et des essences présentes sur notre sol.
Enfin, cela a été dit, ils sont d’ordre économique, car on sait que nos forêts restent sous-exploitées et sous-valorisées tandis que certains pays lorgnent sans scrupule ni ménagement sur notre bois dans un contexte mondial de forte spéculation sur les matières premières.
Cela a été rappelé, près de trois quarts des forêts appartiennent aujourd’hui à 3,8 millions de propriétaires privés. La reforestation observée depuis plusieurs décennies a conduit à un morcellement croissant des forêts, puisque près de 2 millions de parcelles font moins d’un hectare et que presque la moitié des parcelles ne disposent pas d’outils de suivi de la gestion forestière.
Les acteurs forestiers ont par conséquent de plus en plus de mal à identifier les propriétaires. Comme l’a dit Daniel Gremillet, les tempêtes récentes ont enchevêtré les arbres et brouillé les limites des parcelles. Cette méconnaissance des propriétaires ralentit évidemment la possibilité d’une exploitation efficace et raisonnée sur le plan économique.
À ce titre, je ne peux que souscrire aux propos de notre rapporteure qui a souligné l’importance du travail de terrain pour assurer une mise en œuvre effective du plan de gestion des forêts et les travaux d’entretien ou de coupe afférents. La matrice cadastrale, dont il est question dans le présent texte au travers du rôle des experts forestiers, en est l’indispensable support.
Notre groupe approuvera donc, bien évidemment, cette proposition de loi qui vient pérenniser un dispositif institué à titre provisoire et expérimental par la loi du 13 octobre 2014.
Plus généralement, je veux souligner que, dans le contexte des Assises de la forêt et du bois en cours, dont nous attendons prochainement les conclusions, l’ONF continue de jouer un rôle fondamental de protection du patrimoine forestier. Je tiens à saluer le travail précieux et considérable effectué par l’ensemble de ses agents. Là encore, l’intervention de la puissance publique a toute sa légitimité pour aider les propriétaires privés à mieux gérer leurs parcelles au travers de l’expertise et de l’information qu’elle peut apporter.
Il faudra bien sûr aller plus loin dans la modernisation de notre patrimoine forestier, sous toutes ses formes.
À l’image de ce qu’a pu être le remembrement agricole, dont nous avons pu certes mesurer les limites sur le plan environnemental, nous attendons désormais de nouveaux outils de regroupement des parcelles forestières, qui iraient plus loin que le droit de préférence ou les bourses aux échanges.
Nous appelons ainsi de nos vœux une politique ambitieuse de planification et de gestion forestières, qui s’inscrirait dans le cadre plus large d’un développement harmonieux des territoires ruraux dont la forêt n’est qu’une des nombreuses richesses. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou.
M. Serge Mérillou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt est à la fois un puits de carbone, un espace de loisirs et une filière économique. Sa gestion et son exploitation constituent des enjeux capitaux dans notre pays.
Trop souvent oubliée des débats, la forêt revêt une immense importance tant elle apporte une réponse pertinente à nombre des défis que nous devons relever.
La proposition de loi que nous examinons vise à pérenniser une habilitation votée dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui permettait aux experts forestiers d’accéder aux données cadastrales afin de mener à bien leur mission. Portée par deux amendements sénatoriaux émanant des groupes socialiste et centriste, cette autorisation leur donnait, pendant trois ans, un droit d’accès aux données cadastrales sans limitation du nombre de demandes, mais restreint au périmètre géographique d’exercice de leur mission.
Dès 2014, nous avions pressenti qu’il était nécessaire de faire une exception au principe du secret fiscal pour ces professionnels, qui concourent notamment à la protection et à la mise en valeur des bois et forêts, à la préservation de la qualité des sols forestiers ou encore au rôle de puits de carbone des forêts.
Le temps nous a donné raison, puisque les experts nous demandent désormais de prolonger ce dispositif, afin de poursuivre leur mission dans de meilleures conditions.
Cela sera chose faite grâce à cette proposition de loi, qui vient pallier l’échec de l’inscription de cette mesure dans la loi ASAP en 2020.
Pourquoi un tel prolongement est-il nécessaire ? Bien qu’elle soit la quatrième forêt d’Europe, la forêt française se caractérise par son morcellement. Le constat est clair : 12 millions d’hectares de forêts privées, 3,8 millions de propriétaires, avec une surface moyenne de 3,4 hectares par propriétaire. Dans mon département, la Dordogne, même scénario : privée à 98 %, la forêt périgourdine est partagée par 90 000 propriétaires, dont 70 000 ne détiennent pas plus de 4 hectares.
Cet émiettement constitue un frein tenace tant à un usage raisonné et durable des richesses de nos forêts qu’à leur entretien. Parmi ces nombreux propriétaires, comme cela a déjà été dit, certains ont parfois même oublié détenir des parcelles et laissent ces dernières à l’abandon ; d’autres n’ont pas les moyens nécessaires à leur entretien, ce qui ne permet pas leur valorisation.
Pis, la négligence des espaces met en péril notre sécurité, en augmentant les risques d’incendie.
Ce manque à gagner à la fois patrimonial, écologique et économique sera, je l’espère, en partie pallié par cette proposition de loi.
Grâce à ce texte, les experts forestiers auront les moyens d’identifier l’ensemble des propriétaires d’un même massif forestier, ce qui permettra une gestion commune et partagée. Les opérations d’entretien et de reboisement seront facilitées et nous pourrons ainsi parvenir à une meilleure connaissance de notre patrimoine forestier et, si nécessaire, à en rationaliser l’exploitation.
Je salue le caractère consensuel du dispositif. Il y va de la pérennité de nos paysages ruraux et de nos modèles agricoles. Il y va aussi de notre sécurité civile, car une forêt mal entretenue peut, dans le contexte du réchauffement climatique, être sensible au feu. Il y va de notre résilience économique et de notre capacité de développement : l’exportation et la destruction de nos forêts à des fins d’exploitation sans état d’âme ne sont décidément pas le modèle que nous défendons si fièrement.
M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les experts forestiers, les gestionnaires forestiers et les organisations de producteurs mènent des actions pour informer les propriétaires des possibilités de valorisation de leurs bois et forêts. Par leurs actions, dans le cadre d’une gestion durable, ils concourent au reboisement, et donc à la fixation et au stockage du dioxyde de carbone.
Toutefois, vous en conviendrez, pour pouvoir informer ce public, encore faut-il identifier les propriétaires de ces parcelles, au moyen de ce qu’on appelle pompeusement la « matrice cadastrale », seul instrument disponible en la matière.
En effet, la forêt française est très morcelée. Cette proposition de loi vise à simplifier l’accès des experts forestiers à ces données cadastrales. En identifiant les propriétaires des forêts privées, les opérateurs pourront proposer d’effectuer l’exploitation de parcelles contiguës qui, prises individuellement, sont souvent trop petites pour être valorisées. Ce morcellement constitue un véritable frein à la production nationale du bois, que cette loi peut contribuer à développer.
Aujourd’hui, le nombre de demandes que les professionnels forestiers ont la possibilité d’adresser à l’administration fiscale est limité. C’est la raison pour laquelle une loi de 2014 avait instauré une habilitation temporaire de trois ans, afin de permettre aux experts forestiers d’accéder sans limitation du nombre de demandes aux informations cadastrales situées dans le périmètre géographique d’exercice de leur mission.
Les experts forestiers ont ainsi temporairement bénéficié d’un accès simplifié à ces données. La fin de cette période d’habilitation n’a pas manqué de souligner l’opacité des propriétés forestières. Chère à notre collègue Daniel Gremillet, la loi d’accélération et de simplification de l’action publique de 2020, dite loi ASAP, entendait résoudre cette problématique en pérennisant cette habilitation, au moyen d’un article adopté par le Parlement. Le Conseil constitutionnel a cependant qualifié cet article de cavalier législatif en décembre 2020, et le dispositif n’a pas été promulgué.
Comme vous l’aurez compris, la proposition de loi vise à pérenniser cette habilitation au sein d’un véhicule législatif approprié, afin de permettre aux experts forestiers, aux organisations de producteurs de secteurs forestiers et aux gestionnaires forestiers professionnels d’avoir accès sans limitation du nombre de demandes aux données cadastrales dans le périmètre géographique d’exercice de leur mission.
Ces acteurs doivent informer le maire des communes concernées de chacune de leurs demandes. Les données communiquées leur permettront de mener des actions à destination des propriétaires identifiés, pour les informer des possibilités de valorisation économique de leurs bois et forêts. Les données recueillies ne peuvent pas être cédées à des tiers. Enfin, comme l’a dit Mme le rapporteur, un décret pris après avis de la CNIL précisera les conditions d’application cette habilitation, ainsi que la liste des données communiquées.
Je tiens à remercier Mme le rapporteur pour la qualité de son travail. Le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Je voudrais simplement compléter mes propos et apporter un élément de réponse à la question de Mme la rapporteure.
Je la remercie de nouveau, ainsi que le député Nicolas Turquois qui a porté cette proposition de loi. Je sais tout le travail que les deux rapporteurs, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, ont accompli pour que ce texte soit présenté. Au regard des différentes prises de parole, il semble recueillir un soutien véritablement transpartisan, ce qui prouve sa totale pertinence.
Je m’engage également à ce que mes équipes appuient la filière dans l’élaboration d’un code de bonnes pratiques pour l’utilisation des données auxquelles cette loi donne accès.
M. Daniel Gremillet. Très bien !
M. Julien Denormandie, ministre. Ces travaux doivent contribuer à veiller à la bonne appropriation par les gestionnaires forestiers des règles fixées dans la loi et dans le décret d’application, ainsi que celles rappelées par la CNIL pour l’usage des données. Je réponds donc favorablement à votre demande, madame la rapporteure. (M. Daniel Gremillet applaudit.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à simplifier l’accès des experts forestiers aux données cadastrales
Article unique
(Non modifié)
I. – Le VII de la section II du chapitre III du titre II du livre des procédures fiscales est complété par un 11° ainsi rédigé :
« 11° : Activités forestières
« Art. L. 166 G. – I. – Les experts forestiers figurant sur la liste mentionnée à l’article L. 171-1 du code rural et de la pêche maritime, les organisations de producteurs du secteur forestier reconnues par l’autorité administrative dans les conditions prévues à l’article L. 551-1 du même code et les gestionnaires forestiers professionnels satisfaisant aux conditions mentionnées à l’article L. 315-1 du code forestier peuvent, sans limitation du nombre de demandes, avoir communication des données cadastrales, notamment des informations mentionnées à l’article L. 107 A du présent livre, relatives aux propriétés inscrites en nature de bois et forêts situées dans le périmètre géographique dans lequel ils sont habilités à exercer leurs missions d’information. Ils informent le maire des communes concernées de chacune de leurs demandes.
« Ces données leur sont communiquées afin de leur permettre de mener des actions d’information à destination des propriétaires identifiés sur les possibilités de valorisation économique de leurs bois et forêts.
« Les données recueillies ne peuvent être cédées à des tiers.
« II. – Un décret publié dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n° … du … visant à simplifier l’accès des experts forestiers aux données cadastrales précise les conditions d’application du présent article ainsi que la liste des données communiquées. Ce décret est pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »
II. – L’article 94 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt est abrogé.
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je souhaiterais rapidement souligner la qualité du travail réalisé par la commission des affaires économiques, en particulier par la rapporteure Mme Loisier. Je félicite l’ensemble des sénateurs pour la qualité de leurs interventions et je vous remercie, monsieur le ministre.
Élu du département forestier des Ardennes, j’ai un attachement particulier pour la forêt. Il y a des forêts domaniales, communales, syndicales, et des forêts privées. La forêt fait partie de notre patrimoine.
La filière bois, chargée de la valorisation du bois, doit tenir compte des évolutions. J’ai été maire d’un village de 170 habitants, dont je suis toujours conseiller municipal ; j’ai vu le morcellement du territoire, la complexité du cadastre. Il est parfois difficile de donner accès aux données et de favoriser l’exploitation forestière, car les intervenants sur ces questions sont nombreux.
Ce texte a le mérite de trouver des solutions, en facilitant l’accès des experts forestiers aux données cadastrales et en sensibilisant de nombreux acteurs dans ce domaine. Comme beaucoup de nos collègues qui sont intervenus, je soutiendrai ce texte.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à simplifier l’accès des experts forestiers aux données cadastrales.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
12
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le président, lors du scrutin n° 104 sur le projet de loi ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l’article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace, M. Bernard Jomier souhaitait non pas voter contre, mais voter pour.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
13
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 21 février 2022 :
À dix-sept heures :
Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021-1605 du 8 décembre 2021 étendant et adaptant à la fonction publique des communes de Polynésie française certaines dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (procédure accélérée ; texte de la commission n° 436, 2021-2022).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures dix.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER