M. Rémy Pointereau. C’est loin !
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. L’État investit à ce titre 800 millions d’euros, dont 450 millions d’euros pour la ligne POLT.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Anglars.
M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le secrétaire d’État, en Occitanie, plus particulièrement dans l’Aveyron, l’État vient de signer deux protocoles d’accord de financement avec plusieurs collectivités territoriales, le premier pour la ligne à grande vitesse Montpellier-Perpignan en 2040, le second pour quinze lignes de desserte fine du territoire, dont Brive-Rodez et Tessonnières-Rodez, certainement à l’horizon de 2030.
Il est heureux, également, que la ligne de nuit Rodez-Paris ne soit pas fermée.
Toutefois, ces constats positifs ne doivent pas masquer l’autre partie de la réalité. En effet, le train de nuit Rodez-Paris est symptomatique de l’état du réseau ferroviaire en France, hors lignes à grande vitesse évidemment, comme plusieurs collègues l’ont indiqué : premièrement, les travaux pour cette ligne s’éternisent et causent des dysfonctionnements qui irritent les usagers ; deuxièmement, le confort des passagers pâtit de l’absence de modernisation des trains. Comme nombre de nos concitoyens, je déplore la lenteur des améliorations sur le terrain.
Monsieur le secrétaire d’État, je tiens à vous féliciter pour la rapidité de la mise en œuvre du train de nuit Paris-Berlin, qui roulera à partir de la fin 2023. Mais ailleurs en France, dans les gares desservies par les petites lignes où les machines automatiques ont remplacé les agents de la SNCF, les usagers devront attendre une dizaine d’années pour voir l’amélioration du réseau.
Une politique ferroviaire ciblée sur les petites lignes aurait permis leur modernisation rapide, d’autant que les problèmes étaient connus. Or vous avez engagé tardivement des rénovations à tous les niveaux, à un horizon si lointain que la cohérence recherchée est introuvable.
Monsieur le secrétaire d’État, en prenant pour exemple l’Aveyron, pouvez-vous essayer de nous convaincre que votre politique ferroviaire s’est parfois intéressée aux petites lignes locales ? Berlin, c’est bien, mais Rodez, c’est bien aussi ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Joël Bigot et Hervé Gillé applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Anglars, vous avez tout à fait raison, Rodez, c’est bien aussi ! (Sourires.)
Je vous ferai d’ailleurs une confidence : je suis sans doute le seul membre du Gouvernement qui s’est rendu en voyage officiel dans l’Aveyron en empruntant le train de nuit Paris-Rodez. Ce fut d’ailleurs une gageure, car, en raison d’un dysfonctionnement du chauffage, il y faisait trop chaud ! (Nouveaux sourires.) J’ai néanmoins tenu à le faire, par militantisme en faveur des trains de nuit.
Le protocole d’accord avec la région Aquitaine que vous citez a été signé la semaine dernière par le Premier ministre. Il concerne seize petites lignes et permettra un investissement d’un montant tout à fait inédit de 774 millions d’euros.
Malheureusement, car ce serait trop simple, cela n’efface pas des décennies de sous-investissement chronique comme d’un coup de baguette magique.
Dans le cadre de France Relance, le Gouvernement a engagé au total 300 millions d’euros pour accélérer les travaux les plus urgents et combler le retard accumulé concernant la régénération du réseau.
Par ailleurs, les dysfonctionnements que vous évoquez sur la ligne de train de nuit Paris-Rodez sont de plusieurs ordres : ils sont liés aux conditions météorologiques, mais aussi à la situation sanitaire, du fait notamment de l’indisponibilité d’agents. Pour ma part, j’ai fait remonter les difficultés que mes services avaient rencontrées pour réserver, ce qui peut aussi être une cause de dysfonctionnement particulière.
Je crois que, depuis lors, les choses se sont bien améliorées. En tout état de cause, soyez assuré que le ministère chargé des transports fait désormais le point régulièrement avec la SNCF sur ce dossier sur lequel, je vous le garantis, nous sommes très vigilants, car l’exaspération des usagers est légitime. Quant à Paris-Berlin, c’est une autre affaire !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le secrétaire d’État, les Auvergnats sont de plus en plus exaspérés face à l’isolement ferroviaire croissant des territoires de l’Auvergne et du Puy-de-Dôme.
Voilà bientôt cinq ans, Mme Élisabeth Borne, alors ministre des transports, nous avait fait des promesses d’amélioration substantielle de nos mobilités et de la ligne de train Paris-Clermont-Ferrand.
Les dysfonctionnements récurrents et intolérables de la ligne devaient être résorbés, afin de la rendre plus rapide. Or la situation n’a pas évolué à la hauteur des attentes du territoire, de ses habitants et de ses forces vives, vous l’avez d’ailleurs souligné tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État.
Des travaux de sécurisation et de modernisation de la ligne sont certes en cours, mais ceux qui sont à prévoir pour 2028 ne sont pas financés et, à terme, le gain de temps de trajet sera minime.
C’est pourquoi, comme l’a suggéré le vice-président chargé des transports du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, il paraît absolument indispensable de reprendre d’étude de la ligne grande vitesse Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon, dite POCL, ainsi que Mme Borne l’avait décidé, afin de désenclaver durablement l’Auvergne et le Massif central.
Depuis les années 1950, les progrès techniques effectués sur les voies et les rames ont permis de réduire les temps de trajet. Durant les soixante dernières années, le rétrécissement de la France par le train à grande vitesse a permis de relier les dix plus grandes villes françaises à Paris en moins de deux heures. Une carte de France isochrone le montre : aujourd’hui, seule la métropole de Clermont-Ferrand, capitale auvergnate, est encore à trois heures vingt de trajet au moins de la capitale française, soit au même niveau que la Côte d’Azur.
Par conséquent, si la sécurisation de la ligne Clermont-Ferrand-Paris se révèle nécessaire, il est également indispensable de mener les études préalables à la réalisation d’une ligne à grande vitesse, qui seule permettra le désenclavement de l’Auvergne et du Massif central. Avec Rémy Pointereau, président de l’association TGV Grand Centre-Auvergne, j’y veillerai tout particulièrement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Boyer, le projet de ligne à grande vitesse Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon répond à un double objectif : pallier la saturation de la ligne à grande vitesse Paris-Lyon et améliorer l’accessibilité de l’Auvergne et du Centre de la France.
Dans son rapport du 1er février 2018, le conseil d’orientation des infrastructures (COI) fixe l’horizon d’engagement des travaux après 2038. En effet, la mise en œuvre, prévue pour 2025, du projet « haute performance grande vitesse Sud-Est » et l’utilisation de deux rames plus capacitaires ont repoussé l’horizon de la saturation de la ligne grande vitesse Paris-Lyon après 2040, reportant l’horizon de pertinence de la réalisation d’une nouvelle LGV.
Dans ce contexte, le Gouvernement s’est fixé comme priorités l’entretien et la modernisation de la ligne Paris-Clermont-Ferrand.
Le schéma directeur prévoit tout de même, je l’indiquais tout à l’heure, un programme de régénération des voies mené par SNCF Réseau d’un montant de 760 millions d’euros en dehors du secteur Île-de-France.
Le contrat de plan État-région prévoit des opérations visant à améliorer la fiabilité et la sécurité de la ligne pour un montant de 45 millions d’euros.
Le renouvellement du matériel roulant, dont l’arrivée est prévue progressivement à partir de la fin 2023, s’élève, pour les trains qui circuleront sur la ligne Paris-Clermont-Ferrand, à 350 millions d’euros.
Enfin, un programme de modernisation d’un montant de 130 millions d’euros, dont les deux tiers sont financés par l’État, dans le cadre d’une convention de cofinancement passée avec la région Auvergne-Rhône-Alpes, est également engagé.
Les études préliminaires qui ont été conduites par SNCF Réseau ont permis de préciser les mesures nécessaires à l’accueil des nouvelles rames à l’horizon de 2024 et à l’amélioration des temps de parcours entre Paris et Clermont-Ferrand à l’horizon de 2026.
Je crois sincèrement que cette ligne, que je connais bien pour l’emprunter souvent, nécessitait des travaux importants, pour améliorer la desserte non seulement de Clermont-Ferrand, mais de toutes les villes intermédiaires – Riom, Moulins, Vichy et Nevers, notamment.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Il était urgent et nécessaire d’adopter une vision plus fine de l’aménagement du territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. François Calvet.
M. François Calvet. Monsieur le secrétaire d’État, vous ne serez pas étonné que je vous interroge sur la politique ferroviaire menée dans les Pyrénées-Orientales, un département qui est particulièrement désavantagé en la matière.
Tout d’abord, je n’ai d’autre choix que de revenir sur le projet de ligne grande vitesse Montpellier-Perpignan, qui se hâte on ne peut plus lentement…
Nous devrions nous réjouir, car il est enfin prévu d’engager des travaux, mais, malheureusement, seulement sur un premier tronçon Montpellier-Béziers, à l’horizon de dix ans, puis sur le second tronçon Béziers-Perpignan, à l’horizon de vingt ans.
Le projet de nouvelle ligne a pourtant été engagé dans les années 1990 : il aura fallu cinquante ans pour construire une ligne de 140 kilomètres, et il faudra au mieux vingt ans pour que cette ligne grande vitesse voie le jour, alors qu’il s’agit d’une véritable urgence pour la ville de Perpignan. Est-ce digne d’une politique nationale ?
Je me dois d’y insister, monsieur le secrétaire d’État, il faut réaliser les travaux en une seule fois.
Je souhaite également aborder la question de l’exploitation de la ligne du Train Rouge, dont la pérennité est menacée par l’état désastreux du tronçon Rivesaltes-Caudiès, soit les trois quarts de la ligne.
Pour assurer la saison touristique de 2021, il a fallu réaliser en urgence des travaux d’un montant de 100 000 euros. La subvention de 1,5 million d’euros qui vient d’être débloquée permettra seulement d’effectuer les travaux nécessaires à l’exploitation de la ligne jusqu’à la fin de l’année, mais pas au-delà.
Les derniers investissements importants sur cette ligne datent de 2011-2012. Je me réjouis donc que le préfet de région ait missionné le préfet des Pyrénées-Orientales pour réunir dans les plus brefs délais un comité de pilotage. Je souhaite toutefois avoir des précisions sur ce qui est prévu pour assurer la pérennité de cette ligne.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Calvet, le projet de ligne nouvelle Montpellier-Perpignan (LNMP) vise à répondre durablement à la demande croissante de mobilité et aux difficultés de congestion rencontrées sur l’axe ferroviaire unique du Languedoc-Roussillon.
Il permettra également de créer un service à haute fréquence le long de l’axe littoral et d’assurer la continuité de la grande vitesse ferroviaire entre la France et Barcelone sur la façade méditerranéenne.
Au bénéfice de tout l’arc méditerranéen, la ligne nouvelle mixte, fret et voyageurs, entre Montpellier et Béziers, réduira de dix-huit minutes le temps de trajet entre Montpellier et Béziers, ainsi que Perpignan, soit près de la moitié des gains de temps de parcours qui sont permis par l’ensemble du projet.
La loi d’orientation des mobilités prévoit la réalisation phasée de la LNMP : dans un premier temps, avant la fin de la décennie, les travaux de réalisation de la liaison mixte, fret et voyageurs, entre Montpellier et Béziers seront engagés, pour un montant d’un peu plus de 2 milliards d’euros ; puis, dans un second temps interviendront ceux de la section Béziers-Perpignan, pour un montant d’un peu moins de 6 milliards d’euros.
La première phase devrait s’achever en 2035 et la seconde en 2045, soit un horizon à 2040, ainsi que vous l’indiquiez.
Souhaitant accélérer la réalisation du calendrier de cette opération tout en assurant la sécurité juridique du dossier, L’État a mené une enquête publique portant sur la section Montpellier-Béziers, qui s’est terminée le 27 janvier.
Lors du comité de pilotage du 2 septembre 2021, les différents cofinanceurs – l’État, la région Occitanie et les collectivités locales – ont donné leur accord de principe sur la répartition des financements pour la réalisation de la section Montpellier-Béziers, l’État et les collectivités participant, à parité, à hauteur de 40 % et l’Union européenne apportant une contribution de l’ordre de 20 %.
Comme pour le GPSO et la LNPCA, ou ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur, la création d’une société de financement dédiée à la LNMP est à l’étude. Sans doute savez-vous déjà, monsieur le sénateur, que le protocole d’intention de financement pour la réalisation de la première phase de la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan a été signé par le Premier ministre le samedi 22 janvier 2022.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État !
Mme la présidente. La parole est à M. François Calvet, pour la réplique.
M. François Calvet. Vous n’avez pas eu le temps de me répondre au sujet du Train Rouge, monsieur le secrétaire d’État…
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Je vous répondrai sur ce point par écrit, monsieur le sénateur.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à remercier chacun des intervenants de ce débat riche et nécessaire.
Comme l’a indiqué notre collègue Philippe Tabarot, nous sommes à une période charnière de mise en œuvre des dernières réformes ferroviaires.
L’ouverture à la concurrence du transport national des voyageurs, que celui-ci soit conventionné ou non, la possibilité pour les régions de reprendre des lignes de desserte fine du territoire, ou encore la signature d’un nouveau contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau sont autant de paramètres qui modifient en profondeur le système ferroviaire national et son modèle économique et qui soulèvent un grand nombre d’interrogations à l’échelon local – certains de mes collègues s’en sont fait les relais, monsieur le secrétaire d’État.
L’étendue des questions qui vous ont été posées, mais aussi leur précision, montre en effet à quel point ce sujet est d’actualité et suscite des inquiétudes légitimes.
Il me semble que ce débat a permis de mettre en lumière quatre points d’attention et de vigilance.
Le premier point qu’il me semble important d’évoquer est l’impact de la crise sanitaire sur le système ferroviaire dans son ensemble et ses potentielles conséquences en matière de desserte de nos territoires.
D’une part, la crise a provoqué des bouleversements dans les comportements des usagers en matière de mobilité dont les effets sont encore incertains à long terme. Nous avons par exemple constaté, Daniel Gueret l’a justement souligné, qu’une partie de nos concitoyens avait choisi, à la faveur du télétravail, de s’éloigner des zones les plus urbanisées. Aux besoins déjà existants en matière de desserte du territoire, il s’en ajoute donc de nouveaux.
D’autre part, cette période a mis en lumière l’importance du train comme levier de décarbonation des transports, premier secteur émetteur de gaz à effet de serre. Le Sénat a joué un rôle moteur pour inscrire dans la loi Climat et résilience du 22 août 2021 les objectifs de développement de la part modale du transport ferroviaire.
Le deuxième point fait consensus : de nombreux orateurs siégeant sur toutes les travées de cet hémicycle et représentant toutes les régions ont regretté que les moyens déployés pour assurer le maillage ferroviaire du territoire soient loin d’être à la hauteur des enjeux et des objectifs en matière de développement de ce mode de transport.
Monsieur le secrétaire d’État, ne transformez pas ces objectifs en incantations et donnez au transport ferroviaire les moyens d’atteindre les ambitions que nous nous sommes fixées ensemble, non pas uniquement dans les grandes agglomérations, mais sur l’ensemble du territoire. Qu’il s’agisse des petites lignes, des trains d’équilibre du territoire (TET), du réseau structurant ou des lignes capillaires dédiées au fret, nous avons pu constater des améliorations, mais, à ce stade, le compte n’y est pas.
Certains de mes collègues ont d’ailleurs rappelé des cas de figure absolument déplorables : par endroits, le réseau ferré est très dégradé, à l’image de celui du sud de l’Aquitaine évoqué par notre collègue Denise Saint-Pé.
À l’heure où les régions envisagent de reprendre l’exploitation d’un certain nombre de petites lignes, un accompagnement financier et un engagement sur le long terme sont absolument indispensables, tant dans le réseau que, parfois, dans le matériel roulant, faute de quoi l’égalité de nos concitoyens devant la mobilité serait significativement affaiblie.
Le troisième point porte sur les discussions conduites actuellement au sujet du contrat de performance entre SNCF Réseau et l’État – nos collègues Philippe Tabarot et Olivier Jacquin l’ont rappelé.
Monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez sans doute compris : nous estimons que ce contrat doit être amendé, afin de sortir d’une stricte vision budgétaire et de définir une stratégie ambitieuse de développement du train sur l’intégralité de notre territoire. Nous espérons que les consultations menées entre les parties prenantes permettront d’ajuster ce projet de contrat, conformément aux avertissements que nous avons formulés au début de l’année.
Le quatrième et dernier point que je souhaitais évoquer devant concerne la vision stratégique ambitieuse que nous appelons de nos vœux.
Les évolutions que j’ai évoquées voilà quelques instants – l’ouverture à la concurrence, la crise sanitaire, ou encore la régénération des petites lignes – emportent des conséquences importantes sur le modèle global du financement du système ferroviaire, qui reposait jusqu’à présent en grande partie sur le TGV. Celui-ci doit être réinterrogé, afin de faire du train un véritable outil au service d’un maillage équilibré du territoire et d’une mobilité durable.
Monsieur le secrétaire d’État chargé de la ruralité, nous comptons sur vous ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et SER.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle politique ferroviaire pour assurer un maillage équilibré du territoire ? »
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
6
Débat sur le suivi des ordonnances
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le suivi des ordonnances.
Monsieur le ministre délégué, madame le président de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances, mesdames, messieurs les présidents de commissions, mes chers collègues, nous nous retrouvons cette après-midi pour débattre, pour la première fois, du suivi des ordonnances prises en application de l’article 38 de la Constitution.
Je salue la présence de Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne, qui répondra, au nom du Gouvernement, aux questions du Sénat.
Ce débat répond à la volonté, exprimée par notre assemblée depuis de nombreuses années, d’encadrer davantage le recours aux ordonnances et d’améliorer leur suivi.
Il fait suite aux préconisations du groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat, adoptées le 25 mars 2021, et à la dernière réforme de notre règlement, qui a consacré l’importance du contrôle des ordonnances par le Parlement : au-delà de ce débat, les rapporteurs de chaque loi sont désormais chargés, je le rappelle, de suivre la publication des ordonnances publiées sur leur fondement.
Le Gouvernement, pour sa part, doit présenter, au début de chaque session ordinaire, un programme prévisionnel de la publication des ordonnances et des demandes d’inscription à l’ordre du jour des textes de ratification.
Pour faciliter le contrôle des ordonnances et de leur ratification, le Sénat rend public, depuis un an maintenant, un suivi hebdomadaire du recours aux ordonnances qui permet à tous les acteurs de la loi, mais aussi aux citoyens, de consulter les chiffres actualisés des habilitations accordées, des ordonnances publiées et des ordonnances qui ont été ratifiées.
Ces chiffres illustrent un recours très soutenu et plutôt banalisé aux ordonnances. L’habitude a été prise de légiférer par ordonnances sur des sujets de moins en moins techniques. En parallèle, la ratification des ordonnances s’est raréfiée, puisque seuls 20 % des ordonnances publiées lors de ce quinquennat ont été à ce jour ratifiés.
Cette raréfaction s’accentue : seulement 10 % des ordonnances publiées ces trois dernières années ont été ratifiés. C’est le niveau le plus bas qui ait jamais été observé.
M. Vincent Éblé. C’est vrai !
M. le président. Ce débat doit nous permettre à la fois de tirer la sonnette d’alarme et d’obtenir des réponses face à une évolution que je juge assez préoccupante pour le Parlement.
Je donne la parole à Mme Pascale Gruny, vice-président chargé du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances, pour nous présenter le bilan de l’année 2021. (Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et M. Rémy Pointereau applaudissent.)
Mme Pascale Gruny, président de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat organise pour la première fois un débat en séance publique sur les ordonnances prises en application de l’article 38 de la Constitution – M. le président vient de le rappeler.
Je me réjouis de la tenue de ce débat, tant les ordonnances se sont multipliées ces dernières années, jusqu’à venir concurrencer la loi comme mode normal d’élaboration des textes à valeur législative.
Monsieur le ministre, vous connaissez la position du Sénat sur la question des ordonnances : celle-ci n’est pas nouvelle, et nous vous alertons régulièrement à ce sujet. J’ai moi-même eu l’occasion de vous faire part de notre préoccupation lors du débat sur l’application des lois l’année dernière.
Personne ici ne nie l’utilité des ordonnances, tant que celles-ci portent sur des sujets techniques, comme les travaux de codification à droit constant. Il est donc acceptable que le Gouvernement sollicite des habilitations à légiférer par ordonnances, dans des proportions raisonnables, et à condition que le Parlement puisse débattre lors de la procédure de ratification.
Toutefois, les ordonnances tendent désormais à constituer un mode normal d’élaboration de la loi. Cette année, malgré les efforts constants du Sénat pour limiter le recours aux ordonnances en supprimant des habilitations ou en réduisant leur périmètre, les chiffres sont alarmants : 90 ordonnances ont été publiées en 2021.
En ne tenant pas compte de l’année 2020, qui, reconnaissons-le, fut exceptionnelle, ce chiffre constitue le record du nombre annuel d’ordonnances publiées sous la Ve République. Il représente également le double de la moyenne annuelle d’ordonnances publiées depuis 2007.
Or seulement 10 ordonnances sont en lien direct avec l’épidémie de covid-19. Contrairement à l’année précédente, le recours élevé aux ordonnances ne se justifie donc pas par la réponse apportée aux conséquences de la crise sanitaire.
Sur l’ensemble du quinquennat, à la date du 1er janvier 2022, nous atteignons le nombre impressionnant de 326 ordonnances publiées, soit presque trois fois plus qu’au même stade du quinquennat 2007-2012 et moitié plus qu’à la même période du quinquennat 2012-2017.
Mes chers collègues, pour vous donner un ordre de grandeur, 90 ordonnances ont été publiées en 2021, alors que 64 lois ont été promulguées. Quelque 58 % des textes intervenant dans le domaine de la loi ont donc été des ordonnances.
Bien qu’une ordonnance n’ait souvent pas une portée équivalente à celle d’une loi, les ordonnances publiées sont chaque année plus nombreuses que les lois promulguées – c’est là une spécificité du quinquennat actuel.
En parallèle, seules 65 ordonnances ont été ratifiées depuis le début du quinquennat, soit moins de 20 % du total des ordonnances publiées.
Comme l’a rappelé le président Larcher, ce pourcentage tombe à 10 % pour les trois dernières années. Et encore ! C’est en partie grâce aux efforts du Sénat, qui a intégré, par la voie d’amendements, des ratifications d’ordonnances.
Ce sont des chiffres que nous ne pouvons que déplorer, en particulier à la suite du revirement récent de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui s’estime compétent pour traiter, à l’occasion de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), des ordonnances non ratifiées dont le délai d’habilitation a expiré.
En résumé, nous assistons à une hausse du recours aux ordonnances et à une chute du taux de ratification. Le Sénat ne peut cautionner une telle évolution.
Monsieur le ministre, lors du débat sur l’application des lois du 2 juin 2021, vous aviez reconnu que les ordonnances étaient devenues un moyen comme un autre de faire la loi. Je me permets de vous citer : « Pour parler franchement, le constat d’une forme de banalisation […] me semble difficile à contester. » Vous expliquiez ensuite cette banalisation par « l’inflation législative » et par le gain de temps qu’offriraient les ordonnances. Vous trouviez des circonstances atténuantes dans la crise liée à la pandémie de covid-19.
Je tiens à vous répondre et à vous interroger sur ces points.
Tout d’abord, le Gouvernement est le principal responsable de l’inflation législative et de l’encombrement de l’ordre du jour !
Par ailleurs, hormis les délais très restreints de certaines habilitations – ce fut le cas pour le premier texte relatif à l’urgence sanitaire, adopté en un mois –, les ordonnances ne permettent pas de gagner de temps. Avant d’être publiée, une ordonnance doit d’abord faire l’objet d’une demande d’habilitation : par définition, le temps de publication d’une ordonnance inclut donc le temps d’adoption de la loi contenant l’habilitation.
Ainsi, hormis les textes financiers, le délai moyen d’adoption d’une loi était de 250 jours lors de la session 2020-2021, tandis que 436 jours étaient nécessaires entre le dépôt d’une demande d’habilitation par le Gouvernement et la publication d’une ordonnance.
Sur le plan sanitaire, nous avons voté les habilitations que vous nous avez demandées en 2020 lors de l’examen des textes relatifs à l’urgence sanitaire.
Certes, nous reconnaissons toujours que les chiffres de l’année 2020 ne sont pas représentatifs. En revanche, l’année 2021 marque à la fois un niveau soutenu de publication d’ordonnances, mais aussi une banalisation du recours aux ordonnances. En comparaison avec l’année 2020, celles-ci ont porté sur des sujets très divers ne présentant pas de liens avec la pandémie de covid-19 : elles auraient très bien pu faire l’objet d’une loi « classique ».
Je pense par exemple à l’ordonnance sur la réforme de la haute fonction publique, ou encore à celle qui portait sur la création de la cinquième branche du régime général de la sécurité sociale, relative à l’autonomie, toutes ordonnances publiées en 2021.
En réalité, ces exemples illustrent que le recours aux ordonnances apparaît davantage comme un moyen de contourner le débat parlementaire que de gagner du temps.
Plus grave encore, le débat peut être bridé par le recours massif aux ordonnances. En effet, chaque habilitation consentie a pour conséquence concrète un dessaisissement du Parlement, puisque ce dernier ne peut légiférer sur le sujet tant que le délai d’habilitation n’est pas expiré, quand bien même l’ordonnance ne serait finalement pas publiée.
J’en viens donc à ma première question : la banalisation du recours aux ordonnances est-elle une méthode d’action pensée, assumée et revendiquée par le Gouvernement ?
Monsieur le ministre, je vous cite une seconde fois, maintenant pour vous interroger sur la politique du Gouvernement en matière de ratification. Lors du débat sur l’application des lois du 2 juin 2021, vous précisiez que « pour ce qui est de la ratification des ordonnances par le Parlement, le Gouvernement s’engage généralement, au moment de la demande d’habilitation et s’agissant de sujets d’intérêt pour les parlementaires, à inscrire à l’ordre du jour le projet de loi de ratification. »
S’il est vrai que, en 2021, l’ensemble des 62 projets de loi de ratification ont été déposés en temps voulu sur le bureau de l’une des deux assemblées, seuls 3, soit moins de 5 %, ont été inscrits à l’ordre du jour par le Gouvernement. Nous sommes donc loin de l’engagement qui a été pris l’année dernière devant nous !
L’absence de ratification pose des problèmes concrets. Au cours des dernières semaines, le Gouvernement a transmis à deux reprises aux assemblées des demandes de désignation dans des organismes extraparlementaires en vertu d’ordonnances non ratifiées. Les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ont refusé d’y donner suite, considérant que le Gouvernement préjugeait ainsi de l’avis du Parlement et que ces saisines étaient donc prématurées.
L’une d’entre elles a même été adressée alors que le projet de loi de ratification de l’ordonnance visant à créer l’organisme mis en cause – à savoir le conseil d’administration de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) – était en cours d’examen. La disposition prévoyant la présence de parlementaires au sein de ce conseil ne figure d’ailleurs plus dans la version finale du texte, qui a été adoptée la semaine dernière. Cette précipitation était donc bien inutile !
J’en arrive à ma seconde question : devant un engagement qui ne semble visiblement pas avoir été tenu, pourriez-vous nous indiquer si – et comment, le cas échéant – la politique du Gouvernement en matière de ratification d’ordonnances a évolué ?
Monsieur le ministre, le Parlement est la voix du peuple. Il ne faut pas la négliger ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Vincent Éblé applaudit également.)