M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président, madame la présidente Pascale Gruny, mesdames, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier Mme Gruny, ainsi que l’ensemble des présidents de commission et les services du Sénat, de leur travail de grande qualité, qui nous permettra d’échanger sur les ordonnances, un sujet particulièrement important et sensible pour le Parlement comme pour l’ensemble de nos concitoyens.
Depuis la dernière réforme de son règlement en 2021, votre assemblée a décidé de mettre en œuvre un suivi systématique de cet outil, prévu à l’article 38 de la Constitution, par lequel le Parlement délègue temporairement au Gouvernement une partie de sa compétence de législateur.
Comme j’avais pu l’indiquer lors de l’une des réunions de la conférence des présidents, le Gouvernement salue avec intérêt cette initiative du Sénat.
Il s’agit du premier débat que nous avons en la matière. Je forme le vœu qu’il soit fructueux et que ce dialogue entre nos institutions soit source d’améliorations, de recherches de bonnes pratiques ou d’évolutions. Je sais que c’est possible si je me réfère au travail sur le contrôle de l’application des lois mené par votre assemblée depuis de nombreuses années. Je ne doute pas que l’utilité de cet exercice de contrôle sera une nouvelle fois démontrée ce soir et permettra de nous améliorer.
Le recours aux ordonnances apparaît souvent comme une nécessité, afin de concilier les contraintes du calendrier parlementaire et les exigences liées à l’élaboration de certaines dispositions législatives particulièrement techniques.
Il n’est pas question pour le Gouvernement de court-circuiter le Parlement : il s’agit d’apporter avec le plus d’efficacité possible une réponse à un problème juridique.
Madame Gruny, vous avez rappelé – d’autres orateurs ne manqueront pas de le faire, j’imagine – le nombre très important d’ordonnances que le Gouvernement a été habilité à prendre sous ce quinquennat, ainsi que les délais d’habilitation et le taux de ratification. Observons ces chiffres avec lucidité, tentons de les comprendre et voyons s’ils reflètent des dysfonctionnements auxquels le Gouvernement peut répondre.
Il est exact d’indiquer que le Gouvernement a pris, depuis deux ans, un nombre record d’ordonnances dans des domaines très variés.
Je tiens à rappeler cependant que la plupart d’entre elles visaient à faire face à l’urgence de la crise sanitaire et à l’impossibilité de réunir le Parlement de manière continue. Celles-ci ont permis, dans un contexte nécessitant une adaptation permanente face à la crise, d’apporter des réponses au plus près des préoccupations de nos concitoyens, alors même que nos administrations, à l’image de nombreux secteurs de notre pays, étaient sous tension.
Comme vous l’avez rappelé, madame Gruny, nous devons garder à l’esprit que cette situation inédite rend difficile, même s’il est nécessaire, tout exercice de comparaison avec les quinquennats précédents. Ainsi, sur les 327 ordonnances prises depuis 2017, quelque 93 d’entre elles étaient liées à la crise sanitaire selon nos calculs.
Si nous mettons cette situation exceptionnelle de côté, le nombre d’ordonnances prises par le Gouvernement s’élève, depuis 2017, à 234 ; certes, ce chiffre est élevé, mais il s’inscrit dans une tendance longue et se situe entre le quinquennat de François Hollande, avec 271 ordonnances, et celui de Nicolas Sarkozy, avec 152 ordonnances.
Ce phénomène va de pair avec une croissance toujours continue du nombre de lois promulguées. On peut dès lors remarquer que, hors conventions internationales, la part des ordonnances dans la production législative s’élève à 53 % sous ce quinquennat, soit un taux supérieur de deux points de plus qu’au cours du quinquennat précédent. Nous sommes donc loin d’une quelconque dérive qui serait propre à ce gouvernement quant au recours aux ordonnances.
Au contraire, loin d’être le signe d’une génération spontanée, le nombre des ordonnances est le symptôme d’une inflation normative continue et généralisée, à laquelle nous devons collectivement réfléchir – nous sommes nombreux à le savoir.
Par-delà les statistiques, qu’il n’est pas toujours aisé de manier entre deux quinquennats – chacun ayant connu leur lot de difficultés, de surprises et de bouleversements –, je souhaite vous redire également que le Gouvernement s’est attaché à transformer les demandes d’habilitation en droit substantiel dès que c’était possible.
Il a ainsi travaillé main dans la main avec le Parlement, en particulier avec le Sénat – je pense par exemple à la loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid-19. La version initiale du texte comportait 4 articles, alors que la loi promulguée en comptait 61 – des habilitations avaient finalement été gravées dans le marbre de la loi.
Il n’est pas aisé de retrouver des chiffres globaux concernant cette pratique. Toutefois, celle-ci permet aux parlementaires, au cours de la navette, de renoncer à se dessaisir de leur compétence en travaillant de concert avec le Gouvernement.
Par ailleurs, j’entends parfois, et ce n’est pas toujours faux, que la législation par ordonnance serait plus lente que le recours à la procédure législative classique – vous l’avez rappelé, madame Gruny. J’entends cette critique et je sais que le Sénat veille à ce que les délais d’application des lois, dont les ordonnances sont parfois un élément important, soient les plus réduits possible.
Dans ce domaine, j’observe que le Gouvernement demeure soucieux de prendre des ordonnances dans un délai inférieur à l’habilitation parlementaire.
Ainsi, nous adoptons les ordonnances plus rapidement que sous les deux quinquennats précédents, en n’utilisant en moyenne que les deux tiers du délai d’habilitation, contre 78 % pour le quinquennat de François Hollande et 82 % pour celui de Nicolas Sarkozy. Le Parlement fixe donc un délai butoir au Gouvernement pour légiférer ; ce dernier essaie de le réduire au mieux pour accélérer la production normative, conformément à son objectif.
J’aborderai enfin la question de la ratification qui a déjà fait l’objet, l’an dernier, de débats entre nous et qui ne manquera pas de susciter de nombreuses remarques aujourd’hui.
Mme Gruny a regretté que le Parlement, et plus particulièrement le Sénat, ne soit pas saisi de projets de loi de ratification des ordonnances prises par le Gouvernement. De manière plus générale, j’entends la critique des parlementaires déplorant d’être privés d’un débat sur les mesures contenues dans les ordonnances.
Je voudrais vous apporter des éléments de réponse à ce sujet. Tout d’abord, il me semble utile d’accorder le temps nécessaire aux débats sur les réformes substantielles et de réserver aux ordonnances les rédactions les plus techniques ou les plus urgentes ; telle est d’ailleurs leur fonction.
Étant donné la densité de l’ordre du jour, il n’est pas toujours possible, ni même souhaitable, d’inscrire de trop nombreux textes dont l’examen ne susciterait pas le plus grand enthousiasme ou les plus grandes controverses.
Au contraire, lorsque des ordonnances sont prises dans des domaines sensibles, qui font l’objet d’une attention particulière des députés et des sénateurs, le Gouvernement s’engage généralement, au moment de la demande d’habilitation, à inscrire à l’ordre du jour du Parlement le projet de loi de ratification. Ce fut le cas pour le texte d’habilitation visant à renforcer le dialogue social – le premier voté sous ce quinquennat –, ou, plus récemment, l’ordonnance relative à la justice pénale des mineurs.
En tout état de cause, le Parlement demeure libre d’inscrire à son ordre du jour, notamment lors des semaines de contrôle, la ratification d’ordonnances dont il souhaite débattre ou amender le contenu.
Bien entendu, le Gouvernement est à sa disposition pour se plier à cet exercice de contrôle de son action. Je remarque toutefois que, sur certains sujets, le Sénat souhaite davantage faire connaître son point de vue que de solliciter une ratification. Je rappelle que le Sénat lui-même avait refusé la ratification de l’ordonnance sur la haute fonction publique, qu’il avait pourtant inscrite à l’ordre du jour.
Le Parlement a donc bien la capacité de ratifier les ordonnances de sa propre initiative et de débattre avec le Gouvernement de toute réforme, y compris celles qui sont mises en œuvre par les ordonnances.
Le problème ne réside pas toujours dans l’acte juridique de ratifier, mais plutôt dans la capacité, dont les chambres disposent, d’inscrire un tel texte de ratification à leur ordre du jour ; l’exercice n’est pas toujours consensuel.
On peut regretter que le Parlement se sente dessaisi de sa prérogative législative, dont je rappelle qu’elle n’intervient qu’après son autorisation, mais après « une année parlementaire de tous les records », pour reprendre les termes du dernier rapport d’activité du Sénat, je ne crois pas qu’il aurait été objectivement envisageable d’inscrire des textes supplémentaires à l’ordre du jour.
Sur ce point, un meilleur dialogue entre le Gouvernement et le Parlement permettrait d’identifier les points de tension qui justifieraient l’examen d’un texte ad hoc ou d’une disposition particulière de ratification. Nous devons réfléchir aux formes que peut revêtir ce dialogue.
Pour conclure, je rappelle que le recours aux ordonnances, prévu dès 1958, est un outil précieux à la disposition du Gouvernement, non seulement pour mettre en œuvre rapidement des réformes techniques nécessaires, mais aussi pour agir vite face à une situation de crise ; le Gouvernement s’en est tenu à cette utilisation.
Ce mode de législation ne saurait en aucun cas remplacer le débat parlementaire, auquel, vous le savez, je suis particulièrement attaché, et qui, bien souvent, permet de mieux définir une habilitation ou d’en restreindre la portée.
Je forme donc le vœu qu’un équilibre soit trouvé entre les attentes des députés et des sénateurs et les nécessités qui s’imposent parfois au Gouvernement ; nous devons également veiller à ne pas surcharger inutilement l’ordre du jour des assemblées.
Notre débat d’aujourd’hui et le travail mené tout au long de l’année par Mme Gruny, ainsi que par le secrétariat général du Gouvernement (SGG), que je tiens à saluer, participent de cet objectif. C’est une première étape et je suis certain que notre débat trouvera la même utilité que le débat annuel sur l’application des lois.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me tiens à présent à votre disposition pour répondre aux présidents des commissions et aux orateurs de chaque groupe.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur peut intervenir pour deux minutes maximum et que le Gouvernement peut, s’il le souhaite, répondre à chaque orateur pour une durée équivalente.
Je vais tout d’abord donner la parole aux représentants des commissions.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le ministre, le constat dressé par notre collègue Pascale Gruny sur le recours aux ordonnances est éloquent.
Comme vous le savez, nous n’aimons pas beaucoup les ordonnances, qui dessaisissent le Parlement. Celles-ci ne permettent pas d’aller plus vite et donnent souvent l’impression de soustraire le débat à la représentation nationale.
C’est pourquoi notre commission a été particulièrement vigilante sur la réforme particulière du code minier par voie d’ordonnance, lors de l’examen de la loi Climat et résilience l’été dernier.
Dire que cette réforme, à la fois technique et sensible, était attendue est un euphémisme. À l’heure où la souveraineté minière apparaît plus que jamais comme une nécessité, notre commission a souhaité que le Parlement prenne toute sa part à ce travail.
Je saisis donc l’occasion de ce débat pour vous demander un point d’étape sur l’avancée de cette réforme.
Sur l’initiative de Daniel Gremillet, plusieurs dispositions, initialement renvoyées dans l’ordonnance, ont été inscrites dans le marbre de la loi. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer qu’il s’agit bien là d’un acquis et que le travail du législateur sera non pas modifié, voire dénaturé, par les autres ordonnances, mais complété ?
Le Sénat avait par ailleurs souhaité que les parties prenantes soient associées au mieux à l’élaboration des ordonnances : où en est-on sur ce point ?
Enfin, lors de la réunion de la commission mixte paritaire, le délai d’habilitation a été ramené à quinze mois, le Gouvernement ayant d’ailleurs indiqué que l’entrée en vigueur du nouveau code minier d’ici à la fin de l’actuelle législature constituerait une garantie pour la réforme engagée. Étant donné que le calendrier est de plus en plus serré, je voulais savoir si ces délais seront tenus.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Madame la présidente Primas, vous m’interrogez sur la réforme du code minier par voie d’ordonnance. Celle-ci avait été inscrite dans la loi Climat et résilience examinée l’été dernier – je me souviens des discussions que nous avions eues à l’époque. Vous soulignez que cette réforme est très attendue et revêt une importance stratégique pour notre pays.
L’article 81 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets habilite le Gouvernement à réformer le modèle minier.
Le Gouvernement dispose de trente mesures d’habilitation qui expirent le 21 novembre 2022. La rédaction des textes portant réforme du code est en cours de finalisation. Le lancement des consultations obligatoires, notamment celles du public, du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) et des collectivités d’outre-mer, est imminent.
Je tiens à vous rassurer : les dispositions de ces textes ne remettront pas en cause les éléments insérés dans la loi sur l’initiative du rapporteur de la commission des affaires économiques. Elles seront simplement complétées en respectant le cadre strict des articles d’habilitation ayant été adoptés.
En outre, l’ensemble des parties prenantes ont été étroitement associées à l’élaboration des ordonnances. Le projet de réforme du code minier a ainsi été présenté aux acteurs à douze occasions depuis le mois d’octobre 2021 par la direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGLAN), sous l’égide du ministère de la transition écologique et du ministère de l’économie.
Par ailleurs, une réunion d’échanges avec les parlementaires s’est tenue le 17 novembre 2021 et une seconde réunion dédiée à la Guyane a été organisée le 19 novembre 2021. Une réunion interministérielle s’est encore tenue hier : soyez assurée que le Gouvernement met tout en œuvre pour que cette réforme tant attendue voie le jour dans les meilleures conditions et dans les délais qui étaient impartis.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.
M. Olivier Cigolotti, vice-président de la commission des affaires étrangères, en remplacement de M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, les textes législatifs présentés par le Gouvernement et votés par le Parlement, qui touchent aux secteurs de compétence de notre commission, déterminent en profondeur l’action menée par nos armées et par notre réseau diplomatique à travers le monde.
C’est la raison pour laquelle il est essentiel que, quand ces lois habilitent le Gouvernement à légiférer par ordonnances, le Parlement soit à nouveau consulté et puisse exprimer sa position sur des sujets dont les conséquences sur le long terme se révèlent souvent structurantes.
À ce titre, monsieur le ministre, nous regrettons que le projet de ratification des quatre ordonnances prévues par l’article 30 de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire (LPM) pour les années 2019 à 2025 n’ait toujours pas fait l’objet d’une inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Alors même que l’esprit de la LPM est d’associer la représentation nationale, nous regrettons la suspension du processus législatif sur des sujets aussi importants que la reconversion dans la fonction publique de nos anciens militaires ou l’extension du congé du blessé aux combattants engagés dans des missions sur le territoire national.
Par ailleurs, mes chers collègues, sur un autre sujet dont chacun de nous mesure l’importance, nous regrettons le choix qui a été fait de ne pas associer la représentation nationale au travail d’adaptation de notre droit pour tenir compte du Brexit.
Alors même que le Sénat a développé une expertise réelle sur ce sujet grâce au groupe de suivi coprésidé par les présidents Christian Cambon et Jean-François Rapin, pourquoi ne pas associer le Parlement ?
Enfin, le projet de loi ratifiant diverses ordonnances tirant les conséquences du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, déposé à l’Assemblée nationale dès le mois de février 2021, n’a jamais été débattu, ce qui laisse peu d’espoir quant à l’examen de ce texte par notre assemblée.
En conclusion, monsieur le ministre, notre commission salue le renforcement du suivi des ordonnances engagé par le bureau du Sénat. Nous appelons simplement le Gouvernement à inscrire systématiquement ces projets de loi de ratification à l’ordre du jour des assemblées, pour nous permettre de tenir un débat contradictoire sur des décisions importantes.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur Cigolotti, vous m’interrogez – M. le président Cambon nous a également alertés sur le sujet – sur deux séries d’ordonnances prises en vertu d’habilitations que votre commission a examinées durant ce quinquennat.
Comme vous l’avez souligné, il s’agit effectivement de sujets d’importance, puisque ces ordonnances ont trait à la programmation militaire et au Brexit.
S’agissant de ce second sujet, le Brexit donc, je garde en mémoire, pour avoir représenté le Gouvernement lors de l’examen de ce texte, des débats importants qui ont eu lieu à l’époque, tant sur le fond que sur la forme.
Partant d’un texte initial prévoyant une habilitation à légiférer par ordonnances de trente mois, ce qui nous amenait au-delà de l’élection présidentielle – ce point nous avait d’ailleurs été signalé –, la commission mixte paritaire a abouti à une rédaction limitant cette délégation à douze mois.
Je tiens à rappeler que cette évolution était le fruit d’une négociation et d’un dialogue tout à fait légitimes, entre le Gouvernement, les députés et les sénateurs, chacun convenant qu’un compromis pouvait et devait être trouvé. J’ajoute que le Sénat a par ailleurs adopté, après un débat fourni, l’essentiel du texte d’habilitation.
Même si j’entends vos regrets concernant l’absence de ratification, je crois que le débat a pu avoir lieu sur ce sujet, y compris d’ailleurs sur le recours aux ordonnances.
S’agissant de votre premier sujet d’interpellation, je sais que votre commission est très attachée au suivi de la mise en œuvre de la loi de programmation militaire, particulièrement dans la période de fortes tensions internationales que nous connaissons.
Je comprends que ce n’est pas tellement la méthode, autrement dit le recours aux ordonnances, qui semble poser une difficulté, puisque votre commission en avait adopté le principe, conformément au texte de l’Assemblée nationale, mais, là encore, l’absence de débat parlementaire ultérieur, problème que j’ai abordé tout à l’heure. Votre question s’inscrit donc dans la suite de mon propos introductif.
Il semble nécessaire que le Gouvernement et le Sénat puissent mener un travail de concertation, afin d’identifier les textes de ratification dont votre assemblée souhaite débattre. Je vois mal comment on pourrait le faire pour tous les textes, mais nous pourrions au moins distinguer les textes dont le Sénat, ou l’Assemblée nationale éventuellement, pourrait débattre.
S’il semble difficile de compléter l’ordre du jour à l’infini, nous pourrions tirer les enseignements du travail de suivi des ordonnances – c’est toute l’utilité, me semble-t-il, de ce premier exercice –, afin de mieux anticiper les ratifications considérées comme nécessaires par votre assemblée.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Deux ans et cinq mois : c’est le temps qu’il aura fallu au Gouvernement pour prendre l’ordonnance n° 2021-611 du 19 mai 2021 relative aux services aux familles, une période pendant laquelle le Parlement a été dépossédé d’un sujet pourtant peu technique et qui intéresse le Sénat au titre des compétences dont disposent les collectivités territoriales sur les modes d’accueil de la petite enfance.
Rappelons que cette ordonnance a été prise sur le fondement de l’article 99 de la loi 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi ASAP.
Cette habilitation du Gouvernement par la loi ASAP, pour une durée de six mois à compter de la promulgation de la loi, résulte de l’incapacité du Gouvernement à publier l’ordonnance dans le délai de dix-huit mois à compter de la publication de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite loi Essoc, dont l’article 50 prévoyait déjà une habilitation.
Au-delà de la question du délai de publication, cette ordonnance s’est caractérisée par une forme d’habilitation rechargeable, prise à titre conservatoire ou de précaution, que nous voyons malheureusement trop souvent.
L’étude d’impact de la loi ASAP indiquait qu’un projet d’ordonnance avait été établi dès l’automne 2019, mais que des concertations avaient mis en évidence le besoin de prendre des dispositions complémentaires.
Selon les termes de cette étude d’impact, il apparaissait « opportun de laisser la possibilité de compléter le projet d’ordonnance préparé en 2019 par d’autres mesures d’ordre législatif qui pourraient être proposées à l’issue de la réflexion lancée à la demande du président sur les “mille premiers jours” et au terme de la mission en cours de l’Inspection générale des affaires sociales sur l’évolution des missions des services de la protection maternelle et infantile en matière d’accueil du jeune enfant. »
L’habilitation retenue dans la loi ASAP est donc plus large que celle de la loi Essoc. Le Sénat avait supprimé tant l’article 50 de la loi Essoc que l’article 99 de la loi ASAP en première lecture. Force est de constater que la suite des événements lui a donné raison.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Madame la présidente Deroche, vous m’interrogez sur l’ordonnance du 19 mai 2021 relative aux services aux familles.
Cette ordonnance prise dans le cadre de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi ASAP, vise à faciliter l’implantation, le maintien et le développement des services aux familles, notamment en matière d’accueil du jeune enfant et de soutien à la parentalité.
Le délai d’habilitation était de six mois à compter de la publication de la loi et expirait donc le 7 juin 2021. Cette ordonnance a nécessité des consultations, non seulement avec des acteurs de la société civile, mais aussi avec des commissions consultatives, ainsi que des collectivités. Ces consultations se sont terminées à la fin du mois de mars 2021, et le Conseil d’État a été saisi rapidement après, le 19 avril 2021 exactement.
L’ordonnance a été publiée au Journal officiel le 20 mai 2021, c’est-à-dire avant l’expiration du délai de rigueur. Le projet de loi de ratification de l’ordonnance a ensuite été déposé sur le bureau des assemblées le 13 juillet suivant.
Je vous précise que l’ordonnance est désormais appliquée à 90 %. Seul un décret d’application reste à publier, celui qui concerne les modalités d’application de l’article 9 de l’ordonnance relatif à la possibilité pour les autorités compétentes d’organiser leur coopération en matière de services aux familles, en vue de favoriser le développement des services aux familles au niveau d’un département, d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’une commune.
Ce texte réglementaire est en cours de finalisation. Il est prévu qu’il soit transmis pour consultation obligatoire en ce début d’année 2022.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat est l’occasion de rappeler à quel point le recours aux ordonnances est fréquent, alors même que l’on constate que le Gouvernement ne prend pas toujours les ordonnances par lesquelles il a pourtant demandé au Parlement de se dessaisir de son champ de compétences.
Je citerai un exemple de ce que l’on pourrait qualifier d’« habilitation de confort » dans le domaine des transports : l’ordonnance prévue à l’article 83 de la loi d’orientation des mobilités (LOM) visant à définir les conditions de prise en charge par l’employeur de certains frais de transport n’a toujours pas été publiée.
L’an dernier, il nous avait été répondu que l’opportunité de recourir à une ordonnance serait évaluée sur le fondement d’un bilan et du baromètre du forfait mobilités durables. Comment le Gouvernement peut-il demander au Parlement de prendre des mesures entrant dans le domaine de la loi pour engager des réformes dont il n’a même pas pris le soin d’évaluer l’opportunité ?
Cette pratique contribue à déposséder le législateur de sa compétence. Elle m’inspire une interrogation : pourquoi ne pas faire davantage confiance au Parlement et aux parlementaires ? Est-ce une question de temps ou d’agenda médiatique ?
Plusieurs exemples montrent pourtant que, lorsque le Gouvernement joue le jeu du travail parlementaire, nous pouvons aller plus vite et faire mieux.
Je citerai trois exemples tirés de la loi Climat et résilience. Le premier concerne la réforme du code minier ; le deuxième, l’adaptation des territoires littoraux au changement climatique et le recul du trait de côte ; le troisième, la création du bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels.
La rédaction d’un projet de loi autonome pour au moins deux de ces trois sujets nous aurait permis de mieux travailler et de prendre le temps de la discussion avec l’ensemble des parties prenantes.
Récemment, nous avons encore pu voir l’importance de l’étape de la ratification parlementaire des ordonnances, à l’instar de l’examen du projet de loi ratifiant l’ordonnance relative à l’instauration d’une taxe sur le transport routier de marchandises en Alsace, qui a permis d’en améliorer significativement le contenu, à la grande satisfaction des élus alsaciens. Cette démarche reste trop rare.
En conclusion, j’insisterai sur deux points : la nécessité d’une plus grande confiance entre le Gouvernement et le Parlement et l’importance de la sérénité du travail parlementaire avec le Gouvernement.