Mme le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de la prochaine réunion du Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement se pencheront sur la préparation du sixième sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine. Il s’agira d’un rendez-vous important, notamment pour progresser sur la voie d’un partenariat économique renouvelé, à la fois plus robuste et plus équilibré.
En effet, un changement de paradigme est désormais nécessaire pour dépasser la seule logique de l’aide au développement et favoriser les investissements, en particulier dans les compétences, la croissance des entreprises et, plus largement, la transformation déjà amorcée des économies africaines.
Ce sommet sera également l’occasion d’aborder la crise sanitaire. En tant que président du groupe sénatorial d’amitié France-Afrique de l’Ouest, j’ai pu constater, lors d’un récent déplacement au Bénin et au Togo, que, si l’Afrique demeure relativement épargnée par rapport à d’autres régions du monde, la covid-19 y a néanmoins des répercussions fortes, qui font peser de nombreuses incertitudes sur sa stabilité et sa prospérité.
Or, pas plus en Afrique qu’en Europe, il n’existe de solution miracle et la vaccination massive demeure le moyen le plus sûr de vaincre le virus.
Dans cette optique, la Commission européenne et les États membres se sont mobilisés pour conforter la réponse africaine à la crise. Un nouvel appui financier d’au moins 1 milliard d’euros a ainsi été annoncé au mois de mai dernier pour soutenir le développement des capacités sanitaires africaines, la fabrication locale de vaccins et la planification logistique des campagnes de déploiement.
Par ailleurs, dans le cadre de l’initiative Covax, 700 millions de vaccins ont été promis d’ici au milieu de l’année prochaine aux pays à revenu faible ou intermédiaire. Néanmoins, seules 100 millions de doses ont été fournies à ce jour. Il nous faut donc intensifier nos efforts. Le défi est considérable puisque, aujourd’hui, la proportion de la population africaine vaccinée reste extrêmement faible et s’établit, à de rares exceptions près, bien en deçà de 10 %.
Réduire cette fracture vaccinale croissante est une obligation morale, mais ne perdons pas de vue que cette solidarité va aussi dans le sens de notre propre intérêt, puisque nous voyons bien, avec le variant omicron, qui est apparu en Afrique du Sud et qui gagne désormais nos latitudes, que, tant que l’humanité entière ne sera pas aussi bien protégée que possible, notre continent demeurera lui aussi vulnérable.
Autre sujet pour lequel une coopération euro-africaine plus étroite et plus efficace est incontournable : la gestion des flux migratoires, sujet qui sera également au cœur des discussions du prochain sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine. Ce dernier devra notamment permettre de progresser en vue de l’élaboration d’un cadre commun pour la migration et la mobilité, qui comprendra lui-même des programmes de retour, de réadmission et de réintégration.
Je souhaite insister sur cet aspect, car la mise en œuvre de retours efficaces est une composante fondamentale de la crédibilité d’une politique migratoire européenne, qui a par ailleurs toutes les peines du monde à voir le jour.
Or les résultats en la matière, sévèrement épinglés par la Cour des comptes européenne, sont – il faut le dire – catastrophiques. À peine 29 % des personnes qui se voient délivrer chaque année l’ordre de quitter le territoire de l’Union regagnent effectivement leur pays ; cette proportion tombe même à 19 % si l’on exclut du calcul les ressortissants des Balkans occidentaux. Le signal envoyé est délétère…
Une fermeté accrue dans notre dialogue avec les pays d’origine est donc indispensable. Cela étant, dans ce contexte, une voie encore peu empruntée mériterait de l’être davantage : celle des retours volontaires. En effet, les retours sont plus efficaces et moins coûteux quand ils peuvent se dérouler sur une base volontaire et s’accompagner de véritables chances de réintégration.
Pour des raisons évidentes, cette option ne pourra pas concerner tous les migrants éloignés. Néanmoins, on pourrait y avoir recours plus largement. À cet égard, la stratégie présentée par la Commission européenne en avril dernier, qui charge notamment Frontex d’assister les États membres dans le développement de l’aide au retour volontaire, est une bonne base de départ.
Toutefois, si les initiatives envisagées vont dans le bon sens, le programme européen reste flou concernant la prise en charge financière de l’aide au retour et, surtout, les incitations concrètes, financières ou non, qui pourraient encourager les pays d’origine à s’engager véritablement dans un processus de réadmission et de réintégration.
Plusieurs options sont actuellement étudiées, mais il faudra, en tout état de cause, avancer avec nos partenaires africains sur ce dossier, si nous voulons une politique européenne de retour enfin efficace et durable.
Pour conclure, je souhaite aborder un dernier axe majeur du prochain sommet Europe-Afrique, à savoir l’indispensable coopération sécuritaire, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Avec les opérations Serval puis Barkhane, la France est en première ligne de ce combat depuis maintenant près de neuf ans. Elle est en première ligne, mais surtout bien seule et, de surcroît, en butte à une défiance croissante des populations locales, parfois instrumentalisées par tous ceux qui ont un intérêt à l’effacement de la France dans cette région.
M. Guillaume Chevrollier. Tout à fait !
M. André Reichardt. La prise en charge de la lutte contre les groupes djihadistes par les pays de la bande sahélo-saharienne reste, malgré les efforts de ces pays et la formation du G5 Sahel, bien en deçà de ce qui serait nécessaire.
Quant au groupement européen de forces spéciales Takuba, il a certes le mérite d’exister, mais ses effectifs demeurent bien trop limités pour produire des effets opérationnels significatifs. Avec la refonte du dispositif militaire français, la task force est appelée à tenir un rôle plus important. Il est indispensable que cette montée en puissance se confirme et que davantage de pays européens y contribuent à la fois en hommes et en matériel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors d’un précédent débat, voilà quelques semaines, je vous présentais les propositions que ma collègue Florence Blatrix Contat et moi-même avions élaborées pour améliorer le DMA, au terme d’un travail qui nous avait été confié par la commission des affaires européennes.
Certes, la stratégie numérique de l’Union européenne n’est pas, à proprement parler, inscrite à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil, mais je veux tout de même profiter de l’occasion pour revenir sur cette question à quelques semaines de la PFUE.
Monsieur le secrétaire d’État, sachez que la proposition de résolution européenne sur le DMA que nous avions déposée en octobre dernier est devenue résolution du Sénat le 12 novembre dernier. Sachez aussi que, pas plus tard que cet après-midi, la commission des affaires européennes a adopté une nouvelle proposition de résolution européenne, relative cette fois-ci au DSA.
Je veux rappeler à quel point il est urgent d’agir malgré les progrès technologiques considérables accomplis ces vingt dernières années. En effet, les plateformes numériques n’ont pas démontré leur capacité – ni, surtout, leur volonté – de trouver des solutions permettant de résoudre les graves dysfonctionnements qui les caractérisent désormais. En réalité, elles ont même démontré tout le contraire, comme l’ont bien mis en évidence les révélations de la lanceuse d’alerte Frances Haugen, que nous avons entendue en audition au Sénat, le 10 novembre dernier.
Les projets de règlement DSA et DMA constituent sans conteste une avancée. Je pense en particulier au montant des amendes qui pourront être infligées aux opérateurs en cas d’infraction au règlement européen, qui pourra atteindre jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires. Nous espérons que cette disposition sera dissuasive.
Toutefois, au-delà des déclarations, nous devons nous donner les moyens de faire respecter le futur règlement européen. Au vu des dysfonctionnements du mécanisme des autorités chefs de file, prévu par le règlement général sur la protection des données (RGPD), et du manque d’empressement de certaines autorités nationales à le mettre en œuvre, nous sommes favorables à ce que la Commission dispose d’une compétence exclusive concernant ces très grandes plateformes, comme le prévoit du reste le dernier compromis obtenu au Conseil, sur l’initiative de la France.
Il faudra aussi s’assurer que la Commission dispose des moyens humains et techniques suffisants pour exercer ces nouvelles missions.
Enfin, les autorités nationales de régulation – y compris celles des pays de destination –, qui ont des compétences sectorielles et une bonne connaissance de l’écosystème numérique local, doivent elles-mêmes être dotées de moyens suffisants et être mieux associées au travail d’enquête et de contrôle de la Commission.
Surtout, monsieur le secrétaire d’État, il faut que les plateformes cessent d’être des « boîtes noires ». (M. le secrétaire d’État acquiesce.) Le DSA prévoit d’importantes avancées en matière d’accès aux données à la fois pour les autorités de régulation et les chercheurs, mais les critères et les modalités d’accès doivent absolument être élargis, pour faciliter la participation de chercheurs indépendants et la détection et l’évaluation de tous les types de risques, selon des protocoles établis par les chercheurs et les régulateurs, et non par les plateformes elles-mêmes.
Ces dernières ne devraient pas non plus pouvoir opposer le secret des affaires aux autorités de régulation et aux chercheurs agréés par ces autorités. En effet, bien qu’étant des acteurs privés, ces grandes plateformes sont devenues des quasi-infrastructures publiques, ce qui justifierait de nouveaux modes de régulation, adaptés aux caractéristiques propres à l’espace en ligne.
L’espace en ligne n’est pas identique à l’espace public dans le monde réel, car il est déformé par l’amplification algorithmique. La lutte contre les propos illicites devrait donc s’accompagner de mesures visant à lutter spécifiquement contre leur viralité. En d’autres termes, il faut encadrer les modalités de diffusion, le « freedom of reach », comme disent les Anglo-Saxons, plutôt que les contenus eux-mêmes, le « freedom of speech ». Surtout, ne nous laissons pas enfermer dans le piège qui consiste à dire qu’il faut s’attaquer aux contenus, et ce au détriment de la liberté d’expression.
En sélectionnant et en classant les contenus, en en déterminant la présentation et en augmentant la visibilité de certains d’entre eux au détriment d’autres, les plateformes, par le biais des algorithmes, jouent bien un rôle actif. J’appelle donc une nouvelle fois à une véritable réforme du régime européen de responsabilité des hébergeurs, afin de prendre en compte ce paramètre. Je rappelle d’ailleurs que le Sénat l’avait appelé de ses vœux dans sa résolution européenne du 30 novembre 2018 sur la responsabilisation partielle des hébergeurs de contenus numériques.
De ce point de vue, le DSA manque cruellement d’ambition. Or il faut avoir conscience que la réglementation numérique ne sera sans doute pas refondue avant de longues années. En conséquence, il nous faut dès à présent réfléchir à un règlement robuste face aux évolutions prévisibles des technologies et aux nouveaux services numériques.
Il faudra par ailleurs, si le DSA ne comporte aucune mesure en ce sens, que la future législation européenne sur l’intelligence artificielle prévoie des dispositions fortes en matière de sécurité et d’éthique pour réguler les algorithmes des plateformes, et ce dès leur conception ; c’est ce que j’appelle le legacy et le safety by design. Les algorithmes de l’intelligence artificielle devraient également faire régulièrement l’objet d’un audit par des tiers.
Monsieur le secrétaire d’État, nous observons une prise de conscience à l’échelle mondiale de la nécessité de réformer le régime de responsabilité des plateformes. Même aux États-Unis, après des années de laisser-faire, on envisage sérieusement de restreindre le champ d’application de la fameuse section 230 du Communications Decency Act.
Dans ce contexte, il est primordial que l’Europe légifère la première, selon ses valeurs et ses principes, pour fixer un « étalon-or » mondial, selon l’expression de France Haugen devant le Parlement européen. Ainsi, nous serons capables d’inspirer d’autres pays.
Même si les trilogues qui devraient être lancés en janvier s’annoncent difficiles, nous espérons toujours que le DSA sera adopté lors de la présidence française de l’Union européenne.
Je souhaite maintenant évoquer un second sujet, celui de la nécessaire politique industrielle qui doit accompagner l’évolution de la réglementation.
Je m’interroge, monsieur le secrétaire d’État, sur les récentes décisions qui nous ont conduits à renoncer au cloud souverain au profit du cloud dit « de confiance », lequel incite nos entreprises et nos administrations à contractualiser avec les Gafam, au motif qu’il n’y aurait pas d’entreprises françaises ou européennes capables de gérer et de traiter nos données. À ce stade, il s’agit, me semble-t-il, d’une aberration stratégique.
Par ailleurs, je m’interroge également sur ce que j’appelle le « fiasco du projet Gaïa-X ». N’est-il pas temps de débrancher ce programme qui, au dire des industriels français qui y participaient, est aujourd’hui gangréné de l’intérieur par les Gafam ? En effet, la participation des géants américains et, maintenant, de Huawei, donc des Chinois, rend complètement illisible cette initiative, qui devait reposer à l’origine sur le développement des technologies européennes. Nous vivons cet échec comme une espèce d’abdication technologique.
Je tenais donc vraiment à vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur deux dossiers qui me semblent tout à fait essentiels et stratégiques, à un moment où l’Europe est justement en train de légiférer et, en tout cas, de réfléchir à de nouveaux règlements européens.
Mme le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Madame le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, faut-il espérer que l’Union européenne soit le cadre cohérent et adapté pour garantir notre souveraineté collective et une autonomie stratégique réelle, particulièrement dans les domaines clefs qui vont contribuer à la prospérité de nos peuples ?
Mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et moi-même considérons que tel doit être le véritable enjeu de la prochaine réunion du Conseil européen.
Alors que nous nous trouvons, en France comme en Europe, en pleine cinquième vague pandémique, après un an et demi d’apprentissage et d’enseignements, nous devons nous interroger sur les limites et les insuffisances des États membres et de l’Union européenne dans le domaine de la santé.
Où en est la relocalisation promise de la production de médicaments stratégiques ? Où en est la recherche européenne, notamment pour ce qui concerne les vaccins, dans le cadre de la future agence HERA ? Alors que la présidente de la Commission européenne l’a évoqué et que certains pays s’engagent dans cette voie, n’est-ce pas le moment de débattre de l’obligation vaccinale en Europe, même si j’ai bien conscience qu’il s’agit d’une prérogative nationale ?
Enfin, comme Jacques Fernique, je me demande comment nous pourrions rendre enfin possible l’accès au vaccin pour tous dans le monde. L’un de nos collègues vient de nous expliquer que 700 millions de doses avaient été promises, mais, pour moi, le vaccin est un bien public et les brevets doivent être levés. Le cadre européen est sans aucun doute un cadre pertinent de réponse et d’action, à condition de s’en donner les moyens.
Autre sujet, il y a urgence à ce que l’industrie et l’économie européennes s’inscrivent dans les échanges économiques et commerciaux de demain.
Dans le numérique, un secteur d’avenir, tous les États membres et l’Union européenne sont en retard sur leurs principaux concurrents nord-américains, chinois, mais également israéliens et indiens. J’ai déjà eu l’occasion de le souligner, la question de la mise en œuvre d’un cloud français ou européen est emblématique. Ce service a désormais vocation à être non plus « souverain », mais simplement digne « de confiance », ce que l’on peut regretter.
Comme l’a mentionné ma collègue Catherine Morin-Desailly, le retrait de Scaleway du projet Gaïa-X n’est pas un épiphénomène : il nous éloigne de la perspective d’un véritable cloud européen et d’une maîtrise européenne de ces technologies. C’est là tout le problème, d’autant que ces techniques, qui sont, nous le savons, duales – à usage à la fois civil et militaire –, sont essentielles. Comment parler de « boussole stratégique européenne » quand on a des technologies dont on n’est pas sûr ?
Ce que je dis pour la défense vaut du reste pour la santé, l’éducation et les affaires intérieures.
De ce point de vue, comme ma collègue Catherine Morin-Desailly et moi-même l’avons indiqué dans nos différentes propositions de résolution, il faut renforcer l’encadrement et la régulation des grandes plateformes numériques, dans le cadre des projets DMA et DSA, actuellement à l’étude. Il faut aussi aider à la mise en place de filières industrielles performantes dans ce secteur en Europe, de sorte à être compétitifs sur les marchés extérieurs.
Cela suppose une stratégie d’ensemble et la désignation d’un chef d’orchestre. Il existe, au sein des différents États membres, des entreprises en mesure de fournir les éléments, les « briques », d’une telle stratégie, mais encore faut-il les mettre en cohérence et les lier entre elles.
Il existe aussi un problème de réciprocité dans l’accès aux différents marchés. Permettre aux acteurs nord-américains ou chinois d’entrer sur le marché européen suppose, en retour, un égal accès à leurs marchés. Il faut y travailler.
Enfin se pose la question du financement des jeunes pousses françaises et européennes.
L’Union européenne doit non pas se perdre dans les combats d’hier, mais affronter le monde d’aujourd’hui et préparer celui de demain.
Protéger nos concitoyens par le biais d’un plan Schuman de la santé et bâtir l’avenir via un plan Monnet pour le numérique, voilà un beau programme pour la future présidence française de l’Union européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne s’est fixé pour objectif de réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et de parvenir à la neutralité climatique d’ici à 2050, dans le cadre de la loi européenne sur le climat.
Les objectifs inscrits dans le volet énergie du paquet climat sont particulièrement exigeants pour les États membres, quels que soient les efforts déjà accomplis pour réaliser la transition énergétique.
Qu’on en juge : cette transition énergétique suppose de multiplier par deux la production d’électricité à l’échelle du continent ; c’est le défi industriel des prochaines décennies.
Or la flambée des prix des énergies démontre aujourd’hui la nécessité de sortir de notre dépendance par rapport aux énergies fossiles et importées. C’est une urgence, dans le domaine tant climatique qu’économique. Il s’agit aussi d’une exigence pour notre transition et notre souveraineté énergétiques.
Cette flambée révèle les limites du marché européen de l’énergie. L’indexation des prix de marché de l’électricité sur ceux du gaz, l’extinction des tarifs réglementés pour le gaz ou l’introduction des contrats dynamiques pour l’électricité, prévues par le droit européen, ont d’importantes répercussions pour les consommateurs.
Nous attendons du Gouvernement qu’il promeuve une véritable régulation à l’échelon européen, au-delà des déclarations d’intention.
Cette flambée révèle aussi les divergences entre États membres. Contrairement à l’Espagne ou à l’Allemagne, la France n’a pas fait le choix d’une baisse massive de la fiscalité énergétique, alors qu’elle en est le champion européen. Nous demandons au Gouvernement de corriger cette divergence fiscale, dont la France est seule responsable.
Au-delà de cette conjoncture, l’Union européenne doit favoriser les énergies décarbonées sur son territoire. Pour ce faire, elle doit respecter la souveraineté des États membres, seuls compétents pour choisir leur bouquet énergétique selon le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Ceux-ci doivent ainsi pouvoir, librement et résolument, définir leurs stratégies industrielles et mobiliser les investissements nécessaires.
À cet égard, l’inclusion de l’énergie nucléaire dans la taxonomie européenne sur les investissements durables est absolument cruciale.
À l’heure où la France et bien d’autres pays européens font part de leurs intentions d’investir dans le nucléaire, il est impératif de garantir à cette énergie une neutralité technologique, car elle permet de produire une électricité stable, compétitive et peu émettrice de carbone, avec un strict contrôle de la sûreté des installations et de la gestion des déchets.
Pour garantir cette neutralité, la production d’électricité nucléaire doit être assimilée non pas à une activité transitoire, voire habilitante, comme pourrait l’être le gaz naturel, mais bien à une activité durable, comme toutes les autres sources d’énergie décarbonée.
Convaincu de cette nécessité, le Sénat, sur l’initiative des commissions des affaires économiques et des affaires européennes, vient d’adopter une résolution en ce sens.
Nous croyons qu’il est fondamental d’intégrer l’énergie nucléaire dans la taxonomie, en reconnaissant la production d’électricité d’origine nucléaire comme une activité durable et en la soumettant aux mêmes obligations en matière d’information que toutes les autres énergies durables. Pas plus, pas moins !
Il est tout aussi crucial que la taxonomie évite toute distorsion de concurrence entre l’hydrogène nucléaire et l’hydrogène issue des énergies renouvelables.
Enfin, la question du calendrier est importante. Nous souhaitons que l’acte délégué attendu soit pris avant la fin de l’année, de sorte qu’il entre en vigueur en même temps que les autres dispositions de la taxonomie.
Ce sont ces lignes rouges, fixées par le Sénat dans sa résolution, que nous vous proposons de faire vôtres, monsieur le secrétaire d’État.
Parvenir à introduire l’énergie nucléaire dans la taxonomie verte avant le début de la présidence française de l’Union européenne constituerait un signal politique majeur.
Cette décision aurait des effets économiques immédiats et une incidence sur les choix énergétiques des États membres. Elle rétablirait un certain équilibre au sein du couple franco-allemand, qui diverge aujourd’hui sur les choix stratégiques à prendre, ce qui a des conséquences très importantes sur le coût de l’énergie et la compétitivité de nos entreprises. Il serait en effet inenvisageable que l’Allemagne obtienne satisfaction sur le gaz naturel et pas la France sur l’énergie nucléaire !
Au regard du coût que représenterait la construction de six nouveaux réacteurs, qui s’élèverait à au moins 46 milliards d’euros selon EDF, les conditions de financement de l’énergie nucléaire auront un impact sur la compétitivité et le coût de la production d’électricité française.
En répondant à la flambée des prix et en enrichissant la taxonomie, notre production d’électricité nucléaire pourra ainsi être pleinement mobilisée et nous aider à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, objectif fixé par l’accord de Paris sur le climat de 2015 et par la loi Énergie-climat de 2019. Cet engagement est fondamental, car la décarbonation de notre économie est tout autant une obligation juridique qu’une exigence morale ! Ces sujets sont stratégiques pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Gisèle Jourda. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour ma part, j’aurai deux questions à formuler.
La première porte sur la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Je souhaiterais que vous précisiez, monsieur le secrétaire d’État, ce que le Gouvernement et vous en attendez. Quel est votre investissement en la matière ?
Je figure parmi les quatre parlementaires qui y siègent et je suis membre du groupe de travail sur l’Union européenne dans le monde, que vous présidez, et je m’inquiète, car je trouve l’organisation de cette conférence fort décevante. Je ne voudrais pas que, pour nos concitoyens, celle-ci ne représente in fine qu’un marché de dupes.
Cette conférence, lancée le 9 mai dernier, devait être l’occasion unique de débattre des priorités et des défis auxquels l’Europe est confrontée. L’objectif est de mieux donner aux Européens de tous horizons la possibilité de s’exprimer, afin que leurs attentes influent sur la direction et l’élaboration des futures politiques de l’Union européenne. En théorie… parce que la réalité est tout autre ! Pour grand nombre de nos compatriotes, c’est une Arlésienne ; et pour cause : aucune promotion de cette conférence n’est faite auprès d’eux.
Pourtant, les espaces publicitaires ne manquent pas. Nous ne pouvons allumer la radio ou la télévision sans entendre ou voir une campagne publicitaire du Gouvernement faisant la promotion du plan de relance ou de l’entrepreneuriat français.
Alors, monsieur le secrétaire d’État, pourquoi ne pas avoir encouragé les Français à se saisir de cet espace d’expression, à se prêter à cet exercice de démocratie participative, quelques semaines avant la présidence française de l’Union européenne ? Je ne vous parle pas des panels nationaux ou des contributions du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ; je vous parle de tous nos concitoyens !
Ma seconde question porte sur les conséquences, pour la défense européenne, du contrat de coalition du futur gouvernement allemand. La lecture de ce document nous confirme la vision atlantiste et circonspecte du gouvernement allemand à l’égard du développement de la défense européenne.
J’en veux pour preuves : la souveraineté stratégique européenne qui n’intègre pas la question de la défense, le privilège donné à la coopération entre armées nationales et non à une armée européenne, la promotion des stratégies de sortie de conflit et des interventions à titre civil, le choix assumé du passage à la majorité qualifiée pour les décisions du Conseil et, enfin, l’intérêt affirmé pour des relations privilégiées avec les États-Unis dans le cadre d’un agenda renforcé.
Ce n’est pas une surprise, mais c’est particulièrement décevant, voire extrêmement énervant, notamment après les crises que nous venons de traverser.
Nous avons de quoi être très pessimistes, monsieur le secrétaire d’État. Que va devenir le système de combat aérien du futur, le fameux SCAF, aujourd’hui au point mort ? N’était-ce pas une erreur de se concentrer sur la relation franco-allemande, d’écarter l’Italie du SCAF et de laisser l’Espagne se tourner vers les F-35 ?
Plus largement, monsieur le secrétaire d’État, que va devenir la défense européenne ? C’est bien de se présenter comme un leader européen, c’est pratique d’instrumentaliser la présidence de l’Union européenne à des fins politiques, mais ce revers qui approche n’est rien d’autre que le fruit de ce qui a été semé.
C’est fort dommageable, car les attentes sont fortes. Oui, la défense aurait pu être un beau projet européen ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)