Mme le président. La parole est à M. Pierre Louault.
M. Pierre Louault. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur le volet relatif aux relations extérieures inscrit à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil, et plus particulièrement sur les relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, dans le contexte tendu que nous connaissons aujourd’hui. Au cours des dernières semaines, la nature de ces relations s’est révélée source de tensions à plusieurs égards, notamment au sujet de la pêche, de la question migratoire et des drames récents survenus en mer.
Notre collègue Pascal Allizard a longuement présenté le conflit actuel relatif à la pêche et concernant le Royaume-Uni, la France et l’Union européenne. Je tiens simplement à saluer l’annonce, la semaine dernière, de l’octroi, par le gouvernement de Guernesey, de 40 licences de pêche. Toutefois, qu’en est-il de la centaine de demandes restantes ? Monsieur le secrétaire d’État, que se passera-t-il si, au 10 décembre prochain, les pêcheurs français attendent toujours la délivrance d’une licence de pêche ?
En ce qui concerne la question migratoire et les frontières de l’Union européenne, je tiens à exprimer mon émotion à la suite du drame survenu à la fin du mois de novembre dans la Manche. Nous ne devons pas rester indifférents à la détresse des personnes qui se lancent, à leurs risques et périls, dans une dangereuse traversée, avec l’espoir d’une vie meilleure. Nous devons les protéger des passeurs, qui exploitent cette détresse.
Tous les États membres de l’Union sont contraints par leurs engagements européens et internationaux de lutte contre la traite des êtres humains. Le Royaume-Uni est, lui aussi, tenu par le protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée « visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes », dit « protocole de Palerme ».
Tous les États doivent donc prendre leurs responsabilités. Si la France est en première ligne sur cette question, car les départs s’effectuent depuis nos côtes, il est impératif que tous les États membres s’impliquent, notamment pour contenir plus efficacement les mouvements secondaires au sein de l’espace Schengen.
La semaine dernière, nous avons appris que le Royaume-Uni avait signé une déclaration conjointe visant à renforcer la coopération avec la Belgique, en particulier dans le cadre de la lutte contre l’immigration illégale. Monsieur le secrétaire d’État, quelle est la position de la France sur cette initiative bilatérale, à la veille de la présidence française de l’Union européenne ?
Dans le cadre du pacte européen sur la migration et l’asile, adopté en 2020 et qui a fait l’objet d’un premier rapport en septembre dernier, des mesures doivent être adoptées pour améliorer le cadre juridique de protection contre l’exploitation et des sanctions contre les passeurs, et pour mettre en place des partenariats opérationnels. Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous préciser l’avancée du processus d’adoption de ces mesures et de la révision des règlements existants ?
Par ailleurs, dans une lettre adressée au Président de la République, M. Johnson a exprimé son souhait de conclure un accord de réadmission entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, à l’instar de ce qui existe, par exemple, entre cette dernière et la Russie. Ce type d’accord prévoit une coopération avec l’État d’origine pour que les personnes y soient réadmises. Un tel accord avec le Royaume-Uni aurait pour but de faciliter le retour en France des personnes entrant sur le territoire britannique depuis le territoire français. Le ministre de l’intérieur l’a exclu et a appelé à la conclusion d’un accord entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.
Lors d’une réunion à Calais le 28 novembre dernier, les autorités françaises, allemandes, belges et néerlandaises ont exprimé leur volonté de renforcer leur coopération dans la lutte contre les trafics migratoires. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous présenter l’état des lieux des négociations entre l’Union et le Royaume-Uni ? Dans quelle mesure nos partenaires européens sont-ils mobilisés sur cette question, notamment à la suite de la réunion qui s’est tenue à Calais ?
Je conclurai mon propos avec un dernier point d’interrogation, tant les questions sont nombreuses depuis le Brexit, relatif à la politique de défense. En quittant l’Union européenne, le Royaume-Uni est sorti de la politique de sécurité et de défense commune et l’accord de commerce et de coopération, signé l’année dernière, ne mentionne pas ce volet.
Or le Royaume-Uni reste un membre important et actif de l’OTAN. En outre, il était un partenaire privilégié de la France en matière de défense commune européenne. Aussi, dans le contexte des tensions nées de l’alliance Aukus, il convient de s’interroger sur l’avenir des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni dans le cadre de la politique européenne de sécurité.
Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question des migrations est revenue de façon brutale sur le devant la scène européenne en raison du naufrage d’une embarcation, non loin de nos côtes, qui a causé la noyade dramatique de 27 migrants. Depuis 2015, cette préoccupation n’a jamais quitté notre esprit : dans ces conditions, il est clair que, face à un phénomène durable, nous devons apporter des solutions durables.
Lampedusa en Italie, Melilla en Espagne ou Calais en France : il est dans l’intérêt de tous les États membres de coopérer et de mobiliser les moyens opérationnels adéquats. Il convient en outre de ne pas oublier les valeurs fondatrices de l’Union européenne, au premier rang desquelles figure la solidarité. Les nations qui protègent les frontières extérieures de l’Union le font – faut-il le rappeler ? – au nom de la sécurité collective. Pour cela, nous devons faire front commun et chacun des États membres doit prendre ses responsabilités.
Le ministre de l’intérieur l’a récemment déploré : des bateaux sont achetés en Allemagne, des passeurs logent aux Pays-Bas, tandis que l’argent transite par la Belgique…
Monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez souvent rappelé, il y a, dans cette lutte, des outils qui existent et d’autres qui sont « sur la table ». Frontex connaît, depuis quelques années, une montée en puissance, et le déploiement d’un avion missionné par cette agence pour surveiller la Manche va dans le bon sens. Il faut également encourager activement la mobilisation d’Europol afin de démanteler les réseaux de passeurs.
Toutefois, la surveillance n’est qu’un palliatif ; à mon sens, dans cette situation, la prévention demeure fondamentale. À cet égard, l’Europe doit envoyer un message politique ferme à tous ceux qui facilitent directement ou indirectement les migrations.
Je pense d’abord et surtout à l’instrumentalisation des migrants comme arme de pression politique. Le Conseil européen, lors de sa réunion des 21 et 22 octobre derniers, a condamné les attaques hybrides menées aux frontières de l’Union européenne et a déclaré vouloir y réagir en conséquence. Comment la France s’emparera-t-elle de ce sujet lors de sa prochaine présidence ? Où en sont les huit plans d’action pour les pays d’origine et de transit promis par la Commission européenne voilà quelques mois ?
Enfin, si tout doit être mis en œuvre pour éviter les drames humanitaires, l’Europe doit rester une terre d’accueil. Nous devons intégrer les migrants dans les meilleures conditions. Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen est ouvert aux propositions contenues dans le pacte sur la migration et l’asile et espère que les points de blocage pourront être levés rapidement.
S’il est un autre sujet qui ne connaît pas de frontières, c’est celui de la pandémie de covid-19. Une nouvelle vague approche, dont on a encore du mal à mesurer l’impact.
Que peut faire l’Europe en ce domaine ? Mieux coordonner les mesures, notamment dans les zones frontalières, et vacciner davantage, non seulement au sein de l’Union, mais également dans le monde, puisqu’il s’agit bien d’une pandémie.
Le projet de règlement du Conseil pour une gestion commune des contre-mesures médicales en cas de crise sanitaire transfrontalière est en route et c’est une bonne chose.
Plus globalement, le principal bénéfice de cette crise est l’émergence – enfin !– d’une Europe de la santé, un volet resté jusqu’à présent marginal au sein des actes fondateurs de la construction européenne. Pour sa part, le groupe du RDSE est très favorable au fait que la santé soit un véritable pilier de l’Union européenne.
Je veux souligner l’intérêt que nous aurions au fait de garantir le plus rapidement possible la souveraineté européenne en matière de production de médicaments. Notre dépendance à l’égard de pays tiers pour la production de principes actifs et de certains équipements médicaux doit être rapidement réduite. Je sais que la France soutient des projets de relocalisation industrielle dans le secteur de la santé. J’espère que ce sujet figurera parmi les chantiers de la présidence française de l’Union européenne.
Cette situation de crise pandémique qui se prolonge a des conséquences économiques, notamment des tensions sur les matières premières. Le Conseil européen se penchera à nouveau, lors de sa prochaine réunion, sur la question du prix de l’énergie.
Lors de sa dernière réunion, le Conseil européen invitait la Commission à se pencher sur le fonctionnement des marchés de l’électricité en vue d’une éventuelle adaptation du cadre réglementaire applicable. Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous des pistes sur le sujet ?
Je profite de l’occasion pour souligner que ces tensions sur l’énergie pourraient s’aggraver si les États membres n’arrivaient pas à s’accorder sur les orientations de la taxonomie. La résolution européenne sur l’inclusion du nucléaire dans le règlement délégué complétant le règlement sur les investissements durables, que le Sénat vient d’adopter, rappelle l’importance de la préservation des capacités de la France à produire de l’énergie sur le fondement d’un mix énergétique comprenant le nucléaire. Certains membres de mon groupe souscrivent à ce point de vue, mais celui-ci est, certes, clivant. Il s’agit à la fois de contribuer à décarboner les sources d’énergie à long terme, mais aussi de limiter la flambée des prix qui nous préoccupe actuellement.
En marge de l’agenda de la prochaine réunion du Conseil européen, je veux évoquer une dernière question, qui n’est pas sans lien avec la précédente.
En ce qui concerne les conséquences de la pandémie de covid-19 sur l’économie, la situation est très contrastée et évolue au gré des nouvelles vagues. Toutefois, une chose est claire : les inégalités de richesses se sont accrues pendant la crise sanitaire. C’est pourquoi le groupe du RDSE considère avec attention la proposition belgo-espagnole d’un mécanisme d’alerte en cas de déséquilibre social, à l’instar de ce qui existe pour les déséquilibres macroéconomiques.
L’Union européenne doit en effet promouvoir des exigences fortes en matière de politique sociale et d’emploi. Dans cette perspective, il faut veiller à ce que les bénéfices de la relance soient équitablement partagés. Sans cela, faute de solidarité et de convergence, l’Europe échouera à construire un projet véritablement inclusif et vecteur d’espoir pour tous nos concitoyens. (M. André Gattolin applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Michel Houllegatte. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen comportera la thématique de la gestion des crises et de la résilience.
C’est dans les épreuves que l’on mesure la solidité des organisations. Force est de le constater, ce ne sont pas les crises qui manquent et de fortes turbulences ne cessent de mettre à l’épreuve nos institutions.
Les élus littoraux, dont je fais partie, savent bien que la conjonction des vents et des marées est propice à l’érosion du trait de côte et aux catastrophes engendrées par les submersions marines. Face à ces menaces, trois stratégies sont possibles : le renforcement de nos défenses, l’adaptation ou le repli.
Le résultat du référendum britannique du 23 juin 2016 a fait l’effet d’un tsunami, dont on pouvait estimer les conséquences et s’y préparer : en effet, la procédure prévue à l’article 50 du traité sur l’Union européenne offrait du temps, avant que la vague n’arrive sur nos côtes, pour négocier et conclure un accord de retrait ainsi qu’un accord commercial et de coopération.
Considérant qu’elle avait, avec le Royaume-Uni, affaire à un partenaire de bonne foi, l’Union européenne s’est lancée dans une stratégie d’adaptation, mais cela suppose des concessions. Or force est de constater que les négociateurs n’avaient pas les mêmes arrière-pensées.
Ainsi, les Britanniques ont acquis implicitement la maîtrise du calendrier, imposant, à coups de psychodrames, leur propre tempo, jusqu’à aboutir, de report en report, à un accord de dernière minute, conclu fin décembre 2020, qui comportait de nombreuses zones d’ombre.
Le cas des licences de pêche est très emblématique. En la matière, l’accord n’est pas respecté. En février dernier, le Royaume-Uni a fixé, de façon unilatérale, de nouvelles conditions d’éligibilité à l’obtention d’une licence, notamment la preuve de l’antériorité au moyen de données de géolocalisation. Il a en outre imposé des conditions sur les espèces, sur les jours de pêche et sur les techniques utilisées, afin de restreindre l’activité de ceux qui avaient obtenu des licences.
Depuis plus de dix mois, les tergiversations se multiplient, comme l’attestent les quarante envois de données à la Commission européenne. De recul en recul, de licence provisoire en licence provisoire, les négociations s’enlisent et les sanctions annoncées à grand renfort de rodomontades ont été différées par le Président de la République en marge de la COP26, selon le principe suivant lequel ce n’est pas pendant que l’on négocie que l’on va infliger des sanctions, oubliant que les Britanniques ont inventé la négociation perpétuelle et le Brexit sans fin…
L’erreur de communication de la ministre de la mer sur les mesures compensatoires et l’activation d’un plan de sortie de flotte, qui laissait penser que le choix du repli était une option à envisager désormais, a semé la confusion et a provoqué la colère des pêcheurs, dont les nerfs sont mis à rude épreuve.
Monsieur le secrétaire d’État, alors que les droits historiques et les droits issus de l’accord de retrait sont bafoués, quelle réaction forte proposez-vous d’inscrire à l’agenda européen ? À quel moment et selon quelles modalités faudra-t-il activer l’instance de règlement des différends de l’accord post-Brexit ?
La même question pourrait être posée à propos du sujet, grave, des migrations aux frontières extérieures de l’Europe, notamment à deux points de tension : la mer de Manche et la Pologne.
Il aura fallu, pour qu’une prise de conscience ait lieu, l’horreur de la mort par noyade de 27 migrants à laquelle s’est ajoutée une nouvelle provocation de Boris Johnson, qui proposait le retour sur le sol européen des migrants en situation irrégulière.
Certes, il est nécessaire de renforcer la coopération policière et les moyens de surveillance aux frontières, mais quelle politique européenne définir pour lutter efficacement contre les passeurs et contraindre la Grande-Bretagne à ouvrir davantage les voies de migration légale ?
À la frontière biélorusse, ce sont les valeurs de l’Union européenne qui sont mises en péril. La première nécessité est de venir en aide à ceux qui ont été instrumentalisés par le régime biélorusse et qui sont aujourd’hui piégés.
De même, l’utilisation d’êtres humains comme arme de guerre hybride et asymétrique doit être condamnée et les instigateurs durement sanctionnés devant une cour internationale. Les opérateurs de transport qui se sont rendus complices ou ont manqué de vigilance face à de telles pratiques doivent également faire l’objet de mesures spécifiques.
L’attitude la Pologne ne laisse pas non plus de susciter des interrogations. La solution ne passe ni par un refoulement systématique ni par l’édification d’un mur infranchissable.
L’accès aux abords de la frontière biélorusse doit être garanti aux journalistes et aux associations humanitaires, qui ont respectivement pour missions d’informer et de secourir.
La menace de saisine de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et le déploiement d’une structure d’enregistrement des demandes d’asile seraient de nature à inciter la Pologne à respecter ses obligations en la matière. Enfin, il semble inopportun que de l’argent européen puisse être mobilisé pour financer un mur de protection, symbole d’un repli frileux.
En évoquant le plan de relance européen, Thierry Breton disait que « l’Europe avance avec des crises ». Souhaitons donc que celles-ci conduisent l’Europe à grandir, en mettant en relief ses valeurs, plutôt qu’à s’abaisser, en renonçant à ce qui fait son identité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, étrange moment que celui que nous vivons ce soir, à l’occasion de ce débat préalable à la prochaine réunion du Conseil européen. Si nous devions essayer de définir ce moment autrement que par son étrangeté, nous serions tentés de le caractériser comme une situation d’entre-deux, et ce à plus d’un titre.
Entre-deux, d’abord, parce que, à une semaine de ce sommet, nous ne savons guère ce que nous pouvons en attendre, tant l’ordre du jour provisoire communiqué, qui se résume à 21 mots et à 5 points thématiques des plus classiques, est particulièrement sibyllin. La transparence des réunions du Conseil, dont on évoque souvent le nécessaire renforcement, pourrait commencer par une plus meilleure information dans les documents communiqués en amont et relatifs aux sujets soumis à discussion.
Entre-deux, ensuite, alors que s’achève, après une présidence portugaise assez « proactive » et avant une présidence française qui devrait l’être au moins autant, un semestre sous présidence slovène, laquelle ne s’est illustrée – c’est un euphémisme – ni par une franche adhésion aux valeurs fondamentales de l’Union européenne ni par un véritable entrain à faire avancer les dossiers en cours. Résultat : l’adoption de certains textes majeurs, tels que les fameux projets Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), a été reportée de cette année à 2022.
Entre-deux, enfin, parce que nous nous exprimons à la veille d’une conférence de presse, au cours de laquelle le Président de la République présentera les grandes lignes de la présidence française de l’Union européenne, dont nous ignorons presque tout à ce stade. J’ai appris hier que l’Assemblée nationale organiserait un débat sur ce sujet la semaine prochaine, mais j’ai cru comprendre que ce ne serait pas le cas à la Haute Assemblée.
Pourtant, le sujet est d’importance et il suscite de nombreuses attentes, non seulement dans notre pays, mais aussi chez nos partenaires. Depuis plusieurs semaines, c’est la course à l’information ! Rien que la semaine dernière, j’ai eu deux longs entretiens avec des eurodéputés allemands, qui, connaissant sans doute mal le fonctionnement politico-institutionnel de notre pays, s’imaginaient que j’étais en mesure de leur apporter quelque éclairage. En la matière, on finit par s’habituer, en tant que parlementaire français, à être décevant. Nous verrons donc demain…
Pour autant, il me semble important de prévenir les éventuelles déceptions liées à des attentes disproportionnées au regard de ce qu’est réellement, aujourd’hui, la présidence tournante du Conseil européen. En effet, la réforme de 2007 de l’organisation du Conseil européen, entrée formellement en vigueur en 2009, a eu pour conséquence d’amoindrir singulièrement l’influence de chaque présidence. Outre l’existence, depuis douze ans, d’une véritable présidence permanente du Conseil européen, la présidence française sera également largement encadrée par le système du trio de présidences, supposé assurer une continuité entre trois présidences tournantes successives.
Les choses ont donc beaucoup changé depuis les précédentes présidences françaises du Conseil de l’Union européenne : il serait donc assez malvenu de comparer ce qui sera engagé au cours des prochains mois avec ce qui aurait pu être fait lors des PFUE passées.
La présidence qui vient devra en premier lieu faciliter l’adoption définitive d’un certain nombre de textes déjà programmés et en faire avancer d’autres, sur des sujets encore très discutés, tels que la directive relative au devoir de vigilance et à la responsabilité des entreprises.
Si l’on s’en tenait là, oui, à n’en point douter, il pourrait y avoir quelques déceptions quant à cette présidence française, mais – on oublie souvent de le mentionner, je pense notamment à ceux qui prônaient un changement du calendrier institutionnel européen en raison de l’élection présidentielle dans notre pays au printemps prochain – un report éventuel de la PFUE aurait à coup sûr été dommageable pour la portée de celle-ci.
Je m’explique : le 1er janvier prochain marquera aussi le début d’un nouveau trio de présidences et la France, en tant que pays ouvrant cette période de trio, jouera un rôle capital pour définir de nouvelles lignes directrices, non pas seulement à l’horizon de ses six mois de mandat, mais bel et bien pour les dix-huit mois à venir. Elle aura, à ce titre, plus que son mot à dire sur les chantiers à engager et à poursuivre lors des présidences tchèque et suédoise, qui suivront.
Certes, on peut s’agacer de ce calendrier et des annonces tardives des orientations de la PFUE, mais il faut avoir en tête que celles-ci devaient préalablement faire l’objet de discussions approfondies tant avec la présidence du Conseil européen qu’avec les deux pays qui nous succéderont, en 2022 et en 2023.
J’ajoute que, pour être sûrs que nos propositions puissent disposer d’un alignement favorable des planètes, au sein de la « constellation Europe », il était bon d’avoir connaissance du contrat de coalition négocié par nos amis allemands. Or c’est chose faite depuis la fin du mois de novembre et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce texte de 177 pages, contraignant pour ses parties signataires, met en lumière bien des convergences de vue entre nos deux pays sur les défis européens d’aujourd’hui et de demain, bien davantage qu’avec la précédente coalition !
L’accord stipule notamment l’objectif d’accroissement de la souveraineté stratégique de l’Union, en déterminant notre politique étrangère, de sécurité et de développement, ainsi que notre politique commerciale sur le fondement de valeurs et d’intérêts européens communs. La nouvelle coalition s’exprime en outre très clairement en faveur d’une plus grande transparence des travaux du Conseil européen, notamment en faisant en sorte que les propositions de la Commission y soient débattues publiquement. Surtout, elle annonce vouloir étendre le champ du vote à la majorité qualifiée au Conseil. C’est là un excellent présage, non seulement pour la prochaine présidence française, mais surtout pour les quatre années à venir.
Comme j’entends rester optimiste quant à l’avenir de l’Europe, je vois aussi un autre présage positif dans l’annonce, le 1er décembre dernier, par la présidente de la Commission, du projet Global Gateway, consistant en un financement, à hauteur de 300 milliards d’euros, d’infrastructures durables dans les Balkans et en Afrique, pour contrer les nouvelles routes de la soie lancées voilà plus de huit ans par la Chine.
Certes, on peut s’irriter de la dénomination d’un tel projet, d’autant que, une semaine après son annonce, la totalité des textes consacrés à cette initiative et présents sur le site de la Commission est encore exclusivement rédigée en anglais. Heureusement, la presse québécoise a déjà traduit l’intitulé de ce projet par « passerelle mondiale ». Après les autoroutes de l’information des années 1990 et les routes de la soie des années 2010, on pourrait ironiser en disant que, avec sa « passerelle », l’Union européenne des années 2020 entre dans l’ère dans mobilités douces…
On peut aussi s’interroger sur la pertinence du montant prévu et sur la faisabilité d’un tel projet au regard des exigences posées en matière de gouvernance, de transparence, de respect des valeurs démocratiques, de partenariats équitables et d’objectifs de neutralité climatique et de développement durable, mais ne faisons pas la fine bouche : c’est une initiative, certes tardive, mais qui prend enfin en compte la nouvelle donne géopolitique mondiale.
Compte tenu du moment où elle a été annoncée, j’imagine que la Commission européenne a dû consulter en amont les autorités françaises et la nouvelle majorité allemande. Monsieur le secrétaire d’État, vous qui en savez certainement plus que nous à ce sujet, pourriez-vous nous en dire davantage sur cette « passerelle » et sur la manière dont elle est perçue par notre gouvernement ? (M. Pierre Louault applaudit.)
Mme le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors d’un énième tour de négociation, Donald Tusk, ancien président du Conseil européen, alertait sur la nature même du Brexit, en déclarant que « le plus dur, ce n’est pas la séparation, c’est la construction d’une nouvelle relation après la séparation. »
Or c’est bien une étape cruciale de cette nouvelle relation que nous vivons actuellement de part et d’autre de la Manche et, autant le dire, pour le moment, elle ne prend pas le bon chemin…
Depuis le début de l’application de l’accord du Brexit, on ne peut d’ailleurs pas dire que les Britanniques jouent franc-jeu, ce qui fait craindre bien des complications à moyen et long termes. Nous devons, nous Européens, rester fermes et solidaires.
Je dis « solidaires », car, parfois, l’Union européenne manque de voix. Sur le dossier des licences de pêche par exemple, le groupe Les Indépendants a appelé, lors de la séance des questions d’actualité au Gouvernement du 24 novembre dernier, à un engagement fort de la Commission européenne. N’oublions pas que c’est celle-ci qui a négocié l’accord, dont les conséquences doivent être assumées par tous.
Monsieur le secrétaire d’État, puisque la problématique des relations extérieures de l’Union sera à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen et que, malheureusement, les dossiers relatifs au Royaume-Uni font désormais partie de cette rubrique, pourriez-vous nous dire, à deux jours de la date butoir que vous avez fixée, où nous en sommes des demandes de licences de pêche ? Comment ce dossier a-t-il évolué depuis quinze jours ? Quelles sont les sanctions que vous envisagez, si la réponse britannique n’est pas à la hauteur ?
Au vu des récents et tragiques événements, un autre dossier requiert la concertation et l’intervention de l’Union européenne : la crise des migrants dans la Manche.
Nous devons trouver des solutions à cette situation urgente, qui a déjà coûté la vie à trop de personnes, la liste des victimes s’étant malheureusement allongée le 24 novembre dernier. Cette situation est inadmissible !
La réunion entre les pays européens concernés par ce dossier a contribué à apporter un début de solution, notamment au travers du déploiement d’un avion de l’agence Frontex. Je salue cette volonté de travailler ensemble contre les passeurs et leurs filières : ces personnes mettent en danger la vie des gens pour de l’argent et c’est inacceptable ! Il faut que ce dossier soit plus « européanisé », puisqu’il concerne, même indirectement, tous les États membres.
Monsieur le secrétaire d’État, envisagez-vous d’aborder ce sujet lors du Conseil européen ? Le pacte européen sur la migration et l’asile est-il une priorité de la présidence française de l’Union européenne ? Enfin, selon vous, quelle forme prendront les échanges avec les Britanniques : France et Royaume-Uni discuteront-ils de manière bilatérale ou s’agira-t-il plutôt d’un dialogue entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ?
Autre sujet d’importance au programme de la réunion du Conseil européen de la semaine prochaine : les prix de l’énergie. Leur hausse, qualifiée à juste titre de flambée, concerne l’Europe dans son ensemble ; la réaction doit donc permettre d’y faire face et être à la mesure des attentes de l’ensemble des Européens.
La Commission avait mis en place une boîte à outils, dont l’objectif était de contrer cette augmentation rapide des tarifs et de permettre aux États de réagir vite, mais cette réponse est de très court terme et les intérêts des pays européens sont assez divergents, particulièrement en ce qui concerne la révision du marché intérieur de l’énergie. C’est en tout cas ce qu’a révélé, sans grande surprise, le Conseil Énergie lors de sa réunion d’octobre dernier.
Quelle position la France défendra-t-elle au sein du Conseil lorsqu’il sera question de la nécessaire mise en œuvre de nouvelles mesures réglementaires en fonction des solutions potentiellement identifiées ?
Dans ce cadre énergétique, il me semble qu’il serait également pertinent d’aborder le dossier de la taxonomie verte pour une finance durable et la nécessité d’y inclure l’énergie nucléaire. Notre transition et notre neutralité carbone passeront par le nucléaire. Au-delà des sujets qui seront à l’ordre du jour de la réunion du Conseil, où en est ce dossier ? Une fois de plus, il est probable que les débats sur ce point déborderont sur les problématiques examinées lors de la présidence française de l’Union européenne. Quels sont les scénarios sur la table ?
Dernier point que je souhaite aborder concernant la future présidence française, avant d’évoquer le dernier sujet important de la prochaine réunion du Conseil européen : le harcèlement en ligne. Je connais l’engagement de ce gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, face à ce fléau. Je suis également avec grand intérêt les dernières évolutions relatives aux textes DMA et DSA. Comment entendez-vous mettre en avant la problématique du harcèlement en ligne lors des six prochains mois ?
Je termine par le premier sujet à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen, à savoir la gestion de la pandémie de covid-19.
La cinquième vague a submergé les États membres de l’Union européenne, où les courbes de contaminations montent en flèche. Alors que, dans de nombreux pays, la vaccination est le sujet majeur, où en sommes-nous des négociations autour de la construction d’une Union de la santé ?
Face à l’apparition de nouveaux variants, que pouvez-vous nous dire de l’indispensable actualisation de nos vaccins, pour les rendre plus efficaces contre les nouvelles formes du virus ?
L’Agence européenne des médicaments, l’EMA, a récemment approuvé plusieurs traitements contre la covid-19, et devrait encore rendre un certain nombre d’avis prochainement. Un déploiement de ces traitements au sein de l’Union européenne, sur le modèle des vaccins, est-il prévu ? (Mme Véronique Guillotin et M. Pierre Louault applaudissent.)