Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous parler de Dona, Luna, Nicolas, Tristan et Sacha. (Marques d’agacement sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je ne citerai que ces personnes, qui nous ont quittés au cours de ces derniers mois. Elles se sont suicidées parce qu’elles ne supportaient plus le rejet, la discrimination et le harcèlement qu’elles subissaient au quotidien. Aujourd’hui, j’ai une pensée particulière pour elles et pour leur famille.
Elles étaient toutes des personnes transgenres. Aussi, vous comprendrez que ce gouvernement ne soutienne pas ces amendements, qui ont pour objet de supprimer la notion de genre et de rendre inapplicable le texte aux personnes transgenres, qui sont particulièrement exposées aux thérapies de conversion.
Je voudrais vous remercier, madame la rapporteure, de vos explications très riches et très complètes. Je ne reviendrai pas en détail sur la notion d’identité de genre, qui est loin d’être inconnue ou floue, comme je l’ai entendu tout à l’heure. Elle figure déjà dans le code pénal, et le Conseil constitutionnel a jugé que, de par sa clarté et sa précision, elle est conforme au principe de légalité ; je vous renvoie sur ce point à sa décision du 26 janvier 2017.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement et sur tous ceux qui sont similaires. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Notre groupe votera contre cet amendement et tous ceux qui ont le même objet, à savoir la suppression de la référence à l’identité de genre dans ce texte.
Je vous remercie, madame la rapporteure, d’avoir rappelé de manière très complète les différents codes dans lesquelles les termes « identité de genre » figurent.
Aussi, on ne peut que s’interroger sur l’obstination de la droite sénatoriale à vouloir mener ce que Mme Eustache-Brinio a décrit elle-même comme un combat d’arrière-garde.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Chacun les siens !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pendant longtemps, l’homosexualité a été considérée comme un délit. Il a fallu attendre que la gauche arrive au pouvoir pour que ce délit soit supprimé. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Xavier Iacovelli. C’est la vérité !
M. Patrick Kanner. Eh oui !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Par la suite, nous nous sommes battus pour que le mariage soit ouvert à tous. Aujourd’hui, et c’est une bonne chose, vous avez évolué, puisque vous acceptez l’idée d’interdire les thérapies de conversion.
Toutefois, point trop n’en faut ! (Sourires sur les travées du groupe SER.) Vous considérez que la transidentité n’est pas acceptable. Vous ne voulez pas prendre en considération les victimes de tels comportements destructeurs, ces enfants dont Mme la ministre a rappelé certains noms ; c’est dommage. Il arrive pourtant au Sénat, sur certains sujets, d’être en phase avec son temps.
J’ai bien noté, madame Eustache-Brinio, quelle était la pierre de touche de vos votes : pour savoir si une réforme est bien nécessaire, vous vous demandez si les interlocuteurs que vous rencontrez lors de vos déplacements en France comprennent les termes que vous utilisez. Je pense que, dans nos travaux, nous devons nous montrer un peu plus robustes…
L’identité de genre, cela existe ! Les thérapies de conversion, cela existe ! Et il faut les interdire. Nous voterons contre ces amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Il n’est pire ignorant que celui qui ne veut pas s’informer, qui ne veut pas se documenter, qui ne veut pas lire, qui ne veut pas se renseigner !
Texte après texte, dans cet hémicycle, depuis un an et demi que j’y siège, j’entends les mêmes utiliser inlassablement la notion d’identité de genre comme un chiffon rouge ou un repoussoir.
Mes chers collègues, je voudrais vous dire que cette notion d’identité de genre est documentée depuis au moins les années 1930. Elle a été étudiée par le docteur Magnus Hirschfeld dans le cadre de l’Institut de sexologie qu’il dirigeait et administrait à Berlin.
Lorsque les nazis sont arrivés au pouvoir, son institut a été brûlé, et le docteur Magnus Hirschfeld a trouvé refuge ici à Paris, boulevard Arago ; il est mort à Nice, où il est enterré. Ses travaux font autorité depuis au moins les années 1930 ! Des médecins, des psychologues, des sociologues, des juristes ont, à sa suite, travaillé sur cette notion.
C’est grâce à la gauche, à Robert Badinter, à Gaston Defferre, à Jack Ralite, que l’homosexualité a été dépénalisée en France en 1982 et retirée de la liste des maladies mentales. Aussi, lorsque j’entends une éminente sénatrice nous expliquer qu’il ne faudrait pas légiférer pour les minorités, je me demande où nous sommes !
Mes chers collègues, ici nous légiférons pour tous les Français, quel que soit le groupe social auquel ils appartiennent, qu’ils soient de la majorité ou de la minorité ! Je vous invite à faire preuve de respect envers celles et ceux qui, bien qu’ils soient minoritaires sur le plan sociologique, méritent toute notre considération ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDPI. – Exclamations indignées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Allons, pas de leçons !
Mme le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour explication de vote.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Je sais que l’on a souvent tendance à penser qu’il y a d’un côté le camp du bien et de l’autre celui des méchants… Je suis désolée d’avoir à vous le dire, chers collègues, mais, tout comme vous, nous défendons le droit des minorités !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est récent…
M. Jean-Claude Anglars. Pas du tout, madame de La Gontrie !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Et nous n’avons pas de leçons à recevoir en matière de défense des homosexuels et des transsexuels ! Vous ne savez certainement pas combien ces sujets me concernent, dans ma vie même… Chacun son histoire, chacun son engagement !
Quand on est un homme ou une femme engagé en politique, on n’est pas obligé d’accepter les pressions que l’on subit. Électoralement, c’est peut-être payant, mais socialement, cela ne donne rien de bon ! On a le droit de faire des analyses et des choix différents sans être mis au ban par les progressistes au motif que l’on mènerait des combats d’arrière-garde !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous avez dit ce que vous avez dit !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. J’en suis désolée, mais protéger les homosexuels et les transsexuels,…
M. Hussein Bourgi. On ne vous demande pas de les respecter, mais de les protéger !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. … cela ne signifie pas mélanger volontairement les termes et les combats et faire en sorte que, dans cette société, il n’y ait plus aucun repère ni aucune règle, ce qui perturbe une partie de la jeunesse ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié sexies.
J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Union Centriste, et, l’autre, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 54 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 53 |
Contre | 283 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Article 1er
I. – Après la section 1 quater du chapitre V du titre II du livre II du code pénal, est insérée une section 1 quinquies ainsi rédigée :
« Section 1 quinquies
« Des pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre
« Art. 225-4-13. – Les pratiques, les comportements ou les propos répétés visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, vraie ou supposée, d’une personne et ayant pour effet une altération de sa santé physique ou mentale sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
« Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’ils sont commis :
« 1° Au préjudice d’un mineur ou lorsqu’un mineur était présent au moment des faits et y a assisté ;
« 2° Par un ascendant ou toute personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ;
« 3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique, à un état de grossesse ou à la précarité de sa situation économique ou sociale, est apparente ou connue de leur auteur ;
« 4° Par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteurs ou de complices ;
« 5° Par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique.
« L’infraction prévue au même premier alinéa n’est pas constituée lorsque les propos répétés ont seulement pour objet d’inviter à la prudence et à la réflexion la personne, eu égard notamment à son jeune âge, qui s’interroge sur son identité de genre et qui envisage un parcours médical tendant au changement de sexe.
« Lorsque l’infraction est commise par une personne titulaire de l’autorité parentale sur le mineur, la juridiction de jugement se prononce sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou sur le retrait de l’exercice de cette autorité en application des articles 378 et 379-1 du code civil. »
II. – (Non modifié) Le troisième alinéa de l’article 2-6 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après la référence : « 222-18 », est insérée la référence : « , 225-4-13 » ;
2° Après le mot : « sexe », sont insérés les mots : « , de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ».
III. – (Non modifié) Au troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, après la référence : « 225-4-1, », est insérée la référence : « 225-4-13, ».
Mme le président. L’amendement n° 2 rectifié sexies, présenté par Mme Eustache-Brinio, MM. Retailleau, Bazin, Cardoux, Bouchet et Burgoa, Mmes Dumont, Thomas, Garnier et Pluchet, MM. Frassa, Meurant et Favreau, Mmes Chauvin, Ventalon et Gosselin, MM. Savin, Pointereau, Babary, E. Blanc et Longuet, Mme V. Boyer, M. C. Vial, Mmes Estrosi Sassone et Lavarde, M. Bascher, Mmes Joseph, Berthet et Puissat, MM. Brisson, Sido, Mouiller, Calvet, Savary et B. Fournier, Mme Di Folco, MM. J.B. Blanc, J.M. Boyer et Cadec, Mme Bourrat et MM. Tabarot, Panunzi et Mandelli, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
ou l’identité de genre
Cet amendement a été défendu.
Il a reçu un avis défavorable de la commission et du Gouvernement.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mme Eustache-Brinio a déposé plusieurs amendements dont les termes sont identiques, bien qu’ils visent des alinéas différents. Le Sénat vient de se prononcer sur le premier d’entre eux, le rejetant de manière assez nette.
De deux choses l’une : soit l’on considère que le vote du Sénat est identique sur tous les amendements de Mme Eustache-Brinio dont l’objet est de supprimer la mention de l’identité de genre, soit notre groupe ne verra aucun inconvénient à demander un nouveau scrutin public sur chacun de ces amendements.
Mme le président. Mes chers collègues, puis-je à chaque fois faire voter à main levée les amendements que Mme Eustache-Brinio a déjà défendus ? (Marques d’assentiment.)
Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié sexies.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme le président. L’amendement n° 3 rectifié sexies, présenté par Mme Eustache-Brinio, MM. Retailleau, Bazin, Cardoux, Bouchet et Burgoa, Mmes Dumont, Thomas, Garnier et Pluchet, MM. Frassa, Meurant et Favreau, Mmes Chauvin, Ventalon et Gosselin, MM. Savin, Pointereau, Babary, E. Blanc et Longuet, Mme V. Boyer, M. C. Vial, Mmes Estrosi Sassone et Lavarde, M. Bascher, Mmes Joseph, Berthet et Puissat, MM. Brisson, Sido, Mouiller, Calvet, Savary et B. Fournier, Mme Di Folco, MM. J.B. Blanc, J.M. Boyer et Cadec, Mme Bourrat et MM. Tabarot, Panunzi et Mandelli, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer les mots :
ou l’identité de genre
Cet amendement a été défendu.
Il a reçu un avis défavorable de la commission et du Gouvernement.
Je le mets aux voix.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme le président. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 26 rectifié, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer le mot :
personne et
par les mots :
personne ayant pour objet ou effet une atteinte à la dignité de la personne humaine, ou
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement a pour objet que l’atteinte à la dignité humaine soit un élément constitutif du délit de thérapie de conversion.
Beaucoup l’ont dit, les thérapies de conversion sont une atteinte violente à l’intimité des individus, des actes barbares, des actes de torture visant à nier leur identité. Nous considérons qu’il y a là, évidemment, une atteinte à la dignité humaine.
D’un point de vue politique, nous pouvons toutes et tous en être d’accord. Mais l’intérêt de cet ajout n’est pas seulement politique ; ce n’est pas seulement une question d’affichage. Il est aussi juridique : ajouter la mention de l’atteinte à la dignité humaine, c’est mettre un outil supplémentaire dans les mains des associations de soutien aux victimes qui luttent contre les thérapies de conversion ; celles-ci pourront plus aisément se constituer partie civile.
Un tel ajout n’a rien de révolutionnaire ; l’atteinte à la dignité humaine est déjà constitutive d’infractions comme le bizutage, la discrimination ou le harcèlement.
Mme le président. L’amendement n° 29 rectifié, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéa 4
1° Après les mots :
d’une personne
insérer les mots :
susceptibles de porter atteinte à ses droits, à sa dignité
2° Remplacer les mots :
et ayant pour effet une altération de
par les mots :
ou ayant pour objet ou effet d’altérer
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet article crée une nouvelle infraction, ce qui est positif. Cet amendement a pour objet de la rendre mobilisable par les justiciables, ce qui est encore mieux.
Il s’agit – précision juridique et néanmoins essentielle – d’assouplir la qualification des faits constitutifs de la nouvelle infraction en alignant son périmètre sur celui du harcèlement moral.
Dans la rédaction actuelle sont seulement mentionnés les actes ou paroles « ayant pour effet une altération de [l]a santé physique ou mentale » de la personne concernée. Cela revient, dans les faits, à demander aux victimes d’être capables de prouver une détérioration de leur état. C’est ignorer un élément essentiel dans la qualification des faits par le juge : la volonté de nuire.
La volonté de nuire est constitutive de nombreuses infractions, le harcèlement moral par exemple. Nous proposons donc d’aligner le présent texte sur les dispositions applicables à l’infraction de harcèlement moral, en visant les actes « susceptibles » de porter atteinte à la dignité de la personne, et non seulement « ayant pour effet » d’altérer sa santé.
Mme le président. L’amendement n° 18, présenté par Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après les mots :
personne et
insérer les mots :
susceptibles de porter atteinte à ses droits, sa dignité, ou
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Aujourd’hui, nous légiférons pour interdire et sanctionner les thérapies de conversion, indépendamment de leur effet : toutes les thérapies de conversion doivent être interdites. C’est pourquoi nous souhaitons ajouter les mots « susceptibles de porter atteinte », afin que la victime n’ait pas de surcroît à établir l’existence d’un préjudice.
Cet ajout permettrait de sanctionner le fait – la thérapie de conversion elle-même – sans se focaliser sur les effets éventuellement subis par la victime.
Mme le président. L’amendement n° 25, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
effet une altération de
par les mots :
objet ou effet d’altérer
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Il s’agit toujours de clarifier la qualification de l’infraction : même en l’absence de dommages démontrables, cette disposition permettrait de considérer les faits eux-mêmes comme « susceptibles » d’en créer, et, à ce titre, de les qualifier dès ce stade de thérapies de conversion.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. L’amendement n° 26 rectifié de nos collègues écologistes vise à élargir le champ de l’infraction définie à l’article 1er de la proposition de loi. Ses dispositions sont proches de celles de l’amendement n° 18 du groupe socialiste, qui appellent les mêmes commentaires.
Aux termes du texte transmis par l’Assemblée nationale, l’infraction est constituée lorsque des pratiques, comportements ou propos répétés visent à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne et ont pour effet une altération de sa santé physique ou mentale.
Les auteurs de ces amendements proposent que l’infraction soit constituée si des pratiques, comportements ou propos répétés sont « susceptibles » de porter atteinte aux droits ou à la dignité de la personne et d’altérer son état de santé.
L’infraction deviendrait donc beaucoup plus facile à caractériser, mais aussi beaucoup plus large ; il ne serait plus nécessaire de démontrer que la personne a subi un préjudice.
Des pratiques seulement « susceptibles » de porter atteinte à la dignité de la personne, ce qui est une notion assez subjective, pourraient être condamnées.
Il me paraît donc raisonnable d’en rester à la rédaction retenue par l’Assemblée nationale : celle-ci garantit que seules des pratiques imposées à la personne et qui nuisent à sa santé physique ou mentale seront sanctionnées et que les accompagnements spirituels que recherchent certaines personnes homosexuelles ou transgenres, par exemple, ne tomberont pas sous le coup de la loi.
Un équilibre satisfaisant est ainsi obtenu, me semble-t-il, entre répression des thérapies de conversion et respect des libertés individuelles.
L’amendement n° 29 rectifié est un amendement de repli : ses auteurs proposent que l’infraction soit constituée si des comportements, pratiques ou propos répétés ont non seulement pour « effet », mais aussi simplement pour « objet », d’altérer la santé.
Pour les mêmes raisons que celles que je viens d’exposer, je crois raisonnable de s’en tenir à la rédaction équilibrée retenue par l’Assemblée nationale : l’infraction est constituée si la victime a subi un préjudice quant à sa santé, mais pas si elle a recherché un accompagnement, qui a pu éventuellement lui donner satisfaction.
Quant à l’amendement n° 25, il tend à ce que l’infraction soit constituée en cas de pratiques, comportements ou propos répétés ayant non seulement pour effet, mais aussi pour objet, d’altérer la santé. Pour les raisons précédemment indiquées, nous avons considéré que la rédaction retenue par l’Assemblée nationale constituait un bon équilibre.
J’ajoute que les comportements, pratiques et propos répétés que l’on rencontre dans le cadre de thérapies de conversion n’ont jamais pour objet d’altérer la santé. L’altération ici visée est une conséquence, mais rarement l’objet affiché de tels actes, qui est tout autre. L’idée, en l’espèce, est bien de s’intéresser aux effets du traitement sur la santé.
L’avis de la commission est donc défavorable sur ces quatre amendements.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Le principe constitutionnel de légalité impose de définir précisément les éléments constitutifs d’une infraction.
J’entends bien sûr parfaitement les objectifs qui sont visés par les auteurs de ces amendements, mais, sur le plan strictement juridique, la notion de « dignité de la personne » n’est pas définie par la loi. J’ajoute que, comme pour tout dommage, il faut pouvoir prouver un préjudice.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces quatre amendements.
Mme le président. L’amendement n° 24 rectifié, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Remplacer les mots :
deux ans
par les mots :
trois ans
et le montant :
30 000 euros
par le montant :
45 000 euros
II. – Alinéa 5
Remplacer les mots :
trois ans
par les mots :
cinq ans
et le montant :
45 000 euros
par le montant :
60 000 euros
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Inflation pénale…
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Il s’agit en effet d’alourdir les peines : celles-ci passeraient de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. En cas de circonstances aggravantes, les faits visés seraient punis de cinq ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende.
On pourrait débattre longuement du quantum de peine le plus adapté ; les peines prévues dans le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale me semblent déjà dissuasives. Elles sont conformes à ce que la députée Laurence Vanceunebrock avait envisagé dans son texte initial.
Je vous propose donc là encore, mes chers collègues, de maintenir l’équilibre trouvé. Il sera toujours temps de réexaminer cette question dans quelques années, s’il apparaît, à l’usage, qu’il faut renforcer la répression.
Je le précise pour qu’il ne subsiste aucune ambiguïté : si un viol était commis dans le cadre d’une thérapie de conversion – on sait que cela arrive –, il serait bien entendu toujours possible d’engager des poursuites en retenant la qualification criminelle de « viol », qui viendrait s’ajouter au fondement de la nouvelle infraction.
Restons-en à ce texte ! La commission émet un avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Le quantum de peine réprimant le délit de thérapie de conversion n’apparaît pas inadapté au regard des peines encourues pour les délits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral, qui sont punis par le code pénal de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Toutefois, les violences n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre de la victime sont sanctionnées d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Le quantum des peines applicables au nouveau délit de thérapie de conversion pourrait donc être aligné sur ce régime.
En la matière, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Notre groupe votera cet amendement, qui tend d’ailleurs à reprendre le dispositif prévu dans notre propre proposition de loi.
Mme la ministre vient parfaitement de rappeler quelles infractions sont passibles de sanctions similaires ; or, en l’espèce, nous sommes bien au-delà du harcèlement moral : l’infraction caractérisée ici, dont les conséquences sont extrêmes, est bien plus grave.
Il nous semble donc essentiel que les peines prévues soient plus lourdes.
Mme le président. L’amendement n° 17, présenté par Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Ces pratiques, comportements ou propos ne comprennent pas ceux visant les soins médicaux et tout accompagnement liés au changement de sexe et au parcours de transition.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.