M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner le second projet de loi de finances rectificative de l’année, qui correspond, comme cela a déjà été indiqué, à un projet de loi de finances de fin de gestion.
Ce texte devrait en principe se contenter, comme à chaque fin d’exercice, de tirer les conséquences de l’année écoulée et de proposer un schéma de fin de gestion.
Pourtant, dès son dépôt, ce texte ne se réduisait pas à de simples ajustements budgétaires d’ampleur modeste, comme on pouvait s’y attendre. Au contraire, il promeut en particulier l’une des nombreuses et foisonnantes mesures nouvelles que le Président de la République et son gouvernement égrènent au fil des semaines, à savoir l’indemnité inflation. J’y reviendrai.
Certes, le Gouvernement bénéficie d’une très belle embellie économique, puisque les données de l’Insee publiées à la fin du mois d’octobre dernier montrent que l’activité s’est nettement redressée au troisième trimestre de cette année. Certes, notre économie a retrouvé son niveau d’avant-crise, mais cela n’est pas le cas pour toutes les branches ; il faudra y être attentif, notamment pour les secteurs du commerce, de l’hébergement-restauration ou encore du transport.
M. Vincent Delahaye. C’est vrai !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Au regard des derniers développements conjoncturels, la prévision de croissance du Gouvernement, révisée à 6,25 % pour 2021, paraît particulièrement, voire excessivement prudente. En effet, l’acquis de croissance en 2021 s’élève déjà à 6,6 % et des prévisions récentes tablent sur une croissance à 6,8 % pour 2021.
Reste que, contre toute attente, le Gouvernement n’a pas jugé bon de réviser sa prévision d’inflation, alors que celle-ci sera très vraisemblablement dépassée.
Dans ce contexte de reprise économique et d’amélioration de la situation sanitaire, nos finances publiques restent marquées par les stigmates de la crise que notre pays vient de traverser. À cet égard, 2021 fut, comme 2020, une année très particulière en raison de l’ampleur des mesures d’urgence et de relance qui ont été mises en œuvre avec, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le soutien constant du Sénat.
Pourtant et j’aurai l’occasion d’en reparler lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, ces mesures n’expliquent pas, tant s’en faut, toute l’aggravation du déficit et de l’endettement. Par exemple, les dépenses primaires, corrigées du coût de ces dispositifs, ont, à elles seules, augmenté de 41 milliards d’euros entre 2020 et 2021, soit le double par rapport aux mesures d’urgence et de relance.
Finalement, le Gouvernement prévoit que le déficit public s’élèverait à 8,2 % du PIB, tandis que la dette pourrait atteindre 115,1 % du PIB. Ce sont des chiffres extraordinaires ! Nous ne pouvons et ne devons pas nous y habituer.
Rendez-vous compte : à lui seul, le déficit budgétaire de l’État franchit le seuil des 200 milliards d’euros, pour atteindre 205 milliards d’euros en 2021, dont près de 24 milliards d’euros de crédits non consommés l’an dernier et reportés sur 2021. Ces reports, qui ne sont d’ailleurs que partiellement consommés, nuisent singulièrement à la lisibilité du budget de l’État.
S’il s’améliore par rapport à la prévision du mois de juillet dernier, le déficit s’aggrave lorsqu’on le compare à la prévision dévoilée au mois de septembre, lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2022.
Dans la mesure où les recettes augmentent de près de 19 milliards d’euros par rapport à l’été, suivant en cela l’évolution des prévisions relatives à la situation économique, c’est donc bien du côté des dépenses, une fois encore, qu’il faut rechercher l’explication du déficit. Cela est dû aux mesures nouvelles que le texte comporte, principalement l’indemnité inflation qui pèse à hauteur de 3,6 milliards d’euros sur le déficit de 2021, mais aussi la majoration du chèque énergie ou encore le plan de réduction des tensions de recrutement.
Le niveau réel du déficit exécuté pourrait toutefois être significativement moins élevé, comme cela a été le cas l’an dernier, en raison des sous-consommations prévisibles, notamment sur les plans de relance et d’urgence.
À ce titre, la commission des finances a adopté deux amendements tendant à supprimer respectivement un milliard d’euros sur la mission « Plan de relance » et 2 milliards d’euros sur la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire », compte tenu des sous-consommations constatées, mais aussi des perspectives de consommation qui restent faibles sur les programmes visés d’ici à la fin de l’année. Même avec ces annulations, les crédits disponibles sur ces dispositifs permettront de couvrir les besoins au titre du chômage partiel ou du fonds de solidarité et ne remettront pas en cause le financement des investissements prévus par l’Agence des participations de l’État.
Là encore, il s’agit de ne pas cautionner le matelas de crédits que conserve le Gouvernement, sans que cela soit véritablement justifié devant le Parlement.
Certaines autres mesures plus classiques de fin de gestion sont particulièrement coûteuses, à l’instar de l’enveloppe de 2 milliards d’euros alloués à France compétences pour assurer son financement, auquel s’ajoute une subvention de 750 millions d’euros – excusez du peu ! –, qui n’aurait pas dû être versée au regard des engagements passés du Gouvernement.
Malgré tout, nous souscrivons pleinement aux ouvertures de crédits permettant de financer les mesures urgentes et immédiates en faveur des agriculteurs atteints par plusieurs crises environnementales, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, ou encore pour le soutien au secteur de la culture.
En revanche, nous constatons que, loin de limiter ses effets aux dernières semaines de l’année, ce collectif budgétaire engage les dépenses pour l’avenir. En effet, les ouvertures de crédits sont plus importantes en autorisations d’engagement, notamment pour le plan de relance, avec 2,3 milliards d’euros supplémentaires sans crédits de paiement, ou pour la mission « Travail et emploi ».
Par ailleurs, loin des ambitions de réductions de 50 000 emplois de l’État durant le quinquennat, le projet de loi de finances rectificative prévoit bizarrement une hausse de 885 équivalents temps plein travaillés (ETPT) dans les ministères et de 226 ETPT chez les opérateurs.
Pour finir, la reprise économique et les rentrées fiscales qu’elle engendre ne profitent toujours pas au désendettement. C’est bien dommage et cela me paraît encore une occasion manquée !
Au-delà de ces considérations générales sur votre budget rectificatif, monsieur le ministre, c’est finalement votre proposition d’instaurer une indemnité inflation qui ne nous convainc pas.
Cette mesure court-termiste est au mieux une réaction à la crainte d’un retour du mouvement des « gilets jaunes », au pire une mesure électoraliste de près de 4 milliards d’euros. Là encore, excusez du peu !
Cette aide forfaitaire de 100 euros, qui ne ressemble à aucune autre, serait attribuée à 38 millions de personnes, indépendamment de la composition de leur foyer ou de leur exposition réelle à la hausse actuelle des prix des carburants, qui est pourtant à l’origine de cette mesure, de l’aveu même du Premier ministre.
Telle qu’elle a été construite, cette disposition cumule les inconvénients : un ciblage insuffisant, des effets de seuil massifs et des risques d’effets d’aubaine préjudiciables à son efficacité au regard du coût élevé qu’elle représente pour les finances publiques.
Monsieur le ministre, comment justifier qu’un parent isolé ayant plusieurs enfants à charge et gagnant 2 100 euros net par mois ne sera pas éligible à l’aide, à la différence d’une personne sans enfant percevant un salaire de 1 900 euros et vivant en couple avec un conjoint aux revenus bien supérieurs ?
La mise en œuvre concrète de cette mesure repose par ailleurs pour une large part sur les entreprises privées, dont ce n’est pourtant pas le rôle.
En outre, les dispositifs envisagés pour prévenir les risques de doublons ou de fraude dans le cadre du versement de l’indemnité ne sont pas connus à ce jour.
Enfin, cette disposition me semble créer un précédent dangereux pour la conduite de la politique budgétaire dans les mois et années à venir. À certains égards, ce que je qualifierai de « revenu universel d’un jour » témoigne d’une forme d’accoutumance à la dépense publique « quoi qu’il en coûte » !
Pour toutes ces raisons, la commission des finances propose au Sénat de supprimer l’indemnité inflation.
Pour autant, je vous rassure, nous sommes, tout comme vous, attachés à la préservation du pouvoir d’achat des ménages les plus exposés à une forte hausse des prix des carburants. Nous devons par ailleurs mener une politique énergétique ambitieuse.
Cette indemnité n’est en aucun cas la bonne réponse à ces enjeux. Aussi, sur mon initiative, la commission des finances propose de privilégier le renforcement de dispositifs déjà en vigueur et mieux ciblés.
Le Fonds monétaire international (FMI) ne préconise d’ailleurs pas autre chose dans son dernier rapport consacré à la France : « Face à la flambée des prix de l’énergie, les autorités devraient toutefois éviter les transferts de nature générale et les mesures de contrôle des prix de longue durée, qui sont moins bien ciblées et plus coûteuses. » Il ajoute même : « Il conviendrait de mieux cibler l’indemnité inflation. »
C’est la raison pour laquelle, en lieu et place de cette indemnité, je propose de mettre en place, tout d’abord, une majoration exceptionnelle de 150 euros de la prime d’activité, qui bénéficierait à elle seule à 4,5 millions de foyers, couvrant près de 9 millions de personnes. Contrairement à l’indemnité inflation, ce dispositif ciblerait directement les travailleurs pauvres et modestes, qui sont les plus susceptibles d’être exposés à la hausse des prix des carburants, notamment ceux qui résident en zone rurale.
Nous prévoyons également une allocation exceptionnelle de 150 euros pour les bénéficiaires de minima sociaux et de prestations sociales, ainsi qu’une dotation ponctuelle aux opérateurs du service public de l’emploi pour renforcer les aides financières, notamment les aides à la mobilité, qu’ils ont déjà la possibilité de verser aux chômeurs et aux jeunes en parcours d’insertion.
En s’appuyant sur des dispositifs existants, notre proposition ne remet pas en cause l’objectif d’un soutien financier rapide en faveur des ménages les plus exposés au rebond de l’inflation. Elle a par ailleurs le mérite de ne pas impliquer les employeurs dans sa mise en œuvre.
Au total,…
M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. … l’ensemble de ces mesures représenterait un coût évalué à 1,5 milliard d’euros pour l’État, soit un effort considérable en faveur de nos concitoyens les plus en difficulté.
Sous réserve que le Sénat adopte les amendements qu’elle présente, la commission des finances propose de voter ce nouveau projet de loi de finances rectificative pour 2021. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le second collectif budgétaire de l’année 2021, après celui du mois de juillet dernier.
Le premier projet de loi de finances rectificative a été marqué par une très forte réévaluation du déficit attendu pour cette année, à hauteur de 9,4 % du PIB, principalement en raison de l’ampleur des crédits budgétaires reportés de 2020 sur 2021, dont la consommation était alors estimée à 28,8 milliards d’euros.
Ces crédits devraient finalement être consommés à hauteur de 24 milliards d’euros, le déficit ayant été ramené à 8,4 % du PIB au mois de septembre dernier, chiffre désormais abaissé à 8,2 %. S’il est en amélioration, il reste cependant exceptionnellement élevé.
Notre pays connaît pourtant un redémarrage de sa croissance, qui est désormais évaluée à 6,25 % du PIB. Le Gouvernement reconnaît lui-même que la croissance définitivement constatée devrait être supérieure, ce qui permettrait de réduire notre déficit à 7,9 % ou 8 % du PIB, mais il n’intègre pas cette hypothèse dans le texte, ce qui est regrettable pour la clarté budgétaire.
En tout état de cause, la prévision de recettes fiscales est en hausse de 18,6 milliards d’euros par rapport au niveau prévu au mois de juillet dernier.
Par ailleurs, ce projet de loi de finances rectificative, qui devrait être limité à quelques ajustements, recourt à des redéploiements massifs, puisqu’il ouvre 10,5 milliards d’euros en crédits de paiement, tout en en annulant 7,3 milliards d’euros.
Il nous est promis que les annulations font consensus et ne relèvent que de sous-consommations, de réserves de précaution ou de dispositifs non mobilisés, alors que les ouvertures de crédits couvrent un éventail de mesures nouvelles indispensables.
Si nous pouvons souscrire aux ouvertures de crédits, qui concerneront notamment le ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion pour financer le plan d’investissement dans les compétences et la compensation des pertes de recettes de France compétences, le ministère de la transition écologique pour l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) et le chèque énergie, ou le ministère de l’agriculture et de l’alimentation pour le soutien à nos agriculteurs, c’est à regret que nous constatons le manque de temps laissé au Parlement pour juger de la pertinence de ces redéploiements de crédits, qui remettent en cause les équilibres de la loi de finances.
Nous ne mesurons pas non plus si toutes les dépenses seront bien réalisées en fin de gestion ou si, comme l’an passé, le Gouvernement aura recours à des reports de crédits significatifs, dans le but notamment d’éviter un projet de loi de finances rectificative en début d’année prochaine en cas de nouveaux besoins.
Enfin, ce collectif budgétaire prévoit une ouverture de crédits, à hauteur de 3,6 milliards d’euros, pour le financement de l’indemnité inflation, alors que 250 millions d’euros seulement seront inscrits dans le projet de loi de finances pour 2022.
Au-delà de la pertinence de cet instrument pour répondre à la problématique du pouvoir d’achat des Français les plus modestes, sujet que M. le rapporteur général vient d’évoquer et dont nous allons débattre, je souhaite avoir des précisions sur la manière dont ces crédits seront dépensés en fin d’année, dans la mesure où le versement de cette indemnité est prévu entre le mois de décembre 2021 et le mois de février 2022.
En tout état de cause, il me semble important que la loi de finances dite de fin de gestion, désormais limitée aux crédits budgétaires, ce qui est une bonne chose, ne constitue pas un texte de rattrapage du projet de loi de finances, ayant pour objet d’en modifier, plus ou moins discrètement (M. le rapporteur général rit.) et, pour tout dire, de moins en moins discrètement, les équilibres. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général applaudit également.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai mon intervention par un constat : ce projet de loi de finances rectificative est loin d’être un simple texte de fin de gestion, puisque le Gouvernement ne se contente pas de tirer les conséquences des mouvements de crédits intervenus en cours de gestion.
La fin de l’année 2021 aura été marquée par de très importants mouvements budgétaires au rythme des annonces présidentielles, les crédits ayant été répartis entre ce projet de loi de finances rectificative et le projet de loi de finances pour 2022. Ce sera l’objet de nos débats dès demain.
Un montant élevé de crédits a été redéployé à la suite d’une sous-consommation de certains postes de dépenses, notamment pour financer le chèque énergie, soutenir les agriculteurs face au gel ou à la grippe aviaire.
Certaines de ces sous-consommations de crédits posent toutefois question.
Je ne citerai qu’un exemple, celui de la justice. Lors de la discussion générale sur le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, Philippe Bas a dénoncé les 378 millions d’euros de sous-consommation de crédits entre 2018 et 2020 et le non-engagement de 652 millions d’euros de crédits d’investissement, soit le tiers de l’investissement prévu pour la période 2018-2020.
Le second projet de loi de finances rectificative prévoit d’annuler 135 millions d’euros en crédits de paiement, et les crédits non consommés sont d’environ 1 %, soit environ 100 millions d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2021.
Les travaux menés par la commission des lois ou par Antoine Lefèvre, rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022 concluent pourtant au fait que les besoins matériels sont criants dans le domaine de la justice.
Le périmètre de la mission « Plan de relance » n’augmente certes pas, mais le Gouvernement opère de nombreux mouvements de crédits en son sein, à hauteur de 2,3 milliards d’euros, par exemple pour soutenir encore davantage le fonds pour le recyclage des friches ou le bien-être animal. Comme l’an dernier, je m’interroge : ces dépenses contribuent-elles vraiment à la relance de notre économie ?
M. Jérôme Bascher. Sûrement pas !
Mme Christine Lavarde. Le projet de loi de finances rectificative ouvre de nouveaux crédits, ce qui dégrade d’autant le solde budgétaire. Avant même la valse des milliards d’euros inscrits dans le projet de loi de finances pour 2022, le Gouvernement intègre dans ce texte de nouveaux postes de dépenses fort coûteux : 2,6 milliards d’euros pour le soutien à certains opérateurs encore marqués par la crise, dont 2 milliards d’euros pour France compétences, 3,8 milliards d’euros pour le financement de l’indemnité inflation. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces deux sujets.
Pour financer ces dépenses nouvelles, le Gouvernement profite d’une prévision de croissance qu’il révise à la hausse, tout en la limitant à 6,25 %, alors que le consensus s’établit aujourd’hui plutôt à 6,6 %, voire davantage. En revanche, il ne tire pas les leçons du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), pour qui « le surcroît de recettes attendu n’est pas consacré au désendettement » et « est, au contraire, plus que compensé par un surcroît de dépenses ».
Pourtant, Bruno Le Maire a affirmé devant la commission des finances de l’Assemblée nationale – à ce propos, j’en profite pour vous dire, monsieur le ministre, que j’ai été obligée de m’en remettre aux comptes rendus de l’Assemblée nationale, car le ministre n’est jamais disponible quand il s’agit de s’exprimer devant la commission des finances du Sénat… (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme Christine Lavarde. Vous, oui, mais pas lui !
M. Bruno Retailleau. En revanche, il a du temps pour écrire des livres dans lesquels il critique le Sénat ! (Sourires.)
Mme Christine Lavarde. Exactement !
Je reprends. Pourtant, devant les députés, Bruno Le Maire a affirmé que « chaque euro de recettes fiscales supplémentaires ira, en 2021, à la réduction du déficit public et de la dette publique » et que « le remboursement de la dette est une obligation impérative vis-à-vis des générations qui viennent, pour assurer la crédibilité française par rapport à ses partenaires européens et pour éviter d’avoir à dépenser de l’argent public afin de rembourser une charge d’intérêt qui irait en augmentant avec le temps ».
Monsieur le ministre, vous refusez vous aussi de voir la dégradation des comptes publics au travers de ce projet de loi de finances rectificative, alors même que le rapporteur général et le président de notre commission des finances viennent d’en démontrer la réalité.
En effet, hors indemnité inflation et compensation spécifique des opérateurs, vous estimez que la norme de dépenses pilotables est tenue à hauteur de 290 milliards d’euros, dans la mesure où les ouvertures de crédits en autorisations d’engagement et en crédits de paiement sont compensées par des annulations.
Pour autant, les dépenses nouvelles, qui, elles, sont certaines, sont compensées par des annulations de dépenses dont la réalisation était peu probable. Je pense ici aux crédits placés en réserve de précaution, à la réduction des appels en garantie ou encore aux dépenses accidentelles et imprévisibles, que le Gouvernement a provisionnées à hauteur de 1,5 milliard d’euros dans le premier projet de loi de finances rectificative.
Après ces remarques d’ordre général, j’en viens à quelques dispositifs plus spécifiques.
Tout d’abord, je vous fais part de mon étonnement concernant la création de près de 900 postes budgétaires.
Ce matin même, en présentant mon rapport spécial sur les crédits de la mission « Écologie », j’ai fait remarquer aux commissaires des finances que de nouvelles missions temporaires, pourtant créées dans le cadre du plan de relance et dotées de crédits substantiels, seraient exécutées par des agents intérimaires. À l’inverse, j’observe que ce projet de loi de finances rectificative crée un nombre important d’emplois pour gérer des dossiers que j’estime conjoncturels.
Je pense par exemple aux 20 postes ouverts pour la préparation de la présidence française de l’Union européenne, dont chacun sait qu’elle ne durera que trois mois, aux 575 postes ouverts pour la gestion de la crise sanitaire, dont on espère tous qu’elle est derrière nous, ou encore aux 276 postes ouverts pour la mise en œuvre de l’organisation territoriale de l’État. Face à un tel bilan, nous ne pouvons que nous interroger sur l’efficience de cette politique.
Sur l’article 2 relatif au compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », dit CAS Radars, ensuite, je ne vous surprendrai pas, monsieur le ministre, en vous disant que l’Afitf, qui perçoit le solde des recettes tirées des amendes forfaitaires générées par les radars, a vu ces recettes fortement chuter en 2021 du fait d’un trafic plus faible.
Sans modification des modalités actuelles de répartition du produit des amendes forfaitaires, l’Agence aurait perdu 160 millions d’euros de ressources cette année. C’est pourquoi le projet de loi de finances rectificative a prévu de remonter le solde de l’Afitf de 150 millions d’euros, ce qui a un effet négatif sur les autres bénéficiaires de ces recettes.
Ainsi, le programme 751, « Structures et dispositifs de sécurité routière » de la mission « Sécurités », destiné à lutter contre l’insécurité routière, voit ses crédits diminuer de 19 millions d’euros, et son programme 754, « Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières », qui reverse une part de ces recettes aux collectivités territoriales, est prélevé à hauteur de 35 millions d’euros.
Je note à cet égard que l’on prélève 35 millions d’euros aux collectivités locales contre 19 millions d’euros seulement à l’État, et ce quand bien même certaines collectivités ont connu des prélèvements importants sur leur douzième de fiscalité en 2021. Je pense notamment à la commune de Saint-Denis, dont le prélèvement s’est élevé à plus de un million d’euros cette année. Alors que les dépenses du programme 754 se sont élevées à près de 656 millions d’euros en 2020, qu’en sera-t-il si, comme on le prévoit, ces dépenses atteignent 608 millions d’euros en 2021, soit une baisse de plus de 7 % ?
Le rapporteur spécial des crédits de la mission « Sécurités », Philippe Dominati, a émis de vives critiques sur la gestion du compte d’affectation spéciale dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022. Selon lui, et je partage pleinement son avis, l’architecture complexe du CAS, qui se compose de deux sections, elles-mêmes divisées en programmes, fait perdre de vue l’objectif initial d’une acceptation de la politique de contrôle automatisé des infrastructures routières.
Une réforme est impérative pour simplifier les circuits budgétaires. Je sais bien, monsieur le ministre, qu’il existe un différend interministériel et que, malheureusement pour nous, Bercy n’a, pour une fois, pas le dernier mot. (M. le ministre délégué sourit.) J’espère néanmoins pouvoir toujours compter sur votre soutien pour faire avancer cette cause.
J’en viens maintenant à France compétences. Le projet de loi de finances rectificative vient supprimer une disposition introduite dans la loi de finances initiale pour 2021, qui conditionnait le versement d’une subvention de 750 millions d’euros à France compétences à la présentation d’un budget à l’équilibre en 2022. En plus de faire sauter cette clause, l’article 11 prévoit le versement d’une subvention complémentaire de 2 milliards d’euros à cet opérateur.
Nous nous réjouissons tous que la plateforme www.moncompteformation.gouv.fr soit un succès et que le volume de formation soit nettement supérieur à ce qui a été anticipé. De ce fait, les montants payés par France compétences sont beaucoup plus élevés que prévu. Nous devons nous en féliciter, car ces formations participent à une meilleure employabilité des salariés.
Cependant, France compétences est un organisme mal né. Dès son installation, il a dû financer des contrats d’apprentissage sans recettes disponibles. Sans mesure de fond, le retour à l’équilibre financier n’est pas possible à court terme.
Auditionné par Frédérique Puissat, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Travail et emploi », le directeur de France compétences a dit envisager un déficit de 4 milliards d’euros fin 2022, soit autant qu’à la fin 2021. Autant dire que les 2 milliards d’euros que nous allons voter ne permettront pas de dégager de solution et ne résoudront aucun problème.
Au-delà de la seule question de son équilibre financier, il faut réfléchir à l’action de France compétences. Le renouvellement de toutes les certifications du répertoire spécifique est en cours. Plus de 500 demandes restent à étudier, alors que la date butoir pour le renouvellement de l’enregistrement est fixée au 31 décembre 2021. Les professionnels du monde de la formation dénoncent une commission opaque dont les critères de décision sont complexes.
J’ai en outre été surprise de constater, dans les décisions d’enregistrement aux répertoires nationaux publiées le 10 novembre dernier, que des formations certifiantes en langue vivante comme le TOEIC, Test of English for International Communication, sont accréditées pour un an seulement, quand des formations pour « réaliser des interventions sociales par le jeu de clown dans le secteur médico-social et dans l’événementiel » sont accréditées pour trois ans ou que des formations pour « préparer et animer une formation interne dans une entreprise de remontées mécaniques et domaines skiables » le sont pour deux ans.
Cela me laisse d’autant plus songeuse qu’une étude récente – elle a été réalisée au mois de septembre dernier – du cabinet Asterès démontre qu’une augmentation de 1 % du nombre de multilingues en France entraînerait une hausse de 0,7 % des exportations. Ce n’est pas comme si nous avions un déficit commercial abyssal… (M. Jérôme Bascher s’exclame.)
J’en terminerai par l’article 12 relatif à l’indemnité inflation, mesure qui ne satisfait personne, monsieur le ministre.
Dans quelques instants, on estimera probablement, à la gauche de cet hémicycle, qu’une telle disposition est insuffisante et qu’il est urgent d’augmenter les salaires pour lutter contre la précarité et la perte du pouvoir d’achat. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)