Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Je pense que les propos de notre collègue s’adressent plutôt à Mme la ministre qu’à la commission.
Celle-ci a toutefois émis un avis défavorable sur cette motion, car elle ne perçoit pas d’obstacles juridiques à discuter de ce texte, qui porte sur la mise en place d’un dialogue social entre les plateformes et les travailleurs indépendants qui y ont recours, et qui n’entre pas nécessairement dans le champ de l’article L. 1 du code du travail.
Si l’on peut regretter le principe des ordonnances, comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, il est tout à fait possible pour le Gouvernement de demander au Parlement une habilitation à prendre par ordonnance toute mesure relavant du domaine de la loi. Le Conseil constitutionnel n’a jamais exigé que cette habilitation soit liée à une déclaration de politique générale.
Enfin, ce projet de loi contribue à donner corps, pour les travailleurs concernés, à certains principes qui sont édictés par le préambule de la Constitution de 1946, notamment le droit pour tout travailleur de participer, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Monsieur le sénateur, il y a beaucoup de caricatures dans vos propos.
Sur la concertation, tout d’abord : l’ordonnance qu’il vous est proposé de ratifier a fait l’objet d’une très large concertation avec les organisations patronales et syndicales interprofessionnelles, avec les représentants des travailleurs et des plateformes. Et nous nous proposons d’avancer de la même manière sur les ordonnances qui pourraient être issues des nouvelles habilitations.
Sur la méthode, ensuite : non seulement le recours aux ordonnances est prévu par la Constitution, mais si nous vous proposons d’y recourir, c’est parce qu’il y a urgence à agir, monsieur le sénateur. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
On ne saurait rester encore des mois sans cadre juridique permettant à ces acteurs d’engager des discussions sur le revenu minimal des travailleurs, la formation professionnelle ou la santé au travail. Plus vite seront fixées les règles permettant aux travailleurs de désigner leurs représentants, mais aussi de déterminer les thèmes de négociation, leur périodicité ou encore les règles de validité des accords, plus vite les droits des travailleurs pourront être consolidés et renforcés.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable sur cette motion.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je vais donner mon avis sur les deux motions, monsieur le président.
Nous partageons l’appréciation selon laquelle le projet de loi contrevient à l’article L. 1 du code du travail, qui dispose que « tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales ».
Pour cela, le Gouvernement doit leur communiquer en amont « un document d’orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options ».
Ce texte est de fait contraire à ces règles de la démocratie sociale. Même en l’absence de procédures de concertation, le Gouvernement, lorsqu’il décide de mettre en œuvre un projet de réforme, doit faire connaître cette décision aux organisations en la motivant dans un document.
Le projet de loi visant à créer ces organisations, celles-ci n’ont pu être sollicitées, par construction, ni être mises au courant en amont. Par conséquent, les représentants des travailleurs concernés n’ont pu l’être non plus.
Si le problème semble insoluble sur le plan juridique, de par son caractère itératif, il ne fait que refléter l’impact de la recherche d’un tiers-statut, qui fait l’unanimité contre lui – comme le rappelle la seconde motion, tendant à opposer la question préalable – et témoigne surtout de la volonté gouvernementale de sécuriser les plateformes contre le risque de requalification.
Ce projet de loi, comme le relèvent d’ailleurs les deux motions, contrevient aux règles constitutionnelles qui imposent au Gouvernement de rattacher sa demande d’habilitation d’une ordonnance à l’exécution de son programme ou à sa déclaration de politique générale. Il illustre le bras de fer permanent engagé par le Gouvernement avec le Parlement.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe écologiste votera les deux motions.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai l’habitude de faire confiance aux autres. Vous nous donnerez donc, madame la ministre, le calendrier présidant à la consultation des organisations patronales et syndicales sur l’objet de l’ordonnance. Je ne doute pas que vous nous communiquerez aussi, en toute transparence, leurs avis sur vos projets.
Quant aux caricatures, je vous avoue, madame la ministre, que vous me surprenez ! Vous êtes au pouvoir depuis 2017, nous sommes en novembre 2021, et vous vous permettez de dire que je caricature la situation… Mais qu’avez-vous fait depuis quatre ans pour en arriver à présent à la rédaction d’une ordonnance sur le dialogue social ?
Je vous ai écoutée, madame la ministre. Comme vous, nous travaillons. Lors de votre audition, vous nous avez dit que le prix et la rémunération seraient couverts. Je me suis donc dit que le Gouvernement arriverait dans l’hémicycle du Sénat avec des amendements visant à faire figurer dans les éléments obligatoires du dialogue social le prix et les rémunérations. Or voilà que vous ajoutez deux couches de crème au millefeuille, en nous faisant un numéro, avec, pardonnez-moi, des larmes de crocodile, sur la santé au travail ou la formation professionnelle !
Vous parlez du prix et de la rémunération, mais il faut être honnête intellectuellement : dans votre ordonnance, il n’y a rien qui concerne le prix, la rémunération, la santé au travail ou la formation professionnelle.
Ce n’est ni sérieux ni responsable de répéter ainsi qu’il faut aller vite, alors que vous aviez quatre ans pour vous attaquer à ces problèmes, dont vous saviez qu’ils concernaient en particulier les plateformes de mobilité.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 13, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Lubin, MM. Jacquin et Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes (n° 141, 2020-2021).
La parole est à Mme Monique Lubin, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le management algorithmique et l’économie de plateforme imposent leurs normes à la sphère du travail, rappelons les mots de Gilbert Simondon : « La machine peut se dérégler et présenter alors les caractéristiques de fonctionnement analogues à la conduite folle chez un être vivant. Mais elle ne peut se révolter. La révolte implique en effet une profonde transformation des conduites finalisées, et non un dérèglement de la conduite. »
La machine devenant le mètre étalon de l’évaluation de ce que devrait être le travail, le conformisme et la soumission menacent de s’ajouter à la recherche de l’efficacité à tout prix dans certaines sphères professionnelles.
Dominique Méda a ainsi souligné, dans le cadre de la mission d’information du Sénat sur l’ubérisation de la société, que « le profil des livreurs a […] changé. À l’étudiant s’est substitué le migrant sans papier, précaire et exploité. La plateforme donne certes de l’emploi, mais pour un travail de faible qualité. Il manque des cotisations sociales, alors que les plateformes sont des employeurs. On assiste à un contournement des obligations des employeurs, notamment pour le financement de la sécurité sociale ou des obligations de protection des employeurs ».
Rappelons également que le fonctionnement de certaines applications pousse trop souvent les livreurs à jouer avec leur vie.
Le statut des travailleurs de plateforme est le produit de l’exploitation des angles morts de notre système juridique par des agents économiques qui tendent à privatiser les bénéfices et à socialiser les pertes.
Le projet de loi de ratification de l’ordonnance relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes ne menace pas d’y changer grand-chose.
Il propose en effet la validation par le Parlement d’un dispositif de dialogue social mal ficelé, et renvoie – une fois encore – à des ordonnances ! Loin de conforter la démocratie d’entreprise, il menace de susciter une pratique exotique, un dialogue social organisé autour de syndicats d’indépendants, ce que l’on pourrait appeler un cartel, ou une entente. La place centrale de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) dans ce dispositif pose aussi question.
Loin d’avoir une vision de ce que doit être le travail dans le cadre de l’économie numérisée, ce qui aurait légitimé un projet de loi ambitieux, le Gouvernement adopte une stratégie du bricolage pour banaliser un état de fait.
Le texte que nous examinons aujourd’hui participe en effet de la constitution à bas bruit d’un tiers-statut pour les travailleurs de plateformes. Cette tactique des petits pas permet au Gouvernement de dissimuler ce qu’il est en train de faire, et qu’il se garde bien de nommer ou de revendiquer.
La mise en œuvre de cette tactique s’accélère. Le Gouvernement ne cesse de faire légiférer en ce sens, aussi bien implicitement qu’explicitement.
La constitution de ce tiers-statut est d’abord bien sûr explicite dans le cadre du présent projet de loi, discuté dès juillet 2021 à l’Assemblée nationale. Dans le projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante débattu au mois d’octobre 2021, le sujet des travailleurs de plateforme n’est par ailleurs abordé à aucun moment. Cela aurait pourtant été l’occasion de clarifier leur statut, puisqu’ils sont supposés être des travailleurs indépendants ! La tâche aurait certes été difficile, car, comme nous le savons, une partie écrasante d’entre eux est économiquement dépendante.
Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, un amendement du Gouvernement a créé l’article 50 bis, qui a pour objet de faire bénéficier les travailleurs des plateformes du régime général de la sécurité sociale sous réserve d’un revenu annuel inférieur à 1 500 euros.
Enfin, logiquement, dans le projet de loi de finances pour 2022, l’article 32 valide la création d’une taxe affectée à l’ARPE.
Cette urgence à avancer est sans doute à rapprocher de l’agenda européen du Gouvernement, sur lequel reviendra mon collègue Olivier Jacquin.
La majorité du Sénat semble entériner la démarche de l’exécutif, puisqu’elle a fait le choix de compléter le présent projet de loi, dans un double mouvement. Elle prétend d’une part vouloir contrôler les excès politiques du texte par la suppression d’une ordonnance, la réduction à six mois de la validité d’une autre, et le refus que les parlementaires siègent à l’ARPE. Dans le même temps, elle apporte sa pierre à l’édifice en encadrant le dialogue social proposé par le Gouvernement.
Comme la majorité du Sénat, le Gouvernement fait le choix d’aller à rebours du sens de l’Histoire, celui d’une modernité démocratique qui marque pourtant des points à travers le monde.
Des activistes, des professionnels, des acteurs politiques, juridiques et syndicaux réussissent à renverser la vapeur face au rouleau compresseur de l’ubérisation. Nous avons tous en tête les décisions prises au Portugal, où les plateformes de commande de repas en ligne telles qu’Uber Eats et Glovo sont obligées de proposer à certains de leurs livreurs des contrats et des avantages formels. En Espagne, la loi Riders, adoptée mi-mai par le gouvernement de gauche de Pedro Sanchez, a permis ces dernières semaines l’embauche de milliers de coursiers jusqu’alors considérés comme indépendants. Et je ne détaillerai pas ce qui se passe en Angleterre, en Italie, aux Pays-Bas, en Californie…
Je rappellerai, en revanche, les décisions des instances juridiques françaises, cours d’appel et Cour de cassation, qui ont fait mouvement vers la requalification salariale.
La multiplication des coopératives de livraison fait par ailleurs la démonstration du refus des professionnels de se soumettre à un modèle qui ne leur convient pas.
Il y a enfin la résolution du Parlement européen, en date de septembre 2021, qui acte tout à la fois qu’un tiers-statut n’est pas souhaitable, qu’il conviendrait de classer les travailleurs de plateforme soit comme de véritables indépendants, soit comme des salariés, et qui promeut une présomption réfragable de relation de travail.
Nous pouvons donc nous interroger : pourquoi le Gouvernement choisit-il d’aller contre un mouvement de reprise en main de leurs destinées sociales et professionnelles par les travailleurs salariés et indépendants ?
Madame la ministre, vous avez explicité votre position auprès de notre collègue député Boris Vallaud lors de la discussion du texte à l’Assemblée nationale. Vous avez déclaré souhaiter « la poursuite d’une activité économique créatrice d’emplois, qui peut par ailleurs permettre une insertion professionnelle rapide pour un certain nombre de travailleurs, tout en garantissant un socle de droits sociaux ».
C’est dire l’ambition de votre gouvernement : donner des privilèges exorbitants à des plateformes, ce qui passe par l’extrême fragilisation de notre modèle social, en échange d’un droit de survie pour des travailleurs économiquement dépendants, qualifiés d’indépendants et victimes d’un tiers-statut.
Un autre point a été explicité au cours des débats à l’Assemblée nationale : le fait que les dispositions du présent projet de loi vous donnent l’opportunité d’effacer les liens de subordination entre les plateformes et les travailleurs, alors qu’elles sont l’élément clef d’une possibilité de requalification salariale que nous appelons de nos vœux au profit des travailleurs qui le souhaitent.
Cette approche tactique, qui procède par bricolages successifs pour aboutir à la validation d’un état de fait imposé par les plateformes, est nocive à court, moyen et long terme.
Le rejet unanime du tiers-statut emprunte de fait ses arguments du côté de l’insécurité juridique qu’il introduirait pour les entreprises. C’est ce que mettent notamment en avant le rapport Frouin et la résolution du Parlement européen de septembre dernier.
Le soutien aux indépendants est antinomique de la création de ce tiers-statut : si les professionnels indépendants doivent travailler avec les plateformes, il faut que cela soit dans des conditions respectueuses de ce statut. De fait, le tiers-statut créerait, comme le souligne également la résolution du Parlement européen, une situation de concurrence difficilement supportable pour ces derniers.
Fragilisant le statut salarial aussi bien que le statut des indépendants, le tiers-statut que le Gouvernement est en train de mettre en place est un véritable trou noir, susceptible de vider de leur substance salariat et indépendance. Et les menaces qu’il fait peser sur notre modèle social sont d’une gravité sans précédent.
Au sein de cette enceinte parlementaire, nous avons lutté contre cette approche choisie par le Gouvernement.
Nous avons bataillé, en juin 2018, dans le cadre de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, puis en novembre 2018 au cours de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités, contre la volonté du Gouvernement d’offrir aux plateformes le moyen de se dédouaner de leurs responsabilités sociales – notre recours au Conseil constitutionnel sur le sujet ayant d’ailleurs connu le succès que l’on sait.
Nous avons identifié dès 2018 l’intérêt des coopératives dans le cadre de la proposition de loi visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques, que j’ai déposée et défendue avec Nadine Grelet-Certenais et Olivier Jacquin.
Le recours aux coopératives, dont nous avons souligné l’intérêt, est également identifié comme une piste à explorer dans le rapport Frouin ou dans la résolution du Parlement européen.
La proposition de loi contre l’indépendance fictive des travailleurs des plateformes, débattue en mai dernier et portée par Olivier Jacquin, moi-même et le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, proposait quant à elle de nombreuses solutions dont l’intérêt saute aux yeux : une procédure de requalification par action de groupe ; la suppression de la présomption de non-salariat et son remplacement par une présomption de contrat de travail ; la possibilité pour les conseils de prud’hommes saisis de demandes de requalification d’exiger la production de l’algorithme utilisé par une plateforme et celle de recourir, si nécessaire, à un expert.
Alors que se profile le métavers, où la frontière entre le réel et le virtuel menace de se brouiller jusqu’à disparaître complètement, et qui est un projet d’altération du monde du travail bien plus massive que celle causée aujourd’hui par les plateformes numériques, le Gouvernement ne semble pas avoir saisi l’ampleur de sa responsabilité, historique, de fixer un cadre et des règles au monde du travail qui soient conformes au modèle social et politique que nous nous sommes choisi.
Le Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain estime pour sa part qu’il n’est pas possible de légiférer en catimini et de procéder par glissements successifs sur un enjeu majeur pour notre modèle social.
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de présenter devant notre assemblée cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable.
Sur la forme, mes chers collègues, je vous rejoins. Nous en avons déjà parlé : il s’agit d’une ratification d’ordonnances et d’une nouvelle habilitation à légiférer par ordonnance qui pose en effet un certain nombre de difficultés – j’imagine que vous pouvez aussi les comprendre, madame la ministre.
De surcroît, l’élaboration en cours, au niveau européen, d’un nouveau droit concernant les travailleurs des plateformes est source d’incertitudes. On ne sait pas très bien à quelle sauce ce texte va être mangé, en fonction des discussions à venir au sein de l’Union.
Mais nous n’avons pas fait le même choix que vous.
D’abord, nous considérons que les plateformes offrent des opportunités d’activité. C’est peut-être une divergence d’appréciation entre nos deux groupes politiques.
Puis, comme nous le disions dans le rapport de la mission d’information que j’avais conduite avec Michel Forissier et Catherine Fournier, le dialogue social au niveau sectoriel est une façon de résoudre le problème. Or tel est précisément le sens de ces ordonnances.
C’est pourquoi nous avons fait le choix de les modifier. M. Savoldelli parlait du prix : c’est précisément l’objet de l’article 3, introduit par la commission, par lequel nous entendons graver dans la loi cet aspect important.
Plusieurs textes de loi nous ont en effet été proposés, mais la requalification ne correspond pas à notre vision des choses. Par cohérence, nous avons donc fait le choix d’amender le texte proposé par le Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. La conviction du Gouvernement est que nous devons tenir une position d’équilibre. Il nous faut, dans le même temps, accompagner le développement des plateformes de mise en relation et veiller à mieux protéger les droits des travailleurs qui y ont recours.
La voie que nous avons choisie n’est pas celle d’un tiers-statut, mais celle de la construction d’un dialogue social structuré et organisé entre les plateformes et les travailleurs, pour bâtir des droits adaptés dans le cadre du travail indépendant, tout en respectant les statuts existants.
Nous entendons aussi respecter la volonté des travailleurs, dont une majorité écrasante souhaite une amélioration de leurs droits, tout en préservant leur statut d’indépendant, qui leur procure souvent une autonomie et une liberté d’organisation à laquelle ils sont attachés.
Je crois en la capacité du dialogue social à tirer vers le haut les droits des travailleurs. Je crois en la responsabilité des acteurs pour définir un cadre mieux-disant, tant au bénéfice des travailleurs que des plateformes elles-mêmes, qui ont là un véritable enjeu d’attractivité et de réputation.
Pour autant, nous devons structurer ce dialogue social et le rendre exigeant pour permettre aux travailleurs concernés de définir les solutions les plus adaptées à un environnement de travail très spécifique et en pleine mutation.
Je voudrais être claire : ces ordonnances n’enlèvent rien au pouvoir du juge de requalifier en salarié un travailleur qui ne serait pas réellement indépendant. Il ne s’agit pas de réduire le faisceau d’indices susceptibles de révéler l’existence d’un lien de subordination entre une plateforme et ces travailleurs.
J’entends les craintes et les critiques sur le recours aux ordonnances, mais ce recours se justifie par la nécessité de finaliser le cadre du dialogue social au printemps 2022.
Monsieur le sénateur Savoldelli, il est évident que vous ne trouverez pas dans l’ordonnance le contenu que j’avais annoncé, puisqu’il s’agit du projet de loi d’habilitation ! Je vous renvoie à l’amendement n° 17 du Gouvernement, qui prend bien en compte la volonté de préciser des thèmes importants dans le cadre de ce dialogue social.
Si vous adoptez cette habilitation, le Gouvernement reviendra naturellement devant vous avec un nouveau projet de loi de ratification de l’ordonnance à l’issue du délai imparti par l’habilitation. Le Parlement sera donc de nouveau associé pleinement à l’écriture des modalités du dialogue social, comme aujourd’hui.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.
Mme Nathalie Delattre. Madame Monique Lubin, chers collègues, nous voterons contre cette motion. Ce n’est pas que nous soyons contre son principe : comme l’a dit la rapporteure, nous nous rejoignons sur plusieurs points, notamment sur notre opposition au recours aux ordonnances.
Mais, par principe, le groupe RDSE vote toujours contre une motion tendant à opposer la question préalable. Nous préférons faire vivre le débat parlementaire !
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je reviendrai sur un certain nombre de points au cours de la discussion générale.
Je me rappelle bien, madame Puissat, l’intéressant travail que vous avez mené sur les travailleurs des plateformes. Votre position était claire : pas de tiers-statut. Or, aujourd’hui, vous validez de facto un tel statut, ne soyons pas naïfs !
Madame la ministre, vous parlez d’équilibre : vous êtes vraiment devenue la championne du « en même temps » ! Comment pouvez-vous nous dire aujourd’hui qu’il ne s’agit pas d’un tiers-statut ? J’en ferai la démonstration dans le cadre de la discussion générale.
Comment pouvez-vous nous dire que cela ne vise pas à enlever des possibilités de requalification au juge ? Dans l’étude d’impact, clairement, on parle de sécuriser juridiquement le modèle économique des plateformes. Je citerai tout à l’heure la rapporteure du texte pour l’Assemblée nationale, qui a été d’une transparence éloquente. Elle a clairement dit qu’il s’agissait précisément de réduire le faisceau d’indices – vous ne l’avez pas contredite à l’Assemblée nationale, et vous venez de dire précisément l’inverse ! Est-ce du « en même temps » ? De l’équilibre ? Je vous laisse juge, madame la ministre.
En tous cas, j’apprécie particulièrement le propos de ma collègue Monique Lubin, et je vous invite à cesser cette mascarade sur les intentions réelles de ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voterons cette motion tendant à opposer la question préalable. Cela n’étonnera personne, me semble-t-il !
L’argument selon lequel il y aurait là des opportunités d’activité me laisse perplexe. Il faut clarifier, déjà : source d’activité, peut-être, mais pas source d’emploi… Les mots ont un sens.
De plus, rien ne garantit que l’activité en question soit rentable : aucune plateforme n’a pour l’instant fait la démonstration de sa rentabilité, et on en a même vu disparaître du jour au lendemain, en un clic, avec les milliers de travailleurs qu’elles employaient.
Vous nous parlez d’opportunité d’activité. Mais nos acteurs économiques, petits patrons, commerçants, artisans ont sacrément d’autres contraintes que les plateformes numériques de travail !
M. Olivier Jacquin. Absolument !
M. Pascal Savoldelli. Ils assument des responsabilités sociales, eux ; ils ont des charges, ils prennent des risques autres que ceux qui dirigent les plateformes.
Attention, donc, mes chers collègues, surtout sur les travées qui me font face : le débat sur le tiers-statut masque l’apparition d’une concurrence faussée si l’on continue à suivre de manière aveugle le modèle social et économique des plateformes numériques.
Sur le prix, madame la ministre, nous n’arrivons pas à être écoutés. Vous arrivez aujourd’hui avec des amendements pour contrer à la fois ceux de la commission et de l’Assemblée nationale. C’est : « parlez toujours, le Gouvernement ne bougera pas ! » Le débat à l’Assemblée nationale n’aura servi à rien, puisque vous revenez avec des amendements. Quant aux propositions qui ont fait l’objet d’un accord unanime au sein d’une mission sénatoriale, elles ne vous feront pas bouger davantage.
M. le président. Il faut conclure.
M. Pascal Savoldelli. Tout cela pour conclure que le prix sera défini dans une future ordonnance. Par quel gouvernement ? Le vôtre ? Un autre ? Et vous nous dites qu’il faut aller vite ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Brigitte Devésa. (Mme Sylvie Vermeillet applaudit.)