M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’avoir inscrit à l’ordre du jour cette proposition de résolution qui porte sur une thématique essentielle, le développement rural et le soutien que l’Europe peut lui apporter.
Nous en sommes tous ici convaincus, les territoires ruraux représentent une véritable richesse en raison de leur diversité, de leurs populations, de leur patrimoine naturel et culturel, de la qualité de vie qu’ils proposent, comme des viviers d’innovation sociale qu’ils portent, notamment pour la transition écologique et solidaire.
Comme le texte le souligne, ces atouts ont été mis en lumière par la crise sanitaire, qui a créé une envie de ruralité nouvelle, en lien notamment avec l’essor du télétravail. Mais cela ne peut faire oublier les inégalités dont souffrent les territoires ruraux, alors que nombre de politiques publiques, notamment européennes, restent axées sur le développement urbain.
Le texte le rappelle, les territoires ruraux rencontrent des difficultés pour l’accès aux soins, aux services publics, au numérique, qui est pourtant de plus en plus indispensable à la vie quotidienne, ainsi que pour l’accès aux commerces, aux transports en commun ou à un emploi, en particulier pour les jeunes.
Toutes ces difficultés peuvent susciter un sentiment d’abandon et de relégation au sein des populations rurales – nous partageons à cet égard le constat de l’auteur de la proposition de résolution.
Dans ce contexte, les politiques européennes, notamment les fonds européens consacrés au développement rural, n’atteignent pas leurs objectifs. L’agenda rural européen est donc une piste pertinente pour résorber ces fractures, en intégrant et en finançant le développement rural à hauteur de ses atouts et du poids démographique de ces territoires.
Les axes de travail de la proposition de résolution sont à cet égard tout à fait intéressants : revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, accès aux services, à la santé, au numérique, lutte contre la pauvreté et les inégalités entre les hommes et les femmes, politiques ciblées sur les jeunes, interconnexion avec les espaces urbains, soutien aux initiatives locales et aux investissements de transition écologique, enfin, préservation et mise en valeur de leur patrimoine, notamment via un tourisme rural écologique.
Nous sommes également satisfaits de constater que l’économie sociale et solidaire figure dans les axes proposés par ce texte. On constate en effet son dynamisme et son intérêt pour la ruralité, avec par exemple le développement d’épiceries solidaires, de cafés associatifs, de tiers lieux, de magasins de producteurs…
Il nous semble important que le développement du logement s’effectue en lien avec les enjeux environnementaux, par exemple au travers du soutien à la rénovation de logements vacants et de la revitalisation des centres-bourgs.
Je voudrais toutefois m’attarder spécifiquement sur deux points qui mériteraient d’être mis en valeur.
Le premier concerne la question agricole. Effectivement, l’Europe s’est construite par le biais de la PAC. Mais derrière celle-ci, il y a un lien entre l’agriculture et l’alimentation dans l’ensemble des territoires, ruraux comme urbains. La relocalisation de l’alimentation est un levier majeur pour un développement rural fondé sur une agriculture paysanne dynamique, bien présente et préservée.
La future PAC continue d’encourager l’agrandissement des fermes, par le biais de ses aides à l’hectare et par son trop faible soutien aux petites fermes. C’est l’installation de nouveaux agriculteurs qui est mise à mal par ces aides, alors même que des personnes qui ne sont pas issues du milieu agricole aspirent à un « retour à la terre ».
L’agenda rural européen devrait donc s’articuler avec une PAC beaucoup plus écologique et favorable aux terroirs, aux territoires et, je le répète, à l’alimentation de proximité.
Le second point qui mériterait d’être mis en valeur dans l’agenda rural européen concerne le soutien à l’accueil des migrants en milieu rural.
Ce n’est pas la peine de se voiler la face : les migrants, nous allons devoir les accueillir. Cela ne veut pas dire les cantonner dans les périphéries des villes. Au contraire, la planification d’un accueil humaniste des migrants, quels que soient leurs pays d’origine, demande d’être pensée sur l’ensemble du territoire national, de manière régulée.
Ces populations, qui migrent, car elles n’ont pas le choix de faire autrement, viennent souvent de territoires ruraux. Elles pourraient contribuer à la dynamisation de nos territoires et de nos écoles. Elles pourraient apporter des bras pour les emplois en milieu rural et pour la réindustrialisation, qui y a aussi sa place, et évidemment à répondre aux besoins de main-d’œuvre agricole.
Pour toutes ces raisons, et en souhaitant que ces deux points soient mis en avant, nous voterons en faveur de cette proposition de résolution. (M. Ronan Dantec applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution a pour ambition louable l’élaboration d’un agenda rural européen.
Si nous partageons ses constats, nous regrettons qu’elle se refuse à avancer une perspective de changement des politiques publiques mises en place dans les campagnes européennes. En effet, il existe de criantes et graves inégalités entre les ruraux et les urbains, que ce soit en termes de mobilité, d’accès aux soins, aux services publics ou aux infrastructures numériques.
Entre zone rurale et zone urbaine, les écarts concernant l’espérance de vie se creusent depuis plus de trente ans. En milieu hyper-urbain, un Français vit en moyenne deux ans de plus qu’en milieu hyper-rural, alors que cet écart était de trois mois en 1990.
Cette résolution rappelle pourtant que 92 % des Français trouvent le monde rural attractif – il est vrai que nos campagnes sont belles, avec leurs paysages modelés par l’agriculture et par la conservation d’un patrimoine exceptionnel. Mais cela ne nous fait pas oublier les graves problèmes de chômage, de désertification, le sentiment d’abandon et le délitement du lien social qui ont constitué le terreau d’ancrage du mouvement des « gilets jaunes », appelant à plus d’égalité et de justice.
Un point positif, néanmoins, consiste dans l’expression d’une volonté de mieux prendre en compte la situation particulière des femmes en milieu rural. À cet égard, mes chers collègues, je vous renvoie au rapport rendu récemment par la délégation sénatoriale aux droits des femmes du Sénat sur ce sujet.
Mme Nathalie Goulet. Excellent rapport !
Mme Marie-Claude Varaillas. Dans le prolongement de ce diagnostic, cette proposition de résolution formule trois propositions : elle invite la Commission européenne à prendre en compte les spécificités de ces zones et à apporter un financement via les fonds européens structurels et d’investissement ; elle demande que la ruralité bénéficie de crédits correspondant à son poids démographique ; enfin, elle invite le Gouvernement à soutenir cet agenda rural européen à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne.
Quelques mesures concrètes sont également évoquées, notamment l’accès à « un socle de services universels à moins de trente minutes de trajet », grâce à un plan de soutien au commerce rural et à la mise en place d’une politique de logement. Cette mesure aurait pu constituer une base de discussion très intéressante si elle n’était pas absente de la proposition de résolution en elle-même, puisqu’elle n’est formulée que dans l’exposé des motifs de cette dernière.
De fait, la proposition de résolution n’aborde aucune mesure concrète et passe sous silence les causes profondes de ces inégalités. Je pense aux ravages du dogme de la concurrence libre et non faussée, à l’obsession de la lutte contre les monopoles publics et aux impératifs de réduction de la dépense publique, qui ont été imposés au fil des directives européennes et appliqués avec zèle par les gouvernements successifs.
La concurrence entre les territoires s’est exprimée au travers les lois dites Maptam et NOTRe – les lois du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles et du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République –, qui ont contribué à fragiliser les zones rurales, accélérant ainsi la désertification de celles-ci.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
Mme Marie-Claude Varaillas. Le ruissellement attendu n’a pas eu lieu.
Mme Nathalie Goulet. C’est sûr !
Mme Marie-Claude Varaillas. La métropolisation, conjuguée à la fermeture des services publics, a freiné le développement des zones rurales. Les politiques de rétraction de la présence de l’État ont brisé la promesse de l’égalité républicaine, accentuant un sentiment de relégation qui favorise le vote extrême.
Malheureusement, ce n’est pas l’agenda rural présenté en 2019 qui changera la donne : l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) peine à trouver sa place, faute de moyens – espérons qu’elle en aura plus en 2022 – et l’ouverture des maisons France Services n’est, ne nous voilons pas la face, qu’un pis-aller face à la fermeture des services publics de plein exercice dans notre ruralité : postes, gares, gendarmeries, hôpitaux ou encore centres des impôts.
Le monde agricole reste, malgré les deux lois Égalim – la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous et la loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs –, le parent pauvre de la répartition des richesses dans le secteur agroalimentaire.
En outre, la santé demeure un problème récurrent, cela a été souligné. Même si des efforts très importants sont réalisés par les élus, avec l’émergence des maisons et des centres de santé, de plus en plus de familles rurales n’ont plus, à ce jour, de médecin traitant. Les zones de revitalisation rurale (ZRR), prolongées jusqu’en 2022, devront être pérennisées, afin de faciliter l’installation d’entreprises et de médecins.
Ainsi le monde rural est-il en souffrance, alors qu’il recèle de formidables atouts, notamment pour accompagner la transition écologique. De ce constat, tant européen que national, découle la nécessité non pas d’une politique sectorielle de saupoudrage au travers d’un nouvel agenda, mais, plus sérieusement, d’une remise en cause des fondements mêmes des politiques publiques, à tous les échelons.
Nos élus ruraux dénoncent la baisse des moyens et des compétences. Une nouvelle politique d’aménagement du territoire s’impose, avec l’augmentation des dotations de fonctionnement. Nous proposons donc, avant toute chose, une révision des réformes des collectivités, afin de redonner à l’échelon communal une véritable place de proximité et de lien démocratique.
Nous souhaitons l’abrogation des lois de libéralisation et le retour de services publics, sous maîtrise publique et avec des opérateurs publics. C’est à cela qu’il faut s’atteler à l’échelon européen, afin de revenir sur les directives qui nous enferment dans des carcans libéraux sacrifiant nos campagnes sur l’autel de la concurrence économique.
Faute de répondre à ces enjeux, cet agenda rural européen risque de se révéler inopérant, en tentant de vider l’océan des inégalités territoriales avec une petite cuiller…
Pour ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’abstiendra sur cette proposition de résolution.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de résolution nous est soumise opportunément, à quelques semaines de la présidence française de l’Union européenne, et je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Patrice Joly.
En effet, nous nous trouvons à un moment clef pour faire avancer les ruralités et l’idée que l’espace rural, où vivent 30 % des Européens, peut apporter des réponses aux défis environnementaux et économiques, ainsi qu’au défi de cohésion sociale, que nos sociétés du XXIe siècle doivent relever ; la ruralité comme une chance à saisir, en quelque sorte.
Ce constat est partagé par la Commission européenne, laquelle a rendu publique, en juillet dernier, sa « vision à long terme pour les zones rurales de l’UE », qui vise à rendre ces dernières « plus fortes, connectées, résilientes et prospères à l’horizon 2040 ».
La crise sanitaire mondiale a vu l’espace rural représenter, pour bon nombre de nos concitoyens, une solution, une réponse à la nouvelle vie imposée par cette crise, mais également un choix de vie possible durablement, notamment grâce à la montée en puissance des nouvelles possibilités offertes par l’arrivée du numérique.
En réalité, la valeur ajoutée que peuvent apporter l’espace rural et son potentiel de créativité, d’innovation et d’agilité est considérable, mais largement sous-exploitée.
De surcroît, l’inégalité des citoyens face à l’offre de services d’intérêt général et aux infrastructures de base est croissante, au détriment du secteur rural. Mes chers collègues, les services proposés dans les ruralités ne sauraient être des services au rabais !
Garantir l’accès à des soins de qualité, développer les mobilités, proposer des services de qualité en matière d’éducation, de logement et d’accès aux nouvelles technologies, ainsi qu’à la culture pour tous, construire une offre de services structurante et de qualité : voilà la carte qu’il faut jouer pour permettre à la ruralité de répondre pleinement aux attentes des populations et des nouvelles générations, mais encore aux nouveaux enjeux auxquels notre société doit faire face.
Aujourd’hui, la France est en situation de promouvoir cette volonté politique et cette ambition pour les ruralités, à l’échelle européenne.
La présidence de l’Union lui donne une occasion unique pour promouvoir un agenda rural européen, à savoir un cadre politique et des orientations opérationnelles pour un développement de tous les territoires ruraux européens, décliné dans chaque pays, en fonction de ses spécificités. Elle en a toute la légitimité, parce qu’elle présidera l’Union et parce qu’elle a ouvert la voie avec son agenda rural français.
Cette proposition de résolution, que, bien évidemment, le groupe UC votera, ainsi que les événements que nous préparons ensemble, cher Patrice Joly, au sein de l’Association nationale Nouvelles ruralités, qui auront lieu à Bruxelles en décembre prochain et à Strasbourg en février 2022, s’inscrivent dans cette perspective.
C’est celle d’un agenda rural européen comportant des mesures concrètes pour répondre aux besoins des populations et doté des moyens financiers nécessaires pour bâtir une politique européenne des ruralités qui soit volontariste, juste, exigeante et durable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP. – MM. Patrice Joly et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de résolution est bienvenue. Elle appelle à la mise en place d’un agenda rural européen, conformément à la résolution adoptée par le Parlement européen, en 2018, visant à instaurer une feuille de route en faveur des besoins spécifiques des territoires ruraux.
Le 30 juin dernier, la Commission communiquait au Parlement européen sa « vision à long terme » en faveur de « zones rurales plus fortes, connectées, résilientes et prospères à l’horizon 2040 ». Ses objectifs sont ambitieux : renforcer la gouvernance, améliorer la connectivité et la desserte numérique de ces zones, favoriser l’innovation et améliorer les transports ou la résilience face aux changements climatiques.
Cette vision européenne tend à déployer une stratégie transversale pour réussir à valoriser les zones rurales, notamment en matière de culture, d’activité agricole, d’agroalimentaire et d’agrotourisme. La diversification économique serait privilégiée, en s’appuyant sur le développement de circuits courts et sur la mise en avant de la qualité des produits locaux.
Au-delà de ces bonnes intentions, il est regrettable de constater que, depuis la mise en place de l’agenda européen urbain en 2015, rien n’a été fait pour insuffler une dynamique identique pour les territoires ruraux européens, qui représentent 30 % de la population européenne. Que de temps perdu !
Les zones rurales subissent des fractures territoriales qui sont autant de handicaps au développement. La liste est longue : déserts médicaux, zones blanches sans connexion aux réseaux téléphoniques ou numériques ou encore accès dégradé aux services publics, dont la responsabilité repose de plus en plus sur les collectivités territoriales. Ces dernières pallient les carences, en déployant des maisons de service public, des agences postales communales ou encore des maisons de santé pluridisciplinaires, autant de facteurs aggravant l’enclavement.
Cela dit, je ne reviendrai pas sur les marqueurs des difficultés du monde rural. Je dirai simplement que, en zone rurale, on paie pour ce qui, en ville, est gratuit.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Christian Bilhac. En 2014, notre ancien collègue Alain Bertrand, sénateur du groupe du RDSE, avait proposé, dans un rapport au Premier ministre, un pacte national sur l’hyper-ruralité, afin de restaurer le principe d’égalité des territoires. Il évoquait le « déménagement », plutôt que l’« aménagement » tant attendu, des territoires ruraux.
Nombre de ses recommandations sont transposables à l’échelon européen, telles que l’obligation de traiter l’hyper-ruralité dans les lois ou encore la création d’un « guichet unique hyper-ruralité ». Notre ancien collègue invitait également à engager une troisième phase de la décentralisation, avec la « règle de “démétropolisation” », mais également à pérenniser les entreprises performantes et innovantes, ou encore à « moderniser la péréquation et [à] stimuler de nouvelles alliances contractuelles » entre les territoires.
Aujourd’hui, avec la crise sanitaire et les périodes de confinement, les territoires ruraux ont retrouvé une forte attractivité pour les populations urbaines, représentant des ressources en matière de création de richesse et d’emplois.
Nombre d’Européens ont entamé un retour au vert, motivés par une meilleure qualité de vie et un besoin d’air pur, grâce au développement du télétravail. L’importance de ces territoires a également ressurgi parce qu’ils garantissent une résilience alimentaire, revenant à leur fonction première de foncier nourricier, une fonction longtemps oubliée.
L’interdépendance entre territoires urbains et territoires ruraux a, de ce fait, été démontrée. Il est désormais non plus question de concurrence, mais de complémentarité. Que seraient les métropoles sans les territoires ruraux de leur périphérie ? Il est de notre responsabilité d’en tirer les conséquences, y compris à l’échelle européenne, en réorientant les fonds structurels et la politique agricole commune en ce sens.
Notre siècle a désormais 20 ans, et il convient, sans plus tarder, de fixer un cap et de prévoir les financements nécessaires pour que vive la ruralité du XXIe siècle. Dans l’Union européenne, pas plus qu’en France, il ne peut exister ni sous-territoire ni sous-citoyen.
N’attendons pas 2040 pour agir. La présidence française de l’Union européenne, à compter du 1er janvier 2022, représente une occasion pour accélérer cette prise de conscience et obtenir une transposition, en faveur des zones rurales, du plan européen pour les zones urbaines.
Puisque nous parlons d’Europe, cela m’évoque la transposition, à laquelle nous sommes habitués, des directives européennes en droit français. Or je plaide, en ce qui me concerne, pour la transposition des lois et règlements, souvent d’essence urbaine, à la ruralité, afin que leur application ne soit pas un frein au développement de ces territoires.
Le groupe du RDSE attend des engagements fermes du Gouvernement en ce sens, par exemple dans le plan de relance européen. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP. – M. Patrice Joly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce matin vise à renforcer le fil ténu liant l’Europe aux ruralités, en appelant à la pleine intégration de ces espaces au sein des politiques publiques européennes, afin de favoriser l’image d’une institution plus concrète et plus citoyenne.
L’Union européenne traverse une période difficile dans l’affirmation de sa puissance politique sur l’échiquier international.
Dans l’opinion publique, sa crédibilité se trouverait renforcée par une nouvelle ambition de sa politique territoriale. Un signe de l’existence d’un modèle de développement durable européen doit être l’attention portée aux territoires, en contribuant aux réciprocités entre métropoles et espaces ruraux, ou bien encore en valorisant les aménités offertes par un cadre de vie rural. À l’évidence, la transition écologique ne se fera pas sans l’implication des territoires.
La commissaire européenne chargée de la politique régionale et de la cohésion écrivait, en 1996 : « Face à l’ampleur des disparités régionales, elle est un instrument incontournable pour aider les régions les moins prospères à s’adapter au marché unique. Les régions d’Europe et leurs citoyens ne sont pas à égalité de chances aux niveaux économique et social.
« Dans les régions défavorisées, des interventions publiques doivent donc accompagner les investissements privés pour stimuler l’activité économique. Cet effort incombe avant tout aux États membres, à travers leurs propres aides régionales. Toutefois, l’ampleur des problèmes amène la Communauté à participer aux efforts de solidarité pour que l’ensemble des régions et des citoyens puissent tirer parti pleinement du marché intérieur et de l’Union économique et monétaire. Tel est l’objet de la politique régionale. »
C’était en 1996 ; tout était donc déjà diagnostiqué voilà vingt-cinq ans !
De cette lutte contre les discriminations territoriales, dépend la compétitivité de l’espace européen. Nous avons conscience des difficultés à harmoniser une telle priorité ; les vingt-sept États membres ont une approche très diverse des ruralités. Beaucoup d’entre eux continuent à les assimiler à une seule préoccupation : l’agriculture. Or, si celle-ci demeure la toile de fond économique de nos territoires, elle ne saurait la représenter dans son exhaustivité.
Le risque est grand de voir les ruralités se déliter si les leçons de la crise sanitaire ne sont pas appréhendées à travers le prisme de l’équilibre ville-campagne. Les politiques publiques de développement des territoires impliquent aujourd’hui une combinaison harmonieuse des stratégies locales et nationales, avec les fonds de relance post-covid-19 de l’Union européenne.
Le monde rural a, aujourd’hui beaucoup plus qu’hier, conscience de lui-même ; sa volonté de vivre et de tenir un rôle central dans la cohésion nationale s’est fortifiée. Le covid-19 et les confinements ont convaincu de nombreux urbains qu’une autre vie était possible.
Dans quelle mesure cette réalité redessinera-t-elle certains équilibres de la carte de France ? Le temps est-il venu du « réenchantement du territoire », pour reprendre l’expression de Jean Viard ? Créer les conditions de cette attractivité est bien au cœur du texte qui nous est aujourd’hui proposé.
Dans ce travail d’une plus grande reconnaissance des ruralités, l’Union européenne tient un rôle clef, par exemple au travers des fonds de liaison entre actions de développement de l’économie rurale (Leader) et des groupes d’action locale (GAL). Elle doit en être une inspiratrice et un financeur, dans le respect du principe de subsidiarité, laissant à chaque État membre, à chaque autorité de gestion locale, la liberté de décision et d’action, essentielle à la réussite de cette politique de développement.
Ces associations, mêlant stratégie globale et mise en œuvre locale, doivent être clairement explicitées et contractuellement assurées. Elles seront également chargées de lancer et de faire vivre une démarche participative et des actions collectives, intégrant les citoyens aux projets de territoire.
Faute d’avoir atteint une taille critique, les territoires ruraux, pourtant pôles d’innovation, voire d’excellence, dans des domaines aussi divers que les sciences du vivant, l’énergie verte ou les technologies appliquées, demeurent trop souvent éloignés des instituts de recherche et ignorés du plus grand nombre. Encore largement inspirées d’approches urbaines, les typologies et représentations statistiques et cartographiques des territoires ruraux ne facilitent pas toujours la compréhension des nouveaux enjeux auxquels ils sont confrontés.
En France, les contrats de relance et de transition écologique comme les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain marquent une rupture avec la logique unilatérale dite « du ruissellement » des métropoles sur leurs territoires périphériques.
La philosophie des contrats de réciprocité, institués par le comité interministériel aux ruralités de 2015, doit pouvoir être déclinée à l’échelle de l’Union et répondre aux défis des transitions environnementale et énergétique – sécurité alimentaire, préservation de surfaces agricoles et des milieux naturels, développement de la bioénergie ou encore gestion de déchets –, et des mutations économiques – mobilité, aménagement durable du territoire, politique d’accueil, télétravail, qualité et accès aux services sanitaires et éducatifs, ainsi qu’aux équipements sportifs et culturels ou encore préservation et valorisation du patrimoine et des sites touristiques.
La France rurale continuera de vivre, mais elle se privera de l’exploitation optimale de ses atouts si l’Union européenne n’est pas au rendez-vous de cette France hors les murs, de cette France de la périphérie, qui s’est notamment manifestée lors du mouvement des « gilets jaunes ». Le développement de la vie rurale est l’affaire de l’État et de l’Europe. Si celle-ci veut tenir son rang dans le rapport de force mondial du XXIe siècle, elle doit consolider ses territoires.
Nous disons « agenda » par respect pour la terminologie communautaire et par analogie avec l’agenda urbain, mais, en réalité, nous pensons tous à un programme d’actions concrètes. Je formule le souhait que cette proposition de résolution nous rassemble et contribue à de très prochaines décisions, génératrices de renouveau pour nos campagnes et leurs villes, petites et moyennes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars.
M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la mise en place d’un agenda rural européen est une initiative qui vise à encourager une vision à long terme pour les territoires ruraux, à la suite d’une résolution du Parlement européen de 2018.
Sur ce sujet, il n’y a pas de divergence partisane : l’importance de la ruralité est un enjeu partagé. Les défis sont identifiés jusque dans l’urgence à agir : mobilités, zones blanches numériques, téléphoniques ou encore médicales, reconquête des centres-villes, accueil d’actifs, accès aux services, entre autres.
La ruralité n’est plus une politique sectorielle : elle concerne désormais l’ensemble des politiques publiques, en partant de la spécificité des territoires concernés. Il faut encourager la mise en place d’un agenda rural européen, qui profitera à la population et aux territoires par des politiques d’aménagement complémentaires, pour tenir compte de la spécificité des espaces ruraux.
Cependant, pour que cet agenda soit efficace, la ruralité ne doit pas être régie par des approches dogmatiques. Elle doit être guidée par le pragmatisme. Les politiques publiques en faveur de la ruralité devraient systématiquement être fondées sur la prise en compte des spécificités de ces territoires, afin d’atteindre leurs objectifs ambitieux.
Pour que l’agenda rural soit efficace, il est aussi nécessaire d’éviter l’éparpillement des mesures. Je pense, par exemple, aux mesures technologiques, qui occupent une place importante dans le développement de la ruralité, comme le dossier de la 5G.
Toutefois, pour bien connaître cette problématique en Aveyron et dans le Massif central, je tiens à rappeler qu’il existe des priorités, certes moins médiatiques, mais tout aussi importantes, comme l’entretien des lignes téléphoniques cuivre et la garantie du service public universel pour tous, qui ne sont toujours pas réalisées.
Afficher des ambitions en matière numérique pour les territoires ruraux est tout à fait positif, mais il ne faut pas oublier les besoins concrets et immédiats de la population.
Pour que l’agenda rural soit efficace, il faut de la clarté dans les annonces et dans la mise en œuvre des politiques publiques multiniveaux. Il me semble, par exemple, que le taux de 60 % de mesures achevées annoncé par le Gouvernement est très discutable, du moins au regard de mes échanges avec les élus locaux et les habitants du Massif central.
Au contraire, l’action en faveur des territoires ruraux doit être durable et planifiée. Certains axes sont à privilégier pour les effets directs qu’ils produisent. J’en retiendrai trois principaux, qui recoupent assez largement les préconisations du rapport de la mission Agenda rural.
Ces objectifs sont imbriqués et permettent l’attractivité des territoires ruraux. Il est nécessaire d’agir en faveur des lieux de vie et de services en revitalisant la vie locale par les petits commerces, ainsi que les services publics, en développant l’accès aux soins pour résorber les déserts médicaux et en développant une agriculture diverse, compétitive et à taille humaine.
Ces objectifs permettent aux territoires ruraux d’être moins dépendants des territoires urbains. Pour cela, il est aussi nécessaire d’agir en faveur de l’économie, par exemple en facilitant la formation et l’emploi, notamment par la réindustrialisation, comme cela a déjà été souligné, car les territoires ruraux disposent de nombreux atouts.
Il est enfin nécessaire d’agir spécifiquement en faveur de la population, en particulier de la jeunesse, en agissant sur le logement, en favorisant les moyens des établissements scolaires et en soutenant les jeunes ruraux sur les questions de mobilité ou du numérique, pour que la ruralité ne soit plus une contrainte sur ces sujets.
Enfin, le pragmatisme et la simplification doivent guider l’agenda rural européen et sa mise en œuvre. L’expérience du programme européen de liaison entre actions de développement de l’économie rurale (Leader), outil historique du développement rural européen, doit nous éclairer sur les conditions de mise en œuvre rapide et de la simplification administrative.
L’action publique doit être menée à partir de l’échelle locale, pour permettre à des initiatives d’aboutir rapidement. Il est nécessaire de limiter les critères et les conditions qui entravent la réussite des programmes et des plans.
Cette échelle locale est d’autant plus essentielle que la ruralité est très diversifiée en France, et plus encore à l’échelle européenne. En effet, d’après l’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques, 88 % des communes françaises sont rurales et 137 millions d’Européens vivent dans des zones rurales.
Les politiques doivent tenir compte de cette réalité. Partir du local permet de mieux prendre en compte la variété des besoins des territoires ruraux, qui ont aussi des urgences différentes selon leurs spécificités. C’est en tenant compte de tous ces paramètres que l’agenda rural européen pourra être un succès.
En saluant cette initiative, notre groupe votera cette résolution, car nous sommes, vous le savez tous, partisans d’une ruralité heureuse en France et en Europe. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER.)