Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Pour ma part, je suis favorable à cet amendement. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.) Je vais expliquer pourquoi.
D’abord, comme on l’a évoqué à plusieurs reprises, toutes les dispositions ne sont pas prévues dans l’ANI. Il faut donc examiner avec soin celles qui n’y figurent pas et que l’on souhaite introduire dans le texte, comme c’est en l’espèce le cas.
Dans le même temps, j’entends bien la réflexion que vous avez menée afin de trouver une solution. Je crois qu’il en existe une – même si elle est lourde, vous avez raison, madame le rapporteur.
L’administration dispose du levier de l’agrément : elle pourra désormais en définir la durée ou y mettre fin en fonction des résultats de la procédure de certification du service. C’est une nouveauté. Cela facilitera le retrait provisoire de l’agrément et permettra d’avoir une approche plus pédagogique, puisqu’il sera nécessaire d’aligner la certification du service sur ce qui sera proposé.
Une administration provisoire pose tout de même quelques questions techniques. J’ai beaucoup réfléchi à cette question, car il me semble intéressant de chercher des solutions aux difficultés qui se présentent. Pour être honnête, je doute qu’il soit juridiquement possible de mettre sous administration provisoire une structure associative de droit privé qui relève de la loi de 1901. Je ne vois pas sur quel fondement juridique s’appuyer : je vous le dis franchement, je pense que cela ne passera pas ! On est au-delà de la fragilité juridique…
J’apporte donc un soutien extrêmement pragmatique, je le redis, à l’amendement n° 192, et ce pour deux raisons. D’une part, avec la certification de service, le risque de retrait de l’agrément sera plus facile à gérer qu’aujourd’hui, d’autre part, la disposition relative à l’administration provisoire d’une société, association de droit privé relevant de la loi de 1901, ne me paraît pas tenable juridiquement.
Mme la présidente. L’amendement n° 75 rectifié ter, présenté par MM. Mouiller et Favreau, Mme Deromedi, MM. D. Laurent, Bonhomme, Chatillon, Daubresse, Cambon et B. Fournier, Mme Demas, MM. Savin et Savary, Mme Canayer, M. Lefèvre, Mme Belrhiti, M. Bouloux, Mme Bonfanti-Dossat, M. Genet, Mmes Dumont, Garriaud-Maylam, L. Darcos, Imbert et Di Folco, M. Rapin, Mme Malet, MM. Brisson et Milon, Mme M. Mercier et M. Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 16
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 4622-9-…. – Les services de prévention et de santé au travail peuvent comprendre un service de chargés de mission prévention de la désinsertion professionnelle et de maintien dans l’emploi qui prennent en charge les situations désignées par la cellule maintien en emploi des services de prévention et de santé au travail en collaboration avec le médecin du travail. »
La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Les inaptitudes sont l’un des événements les plus générateurs de désinsertion professionnelle et sociale. Avec les restrictions d’aptitude, elles concernent tous types de public, dont un grand nombre ne sont pas reconnus comme travailleurs handicapés. Cela va dans le sens de l’inclusion.
La prise en charge de ce type de dossier est chronophage : ces situations demandent un suivi important qui ne peut être réalisé par le médecin du travail, par manque de temps, de connaissance des acteurs et des dispositifs qui évoluent constamment.
En fonction des besoins, les chargés de mission de la prévention de la désinsertion professionnelle et du maintien en emploi pourront prendre ces dossiers en charge et, à ce titre, faire partie de l’équipe médicale. Dans ce cadre, ils devraient être pris en compte dans l’offre socle, tout comme les infirmiers ou les assistantes sociales.
La prise en compte de ces situations et leur traitement par les chargés de mission permettent de limiter les licenciements grâce à la mise en œuvre d’aménagements, d’organisations spécifiques ou d’orientations précoces, de généraliser, dans le cadre de la prévention primaire, les solutions trouvées, d’éviter, pour l’entreprise ou pour la collectivité, de futurs surcoûts liés au licenciement, enfin, de favoriser le développement d’une culture de prévention par la mise en place de nouveaux outils.
Sur le territoire, plusieurs services de prévention et de santé au travail ont fait la démonstration de l’efficacité de la présence de chargés de mission pour maintenir en interne des personnes en activité.
Cela se vérifie notamment pour les services ayant une forte pénurie de médecins du travail.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Nous partageons l’objectif de prévention de la désinsertion professionnelle, et comprenons bien l’intention de M. Mouiller.
Toutefois, rien n’empêche aujourd’hui les services de prévention et de santé au travail de créer des équipes de chargés de mission, qui sont d’ailleurs efficaces. Inscrire cette possibilité dans la loi ne permet pas d’améliorer le droit existant.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, qui semble satisfait ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Sur cet amendement, j’ai la même divergence d’interprétation avec les rapporteurs que sur l’amendement précédent.
Autant les services au travail peuvent aujourd’hui recruter des intervenants, autant il n’est pas du tout explicité qu’ils peuvent s’appuyer sur des intervenants extérieurs occasionnels.
Monsieur le sénateur, vous revenez sur le même sujet. Vous ne serez donc pas surpris que le Gouvernement émette également un avis favorable sur cet amendement. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Médevielle, Guerriau et A. Marc, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Menonville, Wattebled, Decool, Capus, Malhuret, Verzelen, Milon, Klinger, Chatillon et Détraigne, Mme de La Provôté, M. Longeot, Mme Garriaud-Maylam, M. Nougein, Mme N. Delattre et MM. Laménie et Canévet, est ainsi libellé :
Alinéa 18
Après le mot :
compétents
insérer les mots :
et, le cas échéant, l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics
La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. L’accord national interprofessionnel sur la santé au travail, signé le 9 décembre 2020 par les partenaires sociaux, considère que la branche professionnelle est un cadre privilégié pour formaliser les grandes priorités dans le domaine de la prévention des risques professionnels.
Cet accord précise, par ailleurs, que les services de santé au travail de branche, qui participent activement à la prévention des risques professionnels dans les secteurs concernés, doivent conserver leurs spécificités. Dans ces conditions, les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens des services de branche intègrent les priorités par branche professionnelle.
En complément, dans un secteur spécifique comme le BTP, doté de différentes structures « santé prévention », il est nécessaire pour la bonne articulation entre les acteurs que le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) soit également conclu avec l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), dont l’existence, l’organisation et le déploiement des missions actuelles sont réaffirmés par l’accord national interprofessionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Cet amendement prévoit de transformer dans le secteur du BTP le CPOM, qui encadre l’activité des SPSTI, en une convention quadripartite incluant la signature de l’organisme professionnel de prévention du BTP, l’OPPBTP.
Si l’OPPBTP peut légitimement avoir un droit de regard sur le cadre de l’action des services actifs dans le secteur du bâtiment, le dispositif proposé est source de complexification. De fait, cette pratique, prévue par une convention en date de 2011, a été abandonnée du fait de sa lourdeur.
Pour répondre aux mêmes besoins, le texte de la commission prévoit un avis de l’OPPBTP sur les CPOM concernant le secteur du BTP, ce qui semble une solution plus opérationnelle.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 8, modifié.
(L’article 8 est adopté.)
Article 8 bis (nouveau)
L’article L. 4622-4 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour assurer l’ensemble de leurs missions ces services peuvent par convention recourir aux compétences des services de prévention et de santé au travail prévus aux articles L. 4622-7 et suivants. »
Mme la présidente. L’amendement n° 227, présenté par Mme Gruny et M. Artano, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
prévus aux articles L. 4622-7 et suivants
par les mots :
mentionnés à l’article L. 4622-7
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 8 bis, modifié.
(L’article 8 bis est adopté.)
Article 9
I. – L’article L. 4622-6 du code du travail est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Au sein des services communs à plusieurs établissements ou à plusieurs entreprises constituant une unité économique et sociale, ces frais sont répartis proportionnellement au nombre des salariés comptant chacun pour une unité.
« Au sein des services de prévention et de santé au travail interentreprises, les services obligatoires prévus à l’article L. 4622-9-1 font l’objet d’une cotisation proportionnelle au nombre de travailleurs suivis comptant chacun pour une unité. Les services complémentaires proposés et l’offre spécifique de services prévue à l’article L. 4621-3 font l’objet d’une facturation sur la base d’une grille tarifaire. Le montant des cotisations et la grille tarifaire sont approuvés par l’assemblée générale.
« Un décret détermine les conditions dans lesquelles le montant des cotisations ne doit pas s’écarter au-delà d’un pourcentage, fixé par décret, du coût moyen national de l’ensemble socle de services mentionné à l’article L. 4622-9-1. » ;
2° Au dernier alinéa, les références : « au deuxième alinéa » est remplacée par la référence : « aux deuxième et troisième alinéas du présent article » ;
3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation aux deuxième et troisième alinéas du présent article, les dépenses du service de santé au travail des employeurs mentionnés à l’article L. 717-1 du code rural et de la pêche maritime sont couvertes selon les modalités prévues aux articles L. 717-2, L. 717-2-1 et L. 717-3-1 du même code. »
II. – Après le quatrième alinéa de l’article L. 717-2-1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – le cas échéant, la grille tarifaire applicable à l’offre de services complémentaires mentionnée à L. 717-3-1. » – (Adopté.)
Article 10
La section 2 du chapitre II du titre II du livre VI de la quatrième partie du code du travail est ainsi modifiée :
1° (nouveau) L’article L. 4622-16 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il rend compte de ces actions dans un rapport annuel d’activité qui comprend des données relatives à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. » ;
2° Il est ajouté un article L. 4622-16-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4622-16-1. – Le service de prévention et de santé au travail interentreprises communique à ses adhérents ainsi qu’au comité régional de prévention et de santé au travail et rend publics son offre de services relevant de l’ensemble socle mentionné à l’article L. 4622-9-1, son offre de services complémentaires, le montant des cotisations, la grille tarifaire et leur évolution, ainsi que l’ensemble des documents dont la liste est fixée par décret.
« Les conditions de transmission et de publicité de ces documents sont précisées par décret. » – (Adopté.)
Article 11
I. – La section 3 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est ainsi modifiée :
1° L’article L. 1111-17 est complété par un IV ainsi rédigé :
« IV. – Les professionnels de santé chargés du suivi de l’état de santé d’une personne en application du premier alinéa de l’article L. 4624-1 du code du travail peuvent accéder à son dossier médical partagé et l’alimenter, sous réserve de son consentement exprès et de son information préalable quant aux possibilités de restreindre l’accès à tout ou partie du contenu de son dossier.
« L’accès au dossier médical partagé ne peut être accordé oralement par son titulaire à l’un des professionnels de santé mentionnés au même premier alinéa. La demande d’accès du professionnel de santé est effectuée de façon dématérialisée conformément à une procédure définie par voie réglementaire qui permet, par l’intermédiaire de l’application ou du site internet de consultation du dossier médical partagé, d’alerter son titulaire du dépôt de cette demande et de l’informer quant aux possibilités de ne pas y répondre, ou de refuser ou de restreindre l’accès au contenu de son dossier.
« Les informations consultées dans le dossier médical partagé par le professionnel de santé sont confidentielles et ne peuvent pas être communiquées à l’employeur de la personne ou à un employeur auprès duquel la personne sollicite un emploi. » ;
2° Le quatrième alinéa de l’article L. 1111-18 est supprimé ;
3° (nouveau) Au second alinéa de l’article L. 1111-21, les deux occurrences des références : « I et II » sont remplacées par les références : « I, II et IV ».
II. – Le chapitre IV du titre II du livre VI de la quatrième partie du code du travail est ainsi modifié :
1° À la troisième phrase du II de l’article L. 4624-7, après le mot : « travail », sont insérés les mots : « , à l’exception des données recueillies dans le dossier médical partagé en application du IV de l’article L. 1111-17 du code de la santé publique, » ;
2° Après l’article L. 4624-8, il est inséré un article L. 4624-8-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4624-8-1. – Le travailleur peut s’opposer à l’accès des professionnels chargés du suivi de son état de santé en application de l’article L. 4624-1 du présent code à son dossier médical partagé mentionné à l’article L. 1111-14 du code de la santé publique. Ce refus ne constitue pas une faute et ne peut servir de fondement à l’avis d’inaptitude mentionné à l’article L. 4624-4 du présent code. Il n’est pas porté la connaissance de l’employeur. »
III. – Au premier alinéa du 2° du I de l’article 51 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « quatrième ».
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 58 est présenté par Mmes Poncet Monge et Taillé-Polian, M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco et MM. Parigi et Salmon.
L’amendement n° 109 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 150 est présenté par Mme Poumirol, MM. Jomier et Kanner, Mmes Le Houerou, Lubin, Meunier, Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Jasmin et Rossignol, MM. Tissot, Bourgi et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 58.
Mme Raymonde Poncet Monge. L’article 11 permet aux professionnels de santé des services de prévention et de santé au travail d’accéder au dossier médical partagé (DMP).
Cet accès irait bien au-delà de la pratique, déjà possible, permettant au médecin du travail, après accord du salarié, d’entrer en contact avec le médecin traitant de celui-ci, sans pour autant accéder à l’ensemble des données de santé. Il s’agit d’une pratique très courante, qui suffit pour permettre au médecin du travail d’accomplir sa mission.
L’accès au dossier médical partagé est interdit et les raisons ayant conduit à cette interdiction sont celles-là mêmes qui nous amènent, aujourd’hui encore, à proposer la suppression de cet article, malgré les modifications introduites par la commission.
Une telle faculté présenterait un risque pour l’intégrité des données personnelles de santé des salariés, dont le consentement ne saurait être totalement libre dans le cadre de la relation de subordination qu’est la relation de travail. Elle présenterait également un risque de jugement des habitudes de vie des travailleurs, de discrimination, voire de sélection de la main-d’œuvre, ce qui est totalement éloigné de la logique de prévention, laquelle consiste à adapter le travail et les conditions de travail au travailleur, au cours de son parcours professionnel, et non l’inverse.
Si la médecine du travail doit avoir les moyens de juger des risques d’altération de la santé du salarié en lien avec son travail, notamment via un suivi régulier du salarié et de ses conditions concrètes de travail, l’accès à l’ensemble du dossier médical serait disproportionné au regard de la spécificité des missions dévolues.
En revanche, la possibilité pour le service de prévention et de santé au travail de verser au dossier médical partagé l’étude des expositions du salarié aux risques de l’environnement professionnel peut être utile au médecin traitant, sous réserve de l’accord du salarié.
C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’accès du service de prévention et de santé au travail au dossier médical partagé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 109.
Mme Laurence Cohen. L’article 11 donne aux médecins et infirmiers du travail un accès au dossier médical partagé, après accord du salarié.
D’une part, cette disposition entretient une confusion entre santé publique et santé au travail. D’autre part, cette mesure permettrait à la médecine du travail d’avoir accès aux données de santé sensibles contenues dans le dossier médical partagé des salariés, ce qui pose la question de la confidentialité de ces données.
Si la santé publique doit s’intéresser à la santé au travail, la réciproque ne me semble pas opportune. Il est nécessaire que le médecin traitant ait accès aux données du médecin du travail, notamment pour évaluer et étudier les causes professionnelles de certaines pathologies ; en ce sens, les choses sont clairement établies. En revanche, nous ne partageons pas l’idée selon laquelle le médecin du travail doit avoir accès aux données de santé contenues dans le DMP.
Nous nourrissons des inquiétudes notamment pour les informations confidentielles des personnes en affection longue durée. Je pense particulièrement à la séropositivité et à la transition des personnes transgenres ; nous craignons que ces personnes ne fassent ensuite l’objet de discriminations.
Cette disposition étant, selon nous, source de danger, nous proposons de la supprimer.
Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour présenter l’amendement n° 150.
Mme Émilienne Poumirol. Si donner un accès en écriture au dossier médical partagé au médecin du travail, afin de pouvoir y verser des éléments relatifs aux risques propres au salarié, présente un intérêt indéniable, l’inverse n’est pas vrai : les données personnelles de santé des salariés ne doivent pas être visibles par le médecin du travail.
En effet, permettre au médecin du travail d’accéder à ces données, même avec l’accord du patient, risque d’être préjudiciable au salarié, en particulier lors des visites d’embauche et de reprise du travail, lorsqu’une adaptation de l’emploi est nécessaire. L’accès aux données médicales constitue une atteinte aux droits fondamentaux des personnes, de nature à discriminer les salariés ayant une pathologie connue dans leur recherche d’emploi ou dans leur travail.
En outre, comme l’explique le sociologue Pascal Marichalar, cela pourrait conduire des médecins du travail voulant travailler « en paix » à avoir intérêt à s’en tenir à une délimitation consensuelle de l’activité, qui correspondrait aux attentes des employeurs.
Le médecin du travail est aussi conduit à se désintéresser des maladies professionnelles, comme ce fut le cas pour l’amiante, et à focaliser son attention sur les aptitudes propres du salarié à remplir les missions qui lui sont dévolues, et non l’inverse.
Nous insistons donc sur la nécessité que le médecin du travail dispose simplement d’un accès spécifique et cloisonné au DMP, lui permettant de consigner les comptes rendus de visite, l’exposition à d’éventuels risques, les aménagements des situations de travail et les contre-indications médicales, mais rien de plus et surtout sans droits de lecture.
Il convient de prémunir les salariés contre ce risque et de supprimer cette disposition.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Le décloisonnement entre la médecine du travail et la médecine de ville suppose un partage réciproque d’informations dans l’intérêt du travailleur, avec, bien entendu, le consentement de ce dernier et dans le respect de la plus stricte confidentialité des données. Les modifications apportées par la commission des affaires sociales visent précisément à renforcer cet encadrement, afin de préserver la confiance et la relation entre le médecin du travail et le travailleur ; elles devraient répondre aux inquiétudes des auteurs de ces amendements de suppression.
J’ai toujours un peu de mal avec cette question, parce que les médecins, qu’ils soient médecins du travail ou médecins de ville, agissent dans un cadre totalement confidentiel ; ils sont avant tout médecins. Vous soulignez que le médecin traitant doit pouvoir savoir ce qu’il se passe dans l’entreprise ; or je sais d’expérience que le médecin du travail a souvent besoin de connaître également l’état de santé du salarié, afin justement de permettre à celui-ci de conserver son poste.
Nous examinons un texte sur la prévention et le maintien dans l’emploi ; je ne comprends pas ces amendements. La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Mme le rapporteur a raison de rappeler que les médecins du travail et les médecins généralistes ont la même formation : ils sont médecins ; d’ailleurs, les médecins du travail ont une spécialité supplémentaire. Tous sont donc soumis à une totale obligation de confidentialité.
Toutefois, je peux concevoir les réserves qui sont émises – elles l’ont aussi été à l’Assemblée nationale. Je ne trouve pas du tout illégitimes les questions qui sont soulevées et il me semble utile que l’on en débatte.
Le travail accompli par l’Assemblée nationale autour de ces questions vise à garantir que cet accès ne puisse se faire sans un consentement éclairé du salarié qu’il renouvelle à chaque consultation : il ne saurait s’agir d’un consentement que l’on donnerait pour cinq ou dix ans. Au travers de cette démarche, on entend garantir la parfaite information du salarié.
Le risque que vous pointez a trait au lien entre un médecin qui peut prononcer une inaptitude professionnelle et le médecin traitant. Or Mme le rapporteur a bien répondu à cette question : d’une part, si le salarié ne souhaite pas donner d’informations ni consentir à l’accès au DMP, il ne le fait pas, donc rien de nouveau par rapport à aujourd’hui ; d’autre part, s’il souhaite donner des informations pour bénéficier d’un aménagement de poste – nous avons évoqué tout ce qui, dans cette proposition de loi, vise à prévenir la désinsertion professionnelle –, les éléments fournis seront utiles au médecin du travail.
Cela dit, j’y insiste, cela ne sera possible que si le salarié l’accepte ; s’il ne le souhaite pas, cela ne se fera pas.
Je le répète : ces questions, qui ne sont pas du tout illégitimes, ont été soulevées à l’Assemblée nationale et la rédaction de l’article 11 en tient compte. C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.
Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le secrétaire d’État, les médecins généralistes ont, comme les médecins du travail, quatre ans de spécialisation ! (M. le secrétaire d’État acquiesce.)
Par ailleurs, que l’on soit médecin généraliste ou médecin du travail, on est tenu par le secret professionnel, c’est indéniable. Il n’empêche ; le diable se cache dans les détails. Aujourd’hui, comme de tout temps, les médecins du travail et les médecins généralistes se téléphonent et discutent de la situation du patient, mais le DMP est un document écrit, qui peut être transmis et qui comporte des traces de ce qui est constaté. Or échanger par téléphone, ce n’est pas la même chose que communiquer des informations par écrit.
Ainsi, permettre au médecin du travail d’accéder au dossier médical partagé pourrait conduire ce praticien à porter une attention particulière sur tel ou tel salarié qui a des problèmes de santé pouvant nuire à son activité et à procéder à une déclaration d’inaptitude.
Je reste donc très méfiante, car un échange téléphonique, par définition oral, est très différent du DMP, qui reste un document écrit. Je persiste à penser qu’il faut supprimer cet article.