M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco.
Mme Catherine Di Folco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce jour le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, adopté le 2 juin dernier à l’Assemblée nationale.
Ce texte traite de la protection des Français face à la menace terroriste, du maintien de la compétitivité de nos services de renseignement au niveau international, du renforcement du contrôle parlementaire sur les services de renseignement et de l’accès aux documents d’archives classés secret-défense, afin notamment de favoriser le travail de recherche des archivistes et historiens.
Je n’aborderai pas tous ces thèmes, laissant à ma collègue Chantal Deseyne le soin de s’exprimer sur le volet relatif au renseignement, en sa qualité de membre de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Je souhaite, pour ma part, mettre l’accent sur plusieurs dispositions introduites par les deux rapporteurs de la commission des lois, qui sont experts en la matière, Agnès Canayer, membre de la délégation parlementaire au renseignement, et Marc-Philippe Daubresse, qui assure depuis trois ans le suivi et l’évaluation de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
Il s’agit donc du quatorzième texte en lien avec la sécurité et le terrorisme que le Parlement examine depuis les attentats qui ont sauvagement meurtri notre pays, en 2015 et en 2016. L’état d’urgence, instauré sur l’ensemble du territoire pour faire face à la menace terroriste élevée, a été prorogé à deux reprises.
Afin d’en sortir, car, par définition, ce n’est pas un régime permanent, la loi visant à renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ou loi SILT, est entrée en vigueur en novembre 2017. Elle a permis l’expérimentation de quatre mesures exceptionnelles de police administrative dans le droit commun, afin de mieux prévenir les actes de terrorisme : les périmètres de protection, la fermeture de lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, ou Micas, les visites domiciliaires et les saisies.
Ces mesures ont-elles montré leur efficacité ? Sans aucun doute. De plus, il est établi qu’elles ont fait l’objet d’une mise en œuvre raisonnée et proportionnée.
Ainsi, entre le 1er novembre 2017 et le 30 avril 2021, quelque 612 périmètres de protection ont été établis, 8 lieux de culte ont fait l’objet d’une fermeture administrative, 444 Micas ont été prononcées, 462 visites domiciliaires ont été réalisées, donnant lieu à 244 saisies. Enfin, 57 visites domiciliaires ont fait l’objet de poursuites judiciaires, dont 30 pour des faits de terrorisme.
Ces dispositions ont été prorogées en décembre 2020 pour sept mois, alors que la commission des lois du Sénat avait, à l’époque, proposé de les pérenniser, comme M. le rapporteur l’a rappelé.
Aussi, nous ne pouvons que souscrire à l’article 1er, tout en regrettant amèrement que, une fois de plus, le Gouvernement et les députés n’aient pas accordé de crédit au travail du Sénat, retardant ainsi inutilement ces mesures tout à fait justifiées.
Tout au long de l’examen du texte issu de l’Assemblée nationale, les rapporteurs ont veillé à assurer un équilibre entre les mesures de sécurité et le respect de l’État de droit et des libertés constitutionnelles. Ils ont également pris en compte les multiples réserves du Conseil constitutionnel sur plusieurs volets. C’est notamment le cas de la loi du 10 août 2020 instaurant un régime de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, qui a été largement censurée.
Or nous savons que 162 personnes condamnées pour actes de terrorisme devraient sortir de prison dans les quatre prochaines années. Il est donc nécessaire que puissent leur être imposées des mesures de surveillance et d’accompagnement à la réinsertion. En effet, comme le soulignait notre collègue Muriel Jourda, dans son rapport sur la proposition de loi de François-Noël Buffet renforçant le suivi des condamnés terroristes sortant de détention, les outils juridiques actuels ne sont pas satisfaisants.
Ainsi, les rapporteurs ont introduit, à l’article 5, cette proposition de loi que nous avons votée en mai dernier et qui crée une mesure judiciaire de suivi et de surveillance. Celle-ci semble constituer une voie juridiquement plus adaptée que la proposition initiale du Gouvernement.
En effet, cette mesure est prononcée par un juge, à l’issue d’une procédure contradictoire ; elle offre des possibilités de surveillance plus longues et plus contraignantes et permet d’associer aux obligations de surveillance des mesures sociales visant à favoriser la réinsertion de la personne.
Elle reprend le principe du dispositif adopté par le Parlement en juillet 2020, tout en y apportant les aménagements nécessaires pour répondre aux objections du Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, bien qu’ils approuvent différents ajustements du régime des Micas, les rapporteurs n’ont pas accepté l’allongement de leur durée à deux ans pour les personnes condamnées pour terrorisme sortant de détention.
Ils estiment en effet que le risque constitutionnel est fort, se référant ainsi à la décision du 29 mars 2018, dans laquelle le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, une QPC, a considéré que « compte tenu de leur rigueur, les Micas ne sauraient excéder, de manière continue ou non, une durée totale de douze mois ».
Les rapporteurs ont également souhaité encadrer davantage le dispositif des périmètres de protection, en introduisant une autre réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel, qui concerne la faculté pour les forces de l’ordre d’en contrôler l’accès, de procéder à des palpations de sécurité et de fouiller les bagages. Ils ont donc précisé que ces vérifications ne peuvent se fonder que sur des critères excluant toute discrimination, de quelque nature que ce soit, entre les personnes.
Je terminerai par la question de l’accès aux informations relatives aux hospitalisations sans consentement des personnes inscrites au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, le FSPRT.
Le Gouvernement prévoyait d’étendre de façon assez large la possibilité de communiquer ces informations aux représentants de l’État et à plusieurs services de renseignement. Les rapporteurs ont jugé que la diffusion de ces données devait être plus strictement encadrée et ont souhaité la limiter aux préfets et aux seuls agents placés sous leur autorité et spécialement désignés à cette fin.
Madame la ministre, nous regrettons une nouvelle fois les délais contraints imposés au Parlement pour examiner ce texte très technique et complexe, en raison de la nécessité de l’adopter avant le 31 juillet 2021, date à laquelle les mesures de l’article 1er arriveront à expiration.
Toutefois, je tiens à souligner la qualité du travail des rapporteurs, qui ont enrichi le texte tout en respectant l’équilibre entre mesures efficaces de lutte antiterroriste, respect des libertés fondamentales et conformité constitutionnelle.
La commission des lois a suivi ses rapporteurs, ainsi que les rapporteurs pour avis, et elle a approuvé leurs propositions mesurées, efficaces et pragmatiques.
Cependant, à la lecture des amendements déposés par le Gouvernement, je constate une fois encore que vous faites fi des apports du Sénat, en voulant rétablir en grande partie le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. Qu’en est-il du respect du débat parlementaire si, dès la première lecture à la chambre haute, aucune discussion n’est possible ?
L’enjeu de ce texte est majeur. Il faut renforcer notre arsenal législatif pour assurer la protection de nos concitoyens qui aspirent à vivre dans un État de droit, en toute sécurité. Ne l’oublions pas dans nos débats ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord avoir une pensée particulière pour celles et ceux qui, dans le cadre de nos lois de renseignement, sont chargés au quotidien de l’application des mesures que nous votons.
Il y a aussi les agents, souvent anonymes, qui œuvrent au sein des services de la sécurité intérieure et extérieure. Déjà, ils ont permis d’éviter de nombreux attentats sur notre sol. Ils vont parfois jusqu’à risquer leur vie pour protéger la nôtre : qu’ils soient ici remerciés de leur efficacité et de leur sang-froid.
Nous en faisons le constat, depuis 2015, le terrorisme a évolué, passant d’une menace projetée des zones djihadistes à des agressions inspirées par la propagande, pour prendre désormais la forme d’une autonomisation totale de la menace, avec des acteurs isolés, au profil psychologique instable. Les causes et les risques ont changé, et les moyens d’efficacité ont évolué. Nous devons donc nous adapter. Nous y sommes !
Les évolutions technologiques permanentes entraîneront une nécessaire modification des contrôles. Ainsi, si l’utilisation des algorithmes se révèle encore plus indispensable qu’en 2015, il est nécessaire désormais d’utiliser les URL pour une plus grande efficacité.
Sur ces sujets sensibles, la confiance est certes nécessaire, mais le contrôle démocratique l’est tout autant. Il arrive que nous soyons sur une ligne de crête entre liberté et sécurité, d’où la nécessité de considérer que la confiance n’exclut ni l’attention ni le contrôle.
Ce que je veux souligner à présent ne concerne ni le Gouvernement ni ceux qui l’ont précédé. Cependant, ce serait une erreur, mes chers collègues, de considérer que notre pays ne courrait plus jamais aucun risque totalitaire ou extrémiste.
Certes, dans cette hypothèse, le bicamérisme peut nous protéger, tout comme la délégation parlementaire au renseignement, la commission de vérification des fonds spéciaux, ou encore la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui est une autorité indépendante. Ne craignons donc pas de renforcer les prérogatives de ces instances, qui représenteront en toutes circonstances une assurance finale de contrôle démocratique.
Dans le prolongement de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, les adaptations proposées apparaissent globalement logiques, car elles cherchent l’efficacité par l’adaptabilité. Nous devons cependant toujours être sourcilleux sur nos libertés fondamentales. C’est en ce sens que le Sénat et nous-mêmes jouons notre rôle, en faisant preuve d’attention et en étant source de propositions.
À ce titre, je veux soumettre à votre sagacité deux sujets de vigilance, dont le premier concerne les échanges entre les services français et étrangers. Nous savons combien ceux-ci sont essentiels dans la lutte contre le terrorisme. Il serait néanmoins logique qu’il y ait un contrôle a posteriori de ces échanges et que celui-ci soit exercé par une autorité indépendante, telle que la CNCTR.
La plupart des pays européens le font, mais la France reste en retard. Les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme, le 25 mai dernier, devraient nous inciter fortement à revoir notre point de vue. En l’occurrence, il serait préférable d’anticiper une probable condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme.
Le second point de vigilance porte sur la possibilité de voir le Conseil constitutionnel remettre en cause l’allongement des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas, ce qui, de plus, retarderait la mise en œuvre rapide de la loi. Le Conseil d’État a émis des réserves. Il serait bon que le Gouvernement en tienne compte.
Ce texte est nécessaire, comme son évolution le sera probablement aussi dans l’avenir. Notre assemblée et nous-mêmes souhaitons apporter des améliorations de précision et de précaution. Sur un tel sujet, le systématisme partisan n’est pas de mise. Nos concitoyens souhaitent associer protection, liberté et responsabilité.
C’est le sens, vous l’aurez compris, mes chers collègues, de mon propos et de notre démarche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est pour notre pays d’une importance toute particulière. Il concerne, au premier rang, non seulement la sécurité des Français, mais aussi notre souveraineté.
Le cyberespace a renouvelé en profondeur les modes d’action du renseignement. Cyberattaques, cyberespionnage, cyberguerres justifient une adaptation des règles de la sécurité nationale.
La lutte contre le terrorisme demeure une priorité majeure. Les statistiques sur les techniques de renseignement relevant de la surveillance intérieure montrent que la prévention du terrorisme a motivé plus de 40 % des demandes soumises à l’examen de la CNCTR.
La nécessité de répondre aux menaces et aux attentats terroristes a conduit le législateur à doter les services de renseignement de moyens d’investigation sophistiqués. La mise en œuvre de ces techniques par les services de renseignement est définie de manière précise dans le code de la sécurité intérieure.
Pour garantir sa légitimité, le renseignement doit non seulement convaincre de son efficacité, mais aussi déroger le moins possible aux valeurs démocratiques, ce qui suppose le respect de plusieurs principes fondamentaux, comme la séparation des pouvoirs, le respect des règles de droit et la protection des libertés fondamentales.
Ainsi, l’actuelle montée en puissance du renseignement doit s’accompagner du renforcement des contrôles qui pèsent sur la communauté du renseignement, au titre de l’indispensable exigence démocratique.
Plusieurs évolutions législatives sont à l’œuvre.
L’article 6 étend la possibilité de communication des informations relatives à l’admission d’une personne en soins psychiatriques aux seuls préfets et agents placés sous leur responsabilité, lorsque celle-ci représente une menace grave pour la sécurité et l’ordre public, en raison de sa radicalisation à caractère terroriste.
L’article 8 autorise la conservation des renseignements collectés jusqu’à cinq ans, à des fins de recherche et de développement, dans la perspective de permettre l’élaboration d’outils d’intelligence artificielle. Il prévoit la pérennisation de la technique de l’algorithme, qui permet l’identification précoce des menaces en se fondant sur l’analyse de l’ensemble de l’activité numérique de la population, pour repérer les comportements susceptibles de constituer un risque.
Durant l’année écoulée, la CNCTR a constaté une augmentation des demandes d’accès aux données de connexion, conjuguée à une baisse des autres demandes, notamment celles qui sont relatives aux techniques les plus intrusives. Ce projet de loi prévoit d’intégrer aux données traitées par l’algorithme les noms de domaines consultés par les internautes.
De la même façon, la surveillance en temps réel est étendue aux adresses complètes de ressources sur internet. La commission des lois du Sénat a considéré que cette extension ne saurait être inscrite de manière pérenne dans le droit, mais qu’elle pouvait être autorisée dans le cadre d’une expérimentation jusqu’au 31 juillet 2025.
En raison du déploiement de nouvelles constellations satellitaires et du développement d’une offre étrangère de communication, l’article 11 autorise les services de renseignement, à titre expérimental, à intercepter par le biais d’un dispositif de captation de proximité les correspondances transitant par la voie satellitaire.
Les prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement sont renforcées. Les amendements adoptés par la commission des lois visent à prévoir que les recommandations et observations formulées par la délégation seront présentées au président de chaque assemblée.
Les avancées proposées par ce texte sont nombreuses. Elles se justifient par le fait qu’il nous faut adapter le monde du renseignement aux évolutions technologiques dont se servent nos ennemis.
Depuis la vague d’attentats de 2015, la menace d’une attaque projetée depuis l’étranger a laissé place à une menace plus diffuse, celle d’un terrorisme endogène.
Jean-François Ricard, premier procureur du parquet national antiterroriste, expliquait lors d’une table ronde au Sénat que le travail effectué dans les enquêtes à caractère terroriste à partir des données de connexion représentait 80 % de l’activité des agents, dans le cas d’un attentat ou d’une association de malfaiteurs.
Face à cette évolution, le rôle de la CNCTR est primordial. En 2020, la commission a rendu 262 avis défavorables, soit 0,8 % du nombre d’avis rendus. Je souhaite rappeler que, comme les années précédentes, le Premier ministre n’a accordé aucune autorisation après un avis défavorable de la commission.
Parallèlement, ce projet de loi prévoit de renforcer le rôle de la CNCTR avec la mise en œuvre de nouvelles dispositions. Ce texte est indispensable pour ceux qui, au sein des services secrets, travaillent à défendre les intérêts de la France et de ses ressortissants, partout où ils pourraient être menacés.
Avant que nous ne commencions l’examen des articles, je tiens à rendre hommage à ces femmes et ces hommes qui, dans le secret, travaillent à la protection des Français et de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement
Chapitre Ier
Dispositions renforçant la prévention d’actes de terrorisme
Article 1er
(Non modifié)
Le II de l’article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme est abrogé.
M. le président. L’amendement n° 53, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
À la fin du II de l’article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, la date : « 31 juillet 2021 » est remplacée par la date : « 31 décembre 2024 ».
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Contrairement à ce qui a été dit lors de son examen en commission, la présente disposition, que nous déposons de nouveau en séance, tend non pas à conserver le caractère expérimental des mesures issues de la loi SILT, dont les rapports de contrôle parlementaire de l’Assemblée nationale et du Sénat ont présenté un bilan mitigé, mais bien à maintenir leur nature exceptionnelle.
Nous tirons ainsi les leçons des mesures que le Sénat s’est lui-même appliqué à suivre et à préconiser dans le cadre de la crise sanitaire qui a bousculé nos libertés publiques.
Au moment où nous sortons progressivement du régime de l’état d’urgence sanitaire contre l’épidémie de covid-19, l’honneur revient au Sénat d’avoir rappelé que la création de tout régime d’exception doit être limitée dans le temps, ce qui a conduit le Parlement à en fixer le terme au 31 décembre 2021. C’est l’une des leçons essentielles concernant les libertés publiques que le législateur devra retenir.
En matière de législation d’exception, l’expérience montre qu’il existe une forme de paresse démocratique à introduire des dispositions dérogatoires au droit commun d’abord de manière expérimentale, pour les pérenniser ensuite, puis à en étendre le champ d’application au gré des circonstances.
L’article 44 du projet de loi confortant les principes de la République, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, en témoigne de nouveau : il propose d’élargir le champ d’application de la fermeture des lieux de culte à partir d’autres fondements que le régime légal et provisoire d’exception et qui sont d’une gravité moindre.
Pérenniser des mesures extrêmement dérogatoires au droit commun est un processus dont nous savons par avance qu’il conduit à rogner davantage le champ des libertés publiques. Conscients de cette dérive, nous souhaitons maintenir le caractère exceptionnel des articles 1er à 4 de la loi du 30 octobre 2017.
Ces mesures directement extraites du régime de l’état d’urgence accroissent de manière significative les pouvoirs de l’autorité administrative, avec pour seule finalité la lutte contre le terrorisme.
Après avoir pris en considération leur caractère expérimental, et à la suite des interventions ultérieures du législateur, qui a limité strictement leur champ d’application, le Conseil constitutionnel a jugé que ces mesures assuraient une conciliation qui n’était pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, la préservation de l’ordre public, et, d’autre part le respect des libertés fondamentales. En effet, elles ne sont que momentanées.
Par ailleurs, dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle, le Parlement a constaté que ces dispositions présentaient un intérêt en matière de prévention des actes de terrorisme et que, si leur appropriation par l’autorité de police administrative s’est révélée inadéquate à plusieurs reprises au moment de leur entrée en vigueur, leur utilisation actuelle semble mesurée et proportionnée.
Il n’en demeure pas moins que ces mesures sont dérogatoires au droit commun, car elles affectent très clairement la liberté d’aller et venir, la liberté de culte, le droit au respect de la vie privée et familiale et l’inviolabilité du domicile, dans un contexte sécuritaire d’anticipation d’un danger potentiel.
En conséquence, parallèlement au contrôle parlementaire renforcé qui permet à l’Assemblée nationale et au Sénat d’assurer leur mission de contrôle, ces mesures doivent demeurer exceptionnelles et subordonnées à un vote régulier du Parlement. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Leconte. Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. M. Leconte relance le débat que nous avons déjà eu, je le rappelle, à la fin de l’année dernière.
La question était de savoir s’il fallait pérenniser ou proroger la mesure. La majorité du Sénat s’est prononcée clairement pour une pérennisation immédiate ; la majorité de l’Assemblée nationale s’est prononcée pour une prolongation, dans l’attente d’une pérennisation. Le débat a donc déjà été tranché, même si l’on peut toujours le remettre sur la table.
Sur le fond, comme je l’ai indiqué lors de l’examen de la motion relative à l’exception d’irrecevabilité, le Conseil constitutionnel a clairement établi, en réponse à une QPC, que les quatre mesures fondamentales concernant le périmètre de protection, la fermeture des lieux de culte, les visites domiciliaires et les Micas étaient efficaces.
En outre, les deux rapports que j’ai remis à la commission des lois démontrent cette efficacité. Par conséquent, il n’y a aucune raison d’adopter cet amendement.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Cet amendement vise à proroger la clause de caducité des mesures issues de la loi SILT.
Si cela correspondait au souhait initial du Gouvernement, ces mesures qui devaient expirer le 31 décembre 2020 n’ont été prorogées par le Parlement que jusqu’au 31 juillet 2021. Désormais, la pérennisation des mesures issues de la loi SILT nous paraît indispensable, moyennant les adaptations que le Gouvernement vous propose d’adopter.
Cette pérennisation n’empêchera pas le Parlement d’exercer un contrôle très étroit, de la même manière qu’il a pu le faire jusqu’à présent, puisque le Gouvernement lui transmet les mesures prises dans ce cadre, sans délai, et lui remet un rapport annuel sur leur mise en œuvre.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Nous voterons contre cet article 1er, qui pérennise les mesures de police administrative de la loi SILT de 2017. La commission des lois l’a adopté sans modification, puisqu’elle recommandait déjà dans ses travaux de pérenniser ces mesures, au moment où le Gouvernement avait décidé de les proroger, sous couvert de crise sanitaire, en décembre dernier.
Je veux rappeler que le groupe CRCE s’était opposé à la loi SILT, qui est venue pérenniser un certain nombre de dispositifs issus de l’état d’urgence sécuritaire, déclenché à la suite des attentats de 2015.
Cet article du projet de loi instaure donc définitivement la possibilité d’instaurer des périmètres de protection, les fermetures administratives de lieux de de culte et les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les fameuses Micas.
Ces dernières mesures administratives sont sans doute les plus graves. Elles peuvent être prononcées à l’encontre des personnes dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre public, notamment.
Comme nous l’avons déjà dit lors de la discussion générale, entériner les Micas consisterait, selon nous, à acter un changement de paradigme dans les mesures de police administrative, en se fondant non plus sur la commission d’une infraction, mais sur la suspicion de la commission probable de cette infraction.
Or les conséquences de ces dispositifs peuvent être très lourdes pour les personnes visées, qui sont jugées potentiellement dangereuses sur des critères extrêmement flous. Il s’agit là d’un tournant assez radical. Nous déplorons cette mesure, comme tous les défenseurs des libertés, depuis les associations de défense jusqu’aux magistrats eux-mêmes, quels qu’ils soient.
En outre, en 2018, à l’Assemblée générale des Nations Unies, plusieurs États se sont inquiétés du manque de respect des droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en France. Ils ont insisté sur la nécessité de mettre en place un mécanisme indépendant de suivi. Or il n’en a rien été.
Pour toutes ces raisons, mon groupe votera pour la suppression de l’article 1er.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis
L’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° A (nouveau) Le troisième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « La mise en œuvre de ces vérifications ne peut se fonder que sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes. » ;
1° Le quatrième alinéa est ainsi modifié :
a) (nouveau) À la première phrase, après le mot : « responsabilité », sont insérés les mots : « et le contrôle effectif » ;
b) À la dernière phrase, après le mot : « autorité », sont insérés les mots : « et le contrôle effectif et continu » ;
2° La seconde phrase du dernier alinéa est ainsi rédigée : « L’arrêté peut être renouvelé une fois, pour une durée ne pouvant excéder un mois, par le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police, lorsque les conditions prévues au premier alinéa continuent d’être réunies. » – (Adopté.)
Article 2
Le chapitre VII du titre II du livre II du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° L’article L. 227-1 est ainsi modifié :
a) Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
b) Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – Peuvent également faire l’objet d’une mesure de fermeture, selon les modalités prévues aux deux derniers alinéas du I, des locaux gérés, exploités ou financés, directement ou indirectement, par une personne physique ou morale gestionnaire du lieu de culte dont la fermeture est prononcée sur le fondement du même I, qui accueillent habituellement des réunions publiques, et dont il existe des raisons sérieuses de penser qu’ils seraient utilisés aux mêmes fins pour faire échec à l’exécution de cette mesure. La fermeture de ces locaux prend fin à l’expiration de la mesure de fermeture du lieu de culte. » ;
2° À l’article L. 227-2, les mots : « d’un lieu de culte » sont supprimés.