M. Jean-Pierre Sueur. C’est beau !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est très beau, monsieur le sénateur Sueur, mais cela n’est pas suffisamment précis pour intégrer la Constitution.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Un petit mot, monsieur le président, pour indiquer à la Haute Assemblée que nous avons parfaitement connaissance du code de l’environnement, mais qu’il y a aussi un principe de hiérarchisation des normes. La Constitution a une valeur supérieure à la loi, qui a elle-même une valeur supérieure au règlement. Par définition, la Constitution couvre l’ensemble du dispositif.
M. Alain Richard. Et elle ne cite jamais de loi !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Exactement ! Vous avez raison de le rappeler, monsieur Richard.
Enfin, nous nous sommes déjà expliqués sur les conséquences de l’emploi du verbe « garantir ». Les doutes que nous avons sur ses conséquences résultent des auditions que nous avons menées et, surtout, de l’avis du Conseil d’État rendu au mois de janvier dernier, qui est d’une grande clarté à cet égard.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Je pense que la Convention citoyenne pour le climat ne mérite ni excès d’honneur ni excès d’indignité. Pour autant, à mon sens, il ne faut pas traiter avec condescendance les travaux qui ont été réalisés par 150 citoyens. C’est une procédure de jury citoyen qui est utilisée dans beaucoup de démocraties et qui vient compléter la démocratie représentative. À ce titre, il faut la prendre au sérieux.
Sur la procédure, on est tous d’accord pour dire que l’on tombe aujourd’hui dans la manœuvre, et c’est regrettable, parce que cela dépend uniquement du Gouvernement. Ce que laisse entendre le Gouvernement, ou ce qu’il laisse suggérer, ou ce que l’on pourrait comprendre, c’est que, alors que la navette pourrait se poursuivre, elle serait arrêtée ou elle pourrait être arrêtée par le Président de la République, qui ferait endosser la responsabilité de cet échec au Sénat. C’est cette posture qui n’est pas tolérable !
Sur la question du gouvernement des juges, j’entends les craintes, mais je suis assez kelsénien et je sais une chose : c’est que nous avons tous été contents que, d’une certaine façon, le juge constitutionnel prenne toute sa place en France. En donnant une valeur constitutionnelle au préambule de la Constitution et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en conférant une valeur constitutionnelle aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, en dégageant des principes particulièrement nécessaires à notre temps, le juge constitutionnel est aussi une garantie des libertés. Mes chers collègues, ne jetons pas l’opprobre sur son rôle !
Enfin, on ne peut que critiquer ces trois amendements identiques sur le fond, parce qu’ils apparaissent en retrait d’une rédaction qui n’était peut-être pas parfaite, mais qui avait le mérite d’exister. Avec ces amendements, on a une vraie minoration de la portée du texte, et la légèreté du Gouvernement ne doit pas nous conduire à une logique de moins-disant, ce qui serait le cas si nous suivions l’avis du rapporteur, président de la commission des lois.
Il ne faut pas accorder une place aussi importante au verbe « garantir », alors que l’on sait très bien que celui-ci n’a pas forcément les effets que le rapporteur prétend qu’il a. Pour preuve, si la loi garantissait véritablement « à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme », on n’en serait pas là. Vous savez très bien que le verbe « favoriser » a un impact plus grand que le verbe « garantir ». On est là uniquement dans une querelle sémantique qui permet de faire en sorte, justement, de se dégager du fond, et c’est ce qui est extrêmement regrettable.
Quant à cette référence à la Charte de l’environnement, je ne pense pas qu’elle apporte grand-chose.
M. le président. Merci, mon cher collègue !
M. Éric Kerrouche. Pour toutes ces raisons, nous ne pourrons pas voter les amendements identiques nos 2, 3 et 5 rectifié.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Comme nous l’avons vu, le Sénat a vidé ce texte de sa substance. Il n’est pourtant pas nécessaire de rappeler la réalité du réchauffement climatique et de la dégradation de l’environnement.
La situation est plus que préoccupante, menaçante, et les responsables politiques que nous sommes ont une seule mission : trouver des solutions et les mettre en œuvre.
Cette inscription constitutionnelle aurait permis d’afficher clairement l’engagement écologique du Gouvernement et du législateur. En cette période électorale, la majorité sénatoriale n’avait nulle envie de faire un cadeau au Gouvernement ; pourtant, ni les profits, ni les dividendes, ni la prospérité économique ne seront en mesure d’arrêter la destruction de la planète !
Les jeunes, eux, ont compris l’urgence. C’est pour cette raison qu’ils sont des dizaines de milliers à descendre dans la rue pour réclamer des garanties et une lutte véritable contre le dérèglement climatique.
Dans la version retenue par le Sénat, la République préservera l’environnement et la diversité biologique en agissant contre le dérèglement climatique : avec une telle rédaction, on ne lutte pas, on ne garantit rien. Ainsi aura-t-on également trahi la demande de la Convention citoyenne pour le climat, qui, selon la majorité sénatoriale, était une manière de faire primer l’écologie aux dépens de l’économie.
Ce projet de loi constitutionnelle est donc dans l’impasse. Le texte adopté par le Sénat sera différent de celui de l’Assemblée nationale. C’est quasiment acté : il n’y aura pas de référendum. Le Président Macron a sûrement d’autres préoccupations en cette période riche en scrutins…
La faute à qui ? À tous ceux qui ne voulaient pas que ce projet aboutisse. Une fois de plus, l’écologie a été sacrifiée. À certains, elle ne sert, de temps à autre, qu’à verdir un peu les bulletins de vote ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Je dois l’avouer, je suis un peu déçu par ce débat. Certes – on l’a répété maintes fois –, on ne touche à la Constitution que d’une main tremblante, mais on devrait en parler avec souffle !
Il s’agit tout de même d’inscrire les enjeux environnementaux dans la Constitution. Et, alors que nous devrions nous concentrer sur notre responsabilité collective, nous sommes accaparés par les calculs politiciens : comment doit-on se positionner par rapport au Président de la République ? Faut-il parier sur sa victoire ou sur sa défaite ?
Surtout, en reprenant peu ou prou l’argument avancé au sujet du projet de loi Climat, de nombreux orateurs estiment, en définitive, que l’économie française n’est pas capable de garantir la préservation de l’environnement. Quand on agite le spectre de ce mot galvaudé qu’est la décroissance, c’est globalement ce que l’on dit. La société française ne s’en trouve pas grandie.
Bien sûr, il faut lire le journal tous les matins : nous le faisons presque tous ! Mais c’est également intéressant de relire la Constitution et ses préambules, notamment celui de 1946. C’était la grande période de l’après-guerre, marquée par la victoire des « peuples libres ». Que lit-on dans ce préambule ? « […] Le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. »
Mes chers collègues, il ne s’agit pas simplement des Français, mais de « tout être humain ». Aujourd’hui, nous sommes face à une terrible crise écologique, qui tue des centaines de milliers de personnes chaque année à travers le monde. On sait que la dégradation de l’environnement est devenue l’une des grandes atteintes aux droits de l’homme.
Notre pays doit renouer avec son histoire universaliste : voilà ce que l’on nous propose avec le présent texte. Nous ne voulons pas d’une France souffreteuse, se jugeant incapable de conjuguer ces enjeux et sa propre économie. À l’inverse, nous devons nous tourner vers le monde en disant : « Nous, nous luttons. Nous, nous garantissons. »
Au nom de l’histoire française, il faut inscrire ces mots dans la Constitution. Mais, hélas ! aujourd’hui, on casse ce qui fait l’essence de 1789 et du préambule de 1946 ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Nous l’avons dit : nous souhaitions que cette réforme de la Constitution soit proposée rapidement aux Françaises et aux Français, dans les termes adoptés par la Convention citoyenne, sans filtre. Nous ne voterons donc pas cette version édulcorée par la droite, qui, de son aveu même, ne souhaite pas de nouveaux effets juridiques et qui renonce à toute ambition climatique pour notre Constitution.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous évoquez souvent le risque d’incertitude et d’instabilité juridiques qu’induit la rédaction initiale. Mais ces dangers ne sont rien face à ceux que le chaos climatique fait peser sur nos vies et sur nos institutions. Ces éléments ont été chiffrés par différents rapports scientifiques ou économiques et les assureurs eux-mêmes le disent : le coût de l’inaction climatique sera bien plus élevé que celui de l’action.
Oui, notre République doit désormais réviser sa Constitution pour prendre en considération les limites planétaires, afin de garantir la préservation de l’environnement et de la biodiversité.
Le temps est venu d’avoir un cadre juridique constitutionnel pour réguler l’ensemble de notre action publique. Nous avons l’obligation de réussir : c’est ce qu’implique le terme « garantit ».
Soyez cohérents. Depuis des mois, vous accusez les élus écologistes – notamment les maires –, pourtant portés au pouvoir démocratiquement, d’être les tenants d’une idéologie totalitaire. Vous les caricaturez en despotes de la piste cyclable ; nous avons même entendu parler de « nouvelle dictature ».
Vous aviez l’occasion d’en appeler au peuple pour engager, enfin, un grand débat démocratique au sujet de l’avenir climatique de notre République. Vous aviez l’occasion de faire trancher par les Françaises et les Français ce vrai choix de société : pour ou contre un avenir durable garanti par notre Constitution. Vous avez préféré le renoncement. Vous reculez face au défi démocratique. Comme les collègues de mon groupe, je voterai contre cette nouvelle formulation, qui passe totalement à côté de l’enjeu ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. J’abonde dans le sens de mes collègues : bien sûr, nous ne voterons pas les amendements identiques nos 2, 3 et 5 rectifié.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, le terme « garantit » signifie a minima, pour la République, pour les gouvernements dont elle se dote et pour les collectivités territoriales, une obligation de moyens. Quels que soient les alternances et les aléas, tant que la forme républicaine du Gouvernement demeurera, ils devront d’agir positivement pour préserver l’environnement et la biodiversité et pour lutter contre le changement climatique.
Ce n’est pas rien. Effectivement, c’est contraignant. Mais c’est une avancée majeure, à laquelle on ne peut décemment pas s’opposer, surtout quand on clame haut et fort que l’écologie n’appartient pas à un parti et que tout le monde souhaite protéger l’environnement.
Dès lors, cessez de proclamer et agissez, en votant ce texte en l’état. Sinon, cela signifie que vous ne souhaitez pas voir la République agir positivement, en toute circonstance, pour l’environnement. Cela signifie que vous avez d’autres priorités et que vous préférez défendre une somme d’intérêts privés plutôt que l’intérêt général, scientifiquement admis par les chercheurs du monde entier. Dans ce cas, il faut tout simplement l’assumer.
Cette obligation d’action est une première étape, mais elle ne saurait suffire. Agir pour préserver un environnement déjà partiellement dégradé, c’est stopper l’hémorragie. Toutefois – j’y insiste –, il faut aller beaucoup plus loin et agir pour améliorer constamment l’environnement.
C’est une traduction constitutionnelle du principe de non-régression du droit environnemental. Le caractère strictement législatif de ce principe est insuffisant, comme l’a montré la décision récente du Conseil constitutionnel au sujet du texte de loi réintroduisant les néonicotinoïdes, dont nous avons débattu dans cet hémicycle.
Les écologistes sont sobres ; ainsi, nous nous contenterons de la rédaction actuelle et nous invitons le Sénat à faire de même en rejetant l’amendement de M. le rapporteur – et donc les deux autres, qui lui sont identiques. C’est un véritable sujet, dont nous devons débattre et dont nos concitoyens doivent se saisir : comme Bruno Retailleau, je souhaite qu’il soit soumis à un référendum ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Chers collègues de la majorité sénatoriale, le moment où l’on refuse d’avancer est toujours un moment grave et signifiant : on se souviendra qu’aujourd’hui le Sénat a refusé d’avancer.
L’amendement que vous nous proposez est l’illustration d’une contradiction assez dérangeante. Vous annoncez vouloir modifier l’écriture de cet article afin de lever telle ou telle incertitude juridique ; mais il reviendra toujours au juge d’arbitrer entre différents principes constitutionnels. Ces arbitrages ne garantissent pas une quelconque primauté d’un principe sur un autre : ils doivent simplement traduire un équilibre.
Parallèlement, selon votre analyse, le terme « garantit » « faciliterait l’engagement de la responsabilité des personnes publiques », voire « attribuerait une forme de priorité à la préservation de l’environnement ».
En définitive, qu’en est-il ? Le texte est-il trop incertain ou trop prescripteur ? On dit souvent : « Deux médecins, trois avis. » Contrairement à ce que vous avancez, le consensus des constitutionnalistes n’est pas au rendez-vous sur ce sujet.
Certains d’entre vous vont jusqu’à déclarer inutile cette réforme, telle que rédigée par l’Assemblée nationale. Mais votre souhait de modification montre bien qu’au contraire vous l’analysez comme une mesure forte, ayant un impact réel, que vous cherchez à atténuer.
Le terme « garantit » vous fait peur, autant que l’idée de soumettre au référendum une modification issue de la démocratie participative. Nous, au sein du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, prenons clairement parti pour cette rédaction.
Vous revenez assez vite sur cette inquiétude, en admettant choisir une formulation plus sobre ; mais s’il est une formulation plus sobre, c’est bien que la rédaction originale est plus percutante.
Tantôt, vous supposez que l’impact réel de ce texte est minime ; tantôt, vous le jugez trop grand. Je ne sais plus sur quel aspect de votre raisonnement contradictoire vous vous fondez. Quoi qu’il en soit, vous proposez de modifier ce projet de loi : a priori, vous empêchez donc son adoption dans les termes retenus par l’Assemblée nationale. La tenue du référendum s’en trouverait plus que compromise.
De la sobriété, nous passons ainsi à l’abstinence. Mais, aux dernières nouvelles de la planète Macron, on ne sait plus si, dans ce grand marché de dupes, tout ce qui compte n’est pas d’aller au référendum quoi qu’il en coûte…
M. le président. Il faut conclure, cher collègue.
M. Guy Benarroche. … pour le climat et la planète, quel que soit le texte, afin de communiquer politiquement. Nous voterons contre ces amendements ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Mes chers collègues, il n’est pas illégitime d’éprouver des inquiétudes au sujet de la rédaction que nous propose le Gouvernement.
M. le garde des sceaux dit que l’on va continuer à concilier de la même manière les objectifs de nature constitutionnelle, sans les hiérarchiser, tout en allant plus loin : on a du mal à comprendre, mais au moins, on bouge ! Avec l’amendement de la commission – et les deux autres –, on ne fait plus rien : sur ce point au moins il n’y a pas de doute.
Monsieur le rapporteur, si, sur ces travées, l’un d’entre nous présentait un tel amendement, vous lui diriez ce que vous avez répondu au sujet du principe de non-régression : c’est satisfait par le droit en vigueur, tout simplement. Il n’y a pas photo ! D’ailleurs, Philippe Bas l’a dit en commission : une fois retiré le « venin » du texte gouvernemental, il ne reste pas grand-chose.
Bref, on ne bouge pas. Or, si tout le monde s’accorde à dire que la constitutionnalisation de la Charte de l’environnement en 2005 a été un progrès, il faut bien admettre qu’elle ne suffit pas.
« L’affaire du siècle » l’a montré : les politiques publiques menées à l’heure actuelle n’imposent pas aux pouvoirs publics de respecter les obligations conventionnelles et internationales de la France. Il est donc nécessaire de changer et, pour notre part, nous proposons une véritable innovation.
Ce qui nous préoccupe tous ici, c’est la préservation d’un certain nombre de biens communs aujourd’hui menacés, car – on le constate – ils ne sont pas infinis.
Tel est précisément l’objet de l’amendement du groupe socialiste : la santé, le climat, l’eau, tout ce qui est nécessaire à la vie, partout sur la planète.
Cet enjeu concerne tous les pays, il dépasse toutes les frontières. Nous ne trouverons pas une solution tout seuls. Si nous voulons être fidèles à notre histoire universaliste, nous devons innover et inscrire dans notre Constitution cette mention absolument indispensable. Notre collègue Nicole Bonnefoy l’a dit : nous faisons nôtre cette inquiétude et, face au destin commun de l’humanité, nous serions bien inspirés de procéder ainsi.
M. le président. Merci, cher collègue !
M. Jean-Yves Leconte. Il faut trouver des solutions pour l’ensemble de l’humanité en se fondant sur cette notion de bien commun ! (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le rapporteur, à ce stade, j’ai simplement une question à vous poser : pourquoi présentez-vous l’amendement n° 2 ? Je ne le comprends pas et je vous remercie de bien vouloir me l’expliquer avant le vote.
J’entends vos remarques au sujet du verbe « garantir ». Mais ce que vous nous proposez, c’est d’écrire, dans la Constitution, que la France préserve l’environnement dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement. Or la Charte de l’environnement a valeur constitutionnelle, car elle fait partie du bloc de constitutionnalité. Vous nous suggérez donc d’écrire dans la Constitution qu’il faut respecter la Constitution ; plus précisément, vous nous proposez d’écrire dans un article de la Constitution que la Constitution s’applique.
Cela s’appelle une aporie. En d’autres termes, cela n’apporte rien. La Charte de l’environnement existe : pourquoi préciser qu’elle doit être respectée ? Pouvez-vous m’éclairer ?
Depuis le début du débat, je n’ai pas entendu un seul argument justifiant une telle rédaction. En revanche, j’ai entendu les propos que Nicole Bonnefoy et Patrick Kanner ont consacrés aux biens communs de l’humanité. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Il s’agit d’une belle idée.
Regardez l’histoire : tous ceux qui, depuis près de deux siècles, se battent pour l’action sociale, pour des politiques progressistes, répondent à cette aspiration. Finalement, le but de la politique, c’est le bien commun de telle ou telle catégorie de nos concitoyens, de tous les Français, des Européens et de l’humanité tout entière.
Plutôt qu’une telle aporie,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Pierre Sueur. … mieux vaudrait inscrire dans la Constitution cette idée si belle et si forte : celle de bien commun !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Mes chers collègues, ce débat me donne l’occasion de clarifier notre position.
Je l’ai dit : nous avons fait le choix, non de modifier l’article 1er de la Constitution, mais de renforcer la Charte de l’environnement. Vous pourriez me demander pourquoi.
Certes, à l’arrivée, la portée juridique des dispositions proposées est la même. Mais, pour notre part, nous considérons qu’il faut conserver le rôle et la dimension actuels de la Constitution dans la mesure du possible, même si, je vous l’avoue – vous ne le répéterez pas ! (Sourires.) –, pour notre part, nous voudrions la changer.
Or j’ai le sentiment que certains oublient la portée de l’article 1er de la Constitution, lequel définit les valeurs de la France. Il a certes une force symbolique ; mais, ce qu’il doit contenir, ce ne sont pas des principes d’action. Ce sont des valeurs, comme l’unité et l’indivisibilité de la Nation.
À nos yeux, la Constitution n’a pas vocation à énoncer des politiques sectorielles, en vue d’un effet de cliquet, mais à définir le rôle et les relations des pouvoirs publics. C’est pourquoi – j’y insiste –, nous avons fait le choix, non pas de réviser l’article 1er de la Constitution pour y introduire des considérations environnementales, mais de compléter la Charte de l’environnement, tout simplement pour lui donner toute sa portée !
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Mes chers collègues, à titre purement personnel, je tiens à prendre mes distances avec cette réforme constitutionnelle : c’est même de l’incompréhension qu’elle m’inspire, car elle présente un caractère proclamatoire et, à mon avis, peu productif.
Mme Assassi l’a expliqué à l’instant avec beaucoup de clarté et de justesse : il faut distinguer, d’une part, la Constitution et, de l’autre, l’action publique.
En l’occurrence, il s’agit de défendre la biodiversité et de prévenir le changement climatique. Cette action est multiforme. Elle fait l’objet de recherches permanentes. Elle est également négociée. Elle exige un approfondissement scientifique constant, qui est loin d’être terminé : en la matière, il n’y a pas de vérité révélée.
On pourrait en citer de multiples exemples : pour ma part, je n’en citerai qu’un. Quand on a la curiosité de se plonger dans le code de l’environnement, on constate qu’il est constitué uniquement de procédures. Il ne contient pas une règle de fond. La plupart des projets sont assujettis à des procédures préalables très strictes destinées à préserver l’environnement. Mais, comme par hasard, on a été obligé de prévoir quantité de clauses dérogatoires. Leur but est de limiter la protection de l’environnement et de la biodiversité pour aménager des équipements en faveur de l’environnement lui-même, comme des installations de production d’énergie ou d’épuration de l’eau.
Pour lutter contre le changement climatique, il faut mener des politiques industrielles, agricoles ou encore d’aménagement. Vouloir résumer et contraindre l’ensemble de ces initiatives par un seul terme, en l’occurrence celui de « garantit », est contre-productif.
Enfin, notre connaissance de la biodiversité est encore extrêmement imparfaite. Si vous approfondissez votre analyse de cette question en lisant la littérature scientifique, vous constaterez que les zones d’incertitude demeurent considérables.
Je le répète : il serait contre-productif de contraindre l’ensemble de ces politiques dynamiques et évolutives par les seuls termes « garantit […] la diversité biologique ». Ce serait, de surcroît, commettre une erreur profonde quant au rôle d’une Constitution ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Mes chers collègues, j’ai déjà expliqué pourquoi je ne prendrai pas part au vote final. Évidemment, je voterai contre ces amendements identiques.
Chacun appréhende la situation à la lumière de ses propres convictions. Je fais partie de ceux pour qui le climat et la biodiversité sont en péril. M. Richard nous assure qu’il faut relativiser tout cela ; mais c’est scientifiquement prouvé qu’il y a urgence !
Vous faites référence à la Charte de l’environnement. Bien sûr, ce texte a été un progrès en son temps, mais, depuis 2004, la situation n’en a pas moins continué de se dégrader.
Nous avons parlé de démocratie : quelles que soient nos opinions, n’oublions pas que 50 % de la population ne s’intéresse plus à la politique. Est-ce qu’une démocratie peut fonctionner comme cela ?
Nos jeunes générations ont besoin de projets collectifs : en l’occurrence, il s’agit ni plus ni moins que de sauver l’humanité !
Nos jeunes générations attendent des signes et des symboles. Je connais plusieurs jeunes couples, de l’âge de nos enfants, qui déclarent ne pas vouloir d’enfants à leur tour, car ils ne veulent pas les voir naître dans un monde pareil. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Ils sont de plus en plus nombreux !
Une société qui en arrive là doit se remettre en question : c’est véritablement vers une nouvelle société que nous devons avancer ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Joël Bigot et Mme Nicole Bonnefoy applaudissent également.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2, 3 et 5 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 117 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 216 |
Contre | 123 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, les amendements nos 13 et 11 n’ont plus d’objet.
L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Roux, Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Corbisez et Guiol, Mme Pantel et M. Requier, est ainsi libellé :
Compléter cet article par les mots :
, et ses conséquences
La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.