M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article unique
Après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Elle garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. »
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, sur l’article.
Mme Nicole Bonnefoy. Depuis le début de la pandémie de covid-19, chaque pays compte ses victimes par milliers. En France, depuis mars 2020, on dénombre plus de 106 000 morts. Depuis plusieurs semaines, l’Inde et le Brésil entassent, chaque jour, les corps par milliers.
Notre seule arme pour accéder à l’immunité collective, c’est le vaccin. Ce vaccin est un bien commun mondial, un bien commun qui ne peut être la propriété de personne, dès lors que nous en avons tous besoin pour vivre. À ce titre, nous devons favoriser son accès pour tous.
Est-il acceptable de laisser les logiques économiques l’emporter sur la santé humaine ? Nous pensons que non. Joe Biden et l’Union européenne ont répondu au cri d’alarme de l’Inde et de l’Afrique du Sud, en se prononçant en faveur de la levée des brevets sur les vaccins.
Ces vaccins ont été très largement financés par les contribuables, puisque près de 7 milliards de dollars ont été distribués aux laboratoires par les États-Unis et l’Union européenne pour financer la recherche. À cela s’ajoutent plusieurs centaines de millions de doses de vaccins achetées par les pays. Et c’est aussi grâce à des dizaines d’années de recherche publique, bien commun de la connaissance, que ces vaccins ont pu être découverts.
On peut donc considérer que les vaccins sont des biens communs financés très largement par des puissances publiques dans l’intérêt de l’humanité. Il est nécessaire que la France se positionne pour faire de ces vaccins des biens communs mondiaux.
Notre espoir de retour à la vie normale réside dans la vaccination pour tous. D’après les chercheurs, cette pandémie ne sera pas la dernière que l’humanité devra affronter. Les futurs vaccins et traitements devront aussi être considérés et gérés comme des biens communs mondiaux. Notre espoir pour l’avenir réside dans ce changement de société que nous appelons de nos vœux, une société fondée sur les biens communs. Patrick Kanner le rappellera tout à l’heure à l’occasion de la présentation de l’amendement n° 11. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, sur l’article.
Mme Marie-Claude Varaillas. Nous en venons maintenant au cœur des débats qui ont animé les travaux des commissions avec cet article unique. Les commissions des lois et de l’aménagement du territoire ont donc choisi de reprendre l’avis du Conseil d’État et proposé de changer les termes de la modification de l’article 1er de la Constitution. Ainsi, la France ne garantirait plus la préservation de l’environnement, mais préserverait simplement l’environnement et la diversité biologique. Elle ne lutterait plus contre le dérèglement climatique, mais agirait simplement contre celui-ci.
Au-delà des formules retenues et de l’implication juridique concrète de ces modifications, nous faisons un constat simple : le Sénat a joué le rôle que l’on attendait de lui en éloignant l’idée même de toute réforme constitutionnelle, condamnant ce projet de loi constitutionnelle à la navette permanente, sauf à recourir à l’alinéa 3 de l’article 89, c’est-à-dire à passer par le Parlement réuni en Congrès pour opérer cette modification de la Constitution, une voie qui nous semble largement préférable.
Le Sénat aura ainsi fait le choix d’être le meilleur alibi du Président de la République pour un nouveau renoncement qui laissera un goût amer, non seulement aux membres de la Convention citoyenne pour le climat, mais également aux parlementaires que nous sommes.
Par ailleurs, l’opposition entre le « garantit » et le « favorise » est largement surjouée. Je le répète, il n’y a pas de hiérarchie entre les droits et libertés garantis par la Constitution, contrairement à ce qu’a affirmé la commission des lois.
En outre, le verbe « favoriser » apparaît peu ambitieux. En effet, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision du 24 avril 2015, l’alinéa de l’article 1er qui dispose que la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux ne crée pas un droit ou une liberté garanti au sens de l’article 61-1 de la Constitution.
Mes chers collègues, vous nous amusez avec ces guerres sémantiques, qui masquent mal la régression des politiques publiques environnementales. Le Sénat est toujours d’accord avec la majorité présidentielle quand il s’agit de réduire le droit de l’environnement. Nous l’avons vu dans tous les derniers projets de loi que nous avons examinés, que ce soit sur les néonicotinoïdes ou bien sur l’évaluation environnementale, dans le cadre du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique.
Ces débats ne servent donc qu’à jouer le statu quo. Nous le regrettons et voterons contre cet article, qui, comble du comble, revient à insérer une lapalissade à l’article 1er de la Constitution.
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par M. Folliot, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. « Charles, réveille-toi ! Nous sommes devenus fous ! » Telle est l’injonction que nous pourrions adresser au fondateur de la Ve République. (Murmures de désapprobation sur des travées.)
La défense de l’environnement est quelque chose d’important, et même d’essentiel. Chacune et chacun, ici, en est convaincu. Pour la plupart d’entre nous, dans nos fonctions d’élu local, quand nous en avons, nous essayons de mettre ces questions au cœur de notre action.
Pour autant, faut-il toucher à la loi fondamentale ? Faut-il changer notre Constitution en fonction de ces enjeux ?
Monsieur le garde des sceaux, ce texte pose un certain nombre de problèmes au regard de sa genèse, de ses principes et de ses conséquences.
S’agissant de sa genèse à travers les travaux de la Convention citoyenne pour le climat, je ne vais pas revenir sur ce qui a été dit par différents orateurs, mais je m’interroge à mon tour : les commissions « environnement » de l’Assemblée nationale et du Sénat ont-elles moins de légitimité que des citoyens tirés au sort pour réfléchir sur ces grands enjeux ?
Ensuite, les principes qui le guident me posent problème : est-il raisonnable de changer la Constitution chaque fois que nous nous trouvons face à un enjeu que nous jugeons important, essentiel ?
Montesquieu disait qu’il ne fallait toucher à la loi que d’une main tremblante. S’agissant de la loi constitutionnelle, la main doit être très tremblante…
Enfin, il y a ses conséquences. Je ne vais pas revenir en détail sur ce qu’a excellemment développé notre collègue Philippe Bonnecarrère à propos d’une nouvelle hiérarchie des normes qui va causer un certain nombre de difficultés, nous entraînant notamment dans le sens d’une judiciarisation accrue de la société. Ainsi, nombre de projets portés par nos collectivités seront systématiquement remis en cause par les tribunaux. Partant, nous ne serons plus dans une démocratie où sont les élus qui décident : in fine, ce pouvoir reviendra aux juges.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Philippe Folliot. S’appuyant sur ces constats, mon amendement a pour objet de supprimer cet article, afin d’éviter que nous ne touchions encore à la Constitution, cette loi fondamentale et sacrée qui devrait le moins souvent possible être modifiée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. C’est une demande de retrait, faute de quoi l’avis sera défavorable. La commission des lois a souhaité non pas supprimer cet article, mais le réécrire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Folliot, l’amendement n° 4 est-il maintenu ?
M. Philippe Folliot. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L’amendement n° 2 est présenté par M. Buffet, au nom de la commission des lois.
L’amendement n° 3 est présenté par M. Chevrollier, au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
L’amendement n° 5 rectifié est présenté par MM. Retailleau, Marseille, Allizard, Anglars, J.M. Arnaud, Bacci, Bas, Bascher et Bazin, Mmes Bellurot, Belrhiti, Berthet et Billon, MM. J.B. Blanc, Bonne, Bonneau, Bonnecarrère et Bonnus, Mme Borchio Fontimp, MM. Boré et Bouchet, Mmes Boulay-Espéronnier, Bourrat et V. Boyer, MM. Brisson, Burgoa, Cadec, Cadic et Calvet, Mme Canayer, MM. Canévet, Capo-Canellas, Cardoux et Cazabonne, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chatillon et Chauvet, Mme Chauvin, MM. Cigolotti, Courtial et Cuypers, Mme L. Darcos, MM. Daubresse et de Belenet, Mmes de La Provôté et Demas, M. S. Demilly, Mmes Deroche, Deromedi et Deseyne, M. Détraigne, Mmes Di Folco, Dindar et Doineau, M. Duffourg, Mmes Dumas, Dumont, Estrosi Sassone et Eustache-Brinio, M. Favreau, Mme Férat, M. B. Fournier, Mmes C. Fournier, Garnier et Gatel, M. Genet, Mmes F. Gerbaud, Gosselin, N. Goulet et Gruny, MM. Guené et Gueret, Mme Guidez, MM. Henno et L. Hervé, Mme Herzog, MM. Hingray, Houpert et Husson, Mmes Imbert, Jacquemet et Jacques, M. Janssens, Mmes Joseph et M. Jourda, MM. Karoutchi, Kern, Klinger et Lafon, Mme Lassarade, MM. Laugier et D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Lefèvre, de Legge, Le Gleut, Le Nay et H. Leroy, Mme Létard, M. Levi, Mme Loisier, MM. Longeot, Louault, Le Rudulier et Longuet, Mmes Lopez et Malet, MM. Mandelli, P. Martin et Maurey, Mme M. Mercier, MM. Mizzon et Moga, Mme Morin-Desailly, M. Mouiller, Mme Muller-Bronn, MM. Nachbar et de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Paccaud, Panunzi, Paul, Pellevat, Pemezec et Perrin, Mme Perrot, M. Piednoir, Mme Pluchet, M. Poadja, Mme Primas, M. Prince, Mmes Puissat et Raimond-Pavero, MM. Rapin, Regnard, Reichardt, Rietmann et Rojouan, Mme Saint-Pé, MM. Saury, Sautarel, Savary et Savin, Mme Schalck, MM. Sido, Sol, Somon et Tabarot, Mme Tetuanui, M. Vanlerenberghe, Mmes Vérien et Vermeillet et MM. C. Vial et Vogel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Remplacer les mots :
Elle garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique
par les mots :
Elle préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 2.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement a pour objet, chacun l’a bien compris, puisque nous en parlons maintenant depuis de nombreuses heures, de réécrire l’article 1er pour éviter les effets, qui nous paraissent inconnus, du verbe « garantir ».
Il s’agit d’insérer, après la troisième phrase de l’article 1er de la Constitution, la phrase suivante : « [La France] préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique dans des conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004. »
L’intérêt de la rédaction, au-delà des analyses qui ont été faites depuis tout à l’heure sur la proposition gouvernementale, c’est d’établir à nouveau une articulation claire entre l’article 1er de la Constitution et la Charte de l’environnement.
Ensuite, il faut le reconnaître, il y a un aspect symbolique à ne pas négliger, mais il y a aussi la volonté d’inclure expressément dans notre loi fondamentale la lutte contre le dérèglement climatique, que la Charte elle-même ne mentionne pas.
Tel l’objet de l’amendement qui a été présenté à la commission des lois, laquelle a émis un avis majoritairement favorable. Je le rappelle, sur un texte constitutionnel, c’est le texte du Gouvernement qui vient en séance, et tous les amendements, ceux tant de la commission que des sénateurs, sont discutés dans l’hémicycle.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l’amendement n° 3.
M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. L’amendement de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable est identique à celui de la commission des lois. Il présente à mon sens trois avantages, juridique, politique et symbolique.
Pour ce qui est du juridique, le président de la commission des lois vient d’en parler, démontrant avec clarté en quoi cette nouvelle rédaction neutralise les risques soulevés par le Conseil d’État.
Politiquement parlant, comme il tend à rappeler le rôle central de la Charte de l’environnement à l’article 1er de la Constitution, je le vois comme une incitation à mener des politiques publiques plus ambitieuses dans le cadre sécurisant de la dynamique conciliatrice du développement durable – préservation de l’environnement, développement économique et progrès social –, sans pour autant créer de hiérarchie entre les principes constitutionnels ni d’incertitude quant à leur responsabilité.
Enfin, il y a un aspect symbolique en faveur de la préservation de l’environnement, de la diversité biologique et contre le dérèglement climatique. C’est un sujet qui est cher à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, donc je ne peux qu’être favorable à ce que cette mention figure à l’article 1er de notre Constitution, aux côtés des valeurs éminentes de la République. Rappelons que la France a été le premier État du Nord à faire référence au climat dans son texte fondamental.
Pour toutes ces raisons, cet amendement a été largement adopté par notre commission.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié.
M. Bruno Retailleau. Il s’agit donc d’un amendement identique à ceux des deux commissions, que, avec Hervé Marseille et de nombreux collègues, nous avons tenu aussi à déposer, mais je vais le présenter selon un axe un peu différent pour éviter des redites.
Monsieur le garde des sceaux, on ne perd jamais son temps, le dimanche matin, à lire le journal. On en a généralement pour son argent… (Exclamations sur plusieurs travées.)
Avant même que le Sénat n’examine ce texte en séance publique, ici dans l’hémicycle, avant même, d’ailleurs, que le dialogue ne se soit noué entre notre Haute Assemblée et l’Assemblée nationale, le Sénat était accusé de bloquer la révision et le référendum. C’était l’accusation lancée par un certain nombre de porte-parole, j’imagine, de l’exécutif et du Président de la République.
Je dois dire que c’est très injuste. On a déjà connu cette injonction de voter conforme par rapport à telle ou telle assemblée ; maintenant, il faudrait que l’on vote conforme par rapport à une assemblée de 150 citoyens tirés au sort ! En somme, c’est la démocratie du hasard ou la démocratie de la courte paille.
J’y insiste, je trouve que le reproche qui nous a été fait hier est particulièrement injuste. On ne peut pas reprocher aux commissions du Sénat, et au Sénat dans son ensemble, de faire un travail de fond. À cet égard, je voudrais saluer à la fois le président, rapporteur de la commission des lois, François-Noël Buffet, et Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Nos commissions ont procédé à cet examen après de nombreuses auditions, en tenant compte aussi de l’avis du Conseil d’État. Le verbe « préserver », que nous proposons, n’est pas une lubie du Sénat. Il a d’ailleurs été proposé, monsieur le garde des sceaux, par votre majorité, voilà un peu plus d’un an, et il a également été suggéré par le Conseil d’État.
Si nous le retenons, c’est pour deux raisons que je tiens à rappeler.
D’abord, le verbe « garantir », c’est l’introduction du virus de la décroissance dans notre Constitution (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.), au moment même où les trois quarts de nos concitoyens, selon la dernière étude, toute fraîche, de Fondapol, que je vous invite à lire, souhaitent que l’on puisse concilier et rendre compatibles le développement économique et le développement environnemental. C’est clair !
Ensuite, nous sommes le pouvoir constituant ; nous sommes les représentants du peuple et nous n’abandonnerons pas notre responsabilité pour un gouvernement des juges. Plusieurs orateurs l’ont martelé, c’est à nous que revient cette responsabilité. Or, le Conseil d’État l’a bien indiqué, cette révision ouvre un champ des possibles trop important.
Alors, monsieur le garde des sceaux, nous sommes tout à fait ouverts à un référendum. Je suis d’ailleurs curieux d’en connaître le résultat… (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Si le Président de la République le souhaite, il lui appartient d’entrer dans un dialogue.
M. le président. Il faut conclure !
M. Bruno Retailleau. Sinon, cela apparaîtrait comme une manœuvre, et la démocratie en serait abîmée, tout comme l’écologie, je le crois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. L’amendement n° 19 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 13, présenté par M. Benarroche, Mme Benbassa, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après le mot :
préservation
insérer les mots :
et l’amélioration constante
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Nous souhaitons intégrer dans les objectifs de préservation de l’environnement, de la diversité biologique et de lutte contre le dérèglement climatique la notion d’amélioration constante. Ce principe permettrait de consacrer une obligation positive pesant sur l’État quant aux exigences de protection de l’environnement qu’il s’est lui-même fixées.
L’objectif d’amélioration constante de l’environnement n’a aujourd’hui qu’une valeur législative, inscrite au 9° du II l’article L. 110-1 du code de l’environnement : « Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».
Afin de renforcer sa portée juridique et d’élargir son champ d’application, ce principe doit être élevé au rang constitutionnel, dans le but de lui conférer une valeur égale à celle des principes constitutionnels de droit de propriété et de liberté des entreprises, généralement utilisés pour autoriser la mise sur le marché, par exemple, des néonicotinoïdes et de certains produits phytosanitaires extrêmement nocifs pour la santé et l’environnement.
La France pourrait ainsi être juridiquement mieux armée pour se conformer aux objectifs instaurés par l’accord de Paris et, plus généralement, à ses engagements internationaux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de promotion de la résilience.
J’ajouterai que, si par extraordinaire, l’amendement identique présenté par les rapporteurs des deux commissions et par les groupes LR et UC n’était pas adopté, bien entendu, en cohérence avec la position que nous avons exprimée lors de la discussion générale, nous retirerions notre amendement, de sorte que le texte originel ne soit pas modifié et que l’on puisse aller jusqu’au référendum que M. Retailleau appelle de ses vœux. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par M. Kanner, Mme Bonnefoy, MM. Kerrouche, J. Bigot, Dagbert et Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Gillé, Houllegatte et Jacquin, Mme Préville, MM. Bourgi et Durain, Mmes Harribey et de La Gontrie, MM. Leconte, Sueur et Antiste, Mme Artigalas, M. Assouline, Mme Blatrix Contat, M. Bouad, Mme Briquet, M. Cardon, Mmes Carlotti, Conconne et Conway-Mouret, MM. Cozic et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, MM. Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mmes G. Jourda, Le Houerou et Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Marie et Mérillou, Mme Meunier, M. Michau, Mme Monier, MM. Montaugé et Pla, Mme Poumirol, MM. Raynal et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, Todeschini, M. Vallet et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Remplacer les mots :
et de la diversité biologique
par les mots :
, de la diversité biologique et de l’ensemble des biens communs mondiaux
La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Finalement, le Président de la République n’a plus qu’une seule idée en tête : sa réélection ! Mettons une petite couche de vernis vert sur le bilan et les Français n’y verront que du feu : voilà à quoi ressemble ce projet de loi constitutionnelle. C’est confondre la Constitution avec un tract de campagne ! Mais les Français n’ont pas la mémoire courte ! Ce gouvernement, c’est celui qui garantit l’utilisation, même provisoire, je vous le concède, des néonicotinoïdes et du glyphosate, l’artificialisation et le forage des sols, la persistance du chlordécone, la multiplication d’accords bilatéraux de libre-échange sans clause environnementale. C’est celui qui a affaibli les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, quand il ne les a pas tout simplement effacées.
M. René-Paul Savary. Eh oui !
M. Patrick Kanner. Mes chers collègues, voilà que ce même gouvernement s’estime, cette fois-ci sans filtre, lié à la lettre même d’une proposition de cette convention, une proposition que nous partageons, à savoir élever la protection de l’environnement au rang de garantie constitutionnelle.
Ce débat constitue aussi une occasion rare pour le Parlement d’enrichir notre arsenal constitutionnel en matière de protection de l’environnement.
Cela fait plus de 15 ans que le peuple français n’a pas été consulté. Cependant, la démocratie impose que ce référendum ne se réduise pas à un symbole dans une logique purement plébiscitaire. On aurait pu espérer l’inscription de la règle verte, du principe de la non-régression ou encore l’introduction d’un véritable crime d’écocide, mais le Gouvernement n’affiche aucune volonté de débat ouvert, de travail collectif. Il veut seulement faire endosser au Sénat – je crois que tout le monde l’a bien compris –, la responsabilité de l’échec d’une réforme constitutionnelle. Cette dernière année de mandat porte décidément la marque des manigances et des faux-semblants. La ficelle est un peu grosse !
Oui ! Non ! Oui, mais non ! Voilà à quoi ressemble la politique du Gouvernement, notamment pour la levée des brevets sur les vaccins.
Non ! Oui ! Peut-être ! On ne sait pas ! C’est la même chose pour cette réforme de la Constitution. Pas de référendum, référendum, puis nouveau renoncement… Monsieur le garde des sceaux, votre valse à trois temps se joue au détriment de nos compatriotes, et si vous aviez voulu plomber cette réforme constitutionnelle, vous n’auriez pas fait mieux.
En tout cas, l’absence d’un vote en termes identiques lors de cette première lecture ne fait pas obstacle à la tenue du référendum. C’est le b.a.-ba de la procédure de l’article 89. La discussion peut se poursuivre si vous le souhaitez.
Dans ce cadre, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se bornera à une seule proposition, à savoir celle qui a été portée par ma collègue Nicole Bonnefoy avec sa proposition de loi constitutionnelle, qui n’a malheureusement pas été acceptée le 10 décembre dernier…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Patrick Kanner. Je conclus : l’ensemble des biens communs mondiaux, au rang desquels figurent notamment le climat, l’eau, la santé, doivent être reconnus dans la Constitution. La France en sortirait grandie, monsieur le garde des sceaux, dans le prolongement du rôle qu’elle a joué dans les négociations sur la COP21 en décembre 2015 pour faire aboutir le premier accord universel sur le changement climatique.
Continuons à être exemplaires devant les autres États de cette planète.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Avec l’amendement n° 13, nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires veulent inscrire dans la Constitution que la France garantit non seulement la préservation de l’environnement, en conservant la rédaction proposée par le Gouvernement, mais aussi son amélioration constante.
C’est un avis défavorable, d’abord car l’amendement conserve le verbe « garantir », avec lequel la commission n’est pas d’accord. Ensuite, la Charte de l’environnement, dans son article 2, est parfaitement claire sur la notion d’amélioration, puisqu’elle dispose : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. »
Nous savons tous que la Charte de l’environnement a valeur constitutionnelle, puisqu’elle fait partie du bloc constitutionnel.
Dans l’absolu, votre amendement me semble satisfait, indépendamment du fait que vous conserviez le verbe « garantir ».
Enfin, sur l’amendement n° 11, c’est également un avis défavorable. Je rappelle que la notion « d’ensemble des biens communs mondiaux » reste encore trop floue pour être inscrite dans la Constitution française. Nous disposons d’un excellent travail sur ce sujet de notre collègue Arnaud de Belenet, auquel je vous conseille de vous référer. Rapportant sur un texte, il avait ainsi conclu en décembre dernier au rejet de l’utilisation de cette notion, compte tenu de son caractère encore insuffisamment défini.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. D’abord, un petit mot, ou quelques petits mots pour contextualiser ma réponse.
J’ai entendu les inquiétudes de l’un d’entre vous, qui se demandait où était la démocratie, un peu comme Diogène cherchait la justice. Mais la démocratie, elle est partout !
Certes, on peut ne pas penser du bien de la Convention citoyenne pour le climat. Certains, d’ailleurs, l’expriment avec beaucoup de liberté.
M. Bruno Sido. Et de talent !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Et de talent, naturellement !
Pourquoi pas ? Pour autant, 150 citoyens qui se réunissent et disent un certain nombre de choses, il faut les entendre. Le Président de la République les a entendues et a repris ces mots. À qui les a-t-il proposés d’abord ? Naturellement à l’Assemblée nationale. Cette dernière a également fait un travail, d’essence purement démocratique.
Pardonnez-moi, mais l’Assemblée nationale compte dans ses rangs des juristes. M. Bas disait que personne n’avait le monopole de l’écologie. C’est vrai, mais personne non plus n’a le monopole de la perfection juridique ! D’ailleurs, Mme la sénatrice Boyer a souhaité d’autres mots que ceux que la commission a retenus. Cela fait partie du débat démocratique. Chacun vient ici avec ses mots, et vous-même, monsieur le sénateur Retailleau, aviez proposé, avec M. Bas, d’ailleurs, une modification de la Constitution qui tournait autour de la laïcité, et vous étiez attaché aux mots que vous proposiez. Il est donc bien normal que le Gouvernement soit attaché aux siens. Que voulez-vous que je vous dise de plus ?
J’en viens au fond. Je vais d’abord essayer de répondre aux amendements identiques nos 2, 3 et 5 rectifié, lesquels ont pour objet de remplacer l’article en débat par un autre projet, en réalité, avec l’emploi de la formule « préserve l’environnement ».
Je ne peux qu’être défavorable à ce projet s’il tend, comme je le crains, à vider de sa substance l’avancée proposée par la Convention citoyenne sur le climat.
Vous reprochez au Gouvernement de faire une réforme inutile, que vous qualifiez aussi de dangereuse, ce qui est un oxymore, d’une certaine façon.
Avec cette rédaction, vous risquez de priver de toute portée la révision constitutionnelle que nous entendons mener en la rendant purement symbolique. En effet, cela n’ajouterait rien à ce que prévoit déjà la Charte de l’environnement, hormis la notion de dérèglement climatique, que nous proposons nous-mêmes. Vous considérez que l’intérêt de votre rédaction est d’opérer un renvoi à la Charte de l’environnement, mais un tel renvoi existe déjà dans le préambule de notre Constitution.
Ces amendements, s’ils étaient adoptés, fragiliseraient le droit applicable en matière environnementale en affirmant que la France préserve l’environnement « dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement ». Vous semblez exclure toute autre norme, et en particulier le code de l’environnement : or les règles applicables en matière de protection de l’environnement ne sont pas toutes prévues dans la Charte.
À l’inverse, le projet du Gouvernement apporte une véritable plus-value au droit actuel grâce à l’emploi du verbe « garantir », qui a précisément pour vocation de renforcer les engagements de la France en matière environnementale. Il s’agit là d’introduire une véritable obligation d’action positive à la charge des pouvoirs publics. Ainsi, l’emploi de ce verbe revient à imposer à l’État, selon les termes mêmes de l’avis du Conseil d’État, une quasi-obligation de résultat à assurer la préservation de l’environnement, ou, si vous préférez, une obligation de moyens renforcée.
L’intensité de l’engagement ainsi créé pourrait être la source d’un élargissement de la responsabilité pour faute de l’État, mais c’est à ce prix que le renforcement de l’action des pouvoirs publics se concrétisera. C’est une exigence impérieuse au regard de la dégradation actuelle de la situation, que vous soulignez vous-mêmes.
Pour ces raisons, le Gouvernement ne peut être, en l’état, que défavorable à ces amendements.
Puisque j’ai introduit mon propos en rassurant tout le monde sur le fait que la démocratie était bien présente dans le cadre de ces débats, je termine en précisant que la démocratie suivra son cours à travers la navette parlementaire, et, si nous ne sommes pas d’accord, nous nous plierons, monsieur le sénateur, aux aspirations du Parlement.
C’est vrai que c’est utile de lire le journal le dimanche. J’avais lu notamment que ce n’était pas la peine de venir ici. Je suis quand même venu, parce que je crois dans la démocratie, et je crois, comme je l’ai d’ailleurs déjà démontré, que l’on peut se rejoindre sur un certain nombre de textes, au-delà de ce qui peut nous séparer, grâce à un véritable travail constructif. Pour autant, je suis défavorable à ces trois amendements identiques.
Je suis également défavorable à l’amendement n° 13, présenté par M. Benarroche, qui veut intégrer le principe d’amélioration constante, aussi appelé principe de non- régression. Je me suis expliqué longuement déjà sur cette question.
Enfin, avec l’amendement n° 11, M. Kanner souhaite intégrer dans la Constitution la notion de « biens communs mondiaux ».