M. Laurent Burgoa. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la politique du logement social occupe une place essentielle dans notre République. Les acteurs du secteur et le parc immobilier font désormais partie de notre patrimoine national.
Ces acteurs expriment toutefois de vives préoccupations depuis le début du quinquennat, notamment à propos de la réduction de loyer de solidarité (RLS).
Cette mesure, adoptée dès la loi de finances pour 2018, consiste en une remise de loyer financée par les bailleurs sociaux. Son principal objectif est de réduire le coût des APL pour l’État.
Il est aujourd’hui nécessaire d’ouvrir le débat sur cette mesure, et ce pour au moins deux raisons.
La première, c’est le recul dont nous disposons aujourd’hui pour évaluer cette mesure. Il s’agit non pas de revenir à nos débats de l’automne 2017, mais bien de déterminer si ce dispositif a atteint ou non ses objectifs.
Sur ce premier point, le référé rendu public par la Cour des comptes début mars apporte de précieux éclairages.
Si la Cour constate que des économies ont été réalisées pour le budget de l’État, notamment en 2018 et 2019, elle remarque également que ces économies ont été moins importantes que les objectifs initiaux, puisqu’elles se situent entre 800 et 900 millions d’euros par an, contre 1,5 milliard d’euros initialement prévus.
De surcroît, elle explique que si ces économies ont été bénéfiques pour le budget de l’État, elles ont néanmoins eu des effets très négatifs pour les bailleurs sociaux, qui ont subi des pertes de ressources préoccupantes.
La seconde raison qui justifie ce débat tient aux effets de la crise sanitaire, qui emporte des conséquences importantes sur le logement social.
Le Gouvernement a annoncé la stabilisation de la RLS jusqu’en 2022, mais force est de constater que cela ne suffira sans doute pas pour relancer le logement et les investissements, tant 2020 a été une année noire pour le logement social. Un triste record a été atteint, seuls 90 000 logements ayant été agréés au cours de l’année. On a même constaté un recul d’activité à deux chiffres dans certaines régions, notamment en zones tendues.
Compte tenu de ces deux éléments – évaluation de la mesure et crise économique –, il paraît légitime de remettre en question la pertinence la RLS. Je partage à cet égard les deux recommandations formulées dans le référé de la Cour des comptes : il faut réexaminer le dispositif de la RLS d’ici à 2022 afin de le rendre plus lisible, moins complexe, mieux sécurisé et moins onéreux ; il faut aussi mettre en place des outils d’analyse partagés pour mesurer ses effets réels sur la situation financière et sur les capacités d’investissement des bailleurs sociaux.
Je voudrais, en guise de conclusion, contribuer à la réflexion sur ces outils d’analyse.
Les acteurs de terrain sont nombreux à nous indiquer que la RLS a été une fausse bonne idée. Cette mesure, dont le seul objectif, certes louable, était de réduire les dépenses de l’État, a créé des effets de bord importants pour les locataires et les bailleurs.
La RLS fait ainsi peser un risque important sur la mixité sociale dans le parc locatif. Les publics non précaires, qui doivent supporter une hausse de loyer, ont tendance à quitter les logements sociaux, notamment en dehors des zones tendues et en milieu périurbain et rural. Le logement social manque à sa vocation initiale s’il ne favorise pas la mixité sociale. Je pense que nous nous efforçons tous dans cet hémicycle de défendre cette mixité.
Notre groupe souhaite donc la révision de la RLS pour maintenir la capacité d’investissement des bailleurs sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. - Mme Valérie Létard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe CRCE et l’ancienne ministre Marie- Noëlle Lienemann de nous proposer ce débat sur la RLS, un dispositif qui a déjà donné lieu à de nombreuses discussions dans cet hémicycle.
Nous avons en effet, à de nombreuses reprises et sur toutes les travées, exprimé des interrogations et fait valoir notre opposition à la politique de logement lancée en grande pompe par le Gouvernement depuis 2017.
Que nous a-t-on dit sur le fameux « choc de l’offre », qui allait permettre de faire sortir de terre les 100 000 à 120 000 logements sociaux par an dont les Françaises et les Français ont besoin !
En effet, au-delà des 300 000 personnes sans logement que compte notre pays, des centaines de milliers de foyers mal logés cherchent un logement à la hauteur de leurs revenus. Quand on connaît la part des revenus que les ménages doivent aujourd’hui consacrer aux loyers, on mesure l’importance de développer le logement social dans de nombreux territoires, tout particulièrement dans les zones en tension.
On nous avait promis un choc de l’offre et un changement de modèle. De notre côté, nous avions alerté sur le risque de détruire celui-ci à force de vouloir appauvrir les différents bailleurs sociaux et optimiser leur fonctionnement pour réussir le choc de l’offre.
Le bilan, aujourd’hui, c’est 50 000 logements qui ne sont pas sortis de terre dans notre pays ! Dans certains territoires qui comptent plus de 75 % de ménages pouvant prétendre, en raison de leurs revenus, à un logement social, les demandes se multiplient et les temps d’attribution s’allongent. On peut invoquer les élections municipales ou la crise du covid, mais la baisse avait déjà commencé avant.
Pourquoi ? Pour faire des économies sur les dépenses sociales ! Nous le savons, c’est un objectif majeur de ce gouvernement et il passe avant tout autre.
Je m’interroge d’ailleurs, au-delà de la question de la RLS, sur le projet de trajectoire des finances publiques présenté par le Gouvernement il y a quelques jours : 65 milliards d’euros de dépenses publiques en moins d’ici à 2027 ! Va-t-on à nouveau sabrer le logement social pour atteindre cet objectif ?
En ce qui concerne plus précisément la RLS, chacun a pu constater une baisse de 7 % des investissements des bailleurs sociaux, ce qui ne peut qu’entraîner une dégradation progressive des conditions de logement et de la qualité de vie des locataires.
En outre, vous savez bien, madame la ministre, que nous devons investir massivement en faveur de la réhabilitation thermique des bâtiments, notamment des logements sociaux, afin de respecter nos engagements climatiques. De tels investissements ont évidemment un effet positif sur le climat, mais ils permettent aussi aux habitants de ces logements d’économiser du chauffage, ce qui tend à améliorer leur niveau de vie.
Or vous avez appauvri nos opérateurs du logement social, notamment du fait de la mise en place de la RLS. Comment, dans ces conditions, vont-ils être en mesure de remplir les objectifs sociaux et climatiques qui leur sont assignés ? C’est une véritable question.
Je pense que vous devez maintenant revenir en arrière, madame la ministre, tant sur la baisse des APL que sur les différentes ponctions que vous avez opérées sur les bailleurs sociaux. La situation l’exige : la Fondation Abbé Pierre parle d’une véritable bombe à retardement pour le logement dans notre pays. Des mesures s’imposent ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à réaffirmer tout mon attachement au modèle français du logement social et à souligner l’importance de l’action de ceux qui, tous les jours, mettent en œuvre la politique sociale du logement. Cette politique incarne la volonté de donner un logement digne à celles et ceux qui n’ont pas les moyens d’en trouver un sur le marché privé.
Cette action est d’autant plus déterminante qu’elle conditionne l’efficacité d’un bon nombre de politiques publiques, qu’il s’agisse de l’accès à l’emploi, de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion ou encore de la santé. Aussi est-il important de préserver le modèle français du logement social.
Toutefois, le préserver ne signifie pas que nous devrions être réduits à l’immobilisme, puisque la problématique du logement est elle-même dynamique.
En effet, les besoins en termes de logements sont fluctuants. Ils varient selon des exigences sociétales en constante évolution. L’offre de logement social doit donc pouvoir, elle aussi, se réinventer et s’adapter.
Le logement social a dû ainsi intégrer l’enjeu environnemental. Il compte d’ailleurs aujourd’hui parmi les secteurs stratégiques de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique.
Il doit également faire face aux effets du vieillissement de la population. Pour répondre à ce défi de l’âge, c’est tout l’habitat social qui doit être conçu de manière plus inclusive.
Il s’agit aussi de répondre à un besoin appelé à perdurer. C’est ce qui nous amènera prochainement à réfléchir à la pérennisation des objectifs de la loi SRU au-delà de 2025.
Ainsi, préserver le modèle français du logement social ne signifie pas que celui-ci doive rester figé. Bien au contraire ! Le préserver, on l’a vu, c’est être capable de le faire évoluer, de l’adapter aux exigences de son époque. Le préserver, c’est aussi être capable de le moderniser de manière à le rendre plus efficace.
C’est dans cet esprit qu’a été envisagée en 2018 la réduction de loyer de solidarité, en réponse d’ailleurs aux recommandations de plusieurs rapports de la Cour des comptes qui appelait à une rationalisation de la dépense publique en matière d’aide au logement.
La RLS consiste, je le rappelle, en une remise de loyer pour les locataires éligibles, sous condition de ressources. À cette réduction de loyer correspond une baisse quasi équivalente du montant des APL versées aux locataires concernés. Cette réduction étant financée par les bailleurs sociaux, elle a permis – et elle permet encore – à l’État de réduire la charge que représente le coût des APL pour les finances publiques.
M. Philippe Dallier. C’est la seule chose positive !
Mme Patricia Schillinger. La question sous-jacente à notre débat est donc celle de l’avenir de notre modèle de logement social. Celui-ci est-il véritablement menacé par la RLS, qui pèse entièrement, c’est vrai, sur les bailleurs sociaux ?
Si la Cour des comptes, dans son référé du mois de décembre, juge sévèrement ce dispositif, elle reconnaît dans le même temps que la RLS « a permis une nette réduction des dépenses de l’État pour le financement des APL, concourant ainsi au respect de la trajectoire budgétaire de la France ».
Près de trois ans après l’entrée en vigueur du dispositif, force est de constater que le secteur a bien été en mesure d’absorber la réforme.
M. Patrick Kanner. À quel coût !
Mme Patricia Schillinger. En effet, les bailleurs sociaux ont su mettre en œuvre une gestion plus active et plus efficace de leur parc et générer les économies budgétaires attendues, sans que cela nuise aux allocataires, qui en ont même profité.
J’ajoute que le secteur a bénéficié de mesures d’accompagnement, comme le gel du taux du livret A et la baisse du taux de TVA à 5,5 % pour les prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) et les opérations liées au nouveau programme national de renouvellement urbain. Il a aussi bénéficié du soutien de la Banque des territoires.
Toutefois, si les bailleurs sociaux se sont révélés en capacité, avec le soutien de l’État, d’absorber la charge que représente la RLS, cela a été rendu possible en grande partie par l’état des comptes du secteur, qui présentaient alors une grande capacité d’autofinancement. C’est notamment sur celle-ci qu’a entièrement reposé l’amortissement de la première année de RLS, soit près de 800 millions d’euros.
Aussi peut-on légitimement s’interroger sur la soutenabilité à long terme de ce dispositif, ainsi que sur la nécessité d’y apporter des modifications. Autrement dit, madame la ministre, dans l’hypothèse où le secteur connaîtrait une érosion de sa capacité d’autofinancement, est-il prévu d’accroître le soutien que l’État lui apporte ?
Pour conclure, je dirai qu’il est certes important que nous fassions ensemble le bilan de la RLS. Toutefois, cette réforme doit aussi être appréciée en lien avec celle des APL, qui est entrée en vigueur depuis le 1er janvier.
M. Patrick Kanner. Une mesure de droite !
Mme Patricia Schillinger. Cette réforme permet le calcul des aides au logement en temps réel et profitera à un grand nombre de ménages. Il s’agit d’une réforme juste et progressiste que le groupe RDPI ne peut qu’approuver.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat porte sur la réduction de loyer de solidarité, une dénomination pour le moins paradoxale, dès lors que ce dispositif consiste à faire supporter aux bailleurs sociaux une partie du budget des APL. En fait de solidarité, il s’agit donc, ni plus ni moins, d’un mécanisme de transfert de charges de l’État vers le secteur du logement social.
Vouloir porter atteinte à une aide en faveur des personnes en difficulté, quand bien même l’atteinte serait modique et compensée, pose question dans son principe même : cela fait peser un regard culpabilisant sur les personnes qui en bénéficient et plus généralement sur notre système de solidarité, trop souvent pointé du doigt comme excessivement coûteux.
C’est là un parti pris regrettable et une perte d’énergie. Or cette énergie serait sans doute mieux employée à trouver des solutions efficaces et adaptées pour remédier à la précarité qui s’est durablement installée dans notre pays. Ce parti pris est d’autant plus regrettable que le mécanisme imaginé par le Gouvernement a, au bout de trois années de mise en œuvre, montré ses limites.
Même si M. le ministre des finances se félicite que la réforme ait permis à l’État d’atteindre son objectif et de faire des économies substantielles, le procédé n’en est pas moins insidieux, puisqu’il salue la réalisation d’un second objectif : inciter les organismes HLM à une gestion plus efficace de leur parc. En clair, le ministre semble nous dire que les bailleurs n’étaient ni efficaces ni économes.
On touche là un second paradoxe, puisque la Cour des comptes souligne dans le bilan effectué dans son référé rendu public le 4 mars les risques induits par cette réforme. Amputé de près d’un milliard d’euros, le secteur du logement social a nécessairement vu ses marges de manœuvre contraintes, ce qui a eu un effet immédiat sur les dépenses d’entretien et de rénovation. Surtout, cette amputation présente un risque à moyen terme pour la politique d’investissement du secteur, sa capacité d’autofinancement étant réduite d’autant.
Dans mon département, le Pas-de-Calais, un office public HLM connu a perdu 7,5 millions d’euros, lesquels auraient permis des investissements de l’ordre de 50 à 70 millions d’euros en faveur de la réhabilitation, en particulier thermique, ou de la construction neuve.
Pour se projeter, les bailleurs doivent pouvoir s’appuyer sur une politique de loyers stable et prévisible. Or, avec l’introduction de la réduction de loyer de solidarité, le Gouvernement a instillé l’aléa réglementaire et la crainte d’une baisse arbitraire et unilatérale des loyers dans un contexte où le secteur avait déjà dû absorber des mesures d’ordre budgétaire, comme sa contribution à la Caisse de garantie du logement locatif social, le gel des loyers ou encore la hausse de la TVA sur les opérations immobilières.
Le Sénat, grâce à la plume – alerte, naturellement ! – de Philippe Dallier, rapporteur spécial du projet de loi de finances pour 2020, avait lui-même identifié les risques qui pesaient sur les sources de financement du logement social.
Alors, oui, l’État a fait des économies, mais c’est au détriment du parc HLM et de nos concitoyens, qu’ils soient locataires ou inscrits sur la – longue – liste d’attente pour l’attribution d’un logement social.
Le jeu en valait-il la chandelle ? Dès 2018, la Caisse des dépôts et consignations avait pointé du doigt le risque réel attaché à cette réduction imposée aux bailleurs et évoqué un ratio d’autofinancement nul à l’horizon 2040.
L’État a d’ailleurs concédé son erreur, puisque, dans le cadre des concertations menées avec les représentants des bailleurs, il a accepté de renforcer les mesures de correction et de compensation, alors que, dans le même temps, Action Logement proposait un plan d’investissement volontaire pour accompagner le secteur.
Alors, n’a-t-on pas là, finalement, l’illustration de la fausse bonne idée : contestable dans ses fondements, complexe dans sa mise en œuvre, limitée dans ses effets ?
Mon propos n’est pas de défendre l’inaction ni de nier la nécessité de réaliser des économies, ici comme dans d’autres secteurs. C’est la méthode que l’on peut critiquer : pointer du doigt ; opposer les catégories entre elles ; consulter sans réellement concerter ni entendre ; précipiter la décision sans attendre les conclusions de l’étude d’impact préalable ; concéder des ajustements plutôt que remettre en cause.
La Cour des comptes sollicite une évaluation de cette réforme. Celle-ci doit être rapide, en particulier pour appréhender les effets du nouveau mode de calcul des APL, entré en vigueur le 1er janvier de cette année et consistant à prendre en compte en temps réel l’évolution des ressources des allocataires, ce qui conduira à procéder plus fréquemment à des ajustements de la RLS.
Surtout, la construction de cette évaluation doit se faire avec la bonne méthode : il faut associer à la définition des outils et des critères les principaux intéressés – les bailleurs – et renoncer au postulat que cette réforme était forcément la bonne. C’est à ce prix que celle-ci pourra être comprise et acceptée et qu’elle pourra concilier deux objectifs fondamentaux, qu’il est trop facile d’opposer : la maîtrise de nos dépenses publiques et la préservation de notre filet social. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe CRCE a souhaité débattre aujourd’hui de l’effet de la réduction de loyer de solidarité sur les bailleurs sociaux et de la menace que ce dispositif représente pour l’avenir du logement social tel que nous le concevons, c’est-à-dire à vocation non résiduelle.
Plus qu’un débat technique, il s’agit ici de dénoncer l’assèchement global et l’externalisation du financement des politiques publiques du logement, qui ont fait les frais depuis le début de ce quinquennat de la politique du rabot.
Incarnée par la baisse des APL dès l’été 2017, cette politique s’est poursuivie avec la loi ÉLAN, marquant une étape supplémentaire vers la dérégulation, la marchandisation de ce secteur et la banalisation des acteurs du monde HLM, pourtant pivots des politiques publiques du logement.
Cette loi a ainsi participé à soumettre le logement social à des logiques purement comptables, encourageant notamment la vente du parc HLM. Elle s’articule avec la réduction de loyer de solidarité engagée dans la loi de finances pour 2018, dont le seul l’objectif était de réduire les dépenses de l’État au titre des APL, versées à 2 millions de locataires dans les HLM. Par un jeu habile, cette « charge », qui relève pourtant de la solidarité nationale, est passée de l’État aux organismes HLM.
Les lois de finances successives ont accompagné ce mouvement d’économies, estimées initialement à 1,5 milliard d’euros, puis ramenées à 800 millions les premières années et à 1,3 milliard sur la période 2020-2022.
La RLS a ainsi conduit à priver les bailleurs sociaux de 4,5 % de leurs recettes de loyers. Dans mon département, la Dordogne, cela représente une perte annuelle de 2,5 millions d’euros pour Périgord Habitat, organisme public HLM qui gère 10 000 logements. Cette perte ampute la capacité de production de ce bailleur de l’équivalent de treize logements par an.
Le référé de la Cour des comptes de décembre dernier a confirmé nos craintes, la Cour reconnaissant l’extrême fragilité dans laquelle ont été placés les organismes et bailleurs sociaux. Elle reconnaît le caractère injuste de ce mécanisme, puisque sa charge a davantage affecté les offices publics HLM, qui accueillent une plus grande proportion de ménages modestes et qui pratiquent des loyers faibles. Elle a aussi relevé que l’autofinancement a diminué, conduisant à une réduction des investissements et à une diminution des dépenses d’entretien courant de 7 %.
Alors que nous allons examiner le projet de loi Climat et résilience, nous sommes dubitatifs sur la capacité des bailleurs sociaux à participer, dans ces conditions, à la lutte contre la précarité énergétique. Un ménage sur cinq est pourtant en situation de précarité énergétique dans notre pays !
Par ailleurs, le rapport pointe le fait que des bailleurs tardent à s’engager dans le nouveau programme national de rénovation urbaine, alors même que la situation se dégrade dans les quartiers populaires.
Enfin, la baisse de l’autofinancement rend les bailleurs plus dépendants de l’emprunt et donc de la variation des taux d’intérêt.
Face à ce constat implacable, nous estimons que les réponses formulées sont décevantes et ne constituent nullement des pistes sérieuses d’évolution. Pourtant, l’urgence est là et les chiffres sont parlants. Il n’y a jamais eu aussi peu d’agréments de logements sociaux : seuls 87 500 logements sociaux ont été agréés en 2020, soit une baisse de 17 % par rapport à 2019. En parallèle, le mal-logement touche désormais 4 millions de nos concitoyens.
Pour remédier à cette situation, un nouveau protocole d’engagement a été signé le 19 mars dernier entre l’État et les bailleurs HLM : il fixe les objectifs de construction à 250 000 logements en 2021 et 2022.
Pour rendre crédible cet engagement, nous pensons qu’il faut changer de braquet et donner concrètement aux organismes sociaux les moyens de remplir leur mission d’intérêt général au service du droit au logement pour tous, un objectif à valeur constitutionnelle.
À nos yeux, ce changement de paradigme passe par un retour pérenne de l’État dans le financement des aides à la personne, mais aussi dans celui des aides à la pierre, qu’il a totalement abandonnées. Il faut cesser de ponctionner le 1 % Logement pour compenser ces désengagements.
Par ailleurs, le secteur du logement fonctionne depuis un siècle sur deux jambes : une publique et une privée. Cet équilibre doit être maintenu et les organismes HLM soutenus dans leur diversité.
D’autres leviers doivent pouvoir être utilisés : réduction de la charge foncière, mais également révision de la loi SRU afin de la renforcer. Dans ce cadre, et alors que les objectifs de mixité sont plus que jamais d’actualité, nous regrettons que le projet de loi 4D prévoie de reporter à 2031 les objectifs de construction. Le séparatisme se situe aussi à ce niveau-là !
Pour conclure, mes chers collègues, nous espérons que le Gouvernement entendra la demande, quasi unanime sur les travées du Sénat, d’abandonner la RLS, à l’heure où nous avons plus que jamais besoin de politiques sociales et écologiques dans lesquelles le logement prend une place essentielle. D’autres pays, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, qui ont pratiqué il y a une trentaine d’années des politiques comme celle que nous connaissons aujourd’hui en France, l’ont bien compris et investissent aujourd’hui massivement dans le secteur du logement social. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Létard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Létard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, s’il y a bien une réforme qui fait toujours autant débat depuis sa mise en œuvre il y a trois ans, c’est bien celle de la réduction de loyer de solidarité.
Nous pouvons nous satisfaire de la finalité de cette réforme, qui visait à réduire les loyers des foyers occupant un logement social et percevant de trop faibles revenus. Mais derrière cette intention plus que louable se cachent des mécanismes financiers et opérationnels que nous ne pouvons nier ou passer sous silence – les interventions de mes collègues l’ont bien montré.
Tout d’abord, l’impact sur le budget de l’État a été, somme toute, assez relatif. La RLS représente pour l’État une économie budgétaire de 800 millions d’euros en 2018 comme en 2019. Elle a rapidement été corrigée à la hausse par la clause de revoyure de 2019 : un montant annuel de 1,3 milliard d’euros, et ce jusqu’à 2022, est désormais économisé par l’État au titre des APL, ce montant étant supporté par les bailleurs sociaux.
Ensuite, les organismes HLM doivent supporter de leur côté les effets réels de la RLS. L’impact financier est considérable sur leurs recettes. En effet, peu lisible et finalement assez complexe, la RLS a instauré une réelle pression sur les bailleurs sociaux qui la supportent, en se faisant ponctionner en net : cela représente aujourd’hui près d’un milliard d’euros, soit en moyenne 5 % des loyers. Force est de constater que ce dispositif revient à faire financer par les bailleurs sociaux une diminution de l’engagement de l’État dans les APL.
En outre, les capacités d’investissement des bailleurs sociaux sont affectées. En effet, ce sont bien les recettes, et plus particulièrement les loyers futurs, qui conditionnent leur capacité d’endettement, leur besoin en subventions ou encore le niveau des fonds propres – or ces derniers sont nécessaires pour financer les projets d’investissement. Ainsi, en prenant l’initiative de diminuer le niveau des loyers perçus, ce qui constitue une perte nette de recettes, l’État est venu contraindre les plans de financement des bailleurs.
La logique est pourtant simple : le plan de financement d’un logement neuf dépend du niveau des loyers futurs et de la capacité d’apport en fonds propres, elle-même conditionnée par les revenus perçus sur le parc de logements du bailleur déjà amorti. Par conséquent, si on veut soutenir la production de logement social, il ne faut pas amoindrir les sources de financement sur lesquelles elle repose. C’est pourtant ce qui est fait !
N’oublions pas en outre que le niveau des loyers est nécessairement incertain sur la durée d’amortissement d’un logement social, que ce soit en raison de l’évolution, imprévisible, du taux de vacance, qui est lié à la demande locale, ou encore du risque d’impayé.
N’oublions pas non plus que les ressources des bailleurs ont subi nombre d’autres mesures délétères. Je ne citerai que deux exemples : la hausse de la contribution des bailleurs à la Caisse de garantie du logement locatif social et le relèvement de 5,5 % à 10 % du taux de TVA applicable aux opérations immobilières dans le secteur du logement social, encore en vigueur sur certaines opérations.
Toutes ces mesures sont venues comprimer la capacité d’investissement des organismes et de facto la production de logements. La RLS, qui pèse indéniablement à long terme sur l’activité du logement social, est donc apparue comme un nouveau coup de massue.
J’en veux pour preuve ce que vivent deux organismes dans le département du Nord.
Pour l’office départemental, Partenord Habitat, la réforme se traduit par une perte annuelle de 10 millions d’euros de fonds propres en loyers ponctionnés au titre de la RLS, pour un parc de 47 000 logements. Cela représente sur deux ans la rénovation thermique de 4 000 logements, au moment même où la France doit engager massivement de tels travaux, en particulier pour les logements classés F et G. Une telle perte peut évidemment être lissée, mais elle ne sera jamais rattrapée.
Pour la société immobilière Grand Hainaut (SIGH), qui est une entreprise sociale pour l’habitat (ESH) de près de 30 000 logements, la réforme s’est traduite par une perte nette de 18,4 millions d’euros depuis 2018, l’équivalent de 440 logements neufs qui auraient pu être construits et qui ne l’ont pas été…
Je ne suis pas la seule à faire ce constat.
Dès la mise en œuvre de la RLS, la Caisse des dépôts et consignations a mis en garde contre les conséquences d’un tel dispositif. Cette crainte était partagée par la Fédération des offices publics de l’habitat, qui anticipait une diminution progressive du ratio autofinancement-loyers : elle prévoyait que celui-ci passerait de 9,8 % en 2017 à 1,4 % sur la période 2023-2027. L’Insee a d’ailleurs constaté une chute de l’investissement des organismes de plus de 2 milliards d’euros entre 2017 et 2019.
Enfin, la Cour des comptes s’est saisie du sujet et a rendu, dans un référé en date du 22 décembre 2020, ses premiers constats – ils ont été rappelés et ils parlent d’eux-mêmes.
Au-delà de l’impact de la RLS sur l’activité du logement social elle-même, je souhaite pointer du doigt l’effet de sa mise en œuvre pour les collectivités et l’économie locales.
Les collectivités, en particulier les agglomérations et les départements, supportent souvent une partie du risque financier pris par les offices pour construire, en leur accordant des garanties d’emprunt. Cela signifie que, en cas de défaillance des organismes, la dette pourrait être reportée sur ces collectivités. Nombre d’entre elles ont anticipé ce risque, en octroyant dans le cadre de conventions pluriannuelles un soutien financier substantiel. J’en veux pour preuve le soutien de la Métropole européenne de Lille à son office, LMH : il s’élève à 114,4 millions d’euros sur une période de dix ans, notamment pour faire face à la mise en place de la RLS.
Il est aussi une évidence que nous ne pouvons pas nier : l’impact de la RLS sur les capacités d’investissement des bailleurs sociaux et l’effort consenti par les collectivités de rattachement des offices publics ont, et auront davantage demain, des répercussions non négligeables sur l’activité économique nationale, plus spécifiquement sur celle de la filière du bâtiment, et ainsi sur l’emploi.
À l’heure où les collectivités et les bailleurs sociaux s’engagent, avec les fédérations du bâtiment, dans des pactes de relance économique et de maintien de l’emploi et où le Gouvernement contractualise des déclinaisons territoriales du plan de relance national avec les collectivités locales, le dispositif de la RLS ne devrait-il pas être sujet à ajustement ?
Par ailleurs, comme Dominique Estrosi Sassone l’a indiqué, l’ensemble des mesures qui ont été prises, quand elles sont mises bout à bout, nous placent dans une situation extrêmement délicate si nous voulons atteindre les objectifs ambitieux qui ont été fixés en matière de production de logements, de mobilisation du foncier et de rénovation.
La question qui se pose à nous aujourd’hui est donc double. Sur le principe, faut-il ajuster ou repenser plus globalement la RLS ? Sur le fond, à quels ajustements faudrait-il procéder ?
Sur la question de principe, madame la ministre, vous avez répondu à la Cour des comptes que « le dispositif de la réduction de loyer de solidarité est désormais stabilisé » et que « toute évolution qui pourrait être envisagée en 2022 nécessiterait une étude approfondie ». Devons-nous en déduire que toute proposition d’évolution est dès à présent vouée à être rejetée par le Gouvernement ou pouvons-nous encore espérer une amélioration de la situation au bénéfice des bailleurs et de la production de logements sociaux dans notre pays ?
En ce qui me concerne, je partage pleinement la position de nos magistrats financiers. Permettez-moi dans ces conditions de formuler à mon tour quelques observations. Dans son référé, la Cour des comptes a évoqué l’idée de restreindre l’application de la RLS aux seuls allocataires des APL. Cet ajustement semble être empreint de bon sens ; il aurait le mérite de redonner un peu de cohérence au dispositif et de réduire son effet sur les bailleurs sociaux.
Au-delà de cet ajustement, j’insisterai sur deux défis de taille auxquels le monde du logement social doit répondre et qui sont de plus en plus difficiles à relever.
Le premier défi est la mise en œuvre opérationnelle du nouveau programme national de rénovation urbaine (NPNRU).
Bien que le ministère du logement défende, études à l’appui, la bonne absorption de la réforme par les bailleurs sociaux, en se fondant sur le fait que leur potentiel financier reste quasiment stable, l’autofinancement du secteur HLM a diminué. Cela a entraîné une réduction des investissements, qui se traduit par un retard de l’engagement des bailleurs dans le NPNRU. De leur côté, les partenaires sociaux et Action Logement sont au rendez-vous. Ne pourrions-nous pas concevoir un État aux côtés des bailleurs sociaux pour relever ce défi, en repensant et en ajustant la RLS dans certains territoires ?
Le second défi est la construction de 250 000 logements sociaux en deux ans. Le protocole d’engagement signé le 19 mars dernier acte une volonté commune de relever ce défi de taille, mais les chiffres laissent penser que les objectifs seront difficiles à atteindre.
Permettez-moi pour conclure, madame la ministre, de vous interroger sur vos ambitions pour le projet de loi de finances pour 2022. Nous espérons évidemment que la ponction sur Action Logement ne sera pas renouvelée et que l’on nous fichera un peu la paix avec la RLS.
Comme vous le rappelez souvent, il nous faut à la fois engager des investissements massifs en faveur de la rénovation et produire davantage de logements. Pour cela, arrêtons les injonctions contradictoires, laissons les acteurs de ce secteur reprendre leur respiration ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER et CRCE. – M. Laurent Burgoa applaudit également.)