Mme Jocelyne Guidez. L’article L. 141-5-1 du code de l’éducation interdit le port de signes religieux ostentatoires dans l’enceinte des établissements scolaires en ces termes : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »
Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève. La pratique de la religion étant un sujet particulièrement sensible et intime, il apparaît indispensable de réaffirmer que la logique de médiation, d’explication et de dialogue doit prévaloir dans le cas où un élève contreviendrait à cette interdiction. Il paraît également indispensable d’associer les parents ou les responsables légaux à cette démarche afin que celle-ci soit mieux comprise et donc mieux appliquée.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. Nous sommes là dans l’application concrète de la loi de 2004, laquelle interdit le port de signes et de tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les collèges et dans les lycées.
On peut imaginer que, lorsqu’un élève veut se soustraire à cette interdiction, un dialogue s’établit entre les responsables de l’établissement et les parents. Néanmoins, cela n’est pas inscrit noir sur blanc dans l’article L. 141-5-1, que vous proposez de modifier en ce sens. C’est pourquoi la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je partage l’esprit de cet amendement, parce qu’il est important qu’une médiation intervienne quand se posent des problèmes de ce type. Dès les travaux préparatoires de la loi de 2004 et dans le texte lui-même, cet aspect a été prévu. C’est surtout le cas dans les textes suivants, comme la circulaire d’application ou le beaucoup plus récent vade-mecum de la laïcité, produit par le conseil des sages de la laïcité.
Je partage cette proposition, mais elle me semble satisfaite. C’est pourquoi l’avis est défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Pour être très franc, je ne comprends pas très bien l’avis favorable de la commission. Je suis d’accord sur le principe, mais, quand j’enseignais, une conversation entre l’enseignant ou le chef d’établissement et l’élève suffisait très souvent pour que les choses rentrent dans l’ordre sans débat supplémentaire. Si l’on inscrit dans la loi que la discussion doit être systématique avec l’élève, mais aussi avec ses parents ou ses représentants, on complique sérieusement cette conversation en la rendant formelle, bloc contre bloc. À mes yeux, c’est trop.
Je peux comprendre que l’on discute avec l’élève et, si cela ne suffit pas, avec ses représentants légaux, mais il me semble que prévoir immédiatement de le faire avec l’élève et ses représentants pourrait compliquer sérieusement les débats à l’intérieur des établissements.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. J’éprouve les mêmes difficultés que Roger Karoutchi. Je le dis amicalement au rapporteur pour avis.
La loi de 2004, après des débats complexes, est aujourd’hui bien appliquée et est apaisante. Je suis de ceux qui considèrent qu’il ne faut pas toucher à un texte lorsque celui-ci fonctionne parfaitement et que les équilibres ont été trouvés. Il y a ainsi, dans les codes, certains textes majeurs qui ont joué un rôle d’équilibre apaisant. Moins l’on y touche, mieux notre démocratie se porte.
J’ai donc quelques réserves vis-à-vis de cet amendement, sur lequel M. le rapporteur pour avis pourrait peut-être apporter des précisions.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. Que les choses soient bien claires : il n’est pas question de faire un usage systématique de cette procédure. Dès lors que l’on constate une infraction à la loi de 2004, la première réaction des acteurs éducatifs, CPE ou chef d’établissement, sera d’entamer un dialogue avec l’élève pour lui faire comprendre qu’il doit respecter cette interdiction. C’est lorsque l’on arrive au stade disciplinaire que la mesure en question entre en jeu. À ce moment-là, l’amendement tend à imposer un dialogue avec les familles.
Il ne s’agit donc pas de convoquer les parents dès lors que l’on constate une entorse à l’interdiction. Nous n’en sommes pas un tel niveau de complexité. Cela concerne le niveau disciplinaire. On procéderait systématiquement à l’entretien avec la famille avant l’exclusion, par exemple.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Je vais suivre l’avis de la commission et voter cet amendement, lequel offre un moyen d’impliquer les parents, auxquels on reproche souvent d’être absents de l’école.
Comme le rapporteur pour avis vient de le souligner, cette mesure intervient au stade disciplinaire. Les parents ont alors un rôle à jouer. Ils doivent être présents dans l’éducation des enfants.
Je trouve cet amendement tout à fait à propos. Je remercie notre collègue Jocelyne Guidez de l’avoir déposé.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 40 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 531 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Bacchi, Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 24 decies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 1° de l’article L. 421-2 du code de l’éducation est complété par les mots : « et dans les collèges, les délégués départementaux de l’éducation nationale ».
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Nous souhaitons rappeler par cet amendement l’importance du rôle des délégués départementaux de l’éducation nationale (DDEN), qui doivent être représentés dans les établissements scolaires.
Les délégués départementaux de l’éducation nationale sont des bénévoles. Ils sont investis d’une fonction officielle : ils veillent aux bonnes conditions de vie de l’enfant, à l’école et autour de l’école, et au respect de la laïcité. Garants des valeurs républicaines, ils agissent en appliquant les principes fondateurs de l’école publique : égalité, gratuité, laïcité.
Ni usagers, comme les parents, ni directement acteurs, comme les enseignants, ces délégués sont de véritables partenaires de l’école publique et s’associent à la communauté éducative dans le seul objectif de défendre l’intérêt des élèves. Leur indépendance leur donne notamment un rôle de médiateur entre les enseignants, les parents d’élèves, la municipalité et les services académiques.
Comme ces délégués sont membres de droit du conseil d’école et membres du conseil départemental de l’éducation nationale, nous proposons qu’ils soient également membres des conseils d’administration des collèges. Nous estimons que leurs compétences concernant les écoles et leur connaissance approfondie du fonctionnement de l’éducation nationale et des interactions entre professeurs et élèves leur donnent un niveau d’expertise utile pour enrichir le travail de ces conseils d’administration.
Je rappelle que nous avions défendu un amendement identique en 2019, à l’occasion de la discussion de la loi pour une école de la confiance, qui avait alors reçu un avis favorable du rapporteur, M. Brisson, comme de M. le ministre. Le Sénat l’avait adopté à l’unanimité, mais il avait été supprimé en commission mixte paritaire. Ce qui était vrai en 2019 l’est encore aujourd’hui. Aussi, par cohérence, j’imagine que cette proposition recevra à nouveau deux avis favorables et sera adoptée à l’unanimité. Formons le vœu qu’elle passe, cette fois-ci, la rampe de la commission mixte paritaire !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. S’agissant de la commission mixte paritaire, je ne peux rien vous garantir. (Sourires.) En revanche, vous l’avez rappelé, cet amendement avait été adopté au Sénat, dans le cadre de l’examen de la loi pour une école de la confiance, après avoir reçu un double avis favorable.
Par cohérence, la commission s’est prononcée de nouveau en faveur de l’implication des délégués départementaux de l’éducation nationale, qui sont des partenaires importants de l’école et de la défense de la laïcité.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Cette proposition est intéressante à plusieurs titres. Elle rappelle notamment le rôle très important des DDEN, ce que l’on ne saurait trop souligner. Il est particulièrement pertinent de l’évoquer dans une discussion parlementaire comme celle que nous avons maintenant, car ils ont un rôle à jouer en matière de défense des valeurs de la République et de la laïcité.
Faut-il pour autant prévoir la systématicité de leur présence dans les conseils d’administration ? Je me pose la question. Vous savez que ma pente est favorable, puisque vous avez rappelé que j’avais déjà exprimé un avis favorable, mais, pour être franc avec vous, je n’ai plus en tête les tenants et aboutissants du rejet de cet amendement à l’occasion de la précédente commission mixte paritaire ; c’est pourquoi mes propos sont teintés d’une certaine prudence.
Je n’ai donc aucun problème avec l’esprit de cet amendement. En effet, les DDEN peuvent être une quille du bateau et apporter beaucoup. Je suis d’ailleurs enclin à les mobiliser quand cela s’avère nécessaire. Toutefois, votre proposition pourrait emporter des difficultés pratiques de disponibilité dans les nombreux établissements de France, mais aussi de pertinence, puisque cette évolution se ferait probablement au détriment des personnalités qualifiées de l’établissement, qui font partie du conseil d’administration. Dans le cadre du droit actuel, il est évidemment possible d’inviter un DDEN, et l’on pourrait systématiser cette invitation, mais pas nécessairement par voie législative.
Par prudence, au regard des raisons qui ont conduit au rejet de cet amendement lors de la CMP, je m’en remets à la sagesse du Sénat, en indiquant néanmoins que je comprends l’intérêt de votre proposition.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 24 decies.
L’amendement n° 575 rectifié, présenté par MM. Roux, Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et M. Requier, est ainsi libellé :
Après l’article 24 decies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 551-1 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le projet territorial d’éducation souscrit aux objectifs de la charte de la laïcité ainsi qu’au respect du principe d’égalité entre les hommes et les femmes. »
La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. Le projet éducatif territorial permet d’organiser les activités périscolaires, qui ont vocation à s’adresser à tous les enfants. Cet outil, qui rassemble les collectivités locales et la communauté éducative, a pour objectif de favoriser le développement personnel de l’enfant, tant au niveau de ses aptitudes intellectuelles et physiques que de son implication dans la vie en société. Veiller à la qualité des activités proposées fait partie des objectifs du projet éducatif territorial.
Par cet amendement, nous souhaitons que figure clairement dans ses objectifs le respect de la charte de la laïcité et du principe d’égalité entre les hommes et les femmes. Il s’agit ainsi d’appuyer les grandes lignes de ce projet de loi, qui entend notamment réaffirmer les valeurs de la République pour mieux lutter contre les dangers du séparatisme pesant sur certains enfants. Dans cette lutte contre les atteintes à la laïcité, tous les moyens, à tous les niveaux, doivent être mobilisés pour favoriser l’apprentissage précoce du vivre ensemble, garant de la cohésion sociale dans notre pays.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. Cet amendement tend à ce que le projet territorial d’éducation souscrive aux objectifs de la charte de la laïcité. Cela permettrait de s’assurer que le temps périscolaire, et donc tous les temps de l’enfant dans l’école, est concerné par cette charte. Je trouve cela intéressant et cohérent.
La commission a donc émis un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Cet amendement est intéressant et vient rappeler que nous sommes désormais, depuis juillet 2020, un ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, j’aime à y insister. Je fais souvent référence à Jean Zay à ce propos, car le même état d’esprit nous anime : parvenir à une vision complète du temps de l’enfant.
Les enjeux liés à la laïcité peuvent parfois être bien respectés dans le cadre du temps scolaire et souffrir pendant le temps périscolaire, comme cela peut être vrai pour d’autres sujets, d’ailleurs. C’est pourquoi disposer d’une vision cohérente des valeurs a du sens, même si, selon les espaces dans lesquels on se trouve, les règles peuvent être différentes.
C’est l’occasion pour moi d’insister sur le fait que nous adoptons de plus en plus une approche d’alliance éducative, comme cela apparaît au travers des projets de cités éducatives ou de territoires éducatifs ruraux, des lieux où l’on met tout un village autour de l’enfant. On y coordonne non seulement les acteurs de l’éducation nationale, mais aussi ceux de la jeunesse et des sports, des collectivités locales et du monde associatif, tous ceux qui, ensemble, peuvent agir sur les facteurs sociaux de la réussite de l’enfant et le faire grandir dans les valeurs de la République.
C’est pourquoi agir sur les projets éducatifs de territoire peut faire sens ; cette référence explicite me paraît donc plutôt bienvenue.
J’émets un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Dagbert, pour explication de vote.
M. Michel Dagbert. Monsieur le ministre, vous avez étendu le périmètre en évoquant le projet éducatif territorial et même au-delà, ce qui me donne l’occasion d’intervenir dans le débat.
Que penser, en effet, de ce concept de laïcité, de ses valeurs et des principes forts qu’il porte, si nous ne sommes pas en mesure de les appliquer dans l’ensemble de la sphère publique ? J’ai notamment à l’esprit le premier rendez-vous proposé à notre jeunesse : la Journée défense et citoyenneté, laquelle, dans mon département, est organisée depuis plusieurs années au sein de la maison diocésaine d’Arras.
J’ai déjà eu l’occasion à maintes reprises de dire à quel point cela me choquait. Un ministre de ce gouvernement s’y est même rendu il y a quelque temps, je m’étais fait excuser. On m’a rétorqué, à cette occasion, que je me trompais sur la définition de la laïcité. Je ne pense pas que cela soit le cas.
Cette invitation à la jeunesse a un caractère obligatoire, les jeunes concernés devant y sacrifier pour passer le bac ou le permis de conduire. Or un certain nombre de jeunes ne se reconnaissent ni de cette religion ni d’une autre. Je peux ainsi vous citer le cas de mon fils, qui s’est présenté pour donner aux gendarmes sa convocation, mais a indiqué qu’il ne resterait pas si la réunion se tenait dans ce lieu.
Je souhaite profiter de ce débat pour rappeler que la laïcité n’est pas à géométrie variable. J’ai même posé la question en tant que président du département, le 2 juin 2015, en préfecture du Pas-de-Calais, en présence du correspondant défense. J’ai demandé simplement que l’on m’indique le montant payé au diocèse pour jouir de ces salles et le coût du repas délivré aux enfants. Président d’un département qui compte 121 collèges avec restauration, j’avais une idée des prix qui pouvaient être pratiqués pour délivrer les repas, et nous étions disposés à ouvrir nos établissements pour accueillir les jeunes.
Depuis ce temps-là, chaque année et à chaque session, les jeunes sont accueillis à la maison diocésaine. Je n’ose imaginer, monsieur le ministre, qu’il s’agisse là d’un financement déguisé de la part de l’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Michel Dagbert. Il n’y a pas eu de réponse !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. En effet !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 24 decies.
L’amendement n° 528 rectifié bis, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Bacchi, Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 24 decies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le second alinéa de l’article L. 912-1-1 du code de l’éducation est ainsi rédigé :
« Les élèves, leurs parents ou leurs représentants légaux ne peuvent porter atteinte à cette liberté. »
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. L’article L. 912-1-1 du code de l’éducation dispose que « la liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection ». Son deuxième alinéa contient toutefois une disposition surprenante : « Le conseil pédagogique […] ne peut porter atteinte à cette liberté. » Cela paraît incompréhensible.
Nous souhaitons remplacer cette dernière phrase manifestement obsolète par une autre qui nous semble plus intéressante : « Les élèves, leurs parents ou leurs représentants légaux ne peuvent porter atteinte à cette liberté. » Nous visons les comportements des élèves qui, dans la classe, ne veulent pas entendre la pédagogie du professeur, se bouchent les oreilles ou lui tournent le dos. L’adoption de cet amendement permettrait demain à l’enseignant de contrer cette forme de refus de la pédagogie.
De la même façon, nous voyons trop souvent les parents intervenir directement dans la pédagogie de l’enseignant, dans les choix d’œuvres, dans les disciplines. Une nouvelle fois, il s’agit donc de renforcer la liberté pédagogique.
Nous avons voté de façon quasi unanime le délit d’entrave, avec des peines extrêmement sévères. Le dispositif proposé ici est beaucoup plus pratique et vise à renforcer l’autorité du professeur sur ses élèves dans la classe.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. Comme l’a indiqué notre collègue, cet amendement est complémentaire au délit d’entrave que nous avons voté à l’article 4 bis, avec un autre périmètre et d’autres objectifs.
Nous évoquions la place des parents à l’école, celle-ci ne saurait donner lieu à une immixtion dans la liberté pédagogique et dans le cours des enseignants tels qu’ils conçoivent de le déployer au cours de l’année.
Cet amendement permet de rappeler la liberté pédagogique des enseignants, qui doit être protégée face aux parents et aux élèves. La commission, de manière très cohérente, a émis un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Monsieur le sénateur Ouzoulias, pour complaire au président Kanner, je vais vous faire une réponse substantielle, je m’en excuse par avance auprès de la présidente de séance.
Le sujet est très important, parce qu’il souligne la question de la liberté pédagogique, dont les contours méritent d’être toujours précisés. Elle est déjà consacrée dans la loi de 2004, mais aussi dans la loi pour une école de la confiance. Au sujet de son article 1er, les commentaires ont beaucoup insisté sur la dimension d’exemplarité ; n’oublions pas, toutefois, que le point le plus important se trouve sans doute dans la deuxième phrase, qui impose une obligation de respect vis-à-vis du professeur de la part des élèves, mais aussi de la part de leurs familles. Bien entendu, cette conviction est très ancrée en moi, comme en beaucoup de Français : on respecte le professeur, il est au centre de la société, et sa liberté pédagogique.
S’agissant des enjeux de laïcité, sous-jacents à cette liberté, ils sont malheureusement tristement d’actualité au titre de l’affaire Samuel Paty, mais aussi, chacun l’a vu, en Angleterre. C’est inquiétant, et cela corrobore ce que nous avons dit sur ces sujets ces derniers mois. Les prémices de cet incident ressemblent terriblement à l’affaire Paty : un professeur exerce sa liberté pédagogique et se trouve contesté par des parents qui s’estiment blessés par le fait que l’enseignant a parlé de liberté d’expression au travers de caricatures. Or cela a donné lieu à des réactions que je qualifierais de lâcheté.
Mon objectif n’est pas de m’étendre sur la vie interne de l’Angleterre, mais de revenir sur un point qui a été très bien évoqué par plusieurs sénateurs depuis le début de nos débats. La laïcité n’est pas un concept chétif et défensif, mais correspond, sous tous les cieux, à quelque chose que tout le monde peut comprendre : nous voulons vivre bien, fraternellement, en nous respectant les uns les autres, sans pression religieuse des uns sur les autres. C’est bien le sens de tout ce que nous faisons.
Trop souvent, au cours des débats, notamment au sujet des enjeux intergénérationnels, on a eu le sentiment que la laïcité serait un principe un peu vieillot et désuet. À mes yeux, c’est tout le contraire. Parfois sous d’autres noms dans d’autres pays, par exemple secularism chez les Anglais, elle veut dire quelque chose et elle est défendue par des gens qui pensent la même chose que nous aujourd’hui. Nous devons donc la porter fortement.
Je fais ce détour pour dire que je partage l’esprit de vos propos et que, comme l’a rappelé le rapporteur pour avis, le texte dont nous sommes en train de discuter consacre le délit d’entrave et va donc loin pour interdire que l’on empêche un fonctionnaire, en l’occurrence un professeur, d’exercer son métier. Le faire serait commettre un délit.
Ce projet de loi va plus loin que votre proposition. La liberté pédagogique est par ailleurs consacrée doublement par la loi. Votre amendement me semble donc largement satisfait, mais il est exact que nous devons encore avancer, de manière infralégislative, sur ces questions. C’est pourquoi j’ai demandé il y a plusieurs mois à la direction générale de l’enseignement scolaire, en lien avec l’inspection générale, de travailler sur cette question presque contractuelle entre les parents et l’école.
Tout système éducatif tire ses qualités de la formation des professeurs, dont nous parlons beaucoup, mais aussi de la relation entre les parents et l’école, à travers tout ce qui permet de la nourrir, notamment le dialogue. Ce n’est pas un point fort du système français, et nous devons l’améliorer.
Cette relation prend trop souvent une forme un peu agressive, à la faveur d’une certaine nervosité qui traverse notre société. Nous devons donc tout faire pour qu’elle soit empreinte de respect, d’apaisement et de dialogue. C’est pourquoi les textes infralégislatifs qui découleront, au cours des prochains mois, de ce travail interne sont importants.
Vous voyez que ma pente est favorable à l’esprit de votre amendement. Néanmoins, je vous invite à le retirer, car il me semble satisfait.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, je vous entends bien, mais, ainsi que cela a été fort bien dit à l’Assemblée nationale, le délit d’entrave ne peut être opposé à un mineur dans une classe ; il s’agit d’une disposition lourde.
Nous visons ici quelque chose de plus modeste, qui s’opère directement dans la classe. Il serait complètement aberrant que le texte protège l’enseignant contre son conseil pédagogique et pas contre les enfants ou leurs familles. Peut-être allez-vous m’en citer, mais je ne connais pas de cas d’obstruction dirigée par le conseil pédagogique contre l’enseignant.
Les enseignants sont très désemparés face à un élève qui se met le dos au mur, qui se place au fond de la classe et qui, sans entraver le cours, adopte une attitude passive de refus de la pédagogie. Cette disposition leur donne une base légale tout de suite pour intervenir et déférer l’enfant devant le conseil de discipline, parce que celui-ci aura commis une faute envers l’autorité pédagogique de l’enseignant, que cet amendement tend à restaurer.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Pour la deuxième fois de la journée, je dis à Pierre Ouzoulias que je regrette de ne pas avoir pensé à écrire la même chose que lui. Je partage totalement son amendement et la manière dont il l’a présenté.
Lorsque nous avions travaillé sur l’article 4 bis, j’avais dit au garde des sceaux que j’étais devenu professeur pour vivre pleinement la liberté pédagogique et que j’y étais particulièrement attaché – bien évidemment, soyez rassuré, monsieur le ministre, dans le respect des programmes et des instructions ministérielles.
L’article L. 912-1-1 me paraît daté, il renvoie à d’autres débats. À certaines époques, face à certaines modes portées par les conseillers pédagogiques, il était nécessaire de protéger la liberté pédagogique de professeurs qui voulaient conserver des méthodes qui leur appartenaient, pourvu que celles-ci s’inscrivent dans le cadre du respect des programmes et des instructions ministérielles.
La proposition du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, présentée par Pierre Ouzoulias, à laquelle le rapporteur pour avis s’est dit favorable, vise à actualiser ce texte. Aujourd’hui, malheureusement, des pressions, des entraves s’exercent. Je suis favorable à ce que nous inscrivions dans cet article L. 912-1-1 l’apport de Pierre Ouzoulias. Je voterai cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je voterai également cet amendement.
Nous devons réaffirmer notre soutien aux enseignants, dont la liberté doit être protégée. Pendant ma campagne sénatoriale, j’ai été assez effaré d’entendre des enseignants me raconter que l’école était parfois perturbée par des enfants qui recevaient en cours des directives de leurs parents par SMS.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Je serai bref, car un consensus semble se dégager dans l’hémicycle.
J’ai eu raison de vous interpeller lors d’un rappel au règlement, monsieur le ministre, pour vous dire que nous voulions vous entendre et que votre parole était forte. Manifestement, vous partagez le fond de l’amendement de Pierre Ouzoulias. C’est le rôle du Parlement d’améliorer la loi quand elle est insuffisante.
Nous le voyons dans nos permanences et à travers nos contacts avec le monde enseignant, les professeurs sont soumis à des pressions insupportables. Ils ont besoin d’être confortés, rassurés, rassérénés par la loi de la République ! Mon groupe votera cet amendement.