Sommaire
Présidence de Mme Laurence Rossignol
Secrétaires :
Mmes Esther Benbassa, Françoise Férat.
2. Système des ressources propres de l’Union européenne. – Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Jean-François Husson, rapporteur de la commission des finances
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
M. Clément Beaune, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive, par scrutin public n° 80, du projet de loi dans le texte de la commission.
3. Communication relative à une commission mixte paritaire
4. Accord fiscal avec Monaco. – Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission des finances
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
5. Mise au point au sujet d’un vote
6. Prorogation de l’état d’urgence sanitaire. – Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi
Discussion générale :
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
Mme Françoise Férat.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Système des ressources propres de l’Union européenne
Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom (projet n° 303, texte de la commission n° 307, rapport n° 306).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État. (MM. François Patriat et André Gattolin applaudissent.)
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme d’une négociation qui a duré plusieurs années s’agissant du budget de l’Union européenne pour la période 2021-2027, et huit mois seulement – un peu moins, en réalité – pour ce qui est du plan de relance, je suis très heureux de me trouver au Sénat afin de présenter ce projet de loi.
Ce texte, qui comporte un article unique, a en effet pour objet d’autoriser le Gouvernement à approuver la décision sur les ressources propres adoptée par le Conseil de l’Union européenne le 14 décembre 2020.
Comme vous le savez, les traités européens prévoient que cette décision ne peut entrer en vigueur qu’après approbation par l’ensemble des États membres suivant leurs procédures nationales respectives. En ce qui concerne la France, l’article 53 de notre Constitution prévoit que l’approbation doit faire intervenir une loi, donc être votée par le Parlement.
Cette décision sur les ressources propres est un exercice traditionnel, qui revient tous les sept ans ; en l’espèce, le présent texte vise à concrétiser les résultats inédits et historiques obtenus à l’issue d’une négociation extraordinaire à la fois par son ampleur et par la gravité de la crise dans laquelle nous sommes et qui a accompagné sa conclusion.
Cette négociation a permis à la France de faire avancer – j’en suis convaincu – un certain nombre d’idées anciennes qu’elle portait et porte plus que jamais en réponse à cette crise.
En premier lieu, ce texte permet la mise en œuvre du volet relatif aux recettes de ce qui est, depuis le 1er janvier dernier, notre cadre commun européen, budgétaire et d’action politique, pour les sept prochaines années. Il permet en effet le déploiement du cadre financier pluriannuel 2021-2027 que j’évoquais, qui est doté, sur cette période de sept ans, de précisément 1 074 milliards d’euros, soit une augmentation de 12 % par rapport à la période précédente, alors que le contexte est celui de la sortie du Royaume-Uni.
La période budgétaire qui s’est ouverte le 1er janvier est ainsi marquée par le renforcement très important, en particulier à la suite de l’accord final trouvé avec le Parlement européen en novembre dernier, des moyens consacrés à plusieurs politiques fondamentales, prioritaires pour la France.
Je pense notamment à la politique de mobilité internationale étudiante, le programme Erasmus +, doté d’un peu plus de 26 milliards d’euros, soit un quasi-doublement par rapport à la période 2014-2020.
Je pense aussi aux 95 milliards d’euros qui abondent le programme de recherche dit « Horizon Europe », soit une hausse de près de 50 % par rapport à la précédente période budgétaire ; à l’augmentation d’un tiers des moyens du programme spatial européen, si essentiel à notre indépendance et à notre souveraineté technologiques et militaires ; aux plus de 5 milliards d’euros consacrés à un nouveau programme spécifique relatif à la santé, qui a notamment permis l’acquisition des premiers vaccins dont nous bénéficions aujourd’hui.
Ces diverses dotations interviennent de surcroît dans un contexte où nous avons pu préserver le budget de la politique agricole commune et renforcer les moyens de la politique de cohésion – vous savez qu’il n’y avait là rien d’acquis ni d’évident, loin de là, puisque la première proposition de la Commission, au printemps 2018, prévoyait un recul de 15 milliards d’euros des fonds consacrés à la politique agricole commune.
Nous avons, à l’issue de cette négociation, obtenu la stabilisation des paiements directs à nos agriculteurs sur les sept prochaines années et le renforcement de la politique qui finance les investissements de nos régions, en particulier dans les outre-mer.
Il est par ailleurs prévu, dans ce nouveau cadre budgétaire européen, que 30 % des dépenses soient consacrées à la transition énergétique et climatique et qu’aucune dépense ne puisse être jugée contraire à ladite transition – la Commission s’en assure via une méthodologie commune.
Mesdames, messieurs les sénateurs, de manière inédite dans les circonstances exceptionnelles liées à la crise, ce texte sur les ressources propres permet également la mise en œuvre du plan de relance de 750 milliards d’euros agréé par les chefs d’État et de gouvernement le 21 juillet dernier et définitivement adopté au niveau européen au mois de décembre dernier.
Il autorise le financement de ce plan de relance par une dette européenne commune et solidaire, qui était, là encore, sans doute impensable voilà quelques semaines.
Vous le savez, ce plan est le fruit d’une initiative franco-allemande lancée le 18 mai 2020, qui a fini, non sans difficultés, par aboutir à ce changement de paradigme. Il y a encore moins d’un an, le principe d’un emprunt européen restait un tabou. Je ne dis pas – nous aurons l’occasion d’en débattre – que cet emprunt ne soulève pas un certain nombre de questions, et j’espère, à ces interrogations, pouvoir répondre ce matin.
Néanmoins, il est absolument vital si nous voulons apporter une réponse immédiate à une crise extraordinaire dont nous ne pourrons nous sortir, tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique, que si cette réponse est commune, européenne : en matière de vaccins comme de relance économique, il est inconcevable qu’un pays puisse s’en sortir si ses voisins européens ne s’en sortent pas eux-mêmes.
Cette crise a donc changé la donne : nous avons compris, à cette occasion, que nous avions besoin d’une réponse européenne massive et partagée ; nous avons compris que les outils budgétaires européens qui étaient à notre disposition étaient désormais insuffisants face aux besoins, en particulier dans certains États membres particulièrement touchés par la pandémie et par ses conséquences économiques.
Il est vrai aussi que les taux d’intérêt sont suffisamment faibles pour que nous puissions recourir à l’emprunt dans des conditions sûres, économiquement et financièrement raisonnables.
C’est la démonstration du succès d’un engagement européen et d’une méthode qui, sans être nouvelle, a été réactivée ces derniers mois, dans le cadre d’un effort collectif : une discussion franco-allemande, au départ difficile, qui a permis un accord entre nos deux pays ; une proposition de la Commission européenne au nom de l’intérêt commun des Vingt-Sept ; un débat entre l’ensemble des États membres pour construire et finaliser, sur un sujet aussi sensible, un accord unanime, obtenu – je le disais – l’été dernier, avalisé par le Parlement européen et désormais soumis à chaque parlement national pour ce qui concerne le volet relatif aux recettes, c’est-à-dire la mise en œuvre effective de l’ensemble de ce plan budgétaire. Telles sont nos procédures démocratiques !
Le plan de relance financera plus de 40 % du plan de relance français, soutenant nos initiatives dans l’ensemble des domaines visés par ce plan – vous avez eu l’occasion de les discuter et de les voter lors de l’examen du projet loi de finances pour 2021 notamment. Au titre des actions prioritaires ainsi financées, je citerai nos initiatives en faveur des jeunes, de la formation, de nos entreprises, de la transition écologique, de la rénovation énergétique des bâtiments, et j’en passe.
Pour le dire autrement, ce vote est essentiel au déroulement complet et rapide du plan de relance français dont nous avons grand besoin.
Au niveau européen, il permet de coordonner l’accélération des transitions verte et numérique. En la matière, nous avons inscrit des objectifs communs dans le plan de relance de l’Union européenne : au moins 37 % de dépenses en faveur de la transition écologique ; au moins 20 % en faveur de la transition numérique, en complément du budget ordinaire de l’Union.
En outre – c’est la troisième avancée que je souhaite évoquer –, cette décision du Conseil engage la rénovation profonde, pour la première fois depuis les années 1970, du système des ressources propres de l’Union européenne, avec la création, à vrai dire symbolique à ce stade – il s’agit d’un simple ajustement de notre système de ressources propres –, d’une forme de bonus-malus sur le recyclage du plastique, mais aussi, plus profondément et de manière beaucoup plus importante, avec la définition d’une feuille de route et d’un calendrier précis de mise en place progressive de véritables ressources propres nouvelles, agréés à vingt-sept et partagés avec le Parlement européen ; ce dernier en a fait, d’ailleurs, une condition de son approbation du budget et du plan de relance.
Ces nouvelles ressources propres permettront, par leur logique même, d’affirmer la solidarité européenne en mettant fin aux logiques de juste retour et aux calculs de soldes nets, sans doute nécessaires, mais à vrai dire stériles, car donnant une image très incomplète des bénéfices que nous retirons de l’Union européenne.
Elles permettront également de renforcer ladite solidarité en donnant à l’Union européenne des outils nouveaux au service de ses politiques publiques prioritaires, et surtout de financer cette relance européenne, de telle sorte que le remboursement du plan ne pèse pas sur les citoyens ou sur les entreprises de l’Union européenne.
Ainsi, très concrètement, de nouvelles ressources propres feront l’objet d’une proposition législative de la Commission européenne – tel est l’engagement pris – dès le premier semestre 2021, concernant deux volets précis : la taxation des services numériques et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui vise à ce que nos engagements climatiques ne se heurtent pas à l’application d’exigences moins fortes à l’égard de ceux qui exportent vers notre continent.
La mise en œuvre de ces deux ressources est prévue au plus tard d’ici au début de 2023 – cela fait partie de l’accord trouvé entre le Parlement européen et le Conseil à la fin de l’année 2020. Nous devons désormais accélérer dans la conduite de ce combat, que la France défend activement et qui sera une priorité de l’agenda de la présidence française de l’Union européenne, laquelle commence dans moins d’un an, puisqu’elle aura lieu au premier semestre 2022.
Toutes ces avancées sur le plan budgétaire s’accompagnent par ailleurs d’un renforcement, là encore inédit, de la garantie de nos valeurs, grâce à un règlement spécifique prévoyant un mécanisme de conditionnalité lié au respect de l’État de droit.
Vous le savez, ce nouvel instrument a été fortement débattu ; il a été un temps refusé par deux États membres, avant que nous ne trouvions un accord à l’occasion du Conseil européen des 10 et 11 décembre derniers. Cet accord préserve intégralement l’outil législatif qui avait été voté, donc ce mécanisme nouveau, cela sans ralentir la mise en œuvre de la relance au niveau européen – telles étaient nos deux conditions.
Parce que l’Europe n’est pas qu’un grand marché, parce qu’elle est un projet politique de souveraineté et de valeurs, ces dernières doivent aussi faire l’objet d’une exigence renforcée.
À ce stade, mesdames, messieurs les sénateurs, quatre de nos partenaires européens seulement ont approuvé la décision sur les ressources propres qui vous est présentée aujourd’hui : l’Italie, la Croatie, la Slovénie et Chypre.
Je note néanmoins que la précédente décision relative aux ressources propres avait donné lieu, à l’occasion du précédent cadre financier pluriannuel, à une approbation étalée sur deux ans ; cette fois, les engagements pris par nos partenaires indiquent que, compte tenu de l’importance et de l’urgence de la relance, nous pourrons sans doute procéder à cette approbation d’ici au mois de mai au plus tard, ce qui constitue, en la matière, un record.
Si votre assemblée adopte ce texte et autorise l’approbation de cette décision par le Gouvernement, nous serons l’un des premiers États membres à avoir achevé le processus consistant à approuver cette dette commune et ce plan de relance.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que cette décision est d’apparence technique, mais son article unique cache des enjeux multiples et essentiels, et je suis convaincu que ce texte est primordial.
Par votre vote, vous montrerez, je l’espère, votre soutien à une Union européenne qui a su surmonter ses tabous, parfois ses lenteurs, parfois ses défauts, en réponse à une crise sanitaire et économique dans laquelle nous ne pouvons agir et réussir qu’ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Colette Mélot et M. Didier Marie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés ce matin à examiner le projet de loi autorisant l’approbation de la décision du Conseil du 14 décembre dernier relative au système des ressources propres de l’Union européenne.
Cette nouvelle décision constitue le volet « recettes » du budget européen pour la période 2021-2027, le volet « dépenses » étant couvert quant à lui par le cadre financier pluriannuel.
La grande nouveauté de ce budget réside essentiellement dans la réponse que les États membres ont souhaité donner aux conséquences économiques de la crise sanitaire, avec l’instauration d’un instrument de relance européen, financé par un emprunt sur les marchés de capitaux.
Pourquoi fallait-il réagir vite et fort au niveau européen ? Parce que, loin de constituer un choc symétrique, la crise sanitaire a touché plus durement les pays européens déjà fragilisés économiquement et budgétairement, au risque d’ailleurs de renforcer la divergence déjà constatée entre États à la suite de la crise financière et de la crise des dettes souveraines.
Afin de prévenir le risque de fragmentation de l’Union européenne, la mise en place d’un instrument de relance européen financé par l’emprunt s’est donc imposée. La crise sanitaire a ainsi, en quelque sorte, rebattu les cartes d’une négociation engagée entre les États membres en 2018 et qui, il faut le reconnaître, peinait à aboutir.
Pour la première fois, en effet, l’Union européenne devrait s’endetter pour financer solidairement des dépenses, et non de simples prêts, à une échelle suffisamment importante pour que celles-ci entrent dans une logique de stabilisation macroéconomique.
Les subventions européennes versées au titre de la « facilité pour la reprise et la résilience » pourraient financer 46 % du seul plan de relance de la France. Le taux de préfinancement de 13 % finalement retenu permettrait un premier versement de l’ordre de 5,2 milliards d’euros d’ici à la fin du premier semestre. Une première tranche pourrait ensuite être débloquée d’ici à la fin de l’année et atteindre la cible de plus de 17 milliards d’euros en comptabilité nationale fixée en loi de finances.
Reste maintenant à savoir si, dans le contexte d’un rebond épidémique, le plan de relance français pourra réellement être mis en œuvre dans le calendrier prévu ; mais convenons qu’il s’agit d’un autre sujet.
Parallèlement, le montant des emprunts sur les marchés de capitaux s’élèverait à 750 milliards d’euros d’ici à 2026 : 360 milliards d’euros pour fournir des prêts et 390 milliards d’euros pour couvrir des dépenses.
Ce soutien de grande ampleur est opportunément assorti de « verrous » juridiques et politiques. Ainsi, la décision relative aux ressources propres encadre strictement l’emprunt : son montant – 750 milliards d’euros –, sa finalité – il doit être réalisé à la seule fin de faire face aux conséquences de la crise sanitaire –, sa temporalité – le remboursement du capital devrait ne débuter qu’en 2028 et s’achever en 2058 au plus tard.
Par ailleurs, toute révision de cet instrument de relance supposerait d’obtenir l’unanimité au Conseil de l’Union européenne et l’approbation de chacun des États membres. Un retour devant les parlements nationaux serait donc indispensable pour transformer cet instrument temporaire en mécanisme permanent d’inspiration fédérale.
L’instrument de relance européen a néanmoins été obtenu au prix de concessions mutuelles.
D’une part, alors même que la France figure parmi les États pour lesquels la chute du PIB devrait être la plus forte en 2020, elle devrait être aussi contributrice nette au titre de la facilité pour la reprise et la résilience, qui porte 80 % des subventions. En l’absence de nouvelles ressources propres, la contribution nette s’élèverait à environ 0,8 % du PIB, étalée sur trente ans.
Pour autant – j’y reviendrai –, en dépassant cette vision strictement comptable et en tenant compte des retombées économiques à attendre du plan de relance européen, la France, il faut le dire, devrait tirer son épingle du jeu. En outre, je rappelle que l’effort de notre voisin et partenaire historique, l’Allemagne, est plus de deux fois supérieur au nôtre.
D’autre part, l’issue de la négociation n’a pas permis de mettre fin aux rabais, en dépit de la sortie du Royaume-Uni. Les États membres qui en bénéficient sont en effet parmi les principaux contributeurs nets à l’instrument de relance… C’est encore une fois, disons-le, monsieur le secrétaire d’État, une occasion manquée, même si l’on peut se réjouir que le niveau de la contribution française au financement de ces rabais diminue d’environ 20 %.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la mise en place d’un instrument de relance européen était nécessaire pour surmonter la crise que traversent les États membres en ce moment ; elle constitue selon moi un pas en avant pour la construction européenne, l’Union montrant ainsi sa capacité à agir collectivement et solidairement.
Pour autant, son succès réel reste à construire. C’est là mon principal point de vigilance à l’égard de cette décision. En effet, son ambition n’est pas seulement de soutenir la demande en sortie de crise, dans une logique keynésienne, mais aussi de stimuler la croissance européenne potentielle par l’investissement et par les réformes, en particulier dans les pays fragilisés qui bénéficient pour la première fois de subventions de grande ampleur, afin d’accélérer leur rattrapage économique.
De ce point de vue, la bonne utilisation des fonds européens dans le cadre des plans nationaux pour la reprise et la résilience sera cruciale.
Or la gouvernance retenue est le résultat d’un compromis fragile entre les pays « frugaux » d’Europe centrale et du Nord et les pays du sud de l’Europe.
Tout se jouera donc dans la mise en œuvre de ce compromis, et il faudra que la Commission européenne prenne ses responsabilités pour bloquer les financements si certains États membres « dérapent », comme l’y autorisent d’ailleurs les textes européens au titre de ses missions de surveillance et de vigilance.
Si ce plan est mis en œuvre comme attendu, la contribution nette de la France devrait pouvoir être contrebalancée par les retombées économiques de cette relance européenne coordonnée.
En première approximation, avec un taux de prélèvements obligatoires de l’ordre de 45 %, un surcroît d’activité cumulé de l’ordre de 2 % du PIB serait suffisant pour compenser l’augmentation de la contribution nette attendue de la France ; or il s’agit de l’estimation la plus pessimiste aujourd’hui disponible.
Par ailleurs, et c’est très important, seule l’introduction de nouvelles ressources propres permettra de soulager les budgets nationaux. À défaut, ces derniers se retrouveront en première ligne pour rembourser le plan de relance, la contribution annuelle de notre pays au remboursement du capital de l’emprunt étant estimée à 2,5 milliards d’euros à compter de 2028.
Parmi les différentes options, la ressource fondée sur le système d’échange des quotas d’émissions me paraît la plus pertinente à l’heure actuelle : le système d’échange existe déjà ; cette ressource pourrait susciter des recettes très élevées ; enfin, elle serait cohérente avec les politiques environnementales européennes, ainsi qu’avec l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050.
De façon complémentaire, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières se justifie à plusieurs titres, en raison de ses rendements potentiellement élevés notamment, et parce qu’il s’inscrit dans l’esprit du pacte vert pour l’Europe. En outre, cette ressource ne se substituera pas à des recettes aujourd’hui perçues par les budgets nationaux.
S’agissant enfin de la taxation des services numériques, je resterai prudent quant à la possibilité d’avancer dans les délais espérés au niveau européen, même si je vous sais, monsieur le secrétaire d’État, plus optimiste que moi. N’oublions pas non plus que nous ne parviendrons à une solution efficace qu’au niveau de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le présent projet de loi. Une telle adoption ne constituerait aucunement un blanc-seing, sachant qu’il existe des limites à cette décision – elle est le fruit de compromis –, que je me suis attaché à rappeler devant vous.
Enfin, la commission des finances de notre assemblée sera particulièrement attentive au suivi de la mise en œuvre du plan de relance européen, via notamment les travaux de contrôle budgétaire de notre collègue Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial sur la participation de la France au budget de l’Union européenne, que je sais particulièrement soucieux d’exercer cette vigilance et de permettre à la France de maîtriser l’ambition qui est la nôtre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Jean-Marie Mizzon et Didier Marie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en mai 2018, la Commission européenne présentait sa proposition de cadre financier pluriannuel de l’Union européenne pour la période 2021-2027.
Notre assemblée s’était positionnée sur les priorités à financer avec cette enveloppe d’environ 1 100 milliards d’euros ; puis est survenue l’épidémie de covid-19. Le choc exceptionnel que ce virus a représenté pour l’Europe a conduit la Commission à revoir sa copie : elle a donc mis sur la table, en mai 2020, une nouvelle proposition, doublant presque la mise pour répondre à la pandémie par un instrument de relance de 750 milliards d’euros, financé par un emprunt commun.
Le Sénat a aussitôt adopté une résolution européenne pour marquer son soutien de principe à cette proposition, tout en s’inquiétant de son financement. Le Conseil européen du 21 juillet 2020 est ensuite parvenu à s’accorder sur les grandes lignes du budget et du plan de relance, la négociation n’ayant malheureusement pas permis de revenir sur les rabais, dont nous espérions la suppression.
Enrichi d’une conditionnalité sur l’État de droit, ce volet « dépenses » a été définitivement adopté en décembre dernier, parallèlement à l’adoption du volet « recettes », c’est-à-dire la décision relative aux ressources propres qu’il nous revient d’examiner aujourd’hui.
Cette décision, qui prévoit notamment le lancement d’un emprunt commun au nom de l’Union européenne, doit en effet être approuvée par chacun des États membres pour entrer en vigueur.
Notre assemblée se trouve donc devant une responsabilité historique : permettre, ou non, le financement du plan de relance européen. Mais je voudrais souligner qu’elle n’a pas cessé d’exercer cette responsabilité au fil des derniers mois, quand, à l’initiative de sa commission des affaires européennes, elle a soutenu le principe de ce plan de relance.
Il n’en reste pas moins aujourd’hui plusieurs questions de fond à débattre.
Tout d’abord, pourquoi une relance européenne financée par un emprunt commun ? Parce que la pandémie frappe toute l’Union et que cette épreuve partagée appelle notre solidarité commune, non pas au nom d’un fédéralisme qui ne dirait pas son nom, mais au nom des valeurs qui fondent le projet européen, et aussi, disons-le, au nom de notre intérêt bien compris : l’interconnexion entre les économies européennes est telle que la santé économique des uns conditionne celle des autres.
Après avoir longtemps résisté à tout emprunt commun, la chancelière Merkel a fini par se convaincre de la nécessité d’une telle décision : elle a compris que l’Allemagne ne sortirait pas de la récession sans sauver aussi les autres économies européennes, qui sont ses clients ou ses fournisseurs. Un plan de relance européen massif s’impose donc, à titre exceptionnel, pour répondre à une situation elle-même exceptionnelle créée par la pandémie.
Au vu du passif accumulé par notre pays, nous sommes nombreux ici à préférer éviter toute nouvelle dette ; mais comment financer ce plan de relance européen autrement que par l’emprunt, qui permet d’étaler la charge ?
La question n’est donc pas de savoir si la France aurait pu emprunter plus ou moins cher les 46 milliards d’euros que lui promet l’Europe ; elle est de savoir si, au fond, jouer en solo serait vraiment dans l’intérêt de notre pays. Il serait étrange que cela soit dans l’intérêt de la France, mais pas dans celui de l’Allemagne…
Autre question : pourquoi financer cet emprunt commun par de nouvelles ressources propres européennes ?
Sur les 750 milliards d’euros que l’Union européenne est autorisée à emprunter, une part sera mise à disposition des États membres sous forme de prêts, que chacun aura à charge de rembourser, et une autre sous forme de dotations budgétaires : ce sont ces 390 milliards d’euros de subventions qui feront l’objet d’un remboursement mutualisé.
Comment rembourser cette dette ? De deux choses l’une : soit chaque État membre devra augmenter sa contribution nationale au budget de l’Union européenne, soit cette dernière se dote de nouvelles ressources propres.
Notre contribution nationale au budget européen va déjà mécaniquement s’accroître de 7,7 milliards d’euros en moyenne par an sur la période 2021-2027, parce que, malgré le Brexit, ce budget ne diminue pas, et parce que la pandémie de covid-19 réduit les droits de douane perçus par l’Union. Il n’est pas envisageable que cette charge s’alourdisse encore quand il faudra commencer à rembourser l’emprunt européen souscrit pour financer la relance.
Nous avons donc intérêt à introduire de nouvelles ressources propres ; mais faisons-le intelligemment : allons voir au-delà des frontières de l’Europe. (M. le secrétaire d’État acquiesce.)
Tel est le cas avec les mesures proposées, outre celle que nous allons voter aujourd’hui : l’une consistera à aller chercher auprès des géants du numérique une contribution dont a parlé M. le rapporteur général ; l’autre, la taxe carbone aux frontières, permettrait, par un mécanisme d’ajustement, de rétablir des conditions de concurrence loyale entre les importations carbonées et nos productions européennes décarbonées.
La décision qui nous est soumise aujourd’hui se cantonne à créer une contribution sur les déchets plastiques non recyclés, mais elle s’inscrit dans la perspective de la mise en place de nouvelles ressources propres dès 2023 : c’est sur leur objet et sur leur assiette que nous devrons nous mobiliser dans les années à venir, car rien n’est acquis. La commission des affaires européennes se tient prête à relever tous ces défis. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous le disons depuis des semaines maintenant : le moment est historique.
Une nouvelle étape est en passe d’être franchie dans le projet d’intégration européenne. Cela ne s’est pas fait sans peine, comme tout grand bouleversement européen. Mais ce bouleversement est aussi l’aboutissement d’un processus engagé depuis plusieurs années, car ni la dette commune ni les pistes de ressources propres ne sont nouvelles dans le paysage européen.
Une fois de plus, à la faveur d’une crise sans pareille, véritable catalyseur de la décision, l’Union s’est dotée d’un instrument autour duquel elle tournait, avec plus ou moins de bienveillance, depuis plusieurs années.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires, résolument européen, votera à l’unanimité en faveur de ce projet de loi. Malgré notre optimisme de principe, notre euroréalisme nous rattrape. Nous sommes conscients des interrogations légitimes que suscite la décision européenne que nous approuvons par ce projet de loi.
Avant de les évoquer, je reviendrai sur trois points du texte européen, à nos yeux essentiels. Le premier concerne bien évidemment les rabais : au moment de les entériner pour une nouvelle période de six ans – pour la dernière fois, je l’espère –, je tiens à souligner qu’ils constituent un échec renouvelé.
Le deuxième concerne l’article 5, cœur de la décision, qui habilite la Commission européenne à emprunter le montant du plan de relance au nom de l’Union. Cet article prévoit aussi la stratégie de gestion de la dette. Monsieur le secrétaire d’État, le Conseil sera régulièrement informé ; le Parlement national devra l’être aussi.
Le troisième renvoie à l’article 9 prévoyant la mise à disposition de ressources par les États membres en dernier recours. C’est notre principale interrogation sur la création des ressources propres. Certaines sont à l’étude depuis des années, d’autres nous demandent une réflexion dans l’urgence. L’unanimité sera en tout cas exigée. Comment ne pas entrevoir les futures tensions et les possibles blocages dans l’adoption de ces ressources propres, à l’image des menaces inadmissibles de veto que nous avons récemment subies de la part de la Pologne et de la Hongrie ?
Cette fois, le volet économique et financier doit s’accompagner d’un volet politique. Il y va de l’idée de l’Europe, du soutien de nos peuples et de notre avenir commun. Il nous faudra assumer collectivement cette décision, qui est politique avant d’être économique. La dette est devenue une réalité à laquelle nous ne pouvons plus échapper. Il nous appartient désormais de décider qui remboursera, et comment.
En choisissant de doter l’Union de ressources propres, nous faisons le choix de la solidarité. Ce choix nous honore, mais nous devons l’assumer comme tel. Pour la France, c’est accepter le fait que nos concitoyens contribueront financièrement davantage au projet européen dans le futur, mais aussi plus que les autres citoyens européens. C’est une lourde responsabilité, que nous assumons.
En Europe comme en France, l’argent magique n’existe pas. Il n’y a pas de dépense publique qui ne suppose une recette supplémentaire. Nous devons être clairs sur ce point, car nous avons un devoir de sincérité à l’égard de nos concitoyens.
Les pistes retenues pour la création de ressources propres nous semblent les meilleures, notamment la juste taxation des géants du numérique et celle des externalités négatives en matière environnementale. Trop d’acteurs ne paient pas encore leur juste part d’impôt. À l’heure où les dépenses publiques explosent pour faire face à la crise, une telle situation d’injustice fiscale est inacceptable.
Tout doit être fait, en cette période de crise économique, pour éviter de nouveaux impôts aux Européens. C’est pourquoi il nous faut voter cette décision, de même qu’il nous faut poursuivre nos efforts de réduction des dépenses publiques afin de renforcer notre souveraineté économique nationale.
Malgré ces points de vigilance, je suis convaincue que cet accord est une bouffée d’air pour l’Europe et pour l’avenir de ses citoyens, mais il nous rappelle que nous avons contracté une dette, en plus de celle qui apparaît déjà dans nos comptes, dette qui obère nos marges de manœuvre budgétaires.
Cet accord nous met face à nos responsabilités françaises et européennes : nous devons recréer de la croissance et nous désendetter pour recouvrer notre souveraineté économique. Il nous engage sur un chemin politique pour les soixante prochaines années : 2021 vient à peine de commencer que nous devons avoir 2022 en ligne de mire, et ce pour plusieurs raisons : la Conférence sur l’avenir de l’Europe n’a jamais paru aussi importante ; la France prendra la présidence du Conseil qui devra aboutir sur la première délibération au sujet des ressources propres ; enfin, nous commencerons à évaluer les premiers effets du déploiement du plan de relance européen.
Rien n’est impossible aux Européens. Comme toute étape décisive, cet accord soulève autant de doutes que d’espoirs. Mais aujourd’hui plus que jamais, nous devons faire le choix de l’Europe pour sauver l’avenir de la France.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre Haute Assemblée doit aujourd’hui décider, à l’instar de la quarantaine d’assemblées des vingt-sept États membres, d’autoriser ou non l’approbation de la décision, qui correspond à un traité signé par tous les États, de s’endetter en commun pour financer le plan de relance.
Il faut pour cela modifier la décision sur les ressources propres, laquelle ne permettait pas d’emprunter et définissait des plafonds qui, en l’état, rendraient impossible le plan de relance. Il faut aussi prévoir l’introduction de nouvelles ressources propres.
Face aux enjeux de la période – nécessité d’agir à la hauteur du péril climatique, d’éviter l’effondrement résultant de la pandémie –, cet engagement européen solidaire dégage notre horizon.
Les élus écologistes au Parlement européen ont donc voté pour. Aujourd’hui, le groupe écologiste du Sénat entend, par son vote, prendre lui aussi ses responsabilités et peser sur cette dynamique. Notre vote n’est pas une bénédiction dévote, une sorte de sautillement de cabri crédule. Il répond au contraire à l’exigence très pragmatique de consolider et d’amplifier la dynamique européenne. La décision dont nous autorisons aujourd’hui l’approbation peut en être une première étape, pour peu que d’autres batailles, d’autres étapes déterminantes, soient réussies.
Ce qui est d’ores et déjà déterminant, c’est que la clé de répartition des dépenses de la relance entre les États membres a été établie en fonction des besoins, alors que la clé de remboursement des emprunts sera de facto fondée sur les capacités.
Le pas d’aujourd’hui est donc important. C’est une avancée nette de la solidarité et, disons le mot, du fédéralisme budgétaire. Pour autant, le chemin n’est pas fait : il nécessitera de mener des combats démocratiques, de faire des choix pas évidents au cours des étapes délicates qui sont encore devant nous.
Le texte soumis à notre approbation ne porte pas précisément sur le contenu du plan de relance, sur les fléchages et les conditions de ses financements. Ce n’est pas pour autant que nous renoncerons à notre exigence sur ces enjeux majeurs.
Nous disons d’abord qu’il faudrait plus d’ambition : compte tenu de l’ampleur et de la durée de la crise, un plan plus volumineux serait nécessaire. La nouvelle administration américaine déploie, pour sa part, une action d’un autre calibre.
Nous disons aussi qu’il serait inacceptable que l’effet levier des financements européens soit immédiatement annulé par le retour d’une rigueur budgétaire tout à fait nuisible à l’investissement public.
Certes, les circonstances de crise ont conduit à suspendre quelque peu les règles budgétaires du semestre européen. La logique de mise en œuvre de réformes structurelles en contrepartie du déploiement de ce plan de relance s’est un peu affaiblie.
Pour autant, ce combat n’est pas gagné. Les écologistes œuvreront au remplacement de ces règles paralysantes par des objectifs particulièrement liés à la transition écologique et à la lutte pour le climat et la biodiversité.
Enfin, il serait intolérable que l’emballage clinquant des grandes ambitions sur les fameuses nouvelles ressources propres se réduise au total au modeste recalcul sur les emballages plastiques et à quelques trop petits pas d’ici à 2026. On sait l’enjeu du déploiement de ces ressources.
Depuis des décennies, du fait des accords de libre-échange, la part des ressources douanières a été drastiquement diminuée, faisant des États les principaux financeurs, les ergoteurs incessants, ce qui a conduit à un amoindrissement de fait de la capacité d’action européenne et à la perpétuation de ces détestables logiques de rabais et autres chantages.
Si nos pays arrivent à instaurer ces nouveaux impôts européens, avec des assiettes et des taux pertinents, c’est autant qu’ils n’auront pas à débourser pour la relance. Quant aux politiques ordinaires de l’Union, elles ne seront ainsi pas rabotées. Il s’agit de faire un peu contribuer ceux qui, comme les géants du numérique, tirent le plus profit du marché européen. Il s’agit aussi, avec l’ajustement carbone aux frontières, d’activer des leviers pour changer la donne au-delà des frontières de l’Union.
Nous avons bien compris comment certains entendent renvoyer aux calendes…
M. Jean-François Husson, rapporteur. Grecques !
M. Jacques Fernique. … et amoindrir la taxe sur les transactions financières. La reporter à une proposition de la Commission en 2024 pour une mise en œuvre après 2026 n’est pas acceptable. Il s’agit d’œuvrer pour qu’avance l’autre scénario possible, celui de la coopération renforcée pour aboutir encore d’ici à 2022.
Déterminé, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera pour une approbation résolument exigeante. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER – MM. André Gattolin et Pierre Louault applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne vous cache pas ma satisfaction de pouvoir m’exprimer, au nom de mon groupe, sur l’approbation de cette décision relative au système des ressources propres de l’Union européenne pour les sept années budgétaires à venir.
Cette phase devant les parlements nationaux constitue l’aboutissement d’âpres négociations budgétaires sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027. Trouver une issue positive en temps de crise à ce qui n’a pu aboutir en temps normal a été un véritable défi pour la solidité de notre projet européen et pour notre solidarité européenne.
Disons-le, mes chers collègues, le défi a été relevé avec brio. Le budget de l’Union européenne pour 2021-2027 augmente de 12 % par rapport à la précédente période financière, en dépit du départ du Royaume-Uni. Il est de notre intérêt à tous d’œuvrer en faveur de la mise en place de nouvelles ressources propres.
C’est donc sur une décision relative aux ressources propres inédite en tous points que nous nous prononcerons dans quelques minutes.
Premièrement, ce texte est la transcription juridique de l’accord politique trouvé en juillet dernier entre les vingt-sept États membres. Il autorise la Commission européenne à emprunter directement sur les marchés pour financer un plan de relance européen massif de 750 milliards d’euros. Plus que son montant, c’est ce que nous allons faire de cette somme qui importe.
C’est historique : les Vingt-Sept contractent pour la première fois un emprunt en commun. Le montant que l’Europe consacre à la relance est lui aussi historique. La réponse est sans commune mesure avec celle qui avait été apportée à la crise de 2008. Elle permettra ainsi une relance concertée, comme vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État, de l’ensemble du marché européen.
Vous l’avez rappelé en commission, monsieur le rapporteur général : personne n’aurait pu l’imaginer il y a quelques mois, mais la réponse économique commune de l’Union européenne sera désormais comparable à celle des États-Unis, grâce aux efforts de l’Union et des États membres.
Disons-le concrètement et sans détour, si cette décision n’est pas approuvée, l’Europe ne pourra pas participer au financement des vingt-sept plans de relance, dont celui de la France à hauteur d’environ 40 %, et notre marché unique ne bénéficiera pas des effets macroéconomiques liés à la relance européenne. Demain, il sera assurément trop tard.
Or, nous l’avons vu, dans ces moments difficiles que nous traversons, l’Europe a été non pas une contrainte, mais une force de négociation. La solidarité européenne est notre meilleure chance pour faire face à cette crise sanitaire qui ne connaît aucune frontière.
Si, comme le disait Jean Monnet, « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », alors l’Europe vient de faire un grand pas.
Deuxièmement, cet accord marque un tournant pour l’Europe, en la dotant d’une nouvelle ressource propre – la contribution sur le recyclage des déchets plastiques – et en gravant dans le marbre la feuille de route qui oblige la Commission à en proposer de nouvelles.
La victoire ne pourra être obtenue qu’au prix de la mobilisation de chacun et avec le soutien de l’ensemble des États membres. Il est dans notre intérêt à tous d’œuvrer en faveur de la mise en place des nouvelles ressources, car elles permettront de rembourser à terme cet effort inédit de l’Europe sans peser sur les budgets nationaux. Pour cela, nous pouvons compter sur la force de notre marché commun.
Cet accord nous permettra enfin d’apporter une réponse forte et homogène aux questions qui occupent depuis trop longtemps nos esprits et nos débats à l’échelle nationale. Parmi ces serpents de mer, je citerai notamment la taxe carbone européenne aux frontières et une ressource issue du système d’échange révisé de quotas d’émissions, qui viendront en soutien de notre politique de transition écologique et climatique.
Je pense aussi à une taxe sur les services numériques et à une harmonisation de l’impôt sur les sociétés pour lutter contre le dumping fiscal et rétablir une forme de justice fiscale.
Je pense enfin à une taxe sur les transactions financières, la fameuse « TTF », sujet bien plus complexe qu’il n’y paraît et sur lequel il faut faire preuve de discernement selon la nature des ordres visés. Cette taxe, qui existe déjà dans différents pays, mérite un travail approfondi d’harmonisation afin de ne pas pénaliser les transactions elles-mêmes.
Et parce que ces différents prélèvements serviront à la relance, à renforcer nos secteurs stratégiques, à consolider notre marché, à mettre en œuvre la transition numérique et le verdissement de nos économies, nous n’aurons plus l’excuse du manque de financement. Nous sommes quelque part condamnés à réussir, mais encore faut-il en avoir la volonté commune, car il y va de notre avenir à tous. Tout l’enjeu se situe désormais dans la mise en œuvre de cet objectif. Les difficultés ne manquent pas, je vous l’accorde.
En ce qui concerne la ressource issue du système européen d’échange de quotas d’émission de carbone, le niveau de sa recette dépendra du niveau de mutualisation des recettes aujourd’hui perçues par les États membres à l’échelon national.
Quant à la taxe sur le secteur numérique, son rendement dépendra de ses modalités d’application et de l’assiette retenue. Rappelons que la Commission européenne avait estimé, en 2018, qu’une taxe sur les services numériques, dans une forme analogue à celle qui a été mise en œuvre en France, pourrait générer entre 1,6 et 7,8 milliards d’euros de recettes annuelles, selon le taux envisagé.
L’Europe a montré sa capacité à résister, à fédérer, à protéger et à dépasser certains de ses dogmes. Pour que ce plan de relance devienne réalité, nous devons approuver la décision relative au système de ressources propres de l’Union européenne. Il est nécessaire que les fonds accordés à la France dans le cadre de son plan de relance soient rapidement engagés et déployés sur le terrain.
Ce plan se traduit concrètement et efficacement dans tous nos territoires, en lien étroit avec les acteurs économiques, les préfets et les élus locaux. Il ne s’agirait pas de nous couper dans notre élan.
Ce plan inédit va améliorer concrètement la vie des Françaises et des Français, dans tous les territoires. Il va aider nos artisans, nos commerçants, nos chefs d’entreprise.
Il permet également de coordonner l’accélération des transitions écologique et numérique, d’engager un grand plan de rénovation thermique des bâtiments, d’accompagner la création d’emplois et d’ouvrir de nouvelles formations.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, notre vote aujourd’hui est plus qu’une décision économique et financière : il a valeur d’assentiment sur ce que nous voulons vraiment faire de l’Europe. À l’heure où le repli sur soi peut apparaître à certains comme une solution, il n’est point nécessaire de pousser l’analyse pour comprendre que l’Union européenne doit constituer une unité politique.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Ludovic Haye. Je termine, madame la présidente.
M. Ludovic Haye. Victor Hugo écrivait : « Ce que Paris conseille, l’Europe le médite ; ce que Paris commence, l’Europe le continue. » Eh bien, mes chers collègues, commençons ce matin, à Paris, par voter ce projet de loi de façon à ce que l’Europe tout entière puisse continuer à jouer son rôle. C’est en tout cas ce que votera le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)
Mme la présidente. Vous avez largement dépassé votre temps de parole, mon cher collègue. J’ai été très généreuse… (Sourires.)
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce que la pandémie a plongé l’Union européenne dans une crise économique d’une ampleur exceptionnelle, la réponse ne pouvait être, elle aussi, qu’exceptionnelle.
Je n’ose imaginer ce que serait devenue l’Europe si l’accord du 21 juillet 2020 n’était pas intervenu. En approuvant un plan de relance adossé au cadre financier pluriannuel, le Conseil européen a fait reculer la tentation mortifère du chacun pour soi et a ainsi éloigné le risque de fragmentation de l’Union européenne.
Les chefs d’État et de gouvernement ont rendu possible « la solidarité de fait », pour reprendre les mots de Robert Schuman, qui considérait que l’Europe avançait le plus souvent par des réalisations concrètes.
Aujourd’hui, nous y sommes : la solidarité financière, en particulier illustrée par la promesse de subventions à hauteur de 390 milliards d’euros, permettra de soutenir nos partenaires les plus fragilisés par la crise – je pense notamment aux pays du Sud, où la chute du PIB est encore plus rude.
Pour engager cet accord qui porte les dépenses, il nous faut approuver les recettes, soit la décision du 14 décembre 2020 relative aux ressources propres de l’Union européenne.
Le groupe du RDSE votera sans réserve le projet de loi visant à autoriser cette décision. Cela a été dit, son approbation par chacun des États membres conditionne le financement de l’instrument de relance, car elle permettra ensuite à la Commission européenne d’emprunter. Aussi, le plus tôt sera le mieux.
Certes, la question des ressources budgétaires ouvre le débat entre États contributeurs nets et États bénéficiaires nets. Disons-le, la France n’est pas dans une position des plus favorables, en particulier depuis le départ du Royaume-Uni. Notre contribution, au titre de la ressource dite « RNB », un prélèvement sur le revenu national brut, s’élèvera en moyenne à 22,9 milliards d’euros pour les sept prochaines années, contre 15,5 milliards entre 2014 et 2020. Il est donc nécessaire, pour notre pays, d’encourager la diversification des ressources propres. Monsieur le secrétaire d’État, c’est la position de la France et mon groupe la soutient.
Dans le détail, s’agissant du cadre proposé par la décision européenne, nous nous félicitons de la réforme de la TVA, qui ira dans le sens d’une meilleure convergence fiscale. En revanche, l’augmentation des frais de collecte, qui avantage les grands pays importateurs, ressemble à un rabais déguisé qui s’ajoute à ceux qui persistent encore et dont on ne peut que regretter le maintien. Mais nous savons bien qu’ils sont une composante du prix à payer pour rallier les pays dits « frugaux » à l’idée d’un transfert d’argent interétatique.
La principale innovation en termes de ressources concerne les déchets plastiques non recyclés. Cette initiative positive doit être saluée, pas tant pour son rendement, qui va mécaniquement décroître, qu’en ce qu’elle fait écho aux préoccupations environnementales de la politique européenne. C’est un bon signal.
Enfin, mes chers collègues, remercions le Parlement européen d’avoir enfermé, dans un calendrier précis, des projets pour le futur. Certes, un futur un peu trop lointain, mais les échéances fixées forceront néanmoins les propositions de la Commission et les discussions du Conseil européen. Je pense en particulier aux taxes que mon groupe encourage depuis longtemps : la redevance numérique, la taxe sur les transactions financières ou une nouvelle assiette commune pour l’impôt sur les sociétés.
La récession économique déclenchée par la pandémie creuse les inégalités entre les personnes et entre les secteurs. Les géants du numérique ne connaissent pas la crise ; la bourse, elle, se porte bien.
La solidarité financière entre les États membres est une chose – sur ce plan, nous avons avancé. La solidarité entre les agents économiques en est une autre, à laquelle l’Union européenne devrait s’attaquer plus frontalement. Les taxes que je viens d’évoquer seraient non seulement un vecteur de rendement budgétaire, mais aussi un moyen d’établir un meilleur partage des richesses.
En attendant, mes chers collèges, comme je l’ai souligné, le groupe du RDSE soutiendra ce texte à double titre : parce que la décision relative aux ressources propres comporte des enjeux fondamentaux pour une relance européenne coordonnée et parce qu’il s’agit d’approfondir un peu plus le projet européen, auquel nous sommes, chacun le sait ici, politiquement très attachés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on a fait assaut de communication sur cet accord, dont on fait grand cas et que d’aucuns présentent à l’envi comme historique, mais il importe, selon nous, d’analyser le présent texte à l’aune de son contenu.
Las, les faits sont têtus, implacables et parfois même inquiétants : nos concitoyens financeront 8 milliards d’euros par an supplémentaires sur la période 2021-2027. Autrement dit, les contribuables s’apprêtent à devoir supporter la lourde charge de financer le Brexit, le plan de relance européen et les effets de la crise sanitaire.
D’abord, les citoyens paieront parce que la seule ressource propre inscrite dans cet accord est la taxe sur les déchets d’emballage plastiques non recyclés, soit une taxe symbolique qui ne rapportera, au mieux, que 14 milliards d’euros. Le faible produit engendré par ce dispositif est dû à ce que le jargon technocratique bruxellois appelle « un mécanisme de correction ». C’est pour cette raison simple, bien loin des enjeux écologiques, que l’Italie, par exemple, échappera à 184 millions d’euros.
Dans le même temps, la France sera le deuxième plus important contributeur de cette taxe, à hauteur de 1,2 milliard d’euros, car nous sommes toujours à la traîne en matière de recyclage. Bien loin d’être pérenne, cette taxe a donc vocation à disparaître lorsque les États membres auront mené les réformes nécessaires. Il est difficile de penser l’avenir avec des ressources éphémères, et ce d’autant qu’il s’agit de la seule mesure arrêtée de la directive.
Ensuite, les citoyens paieront parce que vous refusez manifestement et de manière récurrente de taxer et les dividendes et les gros patrimoines, qui enflent d’année en année. Dans les considérants de l’accord, figurent toutes les ressources que vous peinez à concrétiser, dont la taxe sur les géants du numérique, la mise en place d’une assiette commune et consolidée d’imposition sur les sociétés et la taxe sur les transactions financières.
Aucun accord n’a été trouvé en dix ans sur ces mesures que notre groupe propose à l’occasion de chaque débat budgétaire depuis vingt ans. Ces projets sont encore une fois repoussés aux calendes grecques : rien avant 2025, et encore… Nous allons donc joyeusement nous priver d’au moins 60 milliards d’euros pour la seule TTF, soit plus que le surcoût inscrit pour notre pays dans le prochain cadre financier pluriannuel.
Avec ces recettes nouvelles, à budget constant, aucune contribution supplémentaire ne serait requise pour la France. Faire payer les Français relève donc d’un choix délibéré.
Par ailleurs, la France financera à elle seule 34 % de ce qu’on appelle les rabais – voire les rabais sur les rabais –, octroyés aux pays frugaux, en bonne santé économique. L’Allemagne, tout comme le Danemark, les Pays-Bas, l’Autriche et la Suède bénéficieront de ces « corrections forfaitaires ». Angela Merkel reviendra devant son peuple avec une réduction de 3,6 milliards d’euros de rabais, dont la France s’acquittera à hauteur de 1,2 milliard d’euros. Autrement dit, même si le Gouvernement fait mine de s’opposer à ces rabais, non seulement ils existent toujours, mais ils augmentent à chaque occasion.
Enfin, les citoyens paieront parce que l’Union européenne se prive, d’année en année, de ressources traditionnelles. Les droits de douane constituent pourtant 15 % des recettes totales de l’Union européenne. On a longtemps cherché dans cet accord mention de ces « ressources propres » sur lesquelles s’est fondé le projet européen. Mes chers collègues, on n’en trouve nulle trace…
La crise sanitaire et les déboires avec Donald Trump auraient dû nous rappeler que les droits de douane sur les importations des pays tiers constituaient une condition sine qua non de l’exercice de la souveraineté de la zone et de ses membres. Les finances de l’Union sont sacrifiées sur l’autel du libre-échange. Dernier exemple en date : en août 2020, la suppression totale, d’ici à dix ans, des droits de douane avec le Vietnam a été actée. Pour accroître les ressources, il ne faut pas commencer par se priver des recettes normalement dues.
« N’en croyez rien ! Non, les Français ne paieront rien pour rembourser le plan de relance européen », disait le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale. Ce contexte inédit constitue selon nous une magnifique occasion d’engager un débat de fond avec tous les peuples européens, confrontés à la même crise, sur le rôle nouveau que devrait jouer la Banque centrale européenne. Elle ne devrait non plus être au service exclusif des marchés financiers, mais au service des peuples européens. Surtout, elle devrait nous permettre de relever les grands défis qui sont devant nous, notamment la dette, les inégalités et la transition écologique.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour absorber le choc d’un confinement prolongé, les États et les banques centrales ont pris des décisions historiques en ouvrant largement les vannes du déficit budgétaire et de la création monétaire.
Ainsi, la Banque centrale européenne a lancé un programme d’achat de titres privés et publics pour 750 milliards d’euros. Parallèlement, les contraintes prudentielles pesant sur les banques et les assurances ont été allégées afin de les inciter à financer l’économie.
L’Union européenne a certes fait preuve de plus de retenue, mais n’oublions pas que son budget est infinitésimal et que ses compétences sont très restreintes, particulièrement en matière de santé.
Surtout, il est significatif que la négociation sur le cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 ait été chamboulée par les conséquences économiques de la propagation de la pandémie de covid-19. Le compromis historique trouvé en juillet dernier sur la création d’un fonds de relance européen en est la preuve. L’Union européenne ne doit pas craindre les crises, qui toujours ravivent son esprit et renforcent sa construction.
Baptisé en bon français « Investir pour la prochaine génération », le plan de relance européen sur lequel se sont mis d’accord les Vingt-Sept autorise ainsi la Commission à lever 750 milliards d’euros d’ici à 2026, dont 360 milliards d’euros pour octroyer des prêts et 390 milliards d’euros pour verser des aides budgétaires directes.
Il s’agit d’un emprunt strictement limité en taille et dans le temps, destiné à financer une partie des efforts de relance en Europe. C’est un tout petit pied, certes, mais un pied symboliquement important dans la porte du fédéralisme. Le groupe Union Centriste s’en réjouit.
Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui autorise l’approbation de la décision du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système de ressources propres de l’Union européenne qui, précisément, fixe les modalités de financement du budget de l’Union européenne pour la période 2021-2027.
Je le soulignais à l’instant, nous nous réjouissons de l’avancée capitale que représente l’instrument de relance. Les financements européens vont permettre de financer une part substantielle de notre plan de relance national. Le rapporteur Jean-François Husson, sénateur comme moi d’un département frontalier de deux pays membres fondateurs de l’Union européenne, ce qui explique notre attachement particulier à la construction européenne, l’a rappelé à juste titre : l’autorisation exceptionnelle d’un emprunt commun et l’application d’une sorte de péréquation pour la répartition des aides sont deux ruptures majeures qui vont dans le sens de l’Europe que nous défendons.
Toutefois, se réjouir de l’accord trouvé dans son principe ne signifie pas être naïf ou manquer d’exigence quant à son contenu. Le remboursement du capital à la charge de la France, qui ne devrait débuter qu’en 2028, s’élèverait ainsi à 2,5 milliards d’euros et pèserait à hauteur de 0,1 % du PIB sur le déficit public, ce qui n’est pas négligeable compte tenu de l’explosion des comptes publics en raison des mesures de confinement.
En l’absence de nouvelles ressources propres, notre pays sera donc contributeur net alors même qu’il figure parmi les pays les plus durement affectés par la récession de l’économie en 2020. Pour l’ensemble de la période 2021-2027, la contribution totale de la France devrait ainsi s’élever à 207,5 milliards d’euros. Autrement dit, notre pays supporterait une augmentation de 55,8 milliards d’euros par rapport à la programmation pluriannuelle 2014-2020.
Dans le même temps, l’Allemagne, le Danemark, l’Autriche, les Pays-Bas et la Suède bénéficieront, eux, de réductions forfaitaires de leur contribution annuelle, réductions financées par l’ensemble des autres États membres, singulièrement par la France, qui supportera à elle seule 34 % de l’ensemble des rabais au titre de la période 2021-2027 alors qu’elle n’en finançait « que » – si je puis dire… – 21 % sur la période échue. Monsieur le secrétaire d’État, avouez que cela interpelle quant à la solidité et à l’équilibre du compromis trouvé !
J’en reviens à la question de la diversification des sources de financement de l’Union européenne, qui est au cœur des négociations depuis de nombreuses années.
Les sénateurs du groupe Union Centriste se félicitent de la mise en place dès 2021 d’une nouvelle ressource, fondée sur le poids des déchets d’emballages plastiques non recyclés. Elle répond à l’objectif que nous visons d’une meilleure adéquation entre la nature des ressources propres finançant le budget de l’Europe et les politiques communes que celles-ci sont amenées à financer.
L’introduction de cette nouvelle ressource a toutefois un effet limité puisqu’elle ne devrait représenter, en moyenne, que 1,1 milliard d’euros par an pour la France, soit 4 % de la contribution totale. Surtout, il est permis de douter des effets véritablement incitatifs de cette contribution sur les politiques nationales de recyclage des déchets plastiques dans la mesure où son assiette peut être minorée des déchets recyclés en dehors de l’État membre.
Outre cette nouvelle contribution nationale calculée sur la base des déchets d’emballages plastiques non recyclés, d’autres ressources propres devront être mobilisées, comme cela a été convenu en juillet 2020.
Parmi les idées avancées figurent une taxe carbone aux frontières, une redevance sur le numérique, une ressource fondée sur le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne avec les pays tiers, laquelle pourrait éventuellement être étendue à l’aviation et au transport maritime, une taxe sur les transactions financières, une contribution financière liée au secteur des entreprises ou encore une nouvelle assiette commune de l’impôt sur les sociétés.
Ces ressources supplémentaires seraient consacrées au remboursement anticipé de l’emprunt européen contracté dans le cadre du plan de relance. Le remboursement du principal de l’emprunt commencera dès 2028 et ne devra pas s’échelonner sur plus de trente ans. Dans la période 2021-2027, seuls les intérêts des emprunts correspondants aux subventions du plan de relance seront remboursés.
Certes, ce plan de relance est vital, mais soyons réalistes : reconnaissons que l’argent magique n’existe pas. Il faudra bien rembourser et payer l’addition, le moment venu, dans la monnaie de l’inflation, par de nouveaux impôts ou – espérons-le plutôt – grâce à un recentrage de l’État et d’une redéfinition de ses périmètres d’intervention.
En conclusion, nous reconnaissons que ce plan de relance européen est prioritaire au regard de notre conjoncture économique. Nous voterons donc en faveur de ce texte, tout en nous interrogeant sur l’ampleur de la contribution française et sur sa soutenabilité en l’absence de réformes structurelles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui invités à approuver la décision relative aux ressources propres de l’Union européenne, qui permet le financement du budget européen pour les sept prochaines années.
Cette décision a, cette année, une signification particulière puisqu’elle conditionne la mise en œuvre du plan de relance européen en permettant temporairement à l’Union européenne de recourir à l’emprunt.
Cet emprunt permettra ainsi de financer pour partie chacun des vingt-sept plans de relance nationaux, à hauteur de 750 milliards d’euros, et ce de deux manières : par une première enveloppe de prêts, qui n’est pas mutualisée, et par une seconde enveloppe de dotations budgétaires, mutualisée, elle.
Malheureusement, cette seconde enveloppe a été ramenée, après négociations, de 500 milliards à 390 milliards d’euros. À ce titre, 40 milliards d’euros reviendront à la France pour financer 40 % de son plan de relance. Nous ne mobiliserons pas la première enveloppe, la France empruntant à de meilleures conditions que ce qui serait proposé dans le cadre du prêt européen.
Certes, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois que l’Union européenne contracte un prêt. Elle l’avait déjà fait pour soutenir les États membres hors zone euro confrontés à des menaces ou à des difficultés financières, notamment à la suite de la crise de 2008, ou encore récemment pour financer le programme européen de soutien temporaire à l’atténuation des risques de chômage en situation d’urgence (SURE), en soutien aux États dont les assurances chômage sont fragilisées par la crise que nous vivons. Mais aujourd’hui le volume de cet emprunt change la nature de cet engagement européen.
Nous pouvons nous réjouir et saluer cet accord historique pour soutenir les États. C’est un premier tabou qui est levé. L’objectif est que cet emprunt soit remboursé, au moins en partie, par des ressources propres. Or nous sommes loin du grand soir annoncé et nous regrettons que la réforme du système de financement de l’Union européenne tant attendue soit de nouveau reportée. Le Brexit, qui va conduire à revoir la répartition des contributions, aurait dû au contraire nous conduire à l’accélérer. Nous risquons, dans les prochaines années, d’en payer le prix !
La réforme est, certes, programmée, mais elle arrivera malheureusement trop tard pour alléger les contributions des États membres, et surtout trop tard pour mettre les politiques européennes en cohérence avec les ambitions affichées en matière de transition écologique, de compétitivité et de solidarité.
Lorsque l’on prend la mesure des difficultés des négociations qui viennent de se dérouler, on imagine l’effort qu’il va falloir faire pour définir concrètement les modalités de mise en place des ressources propres.
Premièrement, il n’a pas été possible de supprimer les rabais dont continueront à bénéficier cinq États membres, et non les plus pauvres : l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède. Ces pays sont parvenus à maintenir leur rabais pour au moins sept ans. Au total, ce sont 10 milliards d’euros qui vont s’envoler des caisses communautaires ! Nous ne pouvons que le regretter.
Deuxièmement, la France privilégiait la suppression de la ressource TVA. Or elle est non seulement maintenue, mais son taux d’appel augmente, passant de 0,25 % à 0,30 %, avec des problématiques liées à la justice fiscale.
Troisièmement, la France soutenait l’abaissement à 10 % du taux des frais d’assiette et de perception des droits de douane prélevés par les États membres : c’est l’inverse qui s’est produit. Le taux se trouve relevé de 20 % à 25 %, sous la pression notamment de la Belgique et des Pays-Bas, dont les ports constituent une source essentielle de la perception des droits de douane. Les sommes ainsi prélevées reviendront aux États, pour des montants supérieurs à ce qu’ils étaient et sans rapport avec la charge du recouvrement de ces impôts !
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez garanti à plusieurs reprises que les Français n’auraient pas à rembourser cette dette grâce aux nouvelles ressources propres envisagées. Néanmoins, cette perspective est fragile.
À l’heure actuelle, seule la taxe sur les plastiques non recyclés a été validée, mais son produit ne rapportera tout au plus, à terme, que 14 milliards d’euros par an, en raison, notamment, des allégements accordés à dix-sept États membres. On sait également que cette ressource a vocation à disparaître avec le recyclage du plastique.
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, légitime à la fois pour son rendement et sa finalité écologique, suscite, on le sait, la réticence de plusieurs pays, notamment à l’est de l’Europe. Le travail de conviction est devant nous et devant vous !
Quant à la taxe sur les entreprises du numérique, certains États dans l’Union européenne, les Pays-Bas en tête, n’en veulent pas. De plus, rien n’est explicitement prévu sur l’articulation entre les avancées de l’Union européenne et les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à ce sujet. C’est pourtant la condition d’une concurrence loyale entre entreprises et une juste contrepartie à l’avantage que constitue le marché européen.
La ressource la plus prometteuse est l’impôt sur les sociétés avec une assiette commune. Il faut franchir le pas, monsieur le secrétaire d’État !
Enfin, par quel miracle la fameuse taxe sur les transactions financières sera-t-elle instaurée dans l’Union européenne d’ici à 2027 alors que chaque tentative de la mettre en œuvre échoue depuis dix ans ?
Je suis de ceux qui pensent qu’il est urgent de disposer d’une véritable taxe sur les transactions financières. Elle pourrait rapporter entre 55 milliards et 60 milliards d’euros par an et permettrait de rembourser le plan de relance européen tout en finançant les dépenses de santé et celles en faveur du climat. Le taux, il faut le signaler, serait modeste : 0,1 %. Taxer la spéculation, c’est aussi une question de justice fiscale !
La Commission européenne a clairement signifié son souhait de voir la négociation se finaliser avant 2022. Où en est-on précisément, monsieur le secrétaire d’État ?
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, l’Union européenne a besoin de nouvelles ressources et elle a besoin que les négociations avancent vite, sans quoi la France devra rembourser sur ses fonds propres 75 milliards d’euros, qui sont à comparer aux 40 milliards d’euros obtenus.
Sans ressources propres, nous devrons augmenter nos contributions budgétaires. En effet, il est clairement écrit à l’article 5 de la décision qui nous est soumise que « les États membres devront, en dernier recours, mettre à disposition de la Commission les fonds nécessaires ».
Je reviendrai également sur le plan de relance européen, en particulier sur sa timidité, voire son indigence, dans la lutte contre les inégalités. Or la crise sanitaire a eu, en termes d’accroissement des inégalités, des effets considérables dans les États membres et entre les États membres.
Nos pays européens sont au bord d’une explosion sociale et l’Europe patine, comme le montrent les difficultés rencontrées par la Commission s’agissant des retards de livraison des vaccins en Europe.
Quand nos dirigeants questionneront-ils la main invisible du marché alors que l’on sait aujourd’hui clairement à qui elle donne ?
Si l’on ouvre la réflexion sur le volume financier du plan, la somme est loin de permettre de faire face à la crise sanitaire, sociale, sociétale et économique que traverse toute l’Europe.
Au regard de l’urgence de la situation, on peut se demander si cette enveloppe sera suffisante, car depuis qu’elle a été arrêtée en juin dernier, les perspectives de sortie de la crise s’éloignent de ce qui avait été envisagé.
Au même moment, le plan de relance de Joe Biden atteindra 1 900 milliards de dollars, auquel devrait venir se greffer un vaste programme de grands chantiers destinés, notamment, à accélérer la transition écologique des États-Unis. Il est dommage que l’Europe ne se donne pas davantage les moyens de relancer nos économies, de lutter contre la paupérisation des Européens et de combattre le dérèglement climatique.
La mise en œuvre de ce plan de relance suscite également des craintes. En effet, l’examen des plans de relance nationaux s’annonce complexe, pour ne pas dire opaque. Qui dit que la Commission européenne n’y appliquera pas, de manière déguisée, le pacte de stabilité aujourd’hui suspendu ? Attention aux réflexes qui conduisent à exiger des réformes structurelles libérales, lesquelles contraignent rapidement l’intervention publique.
Enfin, rien n’est prévu à ce jour s’agissant de la zone euro ; aucun instrument n’a été mis en place. Non seulement on en est au point mort sur sa consolidation, mais tous les outils du plan de relance ayant été mis dans le cadre communautaire, nous serons désormais obligés de négocier avec des États n’ayant pas l’euro comme monnaie.
Face à l’urgence de mise en œuvre du plan de relance, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat votera en faveur de ce projet de loi.
Néanmoins, vous l’aurez compris, nos interrogations nous conduisent à faire preuve d’une grande vigilance. Nous devons dès aujourd’hui commencer à travailler sur un mécanisme pérenne d’emprunt commun et à concrétiser la feuille de route en matière de ressources propres. La France, qui exercera la présidence tournante en 2022, aura une responsabilité à cet égard. Nous ne manquerons pas de le rappeler. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Le Gleut. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Ronan Le Gleut. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en octobre 2017, Xi Jinping, dans un discours de plus de trois heures place Tiananmen, décrit une ambition : devenir la première puissance mondiale à l’horizon de 2049, date correspondant au centenaire de la République populaire.
Or, d’après la Banque mondiale, la Chine sera la première économie de la planète d’ici à 2030. Nous faisons donc face à une nouvelle tectonique des plaques : la première économie mondiale – celle des États-Unis – se voit concurrencer par une autre, à l’image de Sparte et d’Athènes, comme le décrit le professeur Graham Allison dans Vers la guerre : La Chine et l’Amérique dans le Piège de Thucydide ?
On le voit bien ici, l’échelle, c’est l’échelle continentale, comme le rappelle d’ailleurs régulièrement Nicolas Sarkozy lorsqu’il s’agit de l’enjeu démographique. Or l’échelle continentale nous oblige.
C’est la raison pour laquelle ce plan de relance a vocation – et c’est juste – à être un plan de relance européen. Doté de 390 milliards d’euros de subventions et de 360 milliards d’euros de possibilités de prêts, ce plan est à la bonne échelle.
Il n’est pas ici simplement question de solidarité européenne, il est aussi question de notre intérêt national. L’Italie et l’Espagne, qui sont très durement touchées – faut-il rappeler que l’Espagne a enregistré une baisse de 11 % de son PIB l’année dernière et qu’elle compte 1,5 million de chômeurs de plus ? –, sont notre troisième et notre quatrième clients. La France est le premier fournisseur d’électricité de l’Italie. Nos banques sont extrêmement exposées en Italie. Si l’Italie s’effondre, c’est la Grèce puissance dix : l’intérêt de la France est en jeu.
Nous avons exporté en 2019 pour 37 milliards d’euros vers l’Italie et pour 38 milliards d’euros vers l’Espagne. Ces pays sont nos clients et nos fournisseurs.
Le partage de la dette est un enjeu. Nous avons fait face à la crise des subprimes en 2017, ainsi qu’à la crise économique de 2008. Rappelons d’ailleurs les chiffres. En 2008, notre PIB a chuté de 2,3 %, contre 8,3 % l’année dernière. L’échelle de grandeur est ici trois fois celle de 2008. Quoi qu’il en soit, à l’époque, Nicolas Sarkozy s’était battu pour défendre à la fois les intérêts européens et ceux de la France. En 2011, l’idée des euro-obligations fait surface et prend de l’ampleur.
Je dirai maintenant un mot du cadre financier pluriannuel de 1 074 milliards d’euros, auxquels viennent s’ajouter 15 milliards d’euros après négociations avec le Parlement européen. Permettez-moi de saluer la création du Fonds européen de la défense, que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a toujours soutenu. Alors qu’il devait être doté de 13 milliards d’euros dans sa version initiale, cette somme a été réduite à 7 milliards d’euros, mais c’est une avancée dont il convient de se féliciter.
Certains ont évoqué un risque de fédéralisme. À cet égard, je rappellerai deux éléments.
Premier élément : il ne faudrait pas croire que nos partenaires européens sont tous fédéralistes. Pensez au groupe de Visegrád, à savoir la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie. Imaginez-vous un instant que leur vision de l’Union européenne est celle d’une union fédérale ? Non ! La France n’est donc pas le seul pays à ne pas vouloir d’une Europe fédérale.
Second élément, le plan de relance pour faire face à la crise de la covid-19 et à ses conséquences économiques et sociales n’a pas une dimension pérenne. Il conviendra – cela figure dans les textes – de revenir devant les Parlements nationaux, ce qui écarte le risque de fédéralisme mentionné par certains.
Pour toutes ces raisons, je voterai pour ce texte, ainsi qu’un grand nombre de mes collègues du groupe Les Républicains, mais ce vote favorable n’exclut pas d’émettre quelques critiques.
La première d’entre elles porte sur les rabais concédés, en particulier aux États frugaux. Là encore, on s’interroge : avons-nous défendu nos intérêts jusqu’au bout de la nuit bruxelloise ? Par contraste, je pense, par exemple, à ces heures de négociations durant lesquelles Jacques Chirac n’a jamais abandonné le combat pour les agriculteurs dans les négociations bruxelloises. Je rappelle également le rôle de Nicolas Sarkozy en 2008 lors de la crise des subprimes.
De la même manière, et c’est ma deuxième critique, il conviendrait que les dispositifs permettant à l’Union européenne de disposer de ressources propres soient mis en œuvre le plus rapidement possible, notamment la taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, qui va dans le bon sens. Nous cesserions ainsi de faire preuve de naïveté et nous pourrions mettre nos entreprises, lesquelles sont soumises à des normes environnementales plus sévères qu’ailleurs, en concurrence avec celles d’autres pays qui produisent en émettant bien plus de gaz à effet de serre. Voilà pourquoi nous sommes favorables à une mise en œuvre rapide de la taxe carbone aux frontières. Il en va de même de la taxe Gafam sur les géants du numérique.
Enfin, ma troisième critique porte sur la date du début des remboursements, fixée à 2028. Nous aurions pu commencer plus tôt.
Nous voterons donc pour ce texte, tout en émettant un certain nombre de réserves et de critiques.
Le Brexit, le fait que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, nous donne, à nous, Français, une responsabilité particulière, une responsabilité nouvelle sur le plan diplomatique et stratégique. En effet, dorénavant, la France est le seul pays des Vingt-Sept à disposer à la fois d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies et de la dissuasion nucléaire. Nous étions deux dans ce cas jusqu’alors au sein de l’Union européenne ; nous sommes à présent le seul pays des vingt-sept États membres. La France doit assumer pleinement ce statut unique dans le champ diplomatique et stratégique. Elle doit jouer tout son rôle dans cette nouvelle Union européenne post-Brexit, face aux défis que représentent les grands périls qui nous font face.
En conclusion, je citerai une fameuse phrase du général de Gaulle : « Face aux grands périls, le salut n’est que dans la grandeur. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte vise à approuver une décision importante, dont les Français n’ont perçu que le plus positif des aspects, à savoir l’accord, obtenu à l’arraché, entre les États membres sur les finances européennes, avec à la clé un plan de relance massif. Mais cette solution n’est pas sans incidence, sans risque et sans coût. Ces éléments doivent être versés au débat en toute transparence. Confondre le plan de relance et son financement pose question.
Comme d’autres, j’avais alerté lors de l’examen de l’article 31 du projet de loi de finances pour 2021 relatif à la participation de la France au budget de l’Union européenne, sur les enjeux, notamment politiques, posés par une problématique d’apparence purement financière.
De fait, ces derniers mois, les questions financières ont été, à juste titre, au cœur des préoccupations européennes, qu’il s’agisse des négociations du cadre financier pluriannuel ou de la mise en place du fameux plan de relance.
Au total, le budget 2021-2027 de l’Union européenne et le plan de relance représentent une enveloppe de plus de 1 800 milliards d’euros. Cependant, comme d’autres l’ont souligné avant moi, il n’y a pas d’argent magique. Par conséquent, les sommes empruntées devront bien être remboursées.
Ainsi, le Conseil européen a décidé que, au cours des prochaines années, l’Union européenne devrait s’employer à réformer le système des ressources propres et à en introduire de nouvelles.
La Commission s’est engagée à présenter des propositions d’ici au mois de juin 2021. Les décisions qui viennent d’être prises pour répondre à la crise s’orientent, bon gré, mal gré, vers plus de solidarité financière entre les États membres jusqu’à instituer des dispositifs pouvant bien jeter les premières bases d’un fédéralisme budgétaire qui ne dirait pas son nom.
La commission des affaires européenne du Sénat a auditionné une eurodéputée, corapporteure de l’équipe de négociation chargée des ressources propres, qui a reconnu sans ambages être « pour une Europe fédérale ». Elle a admis, par ailleurs, qu’elle soutenait l’instauration de nouvelles ressources propres parce que c’était, selon elle, « le sens de l’histoire ».
Tout cela est pour moi assez révélateur d’un état d’esprit : puisque c’est le sens de l’histoire, pourquoi perdre son temps à en débattre avec les Français ? Notre collègue du groupe RDPI l’a d’ailleurs confirmé.
En réalité, une telle orientation se fait insidieusement, sans que les Français en aient conscience, et sous la pression des événements. Sous les apparences de mesures techniques, réputées encadrées et temporaires, c’est un nouveau modèle politique qui pointe le bout de son nez.
Cette nouvelle direction mérite au contraire, je le pense, un débat large, approfondi et éclairé sur la nature de l’Europe que nous voulons pour l’avenir. Ces questions sont légitimes et ce n’est pas être eurosceptique que de se les poser.
Je note, d’ailleurs, qu’au cours des précédentes interventions, les avocats de ce texte se sont contredits entre eux. Certains ont dit « ce n’est pas plus de fédéralisme » quand d’autres ont affirmé « c’est un pas supplémentaire vers le fédéralisme et nous nous en réjouissons ». Que de contradictions !
Les dernières décisions européennes ont des conséquences qui ne sont pas neutres pour la France en termes de coût, cela a été timidement souligné. Les pays dits « frugaux », c’est-à-dire les plus aisés ou ceux qui ont été les plus raisonnables dans leurs dépenses publiques, ont su conserver et même obtenir des rabais sur leur rabais, parfois dans des proportions non négligeables. La France, qui souhaitait fort justement la suppression des rabais, va au contraire contribuer largement à leur financement. La solidarité a un prix…
J’espère que lesdits pays s’engageront le moment venu – et nous y sommes presque – à plus de solidarité en matière de défense et de sécurité du continent quand nous éreintons nos personnels et matériels dans la lutte globale contre le terrorisme.
Quant aux nouvelles ressources, seront-elles réellement créées ? Il existe de nombreux écueils, notamment institutionnels, et les États membres sont encore divisés au sujet de certaines ressources. Des risques de représailles commerciales contre certaines taxes nouvelles existent, vous le savez bien.
En l’absence de nouvelles ressources propres, le remboursement du plan de relance européen pourrait s’élever pour la France à 2,5 milliards d’euros par an sur trente ans, à compter de 2028. Ce remboursement, que la commission des finances du Sénat a qualifié à juste titre en décembre dernier de « bombe à retardement pour les finances publiques », est à rapporter aux 40 milliards d’euros dont la France bénéficiera et à sa santé économique dégradée. À cela s’ajoute l’augmentation de la contribution de la France au budget européen : que de paradoxes !
Sans être obsédé par la question du « juste retour », je considère que tous ces éléments doivent faire partie de l’équation.
Une partie des spécialistes de finances publiques jugent crucial de construire, sur la base de cette matrice emprunt-ressources propres, une doctrine européenne qui pose clairement la question du fédéralisme financier. En matière européenne, nous sommes entrés depuis quelques années dans la politique des petits pas, avec le risque d’un « effet cliquet » anti-retour. Prenons-y garde.
Qu’en est-il du principe de subsidiarité sur les subventions ? Quand d’excellents collègues de la commission des finances affirment que la France emprunterait sur le marché à des conditions meilleures que celles de l’Union européenne, nous avons le devoir de nous interroger.
Le déblocage des fonds suscite également des interrogations. Comme cela a été rappelé dans le rapport de la commission des finances, « l’Union européenne va devoir trouver le bon équilibre entre l’indulgence et l’ingérence ». Je vous laisse, mes chers collègues, fixer la position du curseur. On peut imaginer que des tensions ne manqueront pas, bien évidemment, d’apparaître…
La situation, y compris financière, dans laquelle nous sommes désormais nous conduit à nous interroger sur la fin de crise. Quand celle-ci surviendra-t-elle ? Aucun d’entre nous n’est capable de le dire aujourd’hui. Ces mesures seront-elles suffisantes ou pas ? Je ne le sais pas. Si la crise devait se poursuivre, que ferions-nous ?
Pour toutes ces raisons, je m’abstiendrai sur ce texte et je vous recommande, mes chers collègues, de faire de même. (M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur sourient.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite, sans que mon intervention soit trop longue, revenir sur quelques points évoqués de façon récurrente dans les différentes interventions.
Plusieurs questions ont été soulevées. Sans rouvrir le débat sur les qualificatifs, le fait est que nous n’avons jamais discuté d’un « plan de relance » tout court à l’échelon européen, a fortiori d’un plan de cette ampleur et d’une dette commune, dont vous avez rappelé les avantages qu’elle présentait et les interrogations qu’elle suscitait. Je vais m’efforcer d’apporter quelques réponses, autant que faire se peut, sur ces différents points.
A-t-on défendu les intérêts de la France jusqu’au bout de la nuit ? Je le pense sincèrement. Je ne suis sans doute pas parfaitement objectif dans la mesure où j’ai participé à ces longues nuits blanches, mais je peux vous assurer que, de par la longueur des négociations et de par le capital politique investi – si je puis le dire ainsi – par le Président de la République dans ces négociations, les intérêts de la France, y compris ses intérêts budgétaires, ont été pris en compte à chaque instant.
Les chiffres valant mieux qu’un long discours, je donnerai quelques éléments d’information et de relativisation sur un certain nombre de points.
Vous l’avez compris, je ne suis pas un fanatique de la logique du juste retour, car je pense qu’elle donne une image très parcellaire et imparfaite du bénéfice de notre appartenance à l’Union européenne. Pour autant, nous sommes le sixième contributeur net rapporté à notre PIB.
Non, les rabais ne sont pas un bon système – j’y reviendrai dans un instant – et oui, nous aurions préféré les supprimer – ce combat est encore devant nous –, mais il est faux de dire que nous sommes les victimes budgétaires de nos amis frugaux et que si l’on prend ce seul critère, aussi imparfait soit-il, ceux-ci s’en sortent mieux que nous.
Ces pays bénéficient de rabais aussi parce que leur situation budgétaire, leur contribution nette au budget de l’Union européenne est très élevée – je ne justifie en rien le système, mais c’est un fait –, et même plus élevée que la nôtre. Si l’on doit faire des comparaisons, il faut être tout à fait exact. C’est vrai pour les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, l’Autriche et l’Allemagne : en proportion de leur PIB, ils sont des contributeurs nets plus importants que nous.
Sans justifier, encore une fois, le système des rabais, je note tout de même, afin que nous soyons le plus précis possible, que le coût global des rabais sur l’exercice budgétaire qui a commencé début 2021 est moins élevé pour la France que ce qu’il était auparavant, en raison notamment du départ du Royaume-Uni – le pays qui avait introduit le ver dans le fruit, c’est-à-dire le système des rabais – de l’Union européenne. De ce point de vue, nous bénéficions de ce départ.
La question du coût de l’emprunt a été évoquée dans plusieurs interventions. Sur ce point, les choses sont encore assez incertaines, car elles sont devant nous. Les émissions de dettes européennes liées au plan de relance n’ont pas commencé, mais nous avons quelques éléments de référence, comme l’a dit M. Joly.
Le mécanisme SURE de financement des assurances chômage de certains États membres, auquel la France n’a pas aujourd’hui recours, met au jour, cette semaine encore, des taux d’émission à maturité égale qui sont équivalents entre l’Union européenne et la signature française, et même meilleurs à un certain niveau de maturité, au-delà de dix ans. Cela montre que le produit financier représenté par l’émission de dettes de l’Union européenne est considéré comme extrêmement sûr – c’est, je crois, un geste de confiance dans l’avenir – et qu’il bénéficie dès aujourd’hui de conditions de financement extrêmement favorables, comparables aux nôtres et même meilleures dans certains cas. Il s’agit là non pas de l’argument central pour recourir au plan de relance, mais tout au moins d’un élément d’éclairage de la discussion budgétaire qui nous occupe légitimement ce matin.
Tout comme vous, je l’ai dit, je déplore que les rabais n’aient pas été supprimés. Nous avons mené différents combats ; celui qui portait sur le plan de relance et sur la dette commune était nécessaire, compte tenu de la situation.
Il s’agit, je le maintiens, d’une avancée extrêmement positive, liée certes à la crise, mais qui constituera aussi un outil de réponse lors d’éventuelles crises ultérieures. Nous avons vu que l’Europe avait été frappée, plus souvent qu’on ne l’aurait imaginé, par des crises économiques régulières depuis maintenant une douzaine d’années. Avoir cet outil entre nos mains est donc indispensable, car nous avons besoin, comme le dit M. Le Gleut à juste titre, d’une réponse solidaire.
Permettez-moi de m’éloigner quelques instants de la question du juste retour. Pour évaluer notre appartenance à l’Union européenne de manière plus large que sur ce seul critère, nous devons considérer aussi le bénéfice que nous apporte l’appartenance à la zone euro et au marché unique, ne serait-ce – pour élargir le débat – que d’un point de vue financier.
Je crois avoir dit devant votre assemblée que nous financions notre dette à des conditions beaucoup plus favorables qu’avant l’euro. Si nous devions la financer aux mêmes conditions de taux d’intérêt que dans la période précédant immédiatement l’entrée dans la monnaie unique, nous paierions 37 milliards d’euros supplémentaires de charges d’intérêts annuels. J’insiste sur ce chiffre, car il est révélateur de ce que représente, au-delà d’un calcul budgétaire direct, l’appartenance à notre espace commun.
Ce que je viens de dire est vrai aussi pour la relance. Si nous n’aidons pas, via cette dette commune, l’Italie, l’Espagne ou d’autres pays qui bénéficient de conditions de financement nettement moins favorables, à se relever avec nous, alors nous pénalisons notre économie, notre pays et le projet européen dans la durée. Voilà ce que nous ont permis d’obtenir le plan de relance et la dette commune.
La question des rabais, c’est le combat suivant, même s’il n’est pas nouveau. On a évoqué les négociations jusqu’au bout de la nuit ; j’ajoute que ce système des rabais a été accepté, au-delà du Royaume-Uni, il y a plus de vingt ans par le gouvernement de Lionel Jospin et par le président Jacques Chirac, qui ont défendu bec et ongles les intérêts français, mais qui ont dû admettre, à un moment donné, que ce système était une nécessité.
Nous avons constaté que, pour obtenir et maintenir ce plan de relance et disposer d’un budget qui finance nos priorités politiques, nous devions vivre quelques années supplémentaires avec le système des rabais, même si nous avons essayé de le limiter le plus possible.
Lorsque viendra le moment du remboursement effectif du plan de relance, la solution des ressources propres ne s’imposera pas toute seule. Je suis convaincu qu’elle s’imposera d’abord parce que nous avons franchi une première étape : l’accord de principe unanime des vingt-sept États membres intervenu l’été dernier. Cet accord a été renforcé par la négociation avec le Parlement européen, au sein duquel toutes les familles politiques représentées également dans cet hémicycle soutiennent le principe des ressources propres et se sont exprimées à ce sujet, ce qui comptera dans le combat politique qu’il nous reste à mener.
Les ressources propres, agréées politiquement, seront la solution pour rembourser ce plan de relance. Pour fixer les choses, sachez qu’il nous faudra collectivement rembourser environ 17 milliards d’euros par an à partir de 2028.
Si l’on retient les deux ressources qui me paraissent les plus « mûres » et qui doivent figurer en premier sur la feuille de route agréée par le Conseil et le Parlement européens – le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et la taxe sur les services numériques –, elles couvriraient la quasi-totalité, et même un peu plus dans les hypothèses les plus favorables, du montant annuel du remboursement du plan de relance.
Les ressources propres constituent donc clairement la réponse. Et pour tout vous dire, je pense que nos amis bénéficiaires de rabais l’ont bien compris. Ils savent que le système des rabais est remis en cause et que nous le remettrons en question encore davantage la prochaine fois, lors d’un véritable débat sur ce sujet.
Ils savent aussi que les ressources propres seront la réponse à l’augmentation, qu’ils ne veulent pas voir, de leur contribution financière à l’avenir. En effet, les rabais ne pourront pas augmenter à l’infini, et nous voulons même les supprimer.
On le voit d’ores et déjà dans le débat parlementaire aux Pays-Bas et en Suède – tel n’était pas le cas il y a encore quelques années, pour des raisons de principe –, les ressources que j’ai évoquées, notamment le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, bénéficient d’un soutien politique de plus en plus important, car ces États membres savent que c’est la seule voie pour avancer ensemble.
J’ai tout à fait conscience qu’il n’y a pas, ainsi que plusieurs d’entre vous l’ont dit, de baguette magique ou d’argent magique. Il faudra rembourser. Mais il y a des impôts justes !
Je n’entrerai pas dans le débat sur le fédéralisme évoqué par M. Allizard et d’autres sénateurs, non par frilosité, mais parce que j’avoue ne l’avoir jamais bien saisi. Je ne pense pas que ce soit le sujet ici.
Avec les deux ressources propres que j’évoquais, ou d’autres, comme la taxe sur les transactions financières – c’est vrai aussi, par construction, pour la taxe sur les services numériques et pour le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières –, il ne s’agit pas de faire payer les contribuables européens pour financer je ne sais quelle fédération européenne. Il s’agit de faire payer des gens qui bénéficient de notre marché unique, mais qui ne sont pas européens et qui ne contribuent en rien à notre action commune, autrement dit, de mettre fin à un mauvais deal, pour reprendre les termes du Brexit.
Faire payer des entreprises, très largement étrangères, qui sont sur notre marché unique numérique, des entreprises qui exportent vers l’Union européenne sans respecter nos standards environnementaux et climatiques : voilà qui participe du débat non pas sur le fédéralisme, mais sur une Europe souveraine et indépendante, qui défend tout simplement ses intérêts. Voilà de quoi l’on parle en évoquant les ressources propres.
Pour les raisons que j’indiquais et du fait de la nature de ces ressources, je suis optimiste – je vous le confie – sur leur création et leur mise en œuvre.
Prenons l’exemple de la taxe sur les services numériques : huit pays européens l’ont déjà mise en place à l’échelon national. Avant que les travaux ne se poursuivent au sein de l’OCDE, vingt-quatre pays européens, vingt-cinq avec le Danemark, étaient favorables à cette taxe. Il faudra obtenir l’unanimité des États membres sur cette question, mais je pense que, dans l’année, nous serons fixés sur l’aboutissement ou non des travaux de l’OCDE visant à mettre en place une réponse européenne.
Un autre point a été évoqué, du côté gauche de l’hémicycle : les réformes et les conditionnalités qui pourraient être exigées en contrepartie du plan de relance européen. Je serai précis sur ce sujet.
Chaque pays – la France, comme tous les États membres – va soumettre un plan national de relance – nous sommes en train de le finaliser – à ses partenaires européens en vue de discuter collectivement d’une stratégie de relance. Celle-ci repose sur l’investissement et les financements européens obtenus pour nos plans de relance, mais aussi sur des réformes que nous devrons préciser. Nous faisons d’ailleurs une telle présentation chaque année à nos partenaires européens. C’est ce que l’on a appelé un temps la coordination économique ou la gouvernance économique européenne, que la France a si longtemps appelée – toutes sensibilités politiques confondues – de ses vœux. Il s’agit ici d’une étape supplémentaire en ce sens ; saisissons cette occasion.
Deux points sont très importants.
D’une part, et nous en avons longuement débattu, aucun pays n’a de droit de veto sur le plan de relance d’un autre. Pour être très concret, je prendrai un exemple qui n’est pas tout à fait théorique : les Pays-Bas ne pourraient pas empêcher le financement par l’Union européenne du plan de relance italien. Une décision collective sera prise sur chaque plan de relance, à la majorité qualifiée, selon la procédure normale à l’échelon européen. Je pense que ce débat collectif est sain.
Chaque plan de relance national devra prévoir des réformes ; ce n’est pas une spécificité pour la France… Il y a non pas une réforme prescrite par Bruxelles, mais une stratégie de relance que nous devons exposer et dont nous devons discuter avec nos partenaires européens. Ce sera la dernière étape avant le décaissement des fonds, que nous attendons, je le rappelle, pour le mois de mai ou de juin de cette année.
Le ministre des finances a eu l’occasion de dire que nous devions accélérer les procédures européennes pour que le plan de relance européen soit mis en œuvre et puisse financer rapidement, de manière sonnante et trébuchante, notre propre plan de relance. Avec Bruno Le Maire, nous nous battons à cette fin. J’espère, si le vote de cette assemblée le permet, que nous franchirons à cet égard une étape importante.
J’ai pris bonne note du large soutien apporté à ce texte, mais aussi du soutien vigilant et responsable exprimé par différents groupes qui ont insisté sur les combats restant à mener. J’y vois un encouragement à continuer le travail sur les ressources propres et, pour ce qui me concerne, à vous en rendre compte le plus régulièrement possible. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi.
projet de loi autorisant l’approbation de la décision (ue, euratom) 2020/2053 du conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’union européenne et abrogeant la décision 2014/335/ue, euratom
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom (ensemble une annexe), et dont le texte est annexé à la présente loi.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous attendions depuis des années une évolution de la capacité de l’Union à s’endetter pour financer de nouveaux projets : nous n’allons donc pas bouder notre plaisir !
Toutefois, et les circonstances méritent qu’on le souligne, en Chine, comme l’a indiqué Ronan Le Gleut, ou aux États-Unis, les plans de relance seront bien plus massifs que le financement que nous allons voter. Il y a là un premier risque de décrochage de l’Union européenne par rapport au reste du monde.
Le second risque de décrochage est interne à l’Union européenne. La comparaison de notre plan de relance avec celui de l’Allemagne suscite ainsi notre inquiétude.
Autre inquiétude, nous constatons que l’Europe s’endette pour financer des politiques nationales et non un développement des politiques européennes. Rien n’est prévu sur la défense européenne, rien sur la coopération, rien sur le budget de Frontex ! Tous les moyens nouveaux seront consacrés au financement de politiques nationales.
Il y a un réel danger à considérer que l’Union européenne serait à l’avenir un moyen de financer des politiques nationales et que les ressources propres impacteraient directement le pouvoir d’achat des Européens.
Bien entendu, je voterai ce projet de loi, tout en exprimant des inquiétudes sur les montants prévus, qui ne sont pas à la hauteur de ce que feront nos concurrents, et sur la manière de procéder, c’est-à-dire – j’y insiste – en considérant l’Union non comme un espace appelé à développer de plus en plus de politiques communes, mais comme un moyen de se financer.
Lorsque nous avons commencé à construire l’euro voilà trente ans, nous avons parié que l’intégration politique irait de soi. Tel n’a pas été le cas.
Aujourd’hui, si l’on refuse d’admettre, alors qu’une étape nouvelle est franchie, que celle-ci exige davantage de solidarité et la réussite de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, avec une plus grande intégration, alors il y a danger.
On ne peut pas durablement considérer que l’Union européenne est seulement un outil de financement des États membres. Il s’agit d’un projet, qu’il faut assumer ! C’est ainsi que nous pourrons transformer cette étape en véritable réussite.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’abstiendrai sur ce projet de loi pour un certain nombre de raisons.
Nombre des intervenants l’ont dit, la mutualisation de la dette et les ressources propres sont des avancées majeures, que nous attendions depuis longtemps. La crise terrible que nous vivons nous permet de franchir cette étape. Plusieurs points, pourtant essentiels, sont cependant laissés de côté.
On parle de solidarité, c’est vrai, mais les rabais s’appliquent aux pays en bonne santé, et la fin du dumping fiscal entre nos pays est reportée aux calendes grecques !
Le projet européen d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (Accis), qui est rejeté depuis de longues années, permettrait à tous les pays de l’Union d’avoir des bases communes pour taxer leurs entreprises et mettre fin à la terrible concurrence fiscale que nous connaissons. Ce serait là un effet réel de la solidarité mise en œuvre à l’échelon européen.
Cette réforme est prête ; le problème est donc non pas technique, mais politique. La reporter à nouveau, alors même qu’elle est prête, me semble être un aveu de faiblesse.
Idem pour la taxe sur les transactions financières, que nous pourrions mettre en œuvre rapidement. Son report fait penser à ce qui s’est passé pour de nombreux traités européens : quand on dit « on verra plus tard », finalement, on ne voit rien venir.
Certes, la mutualisation des dettes et la solidarité européenne sont tout de même présentes dans ce texte, mais celui-ci demeure flou sur les réformes structurelles que la France soumettra à la Commission européenne en contrepartie du financement d’une partie de notre plan de relance.
Vous nous avez dit, monsieur le secrétaire d’État, que vous étiez en train d’y travailler. Alors, dites-nous si M. Le Maire, qui parle sans arrêt du retour de la réforme des retraites, y travaille, parce qu’il y aura des mesures de ce type parmi ces réformes structurelles ! Lorsque l’on parle de réformes structurelles en Europe, et notamment en France, il s’agit bien souvent de mesures d’inspiration libérale, voire néo-libérale, fréquemment synonymes de casse sociale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote.
Mme Colette Mélot. La France, pays résolument européen, est face à une décision qui changera profondément notre relation à l’Union européenne.
Avoir le courage de prendre cette décision, ce n’est pas nier les difficultés qui existent et que nous devrons surmonter ensemble. L’Union européenne est une chance pour la France et pour le monde, et je me réjouis que nous fassions le choix de la solidarité entre tous les Européens.
La relance européenne donne l’espoir à tous de sortir rapidement de la crise. Cet emprunt commun et les nouvelles ressources propres sont une nouvelle pierre à l’édifice de notre avenir, un véritable renforcement de l’Union, le projet le plus marquant depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Je suis fière que le groupe Les Indépendants – République et Territoires soit au rendez-vous de l’histoire et vote à l’unanimité pour ce projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Je voterai sans ambiguïté ce texte pour les raisons qui ont été exposées par le dernier orateur du groupe Les Républicains, avec lequel je suis tout à fait d’accord.
Je veux néanmoins attirer votre attention, monsieur le secrétaire d’État, car cela n’a pas été évoqué au cours du débat, sur le rôle clé, dans ce plan de relance européen, des collectivités territoriales.
L’Union européenne demande qu’il y ait une articulation du plan de relance avec les grands fonds structurels européens, qui sont notamment gérés par les régions. Or on ne voit pas où est l’articulation entre le plan de relance européen, ses déclinaisons nationales et le rôle absolument clé des collectivités territoriales en termes d’investissements.
Très concrètement, comment allez-vous articuler les priorités de ce plan de relance avec les futurs contrats de relance et de transition écologique (CRTE), dont le Premier ministre a assuré la promotion ? Les collectivités ne le savent pas !
L’Association française du Conseil des communes et régions d’Europe (AFCCRE), laquelle rassemble nombre de nos collectivités et des élus de toutes obédiences politiques, et qui est en général assez modérée, vient d’ailleurs de vous alerter dans un communiqué assez ferme : elle considère anormal que les collectivités territoriales ne soient pas étroitement associées à ce plan de relance. J’aimerais vous entendre sur ce point.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je vous rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.
J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, et, l’autre, du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 80 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 279 |
Pour l’adoption | 260 |
Contre | 19 |
Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. le rapporteur applaudit également.)
3
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
4
Accord fiscal avec Monaco
Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé (projet n° 688 [2019-2020], texte de la commission n° 302, rapport n° 301).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le 25 février 2019, la France et Monaco ont signé l’accord relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé.
Cet accord s’inscrit dans le cadre d’une coopération étroite et ancienne avec la principauté de Monaco. Il est, en premier lieu, la manifestation des liens étroits qui unissent la France à Monaco.
Sur le plan politique, les relations entre la France et Monaco ont évolué depuis quelques années dans le sens d’une souveraineté renforcée de la principauté, notamment depuis la signature du traité d’amitié de 2002 et l’élévation de notre consulat à Monaco au rang d’ambassade le 1er janvier 2006.
La commission annuelle de coopération franco-monégasque (CCFM), coprésidée par le secrétaire général du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, et par le ministre d’État de la principauté de Monaco, constitue la clé de voûte de notre coopération. Bien qu’elle n’ait pu se réunir en 2020 du fait de la situation sanitaire, cette commission se tiendra à nouveau très prochainement.
Monaco constitue un bassin d’emploi important qui représente un grand intérêt économique pour le département des Alpes-Maritimes. Environ 35 000 Français travaillent à Monaco, un peu moins de 10 000 y résident, tandis qu’environ 400 Monégasques vivent en France.
Notre coopération est également de nature fiscale. Les relations entre nos deux pays sont ainsi régies par deux conventions, qui ne posent pas de difficultés d’application : la convention de 1950 tendant à éviter les doubles impositions et à codifier les règles d’assistance en matière successorale, d’une part ; la convention de 1963 en matière d’impôt sur le revenu, d’autre part.
Ainsi, les liens entre la France et Monaco sont nombreux, anciens, et la proximité entre nos deux pays instaure un cadre favorable au consentement de dons et legs transfrontières à l’égard d’entités à but non lucratif françaises et monégasques.
Dans notre droit interne, les personnes publiques et organismes à but désintéressé bénéficient d’une exonération des droits de mutation à titre gratuit pour les dons et legs consentis en leur faveur.
Toutefois, dans le dispositif conventionnel liant la France et Monaco, aucune disposition ne permettait une telle exonération réciproque pour les dons et legs consentis à ces entités dans l’autre État.
Depuis 1969, en l’absence d’accord sur cet aspect spécifique, et grâce à la qualité des relations franco-monégasques, les organismes à qui des dons et legs ont été consentis de manière transfrontière ont pu être exonérés de droits de mutation. Cependant, ces exonérations sont intervenues uniquement sur la base de décisions ponctuelles des autorités compétentes de nos deux États, dès lors que ces organismes auraient été éligibles à de telles exonérations s’ils avaient été établis sur le territoire de l’État de provenance de ces dons et legs.
Le présent projet de loi vise donc à donner un cadre juridique stable, permettant de définir les conditions d’une exonération réciproque et homogène des droits de mutation applicables en cas de dons et legs effectués au bénéfice de personnes publiques. Il s’agit de définir, en accord avec notre partenaire monégasque, des règles claires, comme cela existe déjà avec d’autres États partenaires.
En effet, cet accord s’inscrit dans la lignée d’autres accords déjà conclus dans ce domaine avec certains de nos voisins directs – l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, la Suisse –, mais également d’autres partenaires – l’Autriche, les États-Unis, le Portugal ou encore la Suède.
À l’occasion de la réunion de la commission mixte de 2016 entre la France et Monaco, il a été décidé de prévoir un accord sur l’exonération réciproque des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé, afin de donner une base légale à ces exonérations et, ainsi, de mettre fin à la pratique antérieure des décisions interministérielles. Cet accord est ainsi un instrument de sécurisation juridique pour les dons et legs aux personnes publiques.
Un texte a été agréé par les parties et validé au début de l’année 2018. La signature de l’accord a eu lieu le 25 février 2019 à Monaco.
Les bénéficiaires de l’accord peuvent être les États parties, leurs collectivités locales et territoriales, mais également des établissements publics et d’utilité publique et, enfin, des organismes à but désintéressé opérant dans les domaines culturel, cultuel, éducatif, charitable, scientifique, médical, environnemental ou artistique et implantés dans l’un des États parties.
L’accord prévoit par ailleurs un effet rétroactif pour les legs : il s’appliquera à ceux qui ont été consentis par des personnes décédées à compter du 1er janvier 2012.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’accord qui est soumis à votre approbation aujourd’hui répond ainsi à un triple objectif.
D’abord, il vise à sécuriser le cadre juridique applicable aux dons et legs consentis au profit de personnes publiques dans l’un ou l’autre des États.
Ensuite, les catégories de personnes morales désignées dans l’accord sont les mêmes que celles qui bénéficient actuellement d’une exonération en droit français. L’accord permet donc d’étendre cette exonération aux entités établies sur le territoire de l’État partenaire.
Enfin, cet accord témoigne de la volonté de nos deux pays de faciliter le financement des personnes publiques et des organismes à but non lucratif qui concourent à l’intérêt général français et monégasque.
Telles sont, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui soumis à votre approbation.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord avec la principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé.
Il appartient en effet à la représentation nationale d’autoriser ou non la ratification des accords internationaux. Certes, le pouvoir du Parlement dans ce domaine est limité, puisque nous ne pouvons qu’approuver ou rejeter l’accord. Néanmoins, il nous incombe d’examiner attentivement le contenu de ce texte, afin d’exposer aussi précisément que possible les conséquences de son adoption pour nos concitoyens.
Je rappelle l’existence de deux conventions fiscales relativement anciennes destinées à définir les modalités d’imposition des 10 000 Français qui résident à Monaco et des 400 Monégasques habitant en France. La principauté étant très attractive d’un point de vue fiscal, ces deux conventions se singularisent par leur objet, qui est non pas tant d’éviter les doubles impositions que de lutter contre le transfert de bénéfices à Monaco et de dissuader les contribuables français d’établir leur domicile fiscal dans la principauté afin d’échapper à l’impôt sur le revenu en France.
Ces deux textes ne couvrent cependant pas l’intégralité des questions de nature fiscale auxquelles sont confrontées la France et Monaco dans leurs relations, laissant une relative latitude aux autorités compétentes des deux États pour régler certains cas par la pratique.
L’accord que nous examinons aujourd’hui a donc vocation à combler une absence de base conventionnelle, en encadrant une pratique constante depuis 1969 en matière de dons et legs transfrontaliers.
En effet, en droit français comme en droit monégasque, certaines personnes publiques et entités sont exonérées du paiement des droits de mutation à titre gratuit, à savoir les droits d’enregistrement et la taxe de publicité foncière.
Néanmoins, même si deux États exonèrent dans leur droit interne des entités similaires, cet avantage est en principe limité aux organismes implantés sur le territoire national, sauf si une convention fiscale assure un régime de réciprocité en la matière.
Or, en dépit de toute base conventionnelle, la France et Monaco exonèrent mutuellement de droits de mutation à titre gratuit les dons et legs consentis à des personnes publiques ou des organismes non lucratifs situés dans l’autre État.
Ces exonérations sont accordées sur la base de décisions ponctuelles, si tant est que les entités bénéficiaires remplissent les conditions d’éligibilité dans le droit interne de l’autre État.
S’il s’agit d’une pratique constante depuis 1969, elle ne concerne qu’un nombre restreint de cas : depuis 2010, six organismes français ont bénéficié d’une exonération de droits monégasques, tandis qu’une seule demande d’exonération a été formulée auprès des services fiscaux français.
C’est à l’occasion de cette dernière demande, qui portait sur un legs important consenti par un Français au profit d’un hôpital à Monaco, que les autorités françaises ont proposé à leurs homologues monégasques de formaliser davantage leurs relations fiscales dans ce domaine.
Les échanges ont principalement porté sur le choix du support juridique idoine, ainsi que sur certains aspects rédactionnels.
Il est utile de préciser que les stipulations contenues dans l’accord sont largement comparables à celles qui figurent dans les accords de même type conclus par la France.
L’accord définit ainsi trois catégories de bénéficiaires des exonérations de droits de mutation à titre gratuit, à savoir les États parties, leurs collectivités locales ou territoriales, ainsi que les établissements publics, d’utilité publique et les organismes à but désintéressé opérant dans les domaines culturel, cultuel, éducatif, charitable, scientifique, médical, environnemental ou artistique et implantés dans l’un des États parties.
Ce champ d’application, relativement large, est censé couvrir l’ensemble des entités éligibles à ces exonérations dans le droit interne de chaque État.
Mes chers collègues, j’attire cependant votre attention sur le fait qu’il ne suffit pas à une entité de correspondre à ces critères pour pouvoir bénéficier des dispositions de l’accord, puisque l’article 2 pose une condition de stricte réciprocité : un organisme ne sera éligible à une exonération de droits de mutation dans l’autre État que si ce dernier prévoit cette même exonération en faveur des organismes situés sur son territoire.
L’accord aura une portée rétroactive en matière de legs ; cette disposition s’explique par la décision qui a été prise, au début de la négociation, de geler toutes les demandes d’exonération dans l’attente du présent accord.
Avant de conclure, j’évoquerai brièvement les conséquences fiscales de ce texte.
Dans un premier temps, les pertes de recettes résultant de la portée rétroactive de l’accord devraient être relativement circonscrites, puisque seule une demande d’exonération est en attente d’examen en France. En parallèle, quatre demandes d’exonération auraient été formulées auprès des services fiscaux monégasques, pour des dons et legs en faveur d’organismes français d’un montant total d’environ 25 millions d’euros, correspondant à des droits de mutation de l’ordre de 4 millions d’euros.
Pour les exonérations à venir, si nous ne pouvons anticiper dans quelles proportions cet accord aura un effet incitatif, il me semble raisonnable d’estimer que son impact fiscal devrait rester limité puisqu’il se substitue à une pratique courante.
Pour conclure, mes chers collègues, cet accord présente l’avantage de clarifier l’ensemble des procédures applicables en matière de dons et legs transfrontaliers, de même que la liste des entités éligibles à une exonération, afin d’inscrire les décisions rendues en matière d’exonération dans un cadre juridique plus solide.
Ainsi, la commission des finances du Sénat vous propose d’adopter le projet de loi autorisant l’approbation de cet accord.
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi autorise l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé. Il concerne essentiellement l’exonération réciproque des droits de mutation à titre gratuit, entre vifs et par décès, des dons et legs consentis à des bénéficiaires, et ce qu’ils soient établis en France ou à Monaco.
Je vois deux intérêts principaux à cet accord.
Le premier, c’est de sécuriser le cadre juridique actuel. En effet, depuis plusieurs décennies déjà, des exonérations de droit de mutation sont consenties par chaque État afin d’éviter les doubles impositions. Mais elles ne sont consenties qu’à titre particulier puisque la règle générale ne le permet pas. Aussi les cas particuliers tendent-ils à devenir la règle générale. C’est pourquoi il apparaît raisonnable de changer la règle pour l’adapter à la réalité des pratiques fiscales.
Le second, c’est de renforcer la coopération entre la France et Monaco, dont le territoire est déjà fortement intégré au nôtre.
Je pense bien évidemment aux niveaux économique et local : la coopération et le développement se font de manière fluide et continue avec la région sud et le département des Alpes-Maritimes. Mais je pense aussi au niveau culturel et national : les actions menées par la principauté et ses ressortissants ont des effets très positifs pour nous.
Cet accord, en sécurisant le cadre juridique des dons et legs à des organismes publics ou œuvrant pour l’intérêt général, devrait ainsi permettre de renforcer les actions dans divers domaines, de la culture à l’éducation en passant par l’écologie et l’égalité des chances.
Enfin, pour conclure, je tiens à rappeler que la France a déjà noué des accords similaires avec d’autres pays européens, toujours dans l’optique d’éviter les doubles impositions et de renforcer des partenariats dans ces différents domaines. C’est notamment le cas avec la Suisse, les États-Unis, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Italie ou encore l’Espagne.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte, qui, nous l’espérons, renforcera les liens d’amitié et de coopération avec la principauté de Monaco.
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi.
M. Paul Toussaint Parigi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit d’autoriser l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la principauté de Monaco aux fins d’encadrer les conditions d’exonération des droits de mutation à titre gratuit, entre vifs et par décès, pour les dons et legs consentis dans l’autre État.
Plus précisément, ce dernier donne à cette pratique déjà existante un contour juridique précis aux fins de la normaliser en énonçant des conditions d’application claires.
Notre groupe estime que cet accord présente l’avantage de clarifier l’ensemble des procédures applicables en la matière, sous réserve de stricte réciprocité, mais qu’il permet surtout le financement d’entités à but non lucratif.
Toutefois, le sujet qui est porté aujourd’hui devant notre assemblée – la renégociation d’une convention fiscale avec Monaco dont l’enjeu est minime –, est l’occasion de s’interroger sur le contexte problématique dans lequel il s’insère.
Au début des années 2000, Monaco a été dénoncée comme paradis fiscal et placé sur la liste noire du Fonds monétaire international (FMI). Depuis lors, la principauté participe aux instances internationales et elle a accepté de collaborer avec le fisc et la police française avec Tracfin. Techniquement, Monaco ne figure donc plus sur la liste des paradis fiscaux de l’OCDE depuis 2009. Depuis l’accord de 1963 sur l’impôt sur le revenu, les citoyens français n’ont aucun intérêt fiscal à s’exiler.
Mais Monaco reste un havre fiscal exceptionnel pour certains fortunés, chinois ou russes. Sous réserve d’accepter d’y résider au moins six mois par an, on ne paye pas d’impôt sur le revenu ni d’impôt sur les bénéfices si plus de 75 % du chiffre d’affaires est réalisé à Monaco. Cela se traduit notamment par un marché immobilier aux prix ahurissants, déconnectés de toute réalité, qui fait encore à ce jour de Monaco un simili-paradis fiscal aux portes de la France.
Or les inégalités sont le mal du siècle et l’évasion fiscale l’un de ses principaux symptômes. Est-il vraiment possible de passer outre le fait que des oligarques russes ou chinois peuvent profiter du climat monégasque sous prétexte que les Français, eux, doivent s’évader ailleurs ?
Le principe de ces conventions avec des pays, dont on sait par ailleurs qu’elles posent problème en matière d’évasion fiscale, suscite un questionnement d’ensemble.
Certes, ce texte n’a rien de problématique. Il est même relativement anodin. Pour autant, il nous semblait pertinent d’en rappeler le contexte.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France et Monaco ont en matière fiscale une coopération de longue date. En effet, c’est avec la principauté monégasque que la France, dès 1950 – le 1er avril pour être précis – signait sa première convention fiscale avec un pays partenaire.
Dénoncée quelques années après par notre pays en raison des abus trop nombreux de ceux qui avaient trouvé là un moyen de se soustraire à leurs obligations fiscales, cette convention fut source de tensions jusqu’à son remplacement par une nouvelle convention en 1963, qui venait mettre de l’ordre dans les règles fiscales transfrontalières entre la France et Monaco.
Pour rappel, cette dernière eut, entre autres conséquences, l’instauration d’un impôt sur les bénéfices dans la principauté et l’assujettissement des Français résidant à Monaco à l’impôt sur le revenu en France dans les mêmes conditions que s’ils y avaient leur domicile fiscal. Cela montre tout l’intérêt de ces accords.
Malgré les révisions successives, ces conventions ne couvrent toujours pas l’ensemble des situations.
Ainsi, le droit existant conduit à une situation injuste où les dons et legs consentis à certaines entités publiques ou privées sont exonérés de droits de mutation à titre gratuit au nom de l’intérêt général, dans le droit interne monégasque comme dans le droit français, mais doivent être imposés dès lors qu’ils ont lieu entre un donateur et une entité donataire situés de part et d’autre de la frontière.
Pour y remédier, les gouvernements français et monégasques ont pu décider ponctuellement, au cours des dernières années, de mettre en place de telles exonérations au nom de l’intérêt général, mais il était impératif d’apporter une réponse claire et durable. L’accord qui nous est soumis aujourd’hui, fruit de trois ans de travail d’une commission mixte franco-monégasque, conclu en 2019, fixe donc des règles claires en leur donnant enfin une base contractuelle.
Cet accord permettra de généraliser la pratique en garantissant une exonération réciproque et homogène. C’est une bonne nouvelle au regard des impératifs de transparence, de lisibilité et d’universalité de la loi fiscale, car ces décisions seront désormais fondées sur des bases légales issues d’un accord régulier.
Pour toutes ces raisons, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi s’inscrit dans une longue tradition d’accords bilatéraux entre la France et la principauté de Monaco en matière fiscale. La convention de 1950 tendait à éviter les doubles impositions et à codifier les règles successorales ; la convention de 1963 concernait l’impôt sur le revenu et prévoyait que les résidents français de la principauté sont assujettis à l’impôt français, à l’exception de ceux qui y résidaient avant 1957.
Aucune convention n’autorisait des droits de mutation à titre gratuit pour des organismes à but non lucratif lorsque ceux-ci ont été bénéficiaires de dons et legs, consentis dans l’autre État, entre vifs et par décès. Pourtant, de nombreux accords de même nature ont été signés entre la France et des États comme l’Allemagne, la Belgique, l’Italie ou le Portugal.
Ce texte propose de pallier cette absence d’accord en instaurant des exonérations fiscales sur les dons et legs bénéficiant aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé, Monaco ayant demandé, en 2016, l’exonération pour le compte de l’un de ses hôpitaux.
Avec ses 2 kilomètres carrés de superficie, la principauté de Monaco est le deuxième plus petit pays du monde après le Vatican. Elle siège à l’Organisation des Nations unies (ONU) depuis 1993, au Conseil de l’Europe depuis 2004 et fait partie de la zone euro. Elle représente, pour le département des Alpes-Maritimes, un bassin d’emploi important, 35 000 Français y travaillant. Sa situation géographique lui confère évidemment une communauté de destin avec la France, au point qu’elle avait même été rattachée à notre pays durant la Révolution.
Aujourd’hui, cette proximité se traduit par de nombreux accords entre les deux États, sans oublier – pour les amateurs de ballon rond ! – par la participation de l’AS Monaco au championnat de France de football.
Ce projet d’accord traduit aussi la volonté de la principauté de rompre avec sa réputation sulfureuse de paradis fiscal non coopératif. Aujourd’hui, ce pays préfère répondre aux standards de l’Union européenne, dont il tient à se rapprocher en matière de réglementation. Depuis 2009, il s’est engagé sur la voie de la transparence fiscale et financière, abolissant le secret bancaire, répondant désormais aux normes financières internationales selon l’OCDE.
Le Rocher continue parfois de marquer son indépendance en dérogeant à certains principes de l’Union européenne par des mesures comme le contrôle de l’installation de personnes physiques et d’entreprises ou la priorité d’emploi octroyée aux Monégasques.
Récemment, la principauté de Monaco a aussi été jugée trop laxiste en matière de lutte contre la pandémie par la France, inquiète de l’absence de mesures barrières et de distanciation sociale, ce qui faisait peser un risque accru sur les habitants de toute la région.
Pour conclure, j’évoquerai le deuxième alinéa de l’article 3 de l’accord qui donne à celui-ci une portée rétroactive. Cette disposition sera de faible portée, peu de legs ayant fait l’objet d’une demande d’exonération depuis le 1er janvier 2012.
Dans ces conditions, rien ne s’oppose à ce que le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen vote l’approbation de cet accord.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1962, à l’apogée de la crise avec la principauté monégasque, on prête au général de Gaulle la formule suivante : « Pour faire le blocus de Monaco, il suffit de deux panneaux de sens interdit. » (Sourires.) Sur les dons et les legs, il nous est aujourd’hui proposé d’enlever tous les panneaux ! N’entravons plus la circulation des capitaux entre le Rocher et la France ou, plus vraisemblablement, plutôt dans l’autre sens, entre la France et le Rocher !
M. Vincent Delahaye, rapporteur. Pas du tout ! C’est l’inverse !
M. Éric Bocquet. Arrêtons de nuire au rapprochement entre les peuples !
Le présent accord prévoit de réduire les recettes fiscales sur les successions sous couvert de financer de bonnes œuvres. Pourquoi conduire une réforme qui n’aurait, selon l’étude d’impact, qu’un effet très limité ? Le rôle du législateur n’est pas d’octroyer des avantages à une petite poignée de ménages souhaitant s’exonérer de leurs obligations fiscales sur leurs donations et leurs legs.
Comme pour nous réconforter, nous devrions être rassurés par le fait que « la réciprocité de l’exonération limite l’impact fiscal dans chacun des deux États ». Nous savons tous ici que les motifs invoqués peuvent interpeller : les mouvements de capitaux iront de Monaco vers la France.
Nous pourrions nous réjouir de cette possibilité, prévue par l’accord, que des dons ou legs de riches Monégasques soient faits au profit de collectivités locales françaises. Le département du Nord, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, saurait faire bon usage pour sa population de l’argent du Rocher. Il s’agirait incontestablement d’une bonne nouvelle !
M. Vincent Delahaye, rapporteur. Ça va venir !
M. Éric Bocquet. Un tel accord conforte encore le développement d’un financement privé du secteur associatif par les entreprises mécènes et les riches particuliers. Ainsi, en 2017, les entreprises ont versé 1,7 milliard d’euros au titre du mécénat, ce montant ayant doublé en sept années.
Les foyers fiscaux ont, quant à eux, déclaré 2,5 milliards d’euros de dons, dont la moitié provient du décile des ménages les plus aisés. Grâce aux profits que leur permettent de réaliser une multitude d’avantages fiscaux, certains ont les moyens de leur générosité…
Dans ce dispositif, le seul perdant sera l’État. Des chercheurs, MM. Depecker, Déplaude et Larchet – aucun rapport avec le président du Sénat ! –, résument admirablement cette situation : « À travers les avantages fiscaux dont ils font bénéficier les organisations philanthropiques, les États subventionnent, et donc soutiennent les stratégies de reproduction et de légitimation des élites économiques. »
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera contre l’approbation de cet accord. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic.
M. Thierry Cozic. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne vous surprendrai pas si je commence mon propos en vous rappelant que, par le passé, la principauté de Monaco a développé au fil des ans son statut de paradis fiscal par le biais de baisses d’impôts et en autorisant des sociétés-écrans qui permettaient de réaliser des opérations financières sans vérification de l’identité des bénéficiaires.
Le laxisme monégasque avait pour conséquence de créer un État dans l’État pour les plus fortunés de notre pays. Il est d’ailleurs salutaire que des ajustements significatifs aient été consentis par la principauté.
À ce titre, les rapports entre la France et Monaco ont régulièrement été marqués, depuis le début du XXe siècle – mon collègue Éric Bocquet l’a rappelé –, par des périodes de tensions dont la plus connue est le blocus imposé par le général de Gaulle en 1962.
Malgré les avancées obtenues et une plus grande coopération entre la France et la principauté de Monaco, dont nous ne pouvons que nous réjouir, la richesse monégasque et, concomitamment, l’attractivité fiscale de ce pays restent un point de vigilance, sachant en outre que, selon les dernières données publiées en 2018 par l’Insee, notre pays a connu une hausse significative du taux de pauvreté cette année-là. Nul doute que, après la crise de la covid-19, les inégalités seront exacerbées.
En ce sens, le dernier rapport en date d’Oxfam est édifiant. Il y est décrit une société à deux vitesses dans laquelle on trouve au sommet de l’échelle les milliardaires, qui ont vu leur fortune augmenter de 3 900 milliards de dollars entre mars et décembre, leur patrimoine cumulé ayant été porté à près de 12 milliards de dollars. C’est tout simplement effarant lorsque l’on sait que c’est l’équivalent des montants dépensés par les pays du G20 pour faire face à la pandémie !
Les travaux de Thomas Piketty démontrent que la composante patrimoniale de ces inégalités est aujourd’hui très lourde et que celles-ci sont revenues à un niveau équivalent à celui d’avant la Première Guerre mondiale.
De fait, les liens fiscaux et patrimoniaux revêtent une importance prépondérante dans une perspective de justice fiscale.
C’est avec cette situation à l’esprit que j’évoque devant vous, mes chers collègues, ce projet de loi prévoyant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé.
Sur les travées de mon groupe, et plus largement sur le côté gauche de notre hémicycle, la mise en place d’un mécanisme de défiscalisation au bénéfice de ressortissants monégasques ou au profit de contribuables français réalisant des opérations de dons ou de legs sur le territoire de la principauté aurait pu soulever les passions. Après une lecture et une analyse approfondies de ce texte, il n’en sera rien.
Par ailleurs, nous notons que si l’accord prévoit une rétroactivité de la norme fiscale en matière de legs, cela ne semble pas poser de difficulté juridique, dans la mesure où le dispositif profite aux contribuables.
Nous notons aussi que ces types d’accords transfrontaliers sont légion. Ainsi, la France a notamment conclu des accords avec l’Allemagne, l’Autriche et la Belgique.
Par conséquent, au regard du faible coût en valeur et en quantité que ce mécanisme représente, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera favorablement ce texte.
Cependant, notre groupe demeure convaincu, comme il l’a montré ces derniers mois par ses réflexions et ses propositions fortes – je pense notamment à la proposition de loi présentée par notre ancien collègue Thierry Carcenac –, qu’il convient aujourd’hui, en matière de fiscalité du patrimoine au sens large, de réformer en profondeur un système qui n’est plus vecteur de justice fiscale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi autorise l’approbation d’un accord signé le 25 février 2019 entre la France et la principauté de Monaco concernant le régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé.
L’objet de cet accord est de faciliter les dons ou legs de résidents français ou monégasques effectués à des entités publiques, y compris les collectivités territoriales, ou des organismes à but désintéressé.
Ces entités peuvent être soit des organismes caritatifs, soit des organismes œuvrant dans le domaine environnemental, médical, scientifique, éducatif, culturel, artistique ou même cultuel, qu’ils soient situés en France ou à Monaco.
Pour ce faire, l’accord prévoit que les dons ou legs effectués entre la France et Monaco du vivant du donateur ou dans le cadre d’une succession, sont exonérés de droits de mutation à titre gratuit.
Quand cela concerne un organisme à but désintéressé dans les domaines que j’ai cités précédemment, situé dans l’autre État, l’exonération fiscale du don ou legs n’est valable que si cette exonération existe déjà dans l’État de résidence pour le même type d’organisme implanté. Elle n’est donc pas possible si le même type d’organisme n’existe pas dans l’État du donateur.
Ainsi, si un Monégasque veut par exemple faire un don à une association située en France, il ne pourra pas être exonéré si ce type d’association n’existe pas à Monaco.
Cet accord vise en réalité à conforter juridiquement une pratique déjà existante, même si elle était peu usitée.
Malgré l’absence jusqu’à présent de convention fiscale, les exonérations fiscales des dons et legs transfrontaliers entre la France et Monaco étaient possibles, sur décision ministérielle, au cas par cas, après, pour les résidents monégasques, une déclaration de leur don au service départemental de l’enregistrement de Nice, conformément à ce que prévoit l’arrêté du 13 octobre 2017, puis une instruction de la direction de la législation fiscale.
Depuis 2010, comme l’a précisé notre excellent rapporteur, Vincent Delahaye, six demandes de dons de Monaco en France ont été effectuées et une de France vers Monaco : elle concernait l’hôpital Princesse-Grace, qui avait bénéficié d’un précédent don en 1969. Il convenait toutefois de clarifier le droit. C’est désormais chose faite.
Je tenais à vous dire en tant que membre du groupe interparlementaire d’amitié France-Monaco, présidé par notre collègue et amie Dominique Estrosi Sassone, que cette mesure était attendue depuis longtemps.
C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera en faveur de ce projet de loi, conformément à la position de notre commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Bernard Delcros. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 25 février 2019, la France et la principauté de Monaco ont signé, cela a été largement rappelé, un accord ayant pour objet l’exonération réciproque du paiement des droits de mutation à titre gratuit lorsque ces mutations sont consenties au profit de certaines personnes publiques ou entités à but désintéressé ; est ici visé le paiement des droits d’enregistrement et de la taxe de publicité foncière.
Ce projet de loi autorise l’approbation de cet accord et retranscrit, dans la loi, les dispositions signées voilà près de deux ans.
Les deux conventions fiscales bilatérales qui régissent de longue date les relations entre la France et Monaco ne couvrent pas la totalité des questions relatives aux impositions. Elles laissent donc aux autorités compétentes des deux États, en dehors de tout cadre conventionnel et sur le fondement de simples décisions administratives, le soin d’accorder ou non le bénéfice de certaines aides fiscales. Les entités potentiellement bénéficiaires de ces exonérations peuvent donc se retrouver dans une situation d’incertitude juridique susceptible de leur porter préjudice ; cela a été indiqué.
Par conséquent, il était important que cette pratique trouve enfin le cadre juridique permettant de fixer, de manière solide et transparente, les critères d’éligibilité à l’exonération de droits de mutation. Ce cadre répond à la demande de sécurité et de stabilité juridiques exprimée tant par les contribuables que par les praticiens du droit fiscal.
Ce texte sera, au bout du compte, bénéfique pour les organismes non lucratifs français et monégasques, dont le financement s’en trouvera sécurisé et donc facilité.
C’est pourquoi le groupe Union Centriste votera pour ce projet de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la principauté de monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé, signé à Monaco le 25 février 2019 et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je vous rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
5
Mise au point au sujet d’un vote
Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, je souhaite rectifier un vote ayant eu lieu le 3 février dernier, lors de l’examen, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la bioéthique.
Lors du scrutin n° 72, portant sur les amendements identiques nos 31 du Gouvernement et 91 rectifié de Mme Laurence Cohen, à l’article 4 bis du projet de loi, notre collègue Marie-Noëlle Lienemann a été enregistrée comme ayant voté pour, alors qu’elle souhaitait ne pas prendre part au vote.
Mme le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
6
Prorogation de l’état d’urgence sanitaire
Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi
Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire (projet n° 327, résultat des travaux de la commission n° 337, rapport n° 336).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement regrette que l’Assemblée nationale et le Sénat ne soient pas parvenus à un accord en commission mixte paritaire sur ce projet de loi.
Les deux chambres ont pourtant jugé, l’une comme l’autre, que la dégradation de la situation sanitaire justifiait de prolonger les pouvoirs exceptionnels accordés au Gouvernement pour lutter contre l’épidémie de covid-19.
La divergence entre elles réside principalement, d’une part, dans le choix des échéances à fixer pour la prorogation de l’état d’urgence en cours d’application et, d’autre part, dans les modifications de fond à apporter au régime de l’état d’urgence sanitaire, qui nous paraissent davantage relever du projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires.
Je m’efforcerai de ne pas être trop long dans la mesure où votre commission des lois a déposé une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi, dont le vote aura pour effet de mettre fin à nos débats. Permettez-moi néanmoins de dire quelques mots sur le texte et sur son importance pour la lutte contre l’épidémie.
Grâce à ce texte, nous disposerons, jusqu’au début du mois de juin, des outils indispensables pour freiner l’épidémie – maintien du couvre-feu, obligation du port du masque et limitation des rassemblements –, dans le seul but d’éviter la saturation des services de réanimation. Oui, lutter contre l’épidémie suppose de bouleverser nos habitudes et de restreindre nos libertés. Nous nous en serions évidemment bien passés et ce n’est pas de gaîté de cœur – vous vous en doutez – que l’on demande à ses concitoyens de renoncer, au quotidien, à tout un ensemble d’activités.
J’ai conscience de l’extraordinaire effort que cela demande aux Français depuis maintenant plusieurs mois. Comme secrétaire d’État à la famille, je ne connais que trop la souffrance des jeunes, des parents, des étudiants dans cette période d’incertitudes, face à ces contraintes majeures dans la vie quotidienne, et le souhait de chacun de retrouver sa vie d’avant.
Toutefois, vous le savez, le virus circule toujours activement en France, comme d’ailleurs chez nos voisins européens et ailleurs dans le monde.
Au regard de la dynamique actuelle et de la diffusion progressive des variants sur le territoire national, dont la contagiosité serait plus importante, nous n’avons pas d’autre option que de proroger le régime d’état d’urgence sanitaire.
Au-delà des mesures de police sanitaire, nous renforçons également la stratégie « tester, alerter, protéger », que j’évoquerai en quelques mots.
Les efforts fournis par l’ensemble des professionnels ont permis de faire du système de dépistage français l’un des plus efficaces en Europe.
Ce système repose d’abord sur la gratuité : depuis le 31 janvier 2020, les tests sont totalement gratuits en France, pour tout le monde.
Mme Laurence Rossignol. C’est vrai !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. C’est unique en Europe, il faut le rappeler. Vous le savez probablement, une personne asymptomatique souhaitant se faire tester doit débourser près de 120 euros en Allemagne et jusqu’à 350 euros au Royaume-Uni.
Notre système repose ensuite sur la proximité. Chacun, qu’il présente des symptômes ou non, qu’il soit cas contact ou non, peut, au moindre doute, se faire tester près de chez lui, dans un laboratoire, chez son pharmacien, chez son médecin, dans un cabinet infirmier ou chez son dentiste. On compte ainsi plus de 12 000 points de test en France, sans compter les entreprises, les écoles et les collectivités territoriales, qui peuvent également mettre en place des opérations de dépistage, ou encore les aéroports, où ont été déployés des centres de test aux départs et aux arrivées. Cette stratégie distingue la France d’autres pays européens, où la question de l’accès aux tests n’est toujours pas réglée.
Notre système de dépistage repose également sur une exigence de rapidité : 94 % des résultats sont désormais transmis en moins de vingt-quatre heures. C’est un résultat très élevé par rapport à nos voisins ; seule l’Espagne s’approche de ce taux. En outre, près d’un tiers de nos tests sont des tests antigéniques, le résultat étant disponible en moins de 30 minutes.
Ce dispositif repose enfin sur la traçabilité, grâce au système d’information national de dépistage populationnel, ou Sidep.
Depuis le début de l’épidémie, les équipes de l’assurance maladie et des agences régionales de santé s’évertuent à retracer les cas contacts dans des délais toujours plus courts et à accompagner les personnes concernées, grâce aux systèmes d’information dont vous avez fixé le cadre en mai dernier, et qui seront prolongés à l’article 4 du présent projet de loi.
Notre plus grand défi consiste désormais à renforcer la compréhension et le respect de l’isolement.
Après un débat transparent, nous avons fait le choix de la confiance, en ne nous orientant pas vers un système d’obligation et de contrôle, préférant renforcer significativement l’accompagnement des personnes isolées.
Pour ce faire, nous supprimons tout obstacle financier à un isolement effectif et immédiat. Depuis le 10 janvier dernier, toute personne étant testée positive, ayant des symptômes ou étant cas contact peut se déclarer, éventuellement avant même d’avoir fait un test, sur le site de l’assurance maladie pour obtenir un arrêt de travail immédiat et être indemnisée dès le premier jour, sans jour de carence.
Nous avons également renforcé le télésuivi à domicile : depuis fin janvier, toute personne isolée est appelée au minimum deux fois par l’assurance maladie et davantage encore pour les personnes vulnérables.
Enfin, chaque personne isolée se verra proposer la visite à domicile d’un infirmier, via les cellules territoriales d’appui à l’isolement mises en place par les préfectures, en lien avec les collectivités territoriales. Près de 20 000 visites d’infirmières ont déjà eu lieu.
Nous avons ainsi significativement renforcé le dispositif de suivi, de prise en charge et d’accompagnement des personnes touchées par la covid-19. Les questions de police sanitaire, sur lesquelles, dans cet hémicycle, nos débats se concentrent à chaque nouveau projet de loi, ne doivent donc pas masquer l’ensemble des mesures d’accompagnement de la situation sanitaire prises en faveur des Français au quotidien, afin d’assurer leur santé dans les meilleures conditions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie des travaux conduits depuis bientôt un an sur ce sujet ; le Gouvernement comprend tant la lassitude qui peut naître de la prorogation fréquente de l’état d’urgence sanitaire que le souci qui vous guide de mieux encadrer ce régime, lequel doit rester un régime d’exception.
J’en entends certains déplorer un déficit démocratique dans la gestion de la crise sanitaire. Pourtant, dans le respect des missions qui incombent à chacune de nos institutions, le Sénat et l’Assemblée nationale participent très régulièrement et très activement au contrôle de l’action du Gouvernement, pour gérer l’urgence sanitaire depuis le début de l’épidémie. Ainsi, je le rappelle, depuis fin mars 2020 – autrement dit, en seulement dix mois –, nous avons débattu de six projets de loi, qui ont fait l’objet de plus de 3 400 amendements, discutés un par un, pendant plus de 160 heures de débats en séance, réparties en une vingtaine de lectures différentes.
Par ailleurs, douze débats thématiques ont été organisés en séance, afin de discuter de points précis de la gestion de la crise sanitaire, notamment les masques, le déconfinement ou encore l’application StopCovid, et cela ne concerne que le travail du Parlement strictement lié à l’épidémie de covid-19 ; cela n’inclut donc pas les très nombreux travaux des deux chambres concernant les différentes dimensions de la crise, afin de contrôler l’action du Gouvernement et de formuler des propositions.
Le Sénat y a pris pleinement sa part, dès le début et jusqu’à ce jour, et, même si nous avons eu et avons toujours quelques divergences, vous avez directement contribué à l’édifice juridique qui guide notre action et vous participez, par votre vigilance, au bon fonctionnement de nos institutions en ces temps difficiles.
Je rappelle également que l’action du Gouvernement demeure directement soumise au contrôle du juge et que des centaines de référés d’urgence ont été formés et examinés par le Conseil d’État depuis le début de la crise ; ces référés ont conduit, chaque fois que le juge l’avait demandé, à faire évoluer notre réponse pour faire en sorte qu’elle soit le plus proportionnée possible aux risques sanitaires encourus.
Au total, malgré des circonstances exceptionnelles, nous avons contribué ensemble à assurer un fonctionnement plein et entier de notre démocratie en ces temps de crise. Même si un désaccord, de l’ordre de quelques semaines, subsiste entre nous sur l’échéance appropriée pour la nouvelle prorogation de l’état d’urgence sanitaire, il demeure que vous aurez à nouveau à vous prononcer dans les trois prochains mois sur ce sujet, si la crise devait appeler des mesures de prévention au-delà du 1er juin prochain.
En tout cas, soyez-en assurés, le Gouvernement souhaite tout comme vous sortir de ce régime d’état d’urgence ; simplement, aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous priver d’outils pour lutter contre le virus ; je pense qu’il s’agit là d’un principe général que nous partageons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une motion tendant à opposer la question préalable a été déposée sur ce texte. J’aurai l’occasion d’y revenir, mais je veux d’ores et déjà vous dire pourquoi.
D’abord, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, nous pensons, comme vous, que la situation sanitaire justifie malheureusement la prolongation de l’état d’urgence sanitaire. La loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, qui a créé temporairement ce régime, exige un vote du Parlement si l’on le veut prolonger.
Comme cette prolongation a de fortes probabilités de devoir courir au-delà de l’échéance de la loi précitée, qui n’autorise le régime exceptionnel de l’état d’urgence sanitaire que pendant un an, il va falloir aussi prolonger ce régime temporaire lui-même.
Il y a en effet un double système : des pouvoirs exceptionnels rendus disponibles par la loi du 23 mars 2020, mais seulement pendant un an, et l’activation de ces pouvoirs, si l’on en a besoin durant cette période. Vous l’avez vu, ces pouvoirs ont été utilisés de mars à mai 2020 ; puis on est entré dans une période de sortie de l’état d’urgence sanitaire ; puis, à la fin de l’été, on est sorti complètement de l’activation du régime d’état d’urgence sanitaire ; puis ce dernier a été rétabli par décret ; puis, au-delà des premières mesures, il a fallu, de l’avis du Gouvernement, mettre en œuvre, le 29 octobre dernier, un confinement, suivi d’un couvre-feu.
Nous avons donc à agir sur les deux volets : la prolongation du régime et la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, qui permet le couvre-feu actuel.
Je n’ai pas de doute, en ce qui me concerne : la situation sanitaire interdit de baisser la garde aujourd’hui ; il faut donc prolonger l’état d’urgence sanitaire.
Néanmoins, nous ne sommes pas dans la même situation qu’en octobre dernier, quand un reconfinement avait été décidé par le Gouvernement. J’ai examiné avec soin les chiffres. Certes, le niveau des contaminations est élevé – on dénombre plus de 100 000 tests positifs par semaine – ; certes, le nombre d’hospitalisations est élevé ; certes, le nombre d’entrées en réanimation est élevé ; certes, le nombre de décès est, hélas, élevé ; mais il y a tout de même une grande différence par rapport à la fin du mois d’octobre dernier : d’une semaine à l’autre, si l’on considère les deux dernières semaines de janvier, il n’y a pas eu une explosion du nombre de contaminations, alors qu’il y en avait eu une – un quasi-doublement – à la fin du mois d’octobre dernier.
Ainsi, aujourd’hui, nous affirmons que, si nous acceptons de reconduire l’état d’urgence sanitaire et de prolonger jusqu’au 31 décembre le régime de l’état d’urgence sanitaire, qui devait prendre fin le 1er avril prochain, afin qu’il puisse être activé en cas de besoin tout au long de cette année, nous ne sommes pas d’accord pour consentir par avance à un troisième confinement.
Le confinement fait bien partie des pouvoirs d’action que la loi du 23 mars 2020 attribue au Gouvernement. Toutefois, ce que nous souhaitons, si par malheur un jour ce troisième confinement devait avoir lieu, c’est que le Gouvernement puisse bien évidemment le déclencher – c’est sa responsabilité –, mais qu’il ne puisse pas l’imposer pour une durée de plus de trente jours sans que le Parlement l’y autorise par la loi.
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
M. Philippe Bas, rapporteur. En effet, le confinement a un effet exorbitant sur la vie sociale et affecte profondément le psychisme de nombreux Français, mettant de ce fait en péril la vie de nombre de nos compatriotes. Ce n’est donc pas à la légère qu’il peut être prolongé s’il est un jour décidé de l’instaurer.
En mars dernier, le confinement avait été accepté par défaut, souvenons-nous-en bien. Il n’y avait alors pas de masque ni même, d’ailleurs, de doctrine d’emploi des masques ; pas de tests de dépistage ; pas de système national d’information permettant de remonter les filières de contamination et de prévenir les personnes ayant été exposées à un risque de contamination ; pas de diffusion dans la société des gestes barrières, qui nous sont malheureusement devenus si naturels. Par conséquent, le confinement a été décidé par défaut. C’était le moyen le plus brutal, le plus rustique, de couper toutes les contaminations, en interdisant toute interaction entre les Français.
Ce qui a été accepté en mars, dans ces circonstances, ne peut plus l’être de la même manière dans la période que nous connaissons : nous avons des masques, des tests, un système national d’information, des gestes barrières relativement bien appliqués et des disciplines individuelles et collectives. Si tous ces moyens combinés ne sont pas mis en œuvre de manière efficace, alors il y a lieu de s’interroger sur l’efficience de la politique de santé de ce pays. En tout cas, les Français n’ont pas à en faire les frais par un confinement qui comporte trop d’inconvénients.
C’est exactement la raison pour laquelle, alors que ce n’était pas prévu pour le premier reconfinement, nous avons indiqué au Gouvernement dès octobre dernier, et nous le refaisons maintenant, monsieur le secrétaire d’État, que, si le Président de la République décidait d’un nouveau confinement, nous demanderions – je dirai même plus : nous exigerons – que ce confinement ne puisse se poursuivre au-delà de trente jours sans l’autorisation du Parlement.
Qu’est-ce qui vous gêne, monsieur le secrétaire d’État ? Le Parlement s’est-il montré une seule fois irresponsable dans la gestion de cette crise sanitaire ? N’a-t-il pas accompagné, pas à pas, les efforts, parfois chaotiques, du Gouvernement pour protéger les Français ? Nous l’avons toujours fait ! Le Sénat, le premier, sait prendre ses responsabilités.
Simplement, nous ne voulons pas vous signer un chèque en blanc, de même que nous ne vous donnons pas quitus de la gestion de cette crise sanitaire, compte tenu de toutes les difficultés que vous avez rencontrées, que vous avez, du mieux que vous pouviez, sans doute, essayé de surmonter, mais aussi d’un certain nombre d’erreurs et d’errements que vous avez commis.
Nous aurions pu nous entendre avec l’Assemblée nationale ; nous aurions pu trouver la bonne durée de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, le bon équilibre. Nous étions d’ailleurs tout près d’aboutir et – permettez-moi de vous le dire – j’ai senti que les députés étaient près de le faire, mais ils en ont été empêchés, car le Gouvernement n’a pas voulu se soumettre au vote du Parlement s’il décidait de renouveler le confinement. C’est très décevant, car vous avez perdu l’occasion de rassembler la représentation nationale autour de principes simples, qui sont définis non dans l’intérêt du Parlement, mais dans celui de nos concitoyens, lesquels ne peuvent pas consentir de nouveaux sacrifices s’ils ne sont pas défendus par le Parlement.
Voilà, madame la présidente, ce que je voulais dire. Je m’achemine rapidement vers la conclusion de mon propos : je souhaite exprimer ma déception au Gouvernement et souligner la volonté du Sénat de faire respecter les principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs et de la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, nous voici de nouveau appelés à examiner ce texte. De nombreuses remarques, très critiques, ont déjà été faites à son sujet lors de la précédente lecture. Il est néanmoins important de revenir sur certains points.
Nous contestons fermement l’utilité d’un état d’urgence pour lutter efficacement contre la covid-19 et nous regrettons la gestion solitaire et verticale de cette crise par le Gouvernement. Nous renouvelons ainsi notre souhait d’être mieux associés à la prise de décision et nous demandons au Gouvernement plus de transparence sur sa stratégie, notamment en ce qui concerne un éventuel troisième confinement.
Nous ne pouvons cautionner les coups de canif réguliers donnés par ce gouvernement aux pouvoirs du Parlement, au moyen de ce régime d’exception ; je pense notamment à l’arrêt de la mission d’information sur la covid-19, décidée par la majorité La République En Marche de l’Assemblée nationale.
Au-delà de ces murs, écoutons les Français !
Nous entendons, au quotidien, la détresse des étudiants. Isolés, déprimés et en proie à la précarisation, ils se sentent piégés par cette crise qui semble ne pas prendre fin. Les files d’attente pour recevoir l’aide alimentaire s’allongent au fur et à mesure que la crise se prolonge.
Écoutons nos départements, qui pallient comme ils le peuvent la détresse sociale sournoise qui s’installe plus encore chaque jour dans certains foyers. Écoutons notre personnel de santé, qui demande lui aussi, et depuis des années, des mesures fortes. Ils ont besoin non pas de mesures autoritaires, mais de moyens financiers, matériels et humains. Écoutons nos commerçants, au premier rang desquels les restaurateurs, les cafetiers. Écoutons également les acteurs du monde de la culture. Ces femmes et ces hommes se sentent asphyxiés par l’état de léthargie économique et sociale dans lequel est plongé notre pays depuis bientôt un an.
Ne nous contentons pas de faire ici la loi, sans entendre ce que provoque cette crise sur le plan humain, car si nous souhaitons tous lutter contre la covid-19, nous ne serons entendus par les Français que si nous prenons en compte leur détresse.
Ce projet de loi accroît le risque d’accoutumance à un régime d’exception, symbole d’un Gouvernement qui ne se soucie pas du rôle du Parlement et ne prend pas en compte les attentes de la population.
Pour ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, comme en première lecture, votera contre ce projet de loi.
Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission mixte paritaire, réunie le 28 janvier, n’est pas parvenue à un accord sur ce texte. Cet échec est regrettable, car nous nous rejoignions pourtant sur de nombreux points - « l’essentiel », aviez-vous alors dit, monsieur le rapporteur -, ce qui laissait légitimement croire à la conclusion d’un compromis acceptable sur l’ensemble de ces travées.
Nous étions d’accord sur la nécessité de proroger l’état d’urgence actuellement en vigueur, compte tenu de la situation sanitaire. La prorogation de son régime jusqu’au 31 décembre 2021, construit, je le rappelle, de manière transpartisane et bicamérale en mars 2020, ne faisait pas non plus débat. La suppression de la mise en place d’un régime transitoire jusqu’au 30 septembre 2021, qui avançait la clause de revoyure au 1er juin, avait également été saluée par le Sénat lors de l’examen en première lecture. Enfin, les deux chambres s’étaient entendues pour ramener le terme de cet état d’urgence au 16 mai.
Notre divergence s’est finalement cristallisée sur un seul point, non des moindres certes, puisqu’il s’agit de la mesure la plus sévère pour les libertés : le confinement. Le Sénat demandait que, en cas de reconfinement généralisé, celui-ci ne puisse être prolongé au-delà d’un mois sans autorisation du Parlement.
Cette inscription dans la loi n’est pas compatible avec le contexte sanitaire, qui nécessite d’ajuster en permanence les mesures nécessaires pour faire face à un virus imprévisible. Elle impliquerait, en effet, la rédaction d’un projet de loi de prolongation d’un confinement deux à trois semaines après le début de ce dernier, alors même que les effets de la mesure et l’évolution de l’épidémie ne seraient pas connus avec certitude.
C’est pourquoi l’Assemblée nationale, dans une réelle volonté d’aboutir, a proposé la tenue d’un débat suivi d’un vote sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution au bout de six semaines de confinement. Le Premier ministre lui-même s’est engagé en ce sens. Cette solution présentait, à mon sens, l’avantage de la souplesse, dont nous avons terriblement besoin dans une période comme celle-ci.
Cette proposition constructive n’a pas recueilli votre assentiment, monsieur le rapporteur, au motif que le Gouvernement resterait constitutionnellement libre d’organiser ou non ce débat, de demander ou non un vote, ou encore que l’objet du vote pourrait être dévoyé. Je ne partage pas cette défiance à l’égard du Gouvernement. La mise en place et la prolongation de ces mesures restrictives de libertés ont toujours été justifiées par la situation sanitaire.
Nous sommes tous très attachés à la démocratie et à son exercice. D’ailleurs, le Parlement dispose de nombreux moyens de contrôle de l’action du Gouvernement et, heureusement, ne se prive pas de les utiliser. Outre la commission d’enquête constituée à l’issue de la première vague, la commission des lois du Sénat a créé, dès le 25 mars 2020, une mission de suivi pluraliste sur les mesures liées à l’épidémie de covid-19, qui a donné lieu à trois rapports d’étape successifs.
Il est, en outre, toujours possible de saisir le juge administratif en référé, si l’on estime que les mesures prises ne sont pas nécessaires et proportionnées, ou appropriées aux circonstances. Certains décrets ont d’ailleurs fait l’objet de nombreux recours devant le Conseil d’État.
Cette occasion manquée a conduit l’Assemblée nationale à rétablir le texte tel qu’elle l’avait voté en première lecture, en ne retenant que deux amendements du Sénat. Le groupe RDPI considère que cette version est équilibrée et qu’elle permettra au Gouvernement d’agir de manière efficace et proportionnée dans cette crise sanitaire sans précédent, et de s’adapter à ses évolutions.
Nous aurions souhaité que le débat se poursuive. C’est la raison pour laquelle nous voterons résolument contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et SER.)
Mme le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le rétablissement à la mi-octobre de l’état d’urgence sanitaire et des mesures de restriction qui en découlent, la situation demeure particulièrement fragile et sans amélioration décisive. Cependant, cela ne doit en rien altérer notre détermination, et encore moins notre capacité à agir ensemble.
Pour cette raison, je regrette que nos deux chambres n’aient pas pu s’entendre sur un sujet si grave. L’échec de la CMP est d’autant plus regrettable que nous étions d’accord sur les principales dispositions du texte et sur le principe même de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire. C’est encore une fois une occasion manquée d’affirmer une unité nationale, pourtant indispensable dans cette période de crise.
Néanmoins, il semble que l’idée d’un contrôle parlementaire du confinement ait fini par convaincre, dans un sens toutefois inattendu. En effet, le Premier ministre a annoncé la semaine dernière que, dans l’hypothèse où un reconfinement devrait être décidé, le Parlement serait consulté. C’est un premier pas, certes tout en retenue, mais autant s’en réjouir.
Alors que le contrôle parlementaire du confinement que propose le Sénat est systématiquement rejeté, pourquoi lui donner l’apparence artificielle d’une décision consensuelle ? Le modèle républicain a ses principes auxquels le groupe du RDSE est vigoureusement attaché : le Parlement n’est pas un organe consultatif que le Gouvernement pourrait solliciter à sa guise entre deux tirages au sort. Quoi qu’il en soit, espérons que ces désaccords n’écornent pas durablement l’image de nos institutions, alors que la collaboration en toute transparence des pouvoirs est plus que jamais nécessaire en cette période de crise aiguë.
Malgré ces regrets, la multiplication des textes liés à la crise sanitaire doit au moins être l’occasion de mettre la lumière sur les secteurs les plus sinistrés de notre société, dont la liste reste bien trop longue.
Notre attention a ainsi été portée ces dernières semaines à très juste titre sur la précarité étudiante. Par ailleurs, les restaurateurs se mobilisent pour ne pas s’enliser, conjurer leur désespoir parfois et ne pas être oubliés. Nous pourrions en dire autant du secteur des soins à domicile, qui souffre alors que ses acteurs sont essentiels à notre système de santé. Je pense également aux acteurs de la vie culturelle et de l’événementiel, secteurs particulièrement touchés par la propagation du virus. Le spectacle vivant subit des conséquences d’autant plus inédites qu’elles perdurent et que nous peinons à savoir quand ces activités pourront reprendre.
Plus largement, le milieu associatif est frappé de plein fouet par cette mise en sommeil des activités. Nous le voyons bien, les corps intermédiaires de la société, pourtant indispensables pour faire le lien social, sont contraints au silence, ce qui aggrave l’isolement et l’essoufflement mental de nos concitoyens. En ce sens, je citerai Édouard Laboulaye, qui soulignait, voilà un siècle et demi, le caractère essentiel du monde associatif pour la société : « c’est l’association, écrivait-il, qui, dans les pays libres, débarrasse l’État d’une foule de soins qui ne le regardent pas ; c’est elle qui relie les individus isolés et multiplie les forces en les réunissant ».
Certes, la question sanitaire doit évidemment demeurer la priorité, mais rien n’empêche d’élargir le prisme. Comment, pendant cette pandémie, imaginer les moyens de se réunir, de s’associer, de délibérer, de s’entraider et de se cultiver ? S’il est à craindre que la crise ne soit pas seulement un mauvais moment à passer, si elle devait durer, comme cela semble être le cas, il est impératif de trouver des solutions pour pallier cette disparition du lien social et culturel, qui contribue aussi à ce que nous formions une Nation.
Ainsi, dans la tradition du groupe RDSE, comme en première lecture, nous voterons contre la motion tendant à opposer la question préalable, convaincus que nous devrions poursuivre nos débats, ne serait-ce que pour montrer à nos concitoyens que nous sommes là pour continuer à les représenter et à leur offrir des alternatives démocratiques en toute responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une nouvelle fois, un état d’exception, dont la mise en œuvre est aux seules mains d’un exécutif de plus en plus restreint, va être prolongé pour une longue période, sans même un contrôle régulier et réel du Parlement.
La répétition de ces lois de prorogation - nous en sommes à la septième - peut banaliser cette atteinte sans précédent du fonctionnement démocratique de nos institutions, cette atteinte à des principes fondateurs de la République, comme le principe d’aller et venir, la liberté de réunion et bien d’autres.
Bien entendu, l’urgence, la violence de la crise que nous vivons sont d’un niveau de gravité considérable, que nous estimons à sa juste mesure, monsieur le secrétaire d’État. Nous sommes parfaitement responsables par notre opposition résolue à l’état d’urgence sanitaire, car nous estimons depuis le début de la crise que la démocratie, la mobilisation des institutions nationales et locales, l’intervention citoyenne sont des leviers irremplaçables pour agir contre la pandémie de la covid-19. Nous sommes responsables, lucides, car nous constatons que la concentration du pouvoir, son exercice volontaire ne conduisent pas à prendre les bonnes décisions.
Je ne reviendrai pas, monsieur le secrétaire d’État, sur le déroulé de la crise, qui met cruellement en lumière mon affirmation. Je dirai tout de même un mot sur les vaccins, car lors de notre débat en première lecture, le ministre Olivier Véran a contesté, de manière péremptoire, le retard que je décrivais. L’aplomb ne suffit pas et, comme il me l’a indiqué, il faut être factuel : combien de personnes sont-elles réellement vaccinées, combien ont-elles reçu leur rappel ? Pourquoi ce retard par rapport à nombre de nos voisins ?
Sur le plan de la démocratie toujours, pourquoi ne pas avoir eu un véritable débat quand il le fallait, au printemps dernier, sur la stratégie vaccinale et les moyens industriels à lui consacrer, afin de ne pas avoir tristement à constater aujourd’hui que notre pays n’a pu créer de vaccin et qu’il doit se résoudre à embouteiller ceux d’autres grandes multinationales de l’industrie pharmaceutique ?
Oui, nous considérons que l’état d’urgence sanitaire, le dessaisissement du Parlement ont un effet contraire à l’objectif affiché. Un an après le démarrage de l’épidémie, il faut passer à l’état d’urgence démocratique. La séquence étrange que nous avons vécue depuis quelques jours nous convainc définitivement de la nécessité de réorganiser l’action en profondeur.
Après de multiples épisodes de communication gouvernementale préfigurant un reconfinement, au motif que le couvre-feu aurait des effets limités, après une réunion avec le Premier ministre jeudi dernier, alors que les chiffres et les commentaires pessimistes ne laissaient guère de doute sur l’issue, le Président de la République a réuni vendredi en fin d’après-midi son officine, le conseil de défense. C’est le Premier ministre qui, de manière précipitée, est apparu pour donner lecture de la décision présidentielle, laquelle a visiblement pris beaucoup de monde à contrepied.
Soyons clairs, monsieur le secrétaire d’État, je ne me prononce pas ici sur le bien-fondé ou non d’un reconfinement. Ce que je conteste, ce sont les conditions de la prise de décision, l’absence de transparence sur les données qui ont conduit à une décision que les chiffres fournis le jeudi ne pouvaient certainement pas justifier.
Pourquoi le Parlement, mes chers collègues, la représentation du peuple, ne retrouve-t-il pas ses pleins pouvoirs ? Allons-nous longtemps subir l’avalanche de décisions dont la cohérence ne s’est toujours pas manifestée ? Allons-nous subir encore longtemps la gouvernance de la crise par un seul homme ?
Je l’ai dit lors de l’examen du texte en première lecture et je le répète, la crise est toujours là, peut-être plus menaçante encore, mais nous ne sommes plus dans l’urgence. Le Parlement peut décider. Il peut siéger jour et nuit pour voter la loi. Il faut maintenant mettre fin à l’état d’urgence, apprendre à vivre démocratiquement avec le virus, sans relâcher les efforts collectifs pour l’éradiquer.
Être cohérent, c’est refuser le principe même de l’état d’urgence sanitaire et donner les moyens à la démocratie de combattre efficacement la pandémie. C’est par cohérence avec ce refus que nous nous abstiendrons sur la motion tendant à opposer la question préalable de la majorité sénatoriale, qui met en scène un désaccord alors qu’elle soutient, comme le Gouvernement, le principe même de la prorogation d’un état d’exception. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste est favorable à la motion tendant à opposer la question préalable : nous sommes peu convaincus par cette douzième décision visant à proclamer l’état d’urgence en cinq ans et demi. Nous avons pris acte, avec l’échec de la CMP, du fait que le Gouvernement voulait un chèque en blanc. Nous n’acceptons pas la logique du « donnez-moi les pouvoirs et je vous dirai après ce que j’en ferai ».
Nous partageons complètement, monsieur le rapporteur, cher Philippe Bas, l’argumentation que vous avez développée sur la situation sanitaire, mais aussi sur les différences entre mars 2020 et février 2021. La situation sanitaire et, surtout, les moyens dont nous disposons pour y faire face, sont différents aujourd’hui. L’état de la société, sa capacité de résilience ont également changé. Les conséquences économiques, sociales, psychologiques qui résulteraient d’un confinement seraient différentes cette fois-ci.
À notre sens, tout confinement devrait être soumis au Parlement, a fortiori sa prolongation au-delà d’un mois, comme vous l’avez indiqué, Philippe Bas, au nom de la commission.
Nous considérons, pour le bon fonctionnement de nos institutions, pour que chacun prenne ses responsabilités, et tout simplement pour l’acceptabilité des mesures sociales, sanitaires par nos concitoyens, que l’intervention du Parlement est nécessaire. Plutôt que l’état d’urgence, nous préférerions l’examen en urgence des mesures sanitaires souhaitées par le Gouvernement. À cet égard, je me retrouve assez dans les propos de Mme Assassi.
De la même manière, nous ne sommes pas enthousiastes à l’idée d’un débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution, au cours duquel le Gouvernement nous présenterait une politique générale, ferait des déclarations purement consultatives, dépourvues de caractère normatif, sans demander l’autorisation de prendre telle ou telle mesure, sans même définir d’ailleurs quelles seraient ces mesures.
Il nous semble que le Parlement devrait normalement être consulté en cette matière. C’est en particulier le rôle du Sénat, gardien des libertés, d’une France des territoires, garant tout simplement d’une efficacité prenant appui sur l’équilibre des pouvoirs.
Nous avons, et nous l’apprécions, une Constitution présidentielle. Elle l’est devenue plus encore avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, qui produit une majorité à l’Assemblée nationale tenant sa légitimité du Président de la République. Elle nous semble aujourd’hui basculer dans l’excès, du fait de la pratique qui en est faite, à travers le conseil de défense, et surtout d’un état d’urgence semi-continu. Dit autrement, l’exécutif nous semble aller trop loin : nous ne pensons pas que la proposition qui nous est faite puisse rendre service à nos concitoyens ou leur être utile.
L’efficacité sanitaire tient beaucoup à l’acceptabilité sociale des mesures, laquelle passe par une décision partagée. Tout ne peut pas être décidé de manière verticale dans ce pays, en particulier pour lutter contre la pandémie. Le Parlement et nos concitoyens sont aptes à comprendre les enjeux sanitaires. Il est paradoxal, chers collègues, de faire appel à l’esprit de responsabilité des Français et, en même temps, de refuser de consulter ses représentants sur les mesures sanitaires.
En conclusion, autorisez-nous une proposition : la crise sanitaire, si vous me permettez cette formule, écrase dans les esprits la crise économique, sociale, financière, culturelle, psychologique. Notre groupe souhaiterait que le travail sur l’après-covid-19 puisse démarrer dès maintenant. Non pas que nous sous-estimions la gravité de la situation actuelle, non pas que nous pensions en être sortis, mais nous considérons que cette crise sera gérée d’autant plus facilement avec nos concitoyens que ceux-ci auront une vision de l’après-covid, de l’après-« quoi qu’il en coûte ». La meilleure manière d’avoir cette vision, c’est bien sûr de la préparer, de l’anticiper. Aussi proposons-nous d’entamer un travail avec l’exécutif sur l’après-covid-19.
Telles sont les raisons pour lesquelles, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste est clairement favorable à la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’état d’urgence sanitaire permet au Gouvernement de mettre en œuvre des restrictions de liberté inégalées dans notre démocratie en temps de paix. Ces restrictions ont des conséquences économiques, sociales, mais aussi psychiatriques très importantes.
Le Parlement autorise le Gouvernement à les mettre en œuvre, mais il ne peut plus faire grand-chose dès lors que les habilitations ont été données. Il nous est demandé de voter, début février, la possibilité de déclarer l’état d’urgence sanitaire et les mesures qui vont avec jusqu’au début du mois de juin, soit pendant quatre mois. Nous ne pouvons pas nous contenter de donner au Gouvernement ce type d’habilitation ; ce n’est pas acceptable.
Il est donc heureux, la majorité de l’Assemblée nationale ne souhaitant pas que le Parlement se prononce en amont sur la mise en place d’un confinement et refusant un contrôle parlementaire effectif des dispositions les plus strictes de l’état d’urgence sanitaire, que la CMP n’ait pas abouti.
Le contexte général, avec l’évolution des variants, est effectivement préoccupant, et ce alors que le début de la campagne de vaccination nous permettait d’espérer sortir de ce cauchemar qui dure depuis maintenant un an.
Sommes-nous franchement plus mauvais que nos voisins ? Je décerne un satisfecit au Gouvernement de n’avoir pas fermé les écoles depuis la rentrée ni instauré d’isolement contraint à la suite d’un test positif, ce qui évite les stratégies d’évitement dévastatrices dans certains pays voisins. La manière dont les jeunes et les étudiants sont traités dans cette crise, cela a été dit, est en revanche un point profondément négatif.
Cette crise témoigne également d’un problème de gouvernance. L’exécutif voudrait confiner le Parlement et le Président de la République, on l’a vu la semaine dernière, confine le Gouvernement. Il décide en effet de tout en conseil de défense, directement avec l’administration, laissant le Premier ministre consulter les chefs de partis sur des sujets différents. C’est un réel problème institutionnel et il faudra réfléchir à intégrer l’état d’urgence dans notre Constitution afin de renforcer le contrôle parlementaire.
Force est de constater que le Sidep n’est pas adéquat pour suivre correctement l’évolution des variants et piloter la situation au plus près des risques, ce qui conduit à imposer à l’ensemble des Français des restrictions de liberté qui pourraient être mieux adaptées et territorialisées. C’était l’objet de certains de nos amendements.
Si l’on impose des privations de liberté aux Français, ceux-ci doivent avoir le sentiment qu’elles sont utiles. Sinon, cela développe l’anxiété et suscite des interrogations sur l’efficacité de l’action publique, non seulement dans le cadre de la crise sanitaire, mais aussi pour gérer demain la sortie de crise. Pour cela, il est besoin de collégialité, de responsabilité, et le Parlement est à cet égard essentiel.
Il serait donc paradoxal, puisque nous voulons que le Parlement joue tout son rôle, de ne pas discuter en nouvelle lecture de ce projet de loi. Nous ne désespérons pas du Sénat, malgré ce qu’il s’est passé cette nuit. Il nous faut débattre pour faire évoluer la position de nos collègues députés en faveur de la défense des libertés publiques.
J’en viens, monsieur le secrétaire d’État, à la fermeture des frontières : c’est un principe général depuis le mois de mars dernier, mais qui a été durci la semaine dernière par le Président de la République. Pourtant, le Conseil d’État est intervenu à plusieurs reprises sur le sujet, répondant à la requête de M. Pierre Ciric, en août, que le droit d’entrer sur le territoire français constitue pour un ressortissant français une liberté fondamentale. Les décisions de la semaine dernière la mettent en brèche. Le Conseil d’État s’est aussi positionné contre le gel de la délivrance des visas de regroupement familial. Pourtant, le Gouvernement continue de faire fi de ses avis.
La décision de vendredi dernier n’est pas une décision sanitaire, monsieur le secrétaire d’État, c’est une décision politique. À défaut de confinement, il fallait annoncer quelque chose à ceux qui crient le plus fort dans l’opposition : la fermeture des frontières ! Mais à qui fermer les frontières ? Pas aux frontaliers… À ceux qui font des tests plusieurs fois par semaine ? Nous ne pouvons pas adopter la même stratégie de défense sanitaire qu’une île, de surcroît sans coordination avec les autres pays européens, ce qui limite la crédibilité de l’ensemble de l’opération.
Si les Français qui vivent hors de France avaient le sentiment qu’il s’agit d’une mesure sanitaire, ils l’accepteraient, mais tel n’est pas le cas. Monsieur le secrétaire d’État, aucun territoire représenté au Sénat n’a perdu 90 000 Français en un an, sauf les Français de l’étranger, fortement frappés par la pandémie. Cela relativise les critiques sur la manière dont celle-ci a été traitée en France, puisque nos concitoyens de l’étranger ont probablement plus souffert ailleurs, mais cela nous interroge aussi sur le besoin de solidarité : il est indispensable de prolonger l’absence de délai de carence pour rentrer en France et avoir droit à l’assurance maladie.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État : quand le Gouvernement en reviendra-t-il au respect des droits fondamentaux en permettant aux Français de l’étranger de rentrer en France ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’évolution de la situation sanitaire est de plus en plus incertaine depuis l’examen en première lecture du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire. Vendredi dernier, le Premier ministre, en accord avec le Président de la République, a ainsi été conduit à prendre des mesures plus strictes pour s’adapter à cette évolution, tout en évitant un nouveau confinement national de la population.
Dans ce nouveau contexte, et alors que le personnel soignant a besoin de notre soutien total, tout doit être mis en œuvre pour améliorer rapidement la situation sanitaire, limiter le nombre de décès et sortir au plus vite de la crise.
La commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 28 janvier, a permis d’acter la convergence de nos deux assemblées sur la nécessité de donner au Gouvernement les marges de manœuvre indispensables pour faire face à une situation désormais critique, sans toutefois s’accorder sur l’ensemble des dispositions restant en discussion. Ainsi n’a-t-elle pas été en mesure de proposer un texte commun. À l’instar de certains de mes collègues qui se sont exprimés avant moi, je le regrette vivement.
Le principal désaccord portait sur l’exigence d’un contrôle démocratique du Parlement. Ce contrôle est pourtant le nécessaire corollaire des restrictions imposées à nos concitoyens. Au moment où les Français supportent avec de plus en plus de difficultés les contraintes liées à la gravité du contexte économique et la rigueur disciplinaire imposée par l’état d’urgence sanitaire, il est de notre devoir de contrôler si la prolongation des mesures prises au-delà d’une certaine date reste pleinement justifiée par la situation sanitaire.
Ainsi, la demande du Sénat, par la voix de notre rapporteur et collègue Philippe Bas, dont je salue la qualité des travaux,…
M. Philippe Bas, rapporteur. Merci, madame !
Mme Vanina Paoli-Gagin. … me semble fondée : d’une part, ne pas prolonger l’état d’urgence sanitaire au-delà du mois de mai sans l’adoption d’une nouvelle loi par le Parlement ; d’autre part, soumettre la durée d’un confinement lorsqu’elle est supérieure à un mois à l’autorisation du législateur.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au sein de cet hémicycle, nous partageons tous le même constat sur l’ampleur de cette crise. Celle-ci impose de prendre des mesures de protection de nos concitoyens et de maîtrise de nos capacités hospitalières, avec chaque jour le même mantra : sauver des vies !
Nous sommes ici également tous porteurs d’une exigence démocratique.
Pourtant, les discussions au cours de la réunion de la commission mixte paritaire ont mis en exergue une différence d’appréciation, s’agissant notamment de l’organisation d’un débat sur l’application dans le temps du confinement.
Je veux rappeler ici que le confinement est la plus sévère des mesures de l’état d’urgence sanitaire pour nos libertés. Aussi, il m’apparaît primordial, dans un État de droit, qu’un éventuel reconfinement ne puisse pas être prolongé au-delà de trente jours sans autorisation législative expresse. Cela vous protège aussi, monsieur le secrétaire d’État. L’intervention régulière du législateur pour s’assurer que les droits de nos concitoyens sont autant que possible préservés est indispensable.
Nous ne pouvons pas donner un blanc-seing au Gouvernement et nous dessaisir ainsi de nos prérogatives élémentaires, comme le contrôle de l’exécutif, qui – ne l’oublions pas – est l’un des volets du mandat que nous ont confié nos concitoyens.
Le rôle de la démocratie pendant la crise sanitaire et dans sa gestion devient une question cruciale ! L’esquiver, c’est, me semble-t-il, fragiliser ce qui fait Nation.
Pour notre liberté, « liberté chérie », et pour toutes les raisons que je viens d’exposer, le groupe Les Indépendants votera la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à quatre reprises, en mars, en mai, en juillet et, enfin, en novembre dernier, le Sénat a accepté d’accorder au Gouvernement des pouvoirs exceptionnels pour faire face à la crise sanitaire que nous traversons. Nous voici de nouveau réunis aujourd’hui pour discuter de la prorogation de telles mesures. Ces derniers jours ont été riches en rebondissements et en confusion sur ce sujet pourtant crucial et essentiel !
En votant la semaine dernière le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, nous avions bon espoir que les ajustements proposés par le Sénat puissent trouver un écho chez nos collègues députés.
Or cet espoir ne s’est pas concrétisé, les divergences entre nos deux assemblées étant trop fortes, mais il n’en demeure pas moins hautement regrettable qu’aucune position commune n’ait été trouvée alors qu’il y va de la santé et des libertés fondamentales des Français.
Pourtant, le texte voté initialement par les députés traduisait une forme d’infléchissement dans le sens de la position du Sénat. Car, depuis l’origine, notre Haute Assemblée a manifesté une certaine circonspection à l’égard du régime transitoire de sortie de l’urgence sanitaire, que nous nous félicitons d’ailleurs de ne plus voir figurer dans le projet de loi.
De même, le Sénat a, dans sa majorité, retenu le principe de la prorogation tant du régime de l’état d’urgence que de son application.
À l’issue de travaux très fouillés, le rapporteur Philippe Bas a fait le constat d’une situation sanitaire préoccupante, comme en attestent les indicateurs. Car si l’explosion des contaminations qui a été observée au mois d’octobre dernier était sans commune mesure avec la situation actuelle, il n’en demeure pas moins que l’appareil hospitalier reste fortement sollicité.
En outre, la mortalité cumulative est – hélas ! – beaucoup plus importante actuellement, 2 567 décès ayant été dénombrés la troisième semaine de janvier, contre 1 318 avant le confinement d’octobre.
Mais l’élément nouveau par rapport au mois d’octobre est la découverte et la production d’un vaccin, qui nous permet d’entrevoir la fin du tunnel. Et c’est une véritable course contre la montre qui est dès lors engagée !
C’est pourquoi la durée pendant laquelle nous sommes prêts à autoriser le Gouvernement à user de ses pouvoirs exceptionnels dépend non seulement de l’efficacité de la stratégie vaccinale mise en œuvre, mais également de l’approvisionnement en doses de vaccin sur l’ensemble du territoire national afin d’atteindre l’objectif fixé voilà deux jours par le Président de la République : permettre à la totalité des personnes souhaitant être vaccinées de l’être avant la fin du mois d’août.
Pour cela, monsieur le secrétaire d’État, il vous faudra davantage tenir compte des offres de service qui vous sont faites par bon nombre de collectivités, communes, départements, régions, ainsi que par des médecins de ville, des pharmaciens, voire des infirmiers.
Certes, le confinement n’est pas une fatalité. Mais, reconnaissons-le aujourd’hui, le rationnement du vaccin et les difficultés d’accès aux centres de vaccination risquent d’enrayer la campagne vaccinale, qui, pour l’heure, n’a permis la vaccination définitive que de 150 000 de nos compatriotes. Cette situation, si elle perdure, pourrait malheureusement vous forcer dans quelques semaines ou quelques mois à revenir vers nous pour nous demander une nouvelle autorisation de restreindre nos libertés fondamentales.
Certes, le Gouvernement nous informe régulièrement du contenu des mesures qu’il prend. Il a été brièvement question d’un débat en application de l’article 50-1 de la Constitution. J’ose espérer qu’il s’agit d’un commencement de contrôle parlementaire. Mais cela n’est manifestement pas suffisant, car le contrôle parlementaire doit de préférence se traduire par un acte positif, suivi de conséquences.
Comprenez-moi bien : notre intention n’est pas de priver l’exécutif des outils de maîtrise de la crise sanitaire dont il a fait jusqu’ici l’usage. Nous avons d’ailleurs consenti très largement à la proposition du Gouvernement de prolonger l’état d’urgence eu égard à la situation.
Mais cette acceptation prudente du principe du prolongement des pouvoirs exceptionnels ne signifie pas pour autant que nous souscrivons à leur emploi tous azimuts sans un contrôle parlementaire fin. Ces pouvoirs doivent être limités dans le temps et le Parlement doit être appelé à se prononcer régulièrement sur un éventuel prolongement au regard de l’évolution de la situation.
Ajoutons qu’en dernier ressort, les juges constitutionnel et administratif doivent s’assurer de la proportionnalité des mesures prises.
Pour toutes ces raisons, notre position s’est toujours articulée autour de deux idées-forces.
D’une part, nous voulons réduire la durée de prorogation d’application de l’état d’urgence sanitaire, afin que le Gouvernement revienne devant le législateur avant le début du mois de mai plutôt qu’en juin, dans un souci de donner corps au contrôle démocratique des pouvoirs exceptionnels.
Évidemment, on peut nous opposer des contraintes d’agenda législatif, comme l’a fait le ministre Olivier Véran en première lecture. Mais ce serait méconnaître le fait que, tout au long de la crise, l’institution parlementaire s’est toujours montrée à la hauteur du défi lorsqu’il s’est agi d’agir vite quand la santé des Français était en jeu.
D’autre part, nous avions proposé un encadrement spécifique du prolongement d’un éventuel confinement. Et pourtant, cette idée frappée au coin du bon sens fut la pierre d’achoppement qui a conduit à l’échec de la commission mixte paritaire de jeudi dernier. Nous le regrettons vivement.
Ainsi, à l’issue de son examen en nouvelle lecture par les députés, le projet de loi nous est revenu vidé de l’essentiel de nos modifications. La proposition de territorialiser, à travers les préfets, les décisions d’ouverture de commerce si la situation locale le permet a ainsi été balayée d’un revers de main par l’Assemblée nationale.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’était pourtant le bon sens !
M. Stéphane Le Rudulier. Les quelques mesures que l’Assemblée nationale a reprises sont évidemment bienvenues, mais elles demeurent largement insuffisantes au regard des enjeux.
Telle a aussi été la conclusion du rapporteur Philippe Bas, qui, plutôt que de faire durer une discussion qui s’enlise, a choisi de présenter une motion tendant à opposer la question préalable. Pour toutes les raisons évoquées précédemment, le groupe Les Républicains votera cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme le président. Je suis saisie, par M. Bas, au nom de la commission, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire (n° 327, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
M. Philippe Bas, rapporteur. Mes chers collègues, je vous ai indiqué tout à l’heure ce qui motive cette motion. Les faits sont là : nous avons un désaccord unique – tous les autres sujets auraient pu faire l’objet d’un compromis –, mais ce désaccord est très important. Il porte sur la capacité du Parlement à exercer, au nom des Français, le contrôle le plus resserré possible sur toute mesure de confinement.
On voit à quel point une telle question est sensible. Nous n’avons pas connu, depuis les guerres mondiales, des restrictions de liberté aussi importantes que celles qui ont été prises pour lutter contre l’épidémie de covid-19. Même après 2015, lorsque l’état d’urgence a été activé pour faire face à la crise terroriste, les restrictions de liberté n’ont jamais atteint la généralité et l’intensité que l’on peut connaître avec le confinement.
Et comme le temps a passé depuis le premier confinement, comme les moyens d’action que nous avons accordés au Gouvernement se sont progressivement accrus, comme la situation sanitaire est tout de même moins grave, même si elle est très préoccupante, que celle que nous avons pu connaître, nous pensons que ce serait un terrible échec de la politique de lutte contre cette épidémie que de devoir procéder à un nouveau reconfinement.
Toutefois, si une telle décision devait être prise, le contrôle devrait vraiment être porté au niveau d’exigence qui convient pour que les Français aient l’assurance que l’exécutif n’utilise pas ces moyens sans frein.
Il me semble qu’il s’agit là d’une proposition de bon sens et qu’elle n’est nullement exorbitante : nous sommes toujours en démocratie et nous sommes toujours dans un État de droit.
Le Gouvernement nous dit qu’il est tout à fait disposé à organiser devant le Parlement un débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution et qu’il serait même prêt à nous proposer de nous prononcer à l’issue de ce débat par un vote sur une déclaration gouvernementale.
Y a-t-il équivalence entre cette proposition et la disposition que nous avons adoptée au Sénat pour exiger qu’un confinement ne puisse pas être prolongé au-delà d’un mois sans une loi l’y autorisant ? La réponse est évidemment non !
Quand un gouvernement fait une déclaration – appelons-la « déclaration de politique sanitaire » – et demande un vote, il sollicite non pas l’autorisation de prolonger un confinement, mais l’approbation de sa politique sanitaire. Et les conséquences de ce vote ne sont pas les mêmes que celles de l’adoption ou du rejet d’un texte législatif autorisant le prolongement d’un confinement.
Ce serait donc en quelque sorte un marché de dupes que de vouloir échanger une loi contre un débat, un vote sur la politique sanitaire contre un vote sur l’autorisation de restreindre pendant une durée supplémentaire les libertés des Français, autorisation qui suppose tout de même une évaluation de la nécessité absolue de prendre de telles mesures. Je pense que nous ne pouvons pas accepter cela.
À mon sens, notre rôle devant les Français, en toute transparence, sous leur regard, est de dire au Gouvernement que s’il souhaite être efficace dans la lutte contre la covid, il a besoin de renforcer l’acceptabilité des mesures qu’il prend. Et il ne pourra la renforcer que si, au sein de la représentation nationale, tous les courants de pensée, dans leur diversité, sont amenés à s’exprimer au nom des Français et à approuver ces mesures. En effet, à ce moment-là, le Gouvernement ne sera plus seul devant les Français.
Et je dois vous le dire, loin d’être éloigné de l’idée que nous nous faisons de la responsabilité politique, ce que nous suggérons est vraiment l’essence de cette responsabilité. Nous sommes prêts à l’assumer. Nous l’avons toujours fait.
Si, après avoir, en octobre et en novembre, puis en février, inlassablement expliqué ce que je suis en train de vous répéter, au risque d’user de votre attention, voire d’en abuser, si, après tant d’efforts pour expliquer des choses si simples et évidentes, nous ne sommes pas parvenus à convaincre, c’est sans doute que nous n’avons pas été suffisamment clairs et que nous n’avons pas su trouver les mots justes ; je veux bien le croire.
Mais c’est aussi parce que le Gouvernement ne veut pas nous entendre ! Alors, à quoi bon reprendre la discussion après l’échec de cette commission mixte paritaire pour adopter de nouveau un texte dont tout le monde connaît la teneur, qui serait le même que celui que nous avons adopté voilà seulement quinze jours ? Nous disons maintenant que le débat est fini sur cette question entre le Gouvernement et nous.
C’est la raison pour laquelle la commission des lois m’a demandé de présenter devant notre assemblée cette motion tendant à opposer la question préalable. Nous voulons maintenant tourner, avec beaucoup de regrets, cette page, qui signe la mise à l’écart du Parlement de la gestion de la crise sanitaire ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, contre la motion. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mes chers collègues, je vais tenter, au nom de mon groupe, de vous convaincre de ne pas voter cette motion tendant à opposer la question préalable, afin que le débat s’engage. À moins que je ne parvienne à convaincre le rapporteur de la commission des lois de la retirer… Sait-on jamais ?
Nous sommes dans une situation paradoxale. Depuis onze mois, le Sénat assume son rôle de manière extrêmement exigeante, avec le concours de tous les groupes. Nous appuyant sur les travaux de notre rapporteur, nous avons chaque fois réduit la durée de l’état d’urgence, posé des conditions, limité considérablement les cohortes d’habilitations à légiférer par ordonnances demandées par le Gouvernement.
Nous avons bataillé pied à pied, sans contester l’utilité de l’état d’urgence – en tout cas, ni mon groupe ni la majorité sénatoriale ne l’ont fait –, mais en exigeant son encadrement strict.
Nous avons tous exigé aussi que le Parlement ait toute sa place, non par volonté de marquer notre territoire, mais parce que nous avons senti très tôt que les Français accepteraient mieux ces mesures extrêmement rigoureuses, difficiles et pénibles s’ils étaient associés à leur élaboration. Il ne fallait donc pas laisser la bride sur le cou du Gouvernement, en dépit de ses demandes réitérées, texte après texte, et c’est ainsi que nous avons cheminé.
Mon groupe s’est abstenu sur les différents textes, au motif qu’ils étaient incomplets, mais il n’a pas barré la route à l’instauration de l’état d’urgence sanitaire.
Le rapporteur de la commission des lois et notre collègue Thani Mohamed Soilihi, lui-même présent à la commission mixte paritaire, ont rappelé la difficulté à faire bouger la majorité gouvernementale, mais également l’évolution de sa posture, ce qui n’a peut-être pas été suffisamment souligné. Ayant enfin identifié, au fil des semaines et des mois, l’importance du lien avec la population et les élus, cette majorité semblait sincèrement souhaiter un accord en commission mixte paritaire.
La démocratie aussi a été confinée, le Sénat a dû délibérer dans des conditions inédites, le pouvoir exécutif s’est trouvé doté de pouvoirs exorbitants. Cela dure désormais depuis onze mois.
Pourquoi rejeter aujourd’hui cette motion tendant à opposer la question préalable ? Il y a quand même un paradoxe inouï à vouloir absolument que le Parlement ait un pouvoir, mais à décider simultanément d’en éluder la possibilité.
Si vous votez cette motion, mes chers collègues, dans quelques minutes, nous en aurons terminé avec ce texte. Nous ne l’examinerons pas, et nous ne réaffirmerons donc pas les exigences du Sénat sur la durée et les modalités de contrôle de l’état d’urgence.
Pourtant, alors même que l’Assemblée nationale n’était pas très encline à trouver un intérêt à nos propositions, nous avons parfois pu introduire des nouveautés dans les différents textes que nous avons examinés. C’est d’ailleurs vraisemblablement pour cette raison que le régime de « sortie de l’état d’urgence », dont chacun sait ici qu’il ressemble furieusement au régime de l’état d’urgence lui-même, n’a finalement pas été maintenu dans le texte examiné par l’Assemblée nationale.
En tant que parlementaire, je ne me résous pas à ce que le Parlement ne joue pas son rôle. Or cette motion tendant à opposer la question préalable est une motion de renoncement. Considérant que l’Assemblée nationale aura de toute façon le dernier mot, aux termes de la Constitution, nous décidons aujourd’hui de ne pas remplir notre fonction. C’est la négation du bicamérisme, le refus d’apporter notre contribution.
Voilà pourquoi mon groupe refuse de voter cette motion. Nous ne sommes pas d’accord avec le texte issu de l’Assemblée nationale ; nous ne sommes pas d’accord non plus avec les propositions presque ridicules qui nous ont été faites au cours de la réunion de la commission mixte paritaire. Elles montrent certes que le Gouvernement souhaitait trouver une « voie de passage » entre les deux assemblées, mais la proposition d’un simple courrier du Premier ministre n’était pas à la hauteur de nos exigences. Nous avons donc collectivement refusé.
C’est pourquoi j’essaye de plaider en faveur de la poursuite du débat. N’éludons pas nos responsabilités, réaffirmons nos positions !
Pour conclure, mes chers collègues, rappelez-vous ces mots de Camus dans Noces : « Vivre, c’est ne pas se résigner. » Être parlementaire, c’est ne jamais se résigner. C’est pourquoi je souhaite que nous rejetions cette motion tendant à opposer la question préalable et que nous poursuivions le débat. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI.)
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le Gouvernement regrette le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable. Nous en prenons acte, mais nous aurions préféré que les débats se poursuivent.
Le Gouvernement émet donc naturellement un avis défavorable sur cette motion.
Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le rapporteur, vous ne serez pas surpris que nous soyons en désaccord avec votre position.
Nous ne voulons pas simplement améliorer le contrôle des pouvoirs exceptionnels du Président de la République et du Gouvernement ; nous contestons ces pouvoirs exceptionnels. Nous estimons que le Parlement peut parfaitement retrouver la plénitude de ses pouvoirs et que nous pouvons affronter le mal qui nous frappe dans le plein respect de la démocratie.
Monsieur le rapporteur, en première lecture, vous vous adressiez en ces termes à M. Véran : « Vous qui êtes ministre de la santé, vous devez avoir conscience que le ministre de l’intérieur, tous gouvernements confondus, n’a jamais exigé des Français autant de restrictions aux libertés que celles imposées pour lutter contre le covid. Or, dans un État de droit, dans une vieille République que nous chérissons tous, on ne saurait s’habituer à de telles restrictions, du moins sans un contrôle parlementaire effectif. Je le répète, vous n’avez rien à craindre d’un tel contrôle, puisqu’il est responsable. »
Monsieur Bas, nous ne souhaitons pas limiter le rôle du Parlement au contrôle. Nous voulons lui rendre son pouvoir législatif d’élaboration des politiques publiques.
Nous pouvons toutefois en convenir : au terme de cet épisode d’édiction puis de prolongation de l’état d’urgence sanitaire, Emmanuel Macron écarte le Parlement de la gestion de la crise et s’isole dans son pouvoir personnel, poussant au paroxysme les défauts des institutions de la Ve République.
C’est l’état d’urgence en lui-même, dans notre cadre constitutionnel, qui entraîne cette situation extrêmement dangereuse pour notre démocratie.
Pourquoi persévérer dans ce jeu de dupes ? Je vous avais alerté en première lecture sur l’échec prévisible de vos tentatives, monsieur le rapporteur.
Nous nous abstiendrons donc sur cette motion, car le désaccord que vous mettez en scène ne porte pas sur l’état d’urgence lui-même. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je tiens tout d’abord à exprimer, au nom de mon groupe, le regret que certaines dispositions votées par le Sénat aient été retirées du texte en commission mixte paritaire.
Le rapprochement de la date d’expiration de l’état d’urgence sanitaire, tout comme l’obligation de consultation mensuelle du Parlement pour la mise en œuvre d’un confinement de plus d’un mois aurait permis à cette institution souvent malmenée par le Gouvernement de recouvrer toute sa légitimité.
Monsieur le secrétaire d’État, le Sénat vous a réitéré sa volonté de prendre part à la gestion de la crise sanitaire. Votre majorité à l’Assemblée nationale lui a opposé une fin de non-recevoir, se privant par là même de son propre pouvoir de légiférer et de contrôler votre action.
En l’état, ce texte ne peut donc pas nous convenir : c’est une sorte d’affront fait à la Haute Assemblée.
La présente motion témoigne de notre constat partagé : ce gouvernement n’est manifestement pas prêt à la discussion ; c’est une maladie chronique de la Macronie. (M. Julien Bargeton proteste.)
Toutefois, parce que cette motion relève avant tout de la surenchère politicienne entre la droite sénatoriale et le Gouvernement à l’approche des élections, nous ne souhaitons pas nous y engouffrer. Aussi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra-t-il.
Mme le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion est adoptée.)
Mme le président. En conséquence, le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire est rejeté.
7
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 9 février 2021 :
À neuf heures trente :
Trente-six questions orales.
À quatorze heures trente :
Débat sur l’« Opération Barkhane : bilan et perspectives » ;
Explications de vote puis vote sur la proposition de loi visant à sécuriser la procédure d’abrogation des cartes communales dans le cadre d’une approbation d’un plan local d’urbanisme (PLU) ou d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) et à reporter la caducité des plans d’occupation des sols (POS), présentée par M. Rémy Pointereau et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 305, 2020-2021) ;
Débat sur les mineurs non accompagnés.
À vingt et une heures trente :
Débat sur l’avenir de la métropole du Grand Paris.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à seize heures.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER