Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 90, présenté par Mme Cohen, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Au début, insérer deux paragraphes ainsi rédigés :
…. – Le dernier alinéa de l’article 371-1 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée : « En cas de désaccord sur une décision de nature médicale relevant du septième alinéa de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique, le juge des tutelles apprécie la volonté du mineur. »
…. – Après le septième alinéa de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Hors nécessité vitale immédiate, aucun acte médical de conformation sexuée irréversible visant à modifier les caractéristiques sexuelles ne peut être effectué sur une personne mineure tant que l’intéressée n’est pas en mesure d’exprimer par elle-même son consentement après avoir reçu une information adaptée à son âge. »
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. En dépit d’évolutions positives, nous pensons que des modifications peuvent encore être apportées au texte de cet article 21 bis.
Nous notons avec intérêt la suppression en deuxième lecture à l’Assemblée nationale de la référence à la Haute Autorité de santé, la HAS, jugée inutile et trop rigide. Notre groupe l’avait déjà demandée en première lecture.
Par cet amendement, nous souhaitons que tout acte médical de conformation sexuée, hors cas d’urgence vitale, soit différé pour être préalablement soumis au consentement spécifique de la personne, laquelle, après avoir reçu une information adaptée, doit avoir pu prendre pleinement conscience des conséquences d’une telle opération.
Le dispositif actuel ne permet pas d’éviter des opérations non vitales.
En 2017, le Défenseur des droits et la délégation aux droits des femmes du Sénat ont déjà montré la nécessité de changer la prise en charge des personnes intersexes.
En 2018, une recommandation du Conseil d’État allait dans le même sens. De nombreuses institutions se sont prononcées pour appeler à cesser un certain nombre de pratiques. Toutes s’accordent sur le principe de précaution et la nécessité de ne pas intervenir sur le corps de la personne concernée sans urgence vitale et sans son consentement libre et éclairé, personnellement exprimé.
L’État français a été rappelé à l’ordre par trois comités de l’ONU. Trop souvent, même si cette pratique tend visiblement à disparaître, ces enfants subissent dès leurs premières années une ablation du clitoris ou une castration, des actes traumatisants, pratiqués par des professionnels qui s’appuient sur l’état des connaissances médicales et psychologiques au moment des interventions.
En réalité, il s’agit rarement d’une nécessité médicale, mais plutôt d’une certaine obligation faite par la société d’être assigné à un sexe biologique bien déterminé. Ces opérations sont violentes pour les personnes concernées et s’accompagnent de multiples et lourds effets secondaires, avec de surcroît le sentiment que le pouvoir médical peut décider pour autrui de ce que doit être un corps pour se conformer à l’apparence, soit d’un homme, soit d’une femme.
Nous proposons donc d’inscrire clairement leur interdiction dans la loi, sauf urgence vitale ou consentement explicitement et personnellement exprimé par le patient, même mineur. C’est à lui seul, et non à ses parents, que revient le choix libre, éclairé et consenti de se faire opérer, ou non.
Mme la présidente. L’amendement n° 138, présenté par MM. Salmon et Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéas 4 à 6
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 2131-6 – Hors nécessité vitale ou défaillance fonctionnelle, aucun traitement irréversible ou acte chirurgical visant à la définition des caractéristiques sexuelles ne peut être effectué sur une personne mineure tant que l’intéressée n’est pas en mesure d’exprimer par elle-même son consentement après avoir reçu une information adaptée à son âge. »
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. En mai 2016, le Comité des droits de l’enfant et le Comité contre la torture de l’ONU ont réprimandé notre pays en raison de son traitement inhumain des personnes présentant une variation du développement sexuel et de l’absence d’informations offertes aux parents à qui les opérations sont présentées comme une nécessité, en dépit du droit et de la réalité médicale. Sont également pointées du doigt les atteintes au droit à l’autodétermination des personnes.
Ces opérations, réalisées dans le but de rendre l’apparence du corps et des organes génitaux des nouveau-nés conforme aux caractéristiques communes des sexes féminins et masculins, entraînent de lourdes conséquences à vie pour ces derniers, ainsi que de très nombreuses complications.
L’article 21 bis vise à en finir avec ce type de pratiques. Il nous semble toutefois qu’il est incomplet et qu’il lui manque un garde-fou.
C’est dans cet esprit que nous proposions, en commission, d’interdire les traitements et opérations chirurgicales des organes génitaux réalisés sur des nouveau-nés et des enfants intersexes en bas âge, en dehors de toute nécessité vitale, dans le même esprit que l’amendement n° 90 du groupe CRCE.
Tenant compte de l’avis du rapporteur en commission, nous avons intégré à notre amendement initial la prise en compte du risque de défaillance fonctionnelle. Je me dois également, mes chers collègues, d’attirer votre attention sur la présence de plus en plus forte dans notre environnement de perturbateurs endocriniens, qui tendent à rendre de plus en plus fréquents les cas de variation du développement sexuel.
Mme la présidente. L’amendement n° 77, présenté par Mme Cohen, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette recherche doit impérativement respecter les droits humains, la dignité de la personne et l’autodétermination.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Au travers de cet amendement, nous voulons réaffirmer que le principe d’intégrité du corps et d’autodétermination de la personne doit prévaloir, comme le prévoit d’ailleurs l’article 16-3 du code civil.
Par conséquent, les enfants présentant une variation de développement génital doivent être pris en charge dans des conditions qui respectent les droits humains fondamentaux et le principe constitutionnel de dignité de la personne.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous proposons d’attendre que ces personnes soient en capacité de décider ou, à tout le moins, d’être associées de manière éclairée à la prise de décision, hors urgence vitale évidemment.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Je rappellerai rapidement les principaux éléments du débat sur la question des interventions chirurgicales précoces réalisées sur des enfants présentant des variations du développement génital.
Il n’y a pas de consensus en France sur cette question, ainsi que l’a rappelé l’avis du Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, rendu en novembre 2019.
La plupart des associations de personnes nées avec une variation sexuelle rejettent le bénéfice, pour la construction de l’identité sexuelle de l’enfant, d’une intervention chirurgicale ou d’un traitement hormonal et dénoncent leurs séquelles physiques et psychiques à long terme. Elles évoquent des mutilations opérées sur des organes sains pour des raisons esthétiques ou purement sociales, et non pas médicales.
La position des patients atteints d’hyperplasie congénitale des surrénales, qui est la cause largement la plus fréquente, est différente. Les représentants de l’association Surrénales, que j’ai auditionnés, se sont d’ailleurs déclarés pour une intervention précoce. Dans leur cas, il n’existe toutefois pas de doute sur le sexe de l’enfant, le traitement hormonal étant même le plus souvent vital, en raison notamment des pertes de sel résultant de l’hyperplasie.
La plupart des chirurgiens et endocrinologues justifient quant à eux leur intervention par leurs fins réparatrices et fonctionnelles. Ils font valoir pour certains que, pour des raisons psychologiques, le corps doit, dans la mesure du possible, correspondre à une identité sexuelle. Une intervention précoce permet selon eux de minimiser les conséquences psychologiques pour l’enfant et son entourage.
En tout état de cause, le cadre législatif actuel – l’article 16-3 du code civil – interdit déjà les opérations chirurgicales et les traitements irréversibles pratiqués de manière précoce sur un enfant quand il n’y a pas de nécessité médicale. Les opérations mutilantes le sont également lorsqu’il n’y a pas de motif médical très sérieux, selon l’article R. 4127-41 du code de la santé publique.
Toutefois, des recommandations internationales demandent à la France d’aller plus loin, et c’est précisément l’objet des trois amendements qui ont été présentés.
L’amendement n° 90 de Mme Cohen vise à interdire tout acte médical de conformation sexuée irréversible, hors cas d’urgence vitale immédiate, tant que l’enfant n’est pas en mesure de consentir. Cette disposition viendrait donc limiter les opérations précoces sur des enfants présentant des variations du développement génital à ces seuls cas, finalement, d’urgence vitale immédiate, ce qui serait plus restrictif.
L’amendement n° 138 de M. Salmon vise à interdire tout traitement irréversible ou acte chirurgical visant la définition des caractéristiques sexuelles, hors nécessité vitale ou défaillance fonctionnelle. Il est donc plus nuancé, si je puis dire, puisqu’il pourrait permettre des interventions visant à éviter des pertes de chance fonctionnelle.
Toutefois, cette rédaction pose des difficultés d’interprétation pour les médecins, sachant que les interventions chirurgicales en question sont toujours très complexes et concernent souvent l’appareil urinaire – c’est le cas par exemple des hypospadias.
L’objectif des auteurs de ces deux amendements correspond finalement à celui de l’article 21 bis, auquel je suis favorable. Pour autant, je pense qu’il est prématuré, et sans doute contre-productif, d’inscrire dans la loi ce type d’interdiction.
Il me semble que, sur cette question complexe, la rédaction actuelle de l’article 21 bis constitue un point d’équilibre satisfaisant. L’Assemblée nationale a entendu nos remarques, en a tenu compte et a conservé la plupart de nos propositions. Elle a aussi ajouté un nouveau dispositif intéressant en matière d’état civil, qui permet de donner du temps, de ne pas figer certaines situations.
Je crois que nous devons maintenant prendre acte de cet équilibre ; il pourrait être contre-productif de brusquer les choses. Nous devons miser sur des concertations ouvertes, dont nous avons d’ailleurs fixé les conditions dans le texte. En outre, le cadre que nous avons prévu correspond à l’avis du CCNE.
C’est pourquoi je souhaite que nous en restions à la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale. Je remercie d’ailleurs Véronique Guillotin d’avoir, dans cet esprit, retiré ses amendements.
L’avis de la commission spéciale est donc défavorable sur ces deux amendements.
Enfin, l’amendement n° 77 de Mme Cohen, qui tend à préciser que la recherche du consentement du mineur doit se faire dans le respect des droits humains, de la dignité de la personne et de l’autodétermination, est satisfait par le droit en vigueur, que ce soit par le code civil, le code de la santé publique ou encore la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, une norme à valeur constitutionnelle.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Ce sera un même avis défavorable sur ces trois amendements, madame la présidente, pour les raisons brillamment exposées par le rapporteur.
Je saisis cette occasion pour saluer la qualité du travail parlementaire qui a été produit sur ce sujet particulièrement complexe.
Initialement, le projet de loi ne contenait pas de disposition sur cette question ; c’est le travail parlementaire qui a permis de le faire et c’est la subtilité de ce travail qui a permis d’atteindre à l’Assemblée nationale un point d’équilibre – je reprends votre expression, monsieur le rapporteur – qui satisfait pleinement le Gouvernement. Nous proposons au Sénat de conserver cet équilibre.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Salmon, l’amendement n° 138 est-il maintenu ?
M. Daniel Salmon. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 138 est retiré.
Madame Cohen, les amendements nos 90 et 77 sont-ils maintenus ?
Mme Laurence Cohen. Je veux remercier M. le rapporteur et M. le secrétaire d’État de leurs explications. Je vais retirer l’amendement n° 77, mais maintenir l’amendement n° 90.
J’ai été véritablement marquée par le travail réalisé par la délégation aux droits des femmes du Sénat et par les auditions auxquelles j’ai participé, qui ont montré les souffrances d’un certain nombre de personnes. Au travers de l’amendement n° 90, je souhaite attirer l’attention sur ces souffrances.
Je suis moi aussi soucieuse de trouver un point d’équilibre, mais il me semble que celui qui est proposé par l’Assemblée nationale est extrêmement fragile. Il est en effet source de multiples interprétations, alors même que les connaissances médicales ou psychologiques évoluent en permanence grâce au progrès scientifique. Or le moment où les opérations dont il est question ici sont réalisées correspond nécessairement à un état figé de ces connaissances.
Au regard de la persistance d’un certain flou, et parce que je souhaite rester fidèle à l’esprit des auditions auxquelles j’ai participé, je veux continuer d’attirer l’attention sur ce sujet. C’est pourquoi je retire l’amendement n° 77, mais maintiens l’amendement n° 90, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 77 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 90.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est minuit. Je vous propose de prolonger notre séance afin de poursuivre l’examen de ce texte, sans toutefois pouvoir encore vous indiquer si nous pourrons l’achever ce soir.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 33, présenté par M. Bourgi, est ainsi libellé :
Alinéas 8 et 9
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Cet amendement a un seul but : simplifier.
Nous passons notre temps, dans notre pays, à dire qu’il faut simplifier les formalités administratives ; c’est un leitmotiv de tous les discours politiques. Or l’article 21 bis propose de faire coexister deux dispositifs, l’un à l’alinéa 9, l’autre à l’alinéa 11, pour la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital et l’adaptation des règles en matière d’état civil.
L’amendement que je vous propose vise à conserver le dispositif prévu à l’alinéa 11, car il est le plus respectueux de la vie privée des personnes intersexes. Dans notre pays, où le droit à l’oubli est de plus en plus admis, je vous propose de ne pas stigmatiser ces enfants, de ne pas les marquer au fer rouge, en multipliant les mentions marginales ou les rectifications administratives sur leur acte de naissance.
Cet amendement est inspiré de mon expérience associative : depuis vingt ans, je rencontre et j’accompagne des personnes concernées par les réalités que nous évoquons ce soir, ainsi que leurs parents et familles.
À la naissance, les parents se retrouvent souvent démunis, désarmés, et s’en remettent à la seule autorité qu’ils trouvent, l’autorité médicale. Finalement, c’est donc cette dernière qui oriente le choix du sexe qui va être assigné à l’enfant dans ces situations. Souvent, les choses se passent très bien – tant mieux ! –, mais parfois elles se passent mal et, lorsque l’enfant grandit, il se rend compte que le sexe qu’on lui a assigné à la naissance par injonction, par sommation, de la société ne correspond pas à son être profond.
C’est la raison pour laquelle j’ai voté l’amendement de notre collègue Laurence Cohen et que je vous propose maintenant cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 95, présenté par Mme Cohen, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Rédiger ainsi cet alinéa :
« En cas de doute concernant le sexe de l’enfant au jour de l’établissement de l’acte, le procureur de la République peut autoriser l’officier de l’état civil à ne pas faire figurer immédiatement le sexe sur l’acte de naissance. L’inscription du sexe intervient, après examens médicaux, à la demande des représentants légaux de l’enfant ou du procureur de la République dans un délai qui ne peut être supérieur à trois mois à compter du jour de la déclaration de naissance. Le procureur de la République ordonne de porter la mention du sexe en marge de l’acte de naissance et, à la demande des représentants légaux, de rectifier l’un ou les prénoms de l’enfant. » ;
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Par cet amendement, nous proposons d’attendre, avant d’inscrire le sexe de l’enfant à l’état civil, que les parents ou les représentants légaux de l’enfant aient pu réaliser des examens médicaux.
Notre objectif est d’accompagner le changement des pratiques médicales et de consacrer le principe d’abstention thérapeutique, notamment en déliant la question de l’inscription du sexe à l’état civil de celle de l’assignation médicale du sexe.
En effet, la pression exercée sur les parents pour inscrire le sexe de l’enfant à l’état civil conduit à accepter des opérations destinées à définir les caractéristiques sexuelles de cet enfant.
Le délai de trois mois qui est prévu permettrait de réaliser différents examens ; il vise à apporter en quelque sorte un répit, un temps de réflexion, sans que les parents aient à céder aux assignations juridiques et sociales de la société, comme vient de le souligner mon collègue Hussein Bourgi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Comme je l’indiquais, nos collègues députés ont complété l’article 21 bis, en ajoutant un volet relatif à l’état civil et en ouvrant deux procédures aux personnes présentant une variation du développement génital.
Ils ont choisi de faire figurer dans la loi la possibilité d’un report de trois mois de la mention du sexe à l’état civil, avec l’autorisation du procureur de la République.
Cette disposition reprend d’ailleurs, en l’encadrant plus strictement dans le temps, une faculté qui était ouverte par voie de circulaire. Ils ont également choisi de mentionner expressément la variation du développement génital comme motif recevable pour obtenir la rectification du sexe et du prénom, par ordonnance du président du tribunal judiciaire dans le cadre de la procédure prévue à l’article 99 du code civil.
L’amendement n° 33 vise à supprimer la possibilité de surseoir à la déclaration du sexe à l’état civil pendant trois mois, considérant que cela complexifie le droit et que le régime de la rectification judiciaire suffit.
Or il me semble que le texte adopté par l’Assemblée nationale et les deux procédures qui sont prévues offrent justement une souplesse bienvenue.
Dans certains cas, qui sont très complexes, le médecin ou la réunion de concertation pluridisciplinaire préférera prendre le temps d’émettre un diagnostic et utilisera le délai qui est accordé. Dans d’autres cas, qui sont certainement plus nombreux d’ailleurs, le sexe pourra être déterminé plus facilement et inscrit à l’état civil dans le délai habituel de cinq jours.
Surtout, en cas d’erreur, une rectification judiciaire pourra être aisément obtenue, et il est important de noter – cela m’a été confirmé par la chancellerie – que, quelle que soit la procédure mise en œuvre, les mentions marginales relatives au sexe n’apparaîtront pas dans la copie intégrale de l’acte de naissance ; le décret du 6 mai 2017 relatif à l’état civil doit être modifié en conséquence.
Il n’y a donc pas de préférence à avoir pour l’une ou l’autre de ces procédures et, je vous rassure, aucun enfant ne sera marqué au fer rouge !
L’avis est donc défavorable sur l’amendement n° 33.
Avec l’amendement n° 95, Laurence Cohen souhaite modifier la rédaction de l’alinéa 9 relatif à la procédure permettant de surseoir à la déclaration du sexe à l’état civil pendant trois mois pour ne plus y faire figurer la notion d’impossibilité médicalement constatée de déterminer le sexe ou de sexe médicalement constaté.
Je comprends parfaitement cette intention de séparer la question du sexe déclaré à l’état civil de celle des éventuelles interventions chirurgicales, par exemple pour ne pas encourager les parents à consentir trop rapidement à des opérations ou à céder à une pression en la matière.
Toutefois, cette crainte ne me semble pas fondée.
Tout d’abord, l’abstention thérapeutique figure désormais expressément parmi les propositions qui peuvent être évoquées en réunion de concertation pluridisciplinaire. Toute la procédure mise en place vise à atténuer fortement ce risque, même si elle ne le fera sans doute pas disparaître complètement.
Ensuite, les termes choisis renvoient au diagnostic posé sur l’enfant quant à l’existence d’une variation du développement génital, puis à son sexe. Je rappelle que la détermination médicale du sexe peut résulter d’un simple faisceau d’indices. Il ne s’agit pas d’obliger la personne à subir une opération de conformation sexuée.
Enfin, l’alinéa 9 crée une procédure dérogatoire relative à l’état civil.
Pour toutes ces raisons, j’émets également un avis défavorable sur l’amendement n° 95.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. En ce qui concerne l’amendement n° 95, j’émets le même avis, pour les mêmes raisons.
Il en sera de même s’agissant de l’amendement n° 33, mais je souhaite apporter quelques éléments de réponse à M. Bourgi.
Monsieur le sénateur, je vous confirme tout d’abord ce que disait à l’instant le rapporteur : les alinéas dont vous demandez la suppression consacrent en fait au niveau législatif une pratique qui est actuellement ouverte par voie de circulaire et qui autorise l’officier de l’état civil à reporter, au-delà de cinq jours après la naissance, l’indication du sexe en cas d’impossibilité pour le médecin de le déterminer dans ce délai.
En ce qui concerne le délai de trois mois, je rappelle que les médecins n’ont pas besoin en moyenne de plus d’un mois pour déterminer le sexe d’un enfant présentant des variations du développement sexuel.
Par ailleurs, s’agissant du second aspect de votre amendement, je confirme ce qu’indiquait le rapporteur : lors des débats à l’Assemblée nationale en première lecture, le Gouvernement, par la voix de la garde des sceaux à l’époque, s’est engagé à modifier les dispositions réglementaires, pour que l’indication du sexe de l’enfant et son éventuel changement de prénom n’apparaissent pas en marge de son acte de naissance en cas de délivrance d’une copie intégrale. Je réaffirme devant vous cet engagement du Gouvernement ; notre objectif – je sais que nous le partageons – est évidemment de ne pas stigmatiser les personnes intersexes.
Telles sont les raisons, monsieur le sénateur, pour lesquelles l’avis du Gouvernement est également défavorable sur l’amendement n° 33.
Mme la présidente. L’amendement n° 34, présenté par M. Bourgi, est ainsi libellé :
Alinéa 11
1° Supprimer les mots :
, s’il est médicalement constaté que son sexe ne correspond pas à celui figurant sur son acte de naissance
2° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le juge peut prendre en compte des avis médicaux comme preuve au soutien de la demande.
La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Cet article propose de s’en remettre à l’autorité judiciaire pour procéder à la rectification de la mention du sexe ; cela ne soulève en soi aucune objection, mais il est un peu plus gênant de restreindre l’appréciation de la requête de la personne concernée au seul fondement d’une preuve médicale.
Cette disposition va dans le sens d’une « biologisation » du sexe, et il s’agit d’une conception et d’une approche que je trouve restrictives, pour ne pas dire étriquées – les personnes concernées ont d’ailleurs le même avis. Ces situations sont très complexes et, pour pouvoir se forger une opinion, l’autorité judiciaire doit les apprécier au regard, certes, des examens médicaux, mais aussi des rapports sociaux et des témoignages de la famille ou de l’équipe enseignante.
Je rappelle en outre qu’une jurisprudence constante datant de 1992 invite la France à prendre systématiquement en compte cette multiplicité de paramètres, lorsque l’autorité judiciaire est appelée à se prononcer sur ces situations. Je le répète, le sexe découle de paramètres qui ne sont pas seulement biologiques, mais aussi sociologiques et psychologiques.
Il apparaît donc souhaitable de laisser au juge la liberté d’apprécier ces situations au regard de critères médicaux, mais aussi sociaux et psychosociaux, ainsi qu’en s’appuyant sur les témoignages de l’équipe enseignante, de la famille, des amis ou de la fratrie. Ces témoignages sont utiles au juge pour se forger une opinion.
En un mot, malgré tout le respect que nous devons au monde médical, il ne peut pas être le seul à fournir un avis circonstancié. Plus il y a d’avis et plus ceux-ci viennent de sources diverses, plus le juge sera éclairé avant de se prononcer.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Il me semble voir dans cet amendement une confusion entre deux problématiques distinctes.
Il existe d’une part la procédure de rectification judiciaire dont nous venons de parler et qui est prévue à l’article 99 du code civil. Elle concerne les enfants présentant une variation du développement génital. Comme je l’ai mentionné, cette rectification ne figurera pas dans les mentions marginales de l’état civil. Il n’y aura donc pas d’enfants marqués au fer rouge, pour répondre à votre préoccupation, et une disposition réglementaire le précisera.
Il existe d’autre part la procédure de modification de la mention du sexe. Elle concerne les personnes transgenres dont le sexe premier ne correspond pas au sexe social. C’est la problématique que vous soulevez : le sexe est une construction qui peut inclure différentes composantes.
Je crois qu’il faut conserver la différenciation entre ces deux procédures, qui sont de nature distincte et qui répondent à deux problématiques différentes, d’un côté celle des enfants présentant des variations du développement génital, de l’autre celle des personnes transgenres.
L’avis de la commission spéciale est donc défavorable.