M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Ces amendements me laissent dubitative, même si j’en comprends l’objet, puisque Mme Doineau a bien expliqué la nécessité d’encadrer l’utilisation des tests génétiques.
Cependant, comme M. le secrétaire d’État vient de le rappeler, le terrain est dangereux, car ces tests donnent lieu à un lobbying très fort, qui s’exerce sans contrôle. Dans ce contexte, ces amendements ne suffiront pas pour encadrer l’utilisation des tests génétiques à visée généalogique.
Nous préférons donc conserver le texte dans la rédaction de l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. Je regrette la réponse du Gouvernement, parce que rien n’est plus néfaste pour une société que d’organiser l’impunité.
En fin de compte, on le sait très bien, ces tests continueront à exister et à envahir les écrans et la publicité. Et puisque ces tests font l’objet d’un réel engouement, déjà évoqué ici, les Françaises et les Français continueront à s’intéresser, certainement dans une approche ludique, à leurs origines génétiques.
Ces pratiques se banaliseront, sans que la loi propose en retour leur encadrement, même imparfait. Je le regrette, monsieur le secrétaire d’État : la loi française devrait au moins adresser un signal clair en ce sens.
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Monsieur le secrétaire d’État, on ne peut pas analyser une loi relative à la bioéthique à partir d’une simple étude des risques et des dérives.
Bien sûr, cette analyse est importante ; bien sûr, il faut poser des bornes, après avoir identifié ces dérives potentielles et ces risques, pour les encadrer au maximum : c’est même l’une des fonctions d’une loi relative à la bioéthique. Mais son objet principal reste d’énumérer et de mettre en œuvre les valeurs sur lesquelles elle s’appuie.
Depuis le début de nos débats, je n’ai entendu parler de valeurs que dans la bouche de Bruno Retailleau, quand celui-ci a invoqué le principe de protection de la vulnérabilité, qui nous ramène à un principe fondamental en bioéthique, celui de la bienfaisance.
Il existe pourtant un principe, qui n’est quasiment jamais évoqué et sur lequel vous faites l’impasse, alors qu’il s’agit d’une valeur reconnue comme grandissante dans le cadre d’une bioéthique moderne : c’est le principe d’autonomie, de l’autonomie de la personne, du respect de ses choix.
Monsieur le secrétaire d’État, en déclarant qu’il faut protéger les individus, parce qu’ils risquent ceci ou cela, qu’il faut veiller sur ceux qui, apprenant une mauvaise nouvelle, n’auraient personne pour les soutenir, vous faites presque la démonstration de votre absence de prise en compte de leur autonomie.
Toute personne qui effectue un test génétique doit être informée au préalable, parce que le corollaire du respect du principe d’autonomie, c’est l’existence d’une information éclairée en amont et la prise en considération des différents critères de la décision. Mais, en définitive, il faut tout de même respecter un minimum cette autonomie.
Ceux qui auront recours à ce type de tests savent ce qu’ils font : ce ne sont pas des enfants ou des mineurs incapables qu’il faudrait protéger. Non ! Bien sûr, il faut prévenir les dérives, mais l’encadrement actuel, le régime d’interdiction générale est inopérant.
Monsieur le secrétaire d’État, vous n’améliorez pas la lutte contre les risques de dérive et vous ne diffusez aucune valeur positive dans l’abord de cette question, en ne tenant pas compte du principe d’autonomie. Je le regrette.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Monsieur le secrétaire d’État, quelle que soit ma position personnelle, le fait d’interdire ce que l’on ne peut pas empêcher revient à affaiblir son autorité.
En réalité, je n’ai qu’une seule question : si nous souhaitons réellement interdire dans les faits ce qui est déjà aujourd’hui très largement généralisé, comment allons-nous nous y prendre ? Quels moyens y consacrerons-nous ?
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. Je suis très heureuse que l’on ait ce débat, parce que la recherche des origines est une réalité dans notre société. Aujourd’hui, cette quête existe et n’est pas interdite.
En réalité, tout un chacun peut se rendre sur internet et être démarché outrageusement pour réaliser des tests génétiques, qui révéleront un certain nombre de choses sur lesquelles nous ne sommes pas forcément d’accord. C’est un engrenage dans lequel chacun peut mettre le doigt : on commence à s’intéresser à la généalogie, parce qu’on veut retrouver ses grands-parents, puis on se voit proposer des tests, puis on a envie d’en savoir toujours plus.
Ces sociétés étrangères profitent d’un marché international, parce que c’est de cela qu’il s’agit. Si l’on ne s’oriente pas vers une légalisation stricte et encadrée, c’est tout simplement la loi de la jungle qui règnera.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Ce sujet est complexe. Vous vous souvenez sûrement qu’on a déjà eu ce débat en première lecture, et les propos du secrétaire d’État font écho à ceux d’Agnès Buzyn à l’époque.
Cela étant, l’objet d’une loi sur la bioéthique est de poser des limites. Je sais que l’on aborde un sujet touchant au numérique, et que c’est extrêmement difficile.
Dans les mois à venir, l’Europe, grâce au commissaire européen Breton, produira un projet de règlement sur la régulation des services numériques. Personnellement, je préfère m’en tenir à un interdit, même si je sais bien qu’il est difficile à faire appliquer.
Mes chers collègues, il n’est qu’à voir le développement de l’écosystème américain, et notamment des Gafam. Vous savez qu’en 2018 a été voté le Cloud Act, sous le mandat de M. Trump. Celui-ci permet aux autorités américaines d’aller rechercher des données partout, y compris sur des serveurs basés à l’étranger en vertu du principe d’extraterritorialité. Cette toute-puissance m’effraie.
On peut certes, à l’instar de Mme Doineau, se demander à quoi sert un interdit qui peut être contourné, mais, dans le cas présent, et dans le cadre d’une loi relative à la bioéthique, je préfère maintenir cet interdit que de laisser les portes toutes grandes ouvertes à ce marché extrêmement puissant.
Enfin, comme le secrétaire d’État l’a dit, on ne peut pas toujours mesurer l’effet produit par telle ou telle nouvelle sur les familles.
Pour le moment, je ne voterai pas ces amendements. Je fais confiance au Gouvernement et à la commission spéciale.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je partage les propos tenus par Bruno Retailleau.
Je suis assez ouvert à cette évolution, car on comprend bien le sens de ces recherches sauf que, derrière, on manipule des données très précises qui peuvent être lourdes de conséquences sur un plan médical. L’utilisation de ces données doit s’entourer de précautions : en découvrant certaines informations, qu’il s’agisse de données généalogiques ou médicales, vous risquez de tomber de votre chaise si vous n’y êtes pas préparé.
Demain, ces données ouvriront la voie à la médecine prédictive. Il faudra élaborer une loi spécifique sur ce thème, une loi bien pensée, qui en évalue tous les effets.
Les amendements dont nous débattons m’ont tenté, car ils reposent sur l’idée qu’il faut avancer et prendre en compte cette évolution. Toutefois, leurs dispositifs ne me semblent pas suffisamment bordés : c’est la raison pour laquelle je ne les soutiendrai pas.
Je partage le point de vue selon lequel il faut non seulement un raisonnement éthique et sociétal, bioéthique si l’on s’intéresse à sa dimension médicale, mais également une réflexion en matière de protection digitale, dont on sait qu’elle n’est actuellement pas suffisante.
Ces amendements méritent une réflexion plus approfondie. Nous aurions besoin d’une véritable étude d’impact quant aux conséquences des dispositions que nous serions amenés à prendre. L’article, dans sa forme actuelle, me semble suffisamment bien rédigé et me convient.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre. Il y a une manière d’aborder le sujet que nous n’avons pas encore présentée, à savoir que les résultats donnés par ces officines n’ont en réalité aucune valeur scientifique.
En fait, tout est une question d’éducation et de compréhension de ce qu’est un test génétique, de ce qu’il signifie en termes de probabilité. Par exemple, parce qu’un marqueur que vous possédez est prédominant dans une région du monde, vous pourriez vous retrouver avec un test concluant que vous provenez de cette région, et ce alors même que personne dans votre famille n’en est originaire !
M. Loïc Hervé. Tout à fait !
Mme Frédérique Vidal, ministre. D’une certaine façon, c’est aussi du mensonge que l’on vend aux gens.
Certes, ces tests sont récréatifs, mais ils peuvent aussi être dangereux. Du reste, comme cela a été rappelé, ce n’est pas parce qu’une pratique s’impose ailleurs que nous sommes obligés de l’autoriser ici, faute de quoi on devrait revenir sur un certain nombre de débats qui ont eu lieu – ou non… – dans cet hémicycle.
Enfin, dernière chose, oui, bien sûr, nous avons besoin d’être formés pour comprendre les résultats d’un test génétique. Pour répondre à Mme la sénatrice Jasmin, plusieurs universités proposent aujourd’hui des masters destinés à former des conseillers en génétique dont, je crois, nous aurons extrêmement besoin, y compris le jour où la science et la compréhension du génome permettront d’avancer sur la voie de la médecine prédictive. À ce moment-là, nous aurons besoin de conseillers en génétique bien formés scientifiquement.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l’article 10.
(L’article 10 est adopté.)
Article 11
Le chapitre Ier du titre préliminaire du livre préliminaire de la quatrième partie du code de la santé publique est complété par un article L. 4001-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 4001-3. – I. – Lorsque, pour des actes à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique, est utilisé un traitement algorithmique dont l’apprentissage est réalisé à partir de données massives, le professionnel de santé qui décide de cette utilisation s’assure que la personne concernée en a été informée au préalable et qu’elle est, le cas échéant, avertie de l’interprétation qui en résulte.
« I bis. – Aucune décision médicale ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement mentionné au I.
« II. – La traçabilité des actions d’un traitement mentionné au I et des données ayant été utilisées par celui-ci est assurée par le fabricant et les informations qui en résultent sont accessibles aux professionnels de santé concernés. Les données sont traitées et partagées dans les conditions prévues à l’article L. 1111-8.
« III. – Un arrêté du ministre chargé de la santé établit, après avis de la Haute Autorité de santé et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la liste des types de traitements algorithmiques qui font l’objet de l’information mentionnée au I. Cette liste est régulièrement mise à jour. Il détermine également, après les mêmes avis, pour chaque type de traitements, la nature et la durée de conservation des actions et des données dont la traçabilité est prévue au II, ainsi que les catégories de personnes pouvant y accéder ou en être destinataires et les modalités d’exercice des droits des personnes concernées. »
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Henno, rapporteur. Cet article est très important, puisqu’il porte sur l’encadrement de l’usage de l’intelligence artificielle.
Comme on l’a vu lors des auditions de la commission spéciale, ce qui s’ouvre devant nous, autrement dit la rencontre entre l’intelligence artificielle et les biotechnologies, a quelque chose de bouleversant. On a encore des difficultés aujourd’hui à en entrevoir les conséquences.
La commission spéciale a conservé l’économie générale du dispositif voté par l’Assemblée nationale. Toutefois, nous avons voulu renforcer les garanties dont bénéficient les patients en veillant scrupuleusement à ce que le dernier mot, en ce qui concerne une décision médicale qui découlerait de l’usage de l’intelligence artificielle, revienne toujours à la femme ou à l’homme concerné, et plus précisément au médecin.
M. le président. L’amendement n° 92, présenté par M. Ouzoulias, Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les données recueillies sont incessibles.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, si vous le permettez, je présenterai en même temps les amendements nos 92, 84 et 80.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 84, présenté par M. Ouzoulias, Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le traitement et la conservation des données sont effectués sur des serveurs publics situés en France et dans le respect du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
J’appelle également en discussion l’amendement n° 80, présenté par M. Ouzoulias, Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …. – Le consentement exprès, libre et éclairé du patient ou de son représentant légal doit être recueilli préalablement et à toutes les étapes de sa mise en œuvre.
Veuillez poursuivre, monsieur Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Avec ces amendements, nous engageons une réflexion sur la protection des données de santé.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement n’a, jusqu’à présent, pas montré une très grande rigueur ni une ferme volonté de défendre notre souveraineté nationale en ce qui concerne la gestion et la conservation des données de santé de nos concitoyens et de nos concitoyennes.
Je ne rappellerai pas ici votre choix – contestable – de laisser l’un des Gafam assurer la conservation de nos données de santé. Je ne rappellerai pas non plus la décision prise, plus près de nous, au mois de décembre, par le ministère de la santé de mettre au point un système d’information pour la vaccination permettant d’enregistrer les données des patients : la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) n’a pas été en mesure de vérifier la conformité de ce système au règlement général sur la protection des données (RGPD) européen, ce qui pose un véritable problème.
Comme je suis bienveillant, je ne vous demanderai pas non plus, monsieur le secrétaire d’État, des nouvelles du logiciel StopCovid (Rires sur des travées du groupe Les Républicains.), dont on ne sait pas très bien ce qu’il est devenu.
M. Loïc Hervé. Il faut le demander à Cédric O ! (Sourires.)
M. Pierre Ouzoulias. Nous estimons important aujourd’hui, puisque vous ne faites preuve d’aucune rigueur déontologique sur le traitement des données de santé de nos concitoyens, d’imposer par la loi un cadre qui vous oblige à un certain nombre de mesures tout à fait essentielles à nos yeux. De telles dispositions serviront à défendre nos données, dont on dit trop peu souvent qu’elles forment un futur gisement de richesses, qui est hélas en train de nous échapper et qu’on est en train de livrer aux Gafam.
L’amendement n° 92 vise à imposer un système rendant ces données incessibles. L’amendement n° 84 tend à vous imposer ce qui devrait être naturel, mais qui ne l’est pas, c’est-à-dire le respect du RGPD. Enfin, avec l’amendement n° 80, nous souhaitons que chaque patient exprime un consentement libre et éclairé sur le stockage et la gestion de ses données de santé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale sur ces trois amendements ?
M. Olivier Henno, rapporteur. Je les aborderai les uns après les autres, car ils sont de nature différente.
Tout d’abord, nous partageons – et je partage – les objectifs que cherche à atteindre notre collègue. Mon intention n’est pas du tout de remettre en cause sur le fond les idées qui viennent d’être exprimées.
Cela étant, l’amendement n° 92 vise à rendre incessibles les données recueillies dans le cadre d’un traitement algorithmique de données massives à l’occasion d’un acte médical. Or il est satisfait par le droit en vigueur : l’article L. 1111-8 du code de la santé publique auquel renvoie l’article 11 du projet de loi dispose en effet – et c’est heureux – qu’est interdit « tout acte de cession à titre onéreux de données de santé identifiantes », sous peine de sanctions pénales qui ne sont pas légères : cinq ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende.
La commission spéciale vous demande donc, mon cher collègue, de bien vouloir retirer cet amendement, faute de quoi elle y sera défavorable.
L’amendement n° 84 a, lui, pour objet d’imposer le respect du RGPD, ce qui va de soi : il est donc satisfait par le droit en vigueur et la hiérarchie des normes. Il tend aussi à imposer l’hébergement sur des serveurs publics français des données de santé issues de traitements algorithmiques de données massives. Or l’hébergement des données de santé est déjà très encadré par l’article L. 1111-8 du code de la santé publique.
On vous a bien entendu, mon cher collègue : le sujet que vous soulevez est une vraie question, qui dépasse largement l’enjeu des seules données issues d’un traitement algorithmique de données massives, puisqu’elle concerne toutes les données de santé.
Je vous demanderai de nouveau de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
Enfin, l’amendement n° 80 a pour objet de prévoir le consentement du patient à toutes les étapes de la mise en œuvre d’un traitement algorithmique de données massives. J’y suis défavorable, car il n’est pas nécessaire de préciser qu’il est requis : le principe en est déjà posé à l’article L. 1111-4 du code de la santé publique – j’allais dire : « heureusement ! ».
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, le Gouvernement émet un même avis défavorable sur vos deux premiers amendements, pour les mêmes raisons que celles que vient d’exposer M. le rapporteur.
Je m’attarderai davantage sur l’amendement n° 80. Je pense que nous sommes tous guidés par l’envie d’améliorer la qualité et la sécurité des soins dispensés aux patients. En l’espèce, nous ne pensons pas que le dispositif, tel que vous l’envisagez, à savoir l’information et le recueil préalable du consentement du patient, soit de nature à les améliorer.
D’une part, l’utilisation d’un dispositif doté d’une intelligence artificielle ne présente pas en elle-même de risque spécifique pour la santé du patient. Dans sa pratique, le rapporteur y a fait allusion, un médecin est tenu de se fonder sur les meilleurs moyens d’investigation existants en l’état des connaissances de la science. Par conséquent, le fait de recourir à des logiciels d’aide à la décision thérapeutique peut être l’un de ces moyens. Il ne faut pas faire de l’usage de l’intelligence artificielle une pratique spécifique, qui serait à part de la pratique quotidienne, même si celle-ci doit évidemment être transparente.
C’est la raison pour laquelle le patient sera informé, s’agissant des dispositifs émettant des résultats, notamment en termes de diagnostic, au moment de la communication de ces résultats. Il pourra bien entendu demander qu’un autre professionnel de santé les interprète, ce qui garantit que la décision finale, qui repose sur des résultats produits par ces dispositifs, soit prise par le médecin en interaction avec le patient, comme dans le cas où l’on ne recourt pas à l’intelligence artificielle.
L’information sera évidemment – je le redis – préalable s’agissant de l’implantation d’un dispositif médical de type pancréas artificiel, puisqu’elle implique une opération chirurgicale nécessitant un consentement libre et éclairé. Là encore, on se situe en dans une forme de droit commun.
Pour ces raisons, le Gouvernement sera également défavorable à ce troisième et dernier amendement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le secrétaire d’État, j’entends bien votre réponse, mais vous me répondez en droit, pas en pratique. Si, aujourd’hui, je dépose ces amendements, c’est parce que nous avons eu le sentiment que, dans la gestion ministérielle de ces données, les normes du droit que vous venez d’évoquer n’avaient pas toujours été respectées.
Il faut donc considérer ces amendements comme des amendements d’appel ou peut-être même comme un rappel à la loi – je crois qu’on peut tout à fait utiliser cette expression. Nous demandons aujourd’hui au ministère de la santé et, plus largement au Gouvernement, d’affirmer une doctrine politique cohérente et présentable, qui permette de nous expliquer comment il gère les données de santé de nos compatriotes.
Sincèrement, aujourd’hui, nous avons davantage l’impression que vous gérez les cas les uns après les autres sans aucune doctrine, notamment vis-à-vis des Gafam. C’est du reste ce qui nous pose le plus de problèmes. On l’a vu avec Microsoft sur les données de santé.
Désormais, nous avons besoin de solutions nationales pour éviter de transférer toutes ces données à l’étranger. Ce point est primordial : je maintiens donc mes amendements.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 89, présenté par M. Ouzoulias, Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 4 et 5
Rédiger ainsi ces alinéas :
« II. – La traçabilité des actions d’un traitement mentionné au I et des données ayant été utilisées par celui-ci est assurée et les informations qui en résultent sont accessibles aux professionnels de santé et aux patients ou à leur représentant légal concernés.
« Les données du patient sont réutilisables, pérennes dans le temps et accessibles à tous les chercheurs après accord du patient. »
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Cet amendement est très proche de ceux que je viens de défendre. À sa lecture, cependant, je trouve l’amendement n° 177 de M. Milon plus intéressant, amendement au profit duquel je retire le mien.
M. le président. L’amendement n° 89 est retiré.
L’amendement n° 177, présenté par M. Milon, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« II. – Un principe de garantie humaine s’applique à ces traitements algorithmiques. La mise en œuvre de ce principe est notamment assurée par le fabricant dans les conditions prévues dans le cadre de la mise sur le marché du traitement algorithmique.
II. – Alinéa 5, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Je remercie notre collègue Ouzoulias.
Toutes les obligations liées à la conception d’un traitement algorithmique utilisé à des fins médicales sont édictées par la réglementation européenne, et plus particulièrement par le règlement européen 2017/745 relatif aux dispositifs médicaux, applicable en mai 2021.
Prévoir au niveau national des dispositions spécifiques liées à la traçabilité par le fabricant des actions d’un traitement algorithmique et des données ayant été utilisées par celui-ci, et les informations qui en résultent, viendrait se superposer au cadre européen harmonisé, voire l’outrepasserait.
Par ailleurs, comme nous le savons tous, y compris le rapporteur, il n’est pas possible techniquement que le fabricant garde lui-même la traçabilité de tous les traitements réalisés par les professionnels de santé avec son algorithme. En outre, cela pose des questions de protection des données de santé.
Le même règlement européen 2017/745 prévoit déjà des dispositions propres à la transparence du fonctionnement des dispositifs médicaux intégrant des algorithmes d’intelligence artificielle, au travers notamment de la gestion des risques et de l’aptitude à les utiliser des professionnels de santé auxquels ces algorithmes sont destinés.
Conformément à l’exposé des motifs du projet de loi, le présent amendement vise à rappeler l’étape de garantie humaine, qui est par ailleurs prévue dans le cadre de la mise sur le marché de ces traitements algorithmiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Olivier Henno, rapporteur. Monsieur le président Milon, comme le disait Édouard Herriot : « Un bon discours m’a quelquefois fait changer d’avis, mais jamais de vote ! » (M. Alain Milon rit.)
Votre amendement tend à supprimer le paragraphe II, qui impose que la traçabilité des actions et des données d’un traitement algorithmique de données massives soit assurée par le fabricant. Or cette garantie résulte d’un compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat, ce qui est à noter, car il n’y en a pas tant que cela sur ce projet de loi. (Sourires.)
Il vise aussi à le remplacer par le principe selon lequel le professionnel de santé s’assure de la mise en œuvre de la garantie humaine. Cependant cette notion de « garantie humaine » n’est pas définie et n’a aucune portée juridique.
Je crois que le principe introduit par la commission spéciale selon lequel aucune décision médicale ne peut être prise sur le seul fondement d’un tel traitement algorithmique satisfait votre demande.
Enfin, l’amendement a pour objet de supprimer des garanties quant à la durée de conservation des données et aux catégories de personnes y ayant accès. Ce sont des garanties classiques pour ce qui concerne les fichiers. Et, là encore, la rédaction actuelle découle d’un compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Pour toutes ces raisons, la commission spéciale vous demande, monsieur Milon, de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi elle émettra un avis défavorable.