M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement a pour objet d’organiser une procédure visant à simplifier et à sécuriser la filiation pour les couples de femmes ayant eu recours à la PMA avant l’adoption du présent texte.
Nous proposons d’étendre la procédure d’établissement de la filiation par reconnaissance aux couples de même sexe, dans le seul cas où ils ont eu recours à une assistance médicale à la procréation, en France ou à l’étranger.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il nous paraît difficile de régulariser des AMP pour des couples de femmes qui auraient eu lieu en France, puisqu’elles n’étaient pas autorisées.
Le système de la reconnaissance, qui consiste en l’aveu de la participation à la procréation, ne peut pas fonctionner : il n’est pas possible qu’une femme dise avoir participé à la procréation d’un enfant avec une autre femme. Il s’agit donc d’une technique de filiation totalement impropre aux couples de femmes.
En outre, le caractère rétroactif de la filiation semble assez compliqué à établir pour des situations anciennes. L’adoption reste donc la meilleure solution.
La commission spéciale, comme en première lecture, a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 166.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 4 bis
Après l’article 47 du code civil, il est inséré un article 47-1 ainsi rédigé :
« Art. 47-1. – Tout acte de l’état civil ou jugement étranger, à l’exception des jugements d’adoption, établissant ou faisant apparaître la filiation d’un enfant né à l’issue d’une convention de gestation pour le compte d’autrui ne peut être transcrit sur les registres en ce qu’il mentionne comme mère une femme autre que celle qui a accouché ou lorsqu’il mentionne deux pères.
« Les dispositions du premier alinéa ne font pas obstacle à la transcription partielle de cet acte ou de ce jugement, ni à l’établissement d’un second lien de filiation dans les conditions du titre VIII du présent livre si celles-ci sont réunies. »
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.
M. Richard Yung. Je voudrais exprimer ici mon opposition à la volonté de la majorité de notre assemblée d’interdire la transcription intégrale d’un acte de naissance ou d’un jugement étranger désignant la mère ou le père d’adoption d’un enfant né d’une gestation pour autrui.
Si le dispositif élaboré par la commission spéciale était définitivement adopté, il marquerait un retour en arrière inacceptable en ce qu’il aurait pour effet d’obliger tous les parents d’intention à adopter leur enfant en vue de l’établissement d’un lien de filiation. Or, en 2019, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que l’introduction d’une procédure d’adoption est parfois impossible ou inadaptée à la situation des intéressés. Une transcription complète de l’acte de naissance ou du jugement étranger peut donc s’avérer nécessaire dans certains cas, tels que le décès du parent biologique ou un divorce.
Les magistrats de la Cour de cassation ont par ailleurs conditionné la transcription au fait que les actes d’état civil étrangers soient réguliers, exempts de fraude et conformes au droit de l’État dans lequel ils ont été établis.
Un bon équilibre a été trouvé entre l’interdiction de la GPA et l’intérêt supérieur de l’enfant, le législateur ne saurait le remettre en question.
Plusieurs cas d’enfants dépourvus de toute identité ont conduit la Cour de cassation à prendre les décisions que j’ai mentionnées précédemment. En s’acharnant à vouloir contrecarrer sa jurisprudence, la majorité sénatoriale fait courir le risque d’une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée de l’enfant et expose notre pays à une nouvelle condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme. Je refuse que notre assemblée plonge à nouveau dans l’insécurité juridique les enfants nés d’une GPA pratiquée à l’étranger.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Je partage totalement ce que vient de dire notre collègue Richard Yung.
Je rappelle que l’article 55 de la Constitution dispose que les traités et les engagements internationaux de la France sont supérieurs à la loi. C’est pourquoi la Cour de cassation exige, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant, un droit à la filiation et, donc, la transcription des actes de naissance de manière rapide et effective.
Peu importe la loi, nous devons respecter, aux termes de la Constitution, les engagements que nous avons pris. Les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme s’imposent donc à nous.
Notre pratique nous a progressivement conduits, d’abord par l’analyse de cas d’espèce, puis par un arrêt plus général, à la situation de 2019. Je rappelle que la transcription des actes d’état civil ne se fait pas librement, ce n’est pas open bar : elle est réalisée sous le contrôle strict du procureur. Mieux vaut conserver un tel cadre que de revenir à celui dans lequel énormément d’enfants étaient privés de filiation.
Il est absolument indispensable de maintenir la situation actuelle, sinon elle finira par s’imposer à nous dans quelques années, après de nouveaux combats. Or, pendant ce temps-là, de nombreux enfants auront été privés de filiation.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 117 rectifié est présenté par Mme Guillotin, MM. Fialaire, Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère et MM. Corbisez, Gold, Guérini, Guiol, Requier et Roux.
L’amendement n° 133 est présenté par Mme Benbassa, MM. Salmon, Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et Taillé-Polian.
L’amendement n° 167 est présenté par M. Leconte, Mmes de La Gontrie et Jasmin, MM. Jomier et Vaugrenard, Mme Meunier, M. Devinaz, Mmes Rossignol et Artigalas, MM. Assouline et J. Bigot, Mmes Blatrix Contat et Bonnefoy, MM. Bouad et Bourgi, Mme Briquet, M. Cardon, Mmes Carlotti, Conconne et Conway-Mouret, MM. Cozic, Dagbert, Durain et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mme M. Filleul, M. Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin, Jeansannetas, P. Joly, Kanner et Kerrouche, Mmes Le Houerou et Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Marie, Mérillou et Michau, Mme Monier, MM. Montaugé et Pla, Mmes Poumirol et Préville, MM. Raynal et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, MM. Roger, Stanzione, Sueur, Temal, Tissot, Todeschini et Vallini et Mme Van Heghe.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bernard Fialaire, pour présenter l’amendement n° 117 rectifié.
M. Bernard Fialaire. L’article 4 bis interdit la transcription totale de l’acte de naissance ou du jugement étranger établissant la filiation d’un enfant né d’une GPA sur les registres de l’état civil français s’agissant du parent d’intention, c’est-à-dire du parent n’ayant pas de lien biologique avec l’enfant.
La France est l’un des États européens possédant la législation la plus restrictive en matière de GPA. Si certains pays, comme le Royaume-Uni, la Belgique, le Portugal ou encore le Danemark, autorisent le recours à la GPA, d’autres, comme l’Espagne, permettent à tout le moins d’inscrire sur les registres de l’état civil les enfants nés d’une GPA réalisée à l’étranger.
Cet article s’est invité dans les débats sans doute pour faire obstacle à l’évolution jurisprudentielle de la Cour de cassation, qui, depuis quelques années et encore très récemment, a ouvert la possibilité de transcrire l’acte de naissance d’un enfant issu d’une GPA régulièrement réalisée à l’étranger. La Cour a rappelé qu’elle construisait cette jurisprudence sur la recherche d’un équilibre entre l’interdit d’ordre public et l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel est proclamé par la convention internationale des droits de l’enfant.
La Cour européenne des droits de l’homme a plusieurs fois condamné la France pour son refus de transcrire les actes d’état civil. La Cour de cassation estime qu’il convient désormais de faire évoluer la jurisprudence au regard des mêmes impératifs, afin d’unifier le traitement des situations. C’est dans cet esprit que notre amendement vise à supprimer l’article 4 bis.
Il s’agit non pas de remettre en cause l’interdiction de la GPA en France, mais de faire en sorte qu’un enfant ne pâtisse pas de la manière dont il a été conçu. Son intérêt doit prévaloir sur l’inquiétude qu’ont certains que cet assouplissement crée un appel d’air et incite alors au recours à la GPA à l’étranger. Cette possibilité me semble peu probable, car le processus s’apparente moins à une option de confort qu’à une opération complexe et parfois difficile.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 133.
Mme Esther Benbassa. Le 29 janvier 2013, Christiane Taubira, alors garde des sceaux, prenait une circulaire demandant d’inscrire au registre d’état civil français les enfants nés d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger. Alors que cette circulaire a été validée par le Conseil d’État en 2014 et a ouvert la voie à une jurisprudence solide du tribunal de grande instance de Paris, la majorité sénatoriale souhaite introduire dans ce texte, comme elle l’avait fait en première lecture, l’article 4 bis.
Cet article interdit la transcription totale de l’acte de naissance ou du jugement étranger établissant la filiation d’un enfant né par GPA lorsqu’est mentionnée comme mère une autre femme que celle ayant accouché ou que deux pères sont désignés. Cette disposition, qui constitue indéniablement un contresens juridique eu égard à la jurisprudence constante en la matière, est attentatoire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Bien que j’entende les réticences de tous bords sur la question de la GPA et le risque de marchandisation du corps des femmes précaires qu’elle entraîne, le débat soulevé ici n’est pas relatif à la législation de la gestation pour autrui. Il est avant tout question de protéger de manière simple et efficace l’enfant, son identité et ses droits.
Nous souhaitons rétablir la protection de tous les enfants français, car les enfants nés de GPA ne sauraient être lésés pour les actes de leurs parents.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 167.
M. Jean-Yves Leconte. J’aimerais vous convaincre qu’il ne s’agit pas ici d’être pour ou contre la GPA. Hier, j’ai entendu que la loi était là pour protéger les plus faibles, et, plusieurs fois, il a été fait référence à l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce qui nous préoccupe, c’est de donner à un enfant le droit de voir sa filiation établie en France, de façon rapide et effective.
Compte tenu de nos engagements internationaux, qui n’ont pas changé et ne changeront pas après le vote de cet article, il faudra revenir à la situation actuelle. Le problème est que des années auront été perdues, parce qu’aura été nié le droit pour les enfants de bénéficier d’une filiation complète.
Il est question pour nous, non pas de voter des articles dilatoires, mais de reconnaître un droit pour les enfants à avoir une filiation et de se conformer au droit international.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous n’avons manifestement pas la même vision de la transcription.
Plus que des réticences, madame Benbassa, il existe en droit français une interdiction claire et formelle de la GPA, en raison de la non-marchandisation du corps humain. De ce fait, pendant longtemps, la jurisprudence de la Cour de cassation a refusé la transcription des actes d’état civil étrangers des enfants nés de GPA, car transcrire ces actes revenait à contourner l’interdiction formelle dans notre droit. Cela n’avait pas pour effet de laisser ces enfants sans filiation, ces derniers disposant bien d’un état civil établi à l’étranger, comme c’est d’ailleurs le cas de beaucoup d’enfants vivant en France.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a influé sur celle de la Cour de cassation. Ce faisant, elle a rendu obligatoire une transcription au moins partielle des actes d’état civil établis à l’étranger, surtout lorsqu’ils retraçaient la réalité d’une filiation biologique. La plupart du temps, c’est d’ailleurs un homme désirant être le père de l’enfant porté par une tierce personne qui recourait à la GPA. Cet homme étant le père biologique, il a fallu transcrire la filiation de cet enfant en droit français.
Qu’advient-il de l’autre parent ? Sur ce point, je n’ai pas la même analyse que vous : la Cour européenne des droits de l’homme laisse aux législations nationales la possibilité de décider, par des procédures sûres et rapides, de la façon dont ce lien de filiation sera établi à l’égard de l’autre parent. Dans ces conditions, l’adoption était le mode de filiation retenu en droit français. Il me semble que, encore aujourd’hui, la Cour européenne des droits de l’homme ne nous en demande pas plus, contrairement à ce que vous indiquez.
C’est sur ce fondement que la commission spéciale a adopté un amendement qui est devenu l’article dont nous discutons aujourd’hui. Cependant, assez récemment, la Cour de cassation est allée plus loin, en transcrivant intégralement les actes d’état civil qui étaient établis à l’étranger pour les enfants issus d’une GPA.
Vous souhaitez que nous en restions à ce stade, et, monsieur Yung, vous indiquez qu’il ne faudrait pas que le législateur s’oppose à la décision de la Cour de cassation. C’est un peu inverser les rôles ! C’est le législateur qui fait la loi, la Cour de cassation doit appliquer les textes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Bien sûr !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Cet article prévoit de s’en tenir à l’avant-dernière jurisprudence de la Cour de cassation : la transcription du lien biologique de filiation est établie, mais l’autre transcription se fait par d’autres moyens qu’une transmission automatique, c’est-à-dire par l’adoption. Nous souhaitons en rester à ce qui a cours aujourd’hui. C’est pourquoi la commission spéciale a émis un avis défavorable sur l’ensemble des amendements déposés à cet article.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation, au mois de décembre 2019, a soustrait les GPA réalisées à l’étranger de tout contrôle du juge. Il est donc nécessaire de rétablir ce contrôle, et ce avant l’établissement du lien de filiation à l’égard du parent d’intention.
Pour ce faire, la procédure d’adoption est tout à fait adaptée et ne pénalise en rien l’enfant. Cette solution a d’ailleurs été jugée équilibrée par le Conseil d’État et a été validée par la Cour européenne des droits de l’homme, notamment dans un arrêt tout à fait récent du 16 juillet 2020.
Il est absolument indispensable de conserver un contrôle sur les conditions dans lesquelles l’enfant a été remis à ses parents d’intention. L’enfant est-il bien issu d’une convention de GPA ? N’est-il pas victime d’un trafic d’enfants ?
M. François-Noël Buffet. Voilà !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La mère a-t-elle réellement consenti à se séparer de son enfant ? Dans quelles conditions ? Qui va contrôler qu’il ne s’agit pas en réalité d’un contournement des règles de l’adoption internationale ?
Permettre une transcription automatique prive l’enfant de tout contrôle par un juge des conditions de sa naissance et de sa remise.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est totalement défavorable à ces amendements identiques. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Portalis n’aurait pas dit mieux !
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. J’ai voté en faveur de la PMA pour les couples de femmes et pour les femmes seules. J’ai d’ailleurs voté l’article 1er, bien que la PMA pour les femmes seules en ait été exclue.
Bien sûr, je suis sensible aux propos de Bernard Fialaire et d’autres de mes collègues sur l’intérêt de l’enfant, mais notre groupe est contre la marchandisation du corps et, à ce titre, contre la GPA.
L’intervention du législateur me paraît donc indispensable pour revenir à un contrôle plus strict de la filiation établie à l’étranger après une GPA. Par conséquent, je ne voterai pas ces amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Nos marges de manœuvre sont encadrées par nos engagements internationaux et par la Constitution, qui nous oblige à tenir compte, lorsque nous légiférons, desdits engagements.
Madame la rapporteure, vous avez raison, il n’y a pas d’obligation. La CEDH ne demande pas l’automaticité de la transcription, mais elle demande que celle-ci soit effective, rapide et pour tout le monde, même dans le cas d’un couple de femmes ou d’une femme seule. Or ce ne sera pas le cas après l’adoption de cet article.
Monsieur le garde des sceaux, il est inexact de dire que la situation actuelle est exempte de contrôle.
M. Jean-Yves Leconte. En effet, chaque fois, cela se fait sous le contrôle du procureur, qui vérifie que l’acte d’état civil étranger est conforme et crédible. Vous ne pouvez pas dire que c’est automatique.
Si nous voulons augmenter le niveau de contrôle, il faut non pas voter à nouveau une disposition dilatoire, mais mettre en place la jurisprudence de la Cour de cassation pour que, dans la durée, celle-ci soit effective et que soient réalisés les contrôles les plus pointus dans les meilleures conditions possible.
Il faut une stabilité du droit, ce qui suppose le refus de l’article 4 bis.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je ne reviens pas sur les nombreuses décisions judiciaires, y compris à l’échelon européen, qui ont rappelé l’obligation, non l’automaticité, de la transcription à l’état civil d’enfants nés de GPA. J’en profite pour formuler cette remarque : il faut s’appuyer sur le mécanisme de reconnaissance mutuelle entre États. Il a toujours été fait référence à l’intérêt de l’enfant, on en a beaucoup parlé. L’enfant né d’une procédure illégale doit-il être privé de son droit à un état civil et à une filiation en France ?
J’entends ce bruit de fond selon lequel la reconnaissance de l’état civil serait une sorte de légitimation de la GPA. Il n’en est rien ! Mes collègues qui ont défendu des amendements identiques l’ont bien expliqué.
Exprimons-nous de façon claire : d’un point de vue pratique, que faire de ces enfants ? Si deux Français ont recours à une GPA à l’étranger, par exemple aux États-Unis, et si la mère d’intention et le père apparaissent sur le certificat de naissance, comment peuvent-ils adopter cet enfant, qui, aux yeux de la loi américaine, est déjà le leur ?
Mes chers collègues, ce combat pour interdire la retranscription complète n’a rien à voir avec le combat contre la GPA. En fait, il rend les enfants vulnérables.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur Leconte, le contrôle du parquet est formel. En réalité, le parquet vérifie si l’acte qui lui est soumis est conforme au droit l’étranger, c’est tout. Il n’y a pas de contrôle sur ce qui nous importe le plus ici, c’est-à-dire l’intérêt de l’enfant. En ce sens, il n’est pas suffisant.
Mme Catherine Deroche. Eh oui !
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Cette discussion est importante, et je remercie M. le garde des sceaux des positions qu’il a prises… pour le moment.
Nous sommes d’accord sur un certain nombre de points.
Premièrement, pour le dire clairement, le concept d’enfant fantôme n’existe pas. Muriel Jourda a fait la démonstration que les enfants qui naissaient à l’étranger, sous l’empire des lois du pays dans lequel ils étaient nés, bénéficiaient d’un état civil.
Deuxièmement, la CEDH ne demande pas la transcription. Elle indique simplement qu’il existe plusieurs moyens pour parvenir à établir un lien entre l’enfant et le parent d’intention, notamment la transcription de l’état civil.
Troisièmement, c’est bien au législateur de dire la loi, et non pas au juge par des revirements de jurisprudence.
M. François-Noël Buffet. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Il s’agit là d’un cheval de Troie !
Vous parlez de la loi américaine. Or, vous et moi, mes chers amis, nous combattons l’extraterritorialité d’un certain nombre de textes américains. Attention, par conséquent, à ne pas ouvrir la porte à une extraterritorialité juridique, qui vise le concept de la dignité humaine, sujet encore plus important que ce que l’on peut connaître en droit commercial ou pour le numérique ; beaucoup plus !
Enfin, l’enfant a tout à gagner de la procédure d’adoption, car celle-ci se fait sous le contrôle du juge, qui vérifie l’intérêt de l’enfant à ce moment ultime où l’enfant sera définitivement rattaché à tel ou tel parent d’intention.
C’est un point extrêmement important. Si nous voulons lutter contre la GPA, contre la marchandisation, contre un modèle de bioéthique qui a tout à voir avec le modèle anglo-saxon, mais rien avec le modèle français, faisons en sorte que la loi reste un rempart. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour explication de vote.
M. Bernard Fialaire. Nous retirons l’amendement n° 117 rectifié. C’est bien la preuve que le débat peut être intéressant, lorsqu’il est respectueux et étayé.
M. le président. L’amendement n° 117 rectifié est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 133 et 167.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 31 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 91 rectifié est présenté par Mme Cohen, M. Ouzoulias, Mmes Apourceau-Poly et Assassi, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec, P. Laurent et Savoldelli et Mme Varaillas.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 47 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée : « Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. »
La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 31.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je constate avec une certaine tristesse que M. Retailleau m’adresse un compliment uniquement lorsque je suis d’accord avec lui. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. C’est déjà ça !
M. Gérard Longuet. Au moins, il est sincère !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je propose de rétablir l’article 4 bis dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. J’ai évidemment scrupuleusement pris connaissance de la rédaction de l’article 4 bis adoptée par la commission spéciale, mais je pense que celle-ci pourrait produire des effets excessifs sur lesquels je souhaite appeler votre attention.
Cette rédaction prive le parent d’intention de toute possibilité d’établir son lien de filiation, même lorsque l’adoption est impossible. Elle risque donc de mettre la France en difficulté au regard de la convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme a en effet jugé que le lien de filiation doit pouvoir être établi à l’égard du parent d’intention. Or, lorsque l’adoption n’est pas possible, la transcription de l’acte de naissance étranger à l’égard du parent d’intention est la seule manière de reconnaître à l’état civil français le lien de filiation établi à l’étranger. L’assemblée plénière de la Cour de cassation l’a d’ailleurs jugé le 4 octobre 2019.
On ne peut donc pas interdire la transcription dans tous les cas. Au fond, il faut pouvoir la conserver comme une porte de sortie, lorsque l’adoption est impossible. Par conséquent, je vous invite à revenir à une rédaction plus équilibrée, qui permet un retour à l’ancienne jurisprudence de la Cour de cassation.
J’ouvre une toute petite parenthèse pour indiquer que, naturellement, je partage votre avis sur la loi, qui la fait et qui l’applique. Je la referme immédiatement, elle allait de soi, mais les choses vont parfois mieux en le disant.
M. Bruno Retailleau. C’est important !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. L’ancienne jurisprudence de la Cour de cassation affirme, à l’article 47 du code civil, que la réalité doit être « appréciée au regard de la loi française ». Au sens de la loi française, la réalité de la filiation maternelle, c’est celle de l’accouchement.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 91 rectifié.
Mme Laurence Cohen. Nous avons déposé un amendement identique à celui du Gouvernement. Je souligne d’ailleurs que, en première lecture, nous avons été convaincus par les arguments de l’ancienne garde des sceaux, Mme Belloubet.
Notre groupe est fondamentalement opposé à la gestation pour autrui. Pour lui, il s’agit d’une marchandisation du ventre des femmes, d’un système d’exploitation et d’une violence qui sont le plus souvent subis par les femmes les plus précaires.
En ce sens, nous soutenons la position de la France d’interdire la GPA pour des raisons éthiques. Pour autant, nous ne pouvons nier l’existence d’enfants nés par GPA et le fait que certains d’entre eux vivent en France. Vous l’avez souligné, mes chers collègues, plusieurs décisions récentes, émanant notamment de la Cour de cassation, ont bien montré la nécessité, voire l’obligation, de reconnaître ces enfants en permettant la transcription de leur acte de naissance, et ce dans l’intérêt supérieur des enfants à avoir un état civil et une vie familiale normale.
Toutefois, la situation était plus floue et changeante concernant le parent d’intention, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme. La solution proposée par le Gouvernement nous semble adaptée, équilibrée et juste par rapport aux valeurs que nous défendons, à savoir, comme vient de l’indiquer le garde des sceaux, la retranscription automatique de l’acte de naissance, appréciée au regard de la loi française du lien de filiation avec le père biologique et une procédure d’adoption pour le parent d’intention. Cela permettra un contrôle par les juges des GPA réalisées à l’étranger, contrôle qui n’est pas vraiment là aujourd’hui, pour éviter tout trafic d’enfants.
Cette solution est également jugée conforme à l’intérêt de l’enfant par la CEDH, dès lors que cette adoption se fait avec célérité. Je tiens à souligner que, sur cette question d’adoption, il faut une plus grande rapidité que celle que l’on constate aujourd’hui.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous appelons à voter cet amendement.