Sommaire
Présidence de Mme Pascale Gruny
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, M. Jean-Claude Tissot.
2. Mises au point au sujet de votes
3. Convention relative aux infractions à bord des aéronefs. – Adoption définitive en procédure d’examen simplifié d’un projet de loi dans le texte de la commission
4. Accord de coopération avec l’Union monétaire ouest-africaine. – Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
M. Jérôme Bascher, rapporteur de la commission des finances
M. Jean-Yves Le Drian, ministre
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive, par scrutin public n° 60, de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Pascale Gruny
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
M. Jean-Claude Tissot.
1
Procès-verbal
Mme le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mises au point au sujet de votes
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame le président, lors du scrutin n° 53 du 20 janvier 2021, portant sur la motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement, M. Bernard Delcros a été enregistré comme ayant voté pour, alors qu’il souhaitait voter contre.
Lors des scrutins nos 54 et 55, portant sur le même projet de loi, M. Bernard Delcros a été enregistré comme ayant voté contre, alors qu’il souhaitait voter pour.
Mme le président. Acte est donné de ces mises au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
3
Convention relative aux infractions à bord des aéronefs
Adoption définitive en procédure d’examen simplifié d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme le président. L’ordre du jour appelle l’examen du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du protocole portant amendement de la convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs (projet n° 223, texte de la commission n° 284, rapport n° 283).
Pour ce projet de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc le mettre aux voix.
projet de loi autorisant la ratification du protocole portant amendement de la convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée la ratification du protocole portant amendement de la convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs, fait à Montréal le 4 avril 2014, signé par la France le 30 mai 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
4
Accord de coopération avec l’Union monétaire ouest-africaine
Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (projet n° 225, texte de la commission n° 290, rapport n° 289).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, pour affronter les défis du XXIe siècle, nous devons construire un partenariat nouveau avec l’Afrique.
Je pense bien sûr aux défis sanitaires, dont la crise pandémique nous rappelle chaque jour qu’ils peuvent représenter des menaces globales.
Je pense aussi aux défis environnementaux, migratoires, sécuritaires et technologiques que nous avons en partage, d’une rive à l’autre de la Méditerranée.
Ce nouveau partenariat, le Président de la République en a jeté les bases fin 2017 à Ouagadougou. Depuis trois ans, nous nous employons à le décliner dans tous les domaines, avec les États et les sociétés civiles du continent.
Nous le faisons de manière très pragmatique et très concrète, à travers des gestes forts, qui sont à la fois des gestes de rupture avec ce qui n’a aujourd’hui plus sa place dans nos relations et des gestes de refondation qui nous permettront de travailler ensemble aux solutions de demain. Assurément, ce nouvel accord de coopération monétaire avec les États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) en est un.
Il s’agit en effet – je veux insister devant vous ce matin sur ce point – d’une réforme historique qui vise à mettre en place un cadre de coopération monétaire modernisé et renouvelé entre la France et les huit pays de l’UMOA – le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo –, c’est-à-dire avec l’une des trois zones monétaires qui constituent ce que l’on appelle communément la zone franc.
Je rappelle, pour mémoire, que les deux autres zones monétaires en question sont régies par deux accords spécifiques : d’une part, un accord de coopération monétaire entre la France et les six pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cémac) – le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad ; d’autre part, un accord de coopération monétaire entre la France et l’Union des Comores.
Engagée à la demande des huit pays de l’UMOA – j’insiste sur ce point –, cette réforme leur permettra de répondre à leur besoin de souveraineté, tout en préservant les outils qui garantissent la stabilité macroéconomique de la zone et favorisent sa croissance et son attractivité.
Le premier enjeu de cet accord, c’est donc la souveraineté économique et monétaire de nos partenaires. Elle se matérialise par trois évolutions majeures.
La première, c’est le changement de nom de la monnaie commune, voulu par les huit pays africains membres de l’UMOA. La décision qu’ils ont prise est éminemment symbolique puisqu’il s’agit de passer du franc CFA d’Afrique de l’Ouest à l’eco.
La deuxième, c’est la fin de la centralisation des réserves de change de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) auprès du Trésor français. Ainsi, très concrètement, la BCEAO sera libre de placer ses avoirs dans les actifs de son choix.
Le troisième, c’est le retrait de la France des instances de gouvernance de l’UMOA dans lesquelles elle était présente. Très concrètement, la France ne nommera plus de représentants au conseil d’administration et au comité de politique monétaire de la BCEAO ni à la commission bancaire de l’Union.
Ces stipulations, issues de l’accord du 4 décembre 1973, vous le savez, faisaient l’objet de très vives critiques et polémiques. Le nouvel accord, signé le 21 décembre 2019 à Abidjan, y met un terme.
Resteront en revanche en vigueur ceux des principes de l’accord de 1973 qui, après concertation avec les chefs d’État de l’UMOA, ont été jugés nécessaires à la préservation d’un cadre macroéconomique stable.
La parité fixe avec l’euro demeure et le taux de change entre la monnaie ouest-africaine et l’euro ne change pas. Ce point est essentiel, car l’ancrage à l’euro, synonyme de stabilité monétaire, offre aux économies de l’UMOA une plus grande résistance aux chocs externes et permet de maîtriser l’inflation.
Nous maintenons également la garantie de convertibilité illimitée accordée par la France. En cas de choc sur la situation des comptes extérieurs de l’UMOA, la France s’engage à apporter les sommes nécessaires en euros.
Au nom de cet impératif de stabilité, de nouveaux mécanismes de dialogue et de surveillance des risques seront par ailleurs mis en place, en lien avec nos partenaires de l’UMOA. C’est essentiel pour que la France joue pleinement son rôle de garant financier.
J’ajoute que cet accord a aussi une signification à l’échelon régional, puisqu’il s’inscrit dans le contexte du projet d’intégration monétaire porté par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui réunit, outre les huit pays de l’UMOA, le Cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Libéria, le Nigéria et la Sierra Leone.
Tels sont, madame le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’esprit et les principales dispositions de ce nouvel accord entre la France et l’UMOA qui fait l’objet du projet de loi soumis aujourd’hui à votre approbation.
Renouveler notre cadre de coopération monétaire dans le plein respect des souverainetés nationales et des dynamiques régionales afin de permettre à nos partenaires de continuer à avancer sur la voie du développement économique, c’est – vous l’aurez compris – apporter une pierre supplémentaire à la relation nouvelle que nous devons et voulons bâtir avec l’Afrique.
Il ne s’agit donc pas seulement d’une importante réforme monétaire. Ce qui est en jeu, au fond, c’est, sur ce sujet très précis comme sur bien d’autres encore, notre capacité à réinventer ensemble, avec les pays africains, les liens de confiance et de solidarité qui nous unissent. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher, rapporteur de la commission des finances. Madame le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ce matin le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine.
Cet accord concerne notre coopération monétaire avec huit États d’Afrique de l’Ouest. Leur monnaie commune est le franc CFA de l’Afrique de l’Ouest, vous venez de le rappeler, monsieur le ministre. Ce sujet à la fois symbolique et polémique était l’objet de trop nombreuses idées reçues qu’il devenait difficile de combattre. La commission des finances du Sénat a d’ailleurs adopté en septembre 2020 un rapport d’information de Victorin Lurel et Nathalie Goulet pour démythifier ce sujet et chasser les polémiques ; je remercie les auteurs de ce rapport, qui constitue un travail précurseur tout à fait utile.
Pour éviter les polémiques, il faut aussi montrer que la France est prête à faire beaucoup pour l’Afrique, en particulier pour l’Afrique de l’Ouest, la région qui nous occupe ce matin. Votre présence parmi nous, monsieur le ministre, y contribue et je vous en remercie. Le Sénat y prend sa part, notamment grâce à l’action de ses groupes d’amitié, que ce soit celui avec l’Afrique australe, présidé par Guillaume Chevrollier, dont je salue la présence, ou celui avec l’Afrique de l’Ouest, présidé par André Reichardt. Nous cherchons ainsi à maintenir des liens forts avec les parlements ouest-africains et d’Afrique centrale. Nous devons continuer à faire vivre cette relation démocratique entre nos différents pays.
Rappelons-nous tout de même ce que signifiait le nom « franc CFA ». Il s’agissait ab initio du franc des « colonies françaises d’Afrique », puis du franc de la « communauté financière africaine ». Nous n’avons donc pas de repentance à exprimer, monsieur le ministre – je fais là référence à certaines paroles malheureuses du Président de la République… –, même si nous n’avons pas connu que des heures glorieuses et s’il n’y a pas eu de « temps béni des colonies », contrairement à ce que dit la chanson…
Vous avez rappelé, monsieur le ministre, que la France a signé en 1973 des accords monétaires. Ces accords, il faut le rappeler, ont eu des effets bénéfiques, par exemple sur l’inflation : elle a été d’environ 1 % pour les pays de la zone franc CFA contre 11 % pour les autres. Excusez du peu ! Ce n’est pas rien… Limiter l’inflation permet à ces pays d’attirer des investisseurs et d’éviter des dévaluations d’actifs. Cela favorise par conséquent la coopération et la croissance.
Le franc CFA était donc un bon ancrage et, en vérité, personne n’a eu réellement à s’en plaindre. Surtout, cette coopération monétaire résultait de la volonté d’États souverains. On l’a trop souvent confondue avec ce qu’on appelle tristement « la Françafrique », alors qu’elle était bienvenue et que cette zone en avait besoin.
Ce sont encore des États souverains qui ont décidé en décembre 2019 de signer un nouvel accord, même si les choses se sont principalement conclues au niveau des chefs d’État. Il fallait saisir, il est vrai, une fenêtre d’opportunité : le président Ouattara, ancien directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI) et ancien gouverneur de la BCEAO, avait la confiance de ses homologues des autres pays de l’Afrique de l’Ouest et le Président de la République effectuait un déplacement en Côte d’Ivoire.
De fait, la chose était mûre, mais il fallait un momentum. Cette occasion a été saisie et je souhaite que, après l’Assemblée nationale, le Sénat la saisisse également en ratifiant ce texte. Nous ne devons pas hésiter, parce que le temps des accords internationaux est habituellement plus long – vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre.
C’est aussi un moment d’espoir pour les autres pays de la zone franc qui devront aussi, à un moment ou à un autre, se décider, lorsqu’ils seront prêts. Les signataires de cet accord sont en quelque sorte les premiers de cordée – passez-moi l’expression ! Et, comme vous le disiez, monsieur le ministre, cet accord ne nuit aucunement au projet d’eco de la Cédéao.
Bien sûr, il s’agit d’une première étape, mais il y a toujours des jusqu’au-boutistes : il faudrait que Rome ou Paris se soit faite en un jour ! Non ! On construit au fur et à mesure, au rythme des avancées et des soubresauts de l’économie internationale et des échanges mondiaux et en fonction de la confiance, notamment dans la démocratie – c’est quelque chose de très important.
C’est d’ailleurs un aspect qui est parfois oublié, y compris par certaines têtes pensantes du Gouvernement : dans les accords financiers, le respect de la démocratie, c’est-à-dire celui d’échéances électorales fixes, est une donnée prise en compte par les acteurs économiques internationaux pour savoir s’ils peuvent faire confiance à un pays. C’est notamment pour cette raison qu’il vaut mieux éviter de trop modifier les dates des élections…
M. Jérôme Bascher, rapporteur. Pas seulement, monsieur le ministre, hélas ! Nous avons débattu de cette question cette semaine au Sénat et je crois que Marlène Schiappa a bien compris la leçon que Philippe Bas lui a donnée…
En ce qui concerne plus directement la monnaie ouest-africaine, il est très sage que la France ne siège plus dans les instances de gouvernance. Jusque-là, sa participation créait de la confusion et entretenait la défiance dont nous avons parlé.
Pour autant, à l’instar de ce qui est prévu dans nos accords de coopération militaire – vous connaissez ce sujet mieux qui quiconque, monsieur le ministre –, la France peut, en cas de crise, désigner un représentant au comité de politique monétaire de la BCEAO. L’article 8 de l’accord prévoit cette disposition dans des circonstances exceptionnelles : le rapport entre le montant moyen des avoirs extérieurs de la BCEAO et le montant moyen de ses engagements à vue doit devenir inférieur ou égal à 20 %. Ce taux se situe actuellement autour de 70 %, mais il n’est jamais absurde de penser que le pire peut arriver. Qui avait envisagé la pandémie que nous connaissons actuellement ?
Je mentionne aussi une petite erreur des temps modernes… Le dépôt des réserves de change auprès du Trésor a certes longtemps permis à la République française de gagner un peu d’argent, mais ce dispositif, longtemps critiqué, était devenu une aubaine pour les États africains, dont les dépôts, jusqu’à l’entrée en vigueur du nouvel accord, étaient rémunérés à hauteur de 0,75 %. Un tel taux de rémunération n’existe plus aujourd’hui !
Finalement, pour éviter les polémiques, les différentes parties ont librement choisi de laisser la BCEAO placer ses réserves là où elle le souhaite, même si, je le redis, le placement auprès du Trésor français était le meilleur possible.
En conclusion, cet accord est un premier pas, mais je vous invite à le voter. Beaucoup reste à faire et d’autres étapes devront encore être décidées. J’ajoute qu’il constitue en définitive, pour nous, un texte plus budgétaire que monétaire : en pratique, c’est le budget que nous votons chaque année qui permet de le couvrir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Question préalable
Mme le président. Je suis saisie, par MM. Savoldelli, P. Laurent et Bocquet, Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (n° 225).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la motion.
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme du système monétaire en discussion au Parlement français concerne en premier lieu, vous en conviendrez, les pays de l’UMOA et leurs 130 millions d’habitants.
Une personne a très vite été au courant de cette réforme : c’est Alassane Ouattara, mis en place en avril 2011 dans des conditions peu glorieuses – je ne sais si c’est ce à quoi faisait allusion Jérôme Bascher – avec le concours militaire français et qui vient d’imposer à son peuple un troisième mandat, que nous considérons comme inconstitutionnel, au moyen d’une mascarade électorale et d’une implacable répression de ses opposants. On compte tout de même plus de quatre-vingt-six morts !
Pour revenir au texte qui nous intéresse aujourd’hui, force est de constater que, comme lors des négociations concernant le franc CFA au moment du passage à l’euro, les pays africains n’ont à aucun moment été véritablement associés – excusez-moi de le dire, monsieur le ministre. En outre, il n’existe aucune trace de consultation parlementaire, ni même populaire. Puisque vous parlez d’États souverains, monsieur le rapporteur, donnez-nous des garanties à cet égard, au moins pour une partie de ces pays : il n’y en a pas ! Or il n’y a pas de souveraineté sans Parlement ni peuple.
Nous considérons que cette situation est inadmissible. C’est ce qui justifie le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable, que notre groupe vous propose d’adopter.
Quoi que l’on pense de cette réforme, la parole doit d’abord être donnée aux parlements et aux peuples africains. En la matière, ils doivent être décideurs et pas seulement « accompagnateurs », pour reprendre le terme que vous avez utilisé, monsieur le ministre. Alors que la zone sterling a pris fin à partir de 1967, il est temps que les pays africains de la zone franc puissent accéder à leur pleine souveraineté monétaire et fiscale. Cela relève du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Au-delà de cette question démocratique, il y a urgence dans cette zone à changer de paradigme en matière monétaire. En effet, le bilan de cet instrument monétaire colonial, puis néocolonial n’est pas brillant, même si le franc CFA n’est pas la seule cause de cette situation.
Avec le texte que nous étudions aujourd’hui, le cordon ombilical qui relie le franc CFA à la zone euro va perdurer du fait de l’arrimage à l’euro, de la liberté des transactions et de la convertibilité illimitée entre les deux monnaies. Ce triple lien permettra à toute multinationale qui fait du commerce dans la zone monétaire du franc CFA de voir ses investissements sécurisés sur le long terme, de convertir en euros ses profits réalisés en francs CFA, puis de rapatrier ensuite ses capitaux vers la zone euro.
Quant à la prétendue stabilité procurée par le franc CFA, elle a eu et elle aura des conséquences très négatives pour les populations africaines. La parité fixe empêche les pays de la zone franc de se servir du taux de change comme moyen d’ajustement. En cas de crise, ils se trouvent obligés de s’ajuster, en réduisant les dépenses publiques – nous connaissons bien cette situation !
M. Jérôme Bascher, rapporteur. Pas du tout !
M. Pascal Savoldelli. Cet état de fait se combine tendanciellement avec une libéralisation commerciale délétère – libéralisation des importations, suppression des taxes à l’exportation, élimination des subventions aux exportations, etc.
Comme le constate l’économiste Ndongo Samba Sylla, « le système CFA empêche toute politique de mobilisation interne : le freinage de la création monétaire décourage l’activité économique et donc la formation d’une épargne nationale consistante ; le libre transfert favorise la sortie de l’épargne nationale et le rapatriement des profits des entreprises qui ne sont pas tenues de réinvestir sur place ».
Ce sous-financement des économies et du secteur productif est d’autant plus paradoxal, insupportable et absurde qu’il s’inscrit – tout le monde le sait – dans un contexte de surliquidité, constituée par les réserves que les banques commerciales doivent déposer auprès de leurs banques centrales.
Même le pouvoir d’achat que procure cette monnaie, surtout pour les élites locales, est à relativiser. En effet, la Banque mondiale constatait déjà dans une étude en 1990 que les pays de la zone franc payaient leurs importations en provenance de France 20 % à 30 % plus chères que les prix mondiaux et que les prix des produits de la zone franc payés par la France et ses entreprises étaient en majorité bien plus bas que les prix mondiaux.
Là encore, le franc CFA continue de remplir le rôle qui est le sien depuis la colonisation : il est un instrument de l’économie de traite !
L’exemple – il est peu glorieux et nous ne pouvons pas en être fiers ! – du projet de train urbain d’Abidjan confié à un consortium d’entreprises françaises pour un coût dix fois supérieur à l’évaluation initiale du Bureau national d’études techniques et de développement ivoirien (Mme Nathalie Goulet s’exclame) confirme jusqu’à la caricature cette logique.
L’ensemble de ce processus a des conséquences concrètes. Ainsi, au sein de la zone franc, onze pays sur quatorze sont classés par l’ONU parmi les pays les moins avancés. Par exemple, le PIB réel par habitant de la Côte d’Ivoire, qui ne fait pas partie de cette dernière catégorie, est inférieur en 2016 de plus d’un tiers à celui des années 1970. Par ailleurs, en termes d’indice de développement humain, ce pays se classe au 162e rang en 2019 parmi 189 pays et territoires dans le monde.
De plus, selon l’International Trade Centre, le commerce intra-Cédéao est faible : seules 15 % des exportations se font vers les pays membres et 5 % des importations depuis les pays membres.
Par ailleurs, depuis 1993, donc à l’approche de la dévaluation de 1994, les francs CFA de l’UMOA et ceux de la Commission économique et monétaire d’Afrique centrale ne sont plus convertibles entre eux à un taux de change fixe et les flux de capitaux entre ces deux zones sont soumis à des restrictions, bien qu’elles appartiennent théoriquement à la même zone monétaire.
En un mot comme en cent, le système CFA permet de servir dans ces pays tous les intérêts extravertis, que ce soit ceux des multinationales ou ceux des classes supérieures locales. Or cette classe très aisée est ultraminoritaire – chacun le sait.
Il est aussi à noter que, pour les raisons déjà évoquées, ce système monétaire entretient une sorte d’irresponsabilité des dirigeants politiques, qui ne favorise pas le renforcement de pratiques démocratiques et de logiques de développement. Ainsi, ce système participe fortement de ce que l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo appelle « une aliénation sucrée » de ces élites, à laquelle certaines d’entre elles ne sont pas pressées de renoncer.
Venons-en au contenu de l’accord. C’est un texte à fort enjeu pour le Président de la République et son gouvernement, puisqu’ils ont dépêché notre collègue Richard Yung pour le défendre coûte que coûte…
Pour résumer, ce texte prévoit la possibilité pour la BCEAO de déposer ses réserves de change ailleurs qu’auprès du Trésor français, l’absence – affichée – de Français dans la gouvernance de la zone monétaire – nous verrons que c’est bien plus compliqué que cela –, ainsi qu’un changement de nom – historique…
Du fait de la fin de l’obligation de dépôt des réserves de change auprès du Trésor, le compte d’opérations sera supprimé, mais il sera en fait remplacé par une convention de garantie qui doit être négociée dans la plus grande opacité et sur laquelle ni le Parlement français ni les parlements africains – encore moins ! – n’auront leur mot à dire. La seule chose qui transparaît des auditions de représentants du Trésor français est que cette convention visera à ce que la suppression du compte d’opérations n’induise aucun changement par rapport à la situation actuelle, et ce au moyen d’une surveillance et d’un reporting renforcés et les plus précis possible.
Certes, l’accord prévoit l’absence de Français dans la gouvernance de la zone monétaire, mais si le pouvoir français sort par la porte, c’est pour mieux revenir par la fenêtre, monsieur le ministre. En effet, l’article 4 dispose qu’une personnalité indépendante et qualifiée sera nommée par le conseil des ministres de l’UMOA, en concertation avec la France, pour siéger au comité de politique monétaire de la BCEAO et l’article 8 pose le principe du retour, pour la durée nécessaire à la gestion d’une éventuelle crise, d’un représentant de la République française au comité de politique monétaire de la BCEAO, avec voix délibérative.
Quant au changement de nom, il s’agit d’une réappropriation malhonnête – et je pèse mes mots ! En effet, « eco » est le nom du projet de monnaie unique de la Cédéao et son utilisation révèle les intentions réelles de cette fausse réforme engagée par le Président Macron : couper l’herbe sous le pied des mobilisations populaires qui se sont fait jour contre le franc CFA et saborder la mise en place de l’eco de la Cédéao, dont le calendrier commençait à se préciser.
Les réactions ne se sont pas fait attendre : face à l’OPA hostile sur l’eco de la Cédéao, le président du Nigéria a évoqué ouvertement l’éclatement de la zone et plusieurs autres pays ont officiellement condamné l’initiative française, qui nuit au multilatéralisme africain et pourrait aggraver le chaos dans une région qui n’en a vraiment pas besoin.
En lieu et place de cette gouvernance par le chaos, une tout autre politique doit être menée. C’est aux citoyens africains seuls de décider des conditions de leur essor économique et industriel afin de favoriser une amélioration pérenne et une sécurisation de leurs conditions de vie. Or le présent projet de loi ne va pas dans ce sens.
Monsieur le ministre, je ne doute pas de la sincérité de votre propos, mais il faut le qualifier politiquement. Vous avez parlé d’un « nouveau partenariat » : où est-il ? Vous souhaitez « réinventer les liens de confiance et de solidarité », vous évoquez « des gestes de refondation » : cette réforme, qui nous a déjà été présentée, n’est en fait qu’un copier-coller… Chaque fois, on commence par nous dire ce qui ne va pas changer ! On voit bien qu’il y a des éléments de continuité. On peut les partager, et, si j’ai bien compris, c’est le cas d’un grand nombre de mes collègues, ici, dans l’hémicycle.
Mme le président. Il faut conclure !
M. Pascal Savoldelli. Pour notre part, nous disons que des tutelles antidémocratiques continuent à exister par la voie monétaire et fiscale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Richard Yung, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Richard Yung. Madame la présidente, mes chers collègues, je tiens d’abord à clarifier un point, qui m’est un peu désagréable. M. Savoldelli a prétendu que j’avais été « dépêché » par le Gouvernement et par le ministre pour m’exprimer sur ce texte. Je peux vous assurer, monsieur Savoldelli, que je n’ai eu aucun contact, quel qu’il soit, avec le ministre ou son cabinet. J’ai pris seul l’initiative de m’exprimer contre votre motion, qui me semble tout à fait discutable.
Cette mise au point étant faire, j’en viens au fond de votre motion, que je trouve paradoxal. D’un côté, monsieur Savoldelli, vous critiquez la zone CFA, l’UMOA, la BCEAO, la gouvernance, la convention de garantie, qui sont pour vous autant de manifestations du vieux colonialisme français. Vous faites un rejet complet de la zone CFA. De l’autre, vous ne proposez aucune autre solution. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Philippe Dallier. C’est vrai !
M. Pascal Savoldelli. On ne peut pas déposer d’amendement sur ce texte !
M. Richard Yung. Mais vous pourriez proposer une alternative, comme souhaitait d’ailleurs le faire la Cédéao. Si vous ne le faites pas, cela signifie que l’on conserve la zone CFA et que, paradoxalement, vous la défendez ! Je sais que ce n’est pas le fond de votre pensée, mais, faute de proposition, on en arrive à cette conclusion.
M. Pierre Laurent. C’est malhonnête de dire ça !
M. Richard Yung. Pour notre part, nous travaillons à la fin de ce que certains appellent la zone CFA et la Françafrique.
Au passage, vous confondez la zone CFA d’Afrique de l’Ouest et celle de la Cémac, qui, pour le moment, n’a rien demandé. De surcroît, la Cédéao a décidé la semaine dernière de reporter son projet d’union économique, douanière et financière. Il n’y a donc pas, pour l’instant, de lien imaginable entre la Cédéao et l’UMOA.
J’ajoute que l’appartenance à l’ex-zone CFA ne doit pas être si pénalisante si l’on en juge par le taux de croissance des pays membres de l’UMOA, qui a été de 2,2 % en 2020, alors qu’il a reculé de 5 % dans les autres pays de la Cédéao.
La question d’une union monétaire des quinze pays de la Cédéao se pose, mais ce projet, je l’ai dit, a été reporté la semaine dernière à une date qui n’est pas encore fixée. Le véritable problème, c’est le poids du Nigéria, qui représente 60 % du produit intérieur brut de la zone. Ce pays deviendrait donc dirigeant, en quelque sorte, et sa monnaie serait la devise de la Cédéao. De plus, le Nigéria demande que la parité entre la nouvelle monnaie, quelle qu’elle soit, et sa propre monnaie soit fixée par rapport à un panier constitué de plusieurs devises. Nous ne le souhaitons pas.
Laissons donc les huit pays de l’UMOA mettre en place l’eco, qui sera, je pense, profitable à leur économie. Cette nouvelle institution et cette nouvelle devise pourront par la suite être étendues à d’autres pays. Je pense, par exemple, au Ghana, dont l’économie est proche de celle de la Côte d’Ivoire, ou à d’autres pays francophones. La Guinée-Bissau, qui est un pays lusophone, fait partie de l’UMOA.
Par ailleurs, les États sont libres de faire partie de l’UMOA ou d’en sortir et ainsi de manifester leur souveraineté. Le Mali l’a un temps quittée. La Mauritanie en a fait partie, mais en est sortie. Les États sont libres, je le répète, et leur souveraineté est respectée. Il est donc inexact de dire qu’on limiterait leur souveraineté.
Pour toutes ces raisons, mon groupe votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bascher, rapporteur. La commission est défavorable à cette motion.
Monsieur Savoldelli, nous passons tout de même d’un serpent de mer à un serpent monétaire ! Il n’y a pas que la France qui soit attachée à l’Afrique et il n’y a pas que le franc CFA qui soit arrimé à l’euro. Le Portugal a fait de la coopération de l’Union européenne avec l’Afrique l’une des priorités de sa présidence tournante. Ce pays a lui aussi conclu des accords monétaires avec des pays d’Afrique. Ce type d’accord n’est donc pas une particularité de la France.
Tous les pays africains qui se développent sans inflation ont leur monnaie attachée à l’euro. C’est ainsi qu’il faut présenter les choses.
Je pense qu’un bon pas est fait, même si nous n’allons peut-être pas assez loin, ce que je peux entendre. Il faut donc rejeter cette motion.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je me suis exprimé sur le fond voilà un instant. Nous sommes tout à fait opposés à cette motion.
Monsieur le sénateur Savoldelli, je suis perplexe face à ce qui m’apparaît être une contradiction, comme l’ont déjà relevé le rapporteur et M. Yung : comment peut-on à la fois attaquer violemment le franc CFA, son histoire, comme étant un fait colonial, et, en même temps, être contre une réforme qui va dans le sens de ce que souhaitent les États concernés ? Cela m’épate ! Je pense d’ailleurs que j’assurerai une large diffusion de vos propos auprès de toutes les autorités africaines compétentes.
S’il y a quelqu’un qui a fait de l’ingérence tout à l’heure, c’est bien vous, lorsque vous avez porté un jugement sur les relations de l’UMOA avec la Cédéao. Au nom de quoi ? Vous accusez l’UMOA d’avoir volé à la Cédéao le nom « eco » alors que cette dernière s’est réunie au mois de décembre, l’année dernière, pour approuver le lancement de cette monnaie au sein de l’UMOA.
Vous n’êtes mû que par des motifs de politique intérieure. Je suis vraiment attristé par ce comportement, au moment où la France prend en compte les souhaits des autorités africaines, toutes histoires confondues. Ce projet n’est pas celui de M. Untel ou de M. Untel.
Vous avez cité M. Ki-Zerbo, historien. Je suis moi-même historien, je le connais aussi. J’étais présent à l’université de Ouagadougou lors du débat politique qui a eu lieu avec des étudiants, pour une part sankaristes – je pense que c’est aussi une de vos références –, et je puis vous dire que la position du Président de la République, mais aussi celle du président Kaboré, présent dans l’amphithéâtre, était en harmonie avec ce que l’on entendait : il fallait changer ! Ce changement est une initiative des pays de l’UMOA, avec l’accord de la France.
Aussi, je trouve très dommageable, compte tenu de votre histoire et de la manière dont vous envisagez l’avenir de l’Afrique, monsieur le sénateur, que vous soyez contre ce pas en avant considérable et cette rupture historique.
Mme le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot, pour explication de vote.
Mme Nadine Bellurot. Le groupe Les Républicains ne soutiendra pas cette motion tendant à opposer la question préalable, dont l’adoption aurait pour effet de rejeter les avancées de ce texte. Or, comme on vient de l’entendre, elles ont été voulues et adoptées par les États concernés.
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra sur cette motion, même si nous sommes globalement d’accord avec Pascal Savoldelli, qui a dit beaucoup de choses justes, sur lesquelles je souhaiterais d’ailleurs revenir si la motion n’était pas adoptée. Nous avons besoin d’un débat sur cet accord, comme le montrent les échanges qui ont déjà eu lieu.
Ce projet est particulièrement important pour l’Afrique et son autonomie ; il comporte indéniablement des avancées. Bref, je souhaite m’exprimer de nouveau sur ce sujet. Nous nous abstiendrons donc, je le répète, sur cette motion.
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Nous avons, dans le cadre de la commission des finances, effectué un travail très important sur ce sujet, qui trouve aujourd’hui son aboutissement dans ce débat. Nous ne voterons donc pas cette motion et nous voterons évidemment en faveur de la convention, un peu plus tard.
Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
M. Joël Guerriau. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas non plus cette motion, car nous considérons qu’il est important de faire un pas pour répondre aux attentes des pays africains. À cet égard, ce texte va dans le bon sens.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Le groupe du RDSE votera contre cette motion. Nous sommes par principe opposés aux motions, même si nous sommes parfois d’accord sur le fond. En l’occurrence, nous ne sommes d’accord ici ni sur le fond ni sur la forme.
Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 59 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 266 |
Pour l’adoption | 15 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. Vincent Éblé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement nous propose d’examiner ce matin la ratification d’un accord de coopération visant à réformer l’Union monétaire ouest-africaine et à acter juridiquement l’annonce commune des présidents Macron et Ouattara de décembre 2019 d’une réforme du franc CFA.
Notre groupe ne saurait méconnaître l’impact politique et symbolique d’un tel accord, au-delà de son caractère juridique et technique. Comme le disait mon collègue Victorin Lurel, lors de la présentation en commission du rapport qu’il a réalisé conjointement avec Nathalie Goulet, se contenter de considérations purement économiques et monétaires serait une erreur : la monnaie est un objet politique, idéologique et de souveraineté. Ce projet de réforme du franc CFA en Afrique de l’Ouest procède ainsi à des changements symboliques nécessaires, qui mettent fin aux irritants les plus forts.
La première avancée de cet accord, c’est le changement du nom « franc CFA » en « eco ». Il est, je le crois, absolument bienvenu, tant la dénomination de « franc » est obsolète. Gardons à l’esprit que la monnaie, plus qu’une unité de compte, est un objet politique, une référence commune et partagée par la population, un objet de vie quotidienne dont le nom renvoie à une identité et, si j’ose dire, à une souveraineté, autant d’éléments que la France a trop longtemps, sans doute, sous-estimés.
La deuxième avancée, c’est la fin de la centralisation des réserves de change de la BCEAO auprès du Trésor français et la fermeture du compte d’opérations. Ces dispositions nous paraissent tout à fait appropriées pour mettre fin aux fantasmes, tant de fois entendus, d’un accaparement par la France des richesses africaines.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Vincent Éblé. Enfin, le troisième changement qui nous paraît aller dans le bon sens, c’est le retrait de la France des instances de gouvernance et, singulièrement, du conseil d’administration et du comité de politique monétaire de la BCEAO, ainsi que de la commission bancaire de l’UMOA.
Disons-le clairement : cette réforme était attendue et nécessaire. Pour autant, notre groupe estime que le projet qui nous est soumis s’arrête un peu au milieu du gué.
Nous regrettons tout d’abord que cette réforme, loin d’être globale, ne touche que les pays membres de l’UMOA et qu’elle ne traite pas de la question du franc CFA de l’Afrique centrale et des Comores. Cet angle mort n’a d’ailleurs pas manqué de susciter, à juste titre, l’incompréhension, voire l’ire de nombreux États ainsi laissés de côté.
D’un point de vue diplomatique, nous aurions souhaité que cette réforme ne donne pas le sentiment d’une forme de précipitation ou de mise à l’écart de certains acteurs, qui se sentent, pour partie, ostracisés par la démarche franco-ivoirienne, et qu’elle n’alimente pas une prétendue mainmise française sur les États membres de l’UMOA. Cette précipitation diplomatique ne grandit personne et peut même remettre en cause les politiques de convergence engagées entre différentes zones.
Disons ensuite que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, cet accord de coopération est limité du point de vue monétaire. Au-delà des aspects juridiques et symboliques évoqués, ce texte est d’abord un accord budgétaire, qui engage l’État et pas vraiment les autorités monétaires ni les banques centrales.
Parallèlement à cet accord, des conventions commerciales et techniques devront être prises entre ces banques, notamment entre la BCEAO et la Banque de France, par exemple pour l’impression des billets. Ces implications techniques ne sont pas à négliger lorsque l’on connaît l’importance de l’émission fiduciaire, le stade d’inclusion bancaire et la très faible bancarisation de l’économie dans ces territoires. La circulation de ces masses monétaires conditionnant fortement la liquidité de ces économies et leur financement bancaire, il conviendra d’y être attentif.
Je précise cela, car, malgré la discussion de ce texte, notre parlement souffre d’un manque assez criant d’informations et ne dispose pas d’éléments tangibles pour se positionner de manière éclairée : trop de lignes budgétaires demeurent peu renseignées ou documentées ; le compte de concours financier, comme le compte de commerce, reste squelettique, et la mission « Engagements financiers de l’État » ne dit rien de la réalité des choses. Loin d’être un détail, ce manque d’informations du Parlement français et, sans doute, de ses homologues étrangers, pourrait à lui seul commander notre vote sur ce texte.
Pour aller plus loin, nous estimons que nous ne pouvons pas non plus nous contenter du seul remplacement du nom et de la fin de la centralisation des réserves. Nous considérons qu’une évolution du régime de change aurait pu être envisagée dans cette réforme.
Au lieu de cela, cet accord se contente de changements a minima, pour ne pas dire nuls. Il n’y a ainsi aucune audace conjointe pour trouver des bases plus conformes aux exigences de développement des pays concernés. Or nous savons, en théorie et en économie appliquée, qu’un régime de change flexible répond mieux aux externalités économiques et politiques que la rigidité des changes fixes. Sans nier les avantages du régime de change fixe et de la parité avec l’euro, notamment en matière de stabilité macroéconomique, une transition d’un système de parité fixe à l’euro vers un ancrage à un panier de devises aurait pu, selon nous, être amorcée.
Considérant qu’une monnaie forte, en l’occurrence l’eco, adossée à une autre monnaie forte, à savoir l’euro, n’est pas gage de développement économique, nous aurions souhaité que la France use tant de son influence que de son expertise pour accompagner les réflexions engagées de longue date en faveur de la mise en place d’un régime de change plus flexible, permettant aux pays de la zone de mieux répondre aux chocs exogènes et aux aléas économiques internationaux.
Concrètement, la réforme présentée aurait ainsi pu cranter une étape visant, à terme, à mettre fin à l’arrimage de l’eco à l’euro au profit d’un ancrage à un panier de devises et à organiser le passage d’un régime de change fixe à un régime de change semi-flexible.
En matière de coopération, il ne s’agit plus pour la France de s’ériger en tutrice de la zone ou de tenir son rang. Notre groupe estime que les autorités doivent saisir ce moment de réforme pour contribuer à un approfondissement de la coopération monétaire autour du projet « eco » porté par la Cédéao, engager une modernisation des accords de coopération monétaire avec l’Afrique centrale et les Comores et renforcer les mécanismes de convergence entre Afrique de l’Ouest et Afrique centrale.
Pour ce faire, et afin d’échapper aux critiques de ceux qui fustigent un tête-à-tête exclusivement franco-africain dans le domaine monétaire, la France devra, selon nous, œuvrer à favoriser le dialogue entre parties prenantes.
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Vincent Éblé. Le risque zéro n’existant pas concernant la convertibilité illimitée et inconditionnelle, la France doit résolument avancer et tout faire pour impliquer davantage la Banque centrale européenne et l’Union européenne dans l’élaboration de ces futurs accords de coopération.
Nous nous abstiendrons sur ce texte.
Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà donc plus d’un an que la disparition du franc CFA au sein de l’Union monétaire ouest-africaine a été annoncée à Abidjan.
Nous sommes aujourd’hui réunis pour autoriser le Gouvernement à approuver cet accord. Il s’agit surtout d’un moment symbolique. En effet, l’un des points essentiels de cet accord de coopération signé à Abidjan est le changement de nom de cette devise. Le sigle de la devise n’avait pas été modifié depuis sa création en 1945, à la suite des accords de Bretton Woods. Les trois lettres renvoyaient alors aux « colonies françaises d’Afrique ». Malgré les réformes successives, notamment depuis les indépendances au tournant des années 1960, cette étymologie n’a cessé d’alimenter les fantasmes et les discours populistes, en Europe comme en Afrique.
À cet égard, je tiens à rappeler que la décision d’appartenir à l’UMOA relève pleinement de la souveraineté des pays concernés. La France n’en est évidemment pas membre. Elle joue seulement le rôle de partie prenante que ses engagements financiers imposent.
Les idées fausses ont toutefois souvent la vie dure. C’est pourquoi le changement de nom se révélera positif pour la France, comme pour les huit pays de l’UMOA. Je précise d’ailleurs que plusieurs cas de figure coexistent actuellement, certains pays membres n’ayant jamais été des colonies françaises et certaines colonies françaises n’ayant pas adopté le franc CFA. Il n’y a donc pas de lien de subordination, comme certains semblent vouloir le faire croire.
Il en va de même pour le retrait formel de la France de toutes les instances de gouvernance monétaire de l’eco. Cette décision, qui précise le rôle de la France dans la gouvernance monétaire, doit assainir nos relations diplomatiques et stratégiques avec nos partenaires africains. C’est un aspect absolument essentiel de cet accord. La France doit prendre en compte et soutenir les orientations prises par les pays africains.
Outre son aspect symbolique, cet accord a aussi un aspect stratégique : il met fin à la centralisation, par le Trésor français, de la moitié des réserves de change de l’UMOA. Cet aspect stratégique prolonge à mes yeux l’aspect symbolique : il acte une saine séparation des réserves entre les deux parties.
Voilà qui devrait donner davantage d’autonomie aux pays de l’UMOA en matière de pilotage monétaire, tout en conservant certains gages de sécurité, car l’accord d’Abidjan ne remet pas en cause la convertibilité de la devise africaine, pas plus que la fixité de son taux de change par rapport à l’euro ou que la libre transférabilité, notamment en capitaux.
En clair, l’eco conserve les atouts du franc CFA en matière de stabilité et de crédibilité, tout en rompant pour de bon avec son héritage colonial. Je suis certain que cette nouvelle mouture de la devise permettra aux huit pays de l’UMOA de poursuivre leur développement économique, malheureusement ralenti en 2020 par la pandémie. Elle pourra également servir de base au projet de monnaie commune adopté par la Cédéao.
Je le disais en introduction, le point le plus essentiel de l’accord de coopération a consisté en l’adoption d’un nouveau nom pour la devise. J’ai déjà évoqué l’abandon du sigle malheureux de CFA. Je conclurai en évoquant le choix de l’eco.
« Eco » : tel était déjà, avant décembre 2019, le nom retenu pour le projet de monnaie unique au sein de la Cédéao. Le choix de cette appellation par les pays de l’UMOA, qui est un sous-ensemble de la Cédéao, n’est donc pas neutre. Elle préfigure le fait que la future monnaie unique envisagée par cette dernière pourrait être arrimée à l’euro. Une telle option ne fait pas l’unanimité parmi les pays membres, notamment le Ghana, qui y voit une menace pour sa rente pétrolière.
En tout état de cause, une question reste en suspens : la garantie budgétaire apportée par la France pour la stabilité de l’eco, a fortiori s’il était élargi à la Cédéao. Elle déterminera notre influence dans la zone, qui n’est pas sans lien avec notre présence militaire afin de pacifier et sécuriser la zone. Malgré cette interrogation, notre groupe votera ce texte.
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me voyez fort embarrassé par le présent accord de coopération entre la France et l’UMOA, soumis à l’approbation du Sénat.
J’évoquerai tout d’abord la méthode : je ne comprends pas pourquoi un accord portant en germe une telle ambition géopolitique – que d’aucuns ont même qualifié d’« historique » – n’a pas été soumis à la commission des affaires étrangères, comme à l’Assemblée nationale, au moins pour avis.
Monsieur le ministre, je ne comprends pas non plus la méthode du pouvoir exécutif.
Faut-il mettre fin au franc CFA, vestige colonial et bras armé de la Françafrique ? Naturellement ! Nous ne pouvons que vous rejoindre sur l’ambition de cet accord. Mais comment peut-on procéder de la sorte ?
La fin du franc CFA pour les pays de l’UMOA pose la question de toute l’organisation monétaire du sous-continent. Les huit pays concernés veulent-ils retrouver leur souveraineté monétaire ? Veulent-ils créer une union monétaire adossée à l’euro, comme le prévoit cet accord, ou bien veulent-ils créer une union monétaire plus large avec les pays de la Cédéao, avec un taux de change fixe adossé à l’euro ou un taux de change calculé sur un panier de devises, et donc totalement flottant ?
L’union monétaire de la Cédéao était en négociation depuis trois ans. Le présent accord pourrait donner l’impression d’une OPA hostile sur les démarches de la Cédéao, puisqu’il reprend jusqu’au nom même du projet de monnaie, à savoir « eco ». « This is not a method » comme dirait un ancien dignitaire de la Françafrique. (M. le rapporteur sourit.)
Peut-être que votre solution est la meilleure, mais on ne peut pas prétendre mettre fin à la Françafrique et décider en même temps de l’organisation monétaire de plusieurs nations.
Nous ne savons rien de ce que souhaitent les pays membres de l’UMOA. Aucun des peuples concernés n’a été interrogé dans le cadre d’un débat démocratique. Aucun Parlement n’a été consulté et, pis, aucun chef d’État, en dehors du président ivoirien, ne semble s’être exprimé sur le sujet. Il m’avait échappé qu’Alassane Ouattara était désormais président du Togo, du Sénégal, du Mali, du Bénin, du Burkina Faso, de la Guinée-Bissau et du Niger…
Ce silence est assourdissant ! Comment le Parlement français peut-il se prononcer dans ces conditions ? La France n’a pas à être un moteur dans cette affaire ; elle doit accompagner le choix des peuples souverains. La monnaie est une composante fondamentale de tout État, de toute nation. Cette souveraineté ne peut être transférée que par une décision démocratique. Rappelons-nous les débats qui ont eu lieu ici même sur le traité de Maastricht et cette campagne référendaire. Comment peut-on imaginer l’avènement de l’euro sans cette onction démocratique ?
La méthode Macron-Ouattara nous empêche donc de voter pour ce projet d’accord.
Pourtant, sur le fond, la fin du franc CFA est une réforme d’une portée symbolique considérable. Il y a longtemps que cette monnaie aurait dû disparaître ; c’est une aspiration profonde des peuples d’Afrique de l’Ouest. Le retrait de la France, certes relatif, des instances de gouvernance de l’UMOA est un progrès notable. La fin du dépôt obligatoire des réserves de change va aussi dans le bon sens. Ces mesures doivent être saluées.
Pour toutes ces raisons, il nous est également difficile de voter contre ce projet d’accord. C’est peut-être là l’effet du « en même temps » du Président de la République ! (M. le rapporteur sourit.)
Reste la question du taux de change fixe avec l’euro. Entre la stabilité qu’il offre et la rigidité qu’il impose aux économies nationales, un dilemme se pose, que la France ne peut pas et ne doit pas trancher. Si nous décidons à la place des nations d’Afrique de l’Ouest, nous n’enterrerons pas définitivement la Françafrique. Peut-être, monsieur le ministre, est-ce le souhait de votre gouvernement, des multinationales françaises et des oligarques africains ? Cette précipitation pourrait le laisser penser !
Si d’aventure le choix souverain des pays de l’UMOA était de renforcer leur union monétaire en la dotant d’une monnaie propre adossée à l’euro, il conviendrait alors de transférer la garantie du change du Trésor français à la BCE. Cela nous semble une évidence et une condition indispensable pour lever, enfin, l’ombre de la Françafrique.
Vous l’aurez compris, dans ces conditions, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra.
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage sur ce sujet la position de M. le ministre et je fais miennes ses observations.
J’ai eu le plaisir, au sein de la commission des finances, d’être chargée, avec notre collègue Victorin Lurel, d’un rapport de contrôle sur ce sujet. Nous avons pu constater que le franc CFA constituait, à n’en pas douter, un irritant entre la France et les pays africains.
D’aucuns dénoncent un manque de vision démocratique, mais il faut aussi reconnaître que le franc CFA représente souvent dans les pays africains un outil de propagande qui n’a strictement rien à voir avec la réalité. De fait, mon cher collègue Savoldelli, vous n’avez pas complètement tort quand vous affirmez que ce débat doit être ouvert dans les pays africains. À l’évidence, il doit l’être ; sinon, comme c’est le cas actuellement, on laisse la place aux idées reçues.
On pare la France de tous les péchés d’Israël : elle empêcherait l’autonomie monétaire de la zone CFA ; elle tirerait lâchement et sournoisement profit des réserves de changes amassées dans ses coffres ; bref, elle poursuivrait, via le franc CFA, son œuvre fourbe de colonisation.
Or le rapport que Victorien Lurel et moi-même avons commis montre précisément le contraire ; il faut combattre toutes ces idées reçues. C’est dans le cadre du débat que nous avons aujourd’hui et de ceux qui, je l’espère, se tiendront dans l’ensemble des pays africains concernés que nous pourrons enfin mettre un terme à leur existence.
À mon sens, cette réforme devra être l’occasion de réviser la politique monétaire des pays africains concernés. Nous avons longuement auditionné à ce propos M. Dominique Strauss-Kahn, dont l’opinion était extrêmement intéressante : il suggérait de saisir cette occasion pour refonder une politique monétaire en Afrique de manière à asseoir la souveraineté monétaire et financière de ces États.
Surtout, il faut expliquer – d’autres orateurs l’ont déjà fait, et vous-même, monsieur le ministre, l’avez redit – que les pays africains concernés pourront désormais déposer leurs réserves de change où ils veulent : ils n’auront plus ce lien avec la France ! Il faut le dire et le redire, afin de casser définitivement l’idée reçue selon laquelle la France accaparerait ces réserves de change. De ce point de vue, la balle est dans le camp des pays africains !
Il demeure un détail ; je dirais plutôt, monsieur le ministre, comme dans la chanson : c’est peut-être un détail pour vous, mais pour certains, ça doit vouloir dire beaucoup ! Je pense à l’impression des billets de banque. En fin de compte, les pays africains peuvent très bien décider d’imprimer leurs billets eux-mêmes et de ne plus confier ce soin à la France. Quelle importance aurait donc la conservation de ce lien ? Là encore, il faut saisir l’occasion de casser à la fois ce lien et les idées reçues, en faisant table rase du passé. En la matière, la France n’est pas demandeuse. L’ensemble des dispositions qui figurent dans cette convention nous le montrent bien.
Le dernier point que je souhaite évoquer est le rôle de la Banque centrale européenne. On est passé de la convertibilité du franc CFA en franc français à sa convertibilité en euro, mais la BCE et les banques centrales des autres États membres n’ont nullement participé à ce processus ; elles ont considéré que l’on avait travaillé sans eux. Une petite convention a rétabli les choses à l’égard de l’euro, mais je suis convaincue qu’il incombe désormais à l’Europe de prendre le relais, à l’occasion de cette réforme qui met fin au franc CFA dans ses conditions antérieures. C’est vraiment le bon moment pour que la BCE se réapproprie, en quelque sorte, le sujet, avec ses avantages et ses inconvénients.
En conclusion, notre groupe approuve totalement cette convention ; nous considérons que c’est une excellente occasion de mettre un terme à des irritants, pourvu que l’on communique largement sur le sujet. Franchement, c’est le moment de mettre un terme aux nombreuses idées reçues qui s’expriment en la matière ! Il est temps que la France sorte grandie de l’affaire du franc CFA ; elle ne mérite pas tant de critiques. Jusqu’à présent, cette devise a beaucoup servi les pays africains, grâce notamment à sa convertibilité ; beaucoup d’économies ne seraient pas là où elles en sont sans la convertibilité permise par les accords en vigueur.
Le franc CFA et la politique monétaire ne sont pas – il faut le répéter – l’alpha et l’oméga de l’ensemble des politiques budgétaires des États africains. Le sujet est certes monétaire, mais c’est aussi un sujet de politique internationale, ce qui le rend tout à fait passionnant.
Notre groupe approuvera donc évidemment des deux mains l’accord qui nous est soumis !
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme du franc CFA est un sujet ancien ; reconnaissons qu’il s’était un peu effacé ces dernières années.
Alors que la France fait partie depuis plus de vingt ans de la zone euro et que, depuis lors, notre politique monétaire est décidée non plus à Paris, mais par le Conseil des gouverneurs de la BCE à Francfort, la persistance du franc CFA, auquel il faudrait ajouter le franc des Comores, avec une parité fixe par rapport au franc français, puis à l’euro, peut apparaître au mieux comme un exotisme, au pire comme un archaïsme.
C’est le sens de la déclaration que le Président de la République Emmanuel Macron a faite en 2019 afin de faire évoluer cette situation, dans l’intérêt des États africains et de la France.
Mais de la parole aux actes, le chemin n’est pas si simple. Cet accord conclu avec les huit États de l’Union monétaire ouest-africaine à la fin de 2019 constitue un jalon important dans un processus dont l’aboutissement, à savoir une zone économique et monétaire unifiée dans la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, n’est envisageable qu’à long terme.
Symbole fort d’une époque qui s’achève, la monnaie change de nom, pour s’appeler désormais l’eco ; cela rappelle l’ECU européen, qui avait précédé de quelques années la création de l’euro. À l’origine, le nom « franc CFA » lui-même renvoyait aux colonies françaises d’Afrique, devenues depuis lors, de façon plus consensuelle, la « Communauté financière africaine ».
La fin de la centralisation des réserves de change sur le compte d’opérations du Trésor français est un autre changement important.
Il s’agit bien d’un premier jalon, car la France reste le garant de l’intégrité de la zone monétaire et aura son mot à dire sur la nomination de la personnalité qualifiée au sein du comité de politique monétaire de la BCEAO. Par ailleurs, l’accord ne concerne que l’Afrique de l’Ouest, et non l’Afrique centrale ou les Comores. Il est notamment le fruit de la volonté politique du Président de la République de Côte d’Ivoire, M. Ouattara, économiste de formation et de métier par le passé.
Enfin et surtout, le régime de change et la parité fixe avec l’euro demeurent inchangés. La stabilité monétaire de la zone continuera donc d’être assurée, au détriment peut-être de son autonomie par rapport à la zone euro. Il faudra examiner avec attention les stipulations de la future convention de garantie entre le ministère français de l’économie et des finances et la BCEAO.
En tant que rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement », je ne peux que souligner le besoin de développement et de stabilité de cette zone, qui est en proie à des transformations démographiques rapides, à une pauvreté endémique et, depuis plusieurs années, à une instabilité politique et sécuritaire ; c’est aussi une zone où la France est engagée militairement.
Certains États fragiles, comme le Mali ou le Niger, ont un besoin particulièrement fort de stabilité, dans une région qui reste l’une des plus pauvres de la planète.
Enfin, il y a une dimension géopolitique dans les relations futures avec les pays d’Afrique anglophones. Je pense au Nigéria, géant économique et démographique de la région, mais aussi au Ghana ou au Libéria.
Le risque budgétaire semble limité pour la France : le niveau moyen d’endettement de la zone est en réalité plus faible qu’en Europe et sa croissance économique est forte, quoiqu’elle soit en vérité contrebalancée par une croissance démographique tout aussi rapide.
On voit bien que, dans ce contexte compliqué, la question monétaire n’est qu’un sujet parmi d’autres, mais il a son importance. Avec la pandémie du coronavirus, la situation internationale a profondément changé depuis la signature de cet accord. Quels sont aujourd’hui les effets de la crise sanitaire sur les États ouest-africains, en particulier en matière sociale et économique ?
Conscient de la portée limitée de cet accord, mais considérant qu’il s’agit d’une étape nécessaire du développement de l’Afrique de l’Ouest, mon groupe est donc favorable à son approbation.
M. Richard Yung. Très bien !
Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à ce qu’on nous dit, ce texte n’a en aucun cas pour objet la nouvelle monnaie que seraient en droit d’attendre les Africains ; ce n’est pas une nouvelle coopération refondatrice, ce n’est même pas une avancée dans cette direction.
Non, il s’agit, au mieux, d’un simple ravalement de façade du franc CFA ; au pire, d’une OPA hostile de la France visant à empêcher l’émergence de tout projet monétaire qui viendrait à échapper à notre contrôle politique.
La méthode d’adoption de cette convention est en soi humiliante pour les 130 millions d’Africains des huit pays concernés. Vous êtes présent devant nous, monsieur le ministre, mais le simple fait que la commission des affaires étrangères du Sénat n’ait même pas été saisie pour avis est significatif. Pour le Gouvernement comme pour la droite sénatoriale, l’avenir de l’Union monétaire ouest-africaine n’est pas une affaire africaine ; ce n’est pas même une affaire de politique étrangère ; c’est d’abord une affaire intérieure qui doit rester sous la coupe du Trésor français. Jean Gabin aurait résumé cela plus trivialement : « Touchez pas au grisbi ! » (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.)
Nous sommes donc à mille lieues du projet nécessaire pour doter l’Afrique des moyens de son développement. Avoir des instruments monétaires et bancaires souverains est indispensable pour financer ce développement. La croissance de la production, la satisfaction des besoins humains et la transition écologique, singulièrement en Afrique, exigent une augmentation considérable de la masse monétaire employée à bon escient et sous contrôle démocratique. Or la BCEAO n’a pas les pouvoirs d’une banque centrale.
Avec l’eco, nom volé par la France au projet en discussion dans la Cédéao, vous ne remplacez pas le franc CFA ; vous lui achetez une nouvelle couverture politique.
Comme cela est clairement indiqué dans le rapport que notre rapporteur a présenté à la commission des finances, avec cet accord, il s’agit simplement d’une modification « des modalités techniques opérationnelles du suivi de la garantie ». Il y est également indiqué que la fin de la présence française au sein des instances techniques ne signifie pas la fin du dialogue technique et politique. Les échanges entre les institutions de l’UMOA, le Trésor français et la Banque de France resteront denses. Tout est dit !
L’eco prolonge le franc CFA sans desserrer le garrot qui anémie l’Afrique. Ce défaut de souveraineté monétaire continuera à générer mécaniquement un endettement croissant en devises étrangères, avec des taux d’intérêt élevés qui pèsent sur le développement humain et économique de l’Afrique.
Les défenseurs du franc CFA, rebaptisé eco, nous disent que la parité fixe et la garantie apportée par la France permettent de préserver le pouvoir d’achat des quelques billets que les pauvres ont dans leur poche, mais c’est une prime d’assurance chèrement payée par les Africains les plus vulnérables pour le bénéfice des multinationales et des classes aisées africaines.
En effet, pour maintenir cette parité, la demande de monnaie CFA, donc de crédits bancaires, est drastiquement réduite, ce qui pénalise l’investissement public et privé interne et induit chômage et sous-emploi.
Au final, l’Afrique a un besoin urgent de développement et surtout d’instruments pour le financer. Alors que nous nous endettons aujourd’hui comme jamais pour nous protéger de la pandémie, jusqu’à quand laisserons-nous l’Afrique dans le dénuement et la dépendance ? Il faut à l’avenir des instruments de création monétaire souverains nouveaux pour les peuples et une réforme du système international.
D’ailleurs, nous soutenons à cette fin la mise à disposition sans tarder de nouveaux droits de tirage spéciaux et, notamment, des DTS non utilisés actuellement par les pays riches, en faveur des pays pauvres. Ces instruments doivent aller de pair avec des politiques fiscales qui cessent d’exempter les multinationales, notamment françaises, lesquelles trustent les grands projets en Afrique sans jamais créer ni mobiliser de ressources internes pérennes pour ces pays.
Le projet qui nous est soumis est à mille lieues d’une telle logique ; il ne vise qu’à perpétuer une tutelle monétaire. Nous voterons donc contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord dont nous discutons doit remplacer l’accord de coopération monétaire du 4 décembre 1973. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour souligner que les pays d’Afrique de l’Ouest avaient donné l’exemple, dès 1962, en créant une banque centrale commune aux États de cette région ; nous, Européens, avons mis quelques décennies de plus à accomplir cela !
Le présent accord prévoit plusieurs changements qui ont déjà été évoqués : le remplacement du franc CFA par l’eco ; la fin de la centralisation des réserves de change de la BCEAO auprès du Trésor français – cette banque centrale pourra les placer où elle voudra – ; le retrait de la France des instances de gouvernance de cette zone. À ce propos, les instances importantes d’une banque centrale sont le conseil d’administration et le conseil des gouverneurs ; le comité de politique monétaire sert seulement à les conseiller, mais n’est pas lui-même une instance de décision.
Par ailleurs, l’accord prévoit de nouveaux mécanismes de dialogue et de surveillance des risques : dans la mesure où l’on assure la convertibilité de cette devise en cas de crise, il est normal que l’on puisse envoyer un représentant du Trésor français pour aider la BCEAO à prendre les mesures nécessaires.
Enfin, la parité fixe de cette devise avec l’euro est maintenue et sa convertibilité reste garantie par la France ; celle-ci signe en même temps un accord avec la BCE, qui reconnaît sa capacité d’assurer cette libre convertibilité.
Il s’agissait de répondre à des critiques qui avaient été formulées. Pour ce que j’en sais, le franc CFA est critiqué depuis longtemps dans les pays africains ; ce n’est pas une découverte ! De nombreux intellectuels et économistes ont écrit contre cette devise et ont dénoncé, entre autres choses, son caractère néocolonialiste. Les opinions publiques elles-mêmes se sont montrées critiques : on a pu entendre des slogans contre le franc CFA lors d’un certain nombre de manifestations, au Burkina Faso ou au Mali. Cela ne tombe pas du ciel !
Ces critiques ont été évoquées : elles portent sur le maintien de ce qu’on appelle la « Françafrique », mais on entend aussi des allégations erronées sur la centralisation des réserves et sur un prétendu enrichissement de la France et des entreprises françaises. Je peux vous dire que les entreprises africaines seraient drôlement embêtées si on leur enlevait la libre convertibilité du franc CFA pour la remplacer par des taux de change variables. Elles ne pourraient plus faire de commerce ni de business !
Les pays membres de la zone CFA, désormais membres de la zone eco, le sont de par leur libre volonté. Comme je l’ai rappelé, certains sont sortis de cette zone et d’autres y sont entrés. Savez-vous que le Cap-Vert utilise l’euro ?
M. Richard Yung. Cela ne résulte pas d’accords particuliers. Simplement, ce pays était lié au Portugal, qui a adopté l’euro. Est-ce un scandale ? Non, au contraire ! C’est la propre volonté de ce pays.
Se pose enfin la question de l’élargissement ; c’est sans doute le point le plus délicat. L’adhésion du Nigéria, je l’ai dit, pose problème, car il pourrait déséquilibrer la zone du fait de sa taille.
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Richard Yung. Il faut donc faire preuve d’un peu de patience en la matière.
En tout état de cause, notre groupe votera évidemment en faveur de cet accord. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nadine Bellurot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le franc CFA a été créé par Charles de Gaulle en 1945, dans le contexte de la conférence de Brazzaville de 1944.
Jusqu’en 1958 et au début de la décolonisation, « CFA » signifiait « colonies françaises d’Afrique », puis, jusqu’en 1960, « communauté française d’Afrique », enfin, depuis lors, « communauté financière africaine » dans l’Afrique de l’Ouest et « coopération financière en Afrique » dans l’Afrique centrale.
Actuellement, quatorze pays africains – quinze si l’on y ajoute les Comores – utilisent cette monnaie. Ils sont répartis en deux unions monétaires distinctes : six pays d’Afrique centrale, la Cémac ; huit autres, en Afrique de l’Ouest, l’UMOA. Chacune de ces deux unions monétaires distinctes possède son propre franc CFA et est dotée d’une banque centrale commune aux pays membres : la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC) pour la Cémac et la BCEAO pour l’UMOA.
La création de cette monnaie commune à plusieurs pays visait à contribuer à la stabilisation monétaire et au développement des économies de ces pays. Cela devait se faire, notamment, via une parité fixe du franc CFA avec le franc français, puis l’euro – 1 euro vaut 655 francs CFA – et un renforcement des échanges économiques avec la France, notamment, et l’Union européenne, mais aussi au sein même de l’Union monétaire.
Ainsi, depuis octobre 2017, il existe une libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes au sein des six pays de la Cémac. Des progrès ont également été réalisés au sein de l’UMOA en matière de libre circulation des personnes et des biens : on peut citer l’adoption de directives relatives à la mobilité des étudiants et à la circulation et au libre établissement des professionnels, ainsi que, pour les passeports, l’institutionnalisation d’un visa unique à la zone.
Les pays concernés demeurent souverains et n’ont pas l’obligation d’utiliser le franc CFA : certains pays l’ont d’ailleurs abandonné. De surcroît, des pays qui n’étaient pas des colonies françaises ont pu l’adopter.
Néanmoins, certaines critiques ont porté sur l’obligation pour ces pays de placer la moitié de leurs réserves de change sur un compte rémunéré de la Banque de France, même si ces réserves demeurent la propriété des États africains et si ces placements sont rémunérés.
Il est vrai, toutefois, que l’accord de coopération monétaire date de 1973 et qu’il n’a jamais évolué. L’ensemble des États membres de l’UMOA ont souhaité réformer leurs relations de coopération monétaire avec la France, pour aller vers plus d’intégration régionale et la création, à terme, d’une monnaie unique dans un ensemble plus large.
Cette démarche a abouti à un accord, conclu le 21 décembre 2019 entre le Président de la République française et le président de l’UMOA ; cet accord va de facto remplacer l’accord de coopération monétaire de 1973.
La mesure la plus symbolique en est la suppression du franc CFA, soixante-quinze ans après sa création, et son remplacement par l’eco.
Cet accord a donc une forte valeur symbolique et une charge historique, a fortiori dans le contexte de la présence militaire française dans la région.
Même si cet accord n’est pas présenté comme tel, il s’inscrit de facto dans l’approche « 3D » prônée par le Gouvernement dans cette région du monde : il s’agit de combiner défense, développement et diplomatie. La disparition du mot « franc » dans la dénomination de cette devise participe indéniablement de cette approche.
Le présent projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale le 10 décembre dernier, autorise l’approbation de ce nouvel accord de coopération entre la France et les huit États membres de l’UMOA. Cette nouvelle monnaie, l’eco, ne concerne donc que l’Afrique de l’Ouest ; le franc CFA de la Cémac n’est pas concerné à ce stade.
L’eco a cependant vocation à s’étendre au-delà des huit États membres actuels de l’UMOA, ceux-ci souhaitant l’extension progressive de cette union à d’autres pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Ladite communauté, créée en 1975, comprend sept autres États. La question de l’intégration du Nigéria à l’union monétaire est évidemment essentielle, ce pays pesant à lui seul 70 % du PIB de la sous-région ouest-africaine.
L’eco demeurera indexé sur le cours de l’euro, de manière à éviter toute spéculation sur la monnaie, ou encore une fuite des capitaux. La parité fixe et la garantie de convertibilité de la monnaie demeurent donc.
En revanche – il s’agit de la première évolution importante –, la BCEAO n’aura plus pour obligation de déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France ; elle sera donc désormais souveraine pour placer ses avoirs dans les actifs de son choix.
La seconde évolution majeure est que la France se retirera des instances de gouvernance de l’UMOA. Toutefois, ce retrait s’accompagnera de la mise en place de mécanismes ad hoc de dialogue et de surveillance des risques, la France demeurant le garant financier.
Pour limiter le risque d’appel de la garantie, la BCEAO devra envoyer régulièrement des informations techniques au gouvernement français et des réunions pourront être organisées en tant que de besoin.
De surcroît, en cas de crise, les autorités françaises devront être immédiatement associées aux mesures qui devront être prises ; si la situation le justifie, un représentant français pourra alors faire son retour au sein du comité de politique monétaire de la BCEAO, comme l’a rappelé notre rapporteur.
Le risque que cette dernière manque de disponibilités pour couvrir ses engagements en devises est cependant faible : en plus de soixante années d’existence, cette situation ne s’est présentée qu’une seule fois ; au cours des vingt-cinq dernières années, elle ne s’est jamais produite.
Pour toutes ces raisons, notre groupe ne s’opposera pas à cette évolution, souhaitée par toutes les parties prenantes, et suivra la position de sa commission des finances en votant ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. Je souhaite brièvement répondre à MM. Laurent et Gontard quant au fait que la commission des affaires étrangères n’a pas été saisie de ce texte. Il y a pour cela une bonne raison : aux termes du règlement du Sénat, la commission des finances est compétente pour les projets de loi d’approbation des conventions monétaires.
M. Pierre Laurent. Et pour avis ?
M. Jérôme Bascher, rapporteur. D’ailleurs, en 1973, c’est déjà notre commission des finances qui avait été chargée d’examiner le texte de ratification de l’accord que celui-ci vient remplacer. Feu Robert Schmitt, sénateur de Moselle, en avait été le rapporteur.
Il restait possible pour la commission des affaires étrangères de s’en saisir pour avis. J’ai consulté à ce propos M. Christian Cambon, son président, mais aussi M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, au vu des implications européennes de ce texte. Chacun d’entre eux m’a témoigné de l’inutilité, à ce stade, d’un tel examen par leurs commissions respectives.
Enfin, mon cher Pascal Savoldelli, je ne peux vous laisser dire que le président Ouattara a été mis au pouvoir, en 2011, par la force militaire. (M. Pascal Savoldelli s’exclame vivement.) C’est exactement l’inverse qui s’est passé. À l’instar d’un certain président américain battu qui ne voulait pas partir, le président ivoirien sortant de l’époque, qui avait été démocratiquement battu, avait eu recours à quelques forces militaires pour empêcher, après l’élection, laquelle s’était déroulée normalement, la prise du pouvoir par M. Ouattara. C’est pour cela que la France lui avait apporté son concours. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Savoldelli. Les élections avec un fusil dans le dos, ça va bien ! Moi, je ne voterai pas avec un fusil dans le dos.
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je me réjouis de la qualité de cette discussion et je remercie M. le rapporteur de la qualité de son rapport et de ses propositions. Néanmoins, permettez-moi de vous faire part de mon étonnement après avoir entendu certains orateurs.
Je suis surpris que certains parlent de l’« accord Ouattara-Macron ». Je trouve cela indigne à l’égard des autres chefs d’État de l’UMOA, car ce sont eux qui ont mandaté le président Ouattara pour ce travail de préparation. C’est indigne, car c’est ne respecter ni ces chefs d’État ni le fonctionnement de l’UMOA. Je regrette que de tels propos soient tenus au Sénat.
C’est indigne d’affirmer que tout cela s’est produit sous la houlette quasi dictatoriale du président Ouattara, alors que, je le rappelle à ceux qui ont tenu ces propos, cet accord majeur a été signé par le président du conseil des ministres des finances de l’UMOA, M. Romuald Wadagni, ministre béninois, en présence de l’ensemble des acteurs.
Quelle est donc cette menée politicienne visant un chef d’État particulier ? Les bras m’en tombent ! Au nom de quoi certains sénateurs se font-ils, d’une certaine manière, les porte-parole de la Cédéao, au motif que cette dernière aurait été dépossédée de ses prérogatives ? Comme vous le savez, la Cédéao s’est prononcée à trois reprises sur le sujet : au mois de décembre 2019, au mois de septembre 2020 et le 23 janvier dernier. À cette occasion d’ailleurs, elle a décidé d’attendre avant de mettre en œuvre les critères de convergence et de stabilité envisagés. Chaque fois, elle maintient l’accord sur l’eco. Je ne comprends donc pas sur quoi se fondent les positions de certains sénateurs.
Je quitte le terrain de la polémique – quand on provoque la polémique, il faut s’attendre automatiquement à des réponses – pour m’attarder maintenant sur le fond.
Au-delà du nom de cette monnaie, qui a été choisi par l’UMOA, l’essentiel, c’est la liberté d’affectation des réserves de change, laquelle est aujourd’hui entérinée. C’était le principal sujet de polémiques et de protestations et cela pouvait se comprendre ! Lors de la conférence de Ouagadougou, que j’ai évoquée, c’est ce sujet qui était ciblé. Ce point est résolu, ce qui se traduit par un accroissement de souveraineté.
De la même manière, le fait que la France apporte la garantie et la stabilité est aussi un élément de développement. Je rappelle à ceux qui ont émis des critiques sur la fixité des parités que les régions de l’UMOA et de la Cémac ont un taux d’inflation très significativement inférieur à celui d’autres régions n’ayant pas de parité fixe avec l’euro. L’inflation est ainsi inférieure à 3 % dans les pays concernés, contre 9 % pour les autres. En outre, contrairement à ce qui a été déclaré, la croissance est beaucoup plus forte depuis 2012 dans les pays ayant une fixité des parités que dans les autres. J’avoue donc ne pas bien comprendre les propos qui ont été tenus.
Pour conclure, comme l’ont souligné plusieurs intervenants, cet accord est certes un acte politique, mais il s’est accompagné d’un autre acte politique, que je souhaite ici rappeler.
Le 15 avril 2020, le Président de la République française, avec dix chefs d’État africains, a proposé un moratoire sur les intérêts de la dette, qui a été adopté, à la demande de la France, par le G20 et le Club de Paris. Il permet aux pays les moins avancés, en particulier aux pays africains, de mobiliser leurs ressources au regard de la crise sanitaire.
À juste titre, Pierre Laurent a fait référence à l’importance de la dette. Le poids de la dette est en grande partie dû à un certain nombre d’acteurs qui sont peu regardants sur le niveau d’endettement qu’ils provoquent dans les pays concernés ! C’est donc vers ceux-là qu’il faut d’abord se tourner pour que l’Afrique bénéficie de plus grandes facilités financières au moment de la relance économique, qui sera indispensable après la pandémie.
C’est encore sur l’initiative du Président de la République que se tiendra au mois de mai prochain, à Paris, une conférence sur le financement des économies africaines. Il s’agira de faire en sorte que, à la fin de la crise liée à la pandémie, l’Afrique puisse avoir une capacité de rebond significative, à laquelle, d’une manière directe, l’eco pourra contribuer.
Mme le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le gouvernement de la république française et les gouvernements des états membres de l’union monétaire ouest-africaine
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine, signé à Abidjan le 21 décembre 2019, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Je vais faire attention aux mots que j’emploie, tant il est vrai que nous évoquons un sujet délicat et que certains propos pourraient être interprétés. Je l’annonce d’emblée : je voterai ce texte. Néanmoins, je répéterai ce que j’ai déjà dit en commission des finances et j’émettrai une petite réserve.
Je comprends tout à fait que, cinquante ans après la décolonisation, ces pays aient envie de sortir du système du franc CFA. Certes, la mesure la plus emblématique, c’est le changement de nom de la monnaie, mais il n’y a pas que cela.
Je comprends aussi que ces pays aient besoin de garantir la solidité du nouveau système. Comment entendre mon collègue du groupe CRCE déclarer, lors de la discussion de la motion, que la France sortait par la porte, mais qu’elle rentrait par la fenêtre, alors que, en matière de contrôle, la situation nouvelle n’a absolument rien à voir avec la situation précédente ?
Ma réserve porte sur le point suivant. On va nous demander de garantir la solidité du système. Encore une fois, ces pays en ont besoin : on ne peut pas couper complètement les ponts et prendre le risque d’une dérive monétaire ou d’une hyperinflation, quand on sait ce que cela donne dans n’importe quel pays du monde ! L’hyperinflation, ce sont les plus pauvres qui en sont les premières victimes (M. le ministre acquiesce), ce ne sont pas seulement les grandes multinationales et les investisseurs : tout le monde y perd et les plus pauvres plus encore que les autres.
Je comprends que ces pays aient besoin que nous garantissions le système. Pour autant, nous le ferons au prix d’un contrôle qui sera très allégé.
M. Philippe Dallier. En effet, ce n’est qu’à partir du moment où il y aura le feu que nous interviendrons et que nous reviendrons à la table. Nous prenons un risque et j’espère que nous n’aurons pas à désigner le moment venu quelqu’un pour éteindre l’incendie.
Telle est la réserve que je souhaitais émettre. Je trouve les critiques de nos collègues communistes très sévères.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cette réforme est importante, mais elle a d’abord essentiellement valeur de symbole. C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, la manière dont elle a été annoncée tue un peu le projet ! Quelle que soit la réalité des mandats qui ont été donnés, dans la mesure où elle a été annoncée par le président Macron et le président Ouattara, elle est perçue de manière assez préoccupante.
Il est vrai que cette réforme est un acte de confiance de la France à l’égard de l’ensemble de cette zone monétaire, puisque, sans dépôt, notre pays continuera à garantir les taux de change.
Il est vrai aussi que, au cours de la dernière période, la garantie de taux de change a largement favorisé la croissance et les échanges et que les dépôts ont souvent été supérieurs aux obligations. C’était aussi l’intérêt des pays concernés.
Reste que la manière dont ce nouveau système a été annoncé est quelque peu problématique et justifie notre abstention.
L’Europe et l’Afrique devraient essayer de tirer le meilleur profit de leurs expériences respectives. L’Afrique de l’Ouest avait, avant l’Europe, une monnaie commune, laquelle n’a pas engendré d’intégration politique. Quand nous sommes passés à l’euro, nous aurions pu regarder ce qui ne s’était pas passé en Afrique de l’Ouest, alors qu’un certain nombre de pays avaient choisi une monnaie commune.
Aujourd’hui, alors que certains pays d’Afrique de l’Ouest et de la Cédéao cherchent à créer une monnaie commune à partir de l’économie du Nigéria, qui est beaucoup plus dominante dans la région que ne l’est l’économie allemande en Europe, ce qui posera problème, il est important qu’ils mesurent les difficultés que nous avons rencontrées dans la construction de l’euro, et ce d’autant qu’ils ont des difficultés propres : l’intégration et les échanges économiques ne sont pas les mêmes, la Cémac est récente et pas tout à fait mise en place. Ils auront à surmonter, avec cette nouvelle monnaie, les difficultés que nous avons eues pour créer l’euro.
Je le répète : l’Union européenne et les pays africains doivent mieux tirer les leçons de leurs expériences respectives : nous avons commis des erreurs et il serait bon qu’ils ne les commettent pas à leur tour. Il faut une perception fine de la démarche commune lorsque l’on se lance dans une intégration régionale.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le ministre, nous n’instrumentalisons pas les Africains !
Faire état des débats qui existent entre les pays africains de la zone est au contraire une marque de respect de notre part, car ce projet les concerne au premier chef.
À vous entendre, monsieur le ministre, dans les pays d’Afrique, une unanimité parfaite se dégage sur ce projet. Ce n’est pas la réalité et vous le savez comme moi ! Des débats ont lieu dans ces pays – il y en a eu sur le franc CFA et sur les projets qui devraient avoir lieu – et ils se poursuivront.
Pour notre part, nous faisons état de ces débats et des questions qui continueront à se poser, car le projet qui est aujourd’hui mis en place ne les résout pas. En effet, il n’ouvre pas l’ère nouvelle dont l’Afrique a besoin.
Cela ne va pas si mal, dites-vous : ces pays ont un taux de croissance de 2 %.
M. Pierre Laurent. De quoi parle-t-on sinon de pays pour lesquels l’enjeu est non seulement national, mais aussi mondial ? Quand allons-nous décider de sortir l’Afrique de la pauvreté dans laquelle elle est maintenue depuis des années ? Il ne s’agit pas de maintenir dans ces pays un taux de croissance de 2 %, dont on sait d’ailleurs qu’il ne profite qu’à une toute petite minorité.
Nous aurons l’occasion d’en reparler dans quelques semaines à l’occasion du débat sur le projet Barkhane : il faut changer d’échelle en matière de développement et créer à cet effet des instruments nouveaux. L’accord que l’on nous propose aujourd’hui ne le permettra pas ; voilà ce que nous disons.
Contrairement à ce que vous affirmez, cette réforme n’est pas un changement historique, elle n’est même pas l’avancée que l’on pourrait attendre dans un premier temps. Grosso modo, nous allons continuer avec les mêmes dispositifs, ce qui est loin de permettre de faire face aux énormes enjeux de développement qui sont devant nous tous, les Africains et l’ensemble des peuples du monde. Or l’avenir de l’Afrique est une question mondiale.
Mme le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je vous rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 60 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 263 |
Pour l’adoption | 241 |
Contre | 22 |
Le Sénat a adopté définitivement.
5
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à mardi 2 février 2021 :
À quatorze heures trente et le soir :
Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la bioéthique (texte de la commission n° 281 rectifié, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures quinze.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER