Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Ainsi que je l’ai dit précédemment, nous regrettons comme vous, madame Cukierman, d’avoir à travailler sur un code de la justice pénale des mineurs et non pas sur un code de l’enfance. Comme vous également, nous regrettons que ce soit une loi de ratification qui nous soit soumise ce soir, car cela veut dire que le travail parlementaire a été court-circuité.
Maintenant la loi de ratification est là. Nous pourrions certes défendre une position jusqu’au-boutiste et nous y opposer, mais, au fond, nous pensons vraiment, comme nous l’avons dit, que ce projet de loi est un bon texte. Les avancées qu’il contient permettront à la justice pénale de répondre plus vite à la problématique des mineurs délinquants, qui, aujourd’hui, faute de réponse rapide, sont entraînés dans une spirale de la délinquance.
Je le répète, nous pensons que c’est un bon texte et que, grâce aux améliorations apportées par le débat parlementaire, ce projet de loi peut devenir un très bon texte. C’est la raison pour laquelle notre avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je me suis déjà longuement expliqué sur ce point. Sans surprise, le Gouvernement est défavorable à l’amendement que vous avez présenté, madame la sénatrice.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.
Mme Laurence Harribey. Nous ne voterons pas cet amendement, parce que nous pensons que le débat est nécessaire. Cela ne signifie pas que, pour nous, ce soit un bon ou un très bon texte, au contraire ! Nous estimons que le débat peut apporter un certain nombre de clarifications.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Un enfant ou un adolescent s’entend de tout être humain, âgé de moins de dix-huit ans. »
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Au-delà de la symbolique – cet amendement fait également suite à votre réponse à l’Assemblée nationale, monsieur le garde des sceaux –, nous voulons choisir le terme le plus adapté. Nous préférons donc celui d’enfant à celui de mineur.
Nous ne souhaitons pas tout réécrire, mais rappeler, par notre définition, qu’une personne de moins de 18 ans est un enfant à part entière. Nous pensons que le choix des mots est important : un mineur n’est pas une sorte de mini-majeur, mais d’abord un enfant auquel sont attachés des droits particuliers et qui doit donc faire l’objet d’une protection particulière. C’est d’ailleurs le sens de nombreux textes fondateurs qui consacrent les droits de l’enfant.
Tout enfant en conflit avec la loi est un enfant en danger. La justice pénale des mineurs ne devrait être considérée que comme une modalité de la protection de l’enfance. Tel est le sens de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous adhérons à l’idée que la justice pénale des mineurs doit être une justice humaine. Néanmoins, la notion de minorité, et en creux celle de la majorité à l’âge de 18 ans, est clairement définie à l’article 388 du code civil. Ajouter une définition différente viendrait complexifier les choses et serait redondant. Nous demandons donc le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice, nous écrivons la loi. Nous savons ce qu’est un mineur ; en revanche, il n’y a pas de définition précise, juridique, des termes « enfant » et « adolescent ». Vous préférez ces deux derniers termes ; quant à nous, nous préférons celui de « mineur », qui est plus clair. L’avis est défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er bis A (nouveau)
À la fin de l’article 9 de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs, la date : « 31 mars 2021 » est remplacée par la date : « 30 septembre 2021 ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 5 est présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 49 est présenté par M. Sueur, Mme Harribey, M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Remplacer la date :
30 septembre 2021
par la date :
31 mars 2022
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 5.
Mme Cécile Cukierman. Je ne vais pas allonger le débat, car j’ai déjà évoqué la question du délai dans la discussion générale.
Monsieur le garde des sceaux, les parlementaires ne sont pas les seuls à vous le dire : l’ensemble du système judiciaire – vous le savez mieux que nous – se dit aujourd’hui dans l’incapacité de mettre en œuvre concrètement la réforme le 31 mars prochain. Mme la rapporteure a proposé de la reporter de six mois. Nous nous en contenterons comme solution de repli, mais nous pensons qu’un report d’un an ne serait pas de trop, ne serait-ce que pour éviter – parce que nous sommes dans une situation particulière – la superposition d’instructions version « ordonnance de 1945 » et version « texte dont nous débattons ».
Rappelons que l’année 2020 a été marquée par l’engorgement de nombreuses juridictions, en raison notamment d’un début de l’année ralenti par la mobilisation d’un nombre non négligeable d’avocats dénonçant la réforme des retraites, puis par le confinement et les conséquences de la crise sanitaire que nous traversons. Nous pensons donc qu’un délai d’un an permettrait a minima un premier désengorgement, avant un retour à la normale, même si toute réforme doit être mise en œuvre à une certaine date et qu’il existe toujours un temps de chevauchement entre un ancien système et un nouveau système.
Pour une plus grande clarté de la justice des mineurs qui sera rendue demain, nous estimons nécessaire – j’y insiste – de prévoir un délai supplémentaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 49.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est parce que nous voulons que la réforme réussisse, même si nous avons des critiques, parfois lourdes, sur le texte qui nous est présenté, que nous demandons, comme l’a fait Mme Cukierman, que l’application du texte soit reportée d’un an.
Mme Maryse Carrère, que nous avons écoutée avec attention précédemment, écrivait dans son avis relatif à la protection judiciaire de la jeunesse, établi au nom de la commission des lois, sur la loi de finances pour 2021 : « La commission des lois avait constaté […] que tant les juridictions pour mineurs que les services de la protection judiciaire de la jeunesse ne seraient pas prêts à mettre en œuvre la réforme à la date initialement prévue. Les développements informatiques ont également pris du retard, de même que le travail de formation des personnels qui doit précéder l’application de la réforme. […] Le risque d’une mise en œuvre plus formelle que pratique de la réforme et d’importants temps de transition au cours de l’année 2021 paraît donc réel. » Je cite simplement le rapport de notre collègue, qui a été adopté par l’ensemble de la commission.
J’ajoute, monsieur le garde des sceaux, que nous avons reçu les représentants des magistrats, des avocats, des éducateurs spécialisés, des SPIP et de la PJJ : ils nous disent tous qu’il faut du temps pour mettre en œuvre cette réforme.
Nous voyons ce qui se passe : le recours à l’ordonnance, la procédure accélérée – plus aucun texte, mis à part celui sur la bioéthique, n’a droit à la procédure normale, qui devrait pourtant être en vigueur pour un texte comme celui-là –, la précipitation avec laquelle les textes d’application sont parus avant même le vote du projet de loi… Si nous défendons cet amendement, ce n’est pas du tout contre la réforme : c’est pour que celle-ci soit efficace.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous avons émis des réserves sur une entrée en vigueur de la réforme le 31 mars prochain. C’est pourquoi nous l’avons reportée de six mois. Prévoir un report d’un an ne servirait pas la réforme : au contraire, cela démobiliserait les acteurs, ce qui n’est pas le but. L’avis est donc défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice Cukierman, vous avez essayé de supprimer l’article. N’y étant pas parvenue, vous essayez le dilatoire…
Mme Cécile Cukierman. Pfft !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’ai déjà dit dans mon discours liminaire que je n’étais pas insensible au délai envisagé par la commission des lois, mais, à la vérité, pour des raisons différentes. Je vais m’expliquer une fois pour toutes sur cette question, ce qui me permettra également de vous répondre, monsieur le sénateur Sueur.
Vous ne pensez tout de même pas que nous avons préparé cette réforme dans le but qu’elle ne fonctionne pas. Accordez-nous au moins cela au nom d’un minimum de cohérence !
Je veux également dire ici que c’est non pas la DACG (direction des affaires criminelles et des grâces) qui porte ce texte, mais la DPJJ, qui est composée de professionnels de la justice pour mineurs impliqués, comme ils le démontrent chaque jour – qu’il me soit permis de leur rendre ici hommage.
Nous avons fait expertiser par les services – l’inspection générale de la justice –, à ma demande, le niveau de préparation des juridictions pour mettre en œuvre cette réforme, dont on peut s’accorder à dire que c’est une bonne réforme. Les services nous ont répondu que dix juridictions connaissaient des fragilités. Nous les avons traitées. Je ne vais pas répéter ici quels moyens humains nous avons déployés pour régler ces questions, mais nous l’avons fait.
J’avais la certitude que cette réforme pourrait entrer en application à la date que nous avions envisagée. Seulement, voilà, la réalité, c’est que le texte a été, comme vous le savez, modifié pour faire intervenir le JLD. J’ai consenti à cela pour des raisons qui tiennent à l’impartialité. Nous avons eu cette discussion devant la Haute Assemblée, et j’y reviendrai le moment venu. Nous nous sommes rendu compte le 15 janvier dernier, et pas avant, qu’il y aurait une difficulté dans les applicatifs, en raison de « l’intrusion » – pardonnez-moi ce terme – du JLD dans la procédure.
J’ai déjà eu l’honneur de le dire à Mme la rapporteure : effectivement, nous faisons une concession en reportant la date, et ce n’est pas, comme vous le dites, madame Cukierman, en raison de l’impréparation des juridictions. M. Sueur a évoqué les représentants des magistrats ; un certain nombre de magistrats m’ont dit qu’ils étaient parfaitement prêts. Je le répète, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse m’a dit la même chose. J’ai tendance à croire mes services !
En revanche, s’agissant de cette difficulté inhérente à l’introduction du JLD dans la procédure, nous nous sommes retrouvés confrontés à une réalité. J’ai dit et redit dans mon discours que nous étions d’accord pour un report, mais pour un report qui ne nous amène pas aux calendes grecques. Il faut que la réforme prenne corps et qu’elle soit applicable.
Nous sommes en train de régler la question du JLD, et je retiens la date qui a été proposée comme tout à fait réaliste. Voilà pour quelles raisons je suis totalement défavorable aux deux amendements qui ont été présentés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le garde des sceaux, nous allons passer au minimum deux soirées à débattre de ce projet de loi. Pour éviter une certaine méconnaissance l’un de l’autre, je préfère tout de suite vous prévenir : je ne suis pas marchande de tapis, mais sénatrice. Je ne cherche pas à faire passer un amendement à un article parce que je n’aurais pas eu satisfaction à l’article précédent. J’ai un engagement politique et je suis constante – c’est cela la démocratie !
Je l’ai déjà dit, notre groupe est opposé, pas plus sur votre texte que sur un autre, au recours aux ordonnances, qui est de plus en plus systématique, non seulement par votre gouvernement, mais aussi par tous les gouvernements successifs, d’où notre amendement de suppression de l’article 1er.
Si nous proposons, avec l’amendement n° 5, un report de la réforme, ce n’est pas parce que nous n’avons pas eu satisfaction précédemment. Être élu, c’est représenter. Quand un projet de loi comme celui dont nous discutons aujourd’hui arrive avec toute l’ambition qui lui est donnée, les uns et les autres, nous auditionnons, rencontrons, échangeons, téléphonons, recevons des courriers… Pour défendre nos projets de société, qui ne sont pas les mêmes que les vôtres – il en va ainsi en démocratie –, nous nous appuyons sur tel ou tel organisme, collectif d’associations, groupement professionnel, organisation syndicale, etc. Nous ne nous appuyons évidemment pas toutes et tous sur les mêmes.
Vous savez tout aussi bien que moi, et même mieux, qu’il y a aujourd’hui un débat chez un certain nombre de professionnels de la justice quant à la faisabilité de l’application de la réforme. Par ailleurs, nous savons – en tant que parlementaires, nous n’avons pas découvert la problématique de la justice ce matin – qu’il y a des retards, notamment dans le domaine informatique, et des engorgements. Je ne jette la pierre à personne, l’année 2020 a été ce qu’elle a été. Il y a eu aussi, pendant des années, des retards en termes de personnels et de moyens, ce qui a alourdi les procédures, qui prennent aujourd’hui plus de temps que nécessaire.
Je le redis, si nous avons déposé cet amendement, ce n’est pas parce que nous n’avons pas eu satisfaction sur le précédent. Même si vous refusez celui-ci, nous en avons encore une vingtaine dont nous débattrons pour continuer le débat, car le texte le mérite.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 49.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er bis A.
(L’article 1er bis A est adopté.)
Article 1er bis
(Non modifié)
À l’article préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, après le mot : « compte », sont insérés les mots : « , dans leur intérêt supérieur, ». – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er bis
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 24 rectifié, présenté par Mme Harribey, MM. Sueur et Durain, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Bourgi, Marie, Leconte, Kerrouche, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, les mots : « rechercher leur relèvement éducatif et moral » sont remplacés par les mots : « garantir le droit à l’éducation ».
La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Le principe fondamental de l’ordonnance de 1945 – la primauté de l’éducatif – est réaffirmé dans ce texte. Reste qu’il est surprenant d’y maintenir l’expression « rechercher leur relèvement éducatif et moral ».
On fait le reproche à l’ordonnance de 1945 d’être quelque peu obsolète – le mot « admonestation », par exemple, a été remplacé par « avertissement solennel ». Or le terme « relèvement » renvoie à une conception du redressement qui est, elle aussi, quelque peu obsolète. C’est la raison pour laquelle nous proposons cette modification rédactionnelle.
Mme la présidente. L’amendement n° 63 rectifié, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, les mots : « rechercher leur relèvement éducatif et moral par des mesures » sont remplacés par les mots : « recourir prioritairement à des mesures éducatives ».
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Selon des études scientifiques, la délinquance juvénile n’a pas augmenté depuis quinze ans. Pourtant, le nombre d’enfants privés de liberté n’a jamais été aussi élevé en France que depuis ces deux dernières années.
Plutôt que d’être révisée dans un sens plus coercitif, la justice des mineurs mériterait surtout, au-delà de moyens supplémentaires, de revenir à son sens initial : une justice spécifique qui comprend et traite des situations particulières de délinquance juvénile plutôt que de chercher systématiquement à réprimer.
Le présent amendement vise ainsi à consacrer dans l’article préliminaire la primauté du recours aux mesures éducatives. La rédaction actuelle de cet article n’est pas suffisamment explicite à ce sujet. L’ordonnance de 1945 ne doit pas être réformée sans retour à une philosophie bienveillante, comme l’ont affirmé une cinquantaine de spécialistes dans une tribune parue dans Le Monde le 12 février 2019.
Voilà pourquoi il nous paraît primordial que la primauté des mesures éducatives soit inscrite dans cet article préliminaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. On pourrait penser que la formule « relèvement éducatif et moral » est un peu désuète. Je pense, au contraire, qu’elle est porteuse d’avenir. Le jeune qui est un mineur délinquant a toute la vie devant lui. C’est pourquoi on lui fixe des objectifs : apprendre les règles individuelles et collectives de la vie en société, ce à quoi renvoie cette notion, peut-être ancienne mais toujours utile, de relèvement moral.
« Garantir le droit à l’éducation » me paraît quelque peu réducteur. Certes, la notion de droit à l’éducation est consacrée dans les conventions internationales, mais elle concerne avant tout l’enseignement. L’objectif d’une justice pénale des mineurs et de l’accompagnement éducatif des jeunes est plutôt de leur donner, au-delà de l’éducation, la capacité d’intégration et de respect des règles de la vie en société. J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 24 rectifié.
Avec votre amendement n° 63 rectifié, il me semble, madame Benbassa, que vous confondez les moyens et le but. Le relèvement éducatif et moral, c’est le but, ce vers quoi il faut tendre pour une justice pénale des mineurs adaptée ; les mesures éducatives, ce sont les moyens pour atteindre ce but. L’avis est donc également défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Même avis que ceux exprimés par Mme la rapporteure, pour les mêmes raisons.
« Garantir le droit à l’éducation » est une expression redondante, car ce droit est déjà garanti aux enfants.
On peut considérer que la formule « relèvement éducatif et moral » est un peu obsolète, mais c’est le but des mesures éducatives et parfois des mesures punitives. Quand un gamin est délinquant, cela signifie qu’il y a un certain nombre de failles auxquelles il est de notre devoir de remédier.
Mme la présidente. L’amendement n° 47 rectifié, présenté par M. Sueur, Mme Harribey, M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le parquet, eu égard aux faits et à la personnalité du jeune, prend les mesures d’assistance éducative qui s’imposent ou s’assure auprès des autorités territoriales qu’un suivi social est mis en place. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à s’inscrire pleinement dans l’esprit, la lettre et le fond de l’article 40 de la convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire, qui déjudiciarise autant que faire se peut les réponses apportées à l’enfant en conflit avec la loi.
On le sait, la convention internationale des droits de l’enfant exige que les États adoptent un seuil d’âge en dessous duquel un enfant ne peut pas être tenu pour délinquant. Jusqu’ici, le droit français ne s’est pas engagé dans cette voie ; de ce fait, on renvoie aux grands principes du droit pénal, selon lesquels, pour que la responsabilité d’un enfant soit engagée, celui-ci doit jouir du discernement au moment des faits, ce qui était habituellement estimé à 7 ou 8 ans ; un enfant de cet âge-là peut donc se voir imputer une infraction.
Selon l’ordonnance du 19 septembre 2019, un enfant ne peut pas, avant 13 ans, être tenu pour délinquant, faute de jouir de son discernement – c’est un changement réel –, mais cette ordonnance ouvre la possibilité, pour le parquet, d’apporter la preuve contraire, sous le contrôle du juge. C’est un point important de désaccord entre nous, par rapport au texte qui nous est proposé.
Cette disposition introduit indéniablement une avancée, puisqu’il reviendra au parquet de tenter d’apporter cette preuve alors que, aujourd’hui, la question n’est qu’exceptionnellement posée ; pour autant, il ne s’agit que d’une présomption relative. Par conséquent, la France ne répond toujours pas aux attentes du comité des experts de l’ONU, non plus qu’aux termes ni à l’esprit de la convention internationale des droits de l’enfant.
Je pense que nous aurons l’occasion de revenir, à la faveur d’autres amendements, sur ce point central pour nous.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La primauté de l’éducatif sur le répressif est un principe fondamental, cardinal, de la justice pénale des mineurs. L’inscrire dans les premiers articles du code serait redondant ; nous n’en voyons donc pas l’utilité.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 25 rectifié, présenté par Mme Harribey, M. Sueur, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner, Bourgi, Marie, Leconte, Kerrouche, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article L. 11-2 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, les mots : « relèvement éducatif et moral » sont remplacés par les mots : « garantir le droit à l’éducation ».
La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Dans la mesure où mon amendement précédent n’a pas été adopté, celui-ci n’a plus d’objet. En conséquence, je le retire.
Mme la présidente. L’amendement n° 25 rectifié est retiré.
Article 1er ter A (nouveau)
L’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Est capable de discernement le mineur dont la maturité lui permet de comprendre l’acte qui lui est reproché et sa portée. »
Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 62 rectifié, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le second alinéa de l’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est ainsi rédigé :
« Les mineurs de moins de quatorze ans ne sont pas responsables pénalement des actes qu’ils ont pu commettre. Ils ne peuvent faire l’objet que de mesures d’assistance éducative. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent amendement a pour objet d’instaurer une présomption irréfragable d’irresponsabilité pénale pour les mineurs de moins de 14 ans.
Dans sa rédaction actuelle, le code de la justice pénale des mineurs pose le principe d’une présomption simple de non-discernement pour les enfants de moins de 13 ans, que le magistrat peut facilement écarter. Or, avec une telle rédaction, la France demeure en contradiction avec la convention internationale des droits de l’enfant, qui recommande aux États de fixer un seuil clair d’accessibilité à la sanction pénale. Il convient de tenir compte de la maturité émotionnelle, mentale et intellectuelle de l’enfant, dont la personnalité est en construction.
Ainsi, au travers de cet amendement, nous proposons de retenir le seuil de 14 ans, déjà appliqué dans plusieurs pays européens, comme l’Espagne, l’Allemagne ou l’Italie.