Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’ordonnance de 1945 sur la justice pénale applicable aux mineurs a fait l’objet de près de quarante modifications au cours de son histoire. Au fondement du droit pénal spécifique aux mineurs se trouve l’idée centrale de discernement, de même que l’importance de travailler à remettre le mineur dans le droit chemin.
Malgré les nombreuses modifications que j’ai évoquées, un principe a toujours guidé la réponse pénale que notre pays applique aux mineurs délinquants : favoriser les mesures éducatives lorsqu’il est possible d’éviter le recours à des mesures répressives. Il me semble que nous nous retrouvons tous autour de cette philosophie, centrée sur la nécessité d’assurer l’insertion ou la réinsertion de ces jeunes.
La réforme que nous examinons aujourd’hui est nécessaire. Nous aurions néanmoins souhaité qu’elle soit menée dans un contexte plus apaisé. Le recours à une ordonnance, qui plus est en procédure accélérée, contraint légèrement le débat parlementaire. Cette réforme doit néanmoins se faire, non seulement pour permettre à la France de respecter ses engagements internationaux, mais aussi pour rendre cette justice plus efficace et plus juste.
Notre groupe soutient l’extension de la spécialisation des juridictions pour mineurs. Ces derniers ne sont pas des justiciables comme les autres, et les magistrats en charge doivent donc avoir une connaissance fine et spécifique de ces affaires. La commission des lois a encore accru cette spécialisation en renforçant la compétence du juge des enfants.
Cette spécialisation ne dispense pas du respect des conditions du procès équitable. Nous nous réjouissons que la phase de mise en examen soit supprimée et que la procédure satisfasse maintenant pleinement au principe d’impartialité. C’était indispensable.
Nous nous félicitons aussi que les mineurs entendus dans le cadre de l’audition libre soient désormais accompagnés d’un avocat, comme c’est le cas pour les majeurs.
Les mineurs doivent bénéficier d’une protection renforcée. C’est pourquoi nous soutenons également l’interdiction de principe du recours à la visioconférence pour les audiences concernant leur détention provisoire.
En plus d’une justice équitable, les mineurs ont besoin d’une justice rapide. C’est un point crucial pour l’ensemble des justiciables français, mais il l’est encore plus pour nos jeunes. Nous saluons donc l’objectif de réduction des délais de la justice pénale des mineurs. Il est important que le jugement d’un mineur puisse intervenir rapidement et, si possible, évidemment, avant sa majorité.
Au-delà de l’amélioration de la célérité de la procédure, nous saluons aussi sa simplification. La décomposition en quatre modules de la mesure éducative judiciaire provisoire apporte une utile clarté et permet de prononcer la mesure la plus adaptée possible à la personnalité du mineur.
Se pose néanmoins la question de l’entrée en vigueur de cette réforme nécessaire et attendue. Suivant l’excellent travail de notre rapporteur Agnès Canayer, la commission des lois a reporté la date de son application du 31 mars au 30 septembre 2021. L’objectif de ce report est de permettre aux services de finaliser les préparatifs en vue d’une application de la réforme dans les meilleures conditions possible.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre groupe Les Indépendants soutiendra l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, songeons un instant à cette phrase écrite dans le préambule de l’ordonnance du 2 février 1945 : « La France n’est pas assez riche de ses enfants pour en négliger un seul. » Gardons-la à l’esprit alors que nous débattons aujourd’hui de ce projet de réforme. À la lecture de ces mots, il est difficile de douter de la philosophie initiale, claire, qui présidait au texte fondateur de la justice pénale des mineurs.
Au-delà de la sanction, cette justice spécifique vient protéger les mineurs d’eux-mêmes, de leur immaturité et de leur méconnaissance des nombreux pièges et embûches de nos sociétés modernes, des maux contre lesquels leur jeune âge ne les prémunit pas toujours, mais auxquels il tend au contraire plutôt à les exposer.
Il s’agit aussi d’une justice bâtisseuse et non punitive, qui, parce qu’elle prend en charge des personnes naturellement en pleine construction, repose sur le principe fondateur de la primauté de l’éducatif sur le répressif.
Ce projet de réforme par ordonnance, quarantième modification législative en la matière, a été engagé par le Gouvernement en mars 2019. Il se donnait pour objectif de construire « une justice pénale des mineurs plus lisible et efficace ». Cet objectif n’est apparemment pas atteint.
Les syndicats de magistrats et les chefs de juridiction vous avaient alerté, monsieur le garde des sceaux : le délai prévu avant l’entrée en vigueur de la loi, fin mars au mieux, était bien trop court pour permettre la mise en place de la réforme dans de bonnes conditions. Vous vous êtes prononcé en faveur du report du délai d’application au 30 septembre 2021, introduit par la commission des lois. Dont acte !
Ce projet de loi met non seulement l’accent sur le répressif, mais il s’engouffre aussi dans le rapprochement problématique entre la justice des mineurs et celle des majeurs. À cet égard, certaines dispositions nous interpellent.
Nous demandons la suppression de l’article L. 121-7 du code de la justice pénale des mineurs, qui prévoit une exception à l’excuse de minorité, ainsi que celle de l’article L. 413-1, qui prévoit la retenue par un officier de police judiciaire, pour une durée allant jusqu’à douze heures, d’un mineur âgé de 10 à 13 ans.
Le texte gouvernemental ne prévoit qu’une présomption simple, à savoir que le juge des enfants pourra, à l’issue d’un débat contradictoire, déclarer un mineur de moins de 13 ans responsable s’il a fait preuve de discernement au moment des faits. C’est inacceptable, juridiquement et moralement.
Nous proposons que la présomption d’irresponsabilité s’appliquant à ces enfants soit irréfragable et que le seuil de 14 ans, déjà appliqué dans plusieurs pays européens, soit retenu en France. Ajoutons que la convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU prévoit un seuil d’irresponsabilité pénale, qui n’a jamais été mis en place en France.
Enfin, nous refusons l’application du principe de la surveillance électronique, ou bracelet électronique, au mineur.
Plutôt que d’être coercitive, la justice des mineurs a surtout besoin de moyens.
Ce texte est loin de nous satisfaire. Nous tenterons de l’amender, espérant qu’une bonne réforme de la justice pénale des mineurs soit encore possible. Si nous n’y parvenons pas, nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945, à laquelle se substitue le code dont nous examinons le projet aujourd’hui, énonçait que « la question de l’enfance coupable est l’une des plus urgentes de l’époque ». Bien sûr, ces mots sont l’expression d’un contexte particulier, que nous avons encore tous à l’esprit. Il me semble toutefois qu’ils conservent leur plein sens aujourd’hui.
À leur lecture m’arrive avec gravité l’image de mon département, marqué depuis plusieurs mois par des attaques de groupes de jeunes armés. Mayotte a de nouveau été ébranlée ce week-end par le meurtre de trois personnes, dont deux enfants âgés de 14 et 16 ans, paroxysme d’affrontements tristement répétés qui concernent des mineurs et qui ne cessent de rappeler l’impérieuse nécessité d’une célérité de la réponse pénale, laquelle motive également la création du présent code.
L’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945 affirmait également la gravité des problèmes relatifs à « l’enfance traduite en justice ». Je crois que cette formule donne bien à voir le cœur des débats qui nous réunissent aujourd’hui. Elle peut tout autant renvoyer, dans son sens littéral, à une justice qui s’adapte à l’enfant justiciable en se spécialisant qu’au relèvement et à l’évolution possible de l’enfant dans et par la procédure judiciaire. Cette formule condense bien, finalement, les principaux axes de la réforme, fruit de plus de dix années de travaux et de concertations.
La réaffirmation des grands principes de la justice pénale des mineurs, énoncés en 1945 et consacrés par le Conseil constitutionnel, nous semble bienvenue. Fragilisés par près de quarante réformes successives, qui ont rendu la législation peu lisible, ces principes sont déclinés au sein d’un article et d’un titre préliminaires.
Afin de se conformer aux engagements internationaux, le code introduit en outre utilement une présomption simple de non-discernement au-dessous de 13 ans. Cette disposition permettra que le débat sur le discernement du mineur puisse se tenir effectivement.
Je pense également à la simplification de la procédure par la suppression de la phase d’instruction préalable par le juge des enfants, qui n’était pas limitée dans le temps.
La nouvelle procédure de mise à l’épreuve éducative, au terme de laquelle la césure du procès deviendra le principe, permettra d’accélérer la réponse pénale, dont la durée moyenne – dix-huit mois – est actuellement trop longue. Elle permettra également de renforcer le « sens » de cette réponse pour tous les acteurs en présence. Ce terme, marqueur important de la réforme, n’est pas un vain mot ni une incantation teintée d’idéalisme ou de laxisme. Il constitue au contraire le vecteur des perspectives de réinsertion du mineur, qui saisira mieux la portée de mesures éducatives fondées sur une déclaration de culpabilité et intervenant avant le prononcé d’une sanction. De son côté, la victime sera désormais convoquée dès la première audience, pour qu’il soit statué plus rapidement sur son indemnisation.
Je pense enfin à l’encadrement du recours à la détention provisoire du mineur et à la rationalisation des mesures éducatives, rassemblées en une mesure éducative judiciaire unique qui pourra être prononcée aux différents stades de la procédure.
Ces deux apports marquent bien la nécessité de la réponse pénale et du relèvement éducatif du mineur, qui constituent un défi pour l’ensemble de notre société.
Madame la rapporteure, je veux saluer votre travail et votre approche de ce texte.
Sur le fond, vos propositions s’inscrivent pleinement dans l’esprit précité et prolongent les travaux entrepris depuis la commission Varinard jusqu’à l’ordonnance présentée le 11 septembre 2019 par Mme Nicole Belloubet.
Vous avez ainsi maintenu la majorité des apports de l’Assemblée nationale, tels que la référence à l’intérêt du mineur dans l’article préliminaire, le renforcement des garanties dans le cadre de l’audition libre, l’interdiction du recours à la visioconférence pour statuer sur le placement en détention provisoire ou encore la simplification du cumul des mesures éducatives et des peines pour garantir leur adaptation. Certaines de ces modifications bienvenues sont également portées par M. le garde des sceaux, ce que je veux également saluer.
Vous avez en outre enrichi le texte, en précisant notamment qu’une date de mise en place des mesures éducatives devrait être communiquée à l’issue de l’audience de culpabilité, ou encore en proposant une définition de la notion de discernement.
Bien sûr, certains points de discussion demeurent. Je pense notamment à la compétence du tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes ou à celle du juge des libertés et de la détention pour le placement en détention provisoire avant l’audience de culpabilité.
Ces discussions vont se poursuivre ce soir, mais force est de constater que les principaux apports de la réforme, qui ont été largement approuvés par l’autre chambre, sont bien présents dans le texte que nous examinons. Le groupe RDPI, saluant à nouveau l’approche retenue et espérant vivement qu’un accord sera trouvé entre les deux assemblées sur cette réforme attendue, votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaite pour commencer apporter tout le soutien du groupe du RDSE à notre collègue Annick Billon, qui a fait l’objet ces derniers jours d’un traitement absolument injustifié et injustifiable dans les médias et sur les réseaux sociaux. (Applaudissements.) Le texte dont elle est l’auteure marque une avancée juridique incontestable ; nous l’avons tous voté, et les polémiques regrettables ne nous empêcheront pas de poursuivre avec elle notre travail pour la protection des enfants.
La tragédie de la petite Évaëlle, qui avait 10 ans lorsqu’elle a mis fin à ses jours après avoir été harcelée par ses camarades, ou le lynchage du jeune Yuriy, qui nous a tous émus ces derniers jours, résonnent en nous au moment de l’examen de ce projet de loi. Ces actes viennent nous rappeler que l’enfance n’est pas toujours synonyme d’insouciance et que les victimes, même si les coupables sont mineurs, ont droit à une réparation. À cette nécessaire réparation font écho nombre d’interrogations sur le chemin que nous voulons pour nos enfants, les sanctions que nous devons apporter à leurs fautes, mais également la manière d’éviter que certains ne récidivent et ne plongent dans la délinquance.
Ces nombreuses questions auraient mérité que nous en débattions plus longuement et plus largement que dans le cadre permis par la législation par ordonnance.
L’ordonnance du 2 février 1945 a longtemps répondu aux interrogations que je partageais à l’instant. Les principes cardinaux qu’elle pose – spécialisation des juridictions, recours a minima à la privation de liberté, atténuation de responsabilité par rapport aux majeurs – ne sauraient être contestés. Toutefois, au gré des réformes, mais aussi de l’évolution de la société, elle devait être modifiée et clarifiée. À ce titre, l’instauration d’une césure, dont l’objectif est de raccourcir les délais entre le prononcé d’une peine et son application, est bienvenue. Combien d’exemples avons-nous de jeunes sanctionnés après leur majorité ? Au mieux, certains sont déjà sortis de la délinquance ; au pire, ils y ont sombré faute de mesures éducatives prises assez tôt. Pour être efficace, ce système de double audience, l’une d’examen de culpabilité, l’autre de sanction, devra s’accompagner de moyens. J’aurai l’occasion d’y revenir.
Je suis en revanche plus partagée sur l’audience unique. Bien qu’elle soit très encadrée, ma crainte est de voir cette procédure, censée être un outil d’exception, se généraliser. Selon la directrice de la PJJ, ce sont près de 20 % des dossiers qui pourraient être traités en audience unique, ce qui viendrait mettre à mal le principe de spécialisation des juridictions.
Pour en venir à la sanction et à la notion de discernement, la fixation d’un seuil s’apparente toujours à un jeu d’équilibriste, tant un même âge peut recouvrir des réalités et une maturité différentes.
La fixation à 13 ans de l’âge de discernement nous permettra de remplir nos obligations à l’égard de la convention internationale des droits de l’enfant. Le fait que les présomptions de discernement comme de non-discernement ne soient pas irréfragables permet d’éviter les effets de seuil et laisse toute latitude au juge de les renverser si la situation l’exige.
S’agissant des sanctions prévues par ce code de la justice pénale des mineurs, je regrette que l’accent soit davantage mis sur la privation de liberté que sur les mesures éducatives. Les centres éducatifs fermés sont une solution, mais ils ne peuvent être l’alpha et l’oméga de la réponse juridique que nous apportons à nos jeunes délinquants. Si beaucoup d’entre eux sont très mobilisés sur les mesures éducatives, ce n’est pas le cas partout, monsieur le garde des sceaux, et il nous faut garder à l’esprit le principe du recours a minima à la privation de liberté.
Pour conclure, je dirai que l’on peut écrire de bonnes lois, mais, si la pratique est défaillante, l’effort sera vain. C’est pourquoi nous sommes favorables à un report de l’entrée en vigueur de ce texte au 30 septembre 2021, comme le propose Mme la rapporteure, ce qui semble beaucoup plus réaliste.
Pour que ce texte soit bien appliqué, il faudra inévitablement davantage de greffiers, de magistrats et, donc, davantage de moyens pour la justice de notre pays. La récente hausse de 8 % du budget global semble aller en ce sens. Toutefois, en ma qualité de rapporteure pour avis du budget de la PJJ, je rappellerai que les budgets consacrés à la formation y sont en baisse, ce qui suscite des interrogations sur la mise en place de la réforme.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, malgré toutes ces réserves, la majorité du groupe du RDSE votera ce texte, tout en gardant un œil très attentif sur sa mise en œuvre à l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en reprenant le texte original de l’ordonnance de 1945 pour préparer cette intervention, je lisais, dans le rapport de présentation signé du général de Gaulle, la phrase suivante : « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’on en perde un seul. » Il est bon de garder cette inspiration des auteurs de l’ordonnance de 1945 dans une période si difficile.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Philippe Bas. La situation de la délinquance des mineurs reste inquiétante. En 2018, on a dénombré 9 200 condamnations pour agression, dont 110 homicides ou blessures involontaires, 200 viols, 6 400 coups et violences volontaires. On a enregistré par ailleurs 23 000 condamnations pour atteintes aux biens et 5 600 condamnations pour trafic de stupéfiants.
La part des mineurs dans la délinquance semble pourtant avoir diminué au cours des vingt dernières années, passant de 22 % à 18 % des mis en cause. Elle demeure toutefois à un niveau beaucoup trop élevé, comme les chiffres que je viens de citer en attestent.
Les principes de l’ordonnance de 1945, notamment la primauté de l’éducation sur la répression, demeurent pertinents. Mais la pratique de la justice des mineurs révèle des dysfonctionnements importants ; elle n’est pas à la hauteur des ambitions de 1945.
Certes, au fil des années, de nouveaux outils ont fait la preuve de leur efficacité. C’est le cas par exemple des centres éducatifs fermés, créés par le Président Jacques Chirac et son garde des sceaux de l’époque, Dominique Perben, qui sont un réel succès : seuls 10 % des mineurs qui y sont affectés sont finalement incarcérés, ce qui veut dire que 90 % des autres sont remis, cahin-caha, sur un meilleur chemin.
Cependant, l’insuffisance des places d’accueil est réelle. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a prévu l’ouverture de vingt centres, la Chancellerie a engagé un travail important pour permettre leur construction… Malheureusement, seuls quatre d’entre eux ouvriront d’ici à la fin du quinquennat.
Les travaux d’intérêt général sont également un instrument qui n’existait pas en 1945. Ils ont été introduits dans notre droit en 1983, se sont développés seulement au cours des années 1990 et ont été réformés en 2014. Ils n’apportent toutefois pas les résultats escomptés.
En 2019, 4 300 travaux d’intérêt général ont été prononcés, mais 3 200 seulement ont fait l’objet d’un suivi par la protection judiciaire de la jeunesse. Actuellement, un jeune doit attendre treize mois lorsqu’il est orienté vers un travail d’intérêt général. C’est beaucoup trop long !
M. Philippe Bas. Tous gouvernements confondus, nous ne nous sommes pas donné jusqu’à présent les moyens de nos ambitions.
Les jugements sont tardifs en cas de poursuites. Savez-vous, mes chers collègues, qu’il faut en moyenne dix-neuf mois pour qu’une condamnation soit prononcée ? Comme les mineurs délinquants ont souvent entre 16 et 18 ans, il arrive fréquemment que les condamnations soient prononcées quand les auteurs sont devenus majeurs.
Certains sont sortis de la délinquance depuis longtemps quand ils doivent purger leur peine, d’autres au contraire ont eu le temps de commettre de nombreuses récidives sans avoir été arrêtés par la moindre sanction, les derniers enfin font l’école de la délinquance dans des détentions provisoires qui portent mal leur nom, puisqu’elles deviennent interminables. Ces détentions provisoires ont augmenté de 40 % entre 2015 et 2019, ce qui donne une idée de la gravité de la situation et du scandale de la situation de la justice des mineurs dans la période actuelle.
Révisée trente-neuf fois, l’ordonnance de 1945 est par ailleurs devenue inaccessible aux magistrats et aux avocats – sauf aux meilleurs d’entre eux, monsieur le garde des sceaux, bien entendu (Sourires.) –, et encore plus aux délinquants et à leurs victimes. Cette situation ne pouvait pas s’éterniser. C’est pourquoi une réforme était devenue indispensable.
Convenons tout d’abord, mes chers collègues, que notre valeur ajoutée en matière de codification n’est pas aussi grande que nous pourrions l’espérer. Il faut le reconnaître : le travail de codification est tout destiné aux ordonnances. Si nous nous sommes opposés à celles-ci, c’est parce que, au-delà de la nécessaire codification, nous avions à réformer le régime de la justice des mineurs, ce qu’a fait d’ailleurs l’ordonnance qui nous est soumise.
Cette réforme des règles de la justice des mineurs est, me semble-t-il, présentée à la représentation nationale dans le respect des principes de 1945 et avec des innovations que nous pourrons approuver moyennant l’adoption des amendements qui ont été approuvés par la commission des lois, sur la proposition de notre excellente rapporteure. Ce sont des choix politiques essentiels, que l’on peut approuver ou rejeter, mais dont la représentation nationale doit délibérer. C’est pourquoi nous étions opposés à l’habilitation.
Nous sommes d’accord avec le principe de la césure, qui permettra d’avoir un jugement sur la culpabilité dans le respect – je l’espère – du délai de trois mois inscrit dans le texte.
Nous sommes d’accord sur la mise à l’épreuve éducative dans un délai de six à neuf mois et sur le fait que le jugement de sanction, quand il est nécessaire, intervienne au plus tard neuf mois après le début de la procédure.
Nous sommes d’accord avec la simplification des sanctions autour de l’insertion, de la réparation, de la santé du mineur et, en dernier recours, du placement.
Nous sommes d’accord avec la simplification de l’organisation, renforçant le rôle du juge des enfants.
Nous ne pouvons également qu’être d’accord avec la prévention de la détention provisoire, qui ne doit être décidée qu’en cas de violations répétées ou d’une particulière gravité des obligations mises à la charge du mineur.
Notre commission des lois a cependant souhaité trois types d’améliorations, qui ont été parfaitement présentées par notre rapporteure : la précision de la notion de discernement du mineur, qui ne se réduit pas à la constatation de son âge ; la spécialisation des acteurs, en renforçant encore le rôle du juge des enfants – c’est à lui, et à nul autre, de prononcer la détention provisoire avant l’audience de culpabilité – ; la prolongation du délai, car nous considérons, monsieur le garde des sceaux, que vous aurez trop de mal à tenir le délai que vous vous êtes vous-même assigné.
La commission des lois vous a proposé d’allonger le délai, et je constate que vous êtes d’accord sur le principe de prendre un peu plus de temps. En effet, dans la période que nous venons de vivre, de nombreuses instances n’ont pas été traitées. Par ailleurs, vous avez des problèmes matériels, de procédures et informatiques, à résoudre. Je vois bien qu’un effort est fait pour recruter des magistrats, des greffiers, des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, mais tout cela ne peut pas donner son plein effet en quelques semaines. Si la réforme est mise en œuvre alors que les conditions matérielles de son application ne sont pas réunies, elle risque fort d’échouer. C’est la raison pour laquelle notre commission a insisté sur la nécessité de se donner un peu de marge.
Voilà, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire en apportant le soutien de mon groupe au travail accompli par la commission des lois pour améliorer une réforme dont les principes nous paraissent conformes à ce que nous pouvons attendre de la justice des mineurs. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs
Article 1er
(Non modifié)
L’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs est ratifiée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. L’article L. 311-2 du nouveau code de la justice pénale des mineurs prévoit l’accompagnement des mineurs aux auditions et interrogatoires. Ceux-ci doivent toujours être accompagnés par un adulte au cours d’une procédure afin de leur permettre de recevoir toutes les informations nécessaires sur les décisions les concernant. Lorsque le mineur ne peut être accompagné par ses représentants légaux, ce qui est en grande majorité le cas pour les mineurs isolés étrangers, le procureur de la République ou le juge des enfants devrait désigner un adulte approprié afin d’assister l’enfant dans ses nombreuses auditions.
Je souhaiterais, mes chers collègues, appeler votre attention sur les difficultés que rencontrent les magistrats pour désigner cet adulte approprié. Ni les administrateurs ad hoc, ni les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, ni les avocats n’acceptent de tenir ce rôle, qui ne leur paraît pas compatible avec leurs fonctions. Les mineurs se retrouvent ainsi privés du droit d’être accompagnés, et rassurés, par un adulte lors des audiences.
Aujourd’hui stigmatisés, les mineurs isolés ont subi pendant leur parcours migratoire de nombreux traumatismes et sont très souvent les victimes de réseaux et du trafic d’êtres humains. Ils devraient, à ce titre, être davantage protégés. Une clarification sur la qualité de l’adulte approprié nous semble donc nécessaire dans le nouveau code, afin de préserver l’accès de ces mineurs à leurs droits. Cette demande va dans le sens du rapport du député Jean Terlier sur la ratification de l’ordonnance sur la justice des mineurs.
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous ne sommes pas favorables au recours aux ordonnances, à plus forte raison sur un sujet de cette ampleur. Cela prive le Parlement d’un véritable débat de fond sur un pan essentiel de notre droit, celui qui sera applicable demain aux mineurs de notre pays. Nous avons eu en outre toutes les difficultés, ici comme à l’Assemblée nationale, à dégager des parties de l’ordonnance pour les amender.
Nous ne sommes pas les seuls à être privés de ce débat puisque, comme je l’ai dit dans la discussion générale, l’ensemble des professionnels de la justice des mineurs en ont, eux aussi, été privés. Ces derniers le rappelaient dans une tribune au Monde en décembre dernier : l’enjeu était non pas de modifier la loi, mais plutôt de la faire appliquer.
Le recours à l’ordonnance permet de prendre des décisions rapidement, mais, je le répète, cela nous prive d’un débat. Certes, j’entends vos arguments, monsieur le garde des sceaux – vous les aviez déjà avancés lors de votre audition et vous les avez repris dans votre intervention liminaire – : cela fait maintenant plusieurs années que le texte est en débat. Mais entre un texte attendu de tous qui ne fait pas l’objet d’un débat et un texte qui ferait l’objet d’une réelle concertation pour engager véritablement la réforme de l’ordonnance de 1945, qui nécessitait d’être retravaillée, il y a un large fossé ! C’est ce que nous dénonçons ce soir.