Mme le président. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Rémi Cardon propose d’ouvrir aux jeunes de moins de 25 ans un droit au revenu de solidarité active, le RSA.
Parce que la crise économique et sociale que nous traversons touche en premier les plus jeunes, vous souhaitez faire de cette réforme « la première pierre d’un dispositif universel » qui réponde à la fois à une urgence - la précarité grandissante de la jeunesse française - et à un souci « d’autonomie et d’émancipation ».
Votre proposition n’est pas nouvelle, puisqu’elle actualise, au regard de la crise sanitaire, un débat vieux de trente ans. En 1988, le gouvernement socialiste de Michel Rocard avait en effet porté la création d’un revenu minimum d’insertion, le RMI, pour faire face à l’émergence d’une « nouvelle pauvreté » de masse.
À l’époque déjà, les jeunes de moins de 25 ans avaient été écartés de ce dispositif, au motif qu’ils bénéficiaient d’actions spécifiques d’insertion professionnelle. En 2008, la création du RSA, et plus tard celle du RSA jeune, n’a pas remis en cause l’existence de cette limite d’âge, notamment au regard des risques de stigmatisation sur le marché du travail.
Si cette proposition n’est pas nouvelle, elle a le mérite de mettre un peu plus en lumière les difficultés que rencontre la jeunesse française, en plus de nous permettre d’en débattre aujourd’hui dans cet hémicycle et, si j’en crois certaines déclarations, de faire bouger quelques lignes.
En France, 1,5 million de jeunes vivent en situation de pauvreté. C’est trop ! Leur part a fortement crû ces quinze dernières années, passant de 8 % à 13 %. Et ce phénomène, qui existait avant la crise sanitaire, n’a fait que s’aggraver ces derniers mois : parce qu’ils étaient en CDD, en intérim ou entre deux contrats et qu’ils n’ont pu, en raison des confinements successifs, retrouver un emploi ; parce que, étudiants ou jeunes diplômés, on ne leur a pas donné, et on ne leur donne pas, leur chance.
Ce constat, nous le partageons avec le Gouvernement. Des mesures d’urgence en faveur du pouvoir d’achat des jeunes ont été présentées, ici même, ces derniers mois. Vous les connaissez. Il s’agit du versement exceptionnel de 150 euros pour les jeunes les plus précaires. Il s’agit de l’instauration du ticket de restaurant universitaire, ou ticket RU, à un euro pour les étudiants boursiers. Il s’agit du doublement des aides d’urgence du Crous.
Toutefois, ces mesures, nous en convenons, ne sauraient constituer une réponse satisfaisante, surtout pérenne à une crise qui s’annonce longue.
Si nous partageons avec les auteurs de cette proposition de loi une même ambition, à savoir sortir de la précarité une partie de la jeunesse française et l’accompagner vers son émancipation, nous n’en partageons pas les moyens, parce que nous pensons que la perspective d’un jeune ne saurait être celle des minima sociaux, parce que la question de l’insertion sociale et professionnelle, évidente dans l’esprit des promoteurs du RMI et du RSA, semble aujourd’hui secondaire, et parce qu’essayer ce dispositif, même le temps de la crise, ce serait inévitablement l’adopter.
Nous pensons ensuite que nous avons mieux à leur offrir, en facilitant leur entrée dans la vie professionnelle quand cela est possible, en les accompagnant lorsque cela est nécessaire. C’est toute l’ambition du plan de relance « 1 jeune, 1 solution », dont le montant de 6,7 milliards d’euros constitue un effort sans précédent envers les jeunes.
M. Patrick Kanner. C’est cinquante centimes par jour !
M. Dominique Théophile. Ce plan, qu’est-ce que c’est ? Des primes à l’embauche d’abord, dont les résultats sont d’ores et déjà mesurables, de 4 000 euros pour les jeunes de moins de 26 ans et jusqu’à 8 000 euros pour les apprentis. Ce sont aussi 100 000 services civiques supplémentaires, 20 000 nouveaux postes rémunérés d’étudiants tuteurs, 300 000 parcours d’insertion, etc.
Or cela fonctionne. Par exemple, entre août et novembre 2020, ce sont plus d’un million de jeunes de moins de 26 ans qui ont été recrutés en CDI ou en CDD de plus de trois mois.
Néanmoins, ce plan doit surtout permettre de renforcer la garantie jeunes. Ce dispositif, créé sous le quinquennat précédent, permet d’accompagner des jeunes de 16 à 25 ans, souvent en situation de grande précarité, vers l’emploi ou la formation.
Elle donne droit à la fois à une aide financière calquée sur le RSA et, surtout, à un accompagnement. Au 31 décembre 2019, le nombre d’entrées depuis le début du dispositif était de 366 000 jeunes, dans la grande majorité âgée de 18 à 21 ans.
Parce qu’il a tiré les leçons de la crise économique, le Gouvernement a souhaité augmenter considérablement les moyens financiers alloués aux missions locales, afin de permettre à 200 000 jeunes d’en bénéficier cette année. Nous saluons cet engagement.
Est-ce assez ? Non, certainement. Le rapport du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse a récemment souligné que la garantie jeunes pouvait devenir une porte d’entrée pour les jeunes en situation de précarité. Aussi, investissons dans ce dispositif, qui allie accompagnement et garantie de ressources, et proposons son universalisation, pour qu’aucun jeune ne manque de solution.
La jeunesse française, bousculée par la crise, a besoin d’aide, mais elle mérite aussi des perspectives. C’est notre engagement.
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021, notre groupe a ainsi porté deux amendements, adoptés par notre assemblée, pour renforcer le soutien et la protection sociale des jeunes en apprentissage et dans les dispositifs d’insertion professionnelle. Il faut croire en cette génération, créative, solidaire, engagée. Il faut croire au développement de chacun et l’accompagner vers l’emploi, en utilisant et en élargissant s’il le faut les dispositifs existants qui ont prouvé leur utilité et leur efficacité.
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, vous le comprendrez, notre groupe, dans sa majorité, ne votera pas cette proposition de loi.
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis la première vague de la pandémie de covid-19, nous sommes confrontés à une crise économique sans précédent. Les jeunes ne sont, hélas, pas épargnés et comptent parmi les premières victimes. Il est vrai que la fragilité de cette population n’est pas nouvelle, mais la crise a amplifié le phénomène de paupérisation de cette tranche d’âge.
Au dernier trimestre de 2020, près d’un jeune sur quatre se retrouve ainsi sans activité professionnelle. À celles et ceux qui ont perdu leur emploi s’ajoutent les nouveaux diplômés qui arrivent sur un marché de l’emploi offrant de moins en moins de chances. Ne disposant que très rarement d’une épargne ou de réserve financière et exclus la plupart du temps des mécanismes de solidarité nationale, ces jeunes sont particulièrement vulnérables et sont de plus en plus nombreux à tomber dans la grande précarité.
C’est pour tenter de freiner cette précarisation grandissante que plusieurs organisations de jeunesse et associations plaident depuis longtemps pour l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans, plus particulièrement en cette période exceptionnelle de crise sanitaire. Elles estiment que le plan d’urgence « 1 jeune, 1 solution » fonctionne peu, puisque le nombre de jeunes en recherche d’emploi augmente drastiquement et que le nombre de jeunes de moins de 25 ans vivant sous le seuil de pauvreté ne cesse de croître. Dès lors, l’ouverture du RSA pour les moins de 25 ans représente un filet de sécurité nécessaire au vu du contexte.
C’est l’objet de la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Il est vrai que cette mesure permettrait d’éviter qu’un trop grand nombre de jeunes ne tombe dans l’extrême précarité. Je pense tout particulièrement à celles et ceux qui n’ont aucun soutien familial.
Pour autant, si nous ne pouvons rester sourds à leur détresse, nous devons nous demander si étendre le RSA dès 18 ans constitue la meilleure réponse au défi de la pauvreté des jeunes. La question mérite d’être posée, et je dois reconnaître que les opinions divergent au sein du groupe RDSE.
Quoi qu’il en soit, je pense que les mesures exceptionnelles mises en place par le Gouvernement méritent d’être saluées. Je pense à la création de 20 000 jobs étudiants, au doublement des aides d’urgence du Crous, à l’aide mensuelle pour les jeunes en recherche d’emploi, mais surtout au doublement de la garantie jeunes en 2021.
Certes, ces aides sont ponctuelles et sans doute amenées à disparaître après la crise sanitaire, alors que nous savons pertinemment que la situation des jeunes s’aggrave depuis une vingtaine d’années.
En décembre dernier, le Président de la République préférait « qu’on fasse de la lutte contre la pauvreté par l’insertion par l’activité économique, par le travail avec les associations de terrain, par de l’accompagnement […], par des initiatives comme “territoires zéro chômeur” auxquelles je crois à fond et qu’on est en train de généraliser ».
Nous avons eu à ce sujet un débat dans cet hémicycle il n’y a pas très longtemps. La première phase expérimentale de ce dispositif particulièrement novateur a montré comment des femmes et des hommes qui allaient très mal ont retrouvé un sens à leur vie et une utilité sociale en retrouvant un emploi.
Par ailleurs, lors d’un débat à l’Assemblée nationale, le 12 janvier dernier, la ministre du travail déclarait qu’il fallait apporter aux jeunes une réponse immédiate pour leur permettre de surmonter des difficultés financières, mais que l’objectif premier du Gouvernement était de leur permettre d’accéder à un emploi, ce qui les rendra autonomes.
Je souscris pleinement à ces propos. Je suis convaincu en effet que les jeunes ont besoin avant tout de mesures d’accompagnement, d’insertion et d’aide à l’embauche. Nous devons leur donner les moyens de s’en sortir dans l’immédiat, certes, mais surtout de leur permettre d’accéder à un emploi.
Au début du mois, Mme la ministre du travail a reçu un rapport du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse qui propose notamment de faire de la garantie jeunes un droit pour tous les jeunes en difficulté d’insertion sociale et professionnelle, et je crois savoir que le Gouvernement réfléchit à la mise en place d’une garantie jeunes universelle. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le secrétaire d’État, les contours de ce dispositif ?
Au-delà de l’aspect philosophique que soulève la question qui nous est présentée, se pose également celle, délicate, de son financement. Le dispositif proposé s’élève à près de 6 milliards d’euros. Or, nous savons pertinemment que l’État, qui ne compense pas aujourd’hui les dépenses des départements sur le RSA, ne le fera pas plus demain.
Aussi, pour toutes ces raisons, la majorité des membres du groupe RDSE s’abstiendra.
Mme le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les jeunes sont les premières victimes des conséquences de la crise de la pandémie de covid-19.
Ils sont de plus en plus nombreux à tomber dans l’extrême précarité et n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers des organismes de distribution alimentaire pour subvenir à leurs besoins. Le Secours populaire, les Restos du cœur nous alertent : la fréquentation des étudiants a explosé ; les bourses n’y changent rien, quand ils en ont.
Pour les jeunes qui ne sont ni en étude, ni en emploi, ni en formation, les perspectives s’éloignent de plus en plus. Selon l’Observatoire des inégalités, un pauvre sur deux a moins de 30 ans. Cette situation est d’autant plus complexe dans des départements « jeunes » comme le mien, où la majorité des précaires passent sous les radars.
Selon le rapport de notre collègue députée Marie-George Buffet de décembre 2020 concernant les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse, le mal-être des jeunes progresse, ainsi que le nombre de suicides.
Face à cette situation, le 1er décembre dernier, seize responsables d’organisations de jeunesse signaient dans le quotidien Le Monde une tribune appelant à pouvoir bénéficier du RSA dès 18 ans. La proposition de loi de nos collègues socialistes reprend donc la revendication des organisations de jeunesse d’étendre le bénéfice du RSA aux jeunes âgés de 18 à 25 ans.
Le Gouvernement s’est dit opposé à l’extension du RSA aux moins de 25 ans, alors que les voix montent pour accorder ce filet de sécurité aux jeunes. Le Gouvernement refuse, car il a peur que les jeunes, s’ils bénéficiaient de 500 euros par mois, renoncent à chercher un emploi.
Contrairement à vous, monsieur le secrétaire d’État, nous pensons qu’apporter une aide qui permette à notre jeunesse de vivre un peu plus dignement n’invite pas du tout à la paresse. Au contraire, elle permet de s’investir dans des projets créateurs à forte dimension sociale et écologiste.
Contrairement à vous, nous pensons que le filet de sécurité sociale que sont les allocations permet de stabiliser une situation de crise pour rebondir. Ce filet n’est pas un hamac !
Contrairement à vous, nous pensons que les études sont un droit, pour se projeter demain. L’extension à tous de la garantie jeunes induit une mécanique qui nuira aux études, puisqu’elle est conditionnée au fait de chercher un travail. C’est donc un recul des droits de notre jeunesse et la fin de ses ambitions. En prétendant répondre à l’urgence de cette manière, vous sacrifiez son avenir.
L’augmentation des bénéficiaires de la garantie jeunes nécessitera de revoir les moyens alloués aux missions locales et de recruter plusieurs milliers de conseillers. Mais au-delà des mesures d’urgence temporaires, c’est à une réforme structurelle et à un véritable statut social auxquels aspire notre jeunesse.
Écoutez les jeunes, qui appellent à ce qu’aucun d’entre eux ne soit laissé sans solution, afin qu’ils puissent être formés, recrutés et embauchés dans les services publics qui pâtissent du manque de personnel.
L’extension du RSA aux jeunes de moins de 25 ans, objet de cette proposition de loi, est une mesure d’urgence sociale indispensable, mais insuffisante si elle ne s’accompagne pas d’un engagement de l’État auprès des départements pour garantir son financement à l’euro près. En effet, nous le savons, les départements n’auront pas les moyens d’assumer une telle charge financière, eux qui prévoient d’ores et déjà d’augmenter leurs dépenses liées au RSA et à la lutte contre la pauvreté de bien plus de 10 %.
Notre groupe votera en faveur de cette extension, une première étape vers un statut social garantissant l’autonomie et l’émancipation des jeunes. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)
M. Olivier Henno. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue l’auteur de cette proposition de loi, M. Rémi Cardon – c’est le charme des premières fois, qu’il en profite ! (Sourires.) –, ainsi que notre rapporteure.
Il est certain que la jeunesse française est lourdement touchée par la crise sanitaire et la question que les signataires de ce texte soulèvent est parfaitement légitime. Au demeurant, les historiens qui se pencheront sur notre époque dans dix ou vingt ans s’interrogeront peut-être sur une certaine forme d’aveuglement à l’égard de ce qu’il faut bien appeler la « fracture générationnelle ».
« Il n’existe pas d’autre voie vers la solidarité humaine que la reconnaissance de l’autre en tant que personne et le respect de sa dignité », déclarait l’abbé Pierre. Voilà pourquoi, bien que je partage le constat de nos collègues sur la situation difficile des plus jeunes, je ne pense pas qu’une proposition de loi de trois articles suffise à régler le problème.
Peut-être nous faudrait-il d’ailleurs nous interroger sur notre système redistributif. Notre pays est celui qui consacre la plus grande part de sa richesse à la santé et à la solidarité. Est-il pour autant le plus juste et le plus solidaire ? Ce n’est pas sûr du tout ! À la fracture territoriale s’ajoutent la fracture culturelle, la fracture éducative et, à présent, la fracture générationnelle.
Oui, notre système de redistribution est critiquable ! Il existe près de dix minima sociaux, dont la principale caractéristique pourrait être la complexité. Il est aussi difficile de comprendre l’ensemble du système que l’articulation entre les différents dispositifs existants !
Une telle situation n’est pas sans conséquence. Elle entraîne de la rancœur et accroît le sentiment d’injustice. Elle alimente les phénomènes de non-recours, qui privent certains de nos concitoyens d’un accès aux prestations.
Face à ce constat, il est indispensable de passer à l’étape suivante et, sans doute, de modifier en profondeur les règles en vigueur. Cela demandera du temps et une réflexion globale. Ce sera l’objet de la mission d’information à venir sur l’évolution et la lutte contre la précarisation et la paupérisation d’une partie des Français. Nous devons avoir pour objectif de clarifier l’architecture des minima sociaux, afin de renforcer leur acceptabilité et de conforter le consentement de tous à l’effort de solidarité.
Ne vous méprenez pas, mes chers collègues. Je comprends l’engouement que suscite l’idée de permettre l’accès de jeunes de 18 à 25 ans au RSA. Le fait de priver la très grande majorité des jeunes de l’accès à notre dispositif universel de lutte contre la pauvreté interroge et une telle condition d’âge peut être vue comme une singularité au regard de ce qui se pratique chez nos voisins européens.
Cependant, les effets structurels d’une telle réforme doivent aussi être anticipés. Compte tenu de notre système fiscal, elle aurait mécaniquement des conséquences budgétaires.
M. Jérôme Bascher. Tout à fait !
M. Olivier Henno. En outre, comme l’a souligné Daniel Chasseing, il est nécessaire de proposer un accompagnement plus fort à ceux qui démarrent dans la vie active.
Bien que Christophe Sirugue soit favorable à une ouverture du RSA dès l’âge de 18 ans, il pose certaines conditions. Dans son rapport, il indique qu’une telle mesure doit s’articuler avec d’autres points importants, qui rendent de fait difficile une généralisation de la démarche.
Tout d’abord, comme je l’ai déjà souligné, une généralisation du RSA pour les jeunes ne s’apparente pas à une mesure uniquement paramétrique, c’est bien une évolution structurante. Je rappelle tout de même – certes, cela paraîtra une évidence à nombre de parlementaires présents dans cet hémicycle – que le dispositif doit s’articuler avec notre système fiscal et avec les règles relatives au versement des prestations familiales auxquelles les jeunes âgés de 18 à 21 ans sont éligibles.
Ensuite, il convient d’étudier les conséquences budgétaires d’une telle proposition. Ce n’est pas neutre. Nous venons de voter une hausse exponentielle de près de 30 % de notre dette publique cette année. Les robinets de l’argent public ne pourront éternellement couler à flots ! Il est de notre devoir de parlementaires de mesurer la portée de nos décisions.
La mesure envisagée est aujourd’hui évaluée à 5,8 milliards d’euros. C’est un montant très important. Il n’est pas illégitime de s’interroger sur la capacité financière de la France. D’ailleurs, certains pays commencent à s’interroger sur leur propre capacité financière. L’argent magique n’existe pas, même si la période que nous vivons pourrait le laisser croire…
À ce sujet et cela a été souligné, je crois qu’il faut maintenir les départements et les collectivités territoriales hors de ce débat. Au regard de leur situation financière, il est tout simplement inenvisageable de leur demander un nouvel effort sur le reste à charge.
Enfin et ce point a été évoqué en commission, je rappelle que le nombre de bénéficiaires de la garantie jeunes a doublé, pour un montant de 1 milliard d’euros. L’adoption de cette proposition de loi poserait à l’évidence un problème de cohérence des dispositifs publics.
Notre groupe considère que la valeur travail est essentielle pour la dignité humaine. Il y a quelque chose de triste pour une société de n’avoir que le RSA à proposer à une partie de sa jeunesse.
Permettez-moi de vous faire partager ma modeste expérience passée de vice-président du département du Nord chargé de la lutte contre les exclusions et du RSA. Dans notre pays, la dignité de la personne est étroitement liée à l’existence d’une activité, d’une formation, d’un apprentissage, donc d’un travail. Par conséquent, la question du retour à l’emploi des allocataires du RSA n’est pas marginale ; elle est essentielle, à plus forte raison peut-être pour les personnes les plus fragiles et les plus modestes.
Le groupe UC ne votera donc pas cette proposition de loi. Pour autant, le débat sur la précarisation de la jeunesse doit se poursuivre. Nous aurons sans doute de multiples occasions de le reprendre ici même et j’en profite pour saluer le président de la commission de la culture. Il faudra aborder le parcours d’un jeune dans sa globalité, en parlant non seulement revenus, mais également santé, logement, formation, apprentissage, donc travail. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Cédric Vial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Vial. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, accorder une allocation sociale à chaque jeune dès l’âge de 18 ans, quelle que soit sa situation personnelle, sociale ou familiale : telle est la réponse suggérée par cette proposition de loi. Pour autant, quelle est véritablement la question ? (Mme la rapporteure s’exclame.) Comment notre société doit-elle répondre aux attentes de la jeunesse et comment la jeunesse peut-elle prendre toute sa place dans notre société ? C’est en ces termes que je formulerai la problématique à laquelle nous sommes confrontés.
« La jeunesse montre l’homme comme le matin montre le jour », nous dit le poète John Milton. (Exclamations sur les travées du groupe SER.) La considération que nous accordons à notre jeunesse porte donc en elle le modèle de société auquel nous aspirons.
La majorité à 18 ans confère des droits et également un certain nombre de devoirs. Elle succède à une phase d’apprentissage de la citoyenneté et d’autonomie, que le législateur a décidé de fixer à l’âge correspondant, pour nombre de jeunes, à celui du baccalauréat. Pour autant, l’obtention de la majorité n’est pas une ligne d’arrivée ! C’est une étape, une nouvelle ligne de départ.
Il existe non pas un jeune, mais des jeunes ! Ils sont lycéens, étudiants, apprentis, jeunes travailleurs… Ils sont urbains ou ruraux. Ils ont des liens familiaux forts, limités ou inexistants. Ils sont différents. Leurs aspirations sont différentes. Leurs besoins sont différents. Les réponses qu’ils attendent sont donc différentes.
Pourtant, il existe bien une jeunesse. Dans sa diversité, elle porte en elle les germes de la société de demain. Après-demain, une autre, encore différente, lui succédera, comme un matin succède à un autre.
« La jeunesse montre l’homme comme le matin montre le jour. » (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe SER.) Ce matin, un brouillard épais vient troubler la clarté du lever du jour.
Notre jeunesse subit de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire et elle en paye un lourd tribut.
À l’âge où l’on se construit, les jeunes connaissent une détresse sociale, affective, économique sans précédent et probablement sans rattrapage possible de toutes les occasions manquées. Nous leur devons une attention renforcée. Nous devons les sortir du brouillard pour leur redonner des perspectives et leur dégager la ligne d’horizon.
Le RSA pour tous est une réponse sociale, mais c’est aussi un message politique. Est-ce véritablement celui que nous voulons transmettre à cette jeunesse ?
À l’âge où l’on devient autonome, où l’on s’ouvre sur le monde, où l’on devient citoyen et où l’on se forge ses premières expériences, on a besoin de repères et de valeurs.
Quels sont justement les messages que nous voulons transmettre à notre jeunesse ? Qu’elle est diverse. Qu’elle a des perspectives. Qu’elle a des solutions. Qu’elle détient son destin entre ses mains. Que son avenir dépend d’elle-même avant de dépendre des autres. Qu’elle doit avant tout se prendre en main et qu’elle trouvera sa voie et les clés de sa réussite dans l’effort et le travail, ainsi qu’une reconnaissance qui sera fonction de son comportement et de son mérite.
Ce que l’État et, plus largement, la société doivent à la jeunesse, c’est un accompagnement adapté garantissant l’égalité des chances et la méritocratie.
Nous leur devons aussi plus de liberté, en contrepartie de plus de responsabilité.
Les défis sont de taille. Ils concernent avant tout la formation, l’insertion, l’engagement. Ils appellent des dispositifs spécifiques pour chaque situation, pour chaque jeune. L’universalité n’est pas synonyme d’égalité. C’est même souvent l’inverse !
Être égaux signifie disposer des mêmes chances de réussir quelle que soit la voie choisie. Plus que d’une allocation, les jeunes ont besoin de solutions individualisées. Aucun jeune ne grandit avec les minima sociaux comme horizon !
Lorsque l’on a moins de 25 ans, on construit son avenir. Cela implique de mener un projet de formation ou professionnel. Le véritable défi pour notre société est donc celui de l’accompagnement et de l’insertion.
En matière sociale, il existe déjà un certain nombre de dispositifs fléchés en direction de la jeunesse, comme les bourses pour les étudiants ou la garantie jeunes pour ceux qui sont sans ressource et déscolarisés. À l’échelon le plus élevé, la bourse est une aide financière d’un montant proche du RSA. Idem pour la garantie jeunes, qui est délivrée par les missions locales et qui permet de toucher jusqu’à 500 euros par mois. Je pourrai également mentionner le service civique, les parcours emploi compétences, c’est-à-dire des dispositifs prévoyant d’emblée un contrat de responsabilité.
Des aides exceptionnelles de 200 euros pour les jeunes de moins de 25 ans et de 150 euros aux 400 000 jeunes qui touchent les aides personnalisées au logement (APL) et aux étudiants boursiers ont aussi été annoncées récemment par le Gouvernement.
Le RSA peut d’ores et déjà être attribué aux moins de 25 ans dans certaines situations particulières : les femmes enceintes, les jeunes parents ou certains actifs sous conditions. Le RSA jeune actif est alloué sous conditions aux jeunes de moins de 25 ans ayant déjà travaillé deux ans au cours des trois dernières années.
L’élargissement du RSA est donc une mauvaise réponse à une mauvaise question !
Offrons-leur de l’espoir ! Offrons-leur une chance de faire leurs preuves ! Offrons-leur des occasions de se révéler et de s’épanouir ! Offrons-leur des assurances et de la liberté !
Donnons-leur notre confiance, notre soutien ! Donnons-leur un accompagnement adapté ! Donnons-leur une chance, pas une allocation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)