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Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement
Discussion générale (suite)

Renforcement du droit à l’avortement

Rejet d’une proposition de loi

Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à renforcer le droit à l’avortement (proposition n° 23, résultat des travaux de la commission n° 264, rapport n° 263).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement
Question préalable (début)

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le thème sensible que nous abordons avec cette proposition de loi mobilise des convictions aussi ancrées que diverses.

L’interruption volontaire de grossesse est devenue un droit grâce au combat de ses militantes, grâce au courage de Simone Veil, grâce à l’élan d’une société vers l’émancipation, contre l’hypocrisie et contre l’emprise sur le corps des femmes.

L’interruption volontaire de grossesse, l’IVG, restera un symbole des grands combats menés par le ministère des solidarités et de la santé pour mettre un terme aux avortements clandestins, qui avaient coûté tant de vies, et pour faire progresser le droit des femmes.

Qu’il me soit permis de saluer aujourd’hui celles et ceux qui, au quotidien, rendent possible l’exercice de ce droit des femmes à disposer de leur corps.

Le combat a trouvé sa place dans les livres d’histoire, mais c’est un héritage qu’il faut conjuguer au présent, et nous devons rester extrêmement vigilants. Le droit à l’avortement est aujourd’hui remis en cause dans nombre de pays où il passait pour acquis. Cela n’est pas l’apanage des tendances autoritaires : dans certaines démocraties, y compris à nos portes en Europe, des mouvements de recul nous interpellent.

Je n’oublie pas que les contrevérités et les discours culpabilisant les femmes circulent à grande vitesse sur les réseaux sociaux.

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale a réalisé un rapport d’information très complet sur l’accès à l’IVG. Un constat détaillé et riche des écueils rencontrés encore aujourd’hui dans le parcours des femmes a ainsi été produit en auditionnant associations et professionnels.

La crise sanitaire que nous traversons n’est pas sans conséquence sur l’exercice du droit à l’avortement, mais tout a été fait pour que ce droit puisse demeurer effectif et s’exercer dans les meilleures conditions.

L’épidémie n’a pas remis en cause nos valeurs les plus fondamentales, et le ministère des solidarités et de la santé s’est pleinement mobilisé pour permettre l’accès à l’IVG dans les délais prévus.

Des mesures ont été prises – elles étaient nécessaires – pour préserver les femmes du covid-19, avec des circuits dédiés, et pour ménager les ressources hospitalières. Je pense à la priorité donnée à la simplification de la prise en charge des IVG médicamenteuses en ville, étendue jusqu’à neuf semaines d’aménorrhée.

Les médecins généralistes, les médecins gynécologues et les sages-femmes de ville, ainsi que les centres de planification familiale, se sont mobilisés de manière remarquable pour permettre à toutes les femmes, notamment celles qui étaient isolées, en situation complexe, ou éloignées de notre système de santé, d’exercer leur droit à l’IVG dans les meilleures conditions de sécurité et de qualité.

Toujours dans cet objectif de garantir l’accès à l’IVG durant la période de confinement, la téléconsultation a démontré toute sa pertinence pour réaliser les consultations qui structurent le parcours d’IVG médicamenteuse en ville. Le circuit du médicament a ainsi été aménagé afin de permettre aux femmes de se procurer les pilules abortives directement en pharmacie.

Dans la période pour le moins difficile que nous vivons, la protection du droit à l’avortement est restée, et demeure toujours, une priorité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’une des questions majeures posées par cette proposition de loi est celle de savoir si l’extension du délai légal faciliterait l’accès à l’IVG.

Il faut commencer par examiner de près les raisons qui conduisent aujourd’hui des femmes à se retrouver hors délai. Selon le planning familial, ces raisons sont de deux ordres.

Il y a, tout d’abord, celles qui sont liées à l’organisation des services et des soins, au manque d’information, à l’accessibilité des services, aux délais de rendez-vous, au manque de professionnels, ou encore à l’utilisation de la clause de conscience de façon « sélective » par des médecins.

Il y a, ensuite, des raisons personnelles, comme le diagnostic tardif de la grossesse, les grossesses d’adolescentes qui n’osent pas en parler, le départ ou la rupture du partenaire, ou des situations de chômage ou de précarité qui rendent le projet parental fragile.

Il y a donc des raisons objectives liées à nos organisations et des raisons individuelles qui tiennent le plus souvent à des situations de vulnérabilité.

Nous avons là un premier état des lieux qui permet d’identifier nos lacunes et de renforcer nos dispositifs, pour rendre le droit à l’IVG plus accessible, donc plus effectif – je dirai aussi plus adapté aux besoins individuels de chaque femme et davantage respectueux de leurs choix.

Par ailleurs, au regard des enjeux, le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, a été saisi afin d’éclairer les débats. Il a rendu à la fin de l’année dernière un avis favorable à l’extension du délai légal de l’interruption volontaire de grossesse.

S’agissant maintenant de la clause de conscience, les résultats de l’enquête conduite en 2019 auprès des agences régionales de santé, les ARS, n’ont pas fait apparaître, au niveau national, de difficultés d’accès à l’IVG qui soient liées à l’opposition de la clause de conscience par les professionnels.

Sur ce point, la proposition de loi revêt une portée qui est, semble-t-il, essentiellement symbolique, même si ce symbole a son importance, puisqu’elle marque l’obligation pour le professionnel refusant de pratiquer une IVG d’accompagner la femme vers une offre qui lui permettra d’exercer son droit à l’avortement.

Le corollaire pratique de cette mesure doit donc rester le développement de l’offre d’IVG, sa mise en visibilité, l’instauration d’un véritable parcours pour les femmes souhaitant une IVG, la formation des professionnels et le rappel de leur obligation d’orientation des femmes vers des lieux de prise en charge adaptée, tout particulièrement s’agissant des situations d’IVG tardives.

J’ajouterai quelques mots, avant de conclure, sur la pratique de l’IVG instrumentale par les sages-femmes. Ouvrir une pleine compétence en orthogénie à ces professionnels de santé peut représenter une véritable chance pour renforcer l’accès des femmes à l’IVG en tout point du territoire.

Certains préalables sont néanmoins incontournables avant de généraliser à toutes les sages-femmes, et en tout lieu, cette nouvelle compétence, afin d’assurer, d’une part, une prise en charge de qualité des femmes et, d’autre part, des conditions d’exercice sécurisées pour les sages-femmes : permettre l’accès à une formation adaptée, comme c’est le cas pour les IVG médicamenteuses ; savoir à quelles femmes, en fonction de leur état de santé, cette offre de prise en charge doit s’adresser ; identifier les modalités de coopération en cas de survenue de complications.

L’article 70 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 prévoit la mise en place d’une expérimentation de l’extension des compétences des sages-femmes à l’IVG instrumentale et permettra de définir les conditions nécessaires pour assurer la qualité et la sécurité de cette expérimentation, avant de proposer sa généralisation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai suivi vos échanges en commission ; je comprends que nous n’aurons pas l’occasion de débattre de chacun des articles en raison du dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable, sans préjuger du sort qui lui sera réservé.

Sur cette question, peu importent les opinions politiques : il faut avancer sereinement, dans le respect des convictions de chacun.

Je l’ai dit en préambule, le sujet n’est pas anodin : c’est un vrai débat de société. Même si le débat d’aujourd’hui sera écourté, il est essentiel que la proposition de loi poursuive son chemin.

Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quarante-six ans après l’adoption de la loi Veil, à laquelle j’associe Gisèle Halimi – le premier Panthéon dans lequel nous pourrions faire entrer Gisèle Halimi pourrait être celui de nos mémoires, en appelant « Halimi-Veil » ou « Veil-Halimi » la loi de 1975… –, l’interruption volontaire de grossesse reste un droit fondamental, dont l’effectivité en tout point du territoire n’est toujours pas acquise.

Dans une dizaine de départements en 2019, au moins un tiers des avortements n’ont pas pu être réalisés sur place. Six des treize régions métropolitaines sont en tension pour l’accès à l’IVG, avec des délais moyens supérieurs au délai moyen national. Signe de cet appauvrissement de l’offre d’orthogénie sur certains territoires, au cours des quinze dernières années, le nombre d’établissements réalisant une IVG a diminué de 22 %.

Je me souviens des débats que nous avions eus ici à l’occasion de l’examen des diverses lois d’organisation du système de santé, durant lesquels nous faisions observer aux ministres que chaque fermeture d’une maternité entraînait la fermeture d’un centre d’IVG ou que le cahier des charges pour la construction d’un hôpital de proximité aurait dû prévoir la création d’un centre d’orthogénie. Malheureusement, ces recommandations n’ont pas été suivies.

L’amélioration de l’accès à l’IVG ne se limite donc pas aux mesures contenues dans la proposition de loi que nous examinons. Elle nécessite également des réponses d’ordre structurel dans le pilotage et l’organisation de notre offre de soins en orthogénie.

C’est cette complémentarité que préconise mon groupe entre le renforcement des droits et protections des femmes dans la loi, d’une part, et la revalorisation de l’activité d’IVG et, plus largement, de la santé sexuelle et reproductive comme priorité de santé publique, d’autre part.

Avant d’aborder le cœur de la proposition de loi, permettez-moi de noter que l’actualité internationale nous donne des raisons de nous réjouir. M. le secrétaire d’État a mentionné le recul des droits dans certains pays, évoquons plutôt les bonnes nouvelles : l’Argentine a adopté en décembre dernier une loi qui dépénalise enfin l’IVG et l’intègre même dans le cadre plus large d’une politique nationale de santé sexuelle et reproductive ambitieuse, qui pourrait d’ailleurs nous inspirer.

La proposition de loi soulève deux questions majeures dont nous avons déjà eu l’occasion de débattre : l’allongement de deux semaines du délai légal d’accès à l’IVG et la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG. Ces deux mesures ont été plusieurs fois écartées par le Gouvernement ou la majorité sénatoriale, au motif que le véhicule législatif ne s’y prêtait pas et que nous n’en avions pas assez débattu.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous en conviendrez, les conditions sont désormais réunies pour nous prononcer en toute connaissance de cause sur ces questions.

Nous examinons une proposition de loi dédiée à l’accès à l’IVG – je salue la présence dans les tribunes de son auteure, la députée Albane Gaillot, qui avait déposé ce texte avec les membres de son groupe –, qui fait suite à un rapport d’information très fourni de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale et qui est éclairée par un avis du CCNE publié en décembre dernier.

L’article 1er tend à allonger de deux semaines le délai légal de l’IVG, pour l’étendre à la fin de la quatorzième semaine de grossesse.

Comme de nombreux collègues ont salué par des tweets l’événement qu’a constitué l’adoption de la loi en Argentine, je relève que ce pays a justement retenu le délai de quatorze semaines dont nous discutons aujourd’hui. L’allongement du délai vise à répondre à des situations certes limitées dans leur nombre, mais auxquelles notre système de soins n’offre aucune réponse satisfaisante.

Certains nous opposeront que seulement 5 % des IVG sont réalisées entre la dixième et la douzième semaine. Tant mieux ! Il est heureux que cette proportion reste limitée, car c’est notre souhait à tous que la prise en charge des IVG soit la plus précoce possible.

Toutefois, ces 5 % d’IVG ne sont qu’un chiffre et ne reflètent pas la situation des femmes qui n’ont pas été en mesure d’avorter avant douze semaines et dont le nombre ne doit pas être sous-estimé.

Bien souvent, il s’agit de femmes qui n’ont découvert leur grossesse que tardivement, en raison de cycles menstruels irréguliers ou de l’absence de signes cliniques de grossesse. N’oublions pas par ailleurs que, près de trois fois sur quatre, l’IVG est pratiquée pour des femmes sous contraception : le temps pour comprendre que l’on est enceinte est plus long dans ce cas.

À ces situations s’ajoutent les changements qui peuvent intervenir dans la situation matérielle, sociale ou affective d’une femme et peuvent légitimement l’amener à ne pas souhaiter poursuivre la grossesse.

Si une femme formule sa demande d’IVG juste avant la douzième semaine, elle peut se voir proposer un rendez-vous trop tardif pour respecter le délai légal, soit parce que l’offre d’orthogénie est insuffisante, soit parce que les services d’IVG ne traitent pas ces demandes avec la priorité absolue qui devrait s’imposer, soit, tout simplement, parce que c’est l’été, que les médecins sont en vacances et les services désorganisés.

Une fois passé le délai de douze semaines, quelles solutions se présentent alors à elles ? En réalité, aucune qui respecte véritablement leur autonomie.

Un certain nombre d’entre elles – 2 000 selon le CCNE – se rend à l’étranger. Des associations ont avancé d’autres chiffres plus élevés. Peu importe ! Sachons simplement que, pour au moins 2 000 femmes, cette situation est source d’inégalités, puisque c’est à elles de prendre en charge l’ensemble des frais – la sécurité sociale ne les remboursant pas. Je ne puis m’empêcher de relever l’hypocrisie consistant à compter sur les pays voisins pour faire ce que nous ne voulons pas faire.

D’autres se résignent à demander une interruption médicale de grossesse pour motif de détresse psychosociale. Outre que cette procédure est contraignante, elle prive la femme de son autonomie, puisqu’il faut l’accord préalable d’un collège de médecins.

Enfin, n’oublions pas, parce qu’elles échappent à toutes les statistiques, toutes celles qui ont été contraintes de poursuivre une grossesse dont elles ne voulaient pas.

J’évoquerai les conclusions du CCNE : après avoir rappelé qu’il n’existe que peu, voire pas, de différence entre douze et quatorze semaines de grossesse en termes de complications, celui-ci a estimé qu’il n’y avait pas d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines.

L’autre sujet essentiel abordé par cette proposition de loi est la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG, que l’on appelle également « double clause de conscience ». Il s’agissait de l’un des éléments de compromis ayant permis l’adoption de la loi Veil en 1975 face à une majorité hostile à la dépénalisation de l’IVG.

À l’heure où nous devons œuvrer pour une revalorisation de l’activité d’IVG, aussi marginalisée dans la pratique de gynécologie-obstétrique que dans la psychologie globale, cette double clause de conscience ne fait que maintenir l’IVG dans un cadre médical distinct de tous les autres actes liés à la santé reproductive. Elle n’apporte en réalité aucune protection supplémentaire aux professionnels de santé par rapport à leur clause de conscience générale et ne fait qu’entretenir la stigmatisation de l’IVG comme un acte culpabilisant pour les femmes.

On dit souvent que l’on ne pourrait pas obliger un médecin à pratiquer une IVG s’il ne le veut pas. La clause de conscience générale qui protège les soignants et qui figure dans le code de déontologie permet en effet déjà à tout soignant de refuser de pratiquer tout acte qu’il estimerait contraire à son éthique ou à sa morale, ou même à un choix médical qui ne serait pas le sien. La double cause de conscience n’apporte donc aucune protection supplémentaire aux soignants qui ne voudraient pas pratiquer d’IVG.

Le Sénat comme l’Assemblée nationale ont d’ailleurs écarté, dans le projet de loi relatif à la bioéthique, l’inscription dans la loi d’une clause de conscience spécifique à l’interruption médicale de grossesse.

En effet, nous avons collectivement considéré qu’il existait déjà une clause de conscience générale permettant aux médecins de refuser de pratiquer une interruption médicale de grossesse, l’IMG. La proposition de loi est donc cohérente avec notre vote sur l’IMG. Je le répète avant que la discussion générale ne s’ouvre, même sans double clause de conscience les professionnels de santé ne sont pas obligés de réaliser une IVG : ils ont la possibilité de refuser de pratiquer cet acte.

Enfin, une troisième mesure a suscité des débats au sein de notre commission : l’extension aux sages-femmes de la pratique de l’IVG instrumentale. Cette disposition a été très largement satisfaite par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, et c’est sans doute aux auteurs de la proposition de loi que nous examinons que nous devons cette nouvelle mesure.

J’ai pris la peine au début de mon propos de décrire l’état des lieux et les carences de l’orthogénie. La présente proposition de loi, j’en ai conscience, n’apporte que des réponses partielles.

La santé sexuelle et reproductive demeure un angle mort de notre politique sanitaire. On n’en parle que lorsque les associations, et particulièrement le planning familial, que je salue, tirent la sonnette d’alarme. La préoccupation du maillage du territoire et de l’accessibilité de l’IVG est soumise à l’aléa des engagements personnels des ARS, des directeurs départementaux, des directions d’hôpitaux et des équipes médicales.

L’IVG est un droit, tout comme le choix de la technique d’IVG devrait l’être aussi. Ni l’un ni l’autre de ces droits n’est respecté. On ne cesse de nous répéter que ce n’est pas grave s’il n’y a pas de maternité ou de centre d’orthogénie : on fera des IVG médicamenteuses, voire en téléconsultation… Les femmes ne choisissent donc pas systématiquement la technique d’IVG à laquelle elles veulent recourir.

Nous avons besoin d’un pilotage national, et pas seulement de statistiques annuelles – comme c’est le cas –, pour établir notre politique sanitaire et de santé sexuelle et reproductive, pour veiller à l’information dans les lycées et les collègues, qui est si défaillante, et pour lutter contre l’absence, que nous constatons tous les cinq ans, d’éducation à la vie sexuelle et affective dans les établissements scolaires.

Pour terminer, je souhaite, monsieur le secrétaire d’État, que nous puissions travailler ensemble pour rendre effectif l’accès à l’IVG, en tout point du territoire et dans un délai raisonnable, et laisser aux femmes le choix de la technique utilisée, notamment en définissant les contours d’un pilotage national et proactif de notre offre de soins en orthogénie.

Plus largement, en nous inspirant de l’Institut national du cancer, nous pourrions créer un Institut national de la santé sexuelle et reproductive.

Mme le président. Il faut conclure, madame la rapporteure.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. La commission des affaires sociales a rejeté le texte ; je vous invite, quant à moi, à l’adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Florence Lassarade. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Florence Lassarade. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 1974, Simone Veil disait déjà que « l’avortement de convenance n’existe pas ». Le droit à l’avortement, c’est l’affirmation du droit des femmes à disposer de leur corps dans des conditions garantissant leur santé et leur sécurité.

Dans son discours de présentation du projet de loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse, Simone Veil soulignait aussi que « l’interruption de grossesse ne peut être que précoce, parce que ses risques physiques et psychiques, qui ne sont jamais nuls, deviennent trop sérieux après la fin de la dixième semaine qui suit la conception pour que l’on permette aux femmes de s’y exposer ».

Je rappelle que, du point de vue du droit, le fœtus n’est pas considéré comme une personne, mais que, en raison de sa nature, il ne peut être réduit à un objet. C’est pourquoi une IVG ne peut être considérée comme un acte médical ordinaire. Cet avis est aussi celui du CCNE.

Le délai légal de recours à l’avortement a été allongé à douze semaines de grossesse en 2001. Plusieurs lois ont depuis lors renforcé le droit à l’avortement.

En 2019, le nombre d’IVG en France s’élevait à 232 244 ; on observe même une légère augmentation par rapport aux années précédentes. Ainsi, c’est environ une grossesse sur quatre qui a été interrompue volontairement.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit en premier lieu d’allonger le délai de recours à l’interruption volontaire de grossesse de douze à quatorze semaines de grossesse.

La moitié des IVG réalisées en 2019 concerne des grossesses de moins de six semaines. Les IVG réalisées durant les deux dernières semaines du délai légal correspondent à 5,3 % de l’ensemble des IVG, soit 12 000 en 2019.

Selon le CCNE, il y aurait entre 1 500 et 2 000 femmes qui feraient chaque année le déplacement dans d’autres pays européens pour pratiquer des IVG hors délai. C’est moitié moins que les 3 000 à 5 000 femmes mentionnées dans l’exposé des motifs de la proposition de loi et moitié moins que ce qu’affirment un certain nombre d’associations.

Par ailleurs, le palier de douze semaines de grossesse n’a pas été déterminé par hasard. C’est à cette période que l’embryon devient un fœtus.

À quatorze semaines, le fœtus mesure plus de dix centimètres et se meut. Il a un crâne ; ses principaux organes sont formés ; l’audition et les connexions neuronales sont développées, et l’on a 99 % de chances de déterminer son sexe.

Dans ces conditions, le geste médical pour pratiquer une IVG au-delà de douze semaines n’est plus le même. Le professeur Israël Nisand, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, explique : « La tête du fœtus est ossifiée et il faut l’écraser. Le geste lui-même est donc terrible pour celui qui le fait et pour la patiente. Au sein du Collège, j’ai soumis quatre fois au vote cette mesure d’allongement des délais de deux semaines, et elle a chaque fois été refusée à 100 % des votants. »

Pour une IVG pratiquée après douze semaines, le geste médical n’est plus le même et le protocole doit être révisé en raison des risques importants que court la femme. Une IVG est une urgence médicale. C’est la prise en charge de cette urgence que nous devons améliorer.

Or les inégalités territoriales dans l’accès à l’IVG se sont accentuées au cours des quinze dernières années ; le nombre d’établissements réalisant une activité d’IVG a diminué de 22 %, notamment dans le secteur privé.

Dans un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, parmi les facteurs responsables de cette diminution, sont mentionnés l’impact des restructurations hospitalières, la fermeture d’hôpitaux de proximité, en particulier de maternités, mais également le refus de certains établissements de pratiquer un acte jugé peu rentable.

Monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, ne serait-il pas préférable de donner davantage de force au droit existant, en poursuivant nos efforts pour assurer une offre réelle et accessible de façon permanente afin de répondre aux besoins des femmes sur l’ensemble du territoire ?

L’allongement du délai d’IVG ne saurait être la solution pour pallier les déficiences de notre politique de santé reproductive, qui ne garantit pas suffisamment la prise en charge précoce des IVG.

Ensuite, l’article 1er ter de cette proposition de loi demande la suppression du délai de deux jours que la femme enceinte doit observer à l’issue de l’entretien psychosocial, dans le cas où elle accepte de recevoir un tel entretien, et avant de confirmer par écrit son souhait de recourir à une IVG. L’argument avancé est que cette suppression permettrait de fluidifier le parcours des femmes.

Or je rappelle que ce délai de réflexion ne s’impose que si la femme accepte l’entretien psychosocial. Recourir à une IVG n’est pas une décision facile à prendre. Il faut laisser cette possibilité aux femmes d’avoir un délai de réflexion quand elles le souhaitent.

Cette disposition existe parce qu’elle est garante d’une procédure qui n’est pas anodine. J’estime que la réflexion doit l’emporter sur la fluidification du parcours !

L’article 2 tend à supprimer la double clause de conscience dont bénéficient les praticiens. L’argument avancé consiste à dire qu’il existe déjà une clause réglementaire et que l’existence de cette clause légale est vécue comme une humiliation par les femmes qui recourent à l’IVG.

Cette clause est spécifique à l’IVG et ne concerne aucun autre acte médical. Pourquoi ? Parce que l’IVG n’est ni un acte anodin ni un acte de soin ordinaire pour les femmes qui y recourent ainsi que pour les praticiens. C’est pourquoi nous souhaitons conserver cette liberté. Cette clause empêche-t-elle les IVG ? Non, comme le montre le nombre d’IVG pratiquées chaque année en France.

Enfin, si le délai est allongé à quatorze semaines, un plus grand nombre de médecins et de sages-femmes refuseront de pratiquer l’IVG en raison du geste médical plus difficile et des risques de complications plus importants. Concrètement, cette mesure, si elle était adoptée, pourrait freiner une amélioration de la prise en charge des demandes.

Par conséquent, le groupe Les Républicains ne votera pas les mesures présentées dans la proposition de loi, car elles ne permettront pas réellement d’améliorer l’accès à l’IVG. Aujourd’hui, l’enjeu est celui d’une politique de santé sexuelle et reproductive efficace. Nous avons besoin d’une vraie politique de santé publique en matière de prévention et d’information sur la contraception, ainsi que sur l’IVG.

Il nous faut une politique volontariste, qui permette d’améliorer l’accessibilité à l’IVG sur l’ensemble du territoire. Entre la demande d’IVG et sa réalisation, il s’écoule souvent près de sept jours ; il faut réussir à réduire ce délai. Le droit des femmes sera davantage respecté par une prise en charge dans des délais courts induisant moins de complications.

Pour cela, l’offre médicale en matière d’accès à l’IVG, quelle que soit la technique utilisée, doit être augmentée en France, et des moyens pérennes et dédiés doivent être donnés aux structures qui s’engagent à réaliser les IVG. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)