M. Max Brisson. Nombre de sénateurs du groupe Les Républicains tiennent à modifier l’intitulé du projet de loi.
Comme je l’ai souligné dans la discussion générale, la Haute Assemblée doit rappeler avec force le caractère inaliénable des collections nationales. C’est la raison pour laquelle les auteurs de l’amendement proposent de qualifier ce texte de projet de loi d’exception.
Par ailleurs, le terme restitution continue de poser problème de notre point de vue. En effet, si le verbe latin restituere signifie « remettre à sa place, replacer, rendre », il n’en demeure pas moins que, en français, restituer désigne bien le fait de rendre une chose que l’on possède indûment – après le Gaffiot, je me réfère au Larousse –, ce qui véhicule incontestablement l’idée d’une faute à réparer.
Voilà pourquoi nous proposons d’employer le mot, plus neutre, de « transfert », qui exclut que la France porte une quelconque culpabilité.
Comme je sais que Mme la rapporteure s’apprête à nous suggérer deux rectifications, j’annonce que nous sommes tout à fait disposés à y faire droit… (MM. Bruno Retailleau et Jean-Raymond Hugonet applaudissent.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Cet amendement vise à apporter une double modification à l’intitulé du projet de loi.
D’une part, il est proposé de le qualifier de projet de loi d’exception.
En l’absence de cadre général pour les restitutions, ce type de texte est, de toute façon, un texte d’exception : la règle applicable à nos collections reste l’inaliénabilité. C’est la raison pour laquelle nous sommes saisis de ce projet de loi. Au reste, grâce à la députée Constance Le Grip, les articles 1er et 2 prévoient déjà clairement que la sortie des biens revendiqués par le Bénin et le Sénégal est dérogatoire au principe d’inaliénabilité des collections.
Dans ces conditions, je ne crois pas utile de faire référence à l’exception dans l’intitulé du projet de loi.
D’autre part, les auteurs de l’amendement entendent substituer à la notion de restitution celle de transfert.
L’intitulé actuel s’inscrit dans la droite ligne des textes antérieurs : loi de 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud et loi de 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections. J’y vois donc une forme de continuité. Toutefois, je conçois que la question des restes humains et celle des objets soient tout à fait différentes. Par ailleurs, il est exact que le verbe « restituer » comporte, dans sa définition précise, l’idée d’une propriété illégitime.
Je ne suis pas enthousiasmée par le mot « transfert », même si je l’ai fait introduire aux articles 1er et 2, par souci de précision par rapport au verbe « remettre ». En effet, c’est un terme assez technocratique et peu signifiant ; surtout, il risque de ne pas parler aux populations concernées, nos amis béninois et sénégalais.
Nous pourrions tomber d’accord sur la notion de retour : ce serait une bonne façon de marquer que ces objets reviennent dans leur pays d’origine, sans que soit contestée leur propriété juridique, reconnue par le droit français comme par le droit international.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Les questions de terminologie sont d’autant plus intéressantes qu’on peut en débattre à l’infini – ce qui, nuitamment, a toujours un certain charme…
Quelque amour que j’éprouve pour le grec, je ne convoquerai pas les langues anciennes ; je ne suis d’ailleurs pas sûre que le mot « restitution » ait une grande importance. Comme je l’ai souligné deux fois dans la discussion générale, après l’avoir fait dans les débats parlementaires précédents, il s’agit d’être clair sur l’objectif du texte, sans que celui-ci constitue un acte de repentance.
Avis défavorable sur l’amendement.
M. le président. Monsieur Brisson, acceptez-vous la demande de rectification de Mme la rapporteure ?
M. Max Brisson. Madame la rapporteure, je vous remercie d’avoir compris le sens de notre amendement, d’en avoir précisé l’esprit est d’avoir confirmé que le mot « restitution » comporte bien une charge morale.
Je rappelle qu’un examen attentif de ce qui était légal dans le contexte de l’époque disqualifie ce terme, sauf à appréhender le passé selon non pas une démarche historique fondée, mais une stricte et exclusive vision mémorielle moralisatrice.
Je consens à retirer la référence à l’exception.
Quant au terme « retour », compris comme un retour des objets sur leurs terres d’origine, il me paraît plus acceptable que « restitution ». Le mot « transfert », qui avait notre préférence, a été introduit, sur votre initiative, aux articles 1er et 2, pour remplacer à juste titre le verbe « remettre » : nous aurions pu l’employer une troisième fois, mais j’entends vos arguments, madame la rapporteure, et je respecte votre belle expertise sur ces questions.
Monsieur le président, j’accepte donc de rectifier notre amendement dans le sens demandé.
M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° 1 rectifié quater, ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur Brisson, vous m’avez privé de ma declamatio : vous saviez que j’allais répondre au Larousse par le Gaffiot !
Il est seulement dommage que vous n’ayez pas lu la définition du Gaffiot jusqu’au bout… Car vous auriez appris que restituo est employé par Cicéron pour rapporter que le Sénat de la République romaine avait replacé à son emplacement d’origine la statue de Minerve emportée par la tempête. Or, en droit latin, une statue possède un caractère inaliénable, qui la distingue d’une marchandise.
C’est très exactement ce qui se passe avec les statues d’Abomey : ce sont d’abord des œuvres religieuses. D’ailleurs, dans le document signé le 18 novembre 1892 au palais d’Abomey, le colonel Dodds déclare au nom de la France : « Rien ne sera changé dans les coutumes et les institutions du pays, dont les mœurs seront respectées. »
Manifestement, il y a eu, quelque part, un manquement à la parole donnée. C’est pourquoi je préfère le verbe « restituer ».
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour explication de vote.
Mme Claudine Lepage. Je n’entrerai pas dans cette joute entre personnes très cultivées… Je remercie simplement Max Brisson d’avoir rectifié son amendement, parce que, dans sa rédaction initiale, nous n’aurions pas pu le voter. Ne serait-ce que parce que ce projet de loi, s’il est certes dérogatoire, n’est pas un texte d’exception.
Notre collègue rejette le terme « restitution », qui, dans son esprit, s’accompagne d’une forme de repentance, ce qu’il refuse absolument. Je l’admets, mais il ne s’agit pas de nier l’histoire telle qu’elle s’est passée, seulement de reconnaître une juste part de responsabilité. Il convient non pas de regarder l’histoire d’hier avec les yeux d’aujourd’hui, mais de légiférer pour aujourd’hui et demain.
Puisque le terme « retour » met tout le monde d’accord, et la notion d’exception ayant été supprimée, je souscris tout à fait à l’amendement rectifié.
M. le président. Pas tout à fait tout le monde, puisque M. Ouzoulias préfère « restitution »…
La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Je ne crois pas que ce débat soit accessoire, même nuitamment… Le terme « restitution » est lourd de sous-entendus : il emporte même la notion de spoliation, avec tout ce que cela véhicule en termes d’idéologie de la repentance.
Dans la discussion générale, madame la ministre, vous avez pris des précautions infinies pour expliquer que ce texte n’est pas un acte de repentance. Précisément : cet amendement nous offre l’occasion, en parlant de transfert ou de retour – je ne sais pas s’il s’agit de termes technocratiques –, de neutraliser l’idéologie de la repentance dont le terme initial est porteur !
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Quand les frontières se ferment, il faut que les œuvres de l’esprit continuent de voyager pour donner du sens à notre humanité commune. L’universalisme que nous invoquons depuis le début de cette discussion nous oblige à rendre accessibles ces biens culturels à l’ensemble des pays qui nous les demandent, et pas seulement à ceux qui ont les moyens financiers de les accueillir.
Ce devoir est d’autant plus impérieux quand il s’agit de les offrir à la contemplation des sociétés qui les ont réalisés et que nous en avons privées.
Je regrette vivement que ce débat ait été enfermé dans les limites juridiques étroites d’un texte consistant en des transferts de propriété. Il eût été utile de nous interroger sur la validité, presque morale, d’un acte de propriété sur des œuvres qui n’ont cessé de passer de main en main et de traverser les frontières et les époques.
Pour reprendre l’exemple des chevaux de Saint-Marc, que valent les droits de leurs derniers propriétaires, alors qu’ils témoignent aussi du génie grec, de la capacité de la Renaissance constantinienne à fonder un nouvel empire sur les bases de l’Antiquité finissante et, finalement, du lien jeté entre l’Orient et l’Occident par la République de Venise ?
Les œuvres qui nous intéressent ce soir ont été juridiquement incorporées dans les collections nationales françaises, ce qui justifie notre débat sur ce texte. Néanmoins, elles participent surtout de l’expression du génie humain. À ce titre, la France n’en est que l’ultime dépositaire : ce statut lui donne sans doute des droits, mais lui confère aussi des devoirs envers celles et ceux qui n’y ont pas accès, en particulier les populations auxquelles nous les avons arrachées.
Si notre pays continue de défendre l’universalisme du patrimoine mondial et des musées, il ne peut continuer à opposer cette conception aux légitimes demandes de partage. Nous devons abandonner cette position strictement défensive et nous engager dans une politique qui favorise les échanges et la circulation de toutes les œuvres !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 16 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 343 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Je remercie l’ensemble des orateurs pour leur contribution à ce débat riche et complexe.
Six mois après le vote à l’unanimité, ici même, du projet de loi de restitution des têtes maories, puis son adoption définitive par l’Assemblée nationale, une très belle cérémonie s’est tenue au musée du quai Branly, en présence du ministre de la culture de l’époque, Frédéric Mitterrand, et de l’ensemble des parties prenantes, pour solenniser ce geste extrêmement fort et symbolique de restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande.
Un an plus tard, mes chers collègues, c’est le groupe d’amitié France-Nouvelle-Zélande du Sénat qui, à l’invitation du gouvernement néo-zélandais, a accompagné le retour des vingt et une têtes maories en terre maorie. Loin d’être la fin d’une aventure, ce déplacement a marqué le début d’un nouveau dialogue et d’une nouvelle coopération, aujourd’hui intenses et qui, bien au-delà de la diplomatie, ont considérablement renforcé les liens d’amitié entre les institutions des deux pays.
Avec le Sénégal et le Bénin, nous avons un travail formidable de coopération et de partage à mener, à partir des textes que nous avons votés. Tout commence ce soir ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Je me réjouis que ce projet de loi, annoncé par le président Emmanuel Macron dans son discours de Ouagadougou et destiné à renforcer nos liens de coopération avec les pays africains, spécialement le Sénégal et le Bénin, ait été voté à l’unanimité.
Ce texte compliqué a donné lieu à un débat riche sur la proposition d’un conseil. Mais le cœur du projet de loi, c’est la volonté politique forte d’entamer une nouvelle ère de coopération en rendant aux pays africains – en leur retournant, si vous préférez… – le sabre d’El Hadj Omar Tall et les vingt-six objets issus du sac du palais d’Abomey.
C’est pour moi une grande satisfaction que ce texte, qui a suscité bien des interrogations, ait été voté à l’unanimité par le Sénat, après l’avoir été par l’Assemblée nationale ! (Applaudissements.)
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 5 novembre 2020 :
À neuf heures trente :
Quarante-deux questions orales.
À dix-neuf heures :
Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (procédure accélérée ; texte A.N. n° 3495), discussion générale.
Le soir :
Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (procédure accélérée ; texte A.N. n° 3495), discussion des articles.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : M. Laurent Lafon, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Jean-François Rapin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sylvie Robert et M. Julien Bargeton ;
Suppléants : MM. Max Brisson, Olivier Paccaud, Jean-Raymond Hugonet, Jean Hingray, Mme Claudine Lepage, MM. Bernard Fialaire et Pierre Ouzoulias.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER