M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je trouve moi aussi ce sujet très important. Sont en jeu à la fois la grande tradition bonapartiste et le poids qu’ont les gens issus de la structure des grandes écoles par rapport aux docteurs. S’agissant de la direction d’unités de recherche, exiger le doctorat me paraît tout à fait légitime, mais, plus fondamentalement, lorsque – souvenez-vous – le Président de la République a dit qu’il fallait supprimer l’École nationale d’administration (ENA), la question posée était, derrière cette idée, celle des formes de recrutement donnant accès aux responsabilités diverses et variées de la République.
Il n’est pas acceptable que les docteurs, tant dans les entreprises que dans la haute fonction publique, soient insuffisamment reconnus. Ce clivage historique entre l’université et les grandes écoles n’est pas positif ; il me paraît fondamental d’envoyer un signe dans le sens d’une exigence de valorisation des docteurs, s’agissant en particulier de promouvoir leur accès à l’ensemble des postes à responsabilité, notamment aux directions d’établissements de recherche.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Chacun, bien sûr, sera maître de son vote ; je tiens à préciser néanmoins que ces trois amendements ne sont pas tout à fait identiques, même si leur philosophie respective est sans doute assez proche : des petites différences de rédaction les distinguent. Il me semble que l’amendement n° 127 rectifié est un peu plus précis que les autres ; l’ajout de la date du 1er janvier 2023, notamment, dont Stéphane Piednoir a fait état dans sa dernière prise de parole, pourrait éviter des malentendus avec certaines personnes…
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 5.
Article 6
I. – Le chapitre Ier du titre III du livre IV du code de la recherche est complété par un article L. 431-6 ainsi rédigé :
« Art. L. 431-6. – Dans les établissements publics de recherche, dans les établissements publics d’enseignement supérieur et dans les établissements publics dont les statuts prévoient une mission de recherche mentionnés à l’article L. 112-6, un agent peut être recruté, pour contribuer à un projet ou une opération de recherche identifiée, par un contrat de droit public dont l’échéance est la réalisation du projet ou de l’opération.
« Ce contrat est conclu pour une durée indéterminée après un appel public à candidatures et selon une procédure de recrutement permettant de garantir l’égal accès à ces emplois.
« Par dérogation aux dispositions de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, le contrat prend fin avec la réalisation du projet ou de l’opération de recherche, après un délai de prévenance fixé par décret en Conseil d’État. Dans ce cas, l’employeur justifie de l’arrêt effectif de l’activité de recherche associée au projet. Cette dernière ne peut être poursuivie par le recours à de nouveaux contrats portant sur des missions similaires. Le contrat peut être également rompu lorsque le projet ou l’opération pour lequel ce contrat a été conclu ne peut pas se réaliser. Sauf au cours de la période d’essai ou en cas de faute disciplinaire de l’agent, l’employeur ne peut rompre le contrat pendant la première année pour quelque motif que ce soit.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article, notamment la nature des projets ou opérations de recherche pouvant bénéficier d’un tel contrat, les modalités de recrutement et de rupture du contrat, les modalités d’accompagnement des salariés dont le contrat s’est achevé ainsi que les modalités de mise en œuvre d’une indemnité de rupture lorsque le projet ou l’opération ne peut pas se réaliser. »
II. – Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de cinq ans à compter de la publication de la présente loi, un rapport évaluant le recours au contrat défini à l’article L. 431-6 du code de la recherche.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, sur l’article.
Mme Sylvie Robert. Nous nous apprêtons à discuter d’un dispositif assez symptomatique du risque de précarisation des chercheurs. Concrètement, en effet, le CDI de mission scientifique n’a de CDI que le nom…
En réalité – pourquoi pas ? –, il prend fin lorsque le projet ou l’opération est réalisé. Mais il peut être rompu à n’importe quel moment si ledit projet ou ladite opération ne peut être mené à son terme, sans qu’aucune contrepartie soit fixée dans la loi.
À l’alinéa 5 n’est évoqué vaguement qu’un décret en Conseil d’État censé déterminer « les modalités […] de rupture du contrat, les modalités d’accompagnement des salariés dont le contrat s’est achevé ainsi que les modalités de mise en œuvre d’une indemnité de rupture lorsque le projet ou l’opération ne peut se réaliser. »
Il s’avère en outre pertinent de s’interroger, à l’instar du Conseil d’État, sur la nécessité de créer un énième contrat dérogatoire. En l’état du droit existent déjà les contrats de chantier et les contrats de projet qui, dans leur philosophie, peuvent être apparentés au CDI de mission scientifique. Ainsi eût-il été préférable d’élargir le périmètre de ces contrats de chantier, en les ouvrant et en les adaptant par exemple à l’ensemble des établissements publics, ou, mieux, de transformer les contrats de projet en contrats à durée indéterminée, plus protecteurs, quitte à modifier leurs bornes temporelles et à permettre d’aller au-delà des six ans actuellement inscrits dans la loi.
Cette solution, sans même évoquer celle de la titularisation des chercheurs, qui va de soi, aurait eu le mérite d’être adaptée au monde de la recherche, y compris à celui de la recherche publique, tout en permettant d’éviter l’écueil de la précarisation.
D’une manière générale, l’absence patente d’encadrement législatif des contrats créés par ce projet de loi n’est vraiment pas souhaitable ni acceptable. La recherche ne peut progresser selon une logique de contrats courts ; nous l’avons tous dit : elle a besoin de stabilité, de permanence, de visibilité, comme en ont besoin nos chercheurs, nos enseignants et nos doctorants.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 30 rectifié est présenté par Mmes S. Robert et Monier, MM. Kanner, Antiste et Assouline, Mme Lepage, MM. Lozach, Magner et Stanzione, Mme Van Heghe, M. Montaugé, Mme Artigalas, MM. Devinaz, Gillé, P. Joly et Merillou, Mme Préville, MM. Redon-Sarrazy, Sueur, Kerrouche, Pla, Michau et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 94 est présenté par MM. Ouzoulias et Bacchi, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 186 est présenté par Mme de Marco, MM. Dossus et Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour présenter l’amendement n° 30 rectifié.
M. Christian Redon-Sarrazy. Nous sommes opposés à la création du contrat de mission scientifique, qui crée un nouveau statut contractuel précaire. Ce contrat n’a la forme d’un CDI qu’en théorie, puisqu’il sera limité à la durée aléatoire d’un projet et pourra être rompu, dans certains cas, sans que l’agent perçoive d’indemnités. Par dérogation au droit commun de la fonction publique, un tel contrat pourra être rompu à la fin de la réalisation du projet ou lorsque celui-ci ne pourra se réaliser. Le délai de prévenance au terme duquel le contrat pourra être rompu pour achèvement du projet n’est même pas fixé par le législateur, mais le sera par le pouvoir réglementaire.
Toutes les instances représentatives du secteur, que ce soit le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), le comité technique des personnels enseignants titulaires et stagiaires de statut universitaire (CTU), le Conseil supérieur de la fonction publique de l’État (CSFPE) ou la Confédération des jeunes chercheurs (CJC), se sont prononcées contre ce nouveau statut, et le Conseil d’État a émis de fortes réserves face à « la multiplication des possibilités déjà nombreuses » – je citerai les contrats « LRU », ou loi relative aux libertés et responsabilités des universités, les contrats de chantier, les contrats de projet, qui ont déjà été évoqués – « de recruter des agents contractuels sans qu’il soit possible de dégager des critères simples et clairs ».
L’eurocompatibilité de ce CDD déguisé en CDI est également discutable, et ce nouveau statut ne répond pas à l’impératif de stabilité posé pour les emplois de chercheur. Faire reposer un CDI sur la durée d’un projet de recherche, par nature aléatoire – on cherche, mais on ne sait pas quand on trouvera – et dont les financements ne sont pas toujours au rendez-vous, est absolument contre-nature.
Nous sommes donc totalement opposés à ce nouvel instrument de précarisation des chercheurs confirmés, car, en l’espèce, les contrats ne s’adressent pas à des doctorants ou à des postdoctorants, mais bien à des chercheurs qui, après dix ans d’études et de recherche leur ayant permis d’acquérir titres et diplômes et de faire leurs preuves, peuvent légitimement aspirer à un véritable emploi stable, répondant réellement aux critères d’un CDI de droit commun.
Nous souhaitons donc supprimer cet article, qui n’offre aux chercheurs qu’un nouvel outil de précarisation.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour présenter l’amendement n° 94.
M. Pierre Ouzoulias. Au titre des missions que j’ai conduites pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), j’ai interrogé à plusieurs reprises des collègues américains, biologistes, qui avaient choisi d’être recrutés par le CNRS. S’ils ont fait ce choix, ce n’est pas pour le salaire, qui est bien inférieur à celui qu’ils auraient pu toucher aux États-Unis, ni même pour l’environnement, qui est absolument catastrophique.
Pourquoi donc, leur ai-je demandé, étaient-ils venus en France, et pourquoi avaient-ils postulé aux concours de la fonction publique ? Ils m’ont répondu très simplement : pour la liberté – la liberté de faire sa recherche selon son rythme, la liberté de ne pas être soumis à la logique incessante de la poursuite des contrats. Cette liberté, m’ont-ils dit, c’est ce qui leur permet de prendre des risques scientifiques et de faire aboutir des recherches qui constituent des avancées majeures. Pour arriver à de tels résultats, il faut aussi, de temps en temps, une recherche « inutile », comme le disait le professeur Serge Haroche.
Ce que doit offrir la recherche française, à défaut de rémunérations et d’équipements à la hauteur de ce à quoi pourraient prétendre les chercheurs que nous embauchons – elle n’en a pas les moyens –, c’est cette liberté que donne encore la fonction publique, au contraire du modèle anglo-saxon que vous décriviez, madame la ministre : celle d’un cadre protecteur garantissant une recherche de qualité.
Ce que l’on est en train de créer, c’est une forme de sous-prolétariat de la recherche. C’est à la fois le statut du chercheur et le statut de la science qu’on attaque. Faites attention ! Le jour où le chercheur sera traité comme un employé de votre garagiste, c’est la reconnaissance de la valeur même de la science qui sera compromise.
Par ailleurs, je remarque que cette disposition est contraire à la directive européenne du Conseil du 28 juin 1999, dont la clause 5 demande aux États membres de définir « la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ».
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour présenter l’amendement n° 186.
Mme Monique de Marco. L’article 6 prévoit la création d’un contrat à durée indéterminée de droit public dit CDI de mission, dont l’échéance est la réalisation d’un projet scientifique. Durée indéterminée, mais avec échéance : l’antinomie de l’intitulé n’aura échappé à personne… Il s’agit bel et bien, en effet, d’un CDD qui ne dit pas son nom, d’une couche de précarité supplémentaire qui rogne un peu plus la règle de la titularisation des personnels œuvrant pour la recherche publique.
Le projet de loi prévoit la création de ces postes pour « renforcer l’attractivité des métiers scientifiques ». Mais quelle attractivité peut-on bien générer dès lors que l’on fragilise les parcours, que l’on précarise les personnels, qu’on leur refuse la tranquillité statutaire de mener leurs travaux dans les meilleures conditions ?
Ce nouveau CDI n’en a que le nom, comme je le disais ; il porte en lui le risque d’enfermer des personnels sous ce statut via la menace permanente de sa rupture. L’employeur peut en effet y mettre un terme dès lors que le projet ou l’opération pour laquelle ce contrat a été conclu ne peut pas se réaliser.
Pour toutes ces raisons, et parce que mon groupe souhaite renforcer et non pas amoindrir la stabilité des parcours professionnels de la recherche, nous proposons la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laure Darcos, rapporteure. Il nous semble quand même que ce nouveau contrat de mission scientifique permettrait aux établissements publics de recherche de recruter des chercheurs pour la durée d’un projet susceptible de se dérouler sur une période supérieure à celle d’un CDD, soit plus de six ans. Plutôt que d’être embauché sur des CDD successifs pour une même activité, le chercheur se verrait ainsi proposer un seul contrat initial qui se poursuivrait jusqu’à l’achèvement du projet de recherche. Ce cadre est plus sécurisant et plus respectueux des compétences que ne l’est le système actuel.
Ce contrat éviterait en outre les complications administratives auxquelles sont confrontés les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) et les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) lors des processus habituels de renouvellement des CDD. La commission a tenu à sécuriser le dispositif en introduisant une durée minimale en deçà de laquelle l’employeur ne peut pas mettre fin au contrat.
Avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. Je vais prendre un petit peu de temps pour réexpliquer l’objectif de ces CDI de mission scientifique.
Que se passe-t-il aujourd’hui lorsqu’une équipe décroche un contrat de recherche européen d’une durée de douze ans – prenons cet exemple ? Les ressources mobilisées sont des ressources propres, puisqu’elles proviennent de l’Europe et non pas de la subvention pour charges de service public. Or on ne peut pas créer d’emploi de titulaire à partir de ressources financières qui ne proviennent pas de ladite subvention. Que peuvent donc faire les établissements ? Actuellement, ils peuvent créer des CDD, qu’ils peuvent faire durer jusqu’à six ans. Au terme de ce laps de temps, s’ils veulent garder la personne, ils peuvent l’embaucher en CDI, ce qui signifie que le poste est désormais financé, en lieu et place d’un emploi de titulaire, sur les crédits afférents à la subvention pour charges de service public.
Actuellement, les établissements sont tentés de garder les personnels concernés jusqu’à la limite des six ans puis, une fois atteinte l’échéance, de ne pas renouveler leur CDD, éventuellement de leur demander de passer six mois ou un an au chômage avant de pouvoir les réembaucher sur un CDD, ce qui fait tomber le droit à « CDIsation ». Nous proposons que les ingénieurs ou les techniciens puissent plutôt être recrutés pour douze ans lorsqu’un contrat de recherche est financé pour douze ans, et qu’ils puissent l’être sur un contrat de travail qui portera le nom de CDI. Par définition, en effet, ce qui n’est pas déterminé est indéterminé, et comme les projets peuvent durer huit, dix, douze, parfois jusqu’à quinze ans, il s’agit forcément de contrats à durée indéterminée.
J’ajoute que les établissements n’ont évidemment aucun intérêt à perdre les compétences de ces techniciens ou de ces ingénieurs qui ont fait leurs preuves sur un projet de recherche, notamment lorsqu’il s’agit d’animer des grandes plateformes ou de construire des bases de données. Si un nouveau projet de recherche exige de maîtriser ces mêmes compétences, la même personne pourra donc évidemment être auditionnée et recrutée dans le cadre de ce contrat particulier que sera le CDI de mission, dont le financement pourra être adossé à des fonds propres.
Les établissements ne peuvent pas recruter en CDI sur subvention pour charges de service public les personnes qu’elles paient sur ressources propres grâce aux contrats européens – c’est l’exemple que j’ai pris ; c’est la même chose pour les contrats public-privé et pour tout un tas d’autres financements sur ressources propres. Ce nouveau contrat, donc, sécurise et « déprécarise » des personnels qui, actuellement, voient leur CDD s’arrêter sans que rien leur soit proposé, parce que les établissements ne veulent pas remplacer les emplois de titulaires par des CDI et parce qu’ils ne veulent pas utiliser leur subvention pour charges de service public pour recruter des personnels à long terme, alors que ces personnels ont été recrutés pour un projet de recherche d’une durée de douze ans, si je poursuis sur l’exemple que j’ai pris.
Il ne s’agit donc en aucun cas de précarisation ; il s’agit au contraire de pallier les manques qui existent actuellement pour ces personnes qui doivent arrêter leur activité à la fin de leur CDD, lequel ne peut jamais excéder six ans, pour les raisons que je viens d’évoquer.
Avis défavorable sur ces trois amendements – mais il me semblait important de décrire la situation actuelle, contre laquelle nous souhaitons lutter.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la ministre, nous avons bien entendu vos arguments. Mais le dispositif que vous êtes en train de promouvoir n’est autre qu’une installation durable des agents dans la précarité. Il ne s’agit peut-être pas de précarisation, puisque ceux-ci sont manifestement, pour une part, déjà précaires ; mais le système que vous proposez pour répondre à cette précarité n’offre pas de garanties dans la durée aux chercheurs.
C’est bien, les programmes de recherche. Mais derrière ces programmes, il y a avant tout des chercheurs ! Or on ne traite pas les chercheurs comme des kleenex qu’on utilise pour un seul projet – c’est aussi cela qui démoralise nos chercheurs. Quand on fait le point sur votre projet de loi, on observe qu’il prévoit 15 000 emplois précaires supplémentaires, c’est-à-dire une augmentation de 10 % de tels emplois ; dans le même temps, du côté des postes sous plafond, qui ne sont d’ailleurs pas toujours statutaires, l’augmentation est bien plus modeste.
On voit bien globalement, donc – c’est, au reste, ce que le monde de la recherche et des chercheurs nous dit –, que ce projet de loi va inscrire dans le marbre, voire accroître, la précarité, ce qui ne peut qu’affaiblir notre recherche et nos chercheurs.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que lorsqu’on demande aux prix Nobel français qui sont issus du CNRS – ce nom n’évoque peut-être à certains que des soupçons de « bureaucratie », mais beaucoup de nos lauréats en sont issus, même si tel n’est pas le cas de la dernière – comment ils ont pu atteindre leurs objectifs, et ce qu’ils doivent au CNRS, ils mettent justement en avant trois critères qui sont pour eux déterminants : la durée et la stabilité de leur emploi ; la liberté dans la conduite de leur recherche ; la possibilité de mener des recherches sur des champs qui, sans avoir été jugés prioritaires au départ, ont fini par s’avérer beaucoup plus féconds que certains autres champs qui, eux, avaient été jugés prioritaires mais n’ont abouti qu’à des résultats modestes.
Il faut plutôt la consolider cette philosophie de la recherche française. Je suis donc pour le recul de la contractualisation et contre ces nouveaux contrats.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. J’ai compris, au fil des auditions que nous avons menées, qu’il était parfaitement possible que quelqu’un soit recruté vers 35 ou 37 ans et enchaîne ensuite trois contrats de dix ans. C’est ce que les opérateurs nous ont dit : c’est une facilité qu’ils demandent.
Quand vous enchaînez trois contrats de chantier, vous n’avez plus de carrière, plus de droit à la mobilité, plus de droit à la formation, plus de droit à rien, ce qui est quand même une forme de précarité.
Par ailleurs, sur le fond, il y aurait, dans l’enseignement supérieur et la recherche, des formes de rigidité, et il faudrait fluidifier, par les contrats, la capacité des opérateurs à mieux employer des personnes sous contrat, donc non titulaires.
Mais quand on regarde la réalité des chiffres, on constate qu’il y a, dans l’enseignement supérieur et la recherche 50 % de précaires ! C’est bien que, manifestement, il n’y a pas beaucoup de rigidités. Si un salarié sur deux est sous contrat précaire, c’est qu’il est inutile de continuer à fluidifier, c’est que nous sommes arrivés à un niveau qui est déjà inacceptable.
Vous avez repris l’opposition fondamentale, que je crois pertinente, entre le modèle anglo-saxon et le modèle français. Le modèle français est fondé sur le service public, sur la fonction publique : les missions de service public sont d’abord et prioritairement assurées par des fonctionnaires. C’est l’un des grands mérites du Conseil national de la résistance que d’avoir jeté les bases de ce modèle en 1945 – vous me permettrez d’y rester attaché. Cet élément est déterminant : c’est ce qui fait l’indépendance du fonctionnaire et, en l’espèce, du chercheur ; et c’est ce qui fait, surtout, sa capacité à être au service de l’intérêt général.
Ce que vous nous proposez, c’est le modèle anglo-saxon ; c’est celui que nous refusons. C’est précisément pour cette raison que nous voterons contre cette disposition.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 30 rectifié, 94 et 186.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 227, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4, dernière phrase
Après les mots :
ou en cas
insérer les mots :
d’insuffisance professionnelle, d’inaptitude physique ou
La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre. Il s’agit d’un amendement de précision, dont l’objet est d’ajouter à la liste des exceptions à l’impossibilité de rompre le contrat de projet les cas d’insuffisance professionnelle et d’inaptitude physique, comme c’est le cas dans le droit commun applicable aux personnels contractuels.
Un mot pour répondre à ce qui vient d’être dit : oui, bien sûr, nous devons augmenter le nombre de personnes recrutées sous contrat, notre objectif étant que 100 % des doctorants puissent avoir un contrat ; tant qu’à faire, donc, autant le prévoir.
Monsieur Ouzoulias, je suis ravie que nos doctorants aient un contrat de travail. Je pense que c’est bien mieux ainsi et qu’il y a, là aussi, un modèle français que nous devons préserver. Ce contrat de travail des doctorants n’est certes pas un contrat définitif. Vous le qualifiez de « précaire » ? Je le qualifie, moi, de très sécurisant pour les doctorants qui travaillent en France.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laure Darcos, rapporteure. Avis favorable.
M. le président. Mes chers collègues, je vais lever la séance.
Nous avons examiné 94 amendements au cours de la journée ; il en reste 125.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.