M. Julien Bargeton. Mention « assez bien » !
M. le président. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne citerai pas de Gaulle ; Pierre Ouzoulias l’a fait, et de quelle manière !
Il est vrai que, dans le contexte exceptionnel que connaît notre pays, la Haute Assemblée va dépasser le temps présent pour regarder loin, et échanger durant cette semaine sur la recherche, c’est-à-dire l’avenir de notre pays, ardente obligation du plan.
Je veux tout d’abord saluer les rapporteurs, en particulier Laure Darcos, qui, par des apports pertinents et équilibrés, a contribué à donner plus de sens à une loi de programmation insuffisamment systémique et structurante, de son propre aveu, même si elle n’est pas exempte d’avancées et de rattrapages bienvenus.
Tout a été exprimé par nos trois excellents rapporteurs, Laure Darcos, Jean-François Rapin et Jean-Pierre Moga sur l’étalement de cette loi de programmation, qui allait dans sa version initiale au-delà de l’horizon des deux quinquennats que peut constitutionnellement exercer l’actuel chef de l’État.
De manière pertinente, notre commission a ramené la projection à une durée habituelle de sept ans. C’est une bonne chose. Il semblerait d’ailleurs que le message du Sénat ait été entendu, au moins partiellement. Les projections du plan de relance pour les deux prochaines années ainsi qu’un amendement du Gouvernement corrigent, sinon la trajectoire initiale de la LPPR, du moins le péché initial qui était le sien.
Vous annoncez, les suivants paieront : voilà finalement ce que nous avons ressenti à la lecture du texte initial. Vous semblez vouloir corriger le tir, sans vraiment l’avouer ni l’assumer. Nous resterons vigilants.
De même, je veux saluer les efforts de revalorisation des régimes indemnitaires des chercheurs et enseignants-chercheurs, en particulier en début de carrière. Ils permettront de réaligner progressivement les grilles indiciaires sur la moyenne des pays de l’OCDE, ce qui est un minimum pour revaloriser le métier d’enseignant-chercheur et, espérons-le, pour renouer avec une attractivité perdue.
Il était également important de trouver des solutions pour retenir les jeunes talents. Tous ne rêvent pas de carrières à l’ancienneté. Tous ne rêvent pas d’emplois à vie. Tous veulent disposer de contrats et de moyens diversifiés pour mener leurs travaux dans des conditions sécurisées. Je souhaite que les chaires de professeur junior répondent à leurs aspirations.
Je sais et comprends l’attachement de la communauté scientifique aux concours statutaires de recrutement. Pour autant, oui, il faut répondre à des besoins spécifiques des établissements. Oui, il faut offrir à nos jeunes talents des solutions plus satisfaisantes que les montages actuels, peu attractifs et pourvoyeurs de précarité.
Madame la ministre, malgré cette avancée, que je salue de nouveau, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a plusieurs rendez-vous manqués, et tout d’abord celui de la confiance et du consensus avec la communauté scientifique sur un horizon et un avenir ambitieux. Les enjeux de l’avenir auraient pu être davantage partagés. Ce n’est pas le cas.
Rendez-vous manqué, ensuite, pour revaloriser le statut des doctorants et la place du plus haut niveau académique dans notre société et dans l’organisation de notre État.
Faibles rémunérations, faible valorisation, le doctorat demeure dans l’ombre des concours et des diplômes des grandes écoles françaises. Sans revenir sur ces concours, qui participent également à construire la méritocratie républicaine, je crois qu’il nous faut réfléchir aux moyens de mieux les valoriser. Plusieurs amendements du Sénat, cher Stéphane Piednoir, vont en ce sens.
Rendez-vous manqué, également, pour s’interroger sur le rôle de l’université en tant qu’institution majeure du territoire en matière de recherche et d’innovation.
L’approche territoriale me semble une fois de plus avoir été ignorée. Permettez-moi de dire mon étonnement qu’un projet de loi de programmation, dont l’objectif est de replacer la recherche dans une relation ouverte avec la société, fasse aussi peu référence à l’ancrage et à la diffusion de la recherche dans les territoires et au partenariat avec les collectivités locales.
L’effet métropolitain, si décrié, n’est-il pas une nouvelle fois à l’œuvre ? Cette LPPR n’impacterait-elle pas négativement les capacités de recherche, d’innovation et d’enseignement supérieur des villes universitaires non métropolitaines ?
La mise en réseau de la recherche nécessite une approche multiscalaire autrement plus fine. Je crains que la dynamique qui innerve cette LPPR ne se fasse au détriment des équilibres régionaux et territoriaux en matière d’aménagement du territoire.
Rendez-vous manqué, enfin, au moins dans le texte initial, pour réaffirmer les libertés académiques, c’est-à-dire la garantie pour les enseignants-chercheurs et les chercheurs de mener leurs activités pédagogiques et scientifiques en toute indépendance.
Héritées du Moyen Âge, ces libertés ont construit une université libre dans ses recherches et dans sa parole. Elles sont aujourd’hui mises à l’épreuve par la diffusion d’une conception anglo-saxonne de l’université, empreinte de bien-pensance et d’autocensure.
Je crois que vous êtes sensible à ce sujet, madame la ministre, vous qui aviez assisté à la représentation reprogrammée de la pièce d’Eschyle, Les Suppliantes, en Sorbonne, il y a deux ans, et qui avez livré au quotidien L’Opinion, cette semaine, une tribune attendue sur cette question.
Au-delà de ces atteintes insupportables à la liberté d’expression, la préservation intransigeante des libertés académiques est le gage de l’excellence de la recherche française.
Aussi, je souhaite qu’à l’occasion de l’examen de cette LPPR, nous puissions échanger sur ce sujet important dans les travaux quotidiens des chercheurs, des enseignants et des enseignants-chercheurs. Je sais, madame la rapporteure, que c’est aussi votre souhait.
Je me réjouis par avance des débats que nous aurons et des apports du Sénat sur ce sujet qui touche à la liberté d’expression au cœur même de l’université. Elle en est, historiquement, le berceau et la garante, et nous en mesurons en ces temps troublés la précieuse valeur.
Madame la ministre, mes chers collègues, c’est parce qu’il a été profondément remanié par les apports de nos rapporteurs et de notre commission que le groupe Les Républicains votera cette LPPR. Ce n’est pas un texte majeur, encore moins fondateur, mais il permettra un certain nombre de revalorisations et de rattrapages qui s’inscrivent dans la nécessité de redonner confiance aux chercheurs de ce pays.
Le travail reste long, et nous avons ressenti, à travers les nombreux textes que nous avons reçus, combien l’impatience était grande et combien il était dommage que vous n’ayez pas su, à l’occasion de ce projet de loi, nouer le consensus, le dialogue et la confiance que la communauté scientifique était en droit d’attendre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, cette discussion générale montre, une fois de plus, toutes les améliorations que le Sénat est capable d’apporter à un texte de loi. Nous ne serons pas d’accord sur tout, évidemment, mais il est bien normal que nous puissions débattre.
J’entends une forme d’accusation : les moyens ne seraient finalement pas à la hauteur des ambitions. Je rappelle que nous sommes les premiers à prévoir ces moyens sur les trente dernières années. Entre 2012 et 2017, le programme 172 a augmenté de 50 millions d’euros. En 2021, nous investirons donc cinq fois plus que ce qui a été investi en cinq ans entre 2012 et 2017.
L’OCDE estime que le budget de la recherche en France sur ces dix dernières années a oscillé entre 15 et 16 milliards d’euros. Il atteindra 20 milliards d’euros. Je ne sais pas, au regard de l’inflation, de la déflation ou de l’évolution du PIB, à quoi cela correspondra, mais c’est une progression incontestable, qui a le mérite d’exister. Si l’effet de ces financements supplémentaires est d’affaiblir ou d’appauvrir la recherche, alors je ne comprends plus rien…
Il me semble ensuite très important de maintenir et de renforcer l’attractivité du modèle de recherche à la française. Un point essentiel est notre capacité à donner du temps long à nos chercheurs en les recrutant sur des postes et des emplois pérennes. J’entends vos propos, madame Brulin, sur le fait que nos chercheurs seraient attirés par les États-Unis. Pour autant, je ne souhaite pas que notre pays se dote d’un modèle à l’anglo-saxonne, et je ne crois pas non plus que ce soit votre volonté. (M. Joël Labbé applaudit.) Ou alors, là encore, je ne suis pas sûre de tout comprendre…
Quant au nombre très élevé de contractuels en France, qui a été rapporté, soyons clairs, il tient au fait que nos doctorants ont pour une grande majorité des contrats de travail, ce qui n’est pas le cas dans les autres pays. Vous le savez aussi bien que moi. Enlevez les contrats de travail des doctorants, et vous verrez que le nombre de contractuels dans l’enseignement supérieur et la recherche en France se situe dans la moyenne des autres pays. Nous devons manier les chiffres avec sincérité.
La dépense intérieure de recherche et développement des administrations (Dirda) comprend évidemment tout le financement public, qu’il provienne du budget, du programme d’investissements d’avenir ou des contrats de plan État-région, et donc, de fait, des collectivités territoriales. Le 1 % du PIB pour la Dirda s’entend de l’ensemble des moyens alloués. Je le reconnais, nous sommes dans une situation particulière, mais c’est aussi une chance pour notre recherche. En plus de ce qui est inscrit dans cette loi de programmation, il faut compter les 6,5 milliards d’euros du plan de relance consacrés à la recherche sur les deux prochaines années.
Le choc que vous appelez de vos vœux, et que vous avez voulu traduire en raccourcissant la durée de la programmation et en augmentant les premières marches, a d’ores et déjà été impulsé avec ces investissements de 6,5 milliards d’euros. Pour vous donner un ordre de grandeur, c’est un programme prioritaire de recherche, c’est-à-dire 30 à 50 millions d’euros pour un grand défi scientifique financé par mois sur les deux prochaines années.
Je dirai enfin un dernier mot sur le rapport Dirda-Dirde (dépense intérieure de recherche et développement des entreprises). Dans tous les pays, lorsque l’on augmente le financement de la recherche publique, on observe qu’il y a deux fois plus d’investissements en R&D privée que l’effort de financement consenti pour la recherche publique.
Là encore, les circonstances sont très particulières d’un point de vue économique, et nous en sommes pleinement conscients. C’est pourquoi 300 millions d’euros du plan de relance seront confiés au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et directement dédiés au soutien de la R&D effectuée en partenariat entre des laboratoires publics et des laboratoires privés. Pour préserver ce lien dans cette période de crise, l’État pourra prendre en charge les salaires des ingénieurs à hauteur de 80 % et offrir des contrats doctoraux et postdoctoraux supplémentaires dans les deux années qui viennent.
En outre, 6,8 milliards d’euros du plan de relance seront consacrés, au travers du programme d’investissements d’avenir, au soutien à la recherche privée, hors plans aéronautique et automobile, qui disposent eux aussi d’un volet de soutien à la R&D.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2027 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur
TITRE Ier
ORIENTATIONS STRATÉGIQUES DE LA RECHERCHE ET PROGRAMMATION BUDGÉTAIRE
Articles additionnels avant l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 118 rectifié bis, présenté par MM. Segouin et Calvet, Mmes Chain-Larché et Deromedi, M. Regnard, Mme Paoli-Gagin, MM. Daubresse, Panunzi, Chevrollier, Lefèvre, Bonne et del Picchia, Mmes Gruny, Raimond-Pavero et F. Gerbaud, MM. B. Fournier et Bouchet, Mme Richer, MM. Bonhomme, Anglars et Belin, Mme Thomas et M. P. Martin, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de la recherche française. La liberté d’expression doit être garantie, en toutes circonstances, au bénéfice des enseignants chercheurs.
La parole est à M. Vincent Segouin.
M. Vincent Segouin. Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de la recherche et de l’enseignement français. Or leur inscription expresse dans la loi fait défaut et leur rattachement constitutionnel souffre quelques exceptions. C’est la raison pour laquelle il est ici demandé de les inscrire enfin expressément dans la loi.
À un moment particulier où nous voyons la liberté d’expression fondamentalement remise en cause dans notre pays, notamment dans l’enseignement, il serait bon d’adopter de manière consensuelle cet amendement pour réaffirmer notre attachement à ce principe pour tous les enseignants-chercheurs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laure Darcos, rapporteure. Bien évidemment, cet objectif est pleinement partagé. La portée d’une telle disposition serait toutefois beaucoup plus forte si elle était insérée dans le code de l’éducation, ce qui n’est pas le cas.
Je vous demanderais en conséquence de bien vouloir retirer cet amendement au profit du suivant, que je vais présenter au nom de la commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. En réalité, la liberté académique est déjà prévue à l’article L. 952-2 du code de l’éducation, qui dispose que « les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité ».
Cet amendement m’apparaissant satisfait, je vous demanderais donc de bien vouloir le retirer. À défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Deux sujets étaient complètement absents de ce projet de loi – les libertés académiques et l’intégrité scientifique – et c’est grâce à un important travail mené de façon consensuelle que le Sénat a pu les insérer dans le débat.
En ce qui concerne cet amendement, je veux signaler, dans le contexte très particulier que nous vivons, la signature, récente, de la déclaration de Bonn sur la liberté de la recherche scientifique. Il me semble, madame la ministre, que la France devra prochainement ratifier ce texte tout à fait fondamental. Pouvez-vous nous le confirmer ? (Mme la ministre le confirme.)
Ce texte entend définir la liberté scientifique comme, je cite, « le droit de définir librement les questions de recherche, de choisir et de développer des théories, de rassembler du matériel empirique et d’employer des méthodes de recherche universitaire solides, de remettre en question la sagesse communément admise et de proposer de nouvelles idées ». Voilà le socle proposé par l’Europe aux libertés académiques.
Je crois qu’il serait très intéressant que nous débattions de la meilleure façon d’introduire cette définition dans ce projet de loi. Cela permettrait d’afficher le consensus qui existe dans cet hémicycle sur la question des libertés académiques.
De ce point de vue, je ne suis pas très enthousiaste par rapport à l’amendement n° 234 de la rapporteure, dont nous allons débattre ensuite ; je le trouve restrictif par rapport à la définition des libertés académiques proposée par Vincent Segouin.
M. le président. Monsieur Segouin, l’amendement n° 118 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Vincent Segouin. Non, je le retire, monsieur le président. Pour autant, je reste étonné, surtout après avoir entendu Mme la ministre, que certains agissements n’aient pas été condamnés – je pense notamment à l’intervention que devait faire Sylviane Agacinski sur la gestation pour autrui.
M. le président. L’amendement n° 118 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 234, présenté par Mme L. Darcos, au nom de la commission de la culture, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 952-2 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République. »
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Laure Darcos, rapporteure. Plusieurs orateurs l’ont dit, la commission a souhaité travailler sur la question des libertés académiques et je sais que mon collègue Ouzoulias aurait préféré que l’on parle de « principes » de la République plutôt que de « valeurs », mais je préfère ce dernier terme, parce qu’il fait d’abord référence à la laïcité.
Les libertés académiques caractérisent la liberté professionnelle réservée aux universitaires et aux chercheurs. Elles sont la condition d’existence de leur métier et par là même la condition d’existence du progrès des connaissances. Elles se déclinent principalement en trois volets : la liberté de recherche, la liberté d’enseignement et la liberté d’expression.
Héritées de la tradition universitaire née au Moyen Âge et de l’esprit des Lumières, les libertés académiques ne sont plus en France à l’abri d’atteintes manifestes. Plusieurs exemples récents le prouvent, qu’il s’agisse de menaces proférées à l’encontre d’enseignants ou de chercheurs participant à des débats, d’intimidations visant le contenu de travaux de recherche, de violences verbales ou physiques perpétrées contre des enseignants.
Le terrible drame survenu à Conflans-Sainte-Honorine montre plus que jamais la nécessité de préserver, au sein de la République, la liberté d’enseigner librement et de former les citoyens de demain.
Dans ce contexte, il paraît indispensable de réaffirmer les libertés académiques et de les conforter dans la loi.
L’indépendance et la liberté d’expression des enseignants, des enseignants-chercheurs et des chercheurs sont déjà reconnues à l’article L. 952-2 du code de l’éducation, issu de l’article 58 de la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur, dite « loi Savary ». Aux termes de cet article, « les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité ».
Le présent amendement vise à compléter cet article, en précisant que les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République. Il s’agit d’inscrire dans la loi que ces valeurs, au premier rang desquelles la laïcité, constituent le socle sur lequel reposent les libertés académiques et le cadre dans lequel elles s’expriment.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. J’ai moi-même déposé un amendement qui va dans ce sens et je sais que Mme la rapporteure me demandera de le retirer au profit du sien que je soutiens naturellement.
Pierre Ouzoulias le disait, il s’est passé des choses graves à l’université ces dernières années. Je citais la pièce Les Suppliantes d’Eschyle qui devait être jouée à la Sorbonne et qui a dû être reportée. Vincent Segouin parlait de la conférence de Sylviane Agacinski à Bordeaux qui a également dû être reportée. On aurait aussi pu parler de la conférence d’un ancien Président de la République à Lille qui a dû être annulée, des comités d’accueil qui parfois troublent les amphithéâtres ou de la présence de forces de l’ordre à l’intérieur des universités pour éviter des affrontements.
Ces exemples illustrent la réalité des atteintes aux libertés académiques, alors même que depuis le Moyen Âge elles constituent l’un des éléments forts des franchises universitaires et de la capacité pour nos chercheurs et universitaires de s’exprimer, de chercher et d’enseigner en toute liberté. C’est un héritage millénaire important, gage de l’excellence de la recherche française, que la République a su reprendre et que nous devons préserver, chérir et réaffirmer.
L’amendement que j’ai déposé visait à inscrire ce principe dans le code de la recherche, tandis que celui qu’a déposé Mme la rapporteure est centré sur les seules libertés académiques, mais l’un et l’autre sont proches. L’intégrité scientifique est un autre sujet et nous en débattrons plus loin dans nos débats. L’essentiel pour moi est d’affirmer solennellement, que ce soit dans le code de la recherche ou dans celui de l’éducation, que les libertés académiques sont le gage de l’excellence de la recherche dans nos universités.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Lorsque le Parlement débattait du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, j’avais été invité sur un campus pour exprimer mon opposition à ce texte et le président de l’université m’en avait interdit l’accès. Je vous le dis en toute bienveillance et sans aucune volonté polémique, madame la ministre, mais j’aurais aimé que les libertés académiques s’appliquassent aussi au parlementaire que j’étais, ce qui m’aurait permis de m’exprimer, certes contre votre texte. Les libertés académiques doivent aussi bénéficier à vos contradicteurs, madame la ministre – c’est important !
La phrase que vous proposez, madame la rapporteure – « Les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République » –, me gêne, parce qu’à mon sens il faut inverser le rapport de causalité : ce sont les principes de la République qui fondent nos libertés académiques, non pas l’inverse. Cela aurait davantage de force.
Par ailleurs, vous ne définissez pas les libertés académiques, vous dites qu’elles s’exercent, mais on a du mal à comprendre comment les premiers intéressés, c’est-à-dire les enseignants et les enseignants-chercheurs, peuvent en jouir.
Voilà pourquoi cet amendement me pose des difficultés.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. À l’occasion de l’examen de cet amendement, je voudrais attirer l’attention de notre assemblée sur la question du pluralisme dans l’enseignement supérieur. Il existe des courants de pensée, en France comme à l’étranger, qui ne sont pas représentés institutionnellement. Je vais donner un exemple qui va parler à tout le monde, celui de l’école économique dite « hétérodoxe » : cette école n’est représentée ni au sein du Conseil national des universités ni au CNRS.
Ma remarque n’est pas en lien direct avec la notion de libertés académiques, mais elle soulève la question de la liberté de penser et du pluralisme de la pensée dans l’enseignement supérieur et la recherche. C’est un sujet essentiel et nous y reviendrons un peu plus tard dans nos débats. J’ai d’ailleurs déposé un amendement demandant un rapport au Gouvernement sur ce sujet ; je sais que les demandes de rapport ne sont pas à la mode, mais savoir comment favoriser la liberté de penser dans l’enseignement supérieur et la recherche mérite tout de même une étude approfondie.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Franck Montaugé pose une question tout à fait centrale. Non seulement différents courants de pensée, notamment en matière économique, ne sont pas représentés, mais on assiste à un recul du pluralisme dans un certain nombre d’universités au profit du discours néolibéral dominant. Ce mouvement est évidemment négatif pour les libertés, qui reposent notamment sur le pluralisme des points de vue.
Pour revenir à l’amendement de Mme la rapporteure, je crois qu’au fond Pierre Ouzoulias craint qu’il ne soit qu’une déclaration de principes. Une telle déclaration est toujours utile, mais il faut aussi s’attacher à la question de la mise en œuvre. Le débat parlementaire devra approfondir ce point et trouver une solution.
Plusieurs collègues ont donné des exemples tout à fait pertinents, mais chacun a donné lieu à un clash : des réunions étaient programmées et des gens ont protesté, si bien que des intervenants n’ont pas pu parler, ce qui est inacceptable.
Or avec une simple déclaration de principes se développent parfois des mécanismes d’autocensure. Je donne un exemple : un certain nombre d’enseignants ne sont plus programmés dans les universités au motif d’une prétendue islamophobie. Dans ce cas, il n’y a pas de clash, les personnes ne sont tout simplement plus invitées. Et je parle de personnes qui enseignaient auparavant ; par conséquent, aucun problème de compétence universitaire ne se pose.
On le voit, il faut à la fois rappeler les principes et s’interroger sur la manière de les faire vivre. Or cet amendement est silencieux sur le modus operandi qui permettrait au principe qu’il énonce de s’appliquer concrètement.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour explication de vote.
M. Julien Bargeton. Je voudrais simplement ajouter qu’un économiste d’obédience libérale peut très bien enseigner Marx – d’ailleurs, je ne sais pas, si Marx était un penseur hétérodoxe… – et un économiste d’obédience marxiste le libéralisme. J’ai connu des situations de ce type durant mon parcours. Les professeurs d’économie ont toujours présenté à la fois les théories d’Hayek et celles de Keynes. D’ailleurs, en règle générale, un professeur enseigne l’état de la science.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pas seulement !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l’article 1er.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 97 rectifié bis est présenté par MM. Ouzoulias et Bacchi, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 179 rectifié ter est présenté par Mme de Marco, MM. Dossus et Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 952-2 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ils sont tenus à une obligation d’intégrité scientifique. » ;
2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Les règles qui encadrent leurs activités d’enseignement et de recherche et les règles qui organisent le fonctionnement des établissements dans lesquels ces activités sont exercées garantissent en toute circonstance cette indépendance, cette liberté d’expression et cette intégrité scientifique. Les statuts particuliers qui régissent les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs assurent notamment leur représentation propre et authentique dans les conseils de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche qui ont à connaître, tant au niveau national que dans chaque établissement, des propositions, décisions et mesures statutaires les concernant.
« La protection fonctionnelle est accordée aux enseignants-chercheurs, aux enseignants et aux chercheurs lorsqu’ils font l’objet d’une action en justice mettant en cause l’exercice, dans le cadre de leurs fonctions, de la liberté d’expression. »
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour présenter l’amendement n° 97 rectifié bis.