M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe du RDSE, qui me fait le grand honneur de parler en son nom d’un sujet aussi fondamental que la recherche pour ma première prise de parole dans notre hémicycle.
On peut être le plus vieux groupe parlementaire du Sénat et garder comme priorité l’avenir et les promesses d’amélioration de l’homme et de la société. C’est bien le but ultime de la recherche.
J’en profite pour rendre hommage au sénateur Laffitte qui a présidé notre groupe et que vous avez dû connaître, madame la ministre, à Sophia-Antipolis. Il nous oblige.
La richesse de la France est sa ressource humaine et l’intelligence de ses habitants. L’investissement primordial de notre société doit bien redevenir l’éducation de nos concitoyens et la recherche, qui en est l’aboutissement suprême.
Je découvre que la procédure accélérée a été mise en œuvre pour l’adoption de ce projet de loi, certainement censée appuyer l’urgence qu’il y a à agir pour la recherche et tous ceux qui la font.
Nous mesurons tous le décrochage de la France par rapport aux autres pays de l’OCDE ces dernières années. Plusieurs facteurs en sont responsables : sous-investissement chronique, baisse de l’attractivité des carrières scientifiques, découragement dans les laboratoires, rigidités des outils de gestion des organismes de recherche, insuffisances des passerelles entre le public et le privé.
Les défis sont nombreux et ce projet de loi doit ramener la France parmi les nations leaders en matière d’innovation technologique, et ainsi améliorer sa place dans les classements internationaux.
Pour cela, on nous annonce 25 milliards d’euros de crédits nouveaux sur dix ans, l’objectif étant de parvenir, par effet de levier sur la recherche privée, à la cible de 3 % du PIB à l’horizon 2030, dont 1 % de financement public. Cela passe par une importante mobilisation et de fortes synergies entre public et privé.
Notre groupe salue cette trajectoire ambitieuse, dans un cadre budgétaire contraint. Cette loi donne à la communauté scientifique une perspective sur le long terme, afin d’assurer aux équipes de recherche des niveaux de crédits et de moyens humains sur un temps plus long, qui correspond davantage au temps de la recherche que celui d’un exercice budgétaire.
Cependant, si dix ans peuvent donner une impression, ou une illusion, de pérennité, sept années seulement permettent d’allier besoin de sécurité et réalisme budgétaire.
La visibilité ainsi donnée à nos universités et à nos organismes de recherche doit permettre de lutter contre la fuite des cerveaux. Si la recherche est universelle et les échanges internationaux profitables, trop nombreux sont les départs définitifs de nos plus brillants talents qui s’expatrient aux États-Unis ou en Allemagne – vous avez cité, madame la ministre, le cas d’Emmanuelle Charpentier – après avoir été formés par notre système éducatif, mais qui ne peuvent participer au rayonnement de la France par manque de moyens.
Nous nous inscrivons dans un temps suffisamment long avec des enjeux essentiels. Nous devons réussir plusieurs grandes transitions : celle de l’écologie, celle du numérique.
Le monde de la recherche sera un acteur décisif pour faire face aux enjeux primordiaux dans les domaines des énergies propres ou de l’intelligence artificielle, aux côtés des enjeux sanitaires et alimentaires.
Cette loi doit aussi concilier protection des chercheurs et souplesse en faveur des organismes de recherche.
Enfin, elle procède à une revalorisation salariale des métiers de la recherche en imposant un seuil de deux SMIC pour l’embauche des jeunes chercheurs.
Notre groupe est sensible à l’attention portée à l’attractivité des carrières scientifiques, alors que le nombre de doctorants est à la baisse. Beaucoup reste à faire pour sensibiliser nos plus jeunes, et particulièrement les jeunes filles, aux carrières scientifiques.
Le projet de loi crée deux nouveaux dispositifs – la chaire de professeur junior et le contrat postdoctoral –, qui doivent permettre d’accroître l’attractivité et de favoriser les synergies entre privé et public. Ce peut être un levier important de souplesse des outils de gestion des ressources humaines pour les organismes de recherche, qui pourront mieux s’adapter aux contraintes des projets de recherche.
Ainsi, 1 400 chaires de professeur junior pourront être créées, dans des domaines nouvellement explorés.
L’Assemblée nationale a réduit de 25 % à 20 % la limite des recrutements autorisés pour ces chaires. Je ne pense pas que le Sénat doit se sentir obligé d’aller plus loin en réduisant encore cette limite. Cette innovation nous offre une chance de faire des recrutements atypiques dont la recherche a aussi besoin.
Originaire du Beaujolais, à côté de la maison natale de Claude Bernard, je suis forcément influencé par cet immense savant devenu professeur au Collège de France, malgré son échec au baccalauréat.
Ce texte prévoit enfin de lutter contre la complexité des procédures et de donner un nouveau souffle à la coordination entre universités, organismes de recherche publics et privés, et monde de l’entreprise. Car s’il est un domaine où nous excellons en France et dans lequel il faut cesser toute recherche, c’est bien celui de la complexité administrative, domaine dans lequel nous avons déjà tout trouvé !
J’espère que ce projet de loi permettra à la politique publique de la recherche de se doter d’une orientation claire et ambitieuse en faveur de notre communauté scientifique et d’associer les collectivités territoriales pour favoriser ces espaces de brassage intellectuel indispensables à l’émergence de nouvelles connaissances. Tel est l’esprit qui sous-tend nos contributions pour enrichir ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cela a été rappelé, il existe un lien étroit et fort entre notre République et la recherche. Souvenons-nous des nombreux savants qui ont participé à la Révolution française, animés par une vision universaliste : l’Assemblée constituante décréta en effet trois jours de deuil national à la mort de Benjamin Franklin, lequel avait des liens particuliers avec notre pays.
Sous la IIIe République, beaucoup d’élus venaient du monde scientifique ou de la recherche, avec in fine la création du CNRS.
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, sous la IVe République, ont été lancés de grands programmes de recherche.
Il ne faut pas oublier non plus le général de Gaulle, qui a lancé des programmes de recherche, ce qui a aussi fait la grandeur de la France.
Enfin, il faut citer Jean-Pierre Chevènement, qui fut reconnu comme un grand ministre de la recherche, avant de partir vers d’autres horizons.
Ainsi le lien entre la recherche et la République est-il très étroit. Néanmoins, nous notons tous le décrochage qui existe depuis deux décennies, notamment marqué par la baisse de la part du PIB consacrée à l’effort de recherche – cet indicateur est le plus utilisé, mais on pourrait en trouver d’autres. Nous nous souvenons de cet âge d’or qu’a constitué le début du XXe siècle, lorsque huit des onze prix Nobel décernés entre 1901 et 1920 étaient français.
En contrepoint de ces moments forts de notre histoire, on évoque le cas d’Emmanuelle Charpentier, une illustration de ce paradoxe qui conduit nos talents, malgré l’excellence de leur formation, à accomplir leur carrière à l’étranger – dans son cas, aux États-Unis, en Suède et en Allemagne. Nous devons inverser ce processus et donner des moyens et des équipes aux chercheurs, dont il faut reconnaître le statut social, le rôle dans la société.
Ce décrochage a des conséquences en termes de souveraineté – toutes celles et tous ceux qui sont attachés à la souveraineté industrielle et économique de la France savent l’importance de la recherche –, mais également en termes d’innovation. Nous l’avons vu malheureusement dans le cadre de la crise de la covid, qui peut nous conduire à penser que nous avons peut-être là raté une occasion. Pour être plus positif ou optimiste, l’investissement dans les batteries incarne bien à la fois la nécessité d’innover et celle de construire une souveraineté économique européenne à partir, notamment, de la souveraineté française.
Ce projet de loi vise à apporter une solution aux sujets que je viens d’évoquer. Il est rare qu’une loi de programmation aussi ambitieuse concerne la recherche – il y en avait eu une précédemment, mais qui portait sur une durée beaucoup plus courte. La rémunération des enseignants-chercheurs en France est inférieure de 37 % à la moyenne de l’OCDE, et les crédits de l’ANR ont baissé de 40 % entre 2010 et 2015 : voilà ce que nous devons réparer ensemble.
Nous aurons des discussions, notamment, sur la durée de la programmation : dix ou sept ans ? Il me semble qu’une décennie correspond – cela a été dit – à la durée de vie d’un projet de recherche, qui est très long à mettre en œuvre entre le lancement, le travail et les retours parfois tardifs.
Nous discuterons aussi de l’inflation. Soyons honnêtes entre nous : tous les projets de programmation, quel que soit le secteur, ne la prennent jamais en compte, car, même en s’appuyant sur les chiffres de Bercy, il est impossible de dire quelle sera l’inflation dans dix ans, en 2030.
Nous aurons un débat sur la précarisation, que nous connaissons actuellement et que ce texte vise à réduire, car certaines situations sont scandaleuses, ainsi que sur la conception de la recherche, sur son modèle, entre appel à projets et soutien à des structures sur un plus long terme. Ces débats sont intéressants.
Je pense aussi à la liberté académique, qu’il faut réaffirmer et porter, dans le respect des principes et des valeurs de la République. Rappelons qu’il faut enseigner, faire de la recherche, à partir de l’état des savoirs et des connaissances, et non pour divulguer telle ou telle idéologie, quelle qu’elle soit.
Enfin, nous aurons un débat sur les territoires – la commission a fait un travail intéressant – ou sur ce qu’est l’excellence à la française.
Notre groupe aborde ces débats dans un esprit d’ouverture et de franchise, et avec l’envie d’avancer par consensus. Si j’ai relevé les points de débat, j’ai tout de même relevé des points d’accord. Peu de remarques ont ainsi été faites sur l’amélioration des carrières et de la gestion des ressources humaines figurant dans l’un des volets du texte, peut-être parce qu’elle recueille l’assentiment, y compris d’ailleurs de la communauté des chercheurs.
On constate également un accord sur l’idée de corriger la carrière postdoctorale – des exemples ont été cités.
Nous avons la possibilité de trouver une base de consensus, même si quelques éléments restent en discussion, notamment en ce qui concerne les apports de la commission.
Notre groupe approuve un certain nombre de ces apports, et en rejette d’autres. Néanmoins, j’espère que la recherche aura, à la fois, le texte – c’est le cas avec les piliers présentés par Mme la ministre –, le débat et l’issue qu’elle mérite, c’est-à-dire l’accord le plus large possible de la représentation nationale sur ce qui est – l’histoire nous l’a montré – un enjeu fort et majeur pour notre République.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 19 mars dernier, le Président de la République annonçait pour la recherche un effort budgétaire inédit depuis la période de l’après-guerre. Pourtant, le CESE a émis, à l’unanimité, un avis négatif sur la présente loi de programmation.
Avec la même unanimité, les présidentes et présidents des 46 sections et commissions du Comité national de la recherche scientifique et des dix conseils scientifiques des instituts du CNRS ont déploré que « la programmation financière [de cette loi] ne [soit] pas à la hauteur des défis considérables auxquels notre pays doit faire face ».
Madame la ministre, plus de 22 000 chercheurs et enseignants-chercheurs vous demandent « la suspension du processus législatif ».
Enfin, les organisations syndicales nous ont toutes exprimé leur opposition à ce texte, y compris celles qui ont signé avec votre ministère le protocole d’accord sur les revalorisations.
Pourquoi une telle ingratitude alors qu’une manne, d’une générosité quasi biblique, viendrait secourir et revigorer la recherche publique comme jamais depuis la Libération ?
« On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens », disait le cardinal de Retz. Les hyperboles amphigouriques passées, il reste la terrible réalité des chiffres. Notre commission des finances, à la suite d’un travail de déconstruction critique exemplaire, nous le montre : selon les projections réalisées, « sur le périmètre de la loi de programmation […], la trajectoire retenue se borne à stabiliser la part des dépenses de recherche dans le PIB ». Son rapporteur, Jean-François Rapin, dont je salue la qualité du travail, ajoute que « la France ne pourra conserver son rang de grande puissance scientifique qu’au prix d’un effort budgétaire sans précédent ».
Non seulement le gouvernement auquel vous appartenez abandonne l’objectif de porter notre effort de recherche à un niveau équivalent à celui de nos homologues européens, mais, de plus, la présente programmation consacre le renoncement à l’ambition ancienne et toujours réaffirmée d’atteindre le ratio mythique des 3 % du PIB pour la recherche.
Le 7 septembre dernier, sur le campus de l’Université Paris-Saclay, le Premier ministre déclarait : « Je vous mets au défi de trouver une période, depuis 1945, où l’État a décidé volontairement de dégager autant de moyens. » La chose est aisée ! Le 14 février 1959, à Toulouse, le général de Gaulle déclare : « L’État […] a le devoir d’entretenir dans la Nation un climat favorable à la Recherche et à l’Enseignement. » Son gouvernement met en œuvre rapidement cet engagement et le budget du CNRS, qui est de 8 milliards de francs en 1958, est porté à plus de 15 milliards en 1960, soit un quasi-doublement en deux ans.
M. Max Brisson. Très bien !
M. Pierre Ouzoulias. Cette distorsion terrible entre les annonces gouvernementales, ainsi que la faiblesse du croît budgétaire porté par ce projet de loi, est vécue par la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche comme une humiliation supplémentaire, car elle vit quotidiennement la lente, mais inexorable dégradation de ses conditions de recherche et d’enseignement.
Je pense tout particulièrement à celles et à ceux sans lesquels tout notre système aurait déjà sombré et dont la seule perspective de carrière est d’enchaîner les contrats jusqu’à la retraite. Sans doute près de la moitié du volume des travaux réalisés dans le cadre du service public de la recherche et de l’enseignement est assurée par ces salariés contractuels. En créant de nouveaux régimes dérogatoires, madame la ministre, votre projet va conforter et accélérer cette précarité.
De l’examen de votre projet de loi il ressort le sentiment qu’il a été conçu par et pour une poignée d’établissements dont les premières places au classement de Shanghai constituent l’unique objectif. Vous nous permettrez de ne pas partager ses critères d’évaluations conçus par le parti communiste chinois (Sourires.) et de continuer de défendre l’idéal républicain d’une science au service de la Nation apprenante, de l’émancipation humaine, de l’exercice de la critique et de la recherche perpétuelle de la vérité comme seule vérité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean Hingray. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, face aux incommensurables défis que notre monde complexe soumet jour après jour à l’esprit humain, face en particulier aux périls qui nous menacent aujourd’hui, sans recherche, point de salut !
Point de salut économique, puisque seule l’innovation peut nous permettre de survivre dans un monde régi par le numérique et les biotechnologies. Point de salut environnemental non plus pour réussir la transition énergétique.
Nous ne pouvons donc que souscrire à l’objectif de la présente loi de programmation. Il faut augmenter l’effort de recherche de la Nation. Les 3 % du PIB, correspondant à l’engagement de Lisbonne, ne sont pas un fétiche ; ils constituent notre balise.
La présente loi de programmation permettra-t-elle d’atteindre cet objectif ?
C’est là que les choses se compliquent, car on ne peut pas vraiment le savoir. Ce texte est trop ciblé pour nous permettre d’en avoir le cœur net. Il ne porte en effet que sur une partie de l’effort public.
La recherche privée est exclue du champ de cette loi de programmation. C’est un vrai problème pour avoir une vue d’ensemble du dispositif, puisque la recherche privée représente les deux tiers de l’effort de recherche du pays.
C’est sur elle que repose principalement l’objectif des 3 % du PIB, puisqu’elle est censée atteindre 2 % de celui-ci d’ici à 2030.
La recherche privée se fonde pour sa plus grande part sur le crédit d’impôt recherche, le CIR, qui n’est malheureusement pas traité dans le présent texte. Techniquement, le CIR étant un dispositif fiscal, il ne peut être réformé que dans le budget.
Mais il nous manque au moins un schéma d’évolution prospective de son impact sur l’effort de recherche privée. La présente loi est en effet basée sur l’idée qu’un euro de dépense publique pour la recherche engendre deux euros dans le privé.
Qu’est-ce qui garantit que la relation soit à l’avenir si mécanique ?
L’effet de levier paraît d’autant plus hypothétique et compromis que, parallèlement à la loi de programmation pour la recherche, le projet de loi de finances pour 2021 réduit la voilure du CIR.
Dans ces conditions, l’objectif des 3 % n’est-il pas d’emblée inatteignable ?
On ne peut pas prétendre relancer l’effort de recherche sans s’interroger sur le CIR, en particulier sur le décalage entre sa générosité et son impact sur le niveau de recherche privée.
En comptant sur l’effet de levier entre le public et le privé, la LPPR se concentre donc sur la dépense publique, ou plutôt sur la seule dépense publique d’État – et encore, pas totalement. À ce chapitre, je ne peux que renvoyer au rapport de notre collègue Jean-Pierre Moga, en le félicitant au passage de son travail.
La LPPR ne porte pas sur les crédits de toute la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances. Seuls les crédits du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation sont concernés.
Exeunt donc les crédits des établissements de recherche rattachés aux ministères de l’économie, de la transition écologique et de l’agriculture. La recherche et développement de la défense ne figure pas non plus dans la trajectoire. Un cinquième des crédits publics d’État sont donc hors LPPR.
Par ailleurs, ni les crédits de recherche des collectivités, ni les crédits européens, ni ceux du plan de relance et du programme d’investissement d’avenir ne sont pris en compte. Nous défendrons un amendement pour qu’ils le soient. Car, en l’état actuel des choses, l’ensemble de l’effort public de recherche n’apparaît pas clairement.
Il était par ailleurs compromis par la longueur de la programmation envisagée par le Gouvernement. Sur dix ans, l’inflation conduit à absorber la quasi-totalité de l’augmentation prévisionnelle des crédits.
Nous nous réjouissons donc que notre commission, sous la houlette de notre excellente rapporteure, Laure Darcos, ait réduit la durée de la programmation à sept ans. L’effort est désormais plus tangible.
Il faut cependant se garder de réduire le débat à l’aspect quantitatif des choses. La répartition des crédits sur le territoire compte aussi. Pour éviter d’accentuer la concentration des crédits, le Gouvernement a choisi de les faire passer par l’Agence nationale de la recherche plutôt que de les allouer directement aux pôles universitaires. Nous comprenons bien la stratégie, mais quelle garantie que cela porte ses fruits ?
Comme vous le savez, madame la ministre, nous avons été destinataires de nombre de remontées de terrain faisant état de la crainte inverse, qui ne semble pas infondée.
En effet, pour répondre à un appel d’offres de l’Agence nationale de la recherche, il est évident que les grands pôles universitaires sont mieux équipés. Pour éviter cet écueil, nous défendrons un amendement imposant à l’Agence nationale de la recherche de prendre en compte la dimension territoriale de la répartition de ces crédits.
Ce n’est pas non plus un texte sur l’université et, là encore, c’est bien dommage, parce qu’il est assez artificiel de séparer les laboratoires de l’ensemble de l’écosystème de l’enseignement supérieur.
L’université doit être réformée, madame la ministre. Elle ne l’a pas été depuis la loi Pécresse de 2008. Il faut, par exemple, briser le tabou de la sélection pour l’entrée en licence.
Cette problématique de l’excellence de l’université est directement liée à celle de la recherche, car une université plus performante est aussi une université qui coûtera moins cher et dont les crédits économisés pourront être affectés aux laboratoires de recherche. C’est une question de philosophie générale, qui traduit à nos yeux l’étroitesse du périmètre de la LPPR.
Sous réserve de ces observations, et compte tenu des modifications apportées au texte en commission, vous l’aurez compris, madame la ministre, le groupe centriste aborde cette discussion sans opposition de principe. Nous espérons juste que certains amendements fermes et courageux seront pris en compte dans les débats qui vont suivre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC – M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’occasion est en définitive assez rare, pour un exécutif, de porter une loi de programmation budgétaire. Il y a incontestablement un large consensus pour convenir de la dimension stratégique lorsqu’on évoque les missions de notre défense nationale, mais cela semble beaucoup moins évident lorsqu’on fait référence à notre recherche.
Pourtant, s’il ne fallait prendre que ce seul exemple, la violence de la crise sanitaire que nous traversons, avec son lot de questionnements et d’espoirs scientifiques, renforce, si besoin était, la nécessité d’une recherche à la hauteur des enjeux contemporains.
S’inscrivant dans le temps long, les travaux de nos chercheurs portent en effet l’espoir de répondre à des transformations profondes de notre société, comme la transition énergétique ou l’intelligence artificielle. L’opinion publique en a sans doute une perception partielle et diffuse, alors que c’est fondamental pour notre avenir.
Par ailleurs, le temps de gestation particulièrement long de cette loi de programmation de la recherche n’est sans doute pas étranger à l’intensité des attentes qu’elle suscite ni à l’ampleur des manifestations hostiles à son encontre. Très sincèrement, pour avoir participé aux auditions menées par notre rapporteure Laure Darcos, je dois admettre que la synthèse objective des avis enregistrés relève de la gageure.
J’en profite pour saluer le travail de qualité réalisé par ma collègue rapporteure, dans des conditions très défavorables à un examen parlementaire éclairé, puisqu’elle l’a réalisé dans des délais plus que contraints et en plein renouvellement sénatorial. Je remercie également nos administrateurs de la finesse de leur concours et de l’ampleur de leur disponibilité.
Madame la ministre, mes chers collègues, de nombreux indicateurs font état d’un diagnostic sans appel, que nous partageons de manière unanime : la recherche française décroche. Son sous-financement chronique ne lui permet plus d’espérer figurer dans le peloton de tête des nations qui font avancer la science, et nos meilleurs talents comprennent vite qu’il leur faut quitter le territoire national pour mener à bien leurs travaux. L’itinéraire d’Emmanuelle Charpentier, lauréate cette année du prix Nobel de chimie, est éloquent : après un parcours académique exemplaire, c’est outre-Atlantique qu’elle a trouvé les financements nécessaires à l’éclosion de son talent.
Le deuxième constat est celui d’un décalage entre les annonces du processus de Lisbonne en 2000 et la réalité de l’effort budgétaire réellement consenti, loin de l’objectif de 3 % du PIB consacré à la recherche. Dans le contexte actuel, on peut cyniquement observer que, à dépenses constantes, la baisse brutale de notre PIB cette année a mécaniquement fait monter ce taux d’effort. Mais là n’est évidemment pas l’objectif de cette LPPR.
Consacrer davantage de moyens à la recherche, mieux armer l’Agence nationale pour que davantage de projets soient validés, donner de réelles perspectives sur le temps long : voilà ce qu’attend l’ensemble de la communauté scientifique.
Madame la ministre, je ne doute pas un seul instant que ce soit également votre volonté, mais je dois d’abord vous faire part de ma déception concernant la présentation formelle de ce plan.
J’ai naïvement tendance à croire que, lorsque les mesures sont sincères, il n’est nul besoin de les gonfler par un quelconque artifice de marketing. Hélas ! l’inhabituelle présentation des dépenses sous forme cumulative, largement pointée par le Conseil d’État, génère d’emblée une suspicion de programmation bodybuildée qui dégonflera rapidement.
De plus, la quasi-concomitance de cette présentation avec les mesures du plan de relance et le début de l’examen du projet de loi de finances ne concourt pas à une extraordinaire lisibilité.
Toutefois, le plus grave est ailleurs, avec la durée exceptionnellement longue de cette programmation. Se projeter dans dix ans, c’est vouloir engager la responsabilité des exécutifs des deux prochains quinquennats. Ce n’est pas sérieux !
La nette concentration des efforts sur les cinq dernières années de ce plan ajoute au discrédit et nuit gravement à l’ambition affichée avec force communication, tout en occultant le renoncement à l’objectif de financement à hauteur de 1 % du PIB de la recherche publique.
Fort judicieusement, notre commission a décidé de revenir à un tempo plus cohérent, en inscrivant le texte dans un horizon de sept ans, ce qui correspond à la durée communément appliquée pour une loi de programmation. Je le dis comme je le pense, conserver cet agenda est un gage indispensable, que le Gouvernement doit collectivement accepter.
Il y a un troisième constat, moins consensuel : la complexité et la rigidité de la procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, unique au monde. Avec les chaires de professeur junior (CPJ) et les contrats de mission, vous souhaitez, madame la ministre, ouvrir la voie à de nouveaux profils, comme nous avons pu le découvrir ensemble à Angers lors de votre récente visite ministérielle.
Sur ce point, vous avez courageusement décidé de lever les freins, au risque de vous heurter à une large partie des représentants syndicaux, plus attachés à la défense de statuts que soucieux de se mettre en phase avec le monde qui bouge autour d’eux. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) J’interprète l’accord majoritaire obtenu à l’arraché il y a deux semaines comme la timide adhésion à un modèle modernisé auquel je veux bien croire, mais dont il n’a pas été fait la preuve de son absolue nécessité.
Pour garantir que ces CPJ ne seront pas des voies expresses vers une titularisation à moindre exigence, j’ai fait adopter en commission un amendement pour exiger des futurs lauréats une habilitation à diriger des recherches en plus des garde-fous inscrits dans l’article 3.
Enfin, en tant que rapporteur pour avis de la mission « Recherche et enseignement supérieur », permettez-moi de rappeler que les établissements d’enseignement supérieur et de recherche sont le premier opérateur public de recherche en France. Tutelle indispensable de nombreux projets, ils bénéficieront de davantage de lisibilité grâce à une meilleure définition du préciput. Mais nous devons aussi veiller à conserver leur visibilité auprès de tous les acteurs de la recherche.
Comme vous tous, je suis convaincu que notre société devrait considérer davantage notre jeunesse, nos étudiants, nos docteurs et nos chercheurs. Il est indispensable pour cela d’investir dès maintenant, et de ne pas remettre à plus tard ce que l’état de notre recherche exige de nous aujourd’hui. C’est, je l’espère vivement, ce que permettra cette LPPR dans sa version remaniée par le Sénat. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)