M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, pour explication de vote.
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, mes chers collègues, dans ce contexte anxiogène, permettez-moi tout d’abord de saluer les professionnels, mais aussi les citoyens, nombreux à s’être investis par solidarité et responsabilité dans cette crise que personne n’avait prévue. Mes pensées vont vers ceux – résidents d’Ehpad, familles, soignants – qui ont vécu des drames familiaux et des décès brutaux, dans des circonstances plus que particulières.
La crise sanitaire actuelle est inédite par son ampleur. Elle a touché le monde entier et percuté tous les pans de la société. Il est donc logique que les institutions évaluent les politiques publiques à l’œuvre, mais également s’interrogent sur la gestion par les pouvoirs publics de cette crise. L’exigence de transparence est légitime pour discerner ce qui a fonctionné, ce qui a dysfonctionné et ce qui doit être amélioré.
C’est dans cet esprit que la mission d’information de l’Assemblée nationale, qui a entamé ses travaux en avril, s’est dotée des pouvoirs d’enquête dès le 16 juin dernier.
En parallèle, le Président de la République a installé, le jeudi 25 juin, la mission indépendante nationale sur l’évaluation de la gestion de la crise du covid-19 et l’anticipation des risques pandémiques.
Je souhaite insister sur un point : cette mission n’empiétera pas sur les prérogatives du Parlement. Il s’agit d’un travail complémentaire des travaux des assemblées, multidisciplinaire, mené par des experts des champs scientifique, économique, administratif et sociétal. La mission rendra un rapport en fin d’année ; un rapport d’étape est prévu à l’automne.
Au regard de l’ampleur de la crise, il est opportun que chaque institution se dote d’outils appropriés pour évaluer la gestion de celle-ci et ainsi mieux anticiper les crises futures.
Par ailleurs, le procureur de Paris, Rémy Heitz, a ouvert lundi 8 juin une vaste enquête préliminaire sur la gestion de la crise en France.
Si nous avons entendu des propos, sur certaines travées, qui semblaient ériger le Parlement en procureur, bien éloigné des missions premières d’une commission d’enquête, M. Alain Milon a su nous rassurer sur ce point en commission des affaires sociales.
Pour autant, la situation ne saurait être exploitée à des fins politiciennes. Nous voulons une analyse approfondie, lucide, rigoureuse, objective, totalement transparente, une analyse à laquelle nous procéderons, pour ce qui nous concerne, avec humilité, mais sans céder à des penchants politiciens.
Mes chers collègues, soyez rassurés, il n’y aura de notre part aucune complaisance à l’égard des choix faits par le Gouvernement avant et durant la crise sanitaire. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Cependant, les décisions prises devront être évaluées au regard des connaissances et du consensus scientifique du moment.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Noëlle Rauscent. Aussi, notre groupe est résolument favorable à toute initiative visant à comprendre, à prévenir et à améliorer la gestion des crises sanitaires, afin d’anticiper, dans les meilleures conditions, une éventuelle deuxième vague. Il votera donc en faveur de cette proposition de résolution.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
Mme Jocelyne Guidez. Nous examinons aujourd’hui une proposition de résolution présentée par M. Gérard Larcher, président du Sénat, tendant à créer une commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.
L’intitulé de cette proposition de résolution engage la future commission d’enquête dans un travail de sagesse, dont la Haute Assemblée sait assurément faire preuve. Loin de transformer cette commission en tribunal, c’est un travail d’auditions, d’évaluations, d’analyses et de préconisations qui guidera sans nul doute ses membres.
Des sujets délicats devront être soulevés avec la plus grande prudence, mais également avec la plus grande détermination pour mettre en lumière ce qui a bien fonctionné, relever les initiatives locales qui pourraient être généralisées, mais aussi nos défaillances techniques et organisationnelles ou bien les potentiels conflits d’intérêts ayant pu déboucher, même indirectement, à des prises de décisions ni totalement libres ni totalement éclairées.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, le rappelait : sa génération aura connu le chômage de masse, la transition écologique, le sida et la covid-19.
Au moment du dépôt de ce texte, et depuis le 31 décembre dernier, cette crise a emporté la vie de 433 259 personnes à travers le monde, dont 29 436 en France.
La détermination de nos soignants et leur engagement sans faille dans un contexte de relative ignorance du mal qu’ils devaient combattre aux côtés des malades les ont plongés dans de nombreuses semaines de dévouement total, tout en les isolant de leurs proches. Les applaudissements quotidiens à vingt heures constituaient la reconnaissance des Français envers celles et ceux qui travaillaient sans relâche. Le Ségur de la santé apportera des réponses pour revaloriser leurs professions.
Aussi, il était du devoir des parlementaires de constituer à l’Assemblée nationale et ici, au Sénat, des commissions d’enquête, afin de tirer le bilan de cette crise, pour proposer ensuite des améliorations et des garanties pour une meilleure efficacité de notre système. Ainsi, celui-ci sera plus réactif et adaptable aux crises sanitaires majeures. Il s’agit enfin de lui donner la capacité de prendre avec assurance des décisions libres, éclairées, justes et les plus efficientes possible.
C’est pourquoi, mes chers collègues, les membres du groupe Union Centriste voteront unanimement en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, mes chers collègues, la pandémie de covid-19 a frappé de stupeur nos sociétés développées, alors que nous pensions que la technologie et l’hygiénisme avaient suffisamment mis à distance les angoisses créées par les grandes épidémies. Nous nous sommes crus à l’abri, sans doute parce que nous avons été habitués aux progrès de la science, qui repousse toujours les limites de la maladie, comme aux bienfaits de l’État-providence et de son administration protectrice.
Si cette crise est exceptionnelle, elle n’était pas non plus totalement imprévisible. Bien sûr, son ampleur a rendu nécessaire la prise de décisions très complexes, dans un temps extrêmement bref. Nul ne contestera dans cet hémicycle la difficulté d’agir dans de telles circonstances, y compris en créant en quelques jours un régime juridique ad hoc dérogatoire au droit commun.
Toutefois, sur le temps long, et sans faire affront au travail admirable des personnels soignants, la crise a été le révélateur des profonds dysfonctionnements de notre système de santé, qui se sont sédimentés au fil des gouvernements successifs.
Je pense ainsi à la lourdeur des circuits administratifs, à la situation des Ehpad, à la communication de crise, mais aussi à la gestion des stocks de masques, qui a conduit l’État à en restreindre l’usage pendant un temps, au moment où de nombreuses collectivités territoriales s’engageaient dans un effort logistique considérable.
La situation avait d’ailleurs incité Nathalie Delattre à proposer la création d’une commission d’enquête sur ce sujet. Grâce au soutien de MM. Larcher et Bas, cette problématique a été incluse dans le champ d’investigation de la présente commission d’enquête, ce dont nous nous réjouissons.
Il importe surtout que ce travail d’analyse en profondeur soit mené hors de toute polémique partisane, conformément à l’ADN du Sénat, dans la seule finalité de préparer notre pays aux futures pandémies, qui, malheureusement, surviendront.
C’est dans cet état d’esprit d’analyse, de responsabilité et de défense de l’intérêt général que le groupe du RDSE soutiendra unanimement la création de cette commission d’enquête. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.)
M. le président. Je constate que cette proposition de résolution a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.) C’est une joie d’auteur… (Sourires.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à quinze heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Gestion des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen
Débat sur les conclusions du rapport d’une commission d’enquête
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission d’enquête chargée d’évaluer la gestion des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, sur les conclusions de son rapport.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions–réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur de la commission d’enquête auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur de la commission d’enquête chargée d’évaluer la gestion des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il me revient la mission d’ouvrir notre débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen. La multitude des problématiques posées par cet accident explique la présence dans cet hémicycle de plusieurs membres du Gouvernement, dont je tiens à saluer la disponibilité.
C’est vers vous que je me tourne, madame la secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, car mon intervention portera sur les enjeux sanitaires de cet incendie de très grande envergure.
Le 26 septembre dernier, au cœur d’une métropole, cet accident a provoqué la dispersion dans l’environnement de nombreux produits chimiques, dont le nombre et les effets demeurent encore, pour une large part, inconnus.
Neuf mois plus tard, notre rapport distingue clairement les questions qui relèvent de la réponse sanitaire immédiate apportée par les pouvoirs publics et celles qui entourent le sujet délicat du suivi sanitaire des populations exposées.
Avoir su éviter une catastrophe ne doit pas nous faire oublier les lacunes opérationnelles importantes dont souffre le pilotage local et central des catastrophes sanitaires. D’une certaine manière, l’accident de l’usine Lubrizol fait rétrospectivement figure de prélude à la crise sanitaire que nous traversons.
La réponse globale apportée sur le terrain, sous l’égide du préfet de département, a permis d’éviter une catastrophe. Pour autant, les interventions sporadiques et non coordonnées de plusieurs ministres, chacun dans leur secteur de compétences, ont pu donner l’impression d’une certaine cacophonie et, peut-être, d’un opportunisme purement politique.
Ainsi le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a-t-il décidé de lever la consigne sur les produits laitiers plusieurs jours avant que l’expert sanitaire rende publics les résultats des analyses des produits agricoles. Comment voulez-vous que la population s’y retrouve ?
Plus préoccupants ont été nos constats sur le suivi sanitaire des populations exposées au nuage de fumée. L’épidémie de covid-19 a contraint les décideurs publics à tenir compte de l’incertain dans la protection des populations d’un danger sanitaire. C’est exactement l’enseignement que nous tirons, Nicole Bonnefoy et moi-même, de l’analyse de la gestion de crise de l’accident de l’usine Lubrizol.
Très tôt, nous nous sommes rendu compte que le refus catégorique du ministère des solidarités et de la santé d’enclencher un suivi sanitaire, en raison de l’absence de certitude concernant l’existence d’un danger, entretenait l’inquiétude de la population quant aux effets de long terme de l’incendie sur la santé.
Effectivement, sans attendre qu’un danger soit strictement identifié, plusieurs risques nous paraissent justifier un suivi sanitaire d’envergure.
Tout d’abord, je pense aux lacunes persistantes des analyses réalisées sur les prélèvements d’air. Les décideurs publics semblent s’être un peu vite satisfaits de résultats partiels, alors que des incertitudes demeurent sur le délai de diffusion des dioxines et des furanes dans les sols ou sur les conséquences à plus long terme de certains composés du phosphore.
Ensuite se pose la question des effets cocktails des molécules contenues dans le panache de fumée, dont les interactions peuvent produire dans l’organisme humain des effets largement méconnus.
Enfin, il y a la question controversée de la dispersion de particules d’amiante au moment de l’explosion du toit des entrepôts abritant les produits stockés.
Il nous paraît donc évident qu’à l’égard de certains risques ciblés l’inapplication d’un principe de précaution en matière de suivi sanitaire, au motif d’une absence de certitude scientifique, ne peut plus se justifier.
C’est pourquoi, outre la consécration d’un tel principe au rang législatif, nous recommandons que soient ouverts deux registres de morbidité, relatifs l’un aux cancers généraux et l’autre aux malformations congénitales. Je serais heureuse, madame la secrétaire d’État, de recueillir votre sentiment sur ce point.
S’il est une leçon que les événements récents, à défaut de ceux qui sont plus anciens, doivent désormais nous inspirer, c’est que la santé de nos concitoyens est un bien trop précieux pour que l’incertitude suffise à justifier l’inaction.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la commission d’enquête. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la commission d’enquête chargée d’évaluer la gestion des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’issue de huit mois de travaux quelque peu perturbés par la crise sanitaire, nous avons formulé une quarantaine de recommandations s’inscrivant dans six axes principaux, afin d’améliorer la prévention et la gestion des accidents industriels majeurs.
Je souhaite, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, que vous preniez ce rapport pour ce qu’il est, soit un outil destiné à éviter qu’une telle situation ne se reproduise, et non une dénonciation de votre politique, comme j’ai pu l’entendre ou le lire dans la presse.
Avant toute chose, nos travaux ont mis en évidence des angles morts importants dans la politique de prévention des risques, en particulier la difficulté de l’administration à accéder en temps réel à l’information relative à la localisation et à la composition des produits stockés dans un site Seveso. Le nombre réduit de sanctions prononcées à l’encontre des industriels après le constat de manquements aux obligations légales et réglementaires semble relever d’une certaine passivité en matière de contrôles, notamment pour ce qui concerne le risque incendie, première source d’accident industriel.
Ensuite, nous avons constaté que le public est le grand absent de la politique de prévention des risques : 90 % des Français se sentent mal informés sur les risques industriels et technologiques et 10 % à peine affirment savoir comment réagir en cas d’accident.
Les élus et les associations de protection de l’environnement ont également formulé des critiques sur le fonctionnement des instances de concertation. L’accident de l’usine Lubrizol révèle donc, une fois encore, un manque de culture du risque et de la sécurité.
Pour tenir compte de ces fragilités, ma collègue rapporteure et moi-même demandons notamment l’augmentation de la fréquence des exercices, la diversification de la composition des structures de concertation, le renforcement des obligations des exploitants en matière de prévention du risque incendie et le développement des mutualisations entre opérateurs à l’échelle d’un bassin de risque. Plusieurs des mesures que vous avez soumises à consultation vendredi dernier, madame la ministre, reprennent ces recommandations, au moins pour partie. C’est une bonne chose.
Peut-être pourriez-vous également nous dire comment vous entendez faire en sorte que l’ensemble des plans de prévention des risques technologiques (PPRT) soient approuvés d’ici à la fin de l’année.
La mise en place des nouveaux exécutifs locaux est une occasion privilégiée pour renforcer l’information des élus sur les risques industriels, mais aussi sur les risques sanitaires et sur les risques climatiques. J’espère, madame la ministre, que vous pourrez contribuer à cette action qui nous semble tout à fait essentielle.
En matière financière, nous proposons de proroger le crédit d’impôt en faveur des ménages qui réalisent des travaux dans leur logement en lien avec un PPRT, mais aussi d’instituer une avance aux particuliers, car beaucoup d’entre eux ne paient pas d’impôt sur le revenu. Nous avons aussi affirmé la nécessité que les victimes de l’accident ne subissent aucune franchise. Cette mesure est tout sauf symbolique pour les personnes modestes touchées par l’incendie.
Je conclurai mon propos en vous interrogeant sur deux points, madame la ministre.
Comment comptez-vous tenir l’objectif que vous vous êtes fixé d’une augmentation de 50 % du nombre annuel de contrôles dans les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) d’ici à 2022 ? Comme vous le savez, depuis quinze ans, les effectifs de l’inspection des ICPE ont augmenté alors que le nombre de contrôles, lui, a été divisé par deux. Vous pouvez évidemment compter sur notre soutien s’il s’agit d’engager le combat contre Bercy pour atteindre cet objectif.
Surtout, comment comptez-vous mieux associer les citoyens à la politique de prévention des risques et renforcer l’information du public, en particulier les riverains des sites classés ? (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR. – M. Hervé Maurey, président de la commission d’enquête, applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite d’abord vous remercier de me donner de nouveau l’occasion d’échanger avec vous sur les suites de l’accident industriel de Lubrizol.
Je veux rappeler, à titre d’introduction, que le Gouvernement a fait face aux conséquences environnementales de cet accident avec une parfaite transparence. L’analyse complète de l’état des milieux du département de Seine-Maritime, fondée sur des prélèvements dans les 112 communes exposées aux retombées de suie, a été présentée au comité pour la transparence et le dialogue.
Les résultats obtenus révèlent uniquement des traces de plomb et de benzo[a]pyrène. On retrouvait déjà ces polluants dans certains sols de la région, du fait de son passé industriel ; leur présence ne peut donc être imputée à l’incendie. Des résultats complémentaires sont encore attendus pour les zones plus éloignées de l’incendie, dans l’Oise et le Nord.
Je le souligne, c’est la première fois qu’un protocole de surveillance aussi ambitieux est mis en œuvre.
Afin d’éviter qu’un tel accident ne se reproduise, j’ai présenté dès le 11 février 2020 un premier plan d’action.
Pour renforcer la transparence, si un accident industriel survient, la liste des produits concernés par l’incendie et des substances susceptibles d’être émises du fait de celui-ci sera désormais mise à disposition du public.
Par ailleurs, l’analyse des causes du développement rapide de l’incendie nous conduit à revoir les mesures de compartimentage, la disposition des stockages de produits et la conception des cuvettes de rétention.
Pour que les industriels soient mieux préparés à la gestion d’un accident, l’obligation de réaliser un plan d’opération interne, c’est-à-dire un plan de gestion de crise interne à l’établissement, sera désormais étendue à l’ensemble des sites Seveso. La mise en œuvre de ces plans d’urgence devra être testée lors d’exercices réguliers : tous les ans pour les sites Seveso seuil haut ; tous les trois ans pour les autres installations.
Les principaux textes d’application de ce plan d’action sont soumis à la consultation du public depuis vendredi dernier, et les autres le seront d’ici à la fin de l’été.
Je me suis engagée à renforcer les contrôles via une augmentation de 50 % du nombre d’inspections d’ici à la fin du quinquennat. Après avoir fait le bilan des possibilités d’allégements de tâches administratives, je vous annonce que j’ai décidé de renforcer l’inspection des installations classées en consacrant à cette mission cinquante postes d’inspecteurs supplémentaires à partir de 2021. Cette annonce répond, me semble-t-il, à vos interrogations.
Je viens par ailleurs de nommer le préfigurateur du futur bureau d’enquête accident (BEA) pour les risques industriels ; il s’agit de l’ancien directeur régional et interdépartemental de l’environnement et de l’énergie d’Île-de-France.
Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale m’a été remis, et je souhaite que ses propositions viennent enrichir le plan d’action du Gouvernement.
Pour ce qui concerne les PPRT, je peux vous confirmer que 385 plans sur 390 sont d’ores et déjà terminés, les cinq restants nécessitant une concertation avec les collectivités – il s’agit de sites complexes à propos desquels il me semble important de prendre le temps de la concertation. Quant au crédit d’impôt pour le financement des travaux prescrits dans le cadre d’un PPRT, il sera bien prolongé jusqu’en 2023.
Vous soulignez également, dans votre rapport, la nécessité de créer une véritable culture du risque industriel. On le sait, de nombreux dispositifs réglementaires visent à associer les élus et à informer les citoyens et les entreprises ; mais chaque événement nous rappelle que la portée réelle de ces dispositifs est encore trop limitée. Il ne s’agit donc pas d’empiler de nouveaux textes sur les textes existants, et j’ai décidé de lancer, à la rentrée, une mission pluridisciplinaire sur la modernisation de la culture du risque.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis bien sûr à votre disposition pour répondre à vos questions ; je laisse la parole à Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, sur les sujets relevant du périmètre de ce ministère.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, l’incendie de l’usine Lubrizol, site classé Seveso seuil haut, survenu dans la nuit du jeudi 26 septembre dernier, a suscité une profonde inquiétude dans l’ensemble de la population rouennaise et, plus largement, chez nos concitoyens concernés par les conséquences du panache de fumée, et soulevé de nombreuses interrogations légitimes sur les effets sur la santé de cet incident industriel grave.
La gestion de crise liée à ce type d’événement a impliqué plusieurs ministères et services de l’État à l’échelon territorial, comme vous l’avez rappelé, madame la rapporteure. Nous estimons que, en dépit de cette complexité, les services de l’État sont parvenus à mettre en œuvre une action coordonnée pour protéger les populations. Je souhaite en particulier rappeler la qualité et la diligence du système de soins et des autres services de l’État, ainsi que des expertises mobilisées.
En phase aiguë, dès la survenue de l’incendie, le 26 septembre, et dans les jours qui ont suivi l’événement, la stratégie de réponse du ministère des solidarités et de la santé et des agences régionales de santé (ARS) a visé à limiter l’exposition des populations aux polluants émis par l’incendie, notamment par l’édiction de recommandations sanitaires, et à surveiller les effets sanitaires immédiats, afin de déterminer les prises en charge adaptées et d’ajuster l’offre de soins si la situation l’exigeait. Aucun cas grave n’a été rapporté durant cette phase aiguë, dont le bilan sanitaire a été confirmé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Afin d’assurer une surveillance de la population dans les jours suivant l’incendie, Santé publique France a été saisie par le ministère des solidarités et de la santé pour la réalisation en urgence d’une synthèse concernant l’incidence sanitaire observée. Une surveillance renforcée de la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine a été mise en œuvre par l’ARS Normandie, qui a effectué des analyses tout de suite après l’incendie, en complément des analyses régulières du contrôle sanitaire des eaux.
Le ministère a suivi avec attention les résultats des analyses réalisées par les différents services de l’État pour caractériser la contamination dans les autres milieux, concernant notamment plusieurs substances préoccupantes, afin, le cas échéant, d’adapter les recommandations sanitaires diffusées auprès des populations. Une telle adaptation n’a pas été nécessaire. En effet, les analyses n’ont mis en évidence aucun résultat non conforme aux valeurs seuil.
Le ministère des solidarités et de la santé a par ailleurs procédé à l’évaluation précise des conséquences de l’incendie à moyen et à long terme sur l’environnement et sur la santé, via la saisine de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) et de l’Anses. Ce travail rigoureux et complexe est en effet fondamental pour la prise en charge de la population.
La commission d’enquête a formulé plusieurs recommandations ; sept d’entre elles relèvent du champ du ministère des solidarités et de la santé. Nous aurons probablement l’occasion d’échanger, au cours de ce débat, sur les termes de ces recommandations. Nous partageons évidemment l’objectif qui consiste à améliorer la capacité à protéger les populations.
Deux questions m’ont été posées. Pour ce qui concerne la création de registres de morbidité, la mise en place de nouveaux registres ne nous semble pas opportune compte tenu du périmètre couvert par les registres existants. Néanmoins, des améliorations sont toujours possibles.
S’agissant des cancers, nous étudions la possibilité d’estimer leur incidence à l’échelon infradépartemental, ce qui répondrait à la préoccupation du Sénat. Quant aux malformations congénitales, plusieurs actions ont été engagées, notamment la création, en 2020, d’un septième registre de malformations sur une zone encore non couverte par les six registres existants. Concernant enfin le suivi sanitaire renforcé, nous vous rejoignons évidemment sur la nécessité de disposer d’un suivi à moyen et à long terme des conséquences sanitaires de l’incendie ; quatre approches ont été identifiées à cet effet par Santé publique France.
Débat interactif