PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Organisation des travaux
Mme la présidente. Mes chers collègues, la commission des lois demande que le délai limite de dépôt des amendements de séance sur le projet de loi organique portant report des élections sénatoriales et des élections législatives partielles soit reporté du lundi 15 juin au mercredi 17 juin à douze heures.
La commission se réunira à l’issue de la discussion générale pour l’examen des amendements de séance.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
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Diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne
Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (texte de la commission n° 479, rapport n° 478).
Mes chers collègues, monsieur le ministre, notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires mises en place en mars dernier. J’invite chacune et chacun d’entre vous à veiller au respect des distances de sécurité. En outre, je rappelle que tous les orateurs, y compris les membres du Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame le président, monsieur le ministre des relations avec le Parlement, mes chers collègues, nous entamons l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi « relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ». Vous me pardonnerez d’avoir lu cet intitulé, mais je ne parviens décidément pas à le mémoriser – au moins a-t-il le mérite de rappeler que le projet de loi comporte des mesures relativement diversifiées…
La commission mixte paritaire, vous le savez, est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Parfois, l’accord avec l’Assemblée nationale a été aisé à trouver, comme il l’avait été en séance avec le Gouvernement : sur le recrutement dans les armées, la prolongation d’un certain nombre de mandats sociaux arrivés à échéance pendant la crise sanitaire, donc le confinement, la prolongation, chère à nos collègues d’outre-mer, de l’activité des agences des cinquante pas géométriques ou encore la prolongation de la commission d’urgence foncière à Mayotte.
Sur certains points, nous avons réussi à convaincre nos collègues de l’Assemblée nationale. Ainsi, s’agissant de l’application de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, un enjeu auquel, sur toutes les travées, nous sommes attentifs, nous leur avons fait partager notre conviction que l’application des seuils de revente à perte doit être poursuivie non sur dix-huit, mais sur quatorze mois, soit la période des contrats agricoles. De même, en ce qui concerne l’encadrement des promotions, le Gouvernement prendra en compte les produits présentant un caractère saisonnier marqué, comme le Sénat le demande depuis plusieurs mois.
Nous avons aussi convaincu nos collègues députés de prendre en compte la proposition de la délégation sénatoriale aux entreprises consistant à mieux définir le périmètre de la cession de fonds de commerce dans le cadre d’une liquidation judiciaire ; cette mesure permettra d’ajuster le nombre de salariés pouvant être conservés, en sortant du « tout ou rien » qui prévaut jusqu’ici.
D’autres sujets étaient plus délicats ; ce sont aussi ceux dont nous avions le plus abondamment débattu en séance.
Monsieur le ministre, vous ne serez pas étonné que l’un de ces sujets soit le Brexit, en particulier le délai d’habilitation que nous voulons bien accorder au Gouvernement pour prendre un certain nombre de dispositions en la matière. Au départ, de manière sans doute un peu déraisonnable, le Gouvernement demandait un délai de trente mois, excédant même sa propre durée de vie possible, puisqu’il conduisait au-delà de l’élection présidentielle… L’Assemble nationale avait ramené ce délai à quinze mois. Nous sommes finalement tombés d’accord sur douze mois, un délai que le Sénat avait précédemment voté.
Délicate aussi fut la question de l’extension de l’expérimentation des cours criminelles, qui sont des cours d’assises sans jury populaire, c’est-à-dire sans l’élément caractéristique de la cour d’assises. L’expérimentation en cours est limitée à dix juridictions, avec une évaluation prévue au bout de trois ans. Alors que ces cours ont été mises en place voilà quelques mois, le Gouvernement nous demandait d’étendre l’expérimentation à trente juridictions, sans attendre l’évaluation des premières expériences.
Nous étions en désaccord avec ce procédé : plutôt que d’une expérimentation, il s’agissait, en réalité, d’une véritable politique de remplacement des cours d’assises, probablement destinée à gérer le stock d’affaires qui, il est vrai, s’est accumulé pendant le confinement. Nous pouvions comprendre l’objectif, mais nous ne souscrivions pas nécessairement à la méthode.
Nous n’y souscrivons toujours pas, mais il a bien fallu prendre une décision. Refuser un accord aurait conduit à l’extension à trente cours, donc au passage à un régime de remplacement. Nous avons préféré un accord permettant de maintenir le principe d’une expérimentation : dix-huit cours criminelles au total pourront être mises en place ; nous verrons si toutes le sont ou non.
En l’absence d’Albéric de Montgolfier, rapporteur pour l’article 3, je dirai un mot de l’accord trouvé à cet égard.
En ces termes délicats qui sont propres à l’administration fiscale, Bercy – appelons les choses par leur nom – voulait pouvoir prescrire qu’un certain nombre d’organismes déposent leur trésorerie au Trésor public, afin d’améliorer la gestion de la trésorerie de l’État.
On peut partager l’intention ; personne d’ailleurs ne s’en est offusqué. Reste que la rédaction de l’article était tellement large qu’il était impossible de savoir quels organismes seraient sollicités. En particulier, des organismes privés chargés d’une mission de service public pouvaient se trouver dans cette situation, ce dont nombre d’entre eux s’étaient émus, en particulier l’Association des paralysés de France, qui craignait de devoir remettre ses dons au Trésor public, et les maisons de retraite et établissements médico-sociaux, qui se demandaient s’ils étaient compris dans le champ de l’article 3.
Faute de réponse très claire du Gouvernement, nous avions supprimé cet article. Il est finalement rétabli, mais avec des précisions : sont concernés les organismes soumis à la comptabilité publique, créés par la loi et dont les finances proviennent majoritairement de l’impôt ; un certain nombre d’institutions sont expressément exclues, notamment les établissements médico-sociaux, mais aussi les caisses des règlements pécuniaires des avocats (Carpa) – ces derniers étaient également inquiets.
Mais le principal intérêt de l’accord trouvé en commission mixte paritaire est ailleurs : alors que le Gouvernement demandait une quarantaine d’habilitations à légiférer par ordonnance sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, ce que nous n’acceptions pas, le nombre d’habilitations a été réduit à dix. Cette réduction des trois quarts est évidemment intéressante pour le Parlement, et même nécessaire, car il s’agit pour nous de « reprendre la main » sur un domaine qui nous est confié par la Constitution.
Pour reprendre les propos du facétieux président de la commission des lois, nous sommes assez heureux d’avoir accompli en quelques jours ce que l’administration aurait réalisé en six mois par voie d’ordonnance… C’est là, je crois, une première victoire.
Il est vrai, monsieur le ministre, que nous n’aurions peut-être pas vu là une victoire, si nous avions connu plus tôt la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 28 mai dernier.
De fait, dans un revirement jurisprudentiel, le Conseil constitutionnel a jugé que, désormais, passé le délai d’habilitation, les mesures prises par voie d’ordonnance deviendraient législatives. Dans ce cadre, nous nous demandons quel intérêt le Gouvernement pourrait encore avoir, non pas à déposer un projet de loi de ratification – il en a l’obligation –, mais à l’inscrire à l’ordre du jour, puisque les mesures seront déjà législatives.
C’est pourquoi nous vous demandons, monsieur le ministre, si vous pouvez vous engager à inscrire désormais à l’ordre du jour prioritaire les projets de loi de ratification, qui sont le seul moyen pour le Sénat, pour le Parlement de manière générale, de modifier éventuellement les ordonnances prises. D’autre part, comme je l’ai déjà plusieurs fois demandé, quand sera inscrit à l’ordre du jour prioritaire le projet de loi ratifiant l’ordonnance portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs ? Le Sénat, vous le savez, y attache une importance particulière ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer la qualité de nos échanges au long de l’examen de ce projet de loi. Ces échanges ont conduit à la conclusion d’un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat en commission mixte paritaire, la semaine dernière.
Un tel accord n’aurait sans doute pas été possible sans la disponibilité, l’écoute attentive et la démarche d’emblée constructive de Mme la rapporteure de la commission des lois. Je sais, madame Jourda, que le sentiment que j’exprime à cet instant est partagé par votre homologue à l’Assemblée nationale.
Permettez-moi de remercier également M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, dont l’expertise et la rigueur ont permis au Gouvernement d’affiner les dispositifs qu’il envisageait. Nous avons avancé ensemble vers des solutions, parfois introduites en urgence, pour notre économie et pour la préservation des emplois et des compétences.
À l’attention de M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, je dirais que nous pouvons collectivement nous réjouir du compromis auquel la commission mixte paritaire est parvenue, après de longs débats préparatoires, sur la centralisation des trésoreries ; le dispositif est, au bout du compte, plus précis et plus clair que celui initialement envisagé.
Enfin, je salue l’investissement de M. le président de la commission des lois, avec lequel le Gouvernement a mené un dialogue exigeant et constructif.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. C’est généreux !
M. Marc Fesneau, ministre. Un accord global a donc été trouvé. Certains d’entre vous regretteront probablement qu’il soit inférieur à leurs espérances, mais c’est le propre de tout compromis.
Il était important que des accords soient trouvés sur les cours criminelles, le Brexit et la centralisation des trésoreries, les trois questions qui restaient en suspens, tant ces sujets faisaient débat non seulement entre l’Assemblée nationale et le Sénat, mais au sein même des groupes politiques.
Dans ces conditions, il semblait important d’entendre les doutes que ces clivages exprimaient. Ce souci du dialogue auquel j’ai tenu et auquel je sais votre assemblée particulièrement attachée a porté ses fruits : les accords trouvés sont satisfaisants pour tout le monde. Ainsi, l’article 3, relatif à la centralisation de certaines trésoreries, précise un peu plus encore quels organismes sont exclus du dispositif, à commencer par les caisses de retraite, les Carpa et un certain nombre d’établissements sociaux et médico-sociaux.
Au terme de ce parcours législatif, je voudrais insister sur l’important travail mené par les ministères concernés, l’Assemblée nationale et le Sénat afin de transcrire « en clair » le plus grand nombre possible d’habilitations à légiférer par ordonnance. J’en avais pris l’engagement, au nom du Gouvernement, dès le début des débats à l’Assemblée nationale, voilà un mois ; je me félicite que cet engagement ait été tenu. Des quarante habilitations initiales, il n’en restait plus que vingt-quatre à l’issue de la première lecture à l’Assemblée nationale. Le Sénat en a supprimé quatorze dès le stade de la commission. Le texte issu de la commission mixte paritaire n’en prévoit plus que dix. Nous sommes donc allés plus loin que ce à quoi le Conseil d’État nous avait invités.
Les habilitations restantes sont strictement circonscrites aux cas où une forte incertitude ne nous permet pas d’inscrire « en dur » les dispositions. Je pense notamment à l’encadrement des promotions commerciales, au Brexit ou encore aux négociations européennes en cours sur la gestion des fonds européens.
Le Gouvernement a donc pleinement répondu aux remarques, voire aux critiques, du Sénat et, plus globalement, du Parlement, formulées assez tôt envers ce texte.
S’agissant de votre observation sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, madame la rapporteure, nous aurons l’occasion d’en débattre, sans doute le 23 juin, lors du débat sur l’application des lois. J’ai pris bonne note de votre question, mais vous comprendrez que je sois en peine d’y répondre sur-le-champ.
Sur le fond, je serai bref : ce projet de loi vise à répondre à une crise qui touche tous les domaines – d’où la diversité de ses dispositions.
En premier lieu, il dote notre pays des moyens nécessaires pour accompagner la reprise économique, tout en garantissant les droits des salariés et des personnes placées en activité partielle. Ces dispositions ont été au fondement du consensus entre l’Assemblée nationale et le Sénat : c’est tant mieux, car elles sont les plus nombreuses.
À cet égard, je n’oublie pas que c’est votre assemblée qui, la première, a rendu possible la création d’un dispositif alternatif à l’activité partielle, dont nous aurons grand besoin dans les mois qui viennent.
En second lieu, le projet de loi garantit la continuité du service public. Tel est le sens du maintien en service d’un certain nombre de militaires, de l’augmentation du plafond de jours de mobilisation des réservistes de la police nationale et de la mise à disposition à titre gratuit d’agents au profit des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et de l’hôpital en période de crise sanitaire.
Enfin, le projet de loi contient diverses dispositions dont l’urgence est liée non pas certes au Covid-19 directement, mais au bouleversement du calendrier parlementaire consécutif à cette crise ; je pense en particulier à l’indemnisation des victimes d’essais nucléaires.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable à l’adoption des conclusions de la commission mixte paritaire. Elles prouvent que, sur des sujets aussi importants pour la vie de notre pays, l’Assemblée nationale et le Sénat savent travailler de concert avec célérité, efficacité et responsabilité ! (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la France gouvernée par une assemblée unique, c’est l’océan gouverné par l’ouragan », écrivait Victor Hugo.
M. Loïc Hervé. Excellent !
M. Jean-Claude Requier. Véritable gage de démocratie, le bicamérisme garantit l’existence d’une authentique discussion législative, qui privilégie l’esprit de sagesse et concourt à la qualité de la loi.
Le présent texte en est la parfaite illustration : la rédaction adoptée en commission mixte paritaire est assez éloignée de celle présentée en conseil des ministres, notamment par le nombre de ses articles et celui des habilitations à légiférer par ordonnance.
Particulièrement attaché au débat parlementaire, comme nous tous, je me félicite que nos deux assemblées se soient entendues pour permettre au Parlement de conserver ses prérogatives de législateur en limitant fortement les habilitations aux seuls cas où elles sont indispensables. Nous sommes ainsi passés de quarante habilitations à dix…
La crise sanitaire que notre pays traverse est d’une ampleur inédite, et son impact sur notre économie sera considérable. Selon les dernières prévisions de la Banque mondiale, publiées avant-hier, le PIB mondial devrait se contracter de 5,2 % en 2020 ; et c’est dans la zone euro que le recul sera le plus marqué. Hier, la Banque de France a annoncé une récession d’environ 10 % cette année et estimé que le taux de chômage atteindrait plus de 10 % à la fin de 2020, pour s’envoler à 11,5 % l’année prochaine. Les effets de la pandémie devraient se faire sentir pendant deux ans.
Aussi, mettre en place les moyens d’affronter cette crise sans précédent et d’apporter des réponses concrètes à nos concitoyens relève d’une impérieuse nécessité.
Pour répondre à ces enjeux, sénateurs et députés de la commission mixte paritaire ont travaillé en bonne intelligence, dans l’intérêt des Français, ce qui a permis d’aboutir à un compromis. Les sujets de désaccord étaient nombreux, mais l’échec annoncé de la commission mixte paritaire n’a finalement pas eu lieu, ce dont nous nous félicitons.
Pourtant, les conditions dans lesquelles nous avons eu à examiner ce texte en première lecture étaient pour le moins compliquées, comme l’avait souligné notre collègue Josiane Costes : des délais particulièrement contraints et un texte extrêmement dense, abordant des domaines très nombreux et aussi différents que le Brexit, les fédérations sportives, les titres restaurant et l’activité partielle – sans oublier une séance qui s’est terminée, ici même, à trois heures quarante du matin…
Dans ce contexte, plusieurs dispositions vont dans le bon sens. Je pense notamment au nouveau dispositif d’activité réduite pour le maintien en emploi, qui permettra d’accompagner les entreprises durablement affectées par la situation sanitaire et économique. Les entreprises confrontées à une activité encore réduite pourront ainsi, en accord avec les syndicats, diminuer le temps de travail ou les salaires, à condition de maintenir totalement l’emploi. Une aide de l’État compensera une partie de la perte de pouvoir d’achat.
Nous saluons également la prolongation des titres de séjour, le maintien des garanties de protection sociale complémentaire, l’ouverture des droits à la retraite des salariés placés en activité partielle et la dérogation aux règles de cumul emploi-retraite pour les soignants, ainsi que l’intéressement dans les entreprises de moins de onze salariés.
Enfin, nous nous félicitons que la commission mixte paritaire ait retenu certains apports de la Haute Assemblée, comme la meilleure gestion des fonds de commerce pour les entreprises en difficulté, l’allongement d’expérimentations pour favoriser l’insertion des agents handicapés dans la fonction publique et le report de la caducité des règlements locaux de publicité.
Pour autant, le texte élaboré en commission mixte paritaire ne nous satisfait pas pleinement.
Nous regrettons notamment le rétablissement de l’article 3, relatif à la centralisation des trésoreries, supprimé par notre assemblée unanime, sur l’initiative de la commission des finances – même si la durée et le champ de l’habilitation ont été réduits.
Surtout, nous déplorons l’extension de l’expérimentation des cours criminelles. De neuf départements, le Gouvernement nous proposait de passer à trente ! En première lecture, nous avons rejeté cette extension, mais la commission mixte paritaire a transigé à dix-huit, ce qui nous semble toujours excessif. Alors que ces cours ont été mises en place voilà à peine un an, nous n’avons pas assez de recul pour savoir si les affaires sont bien jugées. Dès lors, l’extension envisagée nous paraît bien prématurée. Il ne faudrait pas qu’elle serve seulement un objectif de gestion des stocks de procédures criminelles, comme le redoute la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Pour toutes ces raisons, la majorité des membres de notre groupe s’abstiendra dans un esprit positif sur le texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite à mon tour de l’accord que nous avons pu trouver le 2 juin dernier, grâce à des concessions réciproques de nos deux assemblées.
Sur la forme, l’état d’esprit constructif qui a présidé à l’examen de ce texte est, au risque de me répéter, à saluer. Une démarche collective de clarification a été suivie afin de préserver les droits du Parlement. De cette façon, la grande majorité des dispositions ont pu être directement inscrites dans le projet de loi. Sur les quarante habilitations à légiférer par ordonnance figurant dans le texte initial, il n’en reste plus que dix, encadrées et limitées dans le temps. Avec le concours du Gouvernement, nous sommes donc allés au-delà de ce que préconisait le Conseil d’État.
Sur le fond, qu’on le qualifie de « fourre-tout », de « foisonnant » ou de « dense », ce projet de loi a le mérite de répondre à des besoins divers, que cette crise sanitaire inédite a fait naître dans des domaines aussi variés que l’économie, le social, l’administration, la justice, la santé.
Il comporte des dispositions conciliant protection de l’emploi et accompagnement de la reprise économique et d’autres permettant de garantir la continuité du service public. Je songe notamment au dispositif spécifique d’activité partielle mis en place par accord collectif, au développement de l’intéressement dans les très petites entreprises et à la constitution de droits à retraite du 1er mars au 31 décembre 2020 au titre du chômage partiel, sans oublier l’indemnisation des chômeurs en fin de droits à partir du 1er mars 2020.
Je m’attarderai un instant sur les mesures qui concernent les outre-mer et qui, même si elles n’ont pas de lien direct avec la pandémie, n’auraient pas trouvé à s’inscrire dans le calendrier parlementaire à venir, alors même qu’elles sont vivement attendues par nos compatriotes.
Je pense à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires en Polynésie française, à la prorogation de l’agence des cinquante pas géométriques aux Antilles et à celle de la commission d’urgence foncière à Mayotte. Je rappelle que les enjeux fonciers sont particulièrement sensibles dans ces territoires, dont ils paralysent grandement le développement.
Permettez-moi d’insister sur deux autres mesures qui intéressent mon territoire.
D’abord, le maintien au 1er janvier 2022 de l’échéance de création d’un conseil des prud’hommes à Mayotte était essentiel. Repousser encore cette installation, qui a déjà fait l’objet de trois reports, n’aurait pas été acceptable !
Ensuite, je me félicite de la prolongation, à titre exceptionnel et au plus tard jusqu’au 31 juillet 2020, de l’indemnisation des demandeurs d’emploi résidant à Mayotte dont les droits sont arrivés à échéance depuis le 1er mars dernier. Cette mesure tient légitimement compte du fait que la période de confinement a été plus longue dans ce département.
À l’issue de la commission mixte paritaire, nous sommes parvenus, sénateurs et députés, à nous entendre sur l’ensemble des dispositions restant en discussion.
De fait, nous sommes arrivés à un compromis sur les durées d’habilitation, ramenées de douze à six mois pour les ordonnances relatives à la centralisation des trésoreries publiques et de trente à douze mois pour celles touchant aux conséquences du Brexit. Quant à la prolongation de l’expérimentation sur les seuils de vente à perte, elle a été réduite de trente à quatorze mois.
Plus précisément, la commission mixte paritaire a permis de réintroduire l’habilitation relative à la centralisation des trésoreries, dans une rédaction bienvenue qui exclut de son champ d’application plusieurs organismes, tels que les organismes établis par les collectivités territoriales et les caisses des règlements pécuniaires des avocats.
L’accord trouvé en commission mixte paritaire a également permis de rétablir l’habilitation, sécurisante, visant à préserver la situation des ressortissants et des sociétés britanniques exerçant une activité en France.
S’agissant enfin des dispositions, essentielles, relatives au fonctionnement de la justice, je salue l’équilibre de la position consistant à limiter aux seules procédures contraventionnelles sans victime la faculté donnée aux procureurs de la République de classer sans suite. Je salue également la limitation mesurée de l’extension de l’expérimentation des cours criminelles à dix-huit départements.
Mes chers collègues, le Parlement, notamment par la voix des rapporteurs des deux assemblées, que je tiens à remercier pour le travail accompli, a fait preuve d’une grande rigueur, en s’assurant que l’article 38 de la Constitution soit pleinement appliqué et en exigeant que certaines dispositions soient précisées. Le Gouvernement, quant à lui, s’est montré réceptif aux réserves qui lui ont été adressées sur ce texte, qui est à la hauteur des enjeux de la période.
C’est pourquoi le groupe La République En Marche votera les conclusions de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans sa version initiale, ce projet de loi prévoyait quarante ordonnances, démontrant la volonté du Gouvernement de brider la capacité d’amendement du Parlement. L’Assemblée nationale et le Sénat sont cependant parvenus à modifier les moyens d’action prévus dans ce texte, réduisant de manière drastique le recours à l’article 38 de la Constitution.
Malheureusement, force est de constater que, si le Parlement a pu modifier positivement la forme de ce projet de loi, il n’a pas jugé utile d’en améliorer le fond. Face à l’urgence sanitaire, l’exécutif aurait pu se tourner vers une gouvernance apaisée, privilégiant des mesures susceptibles de faire consensus.
Nous observons – hélas ! – que le Gouvernement a préféré se servir de la crise économique pour faire avancer son agenda libéral ; en attestent notamment les nouvelles dispositions rendant flexible le recours aux contrats à durée déterminée.
Ni la récession ni le chômage de masse n’amèneront le Gouvernement à se départir de sa doxa libérale. En ces temps incertains, salariés, employés et ouvriers de France auraient grandement eu besoin de la stabilité d’un contrat à durée indéterminée (CDI). Nous notons que vous ne comptez leur offrir que la fragilité d’un contrat à durée déterminée (CDD) renouvelable, alors que de nombreux Français ont pris des risques en première ligne pendant la pandémie.
Dans ce texte aux mesures diverses, tout n’est cependant pas à mettre de côté. Des éléments positifs subsistent, concernant notamment la question de l’activité partielle. Nous saluons évidemment la prolongation des dispositifs prévus en la matière dans certains secteurs, en particulier le tourisme et la restauration. Toutefois, le texte validé par la commission mixte paritaire se limite à une demi-mesure qui finira par se heurter à la réalité.
Le confinement et l’arrêt de l’économie ont vidé les carnets de commandes de nombreuses entreprises françaises, notamment les PME et les TPE. Beaucoup n’appartiennent pas aux secteurs concernés par la prolongation des dispositifs de chômage partiel, et leurs salariés ne pourront de ce fait en bénéficier.
De la même manière, si nous pouvons nous réjouir du choix qui a été fait de prolonger la validité des titres de séjour des étrangers présents sur notre territoire, nous déplorons que les dispositifs mis en place afin d’allonger la durée de travail des étudiants et des travailleurs saisonniers étrangers aient été conditionnés à la durée de l’état d’urgence sanitaire, preuve s’il en est du manque de considération de l’exécutif pour les personnes migrantes. Il est regrettable que, aux yeux du Gouvernement, l’étranger ne bénéficie pas de véritables droits qui ne seraient pas soumis aux besoins d’une conjoncture donnée.
Le dernier écueil de ce texte tient à son manque patent de dimension sociale. Alors que son intitulé initial promettait des dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19, il n’en a rien été dans les faits, étant donné que vous avez plutôt légiféré sur l’ouverture de la saison de la chasse ou sur l’organisation des fédérations sportives.
Nous déplorons donc l’absence criante dans ce texte de mesures sanitaires et sociales, ainsi que de dispositifs ayant trait à la gratuité des masques ou à l’allongement du délai légal de l’interruption volontaire de grossesse pour celles qui n’ont pas pu y accéder pendant la crise sanitaire.
Le texte qui sera voté aujourd’hui fait la part belle à la flexibilisation du droit du travail, tout en mettant à mal le dialogue social. Il précarise les salariés tout en déconsidérant les étrangers.
Il va sans dire qu’une telle philosophie n’est pas de nature à nous satisfaire. Pour ces raisons, le groupe CRCE votera contre ce texte.